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Document 52018PC0534

AVIS DE LA COMMISSION sur le projet de modification du Protocole n° 3 sur le statut de la Cour de justice de l'Union européenne, présenté par la Cour de justice le 26 mars 2018

COM/2018/534 final

Bruxelles, le 11.7.2018

COM(2018) 534 final

AVIS DE LA COMMISSION

sur le projet de modification du Protocole n° 3 sur le statut de la Cour de justice de l'Union européenne, présenté par la Cour de justice le 26 mars 2018


AVIS DE LA COMMISSION

sur le projet de modification du Protocole n° 3 sur le statut de la Cour de justice de l'Union européenne, présenté par la Cour de justice le 26 mars 2018

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notamment son article 281, deuxième alinéa,

1.Le 26 mars 2018, la Cour de justice de l'Union européenne a soumis au Parlement européen et au Conseil une demande au titre de l’article 281, deuxième alinéa, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») de modifier son statut. En premier lieu, la Cour de justice propose le transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les recours fondés sur l’article 108, paragraphe 2, du TFUE et sur les recours en manquement fondés sur les articles 258 et 259 du TFUE, sous réserve de certaines catégories de ces recours qui seraient réservées à la Cour. En deuxième lieu, la Cour de justice propose le transfert à la Cour de la compétence pour statuer sur les recours en annulation introduits par les Etats membres contre des décisions de la Commission relatives au défaut d'exécution adéquate d'un arrêt rendu par la Cour au titre de l'article 260, paragraphes 2 et 3 du TFUE. En troisième lieu, la Cour de justice propose l’institution d’un mécanisme d'admission préalable pour certains pourvois devant la Cour. Enfin, la Cour de justice propose certaines modifications visant à assurer une plus grande cohérence terminologique de son statut avec les traités.

I. Considérations générales

2.Ainsi que la Cour de justice l'explique dans sa demande et dans le mémorandum explicatif qui l'accompagne, cette demande s'inscrit dans le prolongement des modifications apportées en 2015 et 2016 à l'architecture juridictionnelle de l'Union par l'augmentation du nombre de juges du Tribunal pendant une période allant de la fin de l’année 2015 au 1er septembre 2019 1 et par le transfert au Tribunal de la compétence pour statuer sur les litiges entre l'Union et ses agents au titre de l'article 270 du TFUE 2 . Dans ce contexte, le législateur de l'Union a demandé à la Cour de justice de lui soumettre deux rapports, chacun accompagné, le cas échéant, de demandes de modification des dispositions applicables du statut: un premier rapport, pour la fin de l’année 2017, sur les changements possibles dans la répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal en matière préjudicielle au titre de l'article 267 du TFUE; et un second rapport, pour la fin de l’année 2020, sur le fonctionnement du Tribunal et, en particulier, sur l'efficience du Tribunal, sur l'efficacité et la nécessité de l'augmentation du nombre de juges à cinquante-six, sur l'efficacité de l’utilisation des ressources ainsi que sur la poursuite de la création de chambres spécialisées et/ou de la mise en place d'autres changements structurels 3 .

3.Le 14 décembre 2017, la Cour de justice a présenté le premier de ces deux rapports 4 . Dans ce rapport, la Cour de justice estime qu'il n'y a pas lieu, à ce stade, de proposer un transfert au Tribunal d'une partie de la compétence qu'elle exerce en matière préjudicielle, compte tenu d'une part, du rôle primordial du renvoi préjudiciel dans le système juridictionnel de l'Union et d'autre part, de la nécessité pour le Tribunal de se réorganiser et d'adapter ses méthodes de travail à la suite de la décision d’augmenter le nombre de juges du Tribunal. In limine, dans ce rapport, la Cour de justice indique que d'autres modifications pourraient être apportées dans la répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal, notamment en ce qui concerne le traitement des recours directs et, pour ce qui concerne la Cour, dans le traitement des pourvois, modifications qui font l’objet de la présente demande.

4.La Commission partage le souci de la Cour de justice de trouver le meilleur équilibre possible dans la répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal.

