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Document 32016D0154

Décision (UE) 2016/154 de la Commission du 22 juillet 2015 concernant l'aide d'État SA.13869 (C 68/2002) (ex NN 80/2002) — Requalification en capital des provisions comptables en franchise d'impôt pour le renouvellement du Réseau d'Alimentation Générale mise à exécution par la France en faveur de EDF [notifiée sous le numéro C(2015) 4959] (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)

JO L 34 du 10.2.2016, p. 152–190 (BG, ES, CS, DA, DE, ET, EL, EN, FR, HR, IT, LV, LT, HU, MT, NL, PL, PT, RO, SK, SL, FI, SV)

Legal status of the document In force

ELI: http://data.europa.eu/eli/dec/2016/154/oj

10.2.2016   

FR

Journal officiel de l'Union européenne

L 34/152


DÉCISION (UE) 2016/154 DE LA COMMISSION

du 22 juillet 2015

concernant l'aide d'État SA.13869 (C 68/2002) (ex NN 80/2002) — Requalification en capital des provisions comptables en franchise d'impôt pour le renouvellement du Réseau d'Alimentation Générale mise à exécution par la France en faveur de EDF

[notifiée sous le numéro C(2015) 4959]

(Le texte en langue française est le seul faisant foi)

(Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)

LA COMMISSION EUROPÉENNE,

vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notamment l'article 108, paragraphe 2, premier alinéa (1),

après avoir invité les intéressés à présenter leurs observations conformément audit article (2),

et vu ces observations,

considérant ce qui suit:

(1)

Par décision du 16 octobre 2002, la Commission a ouvert la procédure formelle d'examen prévue à l'article 108, paragraphe 2, du TFUE (la «décision d'ouverture») relative à l'avantage résultant du non-paiement de l'impôt sur les sociétés dû par l'Établissement Public à Caractère Industriel et Commercial «Électricité de France (E.D.F.), Service National» («EDF», devenue société anonyme Électricité de France SA vers la fin 2004), lors de la restructuration de son bilan en 1997, sur une partie des provisions comptables créées en franchise d'impôt pour le renouvellement du réseau d'alimentation général («RAG») et requalifiées en capital.

(2)

Dans leurs observations transmises à la Commission par lettre du 11 décembre 2002, les autorités françaises ont contesté qu'EDF ait bénéficié d'un avantage fiscal et fait valoir notamment que la dotation complémentaire en capital corrigeait une sous-capitalisation et était de ce fait justifiée.

(3)

Par lettre du 21 janvier 2003, la Commission a transmis à la France les seules observations reçues d'une partie intéressée, en l'invitant à présenter ses commentaires. La France n'a pas présenté de commentaires sur ces observations.

(4)

Une réunion technique entre la Commission et les autorités françaises s'est tenue le 12 février 2003, suivie par une demande d'informations de la Commission du 4 juillet 2003.

(5)

Le 11 novembre 2003, la France a fourni de nouvelles informations. Le 17 novembre 2003, une nouvelle réunion technique a été organisée entre la Commission, les autorités françaises et des représentants d'EDF. Les autorités françaises ont fourni des informations complémentaires le 20 novembre 2003.

(6)

Par décision du 16 décembre 2003 (3), la Commission a déclaré la mesure d'aide dont avait bénéficié EDF incompatible avec le marché intérieur et exigé la récupération de cette aide avec intérêts. L'aide a été remboursée en février 2004.

(7)

Par son arrêt du 15 décembre 2009, le Tribunal a annulé la décision de la Commission (4). La France a repayé à EDF le montant d'aide qui avait été remboursé en 2004.

(8)

Par son arrêt du 5 juin 2012, la Cour a rejeté le pourvoi formé par la Commission contre l'arrêt du Tribunal (5).

(9)

Par décision du 2 mai 2013, la Commission a étendu la procédure formelle d'examen (la «décision d'extension») (6).

(10)

Les autorités françaises ont transmis leurs observations à la Commission le 1er juillet 2013.

(11)

Par lettre du 13 août 2013, la Commission a transmis à la France les observations du 29 juillet 2013 d'une seule partie intéressée, à savoir EDF, en l'invitant à présenter ses commentaires. Le 11 octobre 2013, la France a présenté ses commentaires sur les observations d'EDF.

(12)

Le 18 octobre 2013, EDF a transmis à la Commission une étude préparée par un consultant (Oxera) datée du 15 octobre 2013. Le 22 octobre 2013, la Commission a transmis cette étude à la France en l'invitant à présenter ses commentaires. Cette invitation était toutefois assortie de la réserve que l'étude avait été transmise plus de deux mois et demi après la date limite fixée par la décision d'extension et, d'autre part, qu'elle avait été établie après la décision d'investissement dans EDF dont se prévalait la France. Le 6 novembre 2013, la France a présenté ses commentaires sur l'étude.

(13)

Une réunion entre la Commission et les autorités françaises s'est tenue le 14 novembre 2013. Le 15 novembre 2013, la Commission a demandé de nouvelles informations et des précisions sur les observations de la France, qui ont été transmises le 23 décembre 2013.

(14)

Le 22 novembre 2013, EDF a transmis à la Commission un avis juridique à la demande d'EDF en complément et au soutien de ses observations du 29 juillet 2013.

(15)

À la demande d'EDF, une réunion avec la Commission en présence des autorités françaises s'est tenue le 12 mars 2014.

(16)

Le 13 mai 2014, la Commission a demandé des commentaires éventuels relativement à l'avis juridique transmis par EDF ainsi que des précisions et informations supplémentaires à la France, que celle-ci a fournis par lettre du 19 juin 2014.

