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Document 61979CC0056

    Conclusions de l'avocat général Capotorti présentées le 11 décembre 1979.
    Siegfried Zelger contre Sebastiano Salinitri.
    Demande de décision préjudicielle: Bundesgerichtshof - Allemagne.
    Affaire 56/79.

    Recueil de jurisprudence 1980 -00089

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1979:285

    CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

    M. FRANCESCO CAPOTORTI

    PRÉSENTÉES LE 11 DÉCEMBRE 1979 ( 1 )

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    1. 

    La Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale prévoit, comme vous le savez, qu'en matière contractuelle le tribunal du lieu «où l'obligation a été ou doit être exécutée» (article 5, paragraphe 1) peut également être reconnu compétent. Ce lieu n'est pas toujours déterminé uniquement sur la base de dispositions légales; les parties contractantes peuvent convenir de le désigner, obtenant ainsi le résultat indirect de faire naître une «compétence spéciale» à la lumière de la convention de Bruxelles.

    D'autre part, la compétence exclusive d'un tribunal ou de tribunaux d'un État contractant peut être directement attribuée par les parties, par la convention spéciale de prorogation, que l'article 17 de la Convention subordonne à certaines conditions de forme et de fond. Le problème soulevé par la question préjudicielle d'interprétation qui vous a été déférée par le Bundesgerichtshof allemand et qui est à l'origine de la présente affaire, est celui de la comparaison entre la clause contractuelle de désignation du lieu d'exécution et la convention de prorogation de compétence, aux fins de vérifier si les conditions restrictives applicables à cette dernière doivent ou non être considérées comme applicables à la clause du type précité.

    En l'espèce, il s'est produit qu'un ressortissant allemand (M. Zeiger), demeurant à Munich, en Bavière, soutenant avoir prêté une somme en argent à un ressortissant italien (M. Salinitri), demeurant en Sicile et affirmant être encore créditeur d'une partie de cette somme, a attrait le prétendu débiteur devant le Landgericht de Munich. Selon le demandeur cette juridiction aurait été compétente, parce qu'à l'époque, les parties seraient verbalement convenues que le remboursement de la somme prêtée s'effectuerait à Munich. Le défendeur a contesté tant son obligation que la convention concernant le lieu d'exécution.

    Le Landgericht de Munich, par jugement du 18 avril 1977, a déclaré qu'il ne possédait pas de compétence internationale puisqu'il a nié qu'un accord verbal sur le lieu d'exécution puisse se répercuter sur la compétence juridictionnelle au sens de l'article 5, paragraphe 1, de la Convention, en écartant les dispositions de l'article 17 qui admettent la prorogation de compétence uniquement sur la base d'une convention écrite ou d'une convention verbale confirmée par écrit. Pour se déclarer incompétent, le juge allemand s'est fondé sur la disposition du droit allemand aux termes de laquelle le lieu d'exécution de l'obligation contractuelle coïncide, sauf convention contraire, avec le domicile du débiteur (paragraphe 269 du Bürgergesetzbuch).

    Le jugement de première instance a été confirmé en appel par l'Oberlandesgericht de Munich par arrêt du 9 novembre 1977. Cette juridiction a estimé que la disposition de l'article 17 de la Convention de Bruxelles s'applique, faute d'une exception légale spécifique, à toutes les conventions attributives de juridiction, et que les conventions sur le lieu d'exécution ne peuvent donc pas produire d'effet sur la compétence juridictionnelle si elles ne respectent pas les conditions de forme prescrites par l'article 17.

    Saisi d'un pourvoi en révision, le Bundesgerichtshof a, par ordonnance du 15 mars 1979, soumis à la Cour de justice la question préjudicielle suivante:

    «Une convention consensuelle conclue entre des commerçants à part entière, portant sur le lieu d'exécution de l'obligation litigieuse, et dont la validité est reconnue par le droit national — en l'espèce le droit allemand — suffit-elle à attribuer une compétence au sens de l'article 5, point 1, de la convention, ou bien l'effet d'une telle convention attributive de juridiction est-il subordonné au respect de la forme prescrite par l'article 17 de la Convention?»

    2. 