5.Toutefois, sans préjudice des observations qu'elle fera ci-dessous sur les différents aspects de la demande de la Cour de justice, la Commission n'est pas convaincue de l’opportunité, à ce stade, d'apporter des modifications structurelles dans la répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal.

6.En effet, la Commission partage l'opinion de la Cour de justice, exprimée dans le mémorandum explicatif accompagnant la demande, selon laquelle "la réforme de l'architecture juridictionnelle de l'Union européenne n'a pas encore produit tous ses effets". Ce constat, établi à propos de la possibilité d'un transfert au Tribunal d'une partie de la compétence en matière préjudicielle, vaut tout autant pour la proposition de la Cour de justice de transférer certaines compétences en matière de recours en manquement.

7.En effet, d'une part, le recours en manquement constitue un instrument clef du contrôle de l'application du droit de l'Union. Toute modification relative au traitement de ce recours constitue donc, de même qu’en ce qui concerne le renvoi préjudiciel, une opération extrêmement délicate. D'autre part, le processus d'augmentation du nombre de juges du Tribunal ne sera achevé qu'en septembre 2019, de sorte que l'intégration des juges nouvellement nommés et de leurs collaborateurs dans la structure organisationnelle du Tribunal demeurera un défi majeur pour l'institution. S'il y a lieu de se féliciter d’une évolution statistique positive, montrant un raccourcissement de la durée des procédures devant le Tribunal, il semble toutefois prématuré d’en tirer des conclusions définitives dans le sens d’un transfert d’une nouvelle charge au Tribunal. C'est précisément pour ces raisons que le législateur de l'Union a invité la Cour de justice à présenter pour la fin de l’année 2020 un rapport sur le fonctionnement du Tribunal.

8.En outre, ainsi la Commission exposera en plus de détail ci-dessous, le transfert de certaines compétences en matière de recours en manquement, tel que proposé par la Cour de justice, n'est pas de nature à atteindre l'objectif de décharger la Cour mais soulève au contraire de sérieuses questions sur le plan structurel, comme ce serait le cas pour le transfert partiel de la compétence en matière préjudicielle.

9.La Commission est dès lors d'avis qu'il serait plus opportun d'attendre le rapport que la Cour de justice devra présenter pour la fin de l’année 2020 sur le fonctionnement du Tribunal avant d’opérer, le cas échéant, de nouveaux changements dans la répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal qui auront pour effet de véritablement décharger la Cour. En revanche, la Commission partage l'avis de la Cour de justice selon lequel il est possible, dès à présent, de limiter l'admission des pourvois dans les cas spécifiques proposés par la Cour de justice dans la mesure où une telle modification n'a pas d'incidence structurelle et ne risque donc pas de préjuger les décisions ultérieures.

II. Sur la demande de transférer au Tribunal la compétence de principe pour statuer, en première instance, sur les recours fondés sur l’article 108, paragraphe 2, du TFUE et sur les recours en manquement fondés sur les articles 258 et 259 du TFUE

10.Cette demande s'articule autour de trois propositions de modification du statut. Elle est, en outre, liée à la demande de transférer à la Cour la compétence pour statuer sur les recours en annulation introduits par les Etats membres contre des décisions de la Commission relatives au défaut d'exécution adéquate d'un arrêt rendu par la Cour au titre de l'article 260, paragraphes 2 ou 3, du TFUE (voir section III).

11.Premièrement, en ajoutant un paragraphe 2 à l'article 51 du statut, la Cour de justice propose de transférer au Tribunal la compétence pour statuer, en première instance, sur les recours fondés sur l’article 108, paragraphe 2, du TFUE et sur les recours en manquement fondés sur les articles 258 et 259 du TFUE sous réserve de certaines catégories de recours en manquement qui seraient réservées à la Cour 5 . Le premier alinéa dudit article 51, paragraphe 2, du statut, tel que proposé par la Cour de justice, prévoirait ce qui suit:

"Le Tribunal est compétent pour connaître, en première instance, des recours fondés sur les articles 108, paragraphe 2, deuxième alinéa, 258 ou 259 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, à l’exclusion, pour ce qui concerne les recours fondés sur l’une de ces deux dernières dispositions, des recours visant à faire constater le manquement d’un État membre aux obligations qui lui incombent en vertu du traité sur l’Union européenne, du titre V de la troisième partie du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ou d’un acte adopté sur le fondement de ce titre."

