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Document 52021IE2555

Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Autonomie stratégique, sécurité alimentaire et durabilité» (avis d’initiative)

EESC 2021/02555

JO C 105 du 4.3.2022, p. 56–62 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

4.3.2022   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

C 105/56


Avis du Comité économique et social européen sur le thème «Autonomie stratégique, sécurité alimentaire et durabilité»

(avis d’initiative)

(2022/C 105/09)

Rapporteur:

Klaas Johan OSINGA

Décision de l’assemblée plénière

25.3.2021

Base juridique

Article 32, paragraphe 2, du règlement intérieur

 

Avis d’initiative

Compétence

Section «Agriculture, développement rural et environnement»

Adoption en section

4.10.2021

Adoption en session plénière

20.10.2021

Session plénière no

564

Résultat du vote

(pour/contre/abstentions)

128/0/1

1.   Conclusions et recommandations

1.1.

De l’autonomie stratégique ouverte quand elle s’applique aux systèmes alimentaires, le CESE propose une définition qui a pour base les questions de la production d’aliments, de la main-d’œuvre et des échanges, et se place sous la visée globale de donner à tous les citoyens de l’Union européenne une garantie de sécurité et de durabilité de leur alimentation grâce à un approvisionnement équitable, durable et résilient en denrées saines.

1.2.

Plus spécifiquement, il conviendrait que l’Union européenne diversifie davantage ses systèmes alimentaires, qu’elle renforce les effectifs de l’agriculture, en particulier en attirant des jeunes dans ce secteur d’activité et en y garantissant des conditions de travail et des rémunérations décentes, et qu’elle mette ses politiques commerciales en cohérence avec ses normes en matière de durabilité alimentaire et ses impératifs de compétitivité (1).

1.3.

La meilleure voie à suivre pour assurer l’autonomie stratégique ouverte et la durabilité des systèmes alimentaires consiste à développer une panoplie d’instruments parmi lesquels figureront des mesures de gestion des risques qui aideront les chaînes d’approvisionnement alimentaire à gérer des situations exceptionnelles et les pouvoirs publics de l’Union européenne à agir alors sur-le-champ.

1.4.

Les événements qui se sont récemment produits sous l’effet de la COVID-19, de phénomènes météorologiques extrêmes imputables au dérèglement climatique et de cyberattaques témoignent de la nécessité d’améliorer la résilience et la durabilité des systèmes alimentaires. Dans le cadre de la stratégie «De la ferme à la table», la Commission européenne élabore actuellement, un plan d’urgence pour l’approvisionnement et la sécurité alimentaires de l’Union européenne, ainsi qu’un mécanisme connexe de réaction aux crises alimentaires (2). Ces initiatives devraient contribuer à sensibiliser davantage aux risques et s’attacher à repérer les principaux d’entre eux, les évaluer et en effectuer un suivi, au moyen d’épreuves de résistance aux pressions, au niveau de l’Union comme des États membres, ainsi qu’à favoriser la mise en œuvre de mesures pour résoudre les problèmes rencontrés.

1.5.

L’Union européenne a besoin d’un dispositif par lequel elle évitera qu’en raison d’interdépendances, certains événements localisés, comme les pannes électriques ou les cyberattaques, ne dégénèrent au point de devenir incontrôlables. On peut en citer pour exemples le cas d’une ville qui doit être placée sous confinement pour plusieurs semaines, d’une coupure de courant qui s’étend sur plusieurs jours, ou encore d’une cyberattaque lancée contre un acteur du secteur de la distribution alimentaire.

1.6.

Pour améliorer les mécanismes d’adaptation, il est également nécessaire de développer les systèmes alimentaires existants et, dans le même temps, de les diversifier, notamment sous la forme de modèles entrepreneuriaux pour les magasins à la ferme, l’agriculture urbaine et verticale et, plus généralement, l’approche de «production locale destinée aux besoins locaux». Cette démarche demande que les agriculteurs et les cultivateurs mettent en application les résultats de la recherche et l’innovation d’une manière plus étendue, et elle devrait contribuer à réduire autant que faire se peut le risque que des «déserts alimentaires» ne se forment et que la production ne souffre de morcellement (3). Dans le même temps, il conviendrait de renforcer les avantages que procure un système de distribution efficace qui part des exploitations pour aboutir aux marchés, en passant par les étapes de la transformation.

1.7.

