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Document 61979CC0157

    Conclusions de l'avocat général Warner présentées le 4 juin 1980.
    Regina contre Stanislaus Pieck.
    Demande de décision préjudicielle: Pontypridd Magistrates' Court (Wales) - Royaume-Uni.
    Droit de séjour de ressortissants communautaires.
    Affaire 157/79.

    Recueil de jurisprudence 1980 -02171

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1980:144

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. JEAN-PIERRE WARNER,

    PRÉSENTÉES LE 4 JUIN 1980 ( 1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    La présente affaire a été portée devant la Cour par une demande de décision à titre préjudiciel formée par un Stipendiary Magistrate siégeant à la Pontypridd Magistrates' Court au pays de Galles. Elle a pour origine les poursuites engagées devant ce tribunal contre un travailleur néerlandais, M. Stanilaus Pieck, du chef d'une infraction à la législation du Royaume-Uni sur l'immigration et elle soulève des questions concernant la comptabilité de cette législation avec le droit communautaire.

    Les dispositions pertinentes du droit communautaire sont, en premier lieu, celles du traité CEE sur la libre circulation des personnes, et en particulier des travailleurs, dont les termes sont si familiers que nous nous abstiendrons de les répéter, et en deuxième lieu, les dispositions du règlement (CEE) n° 1612/68 du Conseil«relatif à la libre circulation des travailleurs à l'intérieur de la Communauté», de la directive du Conseil 68/360/CEE«relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des travailleurs des États membres et de leur famille à l'intérieur de la Communauté», et de la directive du Conseil 64/221/CEE«pour la coordination des mesures spéciales aux étrangers en matière de déplacement et de séjour justifiées par des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique». L'effet combiné de ces instruments ne peut toutefois pas être apprécié dûment, à notre avis, sans prendre en considération aussi la directive du Conseil 73/148/CEE«relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortissants des États membres à l'intérieur de la Communauté en matière d'établissement et de prestation de services».

    Au sujet du règlement n° 1612/68, nous pourrons être bref. Ses termes aussi sont familiers. Il s'applique bien sûr non seulement aux travailleurs mais aussi à leurs familles. Il présente seulement une importance directe en l'espèce en ce que la directive 68/360 s'y réfère.

    La directive 68/360 est l'instrument dont l'interprétation fait principalement l'objet de cette affaire. Elle a remplacé une directive précédente du Conseil (64/240), qui avait remplacé elle-même une directive encore antérieure, datée du 16 août 1961 (JO n° 80 du 13. 12. 1961, p. 1513). Les dispositions de la directive 68/360 qui sont particulièrement en cause sont les suivantes:

    «Article 3

    1.   Les Etats membres admettent sur leur territoire les personnes visées à l'article 1», c'est-à-dire celles auxquelles s'applique le règlement n° 1612/68,«sur simple présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité.

    2.   Aucun visa d'entrée ni obligation équivalente ne peut être imposé, sauf aux membres de la famille qui ne possèdent pas la nationalité d'un des États membres. Les États membres accordent à ces personnes toutes facilités pour obtenir les visas qui leur seraient nécessaires.»

    Arrêtons-nous un instant pour observer que les termes anglais correspondant à la formule française «Aucun visa d'entrée ni obligation équivalente ne peut être imposé», diffèrent quelque peu de cette dernière et d'autres versions linguistiques du paragraphe 2 de l'article 3. Le texte anglais déclare en effet: «No entry visa or equivalent document may be demanded», ce qui signifie littéralement «Aucun visa d'entrée ni document équivalent ne peut être demandé». Les versions danoise, néerlandaise et italienne ont exactement le même sens que la version française. Le texte allemand est libellé comme suit: «Für die Einreise darf weder ein Sichtvermerk noch ein gleichartiger Nachweis verlangt werden». Cette formulation est plus proche de la version anglaise, mais «Nachweis» est un terme moins vague que «document». La formulation particulière du texte anglais a conduit l'avocat dans cette affaire à se concentrer indûment, à notre avis, sur la question du genre de document visé à l'article 3, paragraphe 2, plutôt que sur la question du genre d'obligation qui y est visée. Il est à noter que le texte anglais de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 73/148, qui est la disposition parallèle relative à la suppression des restrictions au déplacement et au séjour des ressortisants des États membres à l'intérieur de la Communauté en matière de liberté d'établissement et de libre prestation de services, utilise la phrase «No entry visa or equivalent requirement», c'est-à-dire l'expression «obligation équivalente».

    L'article 4 de la directive 68/360 prévoit:

    «1.   Les États membres reconnaissent le droit de séjour sur leur territoire aux personnes visées à l'article 1 qui sont en mesure de présenter les documents énumérés au paragraphe 3.

    2.   Le droit de séjour est constaté par la délivrance d'un document dénommé ‘carte de séjour de ressortissant d'un État membre de la CEE’. Ce document doit comporter la mention qu'il a été délivré en application du règlement (CEE) n° 1612/68 et des dispositions prises par les États membres en application de la présente directive. (...)

    3.   Pour la délivrance de la carte de séjour de ressortissant d'un État membre de la CEE, les États membres ne peuvent demander que la présentation des documents ci-après énumérés:

    au travailleur:

    a)

    le document sous le couvert duquel il a pénétré sur leur territoire;

    b)

    une déclaration d'engagement de l'employeur ou une attestation de travail;

    (...)»

    Arrêtons-nous de nouveau un instant, car ici aussi il y a une légère différence entre le texte anglais et la plupart des autres versions. Vous aurez remarqué, Messieurs, que le texte anglais de l'article 4, paragraphe 1, commence par les mots «Member States shall grant the right...». Dans un tel contexte, «grant» peut signifier soit «conférer» soit simplement «reconnaître». La même ambiguïté existe dans la version allemande, qui utilise le mot «gewähren». En revanche, elle n'existe pas dans les autres versions linguistiques, lesquelles montrent, à notre avis, que «reconnaître» est la signification correcte. A l'article 8 de la directive (dont nous parlerons plus tard), le texte anglais contient sans ambiguïté «recognize».