1.   DESCRIPTION DÉTAILLÉE DE LA MESURE

1.1.   LE BÉNÉFICIAIRE: EDF, ÉVOLUTION DE SON STATUT ET DE SON CAPITAL

(17)

EDF a été créée par la loi no 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l'électricité et du gaz (la «loi no 46-628») qui, aux termes de son article 1er, a nationalisé la production, le transport, la distribution, l'importation et l'exportation d'électricité en France. Cette loi confiait la gestion des entreprises nationalisées d'électricité à un établissement public national à caractère industriel et commercial dénommé «Électricité de France (E.D.F.), Service National».

(18)

L'article 16 de la loi no 46-628 prévoyait que le solde net des biens, droits et obligations transférés à EDF constituait son capital, appartenait à la nation, était inaliénable et, en cas de pertes d'exploitation, devait être reconstitué sur les résultats des exercices ultérieurs. Aux termes de l'article 1er du décret no 56-493 du 14 mai 1956 relatif aux dotations en capital à EDF, celles-ci étaient soumises aux règles fixées par l'article 16 de la loi précitée. Aux termes de l'article 2 du même décret, ces dotations donnent lieu à l'attribution à l'État d'un intérêt et d'un dividende.

(19)

En vertu de la loi no 46-628, EDF était depuis sa création et toujours en 1997, un établissement public national à caractère industriel et commercial, non régi par les dispositions applicables aux sociétés anonymes. Un établissement public à caractère industriel et commercial n'a pas de capital social, contrairement à une société anonyme de droit public, qui est détenue par ses actionnaires (7). En dépit des termes «capital» et «dotation en capital» utilisés dans les textes pertinents, EDF ne disposait pas de capital social du fait de son statut de personne morale de droit public. La loi no 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (la «loi no 2004-803») prévoyait un changement futur de ce statut. Dans son article 24, la loi no 2004-803 précisait qu'EDF, dont l'État devait détenir plus de 70 % du capital, serait régie par les lois applicables aux sociétés anonymes sauf dispositions législatives contraires. L'article 47 de cette loi prévoyait aussi la transformation ultérieure de l'établissement public EDF en société anonyme, sous réserve de publication d'un décret portant sur son nouveau statut. L'article 46 précisait que le bilan de la société EDF au 31 décembre 2004 serait établi à partir du bilan au 31 décembre 2003 et du compte de résultat pour l'exercice 2004 de l'établissement public EDF.

(20)

La transformation d'EDF en société anonyme est devenue effective en application du décret no 2004-1224 du 17 novembre 2004 portant statuts de la société anonyme Électricité de France. Les statuts annexés au décret prévoient qu'EDF serait dorénavant une société anonyme régie par les lois et règlements applicables aux sociétés commerciales, notamment le code de commerce, dans la mesure où il n'y est pas dérogé par des dispositions plus spécifiques y compris les statuts mêmes.

(21)

L'article 6 des statuts d'EDF prévoit que le capital social de la société, initialement détenu intégralement par l'État, est fixé à la somme de 8,129 milliards d'EUR, divisé en 1 625 800 000 actions de 5 EUR chacune. Le capital social de la nouvelle société anonyme EDF a été fixé en novembre 2004 au même montant que le capital et les dotations au capital de l'établissement public à caractère économique et commercial EDF cumulés jusque-là, à savoir 8,1 milliards d'EUR. Ce montant de capital et de dotations en capital avait été atteint en application de la loi no 97-1026 du 10 novembre 1997 portant diverses mesures d'ordre économique et commercial (la «loi no 97-1026») et était resté inchangé depuis 1997.

(22)

Comme stipulé par la loi 2004-803 et les statuts d'EDF, à tout moment, l'État devait — et doit — détenir plus de 70 % du capital de la société. En novembre 2005, des actions nouvelles d'EDF admises à la cotation sur Euronext ont été offertes à prix ouvert («OPO»), ouvrant par-là effectivement le capital d'EDF à d'autres actionnaires que l'État.

1.2.   LA CRÉATION DE PROVISIONS COMPTABLES POUR LE RENOUVELLEMENT DU RÉSEAU D'ALIMENTATION GÉNÉRALE

(23)

Aux termes de son article 36, la loi no 46-628 a transféré à EDF l'ensemble des concessions d'électricité nationalisées. Pour ces concessions, selon l'article 37 de la loi, le concessionnaire est tenu de respecter un cahier des charges type. Les différentes concessions de transport d'électricité ainsi transférées par l'État à EDF ont été unifiées en 1958 en une concession unique appelée réseau d'alimentation générale (RAG).

(24)

En l'absence de règles comptables propres aux concessions, dès 1946, EDF a considéré qu'elle était propriétaire des biens faisant partie du RAG et inscrit ces biens à l'actif de son bilan. En application de l'article 8 du cahier des charges approuvé par le décret no 56-1225 du 28 novembre 1956, EDF est tenue d'exécuter à ses frais tous les travaux d'entretien et de renouvellement nécessaires au maintien des ouvrages de la concession en bon état de fonctionnement.

(25)

En 1987, à la suite d'une modification en 1982 du plan comptable général prévoyant des règles spécifiques pour les biens devant revenir à l'État à la fin de la concession, EDF a modifié sa pratique comptable pour les actifs du RAG jusque-là considérés comme biens propres et classé ces actifs au poste du bilan «Biens mis en concession». EDF a appliqué à ces actifs les règles comptables spéciales établies en France pour les biens mis en concession qui doivent être retournés à l'État à la fin de celle-ci, et a créé en franchise d'impôt des provisions pour le renouvellement du RAG.

