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Document 61980CC0203

    Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 7 juillet 1981.
    Procédure pénale contre Guerrino Casati.
    Demande de décision préjudicielle: Tribunale di Bolzano - Italie.
    Libre circulation des capitaux - Exigences nationales de contrôle.
    Affaire 203/80.

    Recueil de jurisprudence 1981 -02595

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1981:164

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. FRANCESCO CAPOTORTI,

    PRÉSENTÉES LE 7 JUILLET 1981 ( 1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1. 

    L'origine de la présente affaire préjudicielle se situe dans le cadre d'un cas de réexportation de devises, précédemment importées dans un État membre par un ressortissant résidant dans un autre État membre, sans que l'importation ait été liée à des contreprestations déterminées. Il s'agit essentiellement d'établir si, et dans l'affirmative comment, un phénomène de ce genre est réglementé en droit communautaire, et si non seulement les restrictions établies en la matière par la loi d'un État membre mais également les sanctions prévues contre celui qui les viole, sont compatibles avec le droit communautaire. Tout cela entraîne la nécessité d'interpréter un certain nombre de dispositions du traité CEE et de normes dérivées relatives aux mouvements de capitaux: réglementation qui soulève des problèmes très importants en raison également de leur nouveauté. Nous observons en effet que la Cour n'a pas eu jusqu'ici l'occasion de se prononcer en matière de circulation des capitaux, abstraction faite de certaines affirmations génériques et incidentes contenues dans les attendus de l'arrêt du 23 novembre 1978 relatif à l'affaire 7/78, Regina/Thompson (Recueil 1978, p. 2247).

    Résumons brièvement les faits.

    Un procès pénal est pendant devant le tribunal de Bolzano contre M. Guerrino Casati, ressortissant italien résidant en république fédérale d'Allemagne, pour avoir tenté d'exporter, sans l'autorisation prescrite par la législation italienne sur les changes, la somme de 650000 lires et 24000 DM, somme dont il a été trouvé en possession alors qu'il sortait du territoire italien, à la frontière avec l'Autriche. Il s'est justifié en affirmant avoir précédemment importé cette somme en Italie en vue d'acheter des appareils mécaniques (des machines destinées à la fabrication des pâtes et des glaces) qui lui étaient nécessaires pour le restaurant dont il est propriétaire à Cologne, et d'avoir été obligé de réexporter les devises parce que la fabrique où il entedait effectuer son achat était fermée pour cause de congé. Au cours de la procédure, le tribunal de Bolzano a décidé, par ordonnance du 6 octobre 1980, de soumettre à la Cour, sur la base de l'article 177 du traité CEE, huit questions dont nous nous réservons de citer le texte au fur et à mesure que nous les examinerons.

    2. 

    Pour la compréhension correcte des problèmes soulevés par le juge du fond, nous estimons opportun de faire quelques remarques préliminaires au sujet de la réglementation italienne concernant l'importation et l'exportation de devises étrangères par des sujets qui ne résident pas en Italie. Cette réglementation s'inspire du critère consistant à laisser libre l'importation et à soumettre en revanche l'exportation à un contrôle administratif précis. En effet, l'article 14 du décret ministériel du 7 août 1978 dispose: «il est permis d'importer librement, par quelque moyen que ce soit, des titres de créance émis ou payables à l'étranger, ainsi que des billets d'État ou de banque étrangers ayant cours légal»; tandis que, en vertu de l'article 13 b) du même décret, «l'exportation, par des non-résidents, de titre de créance, émis ou payables à l'étranger ..., de billets d'État ou de banque étrangers ... est permise dans les limites de l'importation précédente ... ou du montant légalement acquis en Italie, selon les modalités fixées par le ministre du commerce extérieur». Ces modalités avaient déjà été indiquées dans la circulaire de l'office des changes italien no A/300 du 3 mai 1974, qui, en son article 11, dispose, à propos des devises, que les non-résidents peuvent réexporter les billets d'État et de banque étrangers précédemment importés à condition que, au moment de l'importation, ils aient fait la déclaration de possession de valeurs et de devises (en remplissant le formulaire V 2) ; il s'agit d'une déclaration qui doit être reçue et visée par la douane et restituée au voyageur au moment de son entrée sur le territoire italien. Cela signifie que, en l'absence du formulaire V2 dûment visé, il est interdit à un non-résident de réexporter les devises importées, à moins qu'il ne se munisse d'une autorisation ad hoc de l'office des changes italien. L'exportation éventuelle non autorisée pour une valeur supérieure à 500000 lires est un délit au sens de l'article 1 du décret-loi no 31 du 4 mars 1976 (devenu la loi no 159 du 30 avril 1976 et modifié ultérieurement par la loi no 863 du 23 décembre 1976): la peine prévue est celle de la réclusion d'un à six ans et d'une amende d'un montant allant du double au quadruple de la valeur des devises exportées. La tentative de délit est assimilée au délit accompli. La jurisprudence italienne a appliqué cette règle en qualifiant de contravention pénale la réexportation de devises importées lorsque, à la sortie du territoire de l'État, le voyageur ne se trouve pas en possession du formulaire V 2 qui prouve la provenance légitime des devises: rappelons les arrêts de la Cour de cassation (première chambre pénale) no 1879 du 17 décembre 1979 et no 4779 du 12 avril 1980. Cette orientation a été récemment confirmée par le décret ministériel du 12 mars 1981 sur les règlements monétaires et les rapports financiers avec l'étranger (publié dans la Gazzetta ufficiale italiana no 82 du 24 mars 1981, supplément ordinaire), dont l'article 49, alinéa 1, dispose que, pour pouvoir légalement réexporter des billets d'État et de banque étrangers, «les non-résidents doivent, lors de l'introduction de ces billets sur le territoire de la République, se faire délivrer, à titre de preuve de ce fait, une attestation douanière expresse utilisable, dans le but susdit, dans les six mois à compter de sa délivrance».

    3. 

    Au cours de la procédure orale, le représentant du gouvernement français a fait remarquer que le cas d'espèce concerne une tentative d'exportation de devises effectuée à la frontière entre la République italienne et la République autrichienne. Il y aurait donc une raison de mettre en doute l'applicabilité des règles communautaires sur la libre circulation des capitaux et l'on pourrait estimer que les réponses aux questions formulées par le tribunal de Bolzano ne sont pas destinées à avoir une influence sur la solution de l'affaire pendante devant ce tribunal. En conséquence, la Cour devrait refuser de fournir ces réponses: à l'appui de cette thèse, le représentant du gouvernement français a invoqué l'arrêt de la Cour du 11 mars 1980 dans l'affaire 104/79, Foglia/Novello (Recueil 1980, p. 745), dont il déduit que la Cour ne possède pas de compétence préjudicielle lorsque les questions posées par le juge national sur la base de l'article 177 du traité CEE ne se rattachent pas à un litige effectif.