    L'article 6 dispose:

    «1.   La carte de séjour:

    a)

    (...)

    b)

    doit avoir une durée de validité de cinq ans au moins à dater de la délivrance et être automatiquemet renouvelable.

    2.   (...)

    3.   Lorsque le travailleur occupe un emploi pendant une durée supérieure à trois mois et inférieure à un an au service d'un employeur de l'État d'accueil ou pour le compte d'un prestataire de service, l'État membre d'accueil lui délivre un titre temporaire de séjour dont la durée de validité peut être limitée à la durée prévue de l'emploi.

    (...)»

    L'article 8 prévoit que «les États membres reconnaissent le droit de séjour sur leur territoire, sans qu'il soit délivré de carte de séjour», à trois types de travailleurs:

    a)

    «au travailleur qui exerce une activité salariée d'une durée prévue ne dépassant pas trois mois»; dans le cas d'une telle personne, «le document sous le couvert duquel [elle] a pénétré sur le territoire et une déclaration de l'employeur indiquant la période prévue de l'emploi couvrent son séjour»;

    b)

    «au travailleur qui, tout en ayant sa résidence sur le territoire d'un des États membres où il retourne en principe chaque jour et au moins une fois par semaine, est occupé sur le territoire d'un autre État membre»; l'autorité compétente de l'État où un tel travailleur est employé peut toutefois le doter «d'une carte spécifique valable pour cinq ans et renouvelable automatiquement» ;

    c)

    «au travailleur saisonnier, lorsqu'il est titulaire d'un contrat de travail visé par l'autorité compétente de l'État membre sur le territoire duquel il vient exercer son activité».

    L'article 10 déclare que les États membres ne peuvent déroger aux dispositions de la directive que pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

    Vous voyez donc, Messieurs, que l'article 3 de la directive 68/360 concerne le droit d'une personne, à laquelle le règlement n° 1612/68 s'applique, d'entrer sur le territoire d'un État membre, tandis que les articles suivants de la directive concernent son droit d'y séjourner. Ce dernier droit existe indépendamment de la possession par l'intéressé d'une carte de séjour, laquelle sert uniquement à «constater» le droit et n'est pas appropriée dans tous les cas, par exemple lorsque le séjour doit avoir une durée de moins de trois mois.

    Le gouvernement du Royaume-Uni s'est référé à une déclaration reproduite dans le procès-verbal de la réunion du Conseil au cours de laquelle la directive 68/360 a été examinée et qui dit en substance qu'un ressortissant d'un État membre à la recherche d'un emploi dans un autre État membre devrait disposer d'au moins trois mois pour y parvenir et que, s'il n'a pas trouvé d'emploi à l'expiration de cette période, son séjour peut être terminé. Cette déclaration n'apparaît pas avoir été publiée officiellement, même s'il en est question dans un certain nombre d'ouvrages publiés (voir par exemple Hartley, «EEC Immigration Law», aux p. 105 et 106). Dans l'affaire 48/75, Royer, Recueil 1976, p. 497, cette Cour a clairement exprimé l'opinion qu'une telle personne entrait dans la catégorie de celles à qui le traité confère le droit à la libre circulation (voir attendu 31 de l'arrêt).

    La directive 73/148 est la directive parallèle, comme nous l'avons dit, concernant la libre circulation des personnes à l'intérieur de la Communauté en matière de liberté d'établissement et de libre prestation de services. Elle a remplacé la directive du Conseil 64/220/CEE. Pour l'essentiel, elle s'applique aux «ressortissants d'un État membre qui sont établis ou veulent s'établir dans un autre État membre afin d'y exercer une activité non salariée ou veulent y effectuer une prestation de services», aux ressortissants d'un État membre «désireux de se rendre dans un autre État membre en qualité de destinataires d'une prestation de services», ainsi qu'aux membres de leur famille. Ses dispositions, en particulier l'article 3 qui concerne le droit d'entrée, et les articles 4 et suivants qui concernent le droit de séjour et les cartes de séjour, correspondent étroitement à celles de la directive 68/360. Vous vous rappellerez, Messieurs, que dans l'affaire 118/75,Watson et Beimann, Recueil 1976, p. 1185, aux p. 1202 à 1205, M. l'avocat général Trabucchi a discuté l'application des dispositions du traité sur la libre circulation des personnes aux «destinataires d'une prestation de sévices», et qu'il a exprimé un doute sur l'étendue de la catégorie des destinataires d'une prestation de services, en particulier en ce qui concerne le point de savoir si elle pouvait inclure les touristes. II a déclaré qu'une interprétation «large» de cette notion aboutirait pratiquement «à étendre le droit à la libre circulation à tous les ressortissants des Etats membres, étant donné que chaque personne est effectivement ou potentiellement destinataire de services». Nous ne nous étendrons pas à ce sujet, si ce n'est pour dire qu'il ne devrait pas être supposé que nous partageons les hésitations de M. l'avocat général Trabucchi.

    Nous en arrivons finalement à la directive 64/221, qui reste applicable, tant en relation avec la directive 68/360 qu'en rapport avec la directive 73/148, et en particulier avec la question des cartes de séjour prévues par chacune d'elles. L'article 5 de la directive 64/221 dispose:

    «1.   La décision concernant l'octroi ou le refus du premier titre de séjour doit être prise dans les plus brefs délais et au plus tard dans les six mois de la demande.

    L'intéressé est admis à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à la décision d'octroi ou de refus du titre de séjour.

    2.   (...)»

