Recommandation de
DÉCISION D’EXÉCUTION DU CONSEIL
infligeant une amende à l'Espagne pour non-engagement d'une action suivie d'effets visant à corriger un déficit excessif
LE CONSEIL DE L'UNION EUROPÉENNE,
vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne,
vu le règlement (UE) nº 1173/2011 du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 sur la mise en œuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro, et notamment son article 6,
considérant ce qui suit:
(1)Le Conseil, par sa décision du 12 juillet 2016, a établi qu’aucune action suivie d’effets n’avait été engagée par l'Espagne pour corriger son déficit excessif en réponse à la recommandation du Conseil du 21 juin 2013 adoptée en vertu de l’article 126, paragraphe 7, du traité.
(2)Le Conseil ayant décidé, au titre de l’article 126, paragraphe 8, du traité, que l'Espagne n’avait pas engagé d'action suivie d’effets pour corriger son déficit excessif, la Commission devrait recommander au Conseil l'imposition d'une amende.
(3)L’amende à imposer à l'Espagne devrait en principe s’élever à 0,2 % de son PIB de l’année précédente, mais son montant peut être réduit ou annulé en raison de circonstances économiques exceptionnelles ou après réception d’une demande motivée de l’État membre concerné.
(4)Le PIB de l'Espagne a atteint 1 081,19 milliards d'EUR en 2015. Le montant correspondant à 0,2 % de ce PIB s'élève à 2 162,38 millions d'EUR.
(5)Conformément à l'article 2, paragraphe 3, du règlement (UE) nº 1173/2011, on entend par «circonstances économiques exceptionnelles» des circonstances où le dépassement par un déficit public de la valeur de référence est considéré comme exceptionnel au sens de l’article 126, paragraphe 2, point a), deuxième tiret, du TFUE et conformément au règlement (CE) nº 1467/97. Conformément à ce dernier règlement, un tel dépassement est exceptionnel lorsqu’il résulte i) d’une circonstance inhabituelle indépendante de la volonté de l’État membre concerné et ayant des effets sensibles sur la situation financière des administrations publiques ou ii) d'une grave récession économique, ce qui signifie un taux de croissance annuel négatif du PIB ou une baisse cumulative de la production pendant une période prolongée de croissance annuelle très faible du PIB par rapport au potentiel de croissance.
(6)L'examen visant à déterminer si l'Espagne remplit les conditions susmentionnées a conduit aux conclusions suivantes:
Après dix trimestres consécutifs de croissance négative du PIB réel, l'économie espagnole a renoué avec la croissance au troisième trimestre de 2013. La croissance du PIB réel a atteint 1,4 % en 2014 et a accéléré à 3,2 % en 2015. D'après la version actualisée des prévisions du printemps 2016 de la Commission, la croissance du PIB réel devrait atteindre 2,9 % en 2016. Ce taux a été révisé en hausse de 0,3 point de pourcentage par rapport à la version initiale des prévisions du printemps 2016 de la Commission, la consommation publique et privée ayant été plus élevée que prévu au premier trimestre. Par conséquent, il n’y a pas eu de grave récession économique au cours de la période concernée par la recommandation du Conseil du 21 juin 2013 (soit de 2013 à 2016).
En outre, il ne s'est pas produit d'évènements inhabituels indépendants de la volonté du gouvernement et ayant des effets sensibles sur les finances publiques au cours de la période 2013-2016. Bien que l’inflation espagnole ait été plus faible qu'attendu et même négative en 2014, cela n'a pas eu une incidence marquée sur les finances publiques car cela a été en grande partie contrebalancé par une croissance du PIB réel plus soutenue que prévu, la forte création d’emplois et la composition riche en recettes fiscales de la croissance ayant favorisé la réduction du déficit.
(7)Par conséquent, il n'existe pas de circonstances économiques exceptionnelles qui justifieraient une réduction du montant de l’amende.
(8)Le 13 juillet 2016, l'Espagne a présenté une demande motivée à la Commission afin que celle-ci recommande au Conseil de fixer le montant de l’amende à zéro. À l’appui de sa demande, l'Espagne a présenté les arguments suivants:
(9)L’Espagne rappelle les importantes avancées qu'elle a accomplies dans la mise en œuvre d'un ambitieux programme de réformes, malgré un contexte économique particulièrement difficile, et qui ont favorisé de façon déterminante un fort rebond de l’activité économique et de la création d’emplois, ainsi que la correction des déséquilibres accumulés. Elle souligne également l’important effort budgétaire consenti à la suite de la crise et l’incidence négative que l'inflation faible, voire négative, a exercé sur le processus d’ajustement budgétaire et sur l’économie dans son ensemble. Elle soulève par ailleurs des questions méthodologiques, alléguant que la méthode actuelle d'évaluation du respect du pacte de stabilité et de croissance ne permet pas de rendre compte d’une évolution négative inattendue de l'inflation ou de mesurer correctement la croissance potentielle du PIB dans le cas de l’Espagne. Enfin, elle rend compte des mesures et des engagements pris pour réduire le déficit public en 2016 et réaffirme son engagement à corriger le déficit excessif d’ici 2017.
