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Document 61964CC0014

    Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 19 janvier 1965.
    Dame Emilia Barge, veuve Leone contre Haute Autorité de la CECA.
    Affaire 14-64.

    édition spéciale anglaise 1965 00069

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1965:1

    Conclusions de l'avocat général M. Karl Roemer

    du 19 janvier 1965 ( 1 )

    Page
     

    Introduction et exposé des faits

     

    I — Exceptions visant la recevabilité

     

    1. La production du mandat ad litem

     

    2. L'exception de force de chose jugée de l'arrêt 18-62

     

    II — Le bien-fondé

     

    1. Le coefficient consommation d'énergie électrique — consommation de ferraille

     

    2. La part de chutes propres dans la consommation de ferraille

     

    3. La requérante a-t-elle utilisé du courant électrique pour la production de moulages d'acier?

     

    4. La référence de la requérante à l'évaluation de ses revenus par le fisc italien et à la capacité de production de son entreprise

     

    5. En vertu de quelle décision générale l'obligation de contribution de la requérante se détermine-t-elle ?

     

    III — Observations sur la procédure incidente

     

    IV — Résumé et conclusion

    Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

    Point n'est besoin de nous étendre longuement sur les faits de ce procès dans lequel nous avons à présenter aujourd'hui nos conclusions. La Cour les connaît bien à cause de deux affaires antérieures, l'affaire 31-58 qui a pris fin à l'époque sans qu'il y ait lieu de statuer, la Haute Autorité ayant abrogé la décision attaquée, et l'affaire 18-62 qui s'est terminée par un arrêt de la Cour du 16 décembre 1963. Deux décisions de la Haute Autorité se trouvaient en cause dans la dernière d'entre elles: une décision du 23 mai 1962 qui fixait d'office la consommation de ferraille de l'entreprise Acciaierie Ing. A. Leone pour les différentes périodes de décompte du mécanisme de péréquation, et une autre décision, de même date, qui fixait en conséquence la dette de contribution de l'entreprise. La Cour a annulé les deux décisions (nous examinerons ultérieurement dans quelle mesure), parce que des arguments et des preuves fournis par cette entreprise avaient pu faire douter de la justesse de l'évaluation de la consommation de ferraille à laquelle la Haute Autorité avait procédé et qui sert de base pour le calcul de la dette de contribution.

    Par la suite, le 18 mars 1964, la Haute Autorité a pris une nouvelle décision qui modifiait partiellement les deux décisions du 23 mai 1962 mentionnées ci-dessus. Elle y évaluait, en respectant, comme elle le dit, les motifs d'annulation de la Cour, les quantités de ferraille consommées par l'entreprise Acciaierie Ing. A. Leone et fixait la dette de contribution qui en résultait.

    Le présent recours s'en prend à cette décision.

    I — Exceptions visant la recevabilité

    Deux exceptions de la Haute Autorité visant la recevabilité nous occuperont tout d'abord. L'une concerne la production de son mandat par l'avocat de la requérante et l'autre les effets de chose jugée de l'arrêt rendu dans l'affaire 18-62.

    1. La production du mandat ad litem

    Il est de fait qu'un pouvoir établi au nom de l'avocat de la requérante a été produit en même temps que la requête, et ce pouvoir ne l'autorisait pas à attaquer la décision du 18 mars 1964, mais les décisions formant l'objet de l'affaire 18-62. L'avocat de la requérante remarque à ce sujet qu'il s'agit d'une erreur de son secrétariat. En même temps que la réplique, il a produit un autre pouvoir qui lui confie en termes généraux la défense et la représentation en justice de la requérante devant la Cour de justice. Ce pouvoir porte la date du 16 mars 1964 et, selon les indications de la requérante, il a été établi avant le dépôt de la requête (27 avril 1964).

    Cependant, la Haute Autorité ne veut pas admettre que le vice de procédure qu'elle critique ait été ainsi couvert. Elle a des doutes sur l'exactitude de la date du pouvoir qui a été produit ultérieurement, car la législation notariée ne porte que sur l'authenticité de la signature et non pas sur sa date. Selon elle, un mandat ad litem doit en tout cas être établi avant l'introduction du recours et il doit être remis en même temps que la requête, dans les délais prévus.

