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Document 61962CC0026

    Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 12 décembre 1962.
    NV Algemene Transport- en Expeditie Onderneming van Gend & Loos contre Administration fiscale néerlandaise.
    Demande de décision préjudicielle: Tariefcommissie - Pays-Bas.
    Affaire 26-62.

    édition spéciale anglaise 1963 00003

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1962:42

    Conclusions de l'avocat général

    M. KARL ROEMER

    12 décembre 1962

    Traduit de l'allemand

    SOMMAIRE

    Page
     

    Introduction

     

    Examen juridique

     

    I — Ordre de l'examen

     

    II — Première question

     

    1. Recevabilité

     

    2. Examen de la première question

     

    III — Seconde question

     

    1. Recevabilité

     

    2. Examen de la seconde question

     

    IV — Conclusion

    Monsieur le Président, Messieurs les Juges,

    La présente affaire a son origine dans un procès en instance devant la Tariefcommissie, un tribunal administratif néerlandais. Ce dernier est saisi d'une action en annulation d'une décision du fisc néerlandais du 6 mars 1961, relative à l'application d'un certain droit de douane pour l'importation d'urée-formaldéhyde en provenance de la république fédérale d'Allemagne. Cette décision se fonde sur le nouveau tarif douanier néerlandais entré en vigueur le 1er mars 1960 et qui a été élaboré dans le protocole de Bruxelles du 25 juillet 1958 par le royaume de Belgique, le grand-duché de Luxembourg et le royaume des Pays-Bas; il a été ratifié dans ce dernier pays par la loi du 16 décembre 1959.

    Les parties à la procédure sont d'accord avec la Tariefcommissie sur le fait qu'au moment de l'importation (9 septembre 1960) les marchandises importées ont été correctement classées sous une position tarifaire déterminée du tarif douanier en vigueur. Mais ce tarif a été établi par dérogation au tarif ancien ( 1 ) en vigueur d'après la nomenclature de Bruxelles ( 2 ), ce qui a entraîné une modification des anciennes positions tarifaires.

    Alors que la denrée en question, comme deux décisions de la Tariefcommissie permettent de s'en rendre compte, était classée avant le 1er mars 1960 dans une catégorie frappée d'un droit de 3 % d'après le tarif douanier néerlandais («Tariefbesluit» 1947), après l'introduction de la nomenclature de Bruxelles elle a été frappée d'un droit plus élevé à la suite du regroupement d'anciennes positions tarifaires.

    C'est pourquoi la partie plaignante a jugé que cette modification du tarif douanier par le protocole de Bruxelles contrevenait à l'article 12 du traité C.E.E. et que la décision prise par l'administration des douanes devait être annulée compte tenu des dispositions du traité C.E.E.

    La Tariefcommissie n'a pas tranché ce problème, mais elle l'a soumis à la Cour le 16 août 1962, d'après l'article 177 du traité, en lui demandant de trancher deux questions à titre préjudiciel. Elle désirait savoir:

    «1)

    Si l'article 12 du traité C.E.E. a un effet interne comme le prétend la requérante, en d'autres termes si les ressortissants des États membres peuvent faire valoir, sur la base de l'article en question, des droits subjectifs que le juge doit sauvegarder;

    2)

    Dans l'affirmative, s'il y a eu augmentation illicite du droit d'entrée ou bien s'il s'agit seulement d'une modification raisonnable des droits applicables antérieurement au 1er mars 1960, modification qui, bien que représentant une augmentation du point de vue arithmétique, ne doit toutefois pas être considérée comme interdite aux termes de l'article 12.»

    Selon l'article 20 du statut de la Cour de justice de la C.E.E., le greffier a notifié la demande de décision préjudicielle aux parties à la procédure devant le tribunal national, aux États membres et à la Commission. Les parties au procès, les gouvernements du royaume des Pays-Bas, du royaume de Belgique, de la république fédérale d'Allemagne et la Commission de la C.E.E. ont remis des observations écrites. Au cours des débats oraux, seule la requérante et la Commission de la C.E.E. ont pris la parole. Nous mentionnerons le contenu de toutes ces remarques en étudiant la demande de décision préjudicielle.

    Examen juridique

    I — ORDRE DE L'EXAMEN

    Certaines observations écrites ont suggéré à la Cour de commencer par répondre à la seconde question.

    Selon la conception du gouvernement néerlandais, celle-ci repose sur l'idée qu'il y aurait un conflit entre l'article 12 du traité C.E.E. et le protocole de Bruxelles (qui constitue la base du tarif douanier critiqué). Cette idée reposerait sur une fausse interprétation du traité C.E.E. L'accord Benelux n'aurait pas entendu déroger de façon illicite au traité C.E.E. Répondre en ce sens à la seconde question, c'est ôter tout objet à la première.

    Il nous semble indiqué, pour des motifs de bonne procédure, de consacrer tout d'abord quelques instants à cette thèse.

    En principe, nous estimons que, dans sa réponse à des questions d'interprétation, la Cour est tenue de suivre l'ordre adopté par le tribunal qui l'a saisie, cela à tout le moins lorsque cet ordre se détermine en fonction du degré d'importance des questions à trancher pour le procès national et si les questions posées sont, d'après le système du droit communautaire, dans un rapport matériel et logique qui permette de respecter l'ordre choisi. Mais nous n'aurons pas à approfondir ce problème dans le cas d'espèce.

    Il ne serait possible de penser à inverser cet ordre que si, à première vue, avant d'entrer dans l'examen proprement dit, il devait apparaître que la seconde question est plus simple et devrait faire l'objet d'une réponse dans un sens qui, à coup sûr, rendrait inutile l'examen de la première. Mais, à notre avis, en l'espèce, il n'est pas possible de reconnaître indubitablement que la seconde question n'a que l'aspect mentionné par le gouvernement néerlandais, qu'elle présente un moindre degré de difficulté et qu'elle exige un examen moins poussé, ni qu'il y ait toute vraisemblance que la réponse à lui donner aille dans le sens indiqué par le gouvernement néerlandais. Cette réflexion suffit pour conserver l'ordre d'examen choisi par la Tariefcommissie lequel, en outre, nous semble-t-il, répond aussi à la logique. Une interprétation du contenu de l'article 12 ne peut en effet intéresser le juge néerlandais que s'il sait qu'il doit appliquer cette règle.