    Nous n'entendons pas prendre position ici sur la portée et sur les implications possibles de ce précédent. Nous nous limiterons à observer que, quelle qu'en soit la valeur, il ne peut pas être utilement invoqué pour soutenir l'incompétence de la Cour dans la présente affaire. En effet, nous croyons qu'il faut absolument exclure, à la suite des résultats de la procédure, que le litige pendant devant le tribunal de Bolzano a été créé artificiellement. D'autre part, nous estimons arbitraire d'étendre la ratio de l'arrêt Foglia/Novello à l'hypothèse bien différente dans laquelle on peut craindre que le juge national parvienne à la conviction, après s'être adressé à la Cour, qu'il est possible de trancher l'affaire au fond en faisant abstraction des règles communautaires dont il a demandé l'interprétation. En réalité, mettre en doute qu'un cas d'espèce déterminé entre dans le champ d'application des règles communautaires auxquelles se réfèrent les questions préjudicielles, équivaut à s'interroger sur l'importance de ces questions, pour la solution de l'affaire principale. Mais la constatation de ce point n'entre pas dans la compétence de notre Cour au titre de l'article 177 cité; c'est exclusivement au juge national qu'il appartient de faire cette constatation. A ce sujet, les précédents jurisprudentiels sont très nombreux: parmi les arrêts les plus récents rappelons celui du 5 octobre 1977 dans l'affaire 5/77, Tedeschi (Recueil 1977, p. 1555); du 16 novembre 1977 dans l'affaire 13/77, G. B. Inno (Recueil 1977, p. 2115); du 29 novembre 1978 dans l'affaire 83/78, Pigs Marketing Board (Recueil 1978, p. 2347); du 14 février 1980 dans l'affaire 53/79, ONFTS/Damiani (Recueil 1980, p. 273).

    4. 

    Par la première question, le juge italien demande «si, après l'expiration de la période de transition, les restrictions aux mouvements de capitaux visées à l'article 67 du traité CEE doivent être considérées comme supprimées, indépendamment des dispositions de l'article 69».

    On sait que la liberté de circulation des capitaux est réglementée dans le chapitre 4 du titre III du traité, comprenant les articles 67 à 73. L'article 67, paragraphe 1, dispose: «les États membres suppriment progressivement entre eux, pendant la période de transition et dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun, les restrictions aux mouvements de capitaux appartenant à des personnes résidant dans les États membres ainsi que les discriminations de traitement fondées sur la nationalité ou la résidence des parties ou sur la localisation du placement». A son tour, l'article 69 dispose: «le Conseil, statuant sur proposition de la Commission qui consulte à cette fin le comité monétaire prévu à l'article 105, arrête, à l'unanimité au cours des deux premières étapes et à la majorité qualifiée par la suite, les directives nécessaires à la mise en œuvre progressive des dispositions de l'article 67».

    La question reproduite ci-dessus tient compte évidemment de la jurisprudence de la Cour sur l'effet direct de certaines règles du traité. Il s'agit précisément de règles qui établissaient la suppression progressive, durant la période de transition, de certaines limites ou restrictions, comme les articles 13 et 16 (abolition des droits de douane et des taxes d'effet équivalent), l'article 52 et l'article 59 (suppression des restrictions à la liberté d'établissement et à la libre prestation des services). On sait qu'en vertu de l'orientation adoptée par la Cour, les limites ou les restrictions en question doivent être considérées comme ayant entièrement disparu à la fin de la période de transition, même lorsque le traité prévoyait l'adoption de directives à cette fin au cours de cette période: il suffira de citer les arrêts du 19 juin 1973 dans l'affaire 77/72, Capolongo (Recueil 1973, p. 611) relatif à l'article 13; du 16 décembre 1976 dans l'affaire 45/76, Cornet (Recueil 1976, p. 2043) relatif à l'article 16; et surtout les arrêts du 21 juin 1974 dans l'affaire 2/74, Reyners (Recueil 1974, p. 631); du 3 décembre 1974 dans l'affaire 33/74, Binsbergen (Recueil 1974, p. 1299); du 12 décembre 1974 dans l'affaire 36/74, Walrave (Recueil 1974, p. 1405); du 8 avril 1976 dans l'affaire 48/75, Royer (Recueil 1976, p. 497); du 15 juillet 1976 dans l'affaire 13/76, Donà (Recueil 1976, p. 1333); du 28 juin 1977 dans l'affaire 11/77, Patrick (Recueil 1977, p. 1199); du 28 avril 1977 dans l'affaire 71/76, Thieffry (Recueil 1977, p. 765), tous relatifs aux articles 52 et 59. Il est donc nécessaire de vérifier si l'article 67, paragraphe 1, présente, lui aussi, des caractéristiques de nature à justifier la thèse de son effet direct.

    Le point de contact entre l'article 67 et les règles précédemment citées réside dans le fait que la suppression progressive des restrictions est également prévue durant la période de transition. Il existe pourtant une différence importante: l'article 67 contient une précision qui ne figure pas dans les autres règles, c'est-à-dire la phrase «dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun». Ces termes ont pour effet de soumettre l'obligation des États membres, de supprimer les restrictions aux mouvements des capitaux, à une condition limitative: l'obligation existe à condition et tant que la suppression constitue une nécessité pour le bon fonctionnement du marché commun. Si l'apprêt ciation de cette nécessité était laissée aux divers États membres, l'effet uniforme de l'article 67, paragraphe 1, et sa valeur obligatoire seraient mis en péril; c'est pourquoi, il est logique d'estimer que l'appréciation appartient au Conseil, organe compétent pour adopter les directives en vue de la mise en œuvre progressive de l'article 67 (article 69 cité). Dans l'exercice de ses appréciations politiques, le Conseil est appelé à fixer les temps, les modalités et le contenu de la suppression des restrictions en question non seulement pendant la période de transition, mais aussi ultérieurement, étant donné que le bon fonctionnement du marché commun n'a pas rendu nécessaire une libéralisation complète du marché des capitaux avant la fin de cette période.

    Il est intéressant d'observer qu'une expression analogue à celle de l'article 67, paragraphe 1, précisément: «dans la mesure nécessaire au fonctionnement du marché commun» est adoptée à l'article 3 h) du traité à propos de l'objectif de rapprochement des législations nationales. Cela nous semble significatif parce 3ue, dans ce secteur également, l'action es États membres est rendue dépendante de l'adoption de directives du Conseil (article 100), qui présupposent une appréciation discrétionnaire de l'intérêt communautaire et une comparaison entre cet intérêt et celui des États membres à conserver leur liberté d'action.