    Les articles 6 à 9 prévoient des garanties, par la voie d'un recours ou de moyens similaires, en faveur de la personne à qui un titre de séjour est refusé. Les motifs du refus peuvent seulement être des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

    Les décisions de cette Cour auxquelles nous avons été renvoyés, en particulier l'affaire Royer (déjà citée), l'affaire Watson et Belmann (déjà citée) et l'affaire 8/77, Sagulo, Brenca et Bakhouche, Recueil 1977, p. 1495, soulignent ou clarifient certains points:

    1.

    Les personnes qui ont le droit de circuler librement à l'intérieur de la Communauté, que ce soit en leur qualité de travailleurs ou de membres de leur famille ou en vertu des dispositions relatives à la liberté d'établissement ou à la libre prestation de services, tirent leurs droits — d'entrer sur le territoire d'un État membre autre que le leur et d'y séjourner — directement des dispositions pertinentes du traité, telles qu'elles ont été affinées par les actes du Conseil arrêtés pour leur mise en œuvre. En -conséquence, aucune mesure d'un État membre n'est nécessaire pour conférer ces droits à une telle personne, et aucun État membre ne peut restreindre ni entraver leur exercice par l'intéressé.

    2.

    Un titre de séjour du genre prévu par la directive 68/360«a seulement un effet déclaratoire». Il ne s'agit de rien de plus que de la preuve de la possession des droits en question par le titulaire, et un État membre a l'obligation de délivrer un tel titre à quiconque fournit la preuve documentaire appropriée qu'il possède ces droits.

    3.

    Il s'ensuit entre autres qu'un État membre doit reconnaître le droit de séjourner sur son territoire à un travailleur qui est en mesure de prouver la possession de ce droit par la production des deux documents spécifiés à l'article 4, paragraphe 3, de la directive 68/360, à savoir d'une carte d'identité ou d'un passeport et d'une déclaration d'engagement de son employeur ou d'une attestation de travail.

    4.

    Cela ne signifie pas qu'un État membre ne peut pas exiger du travailleur concerné qu'il satisfasse aux formalités prescrites par la législation de cet État en vue du contrôle des étrangers, pour autant que ces formalités soient raisonnables et ne limitent pas les droits d'entrée et de séjour qui sont conférés au travailleur par le traité. Un État membre peut exiger par exemple du travailleur qu'il s'inscrive auprès d'une autorité désignée de cet État ou qu'il lui signale sa présence; il peut aussi exiger de lui qu'il sollicite un titre de séjour du genre prévu par la directive lorsque celle-ci le rend approprié, mais il ne peut pas exiger de lui qu'il possède n'importe quel autre genre de titre de résidence prescrit par sa législation pour les étrangers en général (dont la délivrance peut être discrétionnaire). De même, un État membre n'est pas non plus empêché de prévoir des sanctions pour inobservation de ces formalités.

    5.

    Ces sanctions ne peuvent toutefois pas inclure l'expulsion, car celle-ci équivaut à une négation du droit conféré par le traité et elle peut seulement reposer sur des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. La simple méconnaissance de formalités relatives au contrôle des étrangers ne saurait constituer de telles raisons.

    6.

    D'autres sanctions, comme les amendes et l'emprisonnement, ne doivent pas être disproportionnées à ce point à la gravité de l'infraction qu'elles deviennent des obstacles à l'exercice, par ceux qui peuvent s'en prévaloir, des droits conférés par le traité. Lorsqu'un État membre n'a pas adapté sa législation aux exigences du droit communautaire sous ce rapport, il incombe aux tribunaux de cet État d'exercer leurs pouvoirs juridictionnels de manière à éviter tout conflit avec ces exigences.

    La législation et la pratique du Royaume-Uni, qui ont de l'importance en l'espèce, figurent dans l' Immigration Act (loi concernant l'immigration) de 1971 et dans les Immigration Rules (règles concernant l'immigration) arrêtées par le ministre. Ces dernières établissent la pratique à suivre dans l'application de la loi. Elles n'ont pas, strictement, force de loi, mais en vertu de la section 3 (2) de la loi, elles doivent être soumises au Parlement et peuvent être désapprouvées par une résolution d'une des deux chambres de ce dernier.

    Les sections 1 et 2 de la loi définissent entre elles une catégorie de personnes appelées «patriáis» qui ont «the right of abode», c'est-à-dire le droit de résider au Royaume-Uni et qui sont à ce titre «libres de vivre au Royaume-Uni, d'y pénétrer et de le quitter, sans entrave ni empêchement sauf les formalités éventuellement nécessaires... pour permettre la preuve de leur droit...». (Vous vous rappellerez que nous avons traité des complexités de cette législation dans nos conclusions sur l'affaire 257/78, Devred/Commission, non encore publiée).

    La section 3 (1) de la loi prévoit que, sous réserve de diverses exceptions qui n'ont pas d'importance ici:

    «Quiconque n'est pas ‘patrial’

    (a)

    n'entrera pas au Royaume-Uni à moins d'y avoir été autorisé conformément à la présente loi;

    (b)

    peut être autorisé à entrer au Royaume-Uni (ou, lorsqu'il s'y trouve déjà, à séjourner au Royaume-Uni) soit pour une période limitée soit pour une période indéterminée;

    (c)

    s'il obtient une autorisation limitée d'entrer ou de séjourner au Royaume-Uni, l'autorisation peut être subordonnée à des conditions restreignant son emploi ou son travail au Royaume-Uni, ou exigeant de lui qu'il s'inscrive auprès de la police, ou les deux.»

    La section 3 (3) dispose:

    «Dans le cas d'une autorisation limitée d'entrer ou de séjourner au Royaume-Uni

    (a)

    l'autorisation donnée à une personne peut être modifiée, soit en restreignant, élargissant ou supprimant la limitation de sa durée, ou en ajoutant, modifiant ou révoquant des conditions...»