12.Deuxièmement, la Cour de justice propose d’instituer un mécanisme permettant au Tribunal, soit d'office soit à la demande d'une partie, de renvoyer une affaire spécifique à la Cour, et d'ajouter à cette fin les deuxième et troisième alinéas suivants au paragraphe 2 de l'article 51 du statut, libellés comme suit:

"Lorsque l’affaire appelle une décision de principe ou lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient, le Tribunal peut, d’office ou à la demande d’une partie, renvoyer l’affaire devant la Cour afin qu’elle statue.

La demande visée à l’alinéa précédent est présentée, selon le cas, dans la requête introductive d’instance ou dans les deux mois qui suivent sa signification à la partie défenderesse."

13.Troisièmement, la Cour de justice propose un régime dérogatoire quant au traitement des pourvois introduits devant elle contre des décisions du Tribunal sur des recours en manquement. A cette fin, la Cour de justice propose d'ajouter un quatrième alinéa à l'article 61 du statut qui serait libellé comme suit:

"Par dérogation au premier alinéa, la Cour examine l’ensemble des éléments de fait et de droit pertinents et statue définitivement sur le litige lorsqu’elle déclare fondé un pourvoi formé contre une décision du Tribunal rendue au titre de l’article 51, paragraphe 2, du présent statut."

14.En premier lieu, la Commission se pose la question de savoir si les modifications proposées par la Cour de justice sont de nature à atteindre l'objectif recherché, à savoir celui de décharger la Cour.

15.En effet, la Commission a examiné l'incidence d’un transfert tel que proposé si celui-ci avait été applicable durant les trois années qui ont précédé la demande de la Cour de justice, soit entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2018. Durant cette période, 84 affaires ont été introduites par la Commission sur la base de l'article 258 du TFUE, une affaire par un Etat membre sur la base de l'article 259 du TFUE et deux affaires par la Commission sur la base de l'article 108, paragraphe 2, du TFUE. Sur ces 87 affaires, selon les critères proposés par la Cour de justice, sept affaires seraient restées de la compétence de la Cour en tant que fondées sur une violation du traité sur l’Union européenne (« TUE ») ou du Titre V de la troisième partie du TFUE. La Cour aurait donc été déchargée durant cette période de 78 affaires, soit de 26 affaires par année. En relation avec le nombre de nouvelles affaires introduites en moyenne pendant les années 2015, 2016 et 2017 (à savoir 715 affaires), cette diminution aurait à peine représenté 3,6 % de l'activité judiciaire annuelle globale de la Cour. Ce chiffre devrait encore être revu à la baisse compte tenu, d'une part, des pourvois qui seraient introduits devant la Cour contre des décisions du Tribunal et, d'autre part, du renvoi potentiel de certaines affaires à la Cour au motif qu'elles soulèvent des décisions de principe ou lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient.

16.Il en ressort que le transfert tel que proposé par la Cour de justice n'aurait qu'une incidence insignifiante sur la charge de travail de la Cour. En revanche, il en résulterait une augmentation certaine du nombre d'affaires à traiter par les juridictions de l'Union dans leur ensemble.

17.En deuxième lieu, la Commission est d'avis que les modifications proposées soulèvent d'importantes interrogations sur le plan structurel.

18.D’abord, contrairement aux autres recours directs, qui opposent, dans la plupart des cas, des personnes physiques ou morales aux institutions de l'Union, le recours en manquement oppose deux États membres ou une institution de l’Union et un État membre. Comme l'illustre l’article 40, deuxième alinéa, du statut, les recours entre États membres et ceux entre une institution de l’Union et un État membre se distinguent des autres recours. Le recours en manquement est donc plutôt assimilable aux recours directs qui continueraient à être réservés à la Cour en vertu de l'article 51 du statut, tel qu'il résulterait des modifications proposées par celle-ci. Enfin, l'objectif d'une procédure en manquement est d'assurer qu'un Etat membre se conforme aux obligations qui résultent du droit de l'Union et non pas, comme c'est le cas des autres recours directs, d'obtenir un jugement annulant un acte ou constatant une carence.