Pour assurer une production à long terme d’aliments sains et disponibles en quantités suffisantes, tout en dégageant des sources de revenus viables, il importe d’utiliser les ressources naturelles d’une manière durable, qui préserve le potentiel édaphique et hydrique, lutte contre le changement climatique et les pertes de biodiversité et respecte le bien-être animal. L’Union européenne devrait également renforcer la production locale et régionale pour parvenir à articuler une production et une transformation alimentaires équilibrées avec une faible empreinte carbonique.

1.8.

La politique agricole commune joue un rôle essentiel en la matière, du point de vue économique, social et environnemental. Elle est censée stabiliser les marchés dans les phases de crise, tout en offrant un filet de sécurité aux agriculteurs et aux transformateurs et en assurant la protection de l’environnement, de la main-d’œuvre, du climat et du bien-être animal, et elle remplit une mission pour préserver les capacités stratégiques de production, la sécurité des denrées alimentaires et leur disponibilité en quantités suffisantes.

1.9.

Les exploitations et les terres agricoles fertiles, tout comme l’eau, constituent des actifs stratégiques et doivent bénéficier, dans l’Union européenne, d’un certain niveau de protection, car elles forment la colonne vertébrale de notre autonomie stratégique en matière alimentaire.

1.10.

Le CESE réitère sa recommandation d’envisager la possibilité de créer un Conseil européen de la politique alimentaire plurilatéral et à plusieurs niveaux (4). Dans le contexte d’une autonomie stratégique ouverte, un tel conseil pourrait jouer, entre autres, un rôle de surveillance et contribuer à l’évaluation et à l’anticipation des risques dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire.

1.11.

L’Union européenne doit s’assurer que ses frontières restent ouvertes en toute sécurité et que la main-d’œuvre et la logistique de la production et du transport alimentaires continuent à être opérationnelles, grâce à des «voies réservées» tant à l’intérieur de son territoire que pour les liaisons avec l’extérieur. À cette fin, il est indispensable de disposer d’un puissant mécanisme qui assure la coordination entre les États membres, la Commission européenne et les pays tiers.

2.   Introduction

2.1.

Le présent avis d’initiative vise à explorer le concept d’«autonomie stratégique ouverte» de l’Europe dans son rapport avec la sécurité et la durabilité alimentaires de demain, ainsi qu’à fournir, dans une perspective de long terme, des points de vue et recommandations d’action émanant de la société civile. Plus particulièrement, il entend fournir matière à réflexion à propos de certaines questions découlant d’événements récents, comme la pandémie de COVID-19, les phénomènes météorologiques extrêmes, les cyberattaques, ou encore les tensions politiques ou sociales.

2.2.

L’Union européenne devrait considérer l’«autonomie stratégique ouverte» comme une occasion d’assurer la sécurité de son approvisionnement en aliments et de fixer des normes élevées de durabilité alimentaire, en particulier dans le contexte du pacte vert pour l’Europe et des objectifs de développement durable des Nations unies. Le défi que la durabilité alimentaire représente pour l’Europe doit être relevé sur le front intérieur et extérieur tout à la fois, et le présent avis examinera aussi les moyens qui peuvent être envisagés pour protéger et améliorer la disponibilité d’aliments durables pour tous les citoyens de l’Union européenne, en particulier en période de crise.

2.3.

Le présent avis s’appuie sur diverses propositions et idées concrètes que le CESE a déjà formulées dans ses travaux antérieurs (5) et que l’on peut résumer comme suit:

favoriser une politique alimentaire globale de l’Union européenne, visant à assurer une alimentation saine à partir de systèmes durables en la matière, en articulant l’agriculture avec la nutrition et les services écosystémiques et en veillant à ce que les chaînes d’approvisionnement préservent la santé publique dans tous les segments de la société européenne. Une telle démarche, qui a maintenant trouvé une traduction dans la stratégie de la Commission «de la ferme à la table», devrait améliorer la cohérence entre les différents domaines d’action en rapport avec les aliments, redonner à la nourriture sa juste valeur et favoriser, sur le long terme, un basculement du productivisme et du consumérisme alimentaires vers une alimentation citoyenne,

renforcer le potentiel des chaînes courtes d’approvisionnement alimentaire, de l’agroécologie et des systèmes de qualité des produits,

garantir des prix équitables et interdire les pratiques commerciales déloyales,

incorporer le pacte vert, la stratégie «de la ferme à la table» et celle en faveur de la biodiversité dans tous les accords commerciaux que l’Union européenne conclura à l’avenir, à titre de normes mondiales de durabilité,

garantir, notamment par la création d’un Conseil européen de la politique alimentaire, que la société civile et tous les acteurs de chacun des maillons de la chaîne de l’approvisionnement alimentaire soient associés à la démarche et y participent de manière structurée.