    Les sous-sections (5) et (6) de la section 3 concernent l'expulsion. Elles vous sont familières puisque la Cour a dû les examiner dans l'affaire 30/77, Bouchereau, Recueil 1977, p. 1999, et elles avaient aussi une certaine importance dans l'affaire 131/79, Santillo (non encore publiée). Pour ce qui nous intéresse ici, ces sous-sections sont libellées comme suit:

    «(5)

    Quiconque n'est pas ‘patrial’ est passible d'expulsion du Royaume-Uni

    (a)

    si, disposant seulement d'une autorisation limitée d'entrer ou de séjourner, il n'observe pas une condition attachée à l'autorisation ou séjourne au-delà du temps imparti par cette autorisation, ou encore

    (...)

    (6)

    Sans préjudice de l'application de la sous-section (5) ci-dessus, quiconque n'est pas ‘patrial’ est également passible d'expulsion du Royaume-Uni (...) s'il est reconnu coupable d'une infraction pour laquelle il est punissable d'une peine d'emprisonnement et si, sur la base de sa condamnation, il fait l'objet d'une proposition d'expulsion présentée par un tribunal habilité à cet effet en vertu de la présente loi.»

    Le tribunal habilité par l'Immigration Act à proposer l'expulsion d'une personne est, vous vous en souviendrez, le tribunal compétent pour connaître de l'infraction. En vertu de la section 6 (2) de la loi, un tribunal ne peut pas proposer l'expulsion d'une personne à moins que celle-ci n'ait reçu notification par écrit, pas moins de sept jours à l'avance, de certains points spécifiés dans cette sous-section.

    La section 4 (1) de la loi dispose:

    «Le pouvoir, en vertu de la présente loi, d'accorder ou de refuser l'autorisation d'entrer au Royaume-Uni sera exercé par les fonctionnaires du service d'immigration, et le pouvoir d'accorder l'autorisation de séjourner au Royaume-Uni, ou de modifier toute autorisation en vertu de la section 3 (3) (a) (tant en ce qui concerne la durée que les conditions), sera exercé par le ministre, et (...) ces pouvoirs seront exercés par la remise d'un avis écrit à la personne concernée (...).»

    La section 24 (1) stipule:

    «Quiconque n'est pas ‘patrial’ sera coupable d'une infraction punissable, au ternie d'une procédure sommaire, d'une amende de 200 £ au plus, ou d'une peine d'emprisonnement de six mois au plus, ou des deux, dans l'un quelconque des cas suivants:

    (a)

    si, contrairement à la présente loi, il entre sciemment au Royaume-Uni en violation d'un ordre d'expulsion ou sans autorisation;

    (b)

    si, étant seulement autorisé à entrer au Royaume-Uni ou à y séjourner pour une période limitée,

    (i)

    il reste sciemment au-delà du délai autorisé;

    (ii)

    il n'observe pas une condition de l'autorisation;

    (...).»

    L'annexe 2 à l'Immigration Act, qui est intitulée «Dispositions administratives concernant le contrôle à l'entrée, etc.», prévoit entre autres, au paragraphe 2 (1):

    «Un fonctionnaire du service d'immigration peut contrôler toutes personnes qui sont arrivées au Royaume-Uni par la voie maritime ou aérienne (...) en vue de déterminer

    (a)

    si l'une d'elles est ou n'est pas ‘patrial’;

    (b)

    si elle n'a pas cette qualité, si elle peut ou ne peut pas entrer au Royaume-Uni sans autorisation;

    (c)

    si elle ne le peut pas, s'il y a lieu de l'y autoriser, et pour quelle période et à quelles conditions (s'il échet), ou s'il y a lieu de lui refuser cette autorisation.»

    Deux groupes de règles arrêtées par le ministre et soumises au Parlement en vertu de la section 3 (2) de la loi sont en cause ici. Il s'agit des Immigration Rules for Control on Entry, EEC and other Non-Commonwealth Nationals et des Immigration Rules for Control after Entry, EEC and other Non-Commonwealth Nationals (règles relatives, respectivement, au contrôle à l'entrée et après l'entrée, des ressortissants de la CEE et des autres pays non membres du Commonwealth). Chacun de ces deux textes a été soumis au Parlement le 25 janvier 1973. Tous deux ont occasionnellement été amendés par la suite, mais pas d'une manière qui affecterait la présente affaire.

    Les règles sur le «contrôle à l'entrée» (qui ne s'appliquent pas aux citoyens de l'Irlande, lesquels bénéficient d'un traitement plus favorable) prévoient qu'une personne doit présenter à l'arrivée au Royaume-Uni, sur la demande d'un fonctionnaire du service d'immigration, «un passeport national valide ou un autre document établissant de manière satisfaisante son identité et sa nationalité» et que les ressortissants des autres États membres de la Communauté «peuvent utiliser des cartes d'identité nationales valides au lieu de passeports» (voir la règle 3 et la note en bas de page qui s'y rapporte). Les règles prévoient aussi que les ressortissants de certains pays, qui sont énumérés à une annexe et qui ne comprennent aucun État membre de la Communauté, doivent présenter au fonctionnaire du service d'immigration «un passeport ou un autre document d'identité accompagné d'un visa du Royaume-Uni» et que «l'autorisation d'entrer leur sera refusée s'ils ne possèdent pas un visa en cours de validité» (voir la règle 8). La partie V des règles contient des dispositions spéciales sur l'admission des ressortissants des autres États membres de la Communauté. Ces dispositions prévalent, lorsqu'elles s'appliquent, sur tout autre disposition pertinente des règles (voir la règle 49). Elles comprennent entre autres les règles 51 et 52, qui sont libellées comme suit:

    «51.

    Lorsqu'un ressortissant d'un pays de la CEE est autorisé à entrer, aucune condition ne doit être imposée qui restreindrait son emploi ou son travail au Royaume-Uni. L'autorisation sera normalement accordée pour une période de six mois, sauf s'il s'agit du retour d'un résident de six mois, sauf s'il s'agit du retour d'un résident ou du titulaire d'un titre de séjour valide.