    D'après notre procédure, il convient de faire les remarques suivantes sur ce point litigieux. Nulle part, le statut de la Cour et son règlement de procédure ne prescrivent expressément la production d'un mandat ad litem sous forme écrite. Certes, dans sa pratique, la Cour veille à la remise d'un mandat en même temps qu'à celle de la requête et on doit s'en tenir là dans l'intérêt d'une bonne marche du procès. Mais si, en fait, la production d'un pouvoir régulier a été omise pendant le délai de recours, on ne pourrait, à notre avis, en déduire que le recours est irrecevable, à condition qu'un pouvoir valable soit présenté ultérieurement.

    Le règlement de procédure lui-même permet de déduire des arguments en faveur d'une telle opinion libérale. L'article 38, paragraphe 7, prévoit que, dans le cas où certains documents ne sont pas produits avec la requête (par exemple, les statuts d'une personne morale et la preuve que le mandat qui a été délivré a été établi par une personne habilitée), le greffier invite le requérant à le faire dans un délai raisonnable. A défaut de cette régularisation, la Cour décide «si l'inobservation de ces conditions de forme entraîne l'irrecevabilité formelle de la requête». On peut en déduire que toute violation des règles de forme expresses du règlement de procédure n'entraîne pas l'irrecevabilité du recours. Il en est ainsi a fortiori en cas de non-respect des principes de procédure, qui ne sont pas réglementés expressément dans le règlement de procédure.

    On peut aboutir à des constatations analogues en examinant la procédure administrative nationale. Selon la procédure des tribunaux administratifs allemands («Verwaltungsgerichtsordnung», paragraphe 67), un pouvoir peut être remis ultérieurement, le juge fixant un délai le cas échéant. Le pouvoir ne doit donc pas être remis en même temps que la requête ni pendant le délai de recours. Selon la jurisprudence, il est même certain que, si le pouvoir est délivré ultérieurement, on peut estimer que les actes de procédure faits sans mandat ont été approuvés rétroactivement (Schunck-De Clerck, «Kommentar zur Verwaltungsgerichtsordnung», 1961, note 4 au paragraphe 67; Köhler, «Kommentar zur Verwaltungsgerichtsordnung», 1960, notes 7 et 8 au paragraphe 67). Il en est de même, croyons-nous, dans le droit français, qui estime également qu'il est possible de régulariser après coup de telles entorses à la procédure (Gabolde, «Traité pratique de la procédure administrative», 1960, nos 162 bis, 169).

    Vu cette situation de droit, il ne nous semble donc pas défendable d'appliquer à la procédure devant notre Cour les principes fermes défendus par la Haute Autorité et dont nous ne savons pas si, en fait, ils sont applicables en droit italien. A cet effet, comme cela a été le cas ici, la production, au cours de la procédure, d'un pouvoir valable, couvrant tous les actes de procédure à partir du dépôt de la requête, devrait suffire. En suivant cette thèse, il s'avère inutile d'examiner si la date d'établissement du pouvoir correspond bien à la réalité, car peu importe cette date.

    2. L'exception de force de chose jugée de l'arrêt 18-62

    L'exception de force de chose jugée de l'arrêt 18-62 soulève un problème plus complexe, qui rend nécessaire une appréciation exacte de ce qui a été fait dans l'affaire 18-62 et ultérieurement.

    Ce recours s'en prenait à deux décisions de la Haute Autorité qui évaluaient la consommation de ferraille de l'entreprise Leone pour la période du 1er octobre 1955 au 31 janvier 1958 et fixaient en conséquence sa dette de contribution. La Cour a annulé ces décisions, dans la mesure où elles reposaient sur une «évaluation d'office de la consommation de ferraille pour la période du 1er octobre 1955 au 31 janvier 1957» (tel est expressément le dispositif de l'arrêt). Il en résulte que les décisions attaquées ne pouvaient pas être attaquées pour le reste et que leur légalité ne donnait pas lieu à des doutes pour le reste. Il n'est pas possible d'en tirer une autre conclusion, parce que l'arrêt de la Cour constitue un arrêt définitif qui n'a réservé aucun problème juridique pour faire l'objet d'une discussion à un stade ultérieur de la procédure. De même, il est impossible de dire que l'annulation d'une partie des décisions attaquées entraîne nécessairement son abrogation pour l'ensemble. La nature du calcul de péréquation de la ferraille s'oppose à une telle indivisibilité du contenu de la décision; bien au contraire, il est certain que l'obligation de péréquation pour les différentes périodes de décompte peut parfaitement faire l'objet d'une appréciation autonome.