    II — PREMIÈRE QUESTION

    I. Recevabilité

    Il faut examiner d'office si la demande de la Tariefcommissie est recevable au sens de l'article 177 du traité. Il s'agit d'une question à laquelle les intéressés ne peuvent pas renoncer, car nous nous trouvons dans une procédure objective d'interprétation du traité. Naturellement, cela n'exclut pas que les intéressés soulèvent des questions de recevabilité. C'est ainsi que le gouvernement néerlandais et le gouvernement belge ont attiré l'attention sur les points suivants relatifs à la première question:

    1)

    Elle ne concerne pas l'interprétation d'un article du traité, mais elle est relative à un problème de droit constitutionnel néerlandais.

    2)

    La réponse à la première question n'a pas d'influence sur la solution des véritables difficultés du procès néerlandais. Même en cas de réponse affirmative à cette question, le juge néerlandais reste placé devant le problème de savoir à quelle loi de ratification (celle du traité C.E.E. ou bien celle du protocole de Bruxelles) il doit donner la préférence.

    Ces remarques doivent être examinées avant la solution des problèmes d'interprétation qui ont été posés.

    Sur le point 1

    La question de savoir si la Tariefcommissie a soumis à la Cour un problème de droit constitutionnel néerlandais amène cette remarque: il nous apparaît certain que le texte de la première question («si l'article 12… a un effet interne») fait penser que la Cour est placée devant une tâche qui dépasse ses compétences prévues à l'article 177. Il est impossible d'éclaircir de façon exhaustive la question de savoir quels sont les effets juridiques réels d'une convention internationale sur les ressortissants d'un État membre, sans tenir compte du droit constitutionnel national.

    Mais d'un autre cote il est clair que la question ne porte pas exclusivement sur des problèmes de droit constitutionnel. Les effets d'un traité international dépendent en premier lieu du point de savoir quelle portée juridique ses auteurs ont entendu donner à ses différentes dispositions, si elles ne contiennent que des programmes, des déclarations de volonté, des obligations de faire sur le plan international, ou bien si une partie d'entre elles doit avoir un effet direct sur l'ordre juridique des États membres. Si l'examen se limite à cet aspect, sans porter un jugement sur le point de savoir comment le droit constitutionnel national adopte les conséquences voulues du traité dans l'ordre juridique national, il se déroule dans le domaine de l'interprétation du traité. Même si la rédaction de la première question est peu heureuse, elle permet d'y voir une demande d'interprétation qui soit recevable et que la Cour peut dégager sans difficulté des faits présentés et peut examiner d'après l'article 177.

    Sur le point 2

    La seconde objection concerne la question de savoir si la solution du problème posé en droit communautaire présente de l'importance pour la solution du procès national.

    A mon avis, la Cour n'a en principe aucune compétence pour examiner cette question préalable. Comme le montre le texte de l'article 177, alinéa 2, qui doit aussi s'appliquer dans le cas du renvoi d'après l'alinéa 3 («… si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire… »), les tribunaux nationaux ont à cet égard une certaine liberté d'appréciation. Ils se font une idée de la solution du procès national et se demandent sur quel point leur processus d'idées en droit et en fait doit être complété à l'aide d'une interprétation du traité d'après l'article 177 qui ferait autorité. La Cour qui, en principe, ne doit pas appliquer le droit national, ne peut ni contrôler ni corriger les considérations qui se fondent sur le droit national, sous peine d'être accusée de dépasser les limites de sa compétence. Elle doit donc accepter le jugement que le juge national a porté sur les éléments de décision qui lui apparaissent nécessaires.

    Il est vrai que, dans des cas exceptionnels, une autre solution peut jouer en cas de faute manifeste d'appréciation (par exemple, en cas de faute contre les lois de la logique, d'erreur dans l'application des principes généraux du droit ou encore de méconnaissance de questions juridiques nationales résolues de façon claire, ce qui ferait apparaître la procédure de renvoi comme un abus de procédure).

    En ce qui concerne notre cas concret, il ne faut pas oublier qu'après une réponse positive à la première question il s'en pose une seconde. Il est possible que son examen amène une interprétation de l'article 12 selon laquelle il n'existerait pas de conflit entre le traité C.E.E. et le protocole de Bruxelles, parce que l'article 12 permettrait des dérogations dans certains cas spéciaux. En outre, nous ne pouvons pas apprécier l'importance que le juge néerlandais attacherait à un conflit éventuellement existant et comment il le trancherait. Pour tous ces motifs, il n'est pas possible de nier l'importance de l'interprétation demandée pour la solution du procès national et de refuser ainsi de répondre à la première question.

    Comme la première question ne soulève manifestement pas d'autres problèmes dans le cadre de la recevabilité, la Cour peut passer à l'examen de la question de fond.

    2. Examen de la première question

    Nous avons déjà mentionné que la question n'a pas été rédigée de façon heureuse. Mais son sens apparaît clair lorsqu'on la voit à la lumière du droit constitutionnel néerlandais.

    D'après son interprétation par la jurisprudence, l'article 66 de la Constitution néerlandaise donne aux conventions internationales la primauté sur le droit national lorsque les clauses des conventions ont un effet général obligatoire, c'est-à-dire lorsqu'elles sont directement applicables («self executing»). La question est donc de savoir si le traité C.E.E. permet de déduire ce caractère juridique de l'article 12 ou si ce dernier ne contient que l'obligation des États membres de ne pas prendre de règles de droit en sens contraire, obligation dont la violation n'entraînerait pas l'inapplicabilité du droit national.

    Les opinions énoncées au cours de la procédure ne sont pas unanimes. La partie plaignante dans le procès néerlandais et la Commission de la C.E.E. soutiennent que l'article 12 a un effet interne direct dont le sens est que les administrations et tribunaux des États membres doivent le respecter directement. Selon cette opinion, la première question devrait recevoir une réponse affirmative. Les gouvernements néerlandais, belge et allemand par contre ne voient dans l'article 12 qu'une obligation pour les États membres.