(26)

Dans un rapport de 1994 (8), la Cour des comptes a considéré que, en présence d'un concessionnaire unique et permanent de l'État, désigné par la loi, tel qu'EDF, il était difficile de considérer les biens constituant le RAG comme devant revenir à l'État à la fin de la concession, par opposition aux biens propres du RAG appartenant à EDF. En d'autres termes, la modification comptable introduite par EDF en 1987 se traduisant par la constitution de provisions en franchise d'impôt n'apparaissait pas justifiée à la Cour des comptes. Des travaux de régularisation de la situation d'EDF ont été engagés rapidement entre l'entreprise et les administrations de tutelle.

(27)

En 1997, EDF avait dans ses comptes deux types de provisions créées en franchise d'impôt pour le renouvellement du RAG: les provisions non encore utilisées pour un montant de 38,5 milliards de FRF et les droits du concédant, correspondant aux opérations de renouvellement déjà réalisées, pour un montant de 18,345 milliards de FRF.

1.3.   LA REQUALIFICATION DES PROVISIONS COMPTABLES

(28)

La loi no 97-1026 a clarifié le statut des biens constituant le RAG. Dans son article 4, cette loi dispose:

«I.

Les ouvrages du réseau d'alimentation générale en énergie électrique sont réputés constituer la propriété d'Électricité de France depuis que la concession de ce réseau lui a été accordée.

II.

Pour l'application des dispositions du I, au 1er janvier 1997, la contre-valeur des biens en nature mis en concession du réseau d'alimentation générale figurant au passif du bilan d'Électricité de France est inscrite, nette des écarts de réévaluation correspondants, au poste “Dotations en capital” […].»

(29)

Le recours à la loi s'imposait pour toute opération portant sur le capital d'EDF. En effet, dans sa version en vigueur en 1997, l'article 16 de la loi no 46-628 prévoyait que le capital d'EDF était inaliénable et appartenait à la nation. Ainsi, les dotations au capital d'EDF résultant du reclassement des provisions pour le renouvellement du RAG relevaient du domaine de la loi en droit français.

(30)

La loi no 97-1026 établit la propriété des actifs du RAG. Le bilan d'EDF a donc été réorganisé par la loi no 97-1026. Les provisions constituées par EDF entre 1987 et 1996 pour le renouvellement du RAG en vue d'une restitution de ces actifs à l'État, utilisées ou non, devenaient sans objet si la propriété des biens du RAG était réputée appartenir à EDF.

(31)

Une lettre du ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, du secrétaire d'État au Budget et du secrétaire d'État à l'Industrie, adressée à EDF le 22 décembre 1997 (ci-après la «lettre du ministre de l'Économie»), explique dans son annexe 1 la restructuration du haut du bilan d'EDF, en application de l'article 4 de la loi no 97-1026:

«—

Reclassement des “droits du concédant” (18 345 563 605 F):

Consolidation en dotations en capital de la contre-valeur des biens en nature du RAG mis dans la concession à hauteur de FRF 14 119 065 335.

Regroupement des écarts de réévaluation du RAG de 1959 (2 425 MF) et de 1976 (immobilisations non amortissables: 97 MF) avec le poste “Ecarts de réévaluation RAG”, dont le montant passe ainsi de 1 720 MF à 4 145 MF.

Regroupement des provisions réglementées relatives à la réévaluation des immobilisations amortissables de 1976 (1 704 MF), le poste passant de 877 MF à 2 581 MF.

Reclassement des provisions pour renouvellement devenues injustifiées (38 520 943 408 F) au report à nouveau, en application de l'avis du Conseil national de la comptabilité no 97-06 du 18 juin 1997 relatif aux changements comptables.»

(32)

Dans le cadre de la réorganisation du bilan d'EDF, les autorités françaises ont suivi l'avis no 97-06 du 18 juin 1997 du Conseil national de la comptabilité, relatif aux changements de méthodes comptables, changements d'estimation, changements d'options fiscales et corrections d'erreurs (l'«avis du Conseil national de la comptabilité»), lequel établit que les corrections d'erreurs comptables, qui, par leur nature même, portent sur la comptabilisation des opérations passées, «sont comptabilisées dans le résultat de l'exercice au cours duquel elles sont constatées».

(33)

Conformément à la loi no 97-1026 et à la lettre du ministre de l'Économie, les écarts de réévaluation ont été transférés à la rubrique «Capitaux propres» sans incidence fiscale, car ils correspondaient à des plus-values de réévaluation réalisées en franchise d'impôt ou sous un régime de neutralité fiscale suite aux lois de réévaluation de 1959 et de 1976.

1.4.   L'INCIDENCE FISCALE DE LA REQUALIFICATION DES PROVISIONS COMPTABLES

(34)

L'annexe 3 de la lettre du ministre de l'Économie établit également les conséquences fiscales de la réorganisation du bilan d'EDF. Une variation d'actif net est constatée avec le reclassement des provisions pour renouvellement non utilisées, d'un montant de FRF 38,5 milliards, au report à nouveau, et soumise à l'impôt sur les sociétés au taux de 41,66 % applicable en 1997. Ainsi, les provisions non encore utilisées pour un montant de FRF 38,5 milliards ont été imposées normalement par les autorités françaises. En revanche, la partie des provisions également constituée en franchise d'impôt et consolidée comme dotation au capital correspondant aux droits du concédant, n'a pas été imposée.