    Notre interprétation de l'article 67, paragraphe 1 coïncide avec celle qui a été suggérée par M. l'avocat général Mayras dans les conclusions qu'il a présentées dans l'affaire 7/78, Regina/Thompson (Recueil 1978, p. 2276). Dans cette affaire, il s'agissait d'établir si et dans quelle limite le commerce de monnaies d'or et d'argent entrait dans le champ d'application des articles 30 à 37 du traité CEE. Dans l'arrêt cité du 23 novembre 1978, la Cour ne s'est pas prononcée sur le problème de l'effet direct de l'article 67, paragraphe 1 ; mais l'avocat général a affirmé que «selon l'article 67, après l'entrée en vigueur de l'acte d'adhésion et après l'expiration de la période de transition qu'il prévoit, s'il subsiste des restrictions aux mouvements de capitaux, leur maintien n'est contraire au traité que si leur suppression est nécessaire au Bon fonctionnement du marché commun». Il a justifié ce point de vue en observant que la règle en question «assortit la suppression progressive des restrictions ... à une condition temporaire» (l'expiration de la période de transition) «et à une condition permanente», consistant dans la correspondance de l'abolition à la nécessité du bon fonctionnement du marché commun; en effet cette dernière «conserve une portée permanente, même après l'expiration de cette période».

    L'importance que revêt la condition dont nous avons parlé jusqu'ici peut être mieux entendue si l'on se rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, la possibilité de reconnaître un effet direct à une règle du traité, en l'absence de mesures opportunes d'exécution par les États ou par les institutions communautaires, est en chaque cas subordonnée au contenu de la règle elle-même qui doit être complet et non accompagné de conditions. On peut mentionner sur ce point, de nombreux arrêts parmi lesquels ceux déjà cités relatifs aux affaires 2/74, Reyners et 33/74, Binsbergen; ajoutons les arrêts du 14 juillet 1971 dans l'affaire 10/71, Muller (Recueil 1971, p. 723) et du 22 mars 1977 dans l'affaire 78/76, Steinike et Weinlig (Recueil 1977, p. 595). De cette orientation de la Cour, il est facile de déduire que l'article 67, paragraphe 1, ne présente pas des caractères tels qu'il puisse être mis au nombre des dispositions directement applicables après la fin de la période de transition.

    5. 

    Si l'on examine la règle de l'article 67, paragraphe 1, dans le contexte représenté par d'autres dispositions connexes du traité en matière de circulation des capitaux et de politique économique, la thèse que nous avons exposée trouve des confirmations convaincantes.

    Nous nous référons avant tout à l'article 71, alinéa 1, selon lequel: «les États membres s'efforcent de n'introduire aucune nouvelle restriction de change à l'intérieur de la Communauté affectant les mouvements de capitaux et les paiements courants afférents à ces mouvements, et de ne pas rendre plus restrictives les réglementations existantes». A première vue, cette règle semblerait entrer dans la catégorie des clauses de standstill; elle présente certainement des affinités avec les clauses de ce genre contenues dans les articles 12, 31, 32, 53 et 62. Il y a toutefois une particularité qui constitue sa caractéristique spécifique: l'emploi des termes «s'efforce de n'introduire» au lieu des termes «s'abstiennent d'introduire» ou plus brièvement «n'introduisent pas» — adoptés dans les autres articles que nous avons mentionnés. Le recours à une formule différente, plus souple et qui engage moins, montre que les auteurs du traité ont voulu se limiter à indiquer une voie politique, pour orienter les choix des Etats membres en matière de réglementation de la circulation des capitaux et que les États membres ont seulement promis de faire de leur mieux pour ne pas aggraver la situation existante en cette matière.

    Ce que nous savons des travaux préparatoires renforce la thèse de l'absence d'une véritable clause de standstill. Dans un premier temps, une délégation avait proposé un projet d'article qui prévoyait l'obligation des États membres de consolider le niveau de libération atteint dans le secteur en question au moment de l'entrée en vigueur du traité. Mais certains experts, membres du groupe dit marché commun ont fait remarquer qu'imposer, en ce domaine, une obligation de standstill n'aurait pas été équitable à l'égard des pays qui avaient déjà atteint un niveau beaucoup plus avancé en matière de libre circulation des capitaux, étant donné qu'il n'était pas possible de prévoir s'ils seraient en mesure de maintenir ce niveau après l'entrée en vigueur du traité. En outre, les méthodes de change, qui avaient permis un certain degré de libération, auraient pu se révéler indésirables dans le régime du marché commun. Le comité des chefs des délégations a décidé d'admettre ces observations et d'adopter par conséquent un projet correspondant au texte actuel de l'article 71, inspiré du critère qu'il n'existe pas de véritable obligation des États membres. Il est à peine nécessaire d'ajouter que le contenu non obligatoire de l'article 71 s'harmonise avec la thèse de l'incapacité de l'article 67, paragraphe 1, d'avoir un effet direct.

    Il faut encore tenir compte de l'article 104, placé dans le chapitre 2 («la balance des paiements») du titre II («Politique économique»). Cet article établit que «chaque État membre pratique la politique économique nécessaire en vue d'assurer l'équilibre de sa balance globale des paiements et de maintenir la confiance dans sa monnaie, tout en veillant à assurer un haut degré d'emploi et la stabilité du niveau des prix». Au cours de cette procédure, le représentant du gouvernement italien a relevé qu'il ne serait pas cohérent d'attribuer aux différents États membres la responsabilité de leur politique monétaire respective et de leur imposer «une obligation inconditionnée et illimitée de libération des transferts de devises sans ... équivalent». Ce point de vue nous semble correct. La nécessité d'adapter la libération des mouvements de capitaux à l'efficience des mesures nationales visant à assurer la stabilité des échanges et des prix intérieurs, en reconnaissant aux États membres des marges de manœuvre convenables, est conforme au système du traité, dans lequel les règles relatives aux mouvements des capitaux ne peuvent pas être interprétées indépendamment de celles relatives à la politique économique (comme la Cour l'a reconnu en faisant ressortir dans les considérants de l'arrêt cité Regina/Thompson du 23. 11. 1978 que les mouvements des capitaux entrent dans la catégorie plus vaste des transferts monétaires). Nous estimons que, même après la création du système monétaire européen, les États membres doivent conserver la possibilité d'intervenir sur les mouvements de capitaux sans équivalent, dans le but d'assurer la stabilité des échanges, essentielle pour le fonctionnement correct du système.