19.Ensuite, tout comme en matière préjudicielle, saisi d'un recours en manquement le juge de l'Union doit pouvoir statuer à bref délai avec autorité de la chose jugée sur les questions qui lui sont soumises. Or, l'introduction d'un double degré de juridiction dans la procédure en manquement prolongerait la durée de la phase juridictionnelle de cette procédure, risquant de transformer celle-ci en une controverse juridique de longue durée avec une incidence politique négative quant au respect du droit de l'Union.

20.En effet, en attendant les données que la Cour de justice devra présenter pour la fin de l’année 2020 sur le fonctionnement du Tribunal et les éventuelles mesures qui pourraient être prises en conséquence, la Commission suppose que les recours en manquement ne seraient pas traités plus rapidement en première instance par le Tribunal qu'ils ne le sont actuellement par la Cour.

21.A la durée du litige en première instance s'ajouterait, dans un nombre significatif de cas, la durée d'une procédure de pourvoi. En effet, ne sont, en principe, portées devant le juge de l'Union que les affaires en manquement pour lesquelles une solution n'a pas pu être trouvée au cours de la procédure administrative. Dans ces cas, les parties pourraient avoir tendance à épuiser toutes les voies de recours disponibles et la durée d'une procédure de pourvoi pourrait souvent être équivalente à la durée de la procédure en première instance.

22.La Commission prend note du fait que la Cour de justice propose d'introduire un régime dérogatoire pour le traitement des pourvois formés contre des arrêts du Tribunal dans le cadre du recours en manquement. Un tel régime éviterait certes que l'affaire soit renvoyée au Tribunal dès lors que la Cour accueille le pourvoi mais constate que l'affaire n'est pas en état d'être jugée. En revanche, un tel régime soulève des questions pratiques épineuses (par exemple, faut-il déjà examiner dans les mémoires des points de fait que le Tribunal n'a pas appréciés en première instance pour le cas où la Cour accueillerait le pourvoi; faut-il, dans de tels cas, rouvrir la procédure?). Il n'est dès lors pas non plus possible de déterminer si une telle mesure peut réellement contribuer à réduire la durée de la procédure.

23.Cet allongement de la durée de la procédure est susceptible non seulement de prolonger une situation d’insécurité juridique dans le chef des autorités publiques, des opérateurs économiques et des citoyens, mais en outre de faire perdurer un différend et, potentiellement, une non-conformité au droit de l'Union qui a déjà fait l'objet d'une procédure administrative n'ayant pas abouti à une solution satisfaisante. Cet allongement de la phase juridictionnelle retarderait le moment à partir duquel l’État membre qui aurait manqué à ses obligations de manière désormais incontestable devrait prendre les mesures nécessaires pour mettre fin à ce manquement. L’allongement ferait donc perdurer des situations d’inégalité des États membres devant les traités, en contradiction avec le principe fondamental énoncé à l’article 4, paragraphe 2, du TUE.

24.La Commission prend également note du fait que la Cour de justice ne propose pas d'attribuer un effet suspensif à l'introduction d'un pourvoi ce qui priverait effectivement la procédure devant le Tribunal d'une grande partie de son effet utile, tout en allongeant considérablement la procédure dans son ensemble. Or, même si l'introduction d'un pourvoi n'a pas d'effet suspensif, l’introduction du double degré de juridiction risque d'affaiblir l'instrument que constitue la procédure en manquement pour assurer l'application uniforme du droit de l'Union dans l'intérêt de tous les Etats membres, des opérateurs économiques et des citoyens. Elle pourrait avoir pour effet de retarder non seulement le moment à partir duquel le manquement est définitivement établi mais aussi celui où, sur demande de la Commission, la Cour reconnaît en vertu de l'article 260, paragraphe 2, du TFUE qu'un Etat membre n'a pas pris les mesures que comporte l'exécution d'un arrêt du juge de l'Union.