    52.

    Tout ressortissant d'un pays de la CEE qui souhaite entrer au Royaume-Uni afin d'y occuper ou d'y chercher un emploi, s'y établir en affaires ou travailler comme indépendant, doit être admis sans être tenu d'obtenir un permis de travail ou une autre autorisation préalable.»

    Les règles sur le «contrôle après l'entrée» se divisent en deux parties: la «partie A» qui s'intitule «Modification de l'autorisation d'entrer ou de séjourner», et la «partie B» qui s'intitule «Explusion». Il n'est pas nécessaire de vous parler d'une quelconque des dispositions de la partie B. La partie A contient deux sections: la section I qui s'applique d'une manière générale aux ressortissants des pays non membres du Commonwealth, et la section II qui s'applique spécifiquement aux ressortissants des pays de la CEE (de nouveau autres que les Irlandais). Les règles de la section II prévalent, lorsqu'elles s'appliquent, sur celles de la section I. Parmi les règles de la section II, la règle 34 est particulièrement en cause. Elle se lit comme suit:

    «Lorsqu'une personne admise pour une période de six mois prend un emploi, il lui sera délivré un titre de séjour. Le titre de séjour aura une durée limitée à celle de l'emploi s'il est prévu que celui-ci durera moins de douze mois. Sinon, le titre sera délivré pour cinq ans. Mais un permis ne sera normalement pas délivré si la personne n'a pas trouvé d'emploi à la fin de la période de six mois pour laquelle elle a été admise, ni si durant cette période elle a dû être entretenue à la charge de fonds publics.»

    L'effet de ces dispositions apparaît être, pour ce qui a de l'importance ici, que tout ressortissant d'un État membre (autre que l'Irlande), qui cherche à entrer au Royaume-Uni, doit présenter soit son passeport soit sa carte d'identité et être autorisé à entrer par le fonctionnaire du service d'immigration. A moins qu'il ne s'agisse du retour d'un résident ou du titulaire d'un titre de séjour valide, l'intéressé sera normalement autorisé à entrer pour une période de six mois, quel que soit le but de son voyage au Royaume-Uni. Cette autorisation doit lui être donnée «par un avis écrit». Par la suite, il peut solliciter du ministre une modification de son autorisation, par une prorogation ou une suppression de la limite fixée à sa durée. S'il prend un emploi, la demande de modification de l'autorisation débouchera sur la délivrance à la personne en question d'un titre de séjour valide pour cinq ans, ou valide pour la durée de l'emploi s'il est prévu que celui-ci durera moins de douze mois.

    Il nous a été expliqué au nom du Royaume-Uni que l'objectif du système était d'éviter tout retard au port ou à l'aéroport à l'entrée. Il éviterait que le fonctionnaire du service d'immigration doive vérifier pour chaque ressortissant d'un État membre, lors de son arrivée, si le but de son déplacement au Royaume-Uni est ou n'est pas un de ceux qui lui donnent le droit d'y entrer en vertu du traité. Il signifierait qu'il existe une période de six mois durant laquelle l'intéressé peut décider s'il souhaite demeurer plus longtemps et, le cas échéant, solliciter un titre de séjour. Nous confessons que ce système nous semble être judicieux, particulièrement pour un pays qui ne connaît pas de registres de la population, qui ne délivre pas de cartes d'identité, et qui exige des étrangers qu'ils s'inscrivent auprès de la police seulement dans certains cas. Cela n'équivaut toutefois pas à dire que le système, tel qu'il a été appliqué dans la présente affaire, est en accord avec le droit communautaire.

    Les faits de l'espèce sont exposés dans une annexe à l'ordonnance de renvoi et ils ne sont pas contestés. M. Pieck est un ressortissant néerlandais, titulaire d'un passeport néerlandais. Il n'est pas «partrial». Il apparaît de son passeport qu'il est entré pour la première fois au Royaume-Uni le 3 août 1973 et qu'il a ensuite quitté puis regagné ce pays à plusieurs reprises. Le 12 avril 1976, son passeport a été renouvelé au consultat des Pays-Bas à Londres, et M. Pieck a alors indiqué comme lieu de résidence «Cardiff (GB)». Il est de nouveau entré au Royaume-Uni le 3 décembre 1977, a quitté celui-ci le 22 juillet 1978 et y est retourné une semaine plus tard, soit le 29 juillet 1978. Chaque fois qu'il est entré au Royaume-Uni, y compris le 29 juillet 1978, le fonctionnaire du service d'immigration a fait figurer sur son passeport la date et le lieu d'entrée au Royaume-Uni, ainsi qu'un cachet comportant les mots «Autorisé à entrer au Royaume-Uni pour une période de six mois». Depuis son entrée au Royaume-Uni le 3 décembre 1977, M. Pieck a toujours été, et est toujours, employé comme imprimeur typographe dans une entreprise qui s'appelle «Graphie Prints» à Taffs Well, près de Cardiff. L'autorisation d'entrer au Royaume-Uni, qui lui a été accordée le 29 juillet 1978, est venue à expiration le 29 janvier 1979. En mars 1979, M. Pieck s'est rendu de sa propre initiative à un commissariat de la police de South Wales, où il a expliqué qu'il avait dépassé la date limite fixée pour son séjour et demandé ce qu'il devait faire. Il lui a été conseillé d'envoyer son passeport au ministère de l'intérieur en même temps qu'une demande en vue d'obtenir un nouveau permis de séjour, mais l'intéressé n' a rien fait. Le 3 mai 1979, lorsqu'un officier de police l'a invité à présenter son passeport, M. Pieck a répondu : «j'étais sur le point de l'envoyer mais j'ai oublié». Il a alors été mis en accusation du chef d'une infraction à la section 24 (1) (b) (i) de l' Immigration Act de 1971 et il a reçu un avis déclarant qu'il était «susceptible de faire l'objet d'un arrêté d'explusion» conformément à la section 6 (2) de cette loi. La charge retenue contre lui est la suivante:

    «du fait que, n'étant pas ‘patrial’ et étant seulement autorisé à séjourner au Royaume-Uni pour un certain temps, vous êtes sciemment resté dans ce pays au-delà du 29 janvier 1979, date à laquelle est venue à expiration l'autorisation de séjour».