2.4.

Enfin, le présent avis d’initiative a pour visée de fournir des intuitions utiles pour les travaux en cours concernant la stratégie «de la ferme à la table» du pacte vert, la politique agricole commune, le réexamen de la politique commerciale et le programme de prospective stratégique, en plaçant la sécurité et la durabilité alimentaires de l’Union européenne au cœur des analyses.

2.5.

En septembre 2021, les Nations unies ont organisé un sommet sur les systèmes alimentaires, visant à aider les pays à atteindre les 17 objectifs de développement durable (ODD), en particulier l’ODD 2, «faim zéro». Le CESE a apporté une contribution à ce débat (6).

3.   L’autonomie stratégique ouverte: ses composantes essentielles pour le système alimentaire

3.1.

Selon la Commission européenne, «l’autonomie stratégique ouverte met l’accent sur la capacité de l’UE de faire ses propres choix et de façonner le monde qui l’entoure par son rôle de chef de file et par son engagement, à la lumière de ses intérêts stratégiques et de ses valeurs». Grâce à elle, l’Union européenne peut devenir plus forte, d’un point de vue économique et géopolitique tout à la fois, en se montrant (7):

ouverte aux échanges et aux investissements qui aideront son économie à se redresser après les crises et à rester compétitive et connectée avec le reste du monde,

durable et responsable, prenant une position de chef de file à l’échelle internationale pour construire un monde plus vert et plus équitable, en renforçant les alliances existantes et en nouant le contact avec de nombreux partenaires,

ferme face aux pratiques déloyales et coercitives et prête à faire respecter ses droits, en favorisant toujours, dans le même temps, la coopération internationale pour la résolution des problèmes mondiaux.

3.2.

Il est nécessaire d’affiner la définition du concept d’«autonomie stratégique ouverte» quand il s’applique aux systèmes alimentaires. Le CESE souhaite contribuer à la réflexion sur la manière dont l’Union européenne peut mieux se préparer à faire face à de futures crises. Le plan de relance de l’Union européenne devrait intégrer cette démarche, par exemple au moyen de l’affectation des fonds de Next Generation EU.

3.3.

Le CESE suggère de définir l’autonomie stratégique ouverte en se fondant pour ce faire sur la production alimentaire, la main-d’œuvre et les échanges, et en se plaçant dans une visée globale qui entende donner aux citoyens de l’Union européenne une garantie de sécurité et de durabilité pour leur alimentation grâce à un approvisionnement équitable, durable et résilient en denrées alimentaires.

3.4.   La production alimentaire

3.4.1.

La question de la sécurité alimentaire doit être abordée sous l’angle international, national et local. Les villes, qui ne produisent que très peu d’aliments frais et forment donc des «déserts alimentaires», accueillent aujourd’hui 55 % de la population mondiale, et les Nations unies prévoient que ce pourcentage devrait atteindre 68 % d’ici à 2050. Les projections montrent qu’à cette date, la conjonction de l’urbanisation et de la croissance démographique générale à travers le monde pourrait gonfler les effectifs des zones urbaines de 2,5 milliards de personnes supplémentaires (8). Pour l’Europe, le taux d’urbanisation devrait augmenter pour atteindre alors, approximativement, 83,7 % (9).

3.4.2.

Au sein du marché intérieur de l’Union européenne, la majeure partie des produits alimentaires sont acheminés quotidiennement des zones rurales et usines de transformation vers les supermarchés implantés dans les aires urbaines. Lors des confinements de 2020 et 2021, toutefois, les commerces locaux, les magasins à la ferme et les boutiques en ligne ont gagné en popularité auprès des consommateurs.

3.4.3.

Le développement des circuits courts d’approvisionnement favorise la résilience de l’Europe. Les canaux de distribution locaux doivent être en adéquation avec les besoins de la population et les spécificités territoriales et climatiques. Il y a lieu de développer plus avant les capacités de transformation alimentaire à l’échelle locale.

3.4.4.

La diversification de la production contribuera également à rendre l’Union européenne plus résiliente. La stratégie «De la ferme à la table» prévoit un accroissement de la surface agricole consacrée à l’agriculture biologique; de même, les potagers communautaires et l’agriculture urbaine et verticale (10) offrent des pistes intéressantes, qui économisent des kilomètres de transports d’aliments et connaissent une popularité grandissante. Ces initiatives devraient être articulées avec d’autres démarches de production et de transformation alimentaires s’effectuant à l’échelle locale et régionale, de façon à offrir un filet de sécurité.