(35)

Une note de la direction générale des impôts du 9 avril 2002, communiquée à la Commission par les autorités françaises, indique que «les droits du concédant afférents au RAG représentent une dette indue que l'incorporation au capital a libérée d'impôt de manière injustifiée» et que «cette réserve aurait dû, préalablement à son incorporation au capital, être transférée du passif de l'établissement où elle figurait à tort vers un compte de situation nette entraînant ainsi une variation positive d'actif net imposable en application de l'article 38-2» du Code général des impôts. Elles constatent que «l'avantage en impôts ainsi obtenu [en 1997 par EDF] peut être évalué à 5,88 milliards de FRF (14,119 × 41,66 %)».

2.   DÉCISION D'OUVERTURE

(36)

Dans sa décision d'ouverture, la Commission concluait que la création irrégulière de provisions complémentaires pour renouvellement du RAG sur la période 1987-1996 avait favorisé EDF au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE. Cette opération lui avait procuré un avantage économique sélectif résultant de la différence entre la valeur capitalisée de l'impôt sur les sociétés non payé sur les provisions au cours de la même période et le montant de l'impôt sur les sociétés acquitté par EDF en 1997, à la suite de l'entrée en vigueur de l'article 4 de la loi no 97-1026.

(37)

En dépit du fait qu'EDF exerçait en France des activités sur une série de marchés soumis à des droits de monopole avant l'entrée en vigueur de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil (9) libéralisant le secteur de l'électricité, la Commission considérait que les mesures d'aides en cause en faveur d'EDF avaient faussé ou menacé de fausser la concurrence et affecté les échanges entre États membres au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE. Cela résultait en particulier du fait que, malgré les droits exclusifs dont jouissait EDF dans l'exercice de certaines activités en France, il existait néanmoins un certain degré de commerce entre États membres sur ces marchés. De surcroît, une libre concurrence existait sur les marchés connexes sur lesquels EDF avait déjà diversifié ses activités au-delà de l'étendue de ses droits exclusifs, que ce soit d'un point de vue géographique ou sectoriel. Ces effets étaient déjà présents bien avant la libéralisation du secteur de l'électricité.

(38)

La Commission concluait aussi qu'il s'agissait d'une aide nouvelle qui ne semblait pas, à ce stade, permettre de considérer que les conditions énoncées à l'article 107, paragraphes 2 et 3, du TFUE, étaient remplies. Par ailleurs, les autorités françaises n'avaient pas invoqué l'application des dispositions de l'article 106, paragraphe 2, du TFUE.

3.   OBSERVATIONS D'UN TIERS INTÉRESSÉ

(39)

Par lettre du 6 janvier 2003, le Syndicat National des Producteurs Indépendants d'Électricité Thermique (SNPIET) a adressé des observations à la Commission dans le cadre de la procédure formelle d'examen. Selon ces observations, en ce qui concerne le non-paiement, en 1997, de l'impôt sur les sociétés sur une partie des provisions créées en franchise d'impôt pour le renouvellement du RAG, EDF ne s'est pas conformée, dans le cadre de ses activités, aux règles en usage dans les sociétés industrielles et commerciales, contrairement au prescrit de la loi no 46-628 du 8 avril 1946.

4.   OBSERVATIONS DE LA FRANCE SUR LA DÉCISION D'OUVERTURE DE LA PROCÉDURE FORMELLE D'EXAMEN

(40)

Les autorités françaises ont communiqué leurs observations à la Commission par lettre du 11 décembre 2002. Elles contestent le caractère d'aide d'État du non-paiement, en 1997, de l'impôt sur les sociétés sur une partie des provisions comptables créées en franchise d'impôt pour le renouvellement du RAG.

(41)

A titre préliminaire, les autorités françaises contestent le montant des provisions pour renouvellement du RAG avancé par la Commission. Les autorités françaises soutiennent ensuite que, même en l'absence de provisions pour le renouvellement du RAG, EDF n'aurait pas été en mesure de payer l'impôt sur les sociétés de 1987 à 1996 du fait de reports fiscaux fortement déficitaires. De plus, l'État étant à la fois propriétaire d'EDF et autorité concédant le RAG, les autorités françaises ont considéré que les droits du concédant ne constituaient pas pour l'État une dette réellement exigible. Par conséquent, lors de la restructuration du bilan en 1997, elles ont affecté ces droits du concédant aux capitaux propres d'EDF afin de corriger sa sous-capitalisation, mais sans les soumettre à l'impôt sur les sociétés.

(42)

Les autorités françaises considèrent que la restructuration comptable opérée en 1997 peut être considérée comme une dotation complémentaire en capital d'un montant équivalent à l'exonération partielle d'impôt, dont le but a été également de corriger une sous-capitalisation. EDF et l'État auraient souhaité affecter les quasi-fonds propres en capital, abstraction faite de l'impôt sur les sociétés. Il aurait été jugé plus efficace et neutre d'affecter directement les droits du concédant en fonds propres pour leur montant total plutôt que d'effectuer l'opération de nature équivalente qui aurait consisté à affecter en capital un montant net après impôts sur les sociétés, solliciter le versement par EDF de l'impôt sur les sociétés correspondant à la variation de l'actif net, et enfin, procéder à une dotation complémentaire en capital d'un montant équivalent à l'impôt payé.

(43)

Les autorités françaises estiment qu'une telle dotation complémentaire était justifiée par les perspectives de rentabilité offertes par EDF en 1997, qui se sont d'ailleurs concrétisées pendant les années suivantes. Dans des circonstances comparables, selon les autorités françaises, un investisseur privé avisé en économie de marché aurait procédé à un tel apport en capital.