    Les conséquences que la Haute Autorité a tirées de l'arrêt vont donc en ce sens. Elle ne voulait pas prendre un acte complètement nouveau pour l'ensemble de la période d'imposition de la requérante. Au contraire, dans la décision du 18 mars 1964, elle parle expressément d'une nouvelle réglementation partielle des questions qui faisaient l'objet des décisions du 23 mai 1962. En comparant le dispositif et l'exposé des motifs des nouvelles décisions avec ceux des anciennes décisions, cela ne peut se comprendre qu'en ce sens que la nouvelle réglementation se réfère uniquement aux parties de la décision atteintes par l'annulation, tandis que, par ailleurs, la nouvelle décision se borne à reproduire, c'est-à-dire à publier à nouveau, les parties non annulées, sans modifier son contenu et même sans procéder à un nouvel examen de ces faits.

    En conséquence, en ce qui concerne la détermination de la consommation de ferraille et la fixation de la dette de contribution pour la période du 1er février 1957 au 31 janvier 1958, il est indiqué en fait d'appliquer l'idée de la force de chose jugée de l'arrêt 18-62 que la Haute Autorité a mise en avant. D'où cette conséquence que toutes les conclusions et argumentations de la requérante relatives au calcul de la consommation de ferraille et, par là, à sa dette de contribution pour la période mentionnée doivent être écartées comme irrecevables. Cela vaut notamment pour l'argument principal de la requérante qu'elle aurait suspendu son exploitation à partir du 1er mai 1957, licencié son personnel et dénoncé son contrat de fourniture d'électricité et qu'elle ne pourrait, par suite, être soumise à la péréquation de la ferraille, faute d'activité de production et de consommation de ferraille après cette date.

    Par contre, l'exception de chose jugée de la Haute Autorité n'est pas valable en ce qui concerne la partie de la décision du 18 mars 1964 qui, après l'arrêt d'annulation de la Cour, a dû être rédigée à nouveau, conformément aux indications de l'arrêt. L'effet de chose jugée d'un arrêt d'annulation résulte du dispositif de la décision, conjointement avec les attendus décisifs qui la précèdent. En ce sens, l'arrêt 18-62 permet de procéder à une constatation claire et précise: l'annulation se fonde sur le fait qu'en évaluant la consommation de ferraille à l'aide de la consommation d'électricité la Haute Autorité s'est fondée sur des données fausses pour la consommation de courant. La force de chose jugée de l'arrêt d'annulation ne porte que sur ces attendus, avec cette conséquence que l'administration n'est pas en droit de refaire cet acte administratif en y reprenant les attendus critiqués. Mais tous les autres commentaires donnés par l'arrêt 18-62 constituent purement et simplement, sur le plan procédural, pour l'arrêt d'annulation, des obiter dicta, bien que les arguments du recours qui y sont discutés portent sur l'ensemble de la période d'imposition de la requérante. Il est hors de doute qu'ils ont leur importance pour apprécier la décision qui est maintenant attaquée. Sur le plan de la procédure, il n'est cependant pas possible de le faire en invoquant le principe de la force de chose jugée et de rejeter comme irrecevable le recours contre la décision qui a été adoptée avec un nouveau contenu après l'annulation partielle des anciennes décisions. Tout au plus peut-on parler ici d'un effet préjudiciel de l'arrêt 18-62 qui peut être invoqué dans le cadre de l'examen du bien-fondé du présent recours.

    II — Le bien-fondé

    Voyons donc en détail les moyens de recours que la requérante invoque contre la nouvelle décision de la Haute Autorité.

    1.