25.En troisième lieu, la Commission doute que les critères proposés par la Cour de justice pour déterminer les affaires qui resteraient du ressort exclusif de la Cour soient de nature à atteindre l'objectif poursuivi, à savoir de ne transférer au Tribunal que des affaires qui, en raison des griefs et arguments invoqués, sont assimilables à celles dont le Tribunal connaît habituellement et de réserver à la Cour les affaires qui peuvent, comme l'exprime la Cour de justice dans le mémorandum explicatif accompagnant la demande, "revêtir une dimension constitutionnelle" 6 .

26.A cet égard, la Commission est bien consciente que toute délimitation des différents types de recours en manquement constitue une opération complexe. En cela les recours en manquement ne se distinguent d'ailleurs nullement des renvois préjudiciels au sujet desquels la Cour de justice a souligné ces difficultés dans son rapport du 14 décembre 2017.

27.Dans la mesure où la Cour de justice propose que soient réservés à la Cour des recours visant à faire constater le manquement d'un Etat membre à des dispositions du traité sur l'Union européenne, la Commission relève qu'elle invoque régulièrement – conformément à la jurisprudence –, bien qu'à titre accessoire, des griefs tirés d'une violation des dispositions de ce traité, notamment de l'obligation de coopération loyale (article 4, paragraphe 3, du TUE). Or, l'invocation d'un tel grief n’a pas d’incidence sur la portée "constitutionnelle" ou non d'un recours 7 .

28.En outre, s'il est vrai que les recours formés dans le cadre du titre V de la troisième partie du TFUE instituant l'espace de liberté, de sécurité et de justice 8 soulèvent régulièrement des questions d'interprétation ou de validité sensibles et urgentes, cela n'est pas le cas de tous les recours introduits sur ce fondement 9 . En revanche, bon nombre de recours formés dans les autres domaines du TFUE soulèvent régulièrement des questions très sensibles et nouvelles, parfois de "dimension constitutionnelle" et/ou sont particulièrement urgents, de sorte qu'un double degré de juridiction risque d'affaiblir considérablement l'action de la Commission pour assurer le respect du droit dans l'Union 10 .

29.La Cour de justice propose que le Tribunal peut, d'office ou sur demande d'une partie, renvoyer une affaire spécifique devant la Cour lorsqu'elle soulève une décision de principe ou lorsque des circonstances exceptionnelles le justifient. La Commission doute que les critères proposés soient suffisamment aptes à éviter des difficultés majeures d’interprétation. La Commission considère que, en tout état de cause, ce choix devrait se fonder sur des éléments objectifs, en particulier lorsque les parties prennent des positions opposées quant au renvoi d'une affaire.

30.En conclusion, la Commission est d'avis que le transfert de certains recours en manquement proposé par la Cour de justice n'aurait qu'une incidence insignifiante sur la charge de travail de la Cour mais prolongerait de façon significative la durée de la phase juridictionnelle des procédures en manquement, risquant ainsi de mettre en péril l'efficacité de l'instrument que constitue la procédure en manquement pour assurer l'application uniforme du droit de l'Union dans l'intérêt de tous les Etats membres, des opérateurs économiques et des citoyens. En plus, ce transfert créerait des difficultés de cohérence dans la répartition des affaires entre la Cour et le Tribunal.

III. Sur le transfert à la Cour de la compétence pour statuer sur les recours en annulation introduits par les Etats membres contre des décisions de la Commission relatives au défaut d'exécution adéquate d'un arrêt rendu par la Cour au titre de l'article 260, paragraphes 2 et 3, du TFUE

31.La Cour de justice propose d'ajouter un point c) à l'article 51, paragraphe 1, du statut en vertu duquel seraient réservés à la Cour les recours en annulation introduits par les Etats membres contre des décisions de la Commission relatives au défaut d'exécution adéquate d'un arrêt rendu par la Cour au titre de l'article 260, paragraphes 2 et 3, du TFUE.