(44)

Les autorités françaises contestent également que la rémunération de l'État ait été indûment diminuée de 1987 à 1996 à la suite de la création des provisions en question. Elles indiquent que, même si le résultat net avait été supérieur, la rémunération de l'État n'aurait pas été plus élevée car, pendant cette période, le niveau de la rémunération ne correspondait pas à un pourcentage prédéfini du résultat net de l'entreprise. Ce niveau était déterminé librement par l'État en valeur absolue et pouvait ne pas être fixé en fonction de la situation financière de l'entreprise. De plus, cette rémunération n'était pas obligatoirement prélevée sur les bénéfices nets de chaque exercice. Dans cette perspective et compte tenu des reports déficitaires d'EDF, les autorités françaises soulignent que l'État a finalement prélevé de 1987 à 1996 un dividende dont le niveau a dépassé de façon considérable les limites établies en droit des sociétés.

(45)

Les autorités françaises estiment, en outre, que même si la constitution des provisions pour le renouvellement du RAG s'était traduite par un avantage, celui-ci devrait être considéré comme annulé par l'augmentation de l'impôt sur les sociétés payé en 1997. Elles estiment également que sur la période 1987-1996, EDF a globalement versé à l'État une somme supérieure à l'impôt sur les sociétés qu'aurait payé une société commerciale, qui n'aurait pas constitué de provisions pour renouvellement du RAG et qui aurait versé à son actionnaire un dividende égal à 37,5 % du résultat net après impôt.

(46)

Par ailleurs, les autorités françaises considèrent que si l'existence d'un avantage indu devait être établie, il s'agirait d'une aide existante, et non d'une aide nouvelle, en raison de la prescription décennale fixée par l'article 15 du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil (10), courant à partir de l'octroi des premiers éléments d'aide. Compte tenu de ce que la première demande de renseignements de la Commission date du 10 juillet 2001, les éventuels éléments d'aide accordés avant 1991 seraient prescrits. Les autorités françaises estiment que l'intervention du législateur en 1997 n'a pas eu pour effet d'interrompre cette prescription, puisque seules des mesures de la Commission peuvent avoir cet effet. Les autorités françaises estiment enfin qu'il s'agirait en tout état de cause d'une aide existante, dans la mesure où elle a été octroyée avant la libéralisation du marché de l'électricité.

(47)

Dans leur lettre du 20 novembre 2003, les autorités françaises rappellent leurs arguments quant aux écarts de réévaluation inclus dans le montant des droits du concédant figurant dans les comptes sociaux et quant à l'application de la règle de prescription. De plus, elles affirment que le taux de l'impôt sur les sociétés qui aurait dû être appliqué à la restructuration du bilan d'EDF est celui de 1996 (taux de 36,67 %), et non de 1997 (taux de 41,66 %). En effet, elles considèrent que cette restructuration a été réalisée sur base d'une déclaration fiscale déposée le 23 décembre 1997, soit après la clôture de l'exercice 1996 mais avant celle de l'exercice 1997.

(48)

Les autorités françaises contestent ainsi l'affirmation de la Commission selon laquelle EDF aurait bénéficié d'un avantage en 1997 en raison du non-paiement de l'impôt sur les sociétés sur une partie des provisions créées en franchise d'impôt pour le renouvellement du RAG.

5.   LES ARRÊTS DES JURIDICTIONS DE L'UNION EUROPÉENNE

(49)

Dans son arrêt du 15 décembre 2009, le Tribunal a annulé la décision de la Commission du 16 décembre 2003, au motif qu'il appartenait à la Commission de vérifier si un investisseur privé avisé en économie de marché aurait procédé à un investissement comparable dans son montant dans des circonstances similaires. Le Tribunal a estimé que la Commission aurait dû vérifier si l'opération satisfaisait au critère de l'investisseur privé. Le Tribunal a donc considéré que la Commission avait commis une erreur de droit et enfreint l'article 107 du TFUE.

(50)

Dans son arrêt du 5 juin 2012, la Cour a rejeté le pourvoi formé par la Commission contre l'arrêt du Tribunal. La Cour a notamment considéré que le constat effectué par le Tribunal selon lequel l'obligation pour la Commission de vérifier si les capitaux avaient été apportés par l'État dans des circonstances correspondant aux conditions normales du marché existait indépendamment de la forme sous laquelle les capitaux avaient été apportés n'était entaché d'aucune erreur de droit. La Cour a aussi estimé que l'appréciation du Tribunal selon laquelle le critère de l'investisseur privé peut être applicable même dans le cas où des moyens de nature fiscale ont été employés, n'est pas non plus entachée d'erreur de droit.

6.   DÉCISION D'EXTENSION DE LA PROCÉDURE FORMELLE D'EXAMEN

(51)

En conséquence de l'annulation de la décision du 16 décembre 2003, la Commission doit adopter une nouvelle décision en vertu de l'article 266 du TFUE et de l'article 13 du règlement (CE) no 659/1999 pour clore la procédure en se conformant aux points de droit établis de manière définitive par l'arrêt de la Cour. La décision du 16 décembre 2003 ayant été annulée, la Commission devait réexaminer les questions relatives aux articles 3 et 4 de cette décision.

(52)

D'un côté, ni la Cour, ni le Tribunal n'avaient estimé que la décision d'ouverture était entachée d'irrégularité. Elle peut donc constituer la base d'une nouvelle décision finale. D'un autre côté, la Cour a clairement édicté des critères d'applicabilité et d'application du critère de l'investisseur privé en économie de marché. Ces critères s'appuient, notamment, sur l'existence d'éléments objectifs et vérifiables montrant que la décision de l'État membre était bien de procéder à un investissement dans l'entreprise publique contrôlée, se fondant sur des évaluations économiques comparables à celles qu'un investisseur privé avisé en économie de marché aurait fait établir, avant l'investissement, afin d'en déterminer la rentabilité future (11).