    Elle critique tout d'abord les coefficients appliqués par la Haute Autorité pour constater la consommation de ferraille à l'aide de la consommation de courant, et elle remarque qu'ils ne peuvent s'appliquer aux anciennes installations, qu'il faut tenir compte de la capacité des fours, de la force du transformateur, de son ancienneté, du fait que son four ne fonctionne pas à l'oxygène et enfin du fait qu'elle a consommé en grande quantité de la ferraille de mauvaise qualité.

    En principe, nous pouvons renvoyer sur cet argument à l'arrêt 18-62, dans lequel la Cour de justice, en dépit des doutes que la requérante a énoncés aussi à cette époque, a déclaré que l'avis de la Commission d'experts de la Haute Autorité pour fixer les coefficients critiqués était déterminant. A juste titre, la Cour a envisagé à ce moment-là le fait que l'application de ce coefficient général pouvait entraîner dans des cas d'espèce des résultats grossiers et défectueux. Si on voulait les éviter, l'application de la méthode inductive pour déterminer la consommation de ferraille serait impossible dans la pratique et la Haute Autorité serait même tenue de faire établir dans chaque cas d'espèce un rapport d'expert sur la consommation de ferraille. Mais, comme la procédure administrative deviendrait ainsi excessivement lourde, la Cour, dans l'arrêt 18-62, a rejeté les conclusions de la requérante tendant à une expertise pour son cas particulier. Il y a lieu d'en faire aussi de même dans le cas actuel. Cela est d'autant plus indiqué qu'en fait la Haute Autorité a envisagé certains des facteurs invoqués par la requérante lors de l'évaluation inductive de la consommation de ferraille, comme cela a été le cas pour la capacité des fours et pour le fait que la requérante n'a pas utilisé le procédé à l'oxygène. Mais, en outre, un certificat du fisc italien qu'elle a produit elle-même et où il est question d'installations modernes permet de contredire l'affirmation que son entreprise disposait d'installations démodées. Enfin, tout le reste de son argumentation sur ce point ne constitue rien d'autre que de simples allégations dont aucun indice ou commencement sérieux de preuve ne vient confirmer l'exactitude.

    En conséquence, le premier argument du recours ne donne aucune raison de considérer comme erronés les calculs de la Haute Autorité sur la consommation de ferraille.

    2.

    La requérante critique en outre le fait que la Haute Autorité a fixé trop bas la part de chutes propres lors du calcul de la consommation de ferraille soumise à péréquation. Comme la requérante aurait travaillé presque exclusivement pour le compte de tiers, et comme il y aurait eu dans ses ateliers un grand nombre de coulées défectueuses, il faudrait, selon elle, partir d'une proportion de 12 % de chutes propres dans la production d'acier et non de 5 % comme le fait la Haute Autorité.

    La Haute Autorité remarque au sujet de ces arguments qu il n'y avait pas lieu d'admettre que la proportion de chutes propres chez la requérante était plus élevée, car celle-ci n'avait qu'un four électrique et non pas un laminoir. En outre, cet argument pose aussi une question de preuve de ce qui peut être considéré comme exact. Au cours de la procédure, la requérante n'a pas présenté de documents à l'appui de ses allégations, bien qu'elle ait notamment fait valoir que les contrôleurs de la Haute Autorité auraient pu prendre connaissance chez elle d'un registre des travaux pour compte de tiers: de ce fait, la requérante aurait eu à tout le moins un motif pour produire ce registre. Elle a seulement demandé l'audition de témoins sur les faits qu'elle alléguait, c'est-à-dire celle des fonctionnaires et agents de la Haute Autorité qui ont procédé au contrôle de l'entreprise, ainsi que de deux autres témoins italiens. Aussi se pose-t-il en principe la question de savoir si cette preuve contraire peut être reconnue comme admissible dans le cadre de l'évaluation de la consommation de ferraille. Le contraire pourrait être déduit de l'arrêt 18-62, car il y est toujours affirmé que la requérante n'avait pas mis la Haute Autorité en mesure de rectifier ses évaluations en produisant des documents. Mais, même indépendamment de cette question de principe, il n'est pas possible de voir en fait dans le cas d'espèce de quelle manière les témoins indiqués ci-dessus pourraient apporter une contribution utile pour faire douter de l'exactitude des calculs de la Haute Autorité. De plus, en ce qui concerne les témoins italiens, la requérante n'a même pas indiqué en quelle qualité et pour quel motif ils auraient été en mesure de donner des indications exactes sur l'activité de production dans son usine, laquelle remonte jusqu'en 1955.