    6. 

    Nous ne partageons donc pas la position adoptée par le gouvernement de la république fédérale d'Allemagne et par M. Casati, selon laquelle l'article 67, paragraphe 1, lorsqu'il prévoit que les restrictions aux mouvements de capitaux ne doivent être supprimées que «dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun», ne ferait pas dépendre le rythme de la suppression, d'appréciations discrétionnaires du Conseil, mais limiterait seulement la portée de l'obligation imposée aux États membres sous l'aspect quantitatif. En conséquence, les particuliers pourraient revendiquer, après la fin de la période de transition, un droit subjectif à exiger des transferts de devises (le gouvernement fédéral a précisé que ses affirmations se réfèrent spécialement à l'aspect monétaire des mouvements de capitaux), et le juge national serait compétent pour constater, cas par cas, si un mouvement déterminé de capitaux doit être considéré comme libéré, selon le critère de la nécessité de la libération pour le bon fonctionnement du marché commun.

    A l'appui de ces idées, on invoque en premier lieu un argument de caractère général en affirmant que la liberté des mouvements de capitaux dans le système du traité CEE aurait la même importance que les autres libertés de circulation (des marchandises, des personnes, des services) et devrait donc également être considérée comme réalisée — par l'application directe des règles pertinentes — à la fin de la période de transition. La référence unitaire faite par l'article 3 c) du traité à l'objectif de «l'abolition entre les États membres des obstacles à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux» démontrerait que les États parties au traité ont entendu établir une réglementation substantiellement uniforme des libertés en question. Il nous semble toutefois que l'interprète ne peut pas s'arrêter au cadre trop général des principes qui inspirent l'intégration, esquissés dans les premiers articles du traité, mais doit surtout tenir compte de la réglementation spécifique de chaque matière; et les normes relatives aux mouvements de capitaux sont formulées de manière à rendre évidentes leurs différences par rapport aux règles concernant la circulation des travailleurs, le droit d'établissement ou la liberté de circulation des services. Nous ne croyons pas qu'il soit justifié de négliger ou de minimiser ces différences au nom de l'unicité d'inspiration des principes communs à toutes les «libertés de circulation» communautaires.

    D'autre part, la position du gouvernement allemand est loin d'être claire, lorsqu'il admet qu'il existe des restrictions encore licites après l'expiration de la période de transition — les restrictions relatives aux mouvements de capitaux «à court terme» — et les détermine sur la base d'une des listes jointes en annexe à la directive du 11 mai 1960 (liste D). Si, pour reconnaître les restrictions admissibles, il est nécessaire de se référer aux directives adoptées, cela signifie qu'il n'est pas possible de confier à l'interprète l'application du critère de la nécessité ou non de la suppression pour le bon fonctionnement du marché commun, et que ce critère ne se concrétise qu'au moyen des appréciations discrétionnaires du Conseil. Mais alors, même pour reconnaître les restrictions interdites, il est nécessaire d'utiliser les directives; ce qui d'ailleurs est conforme à la fonction de ces actes, destinés par l'article 69 à réaliser la suppression des restrictions, mais non à indiquer les restrictions admises. Ainsi, en dernière analyse, affirmer, qu'après l'expiration de la période de transition, les restrictions monétaires des mouvements de capitaux sont supprimées indépendamment de ce qu'établit l'article 69, n'a pas de sens.

    A ce propos, il ne suffirait pas d'objecter que le gouvernement allemand ne conteste pas l'effet des directives déjà adoptées, mais estime seulement qu'il est superflu de faire dépendre de nouvelles directives, le progrès de la libération une fois que la période de transition est écoulée et que l'interdiction de l'article 67 est devenue effective par elle-même. En réalité, lorsqu'il s'agit de distinguer entre restrictions monétaires et restrictions non monétaires, le gouvernement fédéral se réfère encore aux directives, en ajoutant que le Conseil «s'est réservé une libération ultérieure». Pour le moment, ce gouvernement s'abstient donc d'attribuer un effet direct à l'article 67 en matière de restrictions non monétaires, bien que cette règle concerne les restrictions aux mouvements de capitaux dans leur ensemble.

    Toujours dans le but de soutenir l'applicabilité directe de l'article 67, le gouvernement fédéral observe qu'en tout cas les États membres pourraient toujours adopter des mesures opportunes de sauvegarde au cas où les mouvements de capitaux entraîneraient «des perturbations dans le fonctionnement du marché des capitaux» (article 73, paragraphe 1) ou des difficultés dans la balance des paiements (article 108). Mais il est facile de répliquer qu'une chose est de considérer les États membres comme libres jusqu'à présent d'introduire ou de maintenir en vigueur toutes les mesures restrictives compatibles avec les directives que le Conseil a adoptées ou adoptera en vertu de l'article 69, et autre chose de rappeler que, dans des circonstances déterminées et après autorisation de la Commission, ces États ont la faculté d'adopter des mesures de sauvegarde. En d'autres termes, la question ne consiste pas à vérifier si un État membre particulier est en mesure d'éviter les conséquences éventuellement intolérables pour son économie d'un marché des capitaux libéré; elle consiste plutôt à définir la portée des limitations introduites jusqu'à présent à l'égard de tous les États membres par l'effet des articles 67 et suivants et de la réglementation dérivée. Cela dit, nous estimons que notre thèse de l'absence d'effet direct de l'article 67 n'est en aucune manière influencée par le fait que le traité a prévu des clauses de sauvegarde dans les articles 73, paragraphe 1 et 108. Ces clauses pourront naturellement être utilisées dans les cas aue les deux articles précisent, à titre de érogations temporaires au régime libéré des mouvements de capitaux, et quel que soit le niveau de libération atteint.

    7. 

    Il faut maintenant examiner la troisième question soumise à la Cour par le juge du fond, qui est formulée dans les termes suivants: «un principe ou une disposition du traité garantissent-ils au non-résident le droit de réexporter la monnaie précédemment importée et non utilisée, même si elle est convertie en lires italiennes». A ce sujet, notons, à titre préliminaire, qu'une fois exclu l'effet direct de l'article 67, paragraphe 1, le prétendu droit du non-résident à réexporter des devises ne peut certainement pas être déduit de cette règle mais pourrait découler d'une des directives de libération adoptées par le Conseil: c'est pourquoi la recherche doit être étendue aux dispositions de ces directives.