    Dans ses observations écrites et au cours des débats oraux, la Commission a tenté de fonder sa conception en présentant une vaste analyse sur la structure de la Communauté. De manière très impressionnante, elle a exposé que, par comparaison avec le droit international conventionnel et la pratique juridique générale interétatique, les traités européens constituent une innovation profonde et qu'il serait faux de ne les examiner qu'à la lueur des principes généraux du droit des gens.

    C'est à juste titre que ces constatations ont été faites dans une procédure qui pose la question de principe des rapports entre droit communautaire et droit interne.

    Celui qui est familier avec le droit de la Communauté sait qu'en fait il ne s'épuise pas dans des rapports contractuels entre plusieurs États en tant que sujets du droit des gens. La Communauté a ses propres institutions, indépendantes des États membres, dotées du pouvoir de prendre des actes administratifs et d'énoncer des règles juridiques qui créent directement des droits et des obligations non seulement pour les États membres et leurs administrations, mais aussi pour les ressortissants des États membres. Nous le déduisons clairement des articles 187, 189, 191 et 192 du traité.

    Le traité C.E.E. contient en outre des dispositions dont il est certain qu'elles sont destinées à agir directement sur le droit national et à le modifier ou à le compléter. Que l'on pense aux dispositions des articles 85 et 86 en matière de concurrence (interdiction de certaines ententes, interdiction de l'usage abusif d'une position dominante sur le marché commun), à l'application des règles sur la concurrence par les administrations des États membres (article 88), ainsi qu'à l'obligation des instances nationales de collaborer avec les institutions communautaires en matière de jurisprudence et d'exécution forcée (articles 177 et 192 du traité; articles 26 et 27 du statut de la Cour). A cet égard, on peut aussi indiquer des dispositions qui seront de nature à avoir des effets directs dans un stade ultérieur, par exemple, les dispositions du titre consacré à la libre circulation des personnes, des services et des capitaux (articles 48 et 60).

    Mais d'un autre côté il ne faut pas oublier qu'un grand nombre de dispositions du traité parlent en toutes lettres des obligations des États membres.

    Citons, dans la première partie relative aux principes de la Communauté, l'article 5 avec l'ordre adressé aux États membres de prendre toutes les mesures appropriées pour exécuter les obligations découlant du traité, ou l'article 8 qui prévoit la constatation que les objectifs fixés pour la première étape ont été atteints et que certaines obligations ont été respectées. Dans le titre relatif à la libre circulation des marchandises, on peut mentionner l'article 11 (obligations en matière de droits de douane) et l'article 37 (obligations en ce qui concerne les monopoles commerciaux d'État). Enfin, nous indiquerons encore, sans prétendre être complet, l'article 106 dans lequel les États membres s'engagent à autoriser des paiements dans une monnaie déterminée.

    La terminologie nuancée du traité et le contenu matériel et le contexte permettent sûrement de considérer que ces règles ne concernent en fait qu'une obligation des États membres.

    En outre, nous trouvons toute une série de dispositions qui, bien que rédigées sous une forme de déclaration, ne visent manifestement, d'après leur contenu et leur contexte, que des obligations des États membres et non pas des effets juridiques internes directs.

    Il s'agit des dispositions sur l'abolition des droits à l'importation, la suppression des droits à l'exportation, la baisse des droits de douane à caractère fiscal (articles 13, 16, 17), sur l'introduction progressive du tarif douanier commun (article 23), sur la suppression des contingents d'importation (article 32), sur la transformation des contingents bilatéraux en contingents globaux et sur l'augmentation de ces derniers (article 33), sur la transformation des monopoles commerciaux d'État (article 37), sur l'abrogation progressive des limitations à la liberté d'établissement (article 52), sur l'élimination des restrictions aux mouvements de capitaux (article 67) et sur l'élimination des discriminations dans le trafic (article 79).

    Par comparaison, il est relativement rare de rencontrer dans la terminologie du traité les termes d'«interdiction» ou d'«interdit», comme par exemple aux articles 7, 9, 30, 34, 80, 85 et 86. Et même, dans un certain nombre de ces prescriptions, surtout lorsqu'elles ne s'adressent pas aux ressortissants, le texte ou le contexte fait nettement ressortir, par renvoi à des réglementations à prendre ultérieurement ou à d'autres règlements d'exécution, qu'un effet juridique direct ne peut en résulter (articles 9, 30 et 34).

    Ce qui est remarquable, c'est que, même dans les dispositions qui contiennent la formule «incompatible avec le marché commun» (article 92 pour les aides accordées par les États), il n'est pas possible de penser à une application directe, car, d'après l'article 93, lorsque la Commission constate l'incompatibilité avec le traité de telles réglementations sur ces aides, elle a le pouvoir de décider que l'État en cause doit les supprimer ou les modifier dans un délai donné.

    Cette analyse nous permet de dégager une première conséquence: c'est que de vastes passages du traité ne contiennent certainement que des obligations pour les États membres et non pas des règles ayant un effet interne direct.

    C'est en conformité avec ce système que, dans le cadre de la juridiction supranationale, la répression des infractions au traité a été organisée. D'après l'article 169, la Commission assigne à l'État membre qui n'exécute pas ses obligations découlant du traité un délai au cours duquel il peut se conformer à l'avis de la Commission. Selon l'article 171, cet État doit prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour. Si, dans le droit de la Communauté, les rédacteurs du traité avaient conçu comme règle générale le principe de l'application directe des règles du traité dans le sens d'une prééminence par rapport au droit national, la procédure de sanction pourrait se borner à constater la nullité des mesures contraires au traité. La règle de l'article 171 tout au moins, si ce n'est même aussi la fixation du délai prévu à l'article 169, serait superflue.

    Si nous réfléchissons à la place que peut avoir l'article 12 dans ce système, dans cette échelle de possibilités juridiques, il convient de commencer par se remettre son texte dans l'esprit. Le voici:

    «Les États membres s'abstiennent d'introduire entre eux de nouveaux droits de douane à l'importation et à l'exportation ou taxes d'effet équivalent et d'augmenter ceux qu'ils appliquent dans leurs relations commerciales mutuelles.»

