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Document 61963CC0014

    Conclusions de l'avocat général Lagrange présentées le 28 octobre 1963.
    Forges de Clabecq SA contre Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l'acier.
    Affaire 14-63.

    édition spéciale anglaise 1963 00721

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1963:32

    Conclusions de l'avocat général

    M. MAURICE LAGRANGE

    28 octobre 1963

    Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

    La société des Forges de Clabecq s'est abstenue de comprendre parmi les tonnages servant de base à l'assiette de la contribution de péréquation due par elle une quantité de 20.682 tonnes de ferraille reçues après le 1er avril 1954, date d'entrée en vigueur du mécanisme obligatoire institué par la décision 22-54, mais qu'elle prétendait correspondre à des achats effectués avant cette date. Elle se fondait, à cet égard, sur les dispositions de l'article 3 de la décision 22-54, aux termes desquelles «le montant des contributions est calculé au prorata des tonnages de ferraille achetés pendant la période de validité de la présente décision par chaque entreprise…», le point de départ de ladite période étant fixé par l'article 10 au 1er avril 1954.

    Par une lettre en date du 23 janvier 1963, le directeur général «acier» de la Haute Autorité a fait connaître à la société des Forges de Clabecq que, «dans sa séance du 5 décembre 1962, la Haute Autorité, s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour, s'est prononcée pour l'inclusion dans les tonnages servant de base à l'assiette de contribution de votre entreprise des 20.682 tonnes litigieuses».

    La société vous demande l'annulation de la décision ainsi prise par la Haute Autorité.

    A — Recevabilité

    Plusieurs questions de recevabilité se posent tout d'abord. Nous les examinerons sommairement.

    La première est de savoir si le recours est bien dirigé contre une décision de la Haute Autorité, susceptible de recours en vertu de l'article 33 du traité.

    Il est évident que la lettre du 23 janvier 1963, produite à l'appui du recours, et signée par un directeur général, ne peut être considérée comme une décision de la Haute Autorité; elle n'y prétend d'ailleurs pas. Mais, nous venons de le voir, cette lettre se réfère expressément à une décision prise par la Haute Autorité elle-même dans sa séance du 5 décembre 1962 et rejetant la réclamation de la société requérante. La lettre du 23 janvier 1963 se présente à cet égard comme une notification de cette décision.

    Sans doute, la décision ne répond pas aux conditions formelles définies à la décision 22-60 du 7 septembre 1960 relative à l'exécution de l'article 15 du traité. En résulte-t-il que l'on devrait en conclure à son inexistence juridique et, pour ce motif, rejeter le recours comme non recevable? Nous ne le pensons pas. La situation, à cet égard, nous paraît toute différente de celle qui a trait à des recours formés contre des lettres signées, au nom de la Haute Autorité, par des fonctionnaires de cette institution. En l'espèce, la lettre adressée à la requérante mentionne expressément l'existence d'une décision prise par la Haute Autorité, avec la date de la séance au cours de laquelle elle est intervenue et son objet. La circonstance que la décision ne remplit pas les conditions formelles prescrites par la décision 22-60 ne peut, à notre avis, la rendre inexistante; tout au plus pourrait-on soutenir que la lettre du 23 janvier 1963 n'a pas le caractère d'une notification régulière propre à faire courir le délai de recours, puisqu'en effet une notification doit reproduire intégralement la décision qu'elle a pour objet de porter à la connaissance de l'intéressé. La Cour, de son côté, pourrait demander la production d'un extrait du procès-verbal de la séance au cours de laquelle on nous dit que la Haute Autorité a pris sa décision, ainsi que vous avez été amenés à le faire dans l'affaire des tarifs de transports (3-58 et autres, arrêts du 10 mai 1960). Cela ne paraît cependant pas indiqué puisque, en l'espèce, les deux parties sont d'accord pour reconnaître l'existence de la décision et qu'aucune circonstance telle que celle qui avait provoqué de la part de la Cour une demande de précision (à savoir la nécessité de s'assurer que la décision avait été prise avant minuit le 9 février 1958, date d'expiration des pouvoirs que la Haute Autorité tenait de la convention sur les dispositions transitoires) ne se rencontre ici.

    La deuxième question a trait à la prétendue insuffisance de la motivation de la requête. Celle-ci, d'après la Haute Autorité, ne contiendrait pas d'une manière adéquate l'«exposé des moyens» prescrit à peine de non-recevabilité.

    Messieurs, il suffit de lire la requête pour se rendre compte qu'elle contient les conclusions et les moyens à l'appui du recours, exposés d'une manière sommaire, sans doute, mais parfaitement claire et précise. Nous ne comprenons pas comment la Haute Autorité a pu éprouver un doute à cet égard.