3.4.5.

L’une des priorités d’action de l’Union européenne devrait être de réaliser un inventaire des vulnérabilités en la matière. Il conviendrait que les États membres et la Commission européenne coopèrent pour détecter les lacunes, combattre le gaspillage alimentaire, développer des scénarios et coordonner des formations et une communication ciblées.

3.4.6.

La gestion intelligente des stocks d’aliments doit faire partie intégrante de l’autonomie stratégique ouverte dans le domaine alimentaire. Il y a lieu d’inclure dans cette démarche une rotation régulière des stocks stratégiques et d’éviter par ailleurs les manœuvres spéculatives de la part des opérateurs, notamment lorsqu’ils achètent des matières premières et des aliments à des prix inférieurs à leur coût (11), ainsi que les réactions brutales des marchés, en garantissant leur transparence.

3.5.   La main-d’œuvre

3.5.1.

Les jeunes qui ont la formation nécessaire pour pratiquer l’agriculture et sont désireux de le faire sont trop peu nombreux. Pour chaque agriculteur de moins de 35 ans, on en recensait, dans l’Union européenne de 2016, plus de six ayant dépassé les 65 ans (12),

3.5.2.

En outre, les agriculteurs continuent à porter une part disproportionnée du fardeau des dommages et pertes dus aux catastrophes. L’augmentation de la fréquence de ces événements et de leur intensité, tout comme la nature systémique des risques, bouleversent la vie des populations, opèrent des coupes sombres dans leurs moyens de subsistance et menacent tout notre système alimentaire.

3.5.3.

En Europe, il est primordial d’accroître le nombre de personnes actives dans l’activité agricole, de protéger l’agriculture et les terres agricoles fertiles et de fournir les systèmes de connaissances et d’innovation agricoles (SCIA) qui sont appropriés. Il convient d’inciter les jeunes hommes et femmes à s’investir dans l’agriculture et les y attirer pour qu’ils viennent travailler durablement dans des exploitations agricoles.

3.5.4.

Une des conditions sine qua non pour mettre en place un système alimentaire durable et résilient consiste à garantir que les travailleurs du secteur de l’agriculture et de l’alimentaire bénéficient de conditions de travail décentes, qu’ils soient ou non citoyens de l’Union européenne et indépendamment du niveau de la chaîne d’approvisionnement qui est concerné. Il conviendrait également de prévoir un financement adéquat, des salaires justes et plus élevés, des prix équitables, des subventions pour l’adaptation au changement climatique et des garanties pour les droits des saisonniers.

3.5.5.

De l’avis du CESE, une politique alimentaire globale de l’Union européenne se doit d’assurer une durabilité économique, environnementale et socioculturelle Il est dès lors primordial que la stratégie «De la ferme à la table» remodèle en profondeur les dynamiques de la chaîne d’approvisionnement et aboutisse à améliorer durablement les revenus et les conditions de subsistance des agriculteurs (13). On peut se demander si cet indispensable basculement aura bien lieu, dès lors que les incitations politiques et économiques qui s’imposent ne sont pas mises en place.

3.6.   Les échanges

3.6.1.

En 2020, la valeur des exportations agroalimentaires de l’EU-27 a été estimée à 184,3 milliards d’euros, en croissance de 1,4 % par rapport à 2019, tandis que ses importations, d’un montant de 122,2 milliards, ont enregistré une augmentation de 0,5 % en comparaison de l’année précédente. La balance des échanges de l’Union européenne pour l’agroalimentaire a affiché en 2020 un excédent de 62 milliards d’euros, soit 3 % de plus qu’en 2019 (14). Selon le Centre commun de recherche (CCR), chaque milliard d’euros de produits agroalimentaires exportés crée en moyenne 20 000 emplois, dont 13 700 dans le secteur primaire. Par ailleurs, l’agriculture assurait, en 2016, quelque 4,2 % du volume total de l’emploi dans l’Union européenne (15).

3.6.2.

Les principaux débouchés des produits agroalimentaires de l’Union européenne ont été le Royaume-Uni, les États-Unis, la Chine, la Suisse et le Japon, qui ont absorbé plus de 52 % du volume total de ses exportations. En 2020, les principaux pays de provenance pour les imports agroalimentaires comprenaient le Royaume-Uni, le Brésil, les États-Unis, l’Ukraine et la Chine.