(53)

Dans la décision d'extension de la procédure formelle d'examen, la Commission notait que, à ce stade de la procédure administrative, aucune preuve, démonstration ou document ne venaient étayer l'affirmation des autorités françaises selon laquelle la réforme comptable de 1997 équivaudrait à une dotation complémentaire en capital d'un montant égal à l'exonération partielle d'impôt. Contrairement aux observations des autorités françaises, il n'apparaissait pas non plus qu'une telle dotation complémentaire en capital serait, non une aide, mais un investissement auquel aurait procédé dans des circonstances comparables un investisseur privé avisé en économie de marché, justifié par les perspectives de rentabilité offertes par EDF en 1997, qui se seraient d'ailleurs concrétisées pendant les années suivantes.

(54)

Par conséquent, dans la décision d'extension, la Commission précisait, au vu des informations et documents disponibles, son analyse préliminaire de l'éventuel avantage économique découlant du non-paiement par EDF, en 1997, de l'impôt sur les sociétés sur la partie des provisions correspondant aux FRF 14,119 milliards de droits du concédant reclassés en dotations en capital.

(55)

À cet égard, l'appréciation globale des faits de l'espèce semblait indiquer que cette mesure relevait de la puissance publique, écartant par-là l'applicabilité du principe de l'investisseur privé. En effet, à l'appui de leur assertion, les autorités françaises n'avaient produit aucune information ou plan d'affaires précédant ou simultané à la décision de ne pas prélever l'impôt sur EDF, qui montrerait la rentabilité d'une telle opération. Sur le plan matériel, au regard des critères énoncés par la Cour, la Commission notait qu'il convenait que la France établisse dûment la date des documents fournis ainsi que la preuve qu'ils avaient été examinés par les ministres et fonctionnaires compétents et les assemblées du Parlement avant l'adoption de la décision litigieuse.

(56)

En l'absence de ces éléments, en revanche, c'est dans l'exercice de compétences fiscales que la France semblait avoir réservé un traitement fiscal dérogatoire à la restructuration du haut de bilan d'EDF, pour ce qui est du reclassement des provisions des droits du concédant prévu à l'article 4 de la loi no 97-1026. Aucune disposition budgétaire expresse ne pré-affectait cette ressource fiscale au profit d'EDF, pas plus que des règles ou contrôles en matière d'investissements n'avaient été mis en œuvre pour fournir une base juridique à l'investissement prétendu.

(57)

De même, dans sa décision d'extension, la Commission notait à titre subsidiaire que, quand bien même le principe de l'investisseur privé en économie de marché eût été applicable, l'application du principe permettait de conclure à ce stade qu'un investisseur privé n'aurait pas investi FRF 5,88 milliards dans la dotation au capital d'EDF en 1997. En l'absence d'éléments transmis par les autorités françaises, il semblait exclu qu'un actionnaire privé dans des circonstances normales de marché eût procédé à l'investissement prétendu sans avoir examiné au préalable des études objectives et fiables effectuées de préférence par un tiers impartial conseiller en investissement, plutôt que, par exemple, l'entreprise bénéficiaire, qui montreraient, notamment, le rendement sur les capitaux investis, l'horizon de retour sur investissement et les risques intrinsèques dans l'absolu et par rapport aux modalités de rémunération liés à un tel investissement.

(58)

À cet égard, la Commission ajoutait aux facteurs qu'un investisseur privé avisé aurait examiné avant d'engager ses fonds, l'incertitude sur le montant et l'évolution des charges de financement des retraites auxquelles EDF devait faire face en 1997, en application de son régime spécifique, et l'évaluation que pouvait en faire un investisseur à cette époque.

(59)

Dans ces conditions, l'exonération partielle d'impôt sur les sociétés en 1997 apparaissait non pas comme un investissement productif de la part de l'État actionnaire mais plutôt comme une mesure dérogatoire de nature fiscale susceptible d'avoir procuré un avantage économique à EDF.

(60)

Il apparaissait par ailleurs que la non perception de l'impôt sur les sociétés dû par EDF mettait en jeu des ressources étatiques et était susceptible d'affecter la concurrence et les échanges entre États membres, remplissant par-là les autres conditions d'application de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE.

(61)

En l'absence de base juridique qui permettrait de fonder la compatibilité avec le marché intérieur d'une aide au fonctionnement renforçant la position d'EDF vis-à-vis ses concurrents, dans sa décision du 2 mai 2013, la Commission émettait des doutes quant à la compatibilité de l'aide avec le marché intérieur. Des doutes analogues avaient déjà été soulevés dans la décision d'ouverture.

7.   OBSERVATIONS DES TIERS INTÉRESSÉS

(62)

Par lettre du 29 juillet 2013, EDF a présenté des observations sur la décision d'extension. EDF formule trois critiques principales à l'encontre du raisonnement développé dans cette décision: i) la décision ignore les enseignements de l'arrêt du Tribunal et méconnaît la véritable nature de recapitalisation d'EDF mise en œuvre par l'État, ii) la décision est excessivement formaliste en postulant à tort la nécessité d'un plan d'affaires lié à l'investissement alors que la recapitalisation est le fruit d'une réflexion mûrement planifiée comme en attestent de nombreux documents d'époque et iii) la décision postule, sans démonstration, qu'aucun investisseur placé dans la situation la plus proche de l'État n'aurait procédé à un investissement comparable, contrairement aux éléments factuels que fournit EDF à l'appui de ses observations.