    Dans le cadre de la partie du traité qui concerne la balance des paiements, la règle sur laquelle on prétend fonder le droit à la réexportation des devises est celle qui est contenue dans l'article 106, paragraphe 1, alinéa 1. Elle dispose: «chaque État membre s'engage à autoriser, dans la monnaie de l'État membre dans lequel réside le créancier ou le bénéficiaire, les paiements afférents aux échanges de marchandises, de services et de capitaux, ainsi que les transferts de capitaux et de salaires, dans la mesure où la circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes est libérée entre les États membres en application du présent traité». La Cour a déjà eu l'occasion de préciser que «cette disposition vise à assurer les transferts monétaires nécessaires tant pour la libéralisation des mouvements de capitaux, que pour la libre circulation des marchandises, des services et des personnes» (arrêt cité du 23. 11. 1978 dans l'affaire Regina/Thompson, attendu no 24) et que les articles 104 à 109, «qui ont pour objet la balance globale des paiements et qui sont à ce titre relatifs à l'ensemble des mouvements monétaires», doivent être considérés globalement «comme essentiels pour atteindre la libération des échanges de marchandises, de services et de capitaux, fondamentale pour la réalisation du marché commun»(ibidem, attendu no 22).

    Il nous semble que ces affirmations font apparaître la reconnaissance de la fonction accessoire de l'article 106, paragraphe 1, alinéa 1, par rapport à la réglementation relative à la circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux. C'est cette réglementation qui détermine le niveau et les modes de la libération: l'article 106 se limite à garantir que, corrélativement, les transferts de sa propre monnaie à celle du pays de résidence du créancier ou du bénéficiaire sont autorisés par chaque État membre. En effet, étant donné que l'obligation d'accorder les autorisations est imposée «dans la mesure où la circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes est libérée ...», il est hors de doute que la réglementation s'applique à condition que le processus de libération se développe. Il ne peut être ni accéléré ni amplifié par l'article 106, mais il est seulement complété, de manière à rendre disponibles les devises nécessaires pour les paiements des transactions commerciales ainsi que pour les transferts de capitaux et de salaires.

    En revenant au problème soulevé par le tribunal de Bolzano, nous observons que si l'on concentre son attention sur l'obligation d'autoriser les transferts monétaires inhérents aux transferts de capitaux, la clause limitative insérée à la fin de l'article 106, paragraphe 1, comporte le renvoi aux articles 67 et suivants. La thèse que nous admettons en ce qui concerne l'article 67 exclut que l'on puisse en déduire une libération automatique des mouvements de capitaux; quant à la réglementation dérivée, nous nous en occuperons sous peu. Si, ensuite, nous portons notre attention sur les paiements relatifs aux échanges de marchandises ou de services ou aux transferts de salaires, il faut dire que l'hypothèse dont part le tribunal de Bolzano concerne la réexportation de devises, et certainement pas un paiement prévu par un contrat d'échange de marchandises ou de services, ni un transfert de salaires. Il est vrai que la défense de M. Casati a insisté sur le fait que l'intéressé aurait importé les devises avec l'intention de les utiliser pour l'achat de produits déterminés; mais la recherche ne peut pas être étendue dans cette direction, étant donné que ni les questions posées par le juge national ni les motifs de l'ordonnance de renvoi ne mentionnent ce fait et que celui-ci se ramène par conséquent à une particularité du cas d'espèce qui doit être constatée dans le jugement sur le fond. Ajoutons que, de toute manière, une chose est un paiement à titre de contreprestation pour un achat réalisé — qui aurait de l'importance au titre de l'article 106, paragraphe 1, cité — et autre chose, la simple importation de devises en vue d'un achat éventuel.

    Enfin, il a été dit, que le droit présumé de réexporter des devises serait lié aux règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises, des personnes et des services, en ce sens qu'il représenterait un complément indispensable de ces libertés.

    A ce propos, nous observons que, tandis que les paiements relatifs aux échanges de marchandises, de services et de capitaux sont réglementés par l'article 106 cité, les transferts de capitaux complémentaires par rapport aux libertés citées sont régis par les directives adoptées par le Conseil en vertu de l'article 69. Les transferts purs et simples de moyens monétaires où la réexportation de devises importées et non utilisées n'entrent pas parmi les mouvements libérés. Cela est d'ailleurs logique, puisqu'il s'agit de mouvements de devises qui ne revêtent aucun caractère complémentaire de l'exercice de la liberté de circulation des marchandises, des personnes et des services.

    8. 

    Avant d'examiner plus à fond les directives concernant cette matière, il convient de mentionner le problème des conditions et des limites de leur effet direct: la troisième question du tribunal de Bolzano concerne en effet un prétendu droit des individus. Nous nous limiterons à rappeler que la jurisprudence de la Cour a plusieurs fois reconnu l'effet direct des directives, lorsqu'un État membre a omis d'adopter les mesures d'exécution dans le terme prescrit, à condition que l'obligation non exécutée soit inconditionnée et suffisamment précise (voir les arrêts du 17. 12. 1970 dans l'affaire 33/70, SACE, Recueil 1970, p. 1213; du 4. 12. 1974, dans l'affaire 41/74, Van Duyn, Recueil 1974, p. 1337; du 26. 2. 1976 dans l'affaire 52/75, Commission/République italienne, Recueil 1976, p. 277; du 5. 4. 1979 dans l'affaire 148/78, Ratti, Recueil 1979, p. 1629; du 6. 5. 1980 dans l'affaire 102/79, Commission/Belgique, Recueil 1980, p. 1473; du 12. 6. 1980 dans l'affaire 88/79, Grunert, Recueil 1980, p. 1827). Sans aucun doute, cette orientation vaut également pour les directives en matière de circulation de capitaux.

    Venons en au point central de la recherche: les directives d'exécution de l'article 67, adoptées par le Conseil sur la base de l'article 69, prévoient-elles ou non un droit du non-résident à réexponer les devises précédemment importées? A notre avis, la réponse doit être négative. La directive du 11 mai 1960 et celle du 18 décembre 1962, qui la modifie et la complète, obligent les États membres à accorder les autorisations de change pour les mouvements de capitaux indiqués dans les listes A, B et C, (avec la faculté de maintenir ou de rétablir des restrictions pour les mouvements indiqués à la liste C, si la libération fait obstacle à la réalisation des objectifs de la politique économique d'un État membre); mais, l'importation et l'exportation de devises en elles-mêmes et par elles-mêmes n'entrent pas parmi les mouvements cités. Les transferts de devises visés dans ces trois listes ont pour objet des opérations d'investissement, l'octroi de crédits ou de garanties, ou le remboursement de créances liées à des opérations commerciales et à des prestations de service, à des opérations sur titres, à l'exécution de certains contrats, etc.; en somme, chacun des transferts a une cause précise. «L'importation et l'exportation matérielle de valeurs» constituent en revanche un des postes de la liste D, qui a pour objet les mouvements non libérés; et, au point XIII de la nomenclature jointe en annexe à la directive, on explique que ce poste inclut l'importation et l'exportation de «moyens de paiements de toutes sortes». Ce genre de mouvements demeure donc soumis aux restrictions imposées par les États membres, qui n'ont pas jusqu'à présent l'obligation de les supprimer; la directive se limite à prescrire qu'ils fassent connaître à la Commission «les modifications apportées aux dispositions régissant les mouvements de capitaux énumérés à la liste D» (article 7, alinéa 2) et prévoit, d'autre part, que le comité monétaire procède au moins une fois l'an à un examen des restrictions existantes (article 4). Ces deux règles visent évidemment à créer des conditions favorables pour une abolition future éventuelle des restrictions dans les secteurs auxquels se réfère la liste D.