(10)L'examen des arguments susmentionnés conduit aux considérations qui suivent.
(11)L’économie espagnole s'est nettement redressée ces dernières années, en partie grâce aux réformes entreprises dans un contexte économique difficile, qui ont permis d'assouplir les rigidités qui existaient sur le marché du travail et les marchés des produits. Le programme d’assistance financière pour la recapitalisation des établissements financiers en Espagne a été achevé avec succès au début de 2014, ce qui, conjugué aux réformes structurelles majeures menées parallèlement, a créé une base solide pour la reprise économique. En outre, après avoir achevé ce programme, l’Espagne a continué à mettre en œuvre des réformes structurelles, telles qu'une réforme de l'encadrement de l'insolvabilité, l’achèvement de la restructuration du secteur bancaire, la réforme de l’administration publique et la création d’un conseil budgétaire indépendant. Ces réformes, ainsi que la politique monétaire et le renforcement du cadre de gouvernance de la zone euro, ont ouvert la voie à un retour des entrées de capitaux et à l’amélioration des conditions financières. La croissance étant revenue au second semestre de 2013, le rééquilibrage interne et externe a avancé, à la faveur également des gains de compétitivité générés par les réformes. La reprise s'accompagne d’une forte création d’emplois, grâce au maintien d'une modération salariale et à l’impact des réformes du marché du travail. En dépit des progrès accomplis dans le rééquilibrage de l'économie, il reste d’importants défis à relever, car l'endettement privé et public encore lourd qui se reflète dans le niveau très élevé du passif extérieur net expose le pays à des risques liés aux variations de sentiment du marché, et le taux de chômage encore élevé freine l’ajustement économique.
(12)Si l’Espagne n’a pas engagé d’action suivie d’effets pour corriger son déficit excessif conformément à la recommandation du Conseil du 21 juin 2013, il convient de relever qu'elle avait déjà consenti d'importants efforts budgétaires pour le corriger dans son budget de 2012 et, dans une moindre mesure, dans celui de 2013. Le relâchement des efforts d'assainissement mis en évidence dans la décision du Conseil du 12 juillet 2016 a fait suite à cet effort structurel budgétaire conséquent et s'est produit après l'apparition de conditions économiques difficiles qui ont eu un retentissement sur la cohésion sociale. En effet, malgré le fort rebond de la croissance depuis le troisième trimestre de 2013, l’Espagne est restée confrontée à des conditions économiques défavorables au cours de la période couverte par la dernière recommandation du Conseil. L’écart de production atteignait −8,5 % du PIB potentiel en 2013 et, malgré une forte amélioration, il était encore nettement négatif en 2015, à −4,0 %. Le taux de chômage a atteint un sommet à 26,1 % en 2013 et l’exclusion sociale et les inégalités se sont aggravées sous l’effet de la crise, ce qui a fait grimper à 29,2 % le pourcentage total de personnes exposées au risque de pauvreté ou d’exclusion sociale en 2014, l’un des plus hauts niveaux de l’UE.
(13)Dans ce contexte, alors que certaines des mesures prises ces dernières années ont eu une incidence négative directe sur les finances publiques, elles sont susceptibles, à moyen et long terme, de favoriser la croissance et la création d'emplois, et, partant, la viabilité de la situation budgétaire. Les exonérations et réductions de cotisations sociales ont contribué à la persistance d’un déficit public, mais elles ont dans une certaine mesure renforcé la cohésion sociale en ciblant les personnes à faibles revenus, les salariés peu qualifiés et les nouveaux contrats à durée indéterminée. Les réformes fiscales adoptées à la fin de l’année 2014, certes insuffisamment financées, visent néanmoins à rendre la structure fiscale plus propice à la croissance et à améliorer la gouvernance et l’équité fiscales.