    Il nous semble sûr que la forme choisie, ce que d'ailleurs personne ne met en doute, n'exclut pas plus l'idée d'une obligation juridique que d'autres articles du traité qui ont recours à la même formule. Lui donner un rang juridique inférieur ne correspondrait pas à la signification de l'article 12 dans le cadre du traité. En outre, nous estimons que la possibilité d'exécution de l'obligation ne dépend pas d'autres actes juridiques des institutions de la Communauté, ce qui nous permet, dans un certain sens, de parler d'effets juridiques directs de l'article 12.

    Cependant, l'élément décisif dans la question de la Tariefcommissie est de savoir si cet effet se termine chez les gouvernements des États membres ou s'il doit pénétrer dans le domaine juridique national pour y provoquer une application directe par les administrations et tribunaux. C'est ici que commencent les véritables difficultés d'interprétation.

    Ce qu'il faut tout d'abord remarquer, c'est que les États membres y sont désignés comme destinataires, tout comme dans d'autres dispositions qui, manifestement, n'ont pour but que des obligations des États (articles 13, 14, 16, 17, etc.). Les États membres s'abstiendront d'introduire de nouveaux droits de douane ou n'augmenteront pas ceux qui sont appliqués. Il faut en déduire que l'article 12 n'envisage pas la pratique administrative, c'est-à-dire le comportement des administrations nationales.

    Mais, indépendamment de la désignation du destinataire, l'article 12 fait penser à la rédaction d'autres dispositions dont il me semble certain qu'elles ne créent que des obligations des États membres, car elles parlent expressément d'obligations, même si ce n'est que dans des alinéas ultérieurs (voir notamment les articles 31 et 37).

    Ici il conviendrait en outre de mentionner l'article 95 qui décide qu'aucun État membre ne frappe directement ou indirectement les produits des autres États membres d'impositions intérieures, de quelque nature qu'elles soient, supérieures à celles qui frappent directement ou indirectement les produits nationaux similaires, pour continuer ainsi dans son alinéa 3: «les États membres éliminent ou corrigent, au plus tard au début de la deuxième étape, les dispositions existant à l'entrée en vigueur du présent traité qui sont contraires aux règles ci-dessus.»

    Il faut remarquer en outre dans la formule de l'article 12 qu'elle n'utilise pas des termes tels que «interdiction», «interdit»«incompatible», «sans effet», qu'on retrouve dans d'autres dispositions du traité. C'est précisément lorsqu'une disposition est destinée à être directement appliquée, c'est-à-dire à l'être par les administrations des États membres, qu'il est impossible de renoncer à une indication précise des effets juridiques envisagés.

    Mais il faut avant tout se demander si, par son contenu, l'article 12 paraît de nature à être appliqué directement. Il est à souligner que, tout au moins dans le stade actuel, les États membres conservent encore dans une grande mesure des pouvoirs législatifs en matière douanière. Dans certains États membres, ils aboutissent à des lois formelles. L'application directe de l'article 12 prendrait donc souvent le sens d'un contrôle des actes législatifs par les administrations et les tribunaux des États membres à l'aide des dispositions de l'article 12.

    Si l'on examine l'objet de cette disposition, il apparaît qu'en dépit de la première apparence elle a une nature très complexe. Une application directe qui ne soulèverait pas de problèmes ne paraît donc guère possible.

    L'article 12 s'applique entre autres aux taxes d'effet équivalent. Nous avons vu récemment dans un autre procès les difficultés que pouvait amener la délimitation exacte de cette notion. De plus, l'article 12 vise les droits de douane ou taxes d'effet équivalent appliqués à un moment donné. Dans la pratique de notre Cour, nous avons appris que même le terme «appliqué» peut causer des difficultés sérieuses d'application. Enfin, ce procès lui-même montre combien peut soulever de problèmes la constatation d'une augmentation des tarifs appliqués lorsqu'elle tient à une modification de la nomenclature tarifaire.

    Ces difficultés apparaissent encore plus nettement lorsqu'on pense qu'en matière de législation douanière les États ne sont pas seulement soumis à une obligation de ne pas faire. D'après le traité, ils sont tenus d'adapter constamment leur réglementation douanière à l'évolution du marché commun. Or, si le système douanier se modifie continuellement, le contrôle du respect de la clause supplémentaire de standstill de l'article 12 n'est sûrement pas facile.

    Nous comprenons difficilement comment, vu ce fait, la Commission peut espérer que l'application directe de l'article 12 augmentera la sécurité juridique.

    Peut-on réellement supposer que les entreprises se basent, sur le plan commercial, sur une certaine interprétation, une certaine application des dispositions du traité, ou bien ne se fonderont-elles pas plus sûrement sur les dispositions douanières nationales positives?

    A elles seules, ces considérations donnent déjà assez de motifs pour se prononcer contre l'application interne directe de l'article 12. Mais il faut encore ajouter ceci:

    La situation de droit constitutionnel dans les États membres et plus particulièrement l'appréciation des rapports entre droit supranational ou international et législation nationale ultérieure sont loin d'être uniformes.

    Si l'on reconnaissait à l'article 12 un effet interne direct, il en résulterait cette situation que, dans une partie des États membres seulement, des infractions à l'article 12 entraîneraient la nullité et la non-applicabilité de la réglementation douanière nationale. Cela nous paraît être le cas aux Pays-Bas, dont la Constitution (article 66) donne aux conventions internationales, avec des règles générales obligatoires et directement applicables, un rang supérieur aux lois nationales, au Luxembourg [où la jurisprudence, en l'absence de disposition explicite de la Constitution, en est arrivée en gros au même résultat ( 3 ) ] et peut-être en France [peut-être, parce que l'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 n'est pas très net au sujet des lois postérieures et contient en outre une réserve de réciprocité ( 4 ) ].

    D'un autre côté, il est certain que la Constitution belge ne contient pas de dispositions sur la force juridique des traités internationaux par rapport au droit national. Ils semblent avoir en jurisprudence le même rang que le droit national.