    Nous pouvons donc résumer le résultat de ce bref examen des directives du 11 mai 1960 et du 18 décembre 1962 en affirmant que, non seulement elles ne contiennent pas une règle de laquelle découle le prétendu droit des non-résidents à réexporter les devises importées dans un État membre, mais elles renferment au contraire une disposition incompatible avec l'existence d'un tel droit: la matière de l'importation et de la réexportation des devises reste soustraite à la libération. Cette constatation n'est démentie ni par la directive du Conseil 340 du 31 mai 1963, ni par la directive, également du Conseil, 474 du 30 juillet 1963, (l'une et l'autre adoptées en application de l'article 106); en effet, la première concerne les paiements relatifs aux échanges de services, tandis que la seconde a pour objet les transferts relatifs aux transactions invisibles non liées à la circulation de marchandises, de personnes, de services ou de capitaux.

    9. 

    Les questions quatre à huit ont en commun le fait de se référer, sous différents aspects, au problème des sanctions pénales infligées par la législation d'un Etat membre pour violation de règles en matière de change. Il nous semble opportun de commencer par examiner la sixième question qui se rattache à un sujet sur lequel nous avons déjà exprimé notre avis dans la première partie des présentes conclusions. Le juge du fond désire savoir «si, à l'expiration de la période de transition, il y a lieu de considérer comme compatible avec les obligations de ‘standstill’ énoncées aux articles 71 et 106 (3), une loi nationale qui aggrave les sanctions prévues par une loi précédente par exemple, lorsque sont punies de détention et d'amendes, en les qualifiant de délits, des infractions qui étaient précédemment punies de sanctions administratives».

    En ce qui concerne la portée de l'article 71, nous nous limiterons à répéter qu'il ne constitue pas une véritable clause de standstill; l'intention exprimée par les États membres de s'efforcer de ne pas introduire de nouvelles restrictions de change, a clairement une nature non obligatoire. En conséquence, le problème de la compatibilité entre l'article 71 et l'aggravation des sanctions prévues pour certaines infractions en matière de devises perd tout intérêt: contrairement à ce que semble estimer le tribunal de Bolzano, l'incompatibilité éventuelle ne constituerait pas une violation d'une obligation de l'État membre.

    Quant à l'article 106, paragraphe 3, il conviendra de rappeler qu'il dispose (à l'alinéa 1): «Les États membres s'engagent à ne pas introduire entre eux de nouvelles restrictions aux transferts afférents aux transactions invisibles énumérées à la liste qui fait l'objet de l'annexe III du présent traité». Il s'agit précisément des transactions relatives aux frets, aux transports, aux frais de douane, aux frais bancaires, aux voyages d'affaires, au tourisme, aux remises des emigrants, aux intérêts sur titres, etc. Ces phénomènes sont nettement différents de l'importation ou de la réexportation de moyens de paiement. Il est vrai que la liste comprend un poste — «remboursements effectués en cas d'annulation de contrats ou de paiements indus» — dans lequel on pourrait voir une certaine ressemblance avec le cas de celui qui réexporte des devises non utilisées pour conclure un contrat d'achat; mais la différence décisive réside dans le fait que ce poste présuppose l'existence d'un contrat, ou d'une obligation de paiement, annulé ultérieurement.

    Nous estimons donc que la clause de standstill contenue dans l'article 106, paragraphe 3, n'a rien à faire avec l'introduction de sanctions plus sévères contre celui qui réexporte sans autorisation des devises étrangères importées et non utilisées. Cela rend superflu de discuter si la modification de sanctions prévues pour l'inobservation de restrictions précédentes concernant les devises peut être mise sur le même plan que l'introduction de nouvelles restrictions pour des transferts de devises; nous signalons toutefois que ce problème devrait, à notre avis, recevoir une solution négative.

    10. 

    La quatrième question est subordonnée à une réponse affirmative à la troisième, c'est-à-dire à l'hypothèse où le droit du non-résident de réexporter les devises précédemment importées et non utilisées, est reconnu selon l'ordre juridique communautaire. Sur cette base, le tribunal de Bolzano demande «si l'éventuel manquement aux formalités prescrites par la législation sur les changes de l'État d'où les sommes sont réexportées par la suite dans les conditions précitées, est passible de peines qui comportent la confiscation de la monnaie, une amende pouvant atteindre le quintuple du montant de ladite monnaie ainsi qu'une privation de liberté de cinq ans au plus (sous réserve de majoration en cas de participation de plusieurs personnes)».

    Nous pourrions évidemment nous limiter à observer qu'ayant répondu négativement à la troisième question, il n'y a pas lieu de nous occuper de la quatrième. Il nous semble toutefois opportun de donner quelques précisions sur le problème général de l'appréciation, par le droit communautaire, des peines prévues par les législations nationales en matière de change. Nous croyons que les points essentiels à clarifier sont les suivants: lorsqu'il s'agit de mouvements de capitaux non libérés, les États membres restent exclusivement compétents pour réglementer la matière, même sur le plan des sanctions pénales et administratives et ils ne rencontrent aucune limite à l'exercice de cette compétence dans les normes communautaires; tandis que, dans le domaine des mouvements de capitaux libérés, dans la mesure où l'on peut parler d'un droit subjectif communautaire des particuliers à effectuer les transactions qui s'y rapportent, les sanctions pénales prévues par les lois nationales pour le non-respect de certaines formalités ou modalités d'exercice de ce droit peuvent être appréciées selon les principes du système juridique communautaire.