32.La Commission adhère aux objectifs que poursuit cette proposition de modification du statut. En effet, une telle modification permettrait d’éviter qu'une instance juridictionnelle autre que celle qui a imposé l'astreinte ou une somme forfaitaire soit saisie de recours en annulation contre des actes de la Commission tendant au recouvrement d’astreintes ou de sommes forfaitaires auprès de l'Etat membre concerné. 11

IV.Sur l'admission préalable de certains pourvois par la Cour

33.La Cour de justice propose l’introduction dans le statut d’un nouvel article 58 bis qui serait formulé comme suit:

"Lorsqu’une instance administrative indépendante doit être saisie avant qu’un recours puisse être formé devant le Tribunal, l’examen du pourvoi formé contre la décision de ce dernier est subordonné à son admission préalable par la Cour de justice.

Le pourvoi est admis, selon les modalités précisées dans le règlement de procédure, lorsqu’il soulève, en tout ou en partie, une question importante pour l’unité, la cohérence ou le développement du droit de l’Union.

Lorsque le pourvoi n’est pas admis, la décision de non admission est motivée."

34.La Commission adhère aux objectifs que poursuit cette proposition de modification du statut. Celle-ci concerne les pourvois formés contre des arrêts et ordonnances du Tribunal concernant des décisions qui ont déjà fait l'objet d'un examen par une autorité administrative indépendante et ont ainsi déjà été soumises à un double contrôle de légalité, comme c'est le cas, notamment, des décisions prises en matière de marques par l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) 12 . En ce qui concerne ces décisions, il est proposé de limiter l'admission de pourvois aux cas où une décision du Tribunal risquerait de porter atteinte à l'unité, à la cohérence ou au développement du droit de l'Union.

35.Comme la Cour de justice le relève dans le mémorandum explicatif accompagnant la demande, étant donné que les pourvois formés contre les décisions de l'EUIPO constituent une part importante des pourvois formés chaque année, cette modification permettrait de réduire sensiblement la charge de travail de la Cour.

36.La Commission souhaite toutefois souligner ce qui suit.

37.Tout d'abord, la Commission rappelle que, en matière de marques, le juge de l'Union est saisi, d'une part, des recours directs contre des décisions de l'EUIPO – sur lesquels le Tribunal statuerait, en principe, en dernière instance – et, d'autre part, des renvois préjudiciels pour lesquels la Cour est et reste seule compétente. Il est donc primordial d'éviter des développements jurisprudentiels divergents à travers le mécanisme d'admission de pourvois.

38.A la différence de la procédure de réexamen telle que prévue aux articles 256, paragraphes 2 et 3, du TFUE et 62 du statut, 13 la Cour de justice propose que toutes les modalités de cette procédure exceptionnelle soient précisées dans le règlement de procédure. La Commission n'a pas d'objections de principe sur ce point dans la mesure où ceci permettrait d'adapter plus facilement les modalités de la procédure sur la base de l'expérience acquise. La Commission estime toutefois qu'une évaluation approfondie de ces modalités devrait avoir lieu avant de procéder à la modification du statut sur ce point, en tenant compte, notamment de l'expérience acquise dans la pratique de la procédure de réexamen telle que prévue actuellement aux articles 256, paragraphes 2 et 3, du TFUE et 62 du statut et des nécessités spécifiques au domaine politique concerné en première ligne, à savoir le droit des marques. A cet égard, la Commission prend note des premières indications fournies dans le mémorandum explicatif accompagnant la demande de la Cour et propose qu'une discussion ait lieu dans les meilleurs délais et sans attendre l'adoption de modifications du statut sur la base de projets de textes modificatifs du règlement de procédure.

39.Ensuite, la Commission estime que, dans l'intérêt de la sécurité juridique, il convient de préciser ce qu'il faut entendre par la notion d'"instance administrative indépendante". Plusieurs options apparaissent possibles.

40.Une première option, offrant toute la sécurité juridique requise, serait de dresser une liste exhaustive desdites instances à l'article 58bis du statut: en premier lieu les chambres de recours de l'EUIPO mais également les chambres de recours d'autres organes mentionnés par la Cour de justice dans le mémorandum explicatif accompagnant la demande [l’Office communautaire des variétés végétales (OCVV) 14 ou l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) 15 ] ou encore d'autres instances se trouvant dans la même situation [telle que l'Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) 16 ]. Cette option comporterait, certes, la nécessité de modifier le statut au cas où une nouvelle instance serait créée avec pouvoir d'adopter des actes qui pourraient être soumis au régime de l'article 58bis du statut. Or, depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le statut peut être modifié selon la procédure législative ordinaire qui sera, normalement, la même procédure que celle requise pour adopter l'acte créant l'organe en question.