    De même, le texte de la Constitution italienne ne contient aucune disposition permettant d'en déduire que les traités internationaux ont la suprématie sur le droit national. Jurisprudence et doctrine dominante ne donnent pas aux traités un rang supérieur, tout au moins par rapport aux lois nationales ultérieures.

    Enfin, en ce qui concerne le droit constitutionnel allemand, l'article 24 de la loi fondamentale décide que la Fédération peut déléguer par mesure législative des droits de souveraineté à des institutions internationales. L'article 25 dispose que les règlesgénérales du droit des gens font partie intégrante du droit fédéral, qu'elles ont priorité sur les lois et qu'elles produisent directement des droits et obligations pour les habitants du territoire fédéral. Cependant, la jurisprudence n'en déduit pas, contrairement à certains auteurs, une prééminence des traités internationaux sur les lois nationales promulguées ultérieurement ( 5 )

    Les auteurs du traité avaient cette situation du droit constitutionnel sous les yeux lorsqu'ils ont rédigé les textes juridiques communautaires. A notre avis, elle fait apparaître comme douteux que, en ce qui concerne cette disposition très importante pour la législation douanière, les auteurs aient pu vouloir admettre les conséquences d'une évolution inégale du droit, qui tiennent au principe de l'application directe, alors qu'elles ne sont pas en harmonie avec un objectif essentiel de la Communauté.

    Mais une évolution uniforme du droit ne serait pas non plus garantie dans les États dont le droit constitutionnel donne aux conventions internationales la primauté sur le droit national.

    Le traité ne connaît pas d'instrument sûr pour écarter ce risque. L'article 177 ne prévoit qu'un droit de renvoi à titre préjudiciel et une obligation de le faire lorsqu'il s'agit d'une question d'interprétation du traité et non pas du problème de la compatibilité du droit national avec le droit communautaire. On pourrait donc penser que des tribunaux nationaux omettent de procéder à un renvoi à titre préjudiciel à la Cour parce qu'ils ne voient pas de difficultés d'interprétation, mais qu'ils en viennent à des résultats différents dans leur interprétation propre du traité. De cette manière, il pourrait se produire des divergences dans l'application du droit entre les tribunaux des différents États ainsi qu'entre les tribunaux d'un seul et même État.

    Après tous ces examens, qui s'appuient sur une vue de l'ensemble du système du traité, sur le texte, le fond et le contexte de la disposition à interpréter, nous en venons à cette conclusion que l'article 12 doit être qualifié juridiquement de la même manière que les autres règles sur l'union douanière. Pour toutes, l'article 11 a une signification de principe lorsqu'il parle en termes explicites d'«obligations… en matière de droits de douane», ce qui exclut un effet interne direct au sens de la première question. Notre conviction est donc que la question no 1 de la Tariefcommissie doit recevoir une réponse négative.

    III — SECONDE QUESTION

    Cette proposition signifie que la seconde question du renvoi ne doit pas être traitée dans votre arrêt ni dans ses conclusions. Le tribunal qui saisit la Cour a posé expressément cette question de façon subsidiaire pour le cas où la Cour déciderait que le juge national doit appliquer directement l'article 12 du traité. Mais, même sans la réserve du juge qui saisit la Cour, la seconde question perd son importance après la réponse négative donnée à la première.

    Cependant, nous savons bien que la tentative de solution des problèmes qui sont abordés dans ce litige peut amener des réponses dont le contenu présente des contradictions sensibles. Nous pensons là non seulement aux divergences dans les exposés des parties au procès, mais aussi à la multiplicité des opinions que nous rencontrons sur le problème posé par ce procès dans la théorie et dans la pratique du droit public et du droit des gens. Pour ces motifs, nous soumettrons la seconde question de la Tariefcommissie à un examen subsidiaire dans lequel nous partirons de l'hypothèse où, sur la première question, vous auriez répondu que l'article 12 lie le juge national.

    Sur la seconde question, seuls le gouvernement néerlandais et le gouvernement belge, la Commission de la C.E.E. et la partie plaignante dans la procédure néerlandaise ont présenté des remarques personnelles.

    1. Recevabilité

    Tout comme pour la première question, le gouvernement belge et le gouvernement néerlandais ont commencé par soulever quelques problèmes de recevabilité. Ils font notamment valoir que:

    1)

    La seconde question est irrecevable parce qu'elle concerne l'application du traité et non pas son interprétation;

    2)

    La seconde question cherche à tourner la procédure des articles 169 et 170 du traité; les particuliers ne pourraient pas s'en prendre indirectement à l'attitude des États membres; il ne serait pas admissible de porter devant la Cour une prétendue violation du traité en se fondant sur l'article 177.

    Sur le point 1

    A la lecture du texte de la seconde question, on ne peut cacher l'impression que c'est une application du traité qui est attendue de la Cour.

    L'article 177 du traité, pour autant qu'il présente de l'intérêt ici, ne parle que d'interprétation du traité. Par interprétation, on entend la définition du sens d'une disposition lorsque sens et objectif ne sont pas clairs d'après leur texte. Il faut en distinguer l'application d'une règle à un cas particulier, l'examen du point de savoir si certains faits peuvent être soumis à une disposition légale et l'appréciation des faits qui en résulte. Les limites entre interprétation et application sont parfois difficiles à distinguer, surtout lorsque l'interprétation se limite à un aspect particulier et lorsque le problème d'interprétation est clarifié par l'exposé des faits auquel procède le tribunal qui saisit la Cour, ce qui peut apparaître utile pour faciliter la tâche de celle-ci. Cependant, nous ne voudrions pas admettre que dans le cas d'espèce la demande du tribunal néerlandais tende à un examen de l'application du traité par la Cour. Nous pouvons renvoyer ici à la première procédure de renvoi (13-61), au cours de laquelle la Cour a constaté qu'il était permis au tribunal national de formuler de manière concrète et simple l'objet des questions formant le renvoi (Recueil, VIII, p. 102).