    Sur le premier point, il suffira de rappeler que les mouvements de capitaux non libérés peuvent subir l'influence de règles communautaires uniquement en ce sens qu'ils sont explicitement exclus — à titre définitif ou provisoire — de la libération prévue par l'article 67; c'est le cas des importations et exportations des moyens de paiement, comprises comme nous l'avons vu, dans la liste D jointe en annexe à la directive du Conseil du 11 mai 1960. Mais indubitablement, il n'est pas possible de parler, dans des cas de ce genre, d'un quelconque droit subjectif communautaire des particuliers. Or, la jurisprudence de la Cour n'a apprécié le caractère adéquat des sanctions pénales prévues, pour certaines infractions, par des normes nationales (en appliquant en particulier le principe de proportionnalité) que lorsque ces normes étaient susceptibles de faire obstacle au respect de principes du traité qui sont à l'origine de droits subjectifs en faveur des particuliers. Rappelons, entre autres, les arrêts du 7 juillet 1976 dans l'affaire 118/75, Watson (Recueil 1976, p. 1185), du 15 décembre 1976 dans l'affaire 41/76, Donckerwolcke (Recueil 1976, p. 1921), du 14 juillet 1977 dans l'affaire 8/77, Sagulo (Recueil 1977, p. 1495), du 30 novembre 1977 dans l'affaire 52/77, Cayrol (Recueil 1977, p. 2261). Mais lorsque la condition indiquée n'est pas remplie, le problème du caractère adéquat des peines selon le droit communautaire ne se pose absolument pas.

    A propos du second point, nous observons que la légalité de mesures pénales nationales pour sanctionner l'inobservation de la réglementation en matière de change même dans le domaine des mouvements de capitaux libérés est indiscutable. L'article 5 de la directive citée du 11 mai 1960 le confirme en déclarant que «les dispositions de la présente directive ne limitent pas le droit des États membres de vérifier la nature et la réalité des transactions ou des transferts» ni «de prendre les mesures indispensables pour faire échec aux infractions à leurs lois et réglementations». Bien entendu, il appartient à chaque État membre de déterminer quelles infractions doivent être réprimées par des sanctions pénales. Nous croyons toutefois que le fait de prévoir des sanctions de ce genre contre celui qui effectue un transfert de devises sans autorisation n'est certainement pas contraire à la logique du traité et de la réglementation dérivée d'exécution, étant donné que l'un et l'autre admettent l'existence d'un système d'autorisations (générales ou particulières) pour l'accomplissement des opérations libérées, et reconnaissent ainsi la nécessité d'un mécanisme de contrôle qui d'ailleurs répond, lui aussi, aux finalités de l'article 104 cité du traité.

    11. 

    Les considérations développées à propos de la quatrième question suffisent aussi à fournir une réponse aux cinquième et septième questions qui, présupposent, l'une et l'autre, l'existence (que nous nions) d'un droit subjectif communautaire du non-résident de réexporter la devise précédemment importée. Précisément, par la cinquième question, le tribunal de Bolzano demande «si, en cas de réponse affirmative à la question précédente, le manquement éventuel aux formalités décrites ci-dessus est passible de peines de la même gravité que celles qui sont prévues pour l'exportation illégale de monnaie». La septième question vise à constater «si le principe selon lequel des situations différentes ne peuvent pas être traitées de la même manière (lui aussi compris dans l'interdiction de discrimination visée, entre autres, à l'article 7 du traité) permet que les mêmes peines infligées par un Etat membre pour l'exportation illicite de monnaie ou pour le manquement aux formalités prévues par la législation sur les changes soient indistinctement applicables, tant aux résidents qu'aux non-résidents de cet État».

    La comparaison, du point de vue pénal, entre l'inexécution des formalités prescrites pour la réexportation de devises et l'exportation illicite de devises ne peut avoir de sens, sur le plan du droit communautaire, que si l'on suppose que ce droit envisage le fait de la réexportation de devises; en d'autres termes, que celle-ci entre parmi les mouvements de devises «libérés». Nous avons vu que tel n'est pas le cas; et nous croyons superflu de revenir sur ce point.

    12. 

    Le problème soulevé par la huitième question est de savoir «si, à l'expiration de la période de transition, il y a lieu de considérer comme compatibles avec les articles 67, 71 et 106 (3) du traité, des dispositions nationales qui prescrivent des formalités déterminées aux fins de l'exercice du droit également reconnu de réexporter des capitaux précédemment importés, en érigeant l'accomplissement de ces formalités en preuve exclusive de l'importation précédente, ce qui aboutit en substance à sanctionner pénalement leur omission».

    Nous avons vu que le «droit de réexporter des capitaux précédemment importés) auquel le juge du fond se réfère dans le texte de cette question, est reconnu au niveau de l'ordre juridique étatique, (en l'espèce l'ordre juridique italien), mais qu'il n'est pas accordé par les règles communautaires. Les États membres sont donc libres de réglementer le phénomène de la réexportation des devises avec le pouvoir discrétionnaire le plus large sous tous les aspects, et par conséquent, en ce qui concerne également les formalités choisies et leur valeur du point de vue probatoire. Quant aux règles du traité, que le tribunal de Bolzano adopte comme mesures de la légalité des dispositions nationales en la matière, elles ne limitent pas du tout la liberté mentionnée des États membres: à ce sujet, nous renvoyons à l'interprétation des articles 67, 71 et 106, paragraphe 3, que nous avons eu l'occasion d'exposer au cours de ces conclusions.

    La défense de la Commission a cherché à soutenir la thèse de l'importance communautaire des régimes nationaux de la preuve en matière de mouvements de devises, même non libérés, en se référant aux directives d'exécution de l'article 67. La prémisse du raisonnement est que les personnes, même les non-résidents, qui accomplissent des transferts de capitaux libérés en vertu des directives de 1960 et de 1962, devraient se voir reconnaître le droit de prouver que les opérations effectuées entrent précisément dans la catégorie des mouvements libérés; autrement, le droit subjectif communautaire, d'effectuer des opérations libérées, se trouverait lui-même compromis. Or, étant donné que le transfert des moyens matériels de paiement peut, s'il est accompagné d'autres circonstances (par exemple par un contrat de prêt lié à une opération commerciale ou par un contrat d'achat et vente immobilière), entrer parmi les transferts libérés, la réglementation nationale qui rendrait excessivement difficile pour les intéressés de fournir aux autorités administratives et judiciaires la preuve qu'une certaine opération entre parmi les opérations libérées, ne serait pas conforme au droit communautaire. Par conséquent, même le régime de la preuve de l'importation de devises, aux fins de la licéité de leur réexportation intéresserait — indirectement — l'ordre juridique communautaire, et sa légalité pourrait donc être appréciée selon les principes communautaires de proportionnalité et de non-discrimination.