3.6.3.

L’Union européenne joue un rôle de premier plan dans le commerce mondial des produits agroalimentaires et il est primordial que ses politiques en matière d’échanges soient en cohérence avec ses objectifs de durabilité. Dans un avis antérieur (16), le CESE a préconisé que tous les accords commerciaux que l’Union européenne conclura dans le futur incorporent, à titre de normes mondiales de durabilité, la stratégie «de la ferme à la table» et celle relative à la biodiversité qui figurent dans le pacte vert. Il a reconnu l’importance et la valeur que revêtent un commerce fondé sur des règles et fonctionnant dans un cadre de concurrence équitable, tout comme la contribution majeure qu’il apportera à la reprise économique de l’après-COVID-19.

3.6.4.

L’Union européenne devrait favoriser des pratiques qui ne requièrent que peu d’intrants agricoles, afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de ceux qui sont importés, en particulier pour ce qui est des combustibles fossiles et des pesticides, et d’accroître les capacités de permettant de les produire sur son sol.

3.6.5.

Nous avons besoin de systèmes novateurs, qui protègent et renforcent notre réservoir de ressources naturelles tout en favorisant une production efficace (17). Les nouvelles technologies, les robots et les vaccins sont des atouts importants à développer.

4.   La gestion des risques et les scénarios de résistance à la pression

4.1.

Selon la FAO, l’humanité et sa sécurité alimentaire doivent affronter une série de menaces nouvelles et sans précédent, comme les phénomènes météorologiques extrêmes dus au dérèglement climatique, les maladies ou les pandémies. L’agriculture est confrontée à toute une palette de dangers, qui, dans notre monde ultraconnecté, interagissent les uns avec les autres (18).

4.2.

La FAO indique qu’en 2020-2021 les prix alimentaires ont atteint leur niveau le plus élevé depuis 2011 (19). On affirme souvent que leur volatilité est en partie imputable à la spéculation, bien qu’il soit difficile de le prouver. Les Nations unies et l’OCDE rapportent qu’en 2020, un nombre de personnes compris entre 720 et 811 millions ont été confrontées à la faim. Cette même année, près du tiers des habitants de la planète, soit 2,37 milliards d’individus, n’ont pas eu accès à une alimentation adéquate en 2020, ce chiffre ayant augmenté, sur une seule année, de 320 millions de personnes (20).

4.3.

La pandémie de COVID-19 nous prouve que même en Europe, nous ne pouvons tenir la sécurité alimentaire pour acquise. Sur chaque maillon de la chaîne alimentaire, les intervenants et des activités sont tous imbriqués à l’extrême. Lors de la pandémie, certains pays ont instauré des restrictions aux échanges. Au sein même de l’Union européenne, des États membres ont arrêté des mesures unilatérales qui, du fait de la fermeture de leurs frontières, ont mis en difficulté le transport alimentaire et les travailleurs saisonniers. Parce que les agriculteurs et leurs partenaires de la chaîne de l’alimentation ont su s’adapter rapidement, la production, la transformation et la distribution de vivres ont pu se poursuivre. La Commission a également agi pour que le marché intérieur reste opérationnel. Toutefois, bon nombre d’entrepreneurs ont pourtant été touchés par la crise, en raison de la fermeture des services dans le domaine des déplacements, du tourisme et de l’alimentation.

4.4.

Les cyberattaques, comme celles qui s’effectuent par le truchement des rançongiciels, provoquent des crises dans le monde réel, car aujourd’hui, avec l’«internet des objets», toute une série d’éléments sont logés en ligne. L’agence de presse Associated Press a indiqué qu’en 2020, le montant moyen des rançons versées aux cybercriminels a augmenté de 311 %, pour atteindre 310 000 dollars, tandis qu’en moyenne, les victimes n’ont recouvré un accès à leurs données qu’après 21 jours (21).

4.5.