    Sur la base de l'ensemble du contenu de la décision de renvoi, la Cour a la possibilité de déduire la substance et le but de la question posée et d'y répondre de façon générale dans le cadre de ses compétences. En tout cas, nous resterons dans les limites de la compétence de la Cour et nous ne nous étendrons pas sur l'application du traité à un cas particulier. Il ne sera pas nécessaire de procéder à des constatations de fait à cette fin. Mais, contrairement à ce qu'admet le gouvernement néerlandais, elles ne seraient pas exclues dans une procédure de renvoi à titre préjudiciel (cf. article 103, § 2, du règlement de procédure, lequel renvoie aux articles 44 et suivants de ce même règlement). La seconde question n'est donc pas sûrement irrecevable dans son entier.

    Sur le point 2

    Les doutes relatifs au rapport entre la présente procédure et celle des articles 169 et 170 du traité, et au risque de tourner cette procédure, amènent à faire les remarques suivantes:

    L'article 169 réglemente la constatation judiciaire des violations du traité commises par les États membres. Elle peut être réclamée par la Commission lorsque l'État membre intéressé ne se conforme pas à cet avis de la Commission. L'article 170 prévoit une procédure analogue: elle est introduite par le recours d'un État membre, le cas échéant sans avis préalable de la Commission.

    Dans le cas d'espèce, si la Cour traite la seconde question dans les limites de sa compétence, elle n'a qu'à donner une interprétation générale de l'article 12, de son sens et de son but, en laissant au juge national les conclusions à en tirer. Le dispositif et les attendus n'ont pas à dire un mot sur le comportement d'un État membre et l'arrêt n'a pas à constater si cette attitude est compatible avec le traité ou si elle en constitue une violation. La Cour n'a donc pas à porter une appréciation qui est réservée à la procédure des articles 169 et 170.

    Si l'on voulait soutenir que les articles 169 et 170 entendent exclure que des tribunaux nationaux constatent que certaines mesures d'un État membre dont ils relèvent seraient nulles en raison d'une infraction aux règles du traité, on contesterait ainsi l'existence de règles du traité qui peuvent être appliquées directement par les tribunaux nationaux. En effet, une applicabilité directe doit avoir pour résultat que les règles pourvues de cette qualité puissent déployer leurs effets sans restriction et même, le cas échéant, à l'encontre d'un droit national en sens contraire. Elle fait défaut lorsqu'une constatation préalable de notre Cour est nécessaire.

    Les articles 169 et 170, devons-nous conclure, concernent en premier lieu les cas où une règle du traité n'est pas applicable directement, mais contient simplement un ordre à l'adresse des États membres. Ici, sur un plan juridique et logique, il y a place pour une procédure de contrainte, c'est-à-dire pour une procédure dont le but est de modifier la situation juridique, mais non pas dans le cas d'une situation de conflit, dans laquelle le droit de la Communauté, en vertu de son applicabilité directe, s'imposerait de lui-même face au droit national.

    Comme la seconde question n'a été posée que pour le cas d'une réponse affirmative à la première, c'est-à-dire en admettant que l'article 12 a un effet direct interne, on ne peut donc pas voir dans votre réponse un moyen pour la Cour de tourner illégalement l'article 169.

    Nous ne voyons pas d'autre problème dans le cadre de la recevabilité. Nous pouvons donc aussitôt en venir à l'examen proprement dit de la seconde question.

    2. Examen de la seconde question

    Compte tenu des remarques sur la recevabilité, elle doit être comprise en ce sens que seuls de purs problèmes d'interprétation sont à considérer.

    D'après l'exposé fait par le tribunal néerlandais, cela veut dire que la Cour doit définir les critères permettant de savoir s'il y a une augmentation des droits de douane importante d'après l'article 12. En partant du texte de l'article 12, il s'agit avant tout, pour le procès néerlandais, d'une interprétation des termes «appliqué» et «augmenter».

    Dans ses observations écrites, la Commission s'est efforcée d'établir un ordre systématique pour les nombreuses questions secondaires en lesquelles la seconde question peut se décomposer.

    En ce qui concerne l'interdiction d'augmenter les droits à l'importation, on peut apercevoir les problèmes particuliers suivants:

    1)

    L'interdiction est-elle valable pour chaque produit en particulier, ou se porte-t-elle sur le niveau général des droits à l'importation?

    2)

    L'interdiction est-elle absolue, ou permet-elle certaines exceptions qui résultent, d'après son sens et son objectif, de l'article 12 lui-même ou de ses rapports avec d'autres dispositions du traité?

    Le terme «appliqué» amène également quelques questions secondaires:

    1)

    S'agit-il de savoir quels sont les taux qui sont appliqués en fait dans la pratique douanière?

    2)

    Faut-il tenir compte d'une pratique douanière qui a été provoquée par de fausses déclarations en douane?

    3)

    Comment faut-il apprécier dans la pratique douanière les décisions de la Tariefcommissie?

    4)

    Faut-il se placer au point de vue de la pratique douanière des Pays-Bas ou à celui des pays du Benelux en général?

    Pour le premier ensemble de problèmes, la Commission souligne tout d'abord, ce que d'ailleurs aucune des parties n'a mis en doute, que l'interdiction de l'article 12 est valable pour chaque produit. Le texte ne donne aucun indice du contraire; notamment, l'utilisation du pluriel (droits de douane) est éloquente. De même, on peut déduire des autres dispositions douanières de ce chapitre qu'elles sont applicables pour chaque produit (article 14), sauf s'il est fait mention expresse d'un calcul d'ensemble pour les mesures douanières (perception douanière totale, article 14).

    En outre, on ne peut nier que l'article 12 a un effet absolu qui ne tolère aucune exception. Sa fonction correspond, en matière de droits de douane, à celle de l'article 31 pour les restrictions quantitatives. Dans l'arrêt 7-61, la Cour s'est prononcée sur l'article 31 et elle a constaté avec force son effet absolu qui ne tolère aucune exception.