    L'argument est suggestif, mais il ne résiste pas à la critique. U faut considérer que les deux secteurs, respectivement des transferts libérés et non libérés, concernent des opérations qui ne sont pas homogènes; le degré de différenciation est même particulièrement élevé lorsque l'on compare les opérations libérées et le fait pur et simple du transfert de moyens de paiement. Nous voulons dire que tous les mouvements libérés indiqués dans les listes A et B (ainsi que, avec des limitations, dans la liste C) concernent des opérations qui se déroulent dans un cadre précis et avec l'intervention préalable de l'autorité publique qui les autorise, conformément aux articles 1 et 2 de la directive du 11 mai 1960. Nous ne voyons donc pas comment une personne qui a accompli une des opérations «libérées», peut se trouver, du point de vue de la preuve, dans la même situation que celle qui se limite à réexporter des devises importées peu de temps auparavant: tout rapprochement entre ces deux situations est, à notre avis, absolument arbitraire.

    Mais, même en laissant de côté cette considération, la thèse de la Commission demeure étrangère au cas d'espèce. Elle implique que l'intéressé affirme qu'il a accompli une des opérations libérées et demande d'en prouver les caractères, tandis que les questions posées par le juge de renvoi impliquent l'idée bien différente que la réexportation elle-même de devises entre dans la catégorie des mouvements libérés.

    13. 

    Occupons-nous enfin de la deuxième question, qui semble substantiellement autonome par rapport aux autres. Le juge national demande à la Cour «si l'omission, par le gouvernement italien, de la procédure de consultation prévue à l'article 73 du traité, en ce qui concerne le décret-loi no 31 du 4 mars 1976 transformé en loi no 159 du 30 avril 1976, constitue une violation de ce même traité». Ainsi formulée, la question se situe en dehors du cadre de la compétence préjudicielle de la Cour, puisqu'elle l'invite à se prononcer sur la légalité d'une règle nationale. Nous estimons, toutefois, qu'au-delà de l'expression utilisée par le juge du fond, il est possible d'apercevoir une demande d'interprétation de l'article 73, visant à établir si cet article du traité impose ou non aux États membres l'obligation de consulter la Commission, lorsque l'un d'eux adopte, en matière de transfert de devises, des mesures internes du même type que le décret-loi italien no 31 de 1976.

    L'article 73, que nous avons déjà eu l'occasion de mentionner précédemment, contient une clause de sauvegarde, pour le cas où «des mouvements de capitaux entraînent des perturbations dans le fonctionnement du marché des capitaux d'un État membre». Selon le paragraphe 1 de l'article, la Commission — après consultation du comité monétaire — a le pouvoir d'autoriser l'État en question à prendre «dans le domaine des mouvements de capitaux, les mesures de protection dont elle définit les conditions et les modalités». Le paragraphe 2 reconnaît à l'État membre qui se trouve en difficulté, le droit de prendre directement les mesures indiquées ci-dessus «en raison de leur caractère secret ou urgent, au cas où elles seraient nécessaires», en en informant toutefois immédiatement la Commission et les autres États membres.

    Il est probable que le juge du fond, parlant de l'obligation des États membres de consulter la Commission, a voulu se référer au cas prévu dans le paragraphe 2: en réalité, celui-ci impose une obligation d'information, tandis que le premier implique une demande d'autorisation. Quoi qu'il en soit, les mesures du type du décret-loi italien no 31 du 4 mars 1976 n'ont rien à faire avec les mesures de protection prévues par l'article 73 cité. Ce décret-loi est une mesure normale d'un État membre, adoptée pour la répression des infractions en matière de change et non pas une mesure visant à remédier, sur le marché des capitaux, à des perturbations provoquées par la libération communautaire. Il est à peine nécessaire d'ajouter que la prévention et la punition des actes illicites en matière de change entrent dans le cadre de compétence des États membres, indépendamment du fait que les actes se produisent dans le domaine des transferts libérés ou non (et sans préjudice de l'application éventuelle de limites de droit communautaire lorsqu'il s'agit de peines pour des infractions liées à des mouvements de capitaux libérés).

    14. 

    Pour toutes les considérations que nous avons développées jusqu'ici, nous suggérons à la Cour de répondre de la manière suivante aux questions formulées par le tribunal de Bolzano, par l'ordonnance rendue le 6 octobre 1980, dans le cadre de la procédure pénale engagée contre M. Guerrino Casati :

    Sur la question no 1. Aux termes de l'article 67, paragraphe 1, du traité CEE, les restrictions aux mouvements des capitaux appartenant à des personnes résidant dans les États membres ne devaient être supprimées avant la fin de la période de transition que dans la mesure nécessaire au bon fonctionnement du marché commun. Étant donné que cette condition implique une appréciation de caractère discrétionnaire de la part des institutions communautaires, cette règle ne peut pas être entendue comme étant susceptible d'avoir des effets directs. Il appartient au Conseil, sur proposition de la Commission, dans l'exercice de la compétence visée à l'article 69 du traité, d'arrêter, même après la fin de la période de transition, les directives nécessaires à la mise en œuvre de l'article 67.

    Sur la question no 2. L'article 73 du traité doit être interprété en ce sens qu'il ne s'applique pas à des mesures internes qui introduisent des contrôles normaux et des sanctions dans le domaine des mouvements de devises, mais seulement à des mesures de sauvegarde adoptées après la libération de mouvements déterminés de capitaux.

    Sur la question no 3. L'ordre juridique communautaire n'attribue pas aux non-résidents le droit de réexporter les devises précédemment importées et non utilisées.

    Sur les questions no 4, 5 et 7. Le pouvoir des États membres de frapper de sanctions, de nature pénale ou administrative, l'inobservation des règles nationales relatives aux transferts de devises, ne rencontre aucune limite dans l'ordre juridique communautaire, tant que ces transferts ne sont pas libérés en application de l'article 67 du traité CEE.

    Sur la question no 6. L'article 71 du traité CEE doit être interprété en ce sens qu'il n'impose pas aux États membres l'obligation de consolider le niveau de libération existant au moment de l'entrée en vigueur du traité pour les mouvements de capitaux visés au paragraphe 1 de l'article 67, mais se limite à recommander une ligne de conduite en ce sens. L'article 106, paragraphe 3, alinéa 1 du traité CEE n'est pas applicable aux transferts de devises consistant en l'importation ou la réexportation matérielle de devises que le voyageur emporte avec lui.

    Sur la question no 8. Des articles 67, 71 et 106 du traité CEE ne découle aucune limitation à la liberté des États membres de réglementer les formalités administratives inhérentes à la réexportation, par des non-résidents, de devises précédemment importées et d'attribuer éventuellement, à l'accomplissement de certaines formalités, la valeur de moyen exclusif de preuve de l'importation précédente.


    ( 1 ) Traduit de l'italien.

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