En avril 2021, la principale chaîne néerlandaise de supermarchés, Albert Heijn, a subi une rupture d’approvisionnement pour certains produits fromagers à cause d’une cyberattaque perpétrée contre l’un de ses grands distributeurs (22). Récemment, c’est le principal conditionneur de viande à l’échelle mondiale, JBS, qui a été attaqué de la sorte. Cet acte a avivé les inquiétudes des États-Unis concernant leur approvisionnement alimentaire national (23). Il apparaît que bien souvent, les entreprises s’abstiennent de faire état de pareilles agressions, pour éviter des réactions sur les marchés, par exemple sous la forme de stockages en pagaille ou d’une envolée des prix. Par ailleurs, certaines sociétés ont subi de graves dommages sous l’effet de cyberattaques dont elles n’étaient pourtant pas la cible directe, comme dans le cas des centaines de magasins de la Fédération coopérative en Suède qui ont dû fermer leurs portes en juillet 2021, lorsque le fournisseur de logiciels américain Kaseya a été visé par une attaque au rançongiciel (24).

4.6.

Un autre élément tout aussi préoccupant a été, au début du mois d’avril 2021, le blocage du canal de Suez par un porte-conteneurs de 200 000 tonnes. De tels incidents témoignent de la fragilité des chaînes mondiales d’approvisionnement. Si une rupture se produit dans l’une d’entre elles, ne fût-ce que quelques jours durant, la résorption du retard accumulé peut prendre beaucoup de temps et déboucher sur des hausses de prix, pour les consommateurs comme pour les entreprises.

4.7.

En septembre 2021, la Commission européenne a publié son rapport de prospective stratégique 2021, qui sera axé sur l’autonomie stratégique (25). Elle considère que «garantir des systèmes alimentaires durables et résilients» est l’un des principaux domaines stratégiques pertinents pour renforcer le rôle moteur de l’Union européenne à l’échelle mondiale. À cet égard, il est fait état de la nécessité d’investir dans l’innovation afin de préserver des systèmes alimentaires résilients et durables (26).

4.8.

En outre, dans un document technique récemment publié, le Centre commun de recherche a décrit le contexte dans lequel s’inscrivent les tableaux de bord présentés dans l’édition 2020 de ce rapport de la Commission européenne (27). La démarche inclut des indicateurs de vulnérabilité concernant l’accès aux services locaux et la dépendance vis-à-vis des importations alimentaires et met en évidence l’importance géopolitique de l’alimentation. Un tableau de bord aide à inventorier les vulnérabilités et développer des essais ciblés de résistance aux pressions. Toutefois, il s’agit là d’une approche générale, étant donné qu’il n’existe pas d’indicateur unique et que les tableaux de bord de la résilience sont en cours de révision.

4.9.

Il est nécessaire que les chaînes d’approvisionnement passent de la logique du «juste à temps» à celle du «au cas où». Une dépendance vis-à-vis de fournisseurs monopolistiques peut ouvrir la porte à des ingérences de la part de gouvernements hostiles. Elle est également susceptible de s’avérer problématique en ce qui concerne la fourniture d’intrants pour les agriculteurs et les entreprises du secteur de la transformation alimentaire. Aussi le CESE demande-t-il que la disponibilité des denrées alimentaires dans l’Union européenne fasse l’objet d’un examen du point de vue de la sécurité, qui devrait s’effectuer au moyen d’études de scénarios.

4.10.

Les essais de résistance aux pressions devraient servir à détecter les points vulnérables. Il s’agirait, par exemple, de déterminer quelles conséquences pourrait avoir une panne d’une durée de plusieurs jours qui surviendrait, à une échelle locale, régionale ou nationale, dans les réseaux de fourniture d’électricité ou de télécommunications. On s’accorde largement à considérer que ce cas de figure constitue, du point de vue de la demande, l’une des menaces majeures qui pèsent sur les infrastructures critiques d’un pays, dont son approvisionnement alimentaire. Parmi les incidences directes qui en résulteraient pour la fourniture d’aliments, on peut citer l’interruption de l’alimentation en électricité, en eau et en gaz, la perte des capacités de réfrigération et de congélation, l’impossibilité d’utiliser les équipements de cuisine, de cuisson et de traitement ou fabrication, l’absence de chauffage et d’éclairage, l’incapacité à respecter les impératifs de base en matière d’hygiène, ou encore la non-disponibilité du carburant nécessaire pour les véhicules de distribution ou d’autres usages dans la chaîne d’approvisionnement. Les impacts indirects de cette situation, dus aux dommages infligés à d’autres infrastructures critiques, pourraient cependant produire eux aussi des effets non négligeables. Si elle se prolongeait, l’indisponibilité des télécommunications et des systèmes d’échanges de données poserait des défis graves et pressants aux entreprises, pour leurs circuits de communication interne, ainsi qu’aux services de l’État, aux fournisseurs, à leurs clients et aux consommateurs, s’agissant de faciliter la diffusion des informations essentielles et de renouveler leurs commandes et effectuer leurs paiements par les canaux de transactions bancaires.