    Nous notons d'abord que la question doit être examinée en partant de l'hypothèse que deux parties contractantes ont conclu une convention verbale sur le lieu d'exécution de l'obligation qui constitue par la suite l'objet du litige; il est sans intérêt de savoir si l'hypothèse correspond ou non, dans le cas d'espèce, à la réalité. A ce qu'il semble, le demandeur au principal a soutenu avoir également conclu, à l'époque, une convention verbale de prorogation de compétence, mais cela reste en dehors du cadre de notre analyse.

    Du point de vue des juges allemands du premier et du deuxième degré, les clauses attributives de juridiction et celles relatives au lieu d'exécution devraient être soumises au même régime formel du fait de l'incidence que les secondes sont amenées à avoir sur le problème de la compétence. Mais il s'agit en réalité de deux types de clauses fondamentalement différentes: la fonction des unes se situe uniquement sur le plan de la procédure, les autres ont une fonction substantielle, accompagnée d'un effet sur le plan de la procédure qui naît des dispositions de l'article 5, paragraphe 1, indépendamment d'une volonté spécifique des parties. En outre, les clauses de prorogation engendrent la compétence exclusive du tribunal ou des tribunaux désignés, ce qui a pour conséquence de bloquer le fonctionnement tant de la règle générale sur la compétence (article 2) que des dispositions relatives aux compétences spéciales (article 5); tandis que le lieu d'exécution, indépendamment de la façon dont il est fixé, fonde une compétence spéciale, concurrente de la compétence générale ainsi que des autres compétences également spéciales. Enfin, la compétence déterminée par l'article 17 fait abstraction de tout élément objectif de connexité entre le rapport litigieux et le tribunal désigné, tandis que la compétence fondée sur l'article 5, paragraphe 1, se justifie précisément en raison du lien objectif existant entre un aspect significatif du contrat et le tribunal reconnu compétent.

    Sur le plan strictement exégétique, il y a lieu de relever que l'article 17, en se référant aux clauses par lesquelles les parties «ont désigné un tribunal ou les tribunaux d'un État contractant pour connaître des différends nés ou à naître à l'occasion d'un rapport de droit déterminé», décrit leur contenu particulier d'une manière précise, en les distinguant nettement des clauses qui fixent le lieu d'exécution.

    De son côté, l'article 5, paragraphe 1, ne contient aucun élément qui laisse à penser que l'on a envisagé uniquement le lieu désigné par la loi pour l'exécution des obligations contractuelles, en excluant le lieu convenu par les parties à cette fin dans le cadre de l'exercice d'une autonomie reconnue par la loi.

    Toujours à propos de la manière dont il y a lieu d'interpréter le critère de juridiction visé à l'article 5, paragraphe 1, on a évoqué à juste titre au cours de la présente procédure l'arrêt rendu par la Cour le 6 octobre 1976 dans l'affaire 12/76, Tessili/Dunlop (Recueil 1976, page 1474). Cet arrêt a précisé qu'il appartient au juge national de déterminer, conformément aux dispositons de son droit international privé, la législation applicable au rapport juridique en cause et, partant, de définir, sur la base de cette législation, le lieu d'exécution de l'obligation contractuelle litigieuse. Par conséquent, si la législation applicable reconnaît aux parties contractantes le pouvoir de désigner le lieu d'exécution d'une obligation qu'ils ont contractée, sans imposer aucune condition de forme particulière, le choix librement fait par les intéressés sera valide tant aux fins du droit destiné à régir les aspects de fond du contrat qu'aux fins de l'article 5, paragraphe 1, de la Convention de Bruxelles. Séparer une conséquence de l'autre signifierait que, bien que le contrat doive être exécuté au lieu désigné par les parties, la compétence du tribunal de ce lieu ne peut pas être reconnue; mais cela irait à l'encontre de la lettre et de l'esprit de la disposition précitée qui reflète, comme nous l'avons déjà relevé, l'idée que la localisation du contrat dans la phase de l'exécution suffit à ancrer au même lieu la compétence juridictionnelle.