    Troisième question : les «offres de preuve» auraient été vagues et non accompagnées du dossier visé à l'article 37, paragraphe 4, du règlement de procédure. Il s'agit ici du passage de la requête où la requérante offre de prouver «pour autant que de besoin» que les contrats correspondant aux tonnages litigieux avaient bien été conclus avant le 1er avril 1954.

    Sur ce point, la requérante répond à juste titre qu'elle n'avait pas à préciser davantage, puisqu'il n'y avait pas eu encore de contestation sur les faits et que la question en litige était de pur droit. Il est vrai que les faits sont eux-mêmes devenus litigieux au cours de la procédure, mais nous n'apercevons ici aucune irrégularité de nature à mettre en cause la recevabilité de la requête.

    Quatrième question : défaut d'intérêt. Ce défaut d'intérêt résulterait, d'après la défenderesse, des conséquences plus ou moins désastreuses qu'une annulation entraînerait pour la requérante : «Tout donne à penser», en effet, pour reprendre l'expression même dont s'est servi l'honorable défenseur de la Haute Autorité lois de la procédure orale, qu'il y aurait non seulement compensation avec le dégrèvement obtenu, mais charge supplémentaire du fait de la révision des calculs de la péréquation et de l'obligation où serait la Haute Autorité d'appliquer la même règle aux entreprises qui, se trouvant dans la même situation que la requérante, n'ont cependant pas réclamé jusqu'à présent.

    Messieurs, quelles seraient les conséquences juridiques d'une annulation prononcée au profit de la requérante? C'est là un problème délicat que la Haute Autorité devrait éventuellement résoudre dans le cadre de l'article 34 du traité. Ce qui est certain, c'est que, même si ces conséquences devaient être en définitive défavorables à la requérante (ce que nous ignorons pour le moment), ce n'est pas là une circonstance de nature à faire disparaître actuellement l'intérêt du recours. Comme l'honorable avocat de la requérante l'a rappelé, l'intérêt à un recours en annulation s'apprécie au jour où le recours est formé et en raison de l'objet de ce recours. Seul un retrait de la décision attaquée pourrait rendre le recours sans objet, ce qui se traduirait d'ailleurs par un non-lieu à statuer et non pas un rejet faute d'intérêt.

    B — Fond

    Comme vous le savez, l'argumentation de la requérante se fonde essentiellement sur les termes, parfaitement clairs selon elle, de l'article 3 de la décision 22-54, dont nous rappelons une fois de plus la rédaction :

    «Le montant des contributions est calculé au prorata des tonnages de ferraille achetés pendant la période de validité de la présente décision par chaque entreprise, soit à l'intérieur de la Communauté, soit à l'importation des pays tiers.»

    Le terme «achetés», dit la requérante, ne peut viser que l'acte juridique de l'achat et non la livraison ou la réception. Si les décisions ultérieures ont parlé des «tonnages de ferraille d'achat reçus pendant la période» envisagée (article 3 de la décision 14-55) ou des «réceptions de ferraille d'achat» (article 4 de la décision 2-57), ces rédactions différentes ne peuvent correspondre qu'à une modification de la règle et non à une simple amélioration de la rédaction primitive, d'autant plus que ces décisions sont autonomes se suffisent à elles-mêmes et n'ont nullement un caractère interprétatif (comme, par exemple, la décision 14-58 publiée au Journal officiel du 30 juillet 1958«rectifiant et interprétant certains articles de la décision no 2-57»).

    A cela la Haute Autorité répond que l'objet même et les nécessités du mécanisme de péréquation imposent l'interprétation d'un texte qu'elle reconnaît mal rédigé. L'expression «tonnages de ferraille achetés» se référerait essentiellement à la notion de ferraille d'achat, seule imposée, par opposition aux «ressources propres», non imposées, distinction qui a été plus clairement mise en relief par la suite. Ce qui importe, en l'espèce, continue la Haute Autorité, c'est le fait économique de la réception par l'entreprise d'une ferraille destinée à être consommée, et non l'opération juridique de la vente, résultant d'un contrat plus ou moins difficile à prouver, ressortissant d'ailleurs à des législations et à des systèmes juridiques divers et, au surplus, susceptible de non-exécution après sa conclusion. D'autre part, le système proposé par la requérante consacrerait une rupture de la corrélation qui doit exister entre le payement des contributions et le versement de la péréquation aux importateurs, puisque en effet la péréquation est accordée pour «les importations effectuées pendant la période de validité de la décision», même si elles sont le résultat de contrats d'achat conclus antérieurement; un tel manque de corrélation serait en contradiction avec le principe même du mécanisme de péréquation.