    Le 12 juillet 1979, M. Pieck a comparu devant le Stipendiary Magistrate et il a plaidé non coupable. Son avocat a fait valoir (a) que le cachet apposé sur le passeport de M. Pieck en relation avec son entrée au Royaume-Uni le 29 juillet 1978 équivalait à un «visa d'entrée ou obligation équivalente» contrairement aux dispositions de la directive 68/360, (b) qu'en vertu de l'article 48, paragraphe 3, b), et de l'article 48, paragraphe 3, c), du traité, M. Pieck avait le droit de se déplacer librement et de séjourner au Royaume-Uni afin d'y exercer un emploi, et que la prétendue autorisation d'entrer au Royaume-Uni pour une période limitée à six mois à partir du 29 juillet 1978 constituait une dérogation à ces droits et était de plus incompatible avec l'article 7 du traité, (c) que l'autorisation initiale d'entrer au Royaume-Uni pour une période de six mois était incompatible avec les dispositions de la directive 68/360, et (d) qu'à supposer même qu'une autorisation initiale de séjourner pendant six mois ait pu être imposée lors de l'entrée au Royaume-Uni, la violation de cette obligation ne pouvait pas être punie d'une peine d'expulsion ou d'emprisonnement.

    Des arguments en sens contraire ont été présentés au nom de la Couronne.

    En conséquence, le magistrat saisi de l'affaire a déféré à cette Cour trois questions qui, légèrement abrégées, se lisent comme suit:

    «1.

    Quel est le sens des termes ‘visa d'entrée ou obligation équivalente’ contenus à l'article 3, paragraphe 2, de la directive du Conseil 68/360?

    2.

    Lors de l'entrée d'un ressortissant communautaire dans un État membre, l'octroi par cet État membre d'une première autorisation de séjour pour une période limitée à six mois est-il compatible avec les droits que confèrent à ce ressortissant les articles 7 et 48 du traité CEE ainsi que les dispositions des directives 64/221 et 68/360?

    3.

    Dans l'hypothèse d'une réponse affirmative à la question 2,

    lorsqu'un tel ressortissant a été autorisé à séjourner dans un État membre pour une durée de six mois et lorsque ce ressortissant, étant employé en tant que salarié mais n'ayant pas fait la demande en vue d'obtenir un titre de séjour, reste au-delà du délai prévu dans l'autorisation de séjour, une telle violation de la loi peut-elle être punie dans l'État membre en question par des peines incluant l'emprisonnement et/ou une proposition d'expulsion?»

    L'argumentation qui a été développée devant nous à propos de la première question a été empreinte par le fait, comme nous l'avons déjà signalé, que le texte anglais de l'article 3, paragraphe 2, de la directive 68/360 parle d'un «document... demandé» plutôt que d'une obligation imposée. Cela a conduit le représentant du gouvernement du Royaume-Uni à souligner que les ressortissants de pays de la CEE n'étaient pas appelés à «présenter», lors de leur arrivée dans les ports ou aéroports du Royaume-Uni, autre chose que leur carte d'identité ou leur passeport. Ce fait a aussi conduit à une discussion savante sur l'étymologie du mot «visa» et sur la signification de ce terme dans l'usage consulaire et dans des accords internationaux de suppression des visas. En se basant sur la signification du mot «visa» dans ces contextes, le gouvernement du Royaume-Uni a soutenu que l'expression «visa d'entrée ou obligation équivalente» (voir «entry visa or equivalent document») figurant à l'article 3, paragraphe 2, visait «un permis ou une autorisation que tout intéressé est tenu d'obtenir du ou des représentants à l'étranger de l'État membre où il compte se rendre, avant l'arrivée dans celui-ci, au moment et au lieu envisagés».

    Selon nous, cette interprétation de l'expression litigieuse est trop étroite. L'article 3 de la directive doit être interprété, à notre avis, comme un tout et en tenant compte dûment du but de la directive, qui est la suppression des restrictions à la libre circulation des travailleurs et de leur famille à l'intérieur de la Communauté. Il nous apparaît, si l'on se reporte aux termes de l'article 3, paragraphe 2, que cette disposition a voulu faire trois choses:

    i)

    souligner et renforcer les termes de l'article 3, paragraphe 1, qui exige d'un État membre qu'il permette à une personne à qui la directive s'applique d'entrer sur son territoire «sur simple présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité»:

    ii)

    prévoir une exception à cette exigence pour les membres de la famille d'un travailleur qui ne possèdent pas la nationalité d'un État membre; et

    iii)

    exiger d'un État membre qu'il accorde à de tels membres de la famille d'un travailleur «toutes facilités» pour obtenir les visas qui leur seraient nécessaires.

    C'est pourquoi il serait incompatible, à notre avis, aussi bien avec le but qu'avec les termes de l'article 3, d'interpréter celui-ci comme permettant à un État membre d'imposer à un travailleur une exigence additionnelle à la présentation de la carte d'identité ou du passeport, pouvu que cette exigence soit satisfaite au point d'entrée sur son territoire, et non pas antérieurement par une demande adressée à ses représentants à l'étranger.