    La thèse exposée ci-dessus trouve un autre appui dans l'argument que la Commission tire à juste titre de l'article 1 du protocole annexé à la Convention de Bruxelles. Le premier alinéa de cet article dispose en effet que si une personne domiciliée au Luxembourg est attraite devant le tribunal d'un autre État contractant en application de l'article 5, paragraphe 1, elle peut décliner la compétence de ce tribunal; ce tribunal se déclare d'office incompétent si le défendeur ne comparaît pas. Au deuxième alinéa, un régime également dérogatoire est prévu, dans le cadre de l'article 17, en faveur des personnes domiciliées au Luxembourg, puisqu'il dispose que les conventions attributives de juridiction ne produisent leurs effets à l'égard de ces personnes que si elles apparaissent comme expressément et spécialement acceptées. La manière dont les deux dispositions précitées sont agencées et formulées implique évidemment que le système du tribunal du lieu d'exécution et celui du tribunal élu sont deux choses absolument distinctes.

    3. 

    La solution du problème posé semble donc tellement claire que l'on peut se demander comment les juges du premier et du deuxième degré ont pu se prononcer dans un tout autre sens. Il est vraisemblable qu'ils ont été, dans une certaine mesure, influencés par l'orientation récente du droit de la procédure civile de la République fédérale qui a restreint tant les cas de prorogation de compétence (en modifiant l'article 38 ZPO) que la possibilité de fonder la compétence sur le lieu d'exécution du contrat désigné par convention entre les parties (l'article 29, paragraphe 2 ZPO, a également été modifié). Il s'entend que cette orientation repose sur de bonnes raisons: on a voulu éviter qu'en désignant le lieu d'exécution au moyen de conventions exemptes de toutes formalités, les conditions de forme auxquelles sont subordonnées les clauses de prorogation de compétence soient tournées et que l'on finisse par atteindre le même résultat — de désigner un juge différent de celui qui est généralement compétent — par une voie différente et plus facile.

    A notre avis, le risque que cela représente ne peut être ni exclu ni négligé. Les conditions prescrites par l'article 17 s'inspirent clairement de l'intention de protéger la partie contractante la plus faible et, dans le même ordre d'idée, une solution semblable à celle qui vient d'être récemment accueillie dans le droit allemand en ce qui concerne l'effet sur le plan de la procédure des clauses de détermination du lieu d'exécution serait très opportune. Même si à l'audience la Commission s'est déclarée satisfaite de l'article 5 tel qu'il est, nous pensons que «de lege ferenda» le problème mériterait d'être réexaminé et nous regrettons personnellement que la négociation sur la Convention du 9 octobre 1978 relative à l'adhésion des trois autres États membres à la Convention de Bruxelles de 1968 n'ait pas donné lieu à ce nouvel examen. Il ne nous semble pas non plus que les termes du problème soient modifiés du seul fait que, comme l'observe dans l'espèce présente le gouvernement britannique, la récente Convention a atténué le formalisme de l'article 17; en réalité, cette atténuation a consisté à reconnaître, en matière de rapports commerciaux internationaux, les formes qui sont admises par les usages et réputées connues des parties, mais la disposition a maintenu le critère qui subordonne la validité de la convention de prorogation à certaines conditions de forme et de fond.

    La Commission a enfin affirmé que si le choix du lieu d'exécution est effectif, la compétence est bien ancrée, laissant ainsi entrevoir qu'il y aurait lieu d'établir le caractère effectif ou simulé de la volonté visant à déterminer le lieu d'exécution. Mais il dépendra du droit national applicable d'établir si, et en présence de quelles circonstances, le juge national peut éventuellement considérer le choix comme simulé et, partant, comme privé de tout effet, ou bien déclarer que les parties ont abusé du pouvoir qui leur est reconnu à cette fin pour se soustraire aux prescriptions formelles relatives aux conventions de prorogation de compétence.

    En tout état de cause, il est certain que dans le système de la Convention, la compétence subit l'effet de la localisation de l'obligation contractuelle dans la phase de l'exécution, quelle que soit la manière dont la localisation est intervenue (par une disposition légale ou par convention entre les parties, et sans aucune aggravation de la forme requise pour celle-ci). En conséquence, nous estimons que la Cour de justice devrait donner à la question préjudicielle qui lui a été déférée par le Bundesgerichtshof, par ordonnance du 15 mars 1979, la réponse suivante:

    Si le lieu d'exécution d'une obligation contractuelle a été désigné par les parties par une clause valide selon le droit national applicable au contrat, le tribunal de ce lieu est compétent pour connaître des litiges relatifs à cette même obligation en vertu de l'article 5, paragraphe 1, de la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, indépendamment du respect des conditions de forme prévues par l'article 17.


    ( 1 ) Traduit dt- l'italien.

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