    Telles sont les deux thèses, sommairement résumées.

    Faut-il en conclure que la Cour se trouve aux prises avec un problème d'opposition entre la lettre d'un texte parfaitement clair et «l'esprit» de ce texte qui conduirait à lui donner un sens différent? C'est là une situation que les juges n'apprécient guère et un choix qu'ils cherchent de tout leur pouvoir à éviter, car, s'il est vrai qu'en principe il n'y a lieu à «interprétation» qu'en cas d'obscurité du texte, il répugne à l'esprit de justice d'appliquer à la lettre un texte manifestement contraire à ce qu'on appelle la «ratio legis», le législateur étant réputé raisonnable.

    Messieurs, que le texte en cause soit, en lui-même, parfaitement clair, cela n'est guère contestable et l'exégèse qu'en a faite la requérante semble pleinement convaincante: il nous paraît impossible de mettre la rédaction prétendue vicieuse de ce texte sur le compte d'une sorte d'«erreur de plume» que le contexte obligerait à rectifier. N'oublions pas, d'ailleurs, que nous sommes ici en une matière quasi-fiscale ou parafiscale dans laquelle les textes, selon les principes généraux, sont d'interprétation stricte.

    D'autre part, nous ne pensons pas que l'interprétation littérale, qui nous paraît s'imposer en raison de la clarté et de la précision du texte, soit, au moins de façon certaine, contraire à la ratio legis et que la Cour se trouve aux prises avec le dilemme auquel nous faisions allusion il y a un instant.

    Tout d'abord, il n'est pas exact de prétendre, comme le fait la Haute Autorité, qu'en cette matière seul le fait économique doit être retenu. La jurisprudence de la Cour, qui a déclaré légalement justifiées aussi bien l'imposition des ferrailles dites de groupe que l'exemption des «ressources propres», repose, vous le savez, sur une notion de l'entreprise basée sur la personnalité morale et le critère de la raison sociale, admis d'ailleurs par la Haute Autorité elle-même. Il s'ensuit que, d'après cette jurisprudence, les mouvements de ferraille d'une entreprise du groupe à l'autre, qui font l'objet d'un «transfert» opéré contre un «prix», donnent à la ferraille ainsi cédée le caractère de «ferraille d'achat» au sens des décisions de base. Sans doute, la Cour a-t-elle déchiré qu'il n'était pas nécessaire que ces transferts répondissent à «toutes les conditions que le droit civil national applicable exige pour la validité et l'efficacité d'un contrat de vente» ( 1 ) ; nous-mêmes, dans nos conclusions sur les affaires 32 et 33-58 (première affaire S.N.U.P.A.T.), avions remarqué que les cessions de ferraille entre la Régie Renault et la S.N.U.P.A.T. répondaient aux exigences simplifiées du code de commerce pour la constatation de la vente en droit commercial. Mais si la Cour s'est ainsi montrée peu exigeante au regard de l'application des règles du droit civil, c'est parce qu'il s'agissait en l'espèce de ferrailles de groupe dont les mouvements se font selon des directives générales émanant des dirigeants du groupe, le principe de la cession étant établi une fois pour toutes sans qu'il soit nécessaire, pour prouver l'existence du contrat, d'exiger une commande et une acceptation pour chaque lot transféré. Ce libéralisme, qui s'inspire du souci de respecter les nécessités de la vie commerciale, n'en prouve pas moins que c'est un transfert de propriété, au sens le plus juridique, d'une entreprise à une autre qui justifie légalement l'imposition: c'est très exactement ce qu'a encore dit la Cour dans le deuxième arrêt S.N.U.P.A.T., Recueil, VII, p. 155, et, dans ce même arrêt, le raisonnement se conclut de la manière suivante : «qu'il y a donc lieu de considérer comme “ferraille d'achat” toutes les ferrailles dont il y a transfert de propriété contre fixation d'un prix, que ce transfert soit effectué en vertu d'un contrat de vente au sens propre du terme ou en vertu d'un contrat assimilable…»(Recueil, VII, p. 158).

    Donc, c'est bien à une notion juridique que la Cour s'est référée pour caractériser l'achat, de même que la Haute Autorité l'avait fait de son côté dans sa lettre du 18 décembre 1957 pour définir les «ressources propres» suivant «la valeur sémantique du terme» ; il n'est d'ailleurs pas douteux que le recours à de telles notions juridiques était seul de nature à justifier l'assujettissement à la contribution de péréquation des ferrailles de groupe.