(14)Pour 2016, le gouvernement espagnol, en sa qualité de gouvernement intérimaire, a pris des mesures de réduction du déficit en réponse à la recommandation de la Commission du 9 mars 2016 sur les mesures à prendre par l’Espagne pour permettre une correction en temps voulu de son déficit excessif, ce que l'on peut saluer. En particulier, en vue de la mise en œuvre des dispositions de la législation nationale imposant une discipline budgétaire aux régions, le 6 avril, le gouvernement a demandé à 12 régions d'approuver des coupes dans les crédits budgétaires pour assurer le respect de leurs objectifs de déficit pour 2016. Si les réductions de dépenses pour 2016 adoptées à ce jour par ces régions sont nettement inférieures au montant escompté indiqué dans le programme de stabilité pour 2016, l'État espagnol a approuvé des coupes dans les crédits budgétaires à hauteur d'environ 0,2 % du PIB. Le 13 juillet, le gouvernement intérimaire espagnol a annoncé sa volonté de mettre en place d'autres mesures bienvenues de réduction du déficit. En ce qui concerne les recettes, des modifications de la loi sur l’impôt des sociétés, qui devraient être adoptées dès qu’un nouveau gouvernement aura été formé, ont été envisagées pour compenser la perte de recettes d’environ 0,5 % du PIB attendue en 2016 en raison des changements apportés à la réglementation du paiement fractionné (Pagos fraccionados) de l’impôt sur les sociétés, de manière à ce que les recettes de l’impôt sur les sociétés atteignent le niveau prévu dans le programme de stabilité de 2016. En ce qui concerne les dépenses, l'avancement de la date de la clôture de l’exercice budgétaire de l'administration centrale, adopté le 14 juillet, peut contribuer à contenir la progression des dépenses au second semestre de 2016. Toutefois, la mise en œuvre de ces mesures reste entourée de risques considérables, notamment en ce qui concerne l’adoption rapide par le Parlement des modifications nécessaires de la loi sur l’impôt des sociétés, et on ne sait pas encore si elles suffiront à compenser la perte attendue de recettes de l’impôt sur les sociétés. Le gouvernement s’est également engagé à prendre de nouvelles mesures de lutte contre la fraude fiscale.
(15)Dans la demande motivée qu'elle a soumise à la Commission, l'Espagne souligne également l’incidence négative que l'inflation faible, voire négative, a exercée sur le processus d’ajustement budgétaire et sur l’économie dans son ensemble. Comme souligné également dans la décision du Conseil du 12 juillet 2016, sur la période 2013-2015, l’inflation espagnole (mesurée par le déflateur du PIB) a effectivement été nettement inférieure à celle prévue dans le scénario macroéconomique de base qui sous-tend la recommandation (elle a même été négative en 2014, à − 0,4 %). Cependant, l'incidence négative de l'inflation faible, voire négative, sur les résultats budgétaires de l'Espagne a été largement compensée par une croissance du PIB réel plus élevée que prévu.
(16)L'Espagne soulève par ailleurs des questions méthodologiques, alléguant que la méthode actuelle d'évaluation de l'action suivie d'effets ne permet pas de rendre compte d’une inflation négative inattendue ou de mesurer correctement la croissance potentielle du PIB dans le cas de l’Espagne. En ce qui concerne une possible sous-estimation de l’effort structurel accompli en Espagne, il faut garder à l'esprit que pour estimer la croissance potentielle, la Commission applique la méthode communément admise de la fonction de production, approuvée par le Conseil. En ce qui concerne l’incidence de l’inflation négative, la Commission reconnaît dans ses travaux d’analyse que la méthode convenue pour la surveillance budgétaire — et fondée sur la correction du solde nominal à partir d’estimations du PIB potentiel — peut, en cas de choc d’inflation négative, conduire à une sous-estimation de l’effort structurel. Toutefois, cette approche est complétée par une mesure de l’effort budgétaire dite ascendante («bottom-up»), qui évalue si les objectifs de dépenses ont été atteints et si les mesures discrétionnaires prévues sur le front des recettes ont été mises en œuvre. Contrairement à la variation du solde structurel, cette mesure ascendante tend à surestimer l’effort budgétaire à la suite d’un choc de désinflation. Dans le cas de l’Espagne, cette méthode ascendante montre elle aussi qu’aucun effort cumulé n'a été accompli sur la période 2013-2015, alors que l’effort structurel cumulé recommandé était de 3,0 % du PIB.
(17)Compte tenu de la demande motivée de l'Espagne et des points qui précèdent, notamment les profondes réformes structurelles qui ont été menées par le gouvernement espagnol depuis 2012 et qui sont toujours en place, le contexte économique difficile au cours de la période couverte par la recommandation du Conseil de juin 2013, les engagements à réduire le déficit annoncés par le gouvernement intérimaire espagnol dans sa demande motivée, ainsi que les mesures d’assainissement mises en place en réponse à la recommandation de la Commission du 9 mars 2016 sur les mesures à prendre par l’Espagne pour permettre une correction en temps voulu de son déficit excessif, une annulation de l’amende de 0,2 % du PIB est considérée comme justifiée,
A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:
Article premier
L’amende de 0,2 % du PIB à infliger à l'Espagne pour non-engagement d'une action suivie d'effets en réponse à la recommandation du Conseil du 21 juin 2013 est annulée.
Article 2
Le Royaume d’Espagne est destinataire de la présente décision.
Fait à Bruxelles,
Par le Conseil
Le président