4.11.

Le CESE préconise de soumettre ce scénario à un examen plus fouillé.

5.   Recommandations concernant la voie à suivre

5.1.

Le concept de l’autonomie stratégique ouverte offre des perspectives mais pose aussi certains risques. La prospérité de l’Union européenne dépend aussi du commerce mondial et, donc, de l’existence de règles commerciales claires et de mesures bien définies.

5.2.

Quand des pénuries alimentaires apparaissent, ou que telle est l’impression, le consommateur est susceptible de se lancer dans des achats dictés par la panique et peut très bien cesser de se soucier du climat, de la biodiversité ou du bien-être animal. L’Europe ne pourra donc devenir plus verte que si elle progresse aussi dans la résilience.

5.3.

La COVID-19 a montré que lorsque les chaînes d’approvisionnement sont perturbées sur une période assez étendue, les effets qui en résultent se diffusent à travers toute l’économie. Le retour à la normale peut parfois prendre des années.

5.4.

L’autonomie stratégique ouverte en matière alimentaire ne peut exister en l’absence d’une politique commerciale ouverte et équitable. Il serait impensable que l’Union européenne en revienne à des démarches protectionnistes, car un tel revirement créerait des fragilités supplémentaires et pourrait provoquer de graves dommages (28), par exemple en ce qui concerne ses exportations de céréales à destination de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Bien souvent, les chaînes d’approvisionnement internationales sont plus efficaces et diversifiées, et donc mieux à même de s’adapter à des chocs inédits, que celles d’envergure locale.

5.5.

L’Union européenne devrait évaluer dans quels cas et pour quels produits l’autosuffisance constitue une approche utile. Il conviendrait que le consommateur et l’opinion publique prennent davantage conscience de la manière dont fonctionnent ces circuits d’approvisionnement.

5.6.

Avec les Nations unies et ses partenaires commerciaux, l’Union européenne doit s’attaquer aux causes profondes de l’insécurité alimentaire et contribuer à la transformation dont la filière de l’alimentation a un besoin criant afin que l’agriculture devienne plus résiliente face aux chocs. Les pouvoirs publics ont un rôle à jouer pour que les chaînes d’approvisionnement deviennent plus durables, solides et sûres.

5.7.

Dans un récent document de nature officieuse, la France et les Pays-Bas ont appelé l’Union européenne à durcir son cadre applicable au commerce, notamment en établissant son propre plan pour la conduite responsable des entreprises (CRE), lequel devrait assurer une politique cohérente et harmonisée tout en préservant un environnement de concurrence équitable pour le marché intérieur de l’Union. Ce plan d’action de l’Union européenne en matière de conduite responsable des entreprises devrait fournir la stratégie sous-tendant l’ensemble de sa démarche, s’agissant de promouvoir des échanges équitables et une production responsable et de gérer les chaînes d’approvisionnement.

5.8.

L’Espagne et les Pays-Bas viennent d’élaborer ensemble une note non officielle sur la réalisation d’une autonomie stratégique qui préserve une économie ouverte. L’un des points qui y sont soulevés est que l’«autonomie stratégique ouverte» devrait figurer parmi les questions qui seront débattues lors de la conférence sur l’avenir de l’Europe.

5.9.

La discussion menée au niveau de l’Union européenne sur le devoir de diligence (29) et le code de conduite «De la ferme à la table» (30) ont également leur pertinence sur ce point. En la matière, les entreprises et les organisations du secteur agroalimentaire ont désormais la possibilité de signer le code de conduite sur les pratiques commerciales et commerciales responsables, que la Commission européenne a lancé dans le cadre de la stratégie «De la ferme à la table» (31).

Bruxelles, le 20 octobre 2021.

La présidente du Comité économique et social européen

Christa SCHWENG


(1)  «[Si] l’Union veut se doter d’une politique alimentaire globale qui soit réellement pertinente pour les consommateurs européens, il est essentiel que les denrées alimentaires produites de manière durable dans l’UE soient compétitives. Cela signifie que le secteur agroalimentaire européen doit être en mesure de fournir des denrées alimentaires aux consommateurs à des prix incluant les coûts supplémentaires pour des critères tels que la durabilité, le bien-être animal, la sécurité alimentaire et la nutrition, mais également une juste rémunération pour les agriculteurs, tout en maintenant son statut de premier choix pour la grande majorité des consommateurs.» (JO C 129 du 11.4.2018, p. 18; JO C 429 du 11.12.2020, p. 268).