    Dans ces conditions, comment écarter a priori comme absurde ou, tout au moins, irréductible à l'essence même du mécanisme de péréquation tout recours à un concept juridique de l'achat?

    Cela nous paraît d'autant moins défendable que, comme l'a fait justement remarquer l'honorable avocat de la requérante, la Haute Autorité, dans ses décisions mêmes, a utilisé à plusieurs reprises l'expression d'achat par opposition à celle de réception dans des conditions qui font apparaître à l'évidence que les deux notions, loin de se confondre, se distinguent nettement. Qu'il suffise de se référer, par exemple, à l'article 2, a, de la décision 14-55 («l'obligation d'effectuer la péréquation des ferrailles importées des pays tiers ou assimilées vaut pour les tonnages achetés pendant la période de validité de la présente décision»), rapproché de l'article 3 («le montant des contributions est calculé au prorata des tonnages de ferrailles d'achat reçus pendant la durée de validité de la présente décision») ; ou encore aux dispositions particulièrement précises de l'article 17 de la même décision et à celles de l'article 19 de la décision 2-57, où l'on distingue, pour les mêmes tonnages, la date de l'achat et celle de la réception, ce qui montre, d'ailleurs, que, dans l'esprit de la Haute Autorité, il doit être possible de déterminer la date de l'achat sans difficultés majeures.

    Jusqu'ici, nous n'avons raisonné qu'en analysant et en comparant les textes pour montrer que le terme «achat» ou «acheté» était normalement employé dans les diverses décisions réglementaires au sens juridique du terme et qu'il n'est guère possible de présumer une erreur de rédaction dans le texte en cause telle qu'elle équivaudrait à un véritable lapsus.

    Mais il est une autre raison, plus positive sinon déterminante, qui nous paraît pouvoir être invoquée pour justifier en droit la solution résultant de l'interprétation littérale: c'est le principe de non-rétroactivité.

    Il ne faut pas oublier, en effet, que la décision 22-54 constitue le point de départ du mécanisme obligatoire. Le mécanisme facultatif autorisé antérieurement par la Haute Autorité en vertu de l'article 53, a, du traité venait à expiration le 31 mars 1954 (article 4 de la décision 33-53 du 19 mai 1953, modifié par la décision 43-53 du 11 décembre 1953), et a dû être mis en liquidation. Sans doute, on aurait pu concevoir que les entreprises qui étaient déjà affiliées au mécanisme facultatif continuent à supporter, sous le nouveau régime, des contributions afférentes à des achats effectués avant la date de l'entrée en vigueur de ce régime, mais le bien-fondé et peut-être même la légalité d'une telle solution eussent été très contestables à l'égard des «nouveaux venus», affiliés d'office. Nous sommes ici en présence d'un système parafiscal et il pouvait sembler conforme au principe de non-rétroactivité de la loi fiscale, principe sans doute commun à nos six pays, de ne faire porter la contribution que sur les tonnages résultant d'opérations conclues à partir de la date d'entrée en vigueur de la décision. Notons que la société requérante n'avait pas adhéré au mécanisme facultatif, bien que son directeur général ait fait partie pendant un certain temps, sans doute à titre personnel, du conseil d'administration de l'O.C.C.F.

    Quant à l'objection tirée par la défenderesse de ce que la thèse de la requérante aboutirait à une double imposition en ce qui concerne les ferrailles achetées avant le 1er avril 1955 mais reçues après cette date, elle est sans grande valeur. Il s'agit là d'un problème classique d'application dans le temps qui, à notre sens, devrait être résolu de la manière suivante: l'article 11 de la décision 14-55 dispose que «la présente décision entrera en vigueur à l'intérieur de la Communauté le 1er avril 1955». Donc, c'est à cette date qu'elle se substitue à la décision précédente (sauf dispositions contraires telles que celles qui figurent à l'alinéa 2 de l'article 11 pour les importations); d'où il suit que les tonnages de ferraille achetés à l'intérieur de la Communauté avant le 1er avril 1955, mais non encore reçus à cette date, seraient soumis à la contribution au titre de la nouvelle décision (article 3 de la décision 14-55), sauf évidemment le cas, peu probable, où elles auraient déjà acquitté la contribution au titre de la décision 22-54.