    C'est pourquoi, à notre avis, la Cour devrait constater que, sur ce second moyen également, une preuve contraire adéquate ne peut être ni offerte ni apportée, bien que, il faut l'ajouter, il y ait eu déjà assez d'occasions pour le faire dans le procès 18-62. Aussi ne peut-on dire que, même de ce point de vue, des doutes s'élèvent sur les résultats de l'évaluation à laquelle a procédé la Haute Autorité.

    3.

    En troisième lieu, la requérante fait valoir que le courant électrique a été aussi utilisé dans son entreprise pour la production de moulages d'acier. Les quantités de ferraille servant à cette production seraient exemptées de la péréquation d'après les décisions de la Haute Autorité et ne devraient pas être prises en compte lors du calcul de la dette de contribution.

    La Haute Autorité objecte à cela que la requérante n'aurait jamais donné d'indications sur ce genre de production dans ses déclarations destinées au prélèvement général. En fait, cette circonstance constitue un indice si important à l'encontre de l'exactitude de ses affirmations que, de ce fait déjà, on pourrait renoncer à poursuivre la discussion du troisième moyen. En outre, la preuve offerte par la requérante sur ce point consiste aussi uniquement dans la désignation des témoins mentionnés dans le deuxième moyen, ce qui permet de renvoyer à tout ce qui a été dit à son sujet. Lorsque, à l'appui de ses indications, la requérante produit deux documents supplémentaires, elle ne peut échapper à l'objection que la simple désignation de son entreprise sous le nom de «fonderie» dans une décision du fisc italien n'est pas plus de nature à constituer une preuve de l'exactitude de son affirmation qu'un autre document, de provenance non éclaircie, qui qualifie l'activité de son entreprise de «fonderie d'aciérie», notamment du fait que cette pièce ne se réfère manifestement pas à la période de production déterminante pour la péréquation de la ferraille: c'est ce qui résulte des indications sur la dimension des fours.

    En conséquence, même en se référant à une prétendue production de moulages d'acier, la requérante ne peut mettre en doute l'évaluation de sa consommation de ferraille.

    4.

    Sous une forme générale, la requérante essaie d'attaquer l'exactitude des chiffres utilisés par la Haute Autorité, en se référant à une évaluation de ses revenus, faite par le fisc italien pendant la période litigieuse, d'où il devrait résulter que la Haute Autorité aurait évalué sa production à un chiffre déraisonnable, de même qu'à la capacité de production de son entreprise.

    Cependant, cette tentative ne peut, elle non plus, être couronnée de succès. C'est à juste titre que la Haute Autorité fait remarquer que, pour le mécanisme de péréquation de la ferraille, il faut s'en tenir à la consommation de ferraille d'une entreprise et non pas à ses revenus. En outre, en l'absence de documents comptables suffisants, le fisc italien lui-même était obligé, pour ses propres fins, de s'en tenir à une évaluation globale.

    En ce qui concerne la quantité réelle de la production et non pas la capacité de production, la requérante voudrait voir créer les bases d'une appréciation correcte en entendant les témoins qu'elle indique et en faisant une expertise relative à la période nécessaire dans son entreprise pour la production d'acier coulé, c'est-à-dire qu'elle offre aussi sur ce point une sorte de preuve contraire qui, d'après tous les éléments dont nous disposons, doit être considérée comme inadéquate pour les buts de notre procédure.

    En conséquence, il faut en fait s'en tenir a la méthode choisie par la Haute Autorité pour l'évaluation de la consommation de ferraille de la requérante et estimer qu'elle constitue la seule base raisonnable pour le calcul de sa dette de contribution.

    5.

    Enfin, nous voyons apparaître dans la réplique ce nouvel argument que l'obligation de contribution de la requérante n'aurait dû être fixée qu'en vertu de la décision 2-57 et non pas de la décision 19-60, parce qu'en avril 1957 elle aurait déjà suspendu son activité de production.