(63)

Pour EDF, la Commission continuerait ainsi d'analyser la mesure adoptée par l'État français en 1997 au travers du seul prisme de ses prétendues incidences fiscales, alors que le Tribunal a clairement rejeté cette approche. Comme l'a affirmé le Tribunal, la mesure mise en œuvre par l'État, lorsqu'il a procédé au reclassement des droits du concédant en dotations en capital, constitue une opération de recapitalisation d'EDF destinée à corriger le déséquilibre du bilan d'EDF dans la perspective de l'ouverture des marchés de l'énergie à la concurrence. La lettre du ministre de l'Économie du 22 décembre 1997 ne contient pas une décision fiscale distincte de la loi de 1997, mais sert à en constater les incidences fiscales. C'est cette mesure de recapitalisation, une et indivisible, qu'il convient d'examiner, et non de prétendues incidences fiscales qui en sont artificiellement dissociées dans la décision d'extension de la procédure formelle d'examen.

(64)

Selon EDF, un plan d'affaires spécifique à l'investissement ne serait pas exigé par la jurisprudence, qui n'établit aucun formalisme en la matière mais requiert des éléments objectifs et vérifiables antérieurs ou contemporains à la mesure examinée. Au demeurant, un tel plan d'affaires n'aurait pas été indispensable à l'État en 1997. Celui-ci disposait de cinq représentants au Conseil d'administration d'EDF, détenait tout le capital d'EDF depuis 1946 et à l'époque des faits, connaissait parfaitement l'entreprise et était associé à sa gestion et à la détermination de ses orientations stratégiques, dans une perspective de long terme. Selon EDF ne telle perspective de long terme serait particulièrement pertinente dans le cas d'EDF en raison de l'intensité capitalistique de son activité et des durées de vie d'installations de plusieurs dizaines d'années, allant de 30 à 75 ans dans certains cas.

(65)

Pour EDF, c'est en tant qu'actionnaire et non en tant que puissance publique que l'État, comme l'attestent de nombreux documents d'époque, aurait réalisé un investissement sur le fondement d'analyses et d'évaluations prospectives précises. Ainsi, dès 1995 auraient été lancés les travaux associant EDF et ses ministères de tutelle pour tirer les conséquences de l'avis de la Cour des comptes, mentionné au considérant 26. Ces travaux ont ainsi porté notamment sur la réorganisation du bilan de l'entreprise et sur la rentabilité du capital. Ils ont abouti à la signature du contrat d'entreprise entre l'État et EDF pour la période 1997-2000 le 8 avril 1997 et au dépôt concomitamment, le 2 avril 1997, d'un projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier dont l'article 45 reproduisait à l'identique les dispositions de l'article 4 de la loi no 97-1026. Les travaux préparatoires de l'Assemblée et du Sénat, voire, la loi elle-même, montreraient, selon EDF, que la nature de l'intervention de l'État est celle d'un actionnaire: une dotation en capital recapitalisant EDF.

(66)

Comme l'attesteraient une quarantaine de documents d'époque qu'EDF joint à ses écritures, dans ses analyses et réflexions, l'État était guidé par quatre préoccupations principales:

prendre en considération le nouveau contexte concurrentiel d'ouverture progressive des marchés à la suite de la directive 96/92/CE,

normaliser ses relations financières avec EDF sur des bases de droit commun en mettant fin à des ambiguïtés qui avaient pu exister dans le passé,

remédier au déséquilibre significatif qui affectait la structure de bilan d'EDF en renforçant ses fonds propres,

faciliter les comparaisons internationales pour accroître la crédibilité de l'entreprise auprès de la communauté financière.

(67)

Enfin, pour EDF, le critère de l'investisseur privé avisé en économie de marché est non seulement applicable en raison des considérations évoquées mais en outre il y est satisfait en l'espèce puisque l'État a agi comme l'aurait fait un investisseur privé. Pour EDF, selon la Cour (points 78 et 89 de l'arrêt), il s'agit de déterminer si EDF aurait pu obtenir le même avantage que celui qui a été mis à sa disposition au moyen de ressources d'État dans des circonstances normales de marché et si celui-ci est, en raison de ses effets, de nature à fausser ou menacer de fausser la concurrence.

(68)

De nombreux documents d'époque montreraient ici encore que l'État a bel et bien examiné et quantifié la rentabilité de son investissement, comme l'aurait fait un investisseur actionnaire unique de l'entreprise et développant une perspective de long terme. C'est sur cette base qu'a été fixée la rémunération de l'État dans le contrat d'entreprise d'EDF 1997-2000, rémunération qui était à l'époque conforme aux rémunérations des actionnaires de sociétés comparables. Les estimations des montants qu'EDF devrait verser à l'État de 1997 à 2000 ont ainsi été examinées par celui-ci préalablement à la conclusion du contrat.

(69)

Par ailleurs, dans ses observations de juillet 2013, EDF anticipait une étude commandée à Oxera, non encore finalisée lorsqu'EDF a présenté ses observations. EDF alléguait que l'étude Oxera comparerait le taux de rendement interne attendu de l'investissement de l'État en 1997 et celui exigé par les marchés de capitaux pour un investissement similaire et montrerait qu'un investisseur privé aurait procédé à l'investissement selon les conditions fixées dans le contrat d'entreprise 1997-2000.