    La Commission, et nous estimons que c'est à bon droit, en tire la conséquence que même les difficultés que peut entraîner le remaniement de la nomenclature tarifaire ne donnent en principe aucune possibilité de s'écarter de l'interdiction de l'article 12. La Commission fait remarquer que, dès avant la conclusion du traité, les États membres se sont occupés des problèmes de la transposition des tarifs douaniers dans la nomenclature de Bruxelles. Ils ont donc été conscients de ses difficultés. Si, cependant, ils ont omis d'énoncer dans l'article 12 une réserve à cet effet, on ne peut y voir qu'un indice de l'effet absolu de cet article.

    Comme cela résulte du texte de la convention de Bruxelles sur la nomenclature pour la classification des marchandises dans les tarifs douaniers (du 15 décembre 1950), les parties contractantes ont la possibilité, à l'intérieur des positions de la nomenclature tarifaire, de créer des sous-positions pour y classer des produits et pour maintenir ainsi une différenciation des tarifs douaniers. La nomenclature de Bruxelles n'entraîne donc pas nécessairement comme conséquence la suppression de certains droits de douane.

    Les États membres de la C.E.E. peuvent en outre éliminer certaines difficultés provenant du remaniement de la nomenclature en réduisant leurs droits de douane intercommunautaires pour certaines positions au-dessous de la mesure prescrite par le traité, en évitant ainsi de violer la règle de l'article 12.

    Si l'on pouvait s'imaginer que dans certains cas il subsiste cependant des difficultés insurmontables, nous devrions remarquer que les explications générales, peu étoffées, des gouvernements néerlandais et belge intéressés ne laissent pas apparaître l'existence de ces difficultés. De plus, leur force de persuasion est atténuée par les déclarations du secrétaire d'État néerlandais aux finances dans le débat parlementaire sur le protocole Benelux ( 6 ) qui font apercevoir qu'il existait déjà, pour le produit en cause ici, d'après l'ancienne loi douanière de 1947, certaines difficultés de technique administrative douanière qui tenaient à la détermination exacte de la composition de ce produit et de ses possibilités d'emploi. On pourrait en tirer l'impression que les difficultés tenant à la transposition de la nomenclature des droits de douane n'ont pas été déterminantes pour le traitement prévu par le protocole de Bruxelles.

    Mais en fin de compte nous pouvons passer sous silence ces questions de fait. Nous constatons simplement qu'il n'est pas possible de reconnaître l'existence d'une possibilité juridique de déroger à l'interdiction absolue de l'article 12 pour les besoins de la modification de la nomenclature douanière, tout au moins en ce qui concerne les données de l'espèce.

    De même, l'article 233, qui décide explicitement que le traité C.E.E. ne s'oppose pas à l'existence et à l'accomplissement des unions régionales entre la Belgique et le Luxembourg ainsi qu'entre la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, ne permet pas d'assouplir la clause de standstill de l'article 12. Comme le fait apparaître l'adjonction des mots «dans la mesure où les objectifs de ces unions régionales ne sont pas atteints en application du présent traité», l'idée principale de cette disposition est de permettre aux États du Benelux d'accélérer et d'intensifier l'intégration régionale indépendamment du traité. Mais elle ne peut pas servir à justifier une violation des dispositions fondamentales élémentaires du droit de la Communauté qui ont été imposées également à tous les États membres et qui peuvent être respectées sans mettre en question les objectifs de l'union régionale qui connaissait un tarif extérieur commun dès avant l'entrée en vigueur du traité C.E.E.

    La notion de «droit de douane appliqué» est au centre du second ensemble de questions.

    Ici aussi nous pouvons commencer par renvoyer à un arrêt de la Cour. Dans l'affaire 10-61, elle a constaté que, pour l'article 12 comme pour l'article 14, c'est le droit de douane effectivement appliqué et non le droit légalement applicable qui constitue l'élément décisif. Cette conception s'appuie sur la constatation qu'il serait difficile pour la Cour de contrôler le droit national (la légalité de la pratique douanière existante) ainsi que sur le fait que la différence entre tarif «légalement applicable» et «tarif appliqué en fait» est courante dans le traité, comme le montre l'article 19.

    Nous ne voyons aucune raison de mettre en question le principe de cette décision. Mais dans ce procès il existe encore certains aspects particuliers du problème qui méritent de retenir l'attention.

    Il a été exposé que, dans certains cas, un droit de douane de 3 % seulement a été appliqué à des produits du genre de ceux qui ont fait l'objet de la décision douanière litigieuse, sur la base de fausses déclarations en douane. Ces cas ne présentent aucune difficulté. Il nous semble évident qu'une telle pratique ne doit en aucun cas être prise en considération, même s'il est établi qu'il ne faut pas s'en tenir aux droits de douane légalement applicables mais à la pratique de fait, car la ratio legis, selon laquelle c'est la pratique de l'administration des douanes qui est décisive pour les mesures commerciales, n'exige pas la protection des personnes dont le comportement est à l'origine de l'application incorrecte du tarif douanier. De fausses déclarations en douane ne peuvent donc jamais fonder une pratique déterminante pour le régime douanier du traité.

    Il a été soulevé en outre la question de l'importance des décisions de la Tariefcommissie prises après l'entrée en vigueur du traité et qui ont déclaré applicable aux produits en cause dans l'espèce un droit de douane de 3 % et non pas de 10 % et qui ont donc considéré comme illégale la pratique du fisc néerlandais. Pour éclaircir le problème, la Cour s'est fait remettre des explications écrites par les parties à la procédure orale. Comme leur contenu ne laisse aucun doute, rien ne s'oppose à leur utilisation dans la présente affaire. Voici l'image qu'ils nous donnent:

    D'après les explications de la requérante, dans le procès néerlandais, l'importation d'urée-formaldéhyde pure (donc du produit en cause ici) a été frappée d'un droit de douane de 3 % jusqu'à septembre 1956. A partir de cette date, l'administration des douanes a perçu un droit de 10 % sur ce même produit. La première modification de la pratique douanière a amené la requérante à engager un procès administratif qui a entraîné le 6 mai 1958 la décision ci-dessus mentionnée de la Tariefcommissie. Cette décision a eu pour conséquence que, pour les importations postérieures à septembre 1956, le droit de douane plus élevé qui avait été versé a été remboursé en partie, si bien que la charge est restée au chiffre de 3 %. Elle a entraîné cette autre conséquence que jusqu'en septembre 1959 c'est un taux de 3 % qui a été appliqué. A cette date, il s'est produit une nouvelle modification de la pratique douanière, caractérisée par l'application d'un taux de 10 %, d'où un nouveau recours administratif. Le 2 mai 1960, la Tariefcommissie a rendu une seconde décision dont le contenu était identique à celle du 6 mai 1958. Elle a eu pour effet le remboursement partiel du droit versé pour les importations faites entre septembre 1959 et le 1er mars 1960 (entrée en vigueur du nouveau tarif douanier).