    D'un autre côté, l'article 3 ne signifie manifestement pas qu'après la présentation de la carte d'identité ou du passeport d'un travailleur au fonctionnaire du service d'immigration ou à un autre fonctionnaire responsable d'un État membre, ce fonctionnaire doit nécessairement rester muet et passif. Au moins un sourire, un signe de la tête, ou un geste de la main, doit être permis. Si la situation est telle, nous ne voyons aucune objection possible à ce qu'un cachet soit apposé sur le passeport de l'intéressé, ni à ce qu'il lui soit délivré un document séparé, reconnaissant son droit d'entrer sur le territoire de l'État membre concerné. Ainsi donc, à notre avis, si dans la présente affaire le cachet apposé sur le passeport de M. Pieck avait simplement comporté la mention «Autorisé à entrer au Royaume-Uni» et si, du point de vue de la législation du Royaume-Uni, ce cachet n'avait signifié rien de plus que la reconnaissance du droit de l'intéressé d'entrer au Royaume-Uni, aucune objection n'aurait pu être formulée à son égard.

    Dans cette analyse, l'affaire actuelle présente deux difficultés.

    La première, et la plus évidente, est qu'en fait le cachet apposé sur le passeport de M. Pieck comportait en outre les termes «pour une période de six mois». Nous vous proposons de laisser cet aspect de côté pour l'instant.

    La seconde difficulté provient du fait qu'il semble dériver des dispositions de l'Immigration Act de 1971 et des Immigration Rules for Control on Entry que, du point de vue de la législation du Royaume-Uni, l'octroi de l'autorisation d'entrer peut ne pas être une simple reconnaissance d'un droit, mais peut être discrétionnaire. Ce n'est évidemment pas à cette Cour, mais aux tribunaux du Royaume-Uni, qu'il appartient de déterminer si tel est bien le cas. En ce qui concerne le droit communautaire applicable, lequel intéresse cette Cour, il a été soutenu au nom du gouvernement du Royaume-Uni qu'un État membre devait avoir un tel pouvoir discrétionnaire parce que la libre circulation des personnes est sujette, en vertu de ce droit, à des limitations. Elle est bien sûr sujette à des limitations, d'une part, en ce qu'elle ne s'étend pas aux ressortissants d'un État membre qui souhaitent se rendre dans un autre État membre dans un but qui n'est pas envisagé par le traité et, d'autre part, en ce qu'elle peut être refusée à une personne particulière pour des raisons d'ordre public, de santé publique ou de sécurité publique. A première vue, cela signifie qu'un État membre peut refuser l'entrée à une personne à laquelle une de ces limitations s'applique.

    En découle-t-il qu'un État membre a le droit (ou peut-être même l'obligation), lorsqu'un ressortissant d'un autre État membre cherche à entrer sur son territoire, d'examiner son cas pour voir s'il a ou non le droit d'entrer, c'est-à-dire, en d'autres termes, pour faire précisément ce que le système du Royaume-Uni, tel qu'il nous a été expliqué, est destiné à éviter? A cet égard, l'article 3 de la directive semble contenir en lui-même une contradiction. Il s'applique seulement aux personnes auxquelles s'applique le règlement n° 1612/68, mais il exige des États membres qu'ils permettent à ces personnes d'entrer sur leur territoire sur simple présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité. Or, ce document n'est vraisemblablement pas susceptible en soi de montrer si son titulaire est une personne à qui le règlement s'applique. Il existe deux voies possibles d'échapper à ce dilemme. L'une d'elles consiste à estimer que l'article 3 implique que, pour pouvoir entrer, la personne concernée doit, outre le fait de produire sa carte d'identité ou son passeport, faire la preuve qu'elle est une personne à laquelle le règlement s'applique. L'autre consiste à estimer que les auteurs de la directive ont entendu que, sous réserve d'une dérogation possible pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, les États membres accordent à leurs ressortissants respectifs l'autorisation d'entrer sur leur territoire simplement sur la base de la preuve de leur nationalité, et que toute question concernant leur droit de s'y trouver en vertu du traité soit examinée après l'entrée. A notre avis, la dernière solution doit être préférée, et cela pour deux motifs. Premièrement, elle s'accorde mieux que la première avec les termes de la directive. C'est en vertu des articles 4 et 8, qui concernent le droit de séjour, que la preuve doit être fournie par une personne concernée qu'elle est une de celles auxquelles le règlement s'applique. Le fait qu'il s'agit de quelque chose que l'intéressé doit faire après l'entrée, et non pas au moment de l'entrée, est démontré, par exemple, par l'utilisation du passé composé dans l'expression «le document sous le couvert duquel il a pénétré sur leur territoire», figurant aux articles 4, paragraphe 3, et 8, paragraphe 1, a). Deuxièmement, elle correspond au bon sens, comme la pratique du Royaume-Uni le démontre effectivement. Les auteurs de la directive doivent avoir eu conscience du fait que celle-ci et les directives suivantes, concernant la libre circulation des personnes en matière de liberté d'établissement et de libre prestation de services, couvriraient ensemble un grand nombre sinon la plupart des ressortissants des États membres voyageant vers d'autres États membres. Ils ne peuvent pas avoir entendu que tous soient retardés aux frontières intérieures de la Communauté en attendant que les brebis soient séparées des chèvres. Il ne nous semble pas non plus que le Conseil ait dépassé les pouvoirs qui lui sont conférés aux articles 49, 54 et 63 du traité, en légiférant de manière à éviter ce résultat.

    Ainsi donc, à notre avis, la réponse à la première question posée par le juge de renvoi est que, dans la mesure où l'article 3, paragraphe 2, de la directive 68/360 prévoit qu'«aucun visa d'entrée ni obligation équivalente ne peut être imposé», cette disposition signifie qu'un État membre ne peut pas imposer à un ressortissant d'un autre État membre, comme condition d'accès à son territoire, une quelconque obligation autre que la présentation d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité.

    Quant au fait que le cachet apposé sur le passeport de M. Pieck comprenait en outre la mention «pour une période de six mois», il nous semble qu'il ne saurait avoir de l'importance pour aucune question relative à l'article 3, lequel concerne uniquement l'entrée. Cette mention affectait le droit de M. Pieck de séjourner au Royaume-Uni après son entrée, ce qui fait l'objet de la deuxième question posée par le juge a quo.