(2)  Plan d’urgence, Commission européenne.

(3)  COVID-19 and the food phenomena («La COVID-19 et le phénomène alimentaire»), FAO.

(4)  JO C 129 du 11.4.2018, p. 18 et JO C 429 du 11.12.2020, p. 268.

(5)  Entre autres: JO C 129 du 11.4.2018, p. 18, JO C 190 du 5.6.2019, p. 9, JO C 429 du 11.12.2020, p. 268, JO C 429 du 11.12.2020, p. 66, JO C 440 du 6.12.2018, p. 165 et avis du CESE sur le thème «Vers une chaîne d’approvisionnement alimentaire équitable», NAT/823 (JO C 517 du 22.12.2021, p. 38).

(6)  Contribution au sommet des Nations unies sur les systèmes alimentaires, CESE.

(7)  Réexamen de la politique commerciale, Commission européenne.

(8)  68 % of the world population projected to live in urban areas by 2050 («Selon les projections, 68 % de la population mondiale devrait vivre dans des zones urbaines en 2050»), Nations unies.

(9)  Urbanisation in Europe, Commission européenne; UN World urbanisation Prospects 2018.

(10)  Vertical farming («Agriculture verticale»), Université et centre de recherche de Wageningue (WUR).

(11)  Avis du CESE sur le thème «Vers une chaîne d’approvisionnement alimentaire équitable», NAT/823 (JO C 517 du 22.12.2021, p. 38).

(12)  CAP specific objectives — Structural change and generational renewal («Objectifs spécifiques de la PAC — Changement structurel et relève générationnelle»), Commission européenne.

(13)  JO C 429 du 11.12.2020, p. 268.

(14)  2020 a year of stability for EU agri-food trade («2020: une année de stabilité pour les échanges agroalimentaires de l’Union européenne»), Commission européenne.

(15)  Agriculteurs et main-d’œuvre agricole — statistiques, Eurostat.

(16)  JO C 429 du 11.12.2020, p. 66.

(17)  L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture, FAO.

(18)  The impact of disasters and crises on agriculture and food security: 2021 («L’impact des catastrophes et des crises sur l’agriculture et la sécurité alimentaire: 2021»), FAO.

(19)  Indice FAO des prix des produits alimentaires, FAO.

(20)  2021 State of Food Security and Nutrition in the World («L’état de la sécurité alimentaire et de la nutrition dans le monde 2021»), Programme alimentaire mondial (PAM).

(21)  Cyber attack on US pipeline is linked to criminal gang («La cyberattaque contre l’oléoduc américain est liée à un groupement criminel»), Associated Press News.

(22)  Kaasschaarste bij Albert Heijn na hack leverancier («Pénurie de fromage chez Albert Heijn après une cyberattaque chez un fournisseur»), De Volkskrant.

(23)  Hacking American beef: the relentless rise of ransomware («Cyberattaque sur le bœuf américain: l’essor fulgurant du rançongiciel»), Financial Times.

(24)  NCSC statement on Kaseya incident («Déclaration du Centre national de cybersécurité après l’incident touchant Kaseya»), NCSC.

(25)  Rapport de prospective stratégique 2021, Commission européenne.

(26)  Shaping and securing the EU’s Open Strategic Autonomy by 2040 and beyond («Façonner et garantir l’autonomie stratégique ouverte de l’Union européenne d’ici 2040 et au-delà»), Centre commun de recherche.

(27)  Resilience Dashbords («Tableaux de bord de la résilience»), Commission européen.

(28)  «Tous les accords commerciaux de l’UE à venir devraient intégrer le pacte vert, les stratégies “De la ferme à la table” et “Biodiversité”, en tant que normes mondiales en matière de durabilité.» (JO C 429 du 11.12.2020, p. 66).

(29)  Towards a mandatory EU system of due diligence for supply chains («Vers un dispositif obligatoire de l’UE en matière de devoir de diligence dans les chaînes d’approvisionnement»), Euractiv.

(30)  Code of Conduct for Responsible Business and Marketing Practices («Code de conduite pour des pratiques entrepreneuriales et commerciales responsables»), Commission européenne.

(31)  Avis du CESE sur le thème «Aligner les stratégies et les activités des entreprises du secteur alimentaire sur les ODD pour une relance durable après la COVID-19» (non encore publié au Journal officiel).


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