    Si toutes ces indications sont exactes, et il n'y a aucune raison d'en douter, il faut constater que toutes les importations d'urée-formaldéhyde faites par la requérante et qui, d'après ses propres indications, auraient constitué la plus grande part de cette sorte d'importations aux Pays-Bas, ont été soumises provisoirement à un droit de 10 %, mais qu'à la suite de décisions judiciaires il a été procédé à une rectification qui a ramené en fait jusqu'au 1er mars 1960 la charge douanière à 3 %.

    Il faut maintenant se demander si, par application des principes énoncés dans son arrêt 10-61, la Cour ne peut tenir compte que de la pratique douanière qui a existé en fait jusqu'au 1er janvier 1958. A notre avis, ce n'est pas le cas. En effet, on ne peut pas oublier que si le rôle de la pratique douanière est mis en vedette, c'est avant tout parce que la Cour ne voulait pas procéder au contrôle de la légalité de la pratique effective.

    En l'espèce, la situation a été clarifiée sur le plan judicieux par une instance nationale et cela peu de temps après l'entrée en vigueur du traité. L'occasion en a été un recours qui a été introduit plusieurs mois avant l'entrée en vigueur du traité et dont le résultat final a été une rectification rétroactive à la date du 1er janvier 1958 au profit des milieux économiques intéressés.

    Ainsi apparaît une différence de fait que nous ne pouvons pas négliger. Le but essentiel de la règle de standstill de l'article 12 est d'empêcher une aggravation des difficultés du commerce entre les États membres. Cette règle se base sur la pratique, parce que, coutumièrement, les relations économiques se règlent en fonction de la pratique administrative. Dans notre cas, la pratique douanière a donné lieu assez longtemps à des contestations. Mais le conflit s'est soldé à l'avantage des importateurs. La rectification de la pratique sur la base de la situation juridique n'a donc pu apporter aucun préjudice à la pratique commerciale.

    Si donc, dans le cas de l'application de l'article 12, il est tenu compte d'une modification rétroactive de la pratique douanière provoquée par un jugement peu de temps après l'entrée en vigueur du traité, on ne peut y voir une violation de la règle de standstill, mais une application qui répond à l'esprit général du traité.

    Enfin, il s'est encore posé la question de savoir quelle est la pratique douanière qu'il faut considérer comme déterminante, celle des Pays-Bas ou bien celle qui régissait l'ensemble des États du Benelux au 1er janvier 1958. Pour la solution de cette question, il est possible, à notre avis, de passer sous silence le problème de savoir si, dans l'union douanière des États du Benelux, il existait, quant au tarif extérieur commun, un instrument pour garantir une pratique douanière uniforme. De même, on peut passer sous silence le point de savoir si, en dehors des Pays-Bas, il existait une pratique dans les États du Benelux pour le produit en question et, le cas échéant, si elle a évolué dans un sens différent, ou bien si les importations sont restées limitées aux Pays-Bas. En effet, croyons-nous, il ne nous reste aucune liberté dans l'appréciation juridique. A la différence de l'article 19, qui parle de quatre zones douanières et qui englobe donc la zone Benelux, l'article 12 parle des États membres. Nous devons en tirer la conclusion que pour la règle de standstill de l'article 12, qui envisage d'ailleurs la pratique douanière et non la situation juridique, la situation de fait dans chaque État membre est déterminante. Chacun des États membres du traité doit répondre envers tous ses partenaires et les institutions de la Communauté de l'exécution du traité.

    A notre avis, dans le cadre de l'article 177, la Cour ne peut donner sur cette seconde question plus que ces directives d'interprétation. Mais elles sont aussi suffisantes pour permettre au juge néerlandais d'appliquer correctement à son cas d'espèce les dispositions du traité, sous réserve qu'il ait à envisager l'application directe de l'article 12.

    Pour nous résumer, nous pouvons constater ceci pour la seconde question:

    L'article 12 a un effet absolu pour chaque produit en particulier; il ne tolère d'exception ni pour supprimer les difficultés que comporte le remaniement de la nomenclature, ni au profit d'unions régionales à l'intérieur de la Communauté. La question de savoir si l'introduction d'un nouveau tarif douanier entraîne des relèvements de droits doit être résolue d'après le tarif douanier appliqué en fait pour chaque produit à la date du 1er janvier 1958. La pratique douanière déterminante doit être recherchée sans tenir compte des cas de fausses déclarations en douane. Par contre, il faut tenir compte des rectifications obligatoires de la pratique douanière qui se sont produites aux Pays-Bas peu de temps après l'entrée en vigueur du traité, à la suite de décisions d'un tribunal administratif. Enfin, la pratique douanière dans chaque État membre est déterminante.

    IV — CONCLUSION

    Nous proposons à la Cour de limiter l'arrêt à la première question et de préciser que l'article 12 ne contient qu'une obligation pour les États membres.


    ( 1 ) Entré en vigueur en 1948 dans les trois pays du Benelux en vertu de la convention douanière du 5 septembre 1944.

    ( 2 ) Fixé dans l'accord du 15 décembre 1950 sur la nomenclature tarifaire pour la classification des marchandises dans les tarifs douaniers.

    ( 3 ) Pescatore: «L'autorité en droit interne des traités internationaux»; Pasicrisie luxembourgeoise. 1962, p. 99 et s.

    ( 4 ) «Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie.»

    ( 5 ) Gerhard Bebr: «The Relationship between Community Law and the Law of the Member States» (Restrictive Practices, Patents, Trade Marks and Unfair Competition in the Common Market).

    ( 6 ) Annexe IV de la demande.

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