41.Une autre option serait de préciser cette notion dans le règlement portant modification du statut. Ainsi, les termes "dont les membres ne sont liés à aucune instruction dans leurs décisions" pourraient être ajoutés après les termes "Lorsqu'une instance administrative indépendante". Cette option pourrait toutefois donner lieu à des questions d'interprétation lorsque les termes utilisés dans les instruments créant de nouveaux organes diffèrent de ceux relatifs aux organes déjà en place. En revanche, de cette manière le législateur clarifierait au moins que c'est l'indépendance fonctionnelle qui est décisive et suffisante dans ce contexte. Les termes proposés correspondent à ceux utilisés dans les instruments qui ont créé les organes mentionnés au point 40. 17 En plus, il apparaîtrait indiqué de mentionner ces organes dans les considérants du règlement portant modification du statut.

42.Finalement, la Commission est d'avis qu'il convient de préciser que non seulement les décisions de non admission de pourvoi doivent être motivées, mais également les décisions d’admission de pourvoi. Enfin, ces décisions devraient être rendues publiques.

V. Sur certaines modifications visant à assurer la cohérence terminologique de certaines dispositions du statut avec les traités

43.La Cour de justice propose de modifier l'article 51 du statut dans un souci de cohérence terminologique avec les articles 263 et 265 du TFUE.

44.La Commission accueille favorablement cette proposition de changements 18 .

45.La Commission s'interroge néanmoins sur l'ajout des termes "autre qu'une recommandation ou un avis" et "destiné à produire des effets juridiques à l'égard des tiers" à l'article 51, paragraphe 1, point a), i), du statut tel qu’il serait modifié. La Commission comprend l'objectif recherché, à savoir celui de reprendre les termes de l'article 263, premier alinéa, du TFUE. Toutefois, la Commission appréhende que l'ajout de ces termes, dans le contexte de l'article 51 du statut puisse donner lieu à une interprétation a contrario erronée, selon laquelle les actes autres que ceux visés relèveraient de la compétence du Tribunal.

VI. Conclusions

46.Compte tenu de ce qui précède, la Commission émet le présent avis :

(a)la Commission estime qu'il est approprié d'attendre le rapport que la Cour de justice devra présenter pour la fin de l’année 2020 sur le fonctionnement du Tribunal avant d'apporter des modifications structurelles dans la répartition des compétences entre la Cour et le Tribunal;

(b)la Commission n'est pas favorable au transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les recours fondés sur l’article 108, paragraphe 2, du TFUE et les recours en manquement fondés sur les articles 258 et 259 du TFUE;

(c)la Commission est favorable au transfert à la Cour de la compétence pour statuer sur les recours en annulation introduits par les Etats membres contre des décisions de la Commission relatives au défaut d'exécution adéquate d'un arrêt rendu par la Cour au titre de l'article 260, paragraphes 2 et 3, du TFUE;

(d)la Commission est favorable, sous réserve des considérations émises dans cet avis, à l'introduction d'une procédure d'admission préalable de certains pourvois par la Cour;

(e)la Commission est favorable, sous réserve des considérations émises dans cet avis, aux modifications proposées visant à assurer une plus grande cohérence terminologique du statut avec les traités.