    En ce qui concerne cette question, nous pensons avoir dit assez au sujet des dispositions du traité et des textes normatifs du Conseil, de même que dans notre résumé de l'effet des décisions de cette Cour les interprétant, pour montrer qu'un État membre ne peut pas, sauf pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, limiter le droit d'un travailleur, qui est un ressortissant d'un autre État membre, de séjourner sur son territoire, mais qu'il peut exiger de lui qu'il établisse, conformément aux articles 4 et suivants de la directive 68/360 et des articles 5 et suivants de la directive 64/221, son droit d'y séjourner.

    On nous a dit du gouvernement du Royaume-Uni que le seul effet d'un cachet comme celui qui a été apposé sur le passeport de M. Pieck était d'indiquer à celui qui entre qu'il a été autorisé dûment à entrer et qu'il dispose d'une période de six mois pour obtenir un permis de séjour, auquel il aura un droit absolu sous réserve de considérations tenant à l'ordre public, à la sécurité publique et à la santé publique. Le cachet ne restreint nullement, a-t-on ajouté, les droits de celui qui entre; il accorde à l'intéressé une période de six mois pour décider si, en raison de son souhait de demeurer, il cherchera à obtenir un permis de séjour. C'est bien sûr aux tribunaux du Royaume-Uni, et non pas à cette Cour, qu'il appartient de dire si cette interprétation du cachet est correcte. Quant à nous, nous nous bornerons à observer que la charge retenue contre M. Pieck est la suivante: «du fait que n'étant pas ‘patrial’ et étant seulement autorisé à séjourner au Royaume-Uni pour un certain temps, vous êtes sciemment resté dans ce pays au-delà... [de] la date à laquelle est venue à expiration l'autorisation de séjour». La charge n'est pas que, bien qu'ayant l'obligation de solliciter un titre de séjour, il a omis de le faire.

    A ce propos, on nous a remis à l'audience des copies d'une formule imprimée (HO Form IS. 120) dont on nous a dit qu'elle était distribuée, depuis le 1er janvier 1980, aux ressortissants des autres États membres lors de leur entrée au Royaume-Uni, en lieu et place de l'apposition d'un cachet sur leur passeport. Aucune question n'est posée dans cette affaire concernant la compatibilité des termes de ce formulaire avec le droit communautaire. Après quelques hésitations nous sommes arrivé à la conclusion qu'il valait mieux que nous ne disions rien à son sujet.

    Ainsi, nous en arrivons finalement à la troisième question posée par le juge de renvoi.

    De nouveau la réponse figure dans les arrêts de la Cour dont nous avons résumé l'effet. Elle pourrait éventuellement être pertinente, nous semble-t-il, si la charge retenue contre M. Pieck devait être interprétée, comme le gouvernement du Royaume-Uni l'a suggéré, en ce sens que l'intéressé avait omis de solliciter un titre de séjour lorsqu'il devait le faire. Pour ce motif, il ne pouvait manifestement pas être expulsé. Cela est constant. Quant à savoir s'il pouvait être emprisonné, la réponse dépendra du jugement du tribunal évaluant la gravite de l'infraction. Le représentant du gouvernement du Royaume-Uni a soutenu qu'une telle infraction était passible d'une peine d'emprisonnement dans des circonstances exceptionnelles, par exemple lorsqu'elle est continue et représente un refus délibéré de se conformer à la loi. Nous ne voyons aucune raison de nous écarter de cela.

    On nous a dit du côté du gouvernement du Royaume-Uni que lorsque M. Pieck a comparu devant le juge de renvoi le 12 juillet 1979, il a aussi été accusé d'avoir volé le sac à main d'une dame, infraction pour laquelle il a plaidé coupable et en raison de laquelle il a été placé sous probation et condamné au paiement de dommages-intérêts d'un montant de 1,50 £ et aux dépens s'élevant à 15 £. Le gouvernement du Royaume-Uni a suggéré, de la manière dont nous l'avons compris, que la condamnation de l'intéressé pour cette infraction pouvait dûment être prise en considération par le juge de renvoi pour apprécier s'il y a lieu de le condamner à une peine d'emprisonnement pour l'infraction commise à l'Immigration Act. Personnellement, nous ne le pensons pas, mais comme le juge de renvoi n'a pas posé de question à cette Cour à ce sujet, nous n'en dirons pas davantage.

    En conclusion, nous sommes d'avis qu'en réponse aux questions déférées à la Cour par le juge de renvoi, vous devriez statuer comme suit:

    1)

    Dans la mesure où l'article 3, paragraphe 2, de la directive 68/360 prévoit qu'«aucun visa d'entrée ni obligation équivalente ne peut être imposé», cette disposition signifie qu'un État membre ne peut pas imposer à un ressortissant d'un autre État membre, comme condition d'accès à son territoire, une quelconque obligation autre que la présentation d'un carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité.

    2)

    Un État membre ne peut pas, si ce n'est pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, limiter le séjour sur son territoire d'un ressortissant d'un autre État membre à une période plus brève que celle durant laquelle ce ressortissant a le droit d'y séjourner en vertu de l'article 48 du traité CEE et des dispositions de la directive 68/360, mais dans un cas où les dispositions de cette directive rendent la délivrance d'un titre de séjour appropriée, il peut exiger de l'intéressé qu'il sollicite un tel titre dans un délai de six mois à partir de son entrée sur son territoire ou dans tout autre délai raisonnable.

    3)

    Lorsqu'un État membre a imposé de manière valide à un ressortissant d'un autre État membre une obligation de solliciter un titre de séjour, le défaut de ce ressortissant de satisfaire à cette obligation ne peut pas être sanctionné par une peine d'emprisonnement lorsque les circonstances de l'infraction font de celle-ci un délit exceptionnellement grave.


    ( 1 ) Traduit de l'anglais.

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