    Cependant, a notre avis, et tout à fait indépendamment de l'exception de chose jugée dont il a été traité ci-dessus, cet argument devrait déjà être écarté pour des raisons de procédure, car il n'a pas été énoncé dans la requête, même purement et simplement. En conséquence, il faut appliquer les règles sur la tardiveté des moyens de recours (article 42 du règlement de procédure), sur lesquels nous n'insisterons pas davantage. En outre, il est bien manifeste que ce moyen n'est pas non plus fondé. D'après son texte, qui est clair, la décision 19-60 se réfère en effet non seulement aux périodes de décompte qui ont commencé à courir après la prétendue interruption de production de la requérante, mais à toute la période de fonctionnement du mécanisme de péréquation.

    III — Observations sur la procédure incidente

    Après tout cela, il reste encore un mot à dire sur la procédure incidente engagée par la requérante pendant la procédure écrite, c'est-à-dire sur le point de savoir quelle est la partie qui doit supporter les frais de cette procédure.

    La procédure incidente, on le sait, portait sur le fait qu'en même temps que son mémoire en défense la Haute Autorité avait produit quelques documents qui n'étaient pas rédigés dans la langue de procédure, mais en français. Pendant le délai qui lui était imparti pour remettre sa réplique, et qui a d'ailleurs été prolongé, la requérante a critiqué cette circonstance dans un mémoire spécial. Le greffier de la Cour s'est alors adressé à la Haute Autorité en l'invitant à remettre, avant le 22 juillet, une traduction italienne des annexes 2 et 3 du mémoire en défense. Cela étant fait, un nouveau délai a été fixé à la requérante pour la remise de sa réplique, et la procédure écrite a suivi sa marche normale.

    D'après le règlement de procédure de la Cour, il est certain qu'en soumettant des textes rédigés en français la Haute Autorité a contrevenu à l'article 29 du règlement de procédure. Mais il est vrai que cela ne veut pas encore dire que cette circonstance pouvait justifier l'ouverture d'une procédure incidente autonome. Notamment pour la décision que la Cour doit rendre sur les dépens, il faut se demander si, de ce fait, comme elle l'affirme, la requérante a pu diminuer de façon sensible ses possibilités de défense. Il y a à cela quelques objections. La Haute Autorité a déclaré, sans être contredite, que la requérante elle-même lui avait envoyé en son temps les documents en question sous cette forme (donc en français). Elle fait en outre remarquer que, pour la plus grande partie, ils consistent seulement dans un ensemble de calculs et qu'il n'y a pas plus de douze lignes de texte au total. On ne peut admettre qu'en utilisant ces documents le défenseur de la requérante ait pu avoir la moindre difficulté, et cela d'autant moins que, dans un autre cas (affaire 33-59), il a mené tout un procès devant la Cour en langue française.

    En fait, tous ces points de vue doivent jouer un rôle dans la décision de la Cour sur les dépens. Si l'on tient compte en outre du fait que, pour remettre sa réplique, le défenseur de la requérante avait un délai qui commençait à courir le 27 mai 1964 et qui ne devait se terminer, après prolongation, que le 21 juillet 1964, et qu'il ne s'est décidé que le 15 juillet 1964 à introduire une procédure incidente, il faut admettre avec la Haute Autorité que les frais causés par la procédure incidente n'avaient pas de fondement raisonnable. Nous estimons donc avec la Haute Autorité que la Cour devrait appliquer l'article 69, paragraphe 3, alinéa 2, du règlement de procédure en matière de dépens, au détriment de la requérante.

    IV — Résumé et conclusion

    Sans qu'il nous paraisse nécessaire de faire droit aux conclusions de la requérante tendant à la production de certains documents par la Haute Autorité, et cela a fortiori parce qu'on ne peut se rendre compte comment ces documents pourraient contribuer à mettre en doute l'évaluation faite par la Haute Autorité, nous proposons à la Cour de rejeter le recours comme irrecevable, dans la mesure où il porte sur la période d'imposition mentionnée dans la décision attaquée et comprise entre le 1er février 1957 et le 31 janvier 1958 et, pour le reste, de rejeter le recours comme non fondé.

    La requérante doit supporter les frais de la procédure, y compris ceux de la procédure incidente.


    ( 1 ) Traduit de l'allemand.

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