(1)    Règlement (UE, Euratom) 2015/2422 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 modifiant le protocole n° 3 sur le statut de la Cour de justice de l'Union européenne (JO L 341 du 24.12.2015, p. 14).
(2)    Règlement (UE, Euratom) 2016/1192 du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 2016 relatif au transfert au Tribunal de la compétence pour statuer, en première instance, sur les litiges entre l'Union européenne et ses agents (JO L 200 du 26.7.2016, p. 137).
(3)    Article 3 du règlement (UE, Euratom) 2015/2422.
(4)    Rapport présenté au titre de l'article 3, paragraphe 2, du règlement (UE, Euratom) 2015/2422 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015 modifiant le protocole n° 3 sur le statut de la Cour de justice de l'Union européenne.
(5)    D’un point de vue purement rédactionnel, la Commission se demande si, pour atteindre l'objectif recherché par la Cour de justice, il ne faudrait pas ajouter à cette liste les recours de la Commission accompagnés de l’indication d'une somme forfaitaire ou d'une astreinte à payer, comme prévu à l'article 260, paragraphe 3, du TFUE, étant donné que ces recours constituent un cas particulier parmi les recours fondés sur l'article 258 du TFUE.
(6)    Dans ce contexte, la Commission comprend les règles proposées par la Cour de justice en ce sens que tous les recours qui soulèvent des griefs tirés d'une des catégories énumérées sont réservés à la Cour même si ces recours soulèvent également ou même principalement d'autres griefs.
(7)    La Commission note que, dans le projet de règlement annexé à sa demande, la Cour ne propose pas d'ajouter les recours en manquement invoquant une violation de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne à la liste des recours exclus du transfert au Tribunal. Toutefois, dans le mémorandum explicatif accompagnant la demande, ces recours sont mentionnés parmi ceux qui soulèvent souvent des questions particulièrement sensibles et urgentes. Ce point devrait en tout état de cause être clarifié.
(8)    Auxquels il faudrait, dans un souci de cohérence, ajouter les actes adoptés dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale avant l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne.
(9)    Voir, par exemple, l'affaire C-130/17 visant à faire constater que la République de Bulgarie a manqué aux obligations qui lui incombent d'établir un point de contact unique pour l'échange de certificats électroniques d’accès aux données biométriques des documents d’identité, en vertu de la décision de la Commission C(2009) 7476 du 5 octobre 2009.
(10)    Voir, par exemple, l'affaire C-441/17 visant à faire constater que la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 3, de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, en approuvant une annexe du plan de gestion forestière concernant le district forestier de Białowieża.
(11)    Voir arrêt du Tribunal du 29 mars 2011, Portugal/Commission, T-33/09, ECLI:EU:T:2011:127, points 66 et 67.
(12)    Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l'Union européenne (JO L 154, 16.6.2017, p. 1).
(13)    La Commission s'interroge également sur la différence linguistique entre l'article 256, paragraphe 2, du TFUE ("les décisions rendues par le Tribunal") et le texte proposé pour l'article 58bis du statut ("la décision [du Tribunal]"). Alors que dans le premier cas toutes les décisions, y compris toute décision intermédiaire ou procédurale (dans la limite des règles générales sur les pourvois), pourraient faire l'objet d'une demande de réexamen, le second cas pourrait être compris en ce sens que la procédure d'admission préalable ne serait applicable qu'à la décision du Tribunal mettant fin à l'instance.
(14)    Règlement (CE) n° 2100/94 du Conseil du 27 juillet 1994 instituant un régime de protection communautaire des obtentions végétales (JO L 227, 1.9.1994, p. 1).
(15)    Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n o 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n o 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396 du 30.12.2006, p. 1).
(16)    Règlement (CE) n° 216/2008 du Parlement européen et du Conseil du 20 février 2008 concernant des règles communes dans le domaine de l'aviation civile et instituant une Agence européenne de la sécurité aérienne, et abrogeant la directive 91/670/CEE du Conseil, le règlement (CE) n° 1592/2002 et la directive 2004/36/CE (JO L 079 du 19.3.2008, p. 1).
(17)    Voir l’article 166, paragraphe 7, du règlement (UE) 2017/1001, l’article 47, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 2100/94, l’article 90, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1907/2006 et l’article 42, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 216/2008.
(18)    Dans ce contexte, la Commission fait remarquer que, à la suite de différentes réformes du droit applicable, il n'existe actuellement plus de bases juridiques permettant au Conseil d'adopter des actes délégués ou d'exécution relatifs aux mesures de défense commerciale au sens de l'article 207 du TFUE. Dès lors, la Commission note que, sous réserve de dispositions transitoires assurant que les affaires encore pendantes pourraient être jugées par le Tribunal sur la base de cette disposition (le cas échéant après renvoi), le 2ème tiret de l'article 51, paragraphe 1, point a), i), du statut pourrait être supprimé.
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