    A la vérité, ces questions d'application successive n'ont guère d'importance lorsqu'il s'agit simplement de passer du régime d'une décision au régime d'une autre pendant que le mécanisme est en fonctionnement, car il ne peut y avoir alors rupture dans ce fonctionnement: la Caisse reste toujours alimentée par les contributions des entreprises consommatrices et débitrice, en contrepartie, des versements de péréquation aux importateurs. Peu importe que, à une date donnée, certaines contributions soient dues et certains versements soient effectués au titre de décisions différentes dont l'une a remplacé l'autre; l'essentiel est que la continuité du fonctionnement soit assurée.

    En revanche, la question devient importante et doit être réglée d'une manière précise au début et à la fin du mécanisme, et cela aussi bien pour la contribution que pour le versement de la péréquation. Pour la fin, c'est ce qui a été fait par l'article 19 de la décision 2-57, puis, le régime ayant été encore une fois prolongé, par l'article 16 de la décision 16-58 du 24 juillet 1958. Pour la mise en route du mécanisme, c'est la décision 22-54 qui règle la question: article 2 pour le point de départ de l'octroi de la péréquation aux importateurs et article 3 pour le point de départ du versement des contributions. Cette dernière disposition, nous l'avons vu, est claire, précise et légalement justifiée: les contributions ne sont dues que pour les ferrailles «achetées» à partir du 1er avril 1954, qu'il s'agisse d'ailleurs des achats à l'intérieur de la Communauté ou des achats à l'importation des pays tiers. Quant aux versements de péréquation, ils seront attribués d'après l'article 2, à raison des «importations effectuées» à partir de cette même date du 1er avril 1954.

    Que faut-il entendre par «importations effectuées»? Peut-être serait-il plus équitable de ne verser la péréquation qu'à raison des importations ayant fait l'objet d'achats postérieurs au 31 mars 1954, ce qui éviterait ainsi de faire supporter aux «nouveaux venus» leur quote-part d'une charge qui est afférente à des opérations conclues avant l'entrée en vigueur d'un mécanisme qu'ils subissent et qui, logiquement, devrait plutôt incomber aux seuls participants du mécanisme volontaire. Une telle solution serait en accord avec ce qui a été admis pour la fin du mécanisme obligatoire (article 19 de la décision 2-57 et article 16 de la décision 16-58) : la péréquation continue à s'appliquer aux importations de ferrailles reçues après la date d'expiration du mécanisme, pourvu que ces ferrailles aient été achetées avant cette date.

    Peut-on faire un tel effort d'interprétation de l'article 2 de la décision 22-54? Ce n'est pas certain, encore que les termes «importations effectuées» soient moins précis que l'expression «tonnages de ferraille achetés» figurant à l'article 3 qui, celle-là, ne peut à notre avis donner lieu à interprétation. Mais vous n'avez pas aujourd'hui à trancher ce problème. Il suffit de constater que, si l'effort d'interprétation de l'article 2 dans le sens que nous venons d'indiquer n'apparaissait pas possible, il en résulterait seulement que le montant des contributions dues pour l'application de la décision 22-54 devrait être révisé, peut-être, comme le prétend la Haute Autorité, au désavantage final d'entreprises comme les Forges de Clabecq, mais non que le système ne serait pas viable.

    D'autres questions devront encore être résolues et, d'abord, de déterminer à quelle date les achats de ferraille doivent être regardés comme ayant eu lieu. Ceci pose des questions de droit: A quelles conditions le contrat de vente est-il réalisé? Faut-il exiger une commande en bonne et due forme? Un accord verbal, ultérieurement confirmé, suffit-il? etc. Vous avez entendu ces questions discutées à la barre. Ensuite, il faudra faire l'application à l'espèce et vérifier si les 20.682 tonnes litigieuses correspondent bien, en tout ou en partie, à des achats antérieurs au 1er avril 1954. A cet égard, le «libéralisme» dont votre jurisprudence fait preuve, en s'inspirant des usages et des nécessités du commerce, devrait fournir des indications utiles aux parties.

    Mais, Messieurs, vous n'avez pas, dans le cadre d'un recours en annulation portant sur une pure question de droit, et si vous êtes amenés à faire droit à ce recours, à établir vous-mêmes le tonnage qui devrait échapper à la contribution en conséquence de votre arrêt. Cette tâche incombe à la Haute Autorité en vertu de l'article 34 du traité.

    Conformément aux dispositions mêmes de cet article, nous concluons :

    à l'annulation de la décision attaquée;

    au renvoi de l'affaire devant la Haute Autorité pour être prises par elle les mesures que comporte l'exécution de la décision d'annulation;

    et à ce que les dépens soient supportés par la Haute Autorité.


    ( 1 ) Recueil, VIII, p. 646.

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