(70)

EDF a transmis à la Commission le 18 octobre 2013, cette étude d'Oxera, datée du 15 octobre 2013 (12), sans autres commentaires. Comme l'anticipait EDF dans ses observations de juillet 2013, l'étude Oxera conclut qu'un investisseur privé avisé en économie de marché aurait investi dans l'accroissement du montant des dotations en capital à EDF. Cette conclusion résulte du fait que la rentabilité (taux de rendement interne) qu'un tel investisseur eût pu espérer en 1997 se situait dans une fourchette entre 35 % et 15 % et à 27 % en moyenne dans un horizon de cinq ans, dans tous les cas supérieure à la rentabilité de 12,7 % qu'un tel investisseur aurait demandée. Le rendement est calculé en tenant compte de la valeur, en début et en fin de période, de la vente des droits dans EDF détenus par l'État.

(71)

EDF estime que, hormis la faiblesse des fonds propres, les fondamentaux économiques d'EDF étaient sains en 1997, comme l'observaient les analystes de l'époque, qui n'ont pas émis de doute sur sa viabilité financière ou ses perspectives commerciales au moment où l'État a réalisé son investissement. La notation financière d'EDF était excellente (Aaa pour Moody's entre 1992 et 1997, AAA pour Standard & Poor's en 1996-1997) et le serait restée même s'il avait fallu l'abaisser d'un ou deux crans pour tenir compte de la garantie d'État dont EDF jouissait en tant qu'établissement public à caractère industriel ou commercial. Il ressort de plusieurs documents d'époque que le niveau de rémunération de l'État français par EDF était comparable aux taux de rendement en dividendes des sociétés du CAC40 (4,5 % à 5 % du capital) ainsi que des entreprises actives dans le secteur énergétique en Europe (4,7 % et 5,27 % estimés respectivement pour 1996 et 1997). Cela montrerait par ailleurs qu'EDF aurait pu obtenir le même montant de capital sur le marché des capitaux, de sorte que la mesure n'était pas, en raison de ses effets, de nature à fausser la concurrence.

(72)

En particulier, EDF estime qu'un investisseur privé, détenteur de la totalité du capital d'une filiale, aurait été en mesure de réaliser, dans des conditions comparables, un investissement similaire dans ladite filiale, en convertissant en capital une créance détenue sur celle-ci, quelle qu'en soit la nature. Cette analyse a été confortée par un avis juridique émis à la demande d'EDF. En cherchant à remédier à une structure financière disproportionnée par la faiblesse des capitaux propres comparée à l'endettement financier, l'État aurait aussi permis à l'entreprise de faire concurrence à d'autres grands opérateurs du secteur dans l'Union. Ce même actionnaire n'aurait donc pas sciemment laissé perdurer un déséquilibre significatif dans le bilan de sa filiale aux fondamentaux économiques sains, alors qu'il disposait d'un moyen aisé de remédier à ce déséquilibre en procédant à la conversion en capital d'une créance.

(73)

Pour EDF, il est donc raisonnable de penser qu'un investisseur privé placé dans la situation la plus proche possible de celle de l'État, à savoir un actionnaire à 100 % de l'entreprise, développant une perspective de long terme, dans un marché hautement capitalistique sur le point d'être ouvert à la concurrence, aurait procédé au même investissement.

8.   OBSERVATIONS DE LA FRANCE SUR LA DÉCISION D'EXTENSION DE LA PROCÉDURE

(74)

Les autorités françaises considèrent, à titre principal, que l'État a agi en tant qu'investisseur privé avisé en économie de marché lorsqu'il a reclassé en franchise d'impôt sur les sociétés les droits du concédant en dotations en capital d'EDF. Elles considèrent que, contrairement à la présentation qui est faite dans la décision d'ouverture de la procédure du 16 octobre 2002 et dans la décision d'extension de la procédure du 2 mai 2013, la mesure que la Commission se doit d'analyser est une mesure unique de recapitalisation d'EDF par le biais de l'adoption de l'article 4 de la loi no 9-1026 et non celle de l'octroi d'une franchise d'impôt relative au reclassement des droits du concédant en dotation en capital, qui serait dissociable des termes de ladite loi. Elles s'appuient sur les informations présentes dans un certain nombre de documents datant de 1996 et 1997 annexés à leurs observations, qui étayent et corroborent, selon elles, cette affirmation. Ces documents sont mentionnés aux considérants 87 à 108. Pour les autorités françaises, d'autres documents présentés par EDF conforteraient par ailleurs les observations de la France.

(75)

A titre subsidiaire, les autorités françaises rappellent qu'elles contestent le montant de l'aide et réitèrent leurs observations du 20 novembre 2003 selon lesquelles le taux d'imposition à appliquer audit impôt devrait être celui de 1996 et non celui de 1997, comme exposé au considérant 47.

Sur l'applicabilité du principe de l'investisseur privé en économie de marché

(76)

Les autorités françaises contestent que l'exonération d'impôt litigieuse ressortisse à la qualité de puissance publique de la France, ce qui rend inapplicable le principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché. Elles considèrent que la Cour n'exige pas de l'État membre qu'il présente un véritable plan d'affaires se rapportant à la mesure litigieuse.

(77)

À cet égard, premièrement, elles rappellent qu'EDF était en 1997 un établissement public industriel et commercial placé sous la tutelle de l'État qui, de ce fait, possédait une connaissance fine de l'entreprise ainsi que de sa stratégie industrielle et de ses perspectives financières. Elles estiment en conséquence que la présentation des informations et évaluations dont l'État disposait avant de prendre la mesure litigieuse qui démontrent la rentabilité de l'investissement sont recevables. La Commission doit effectuer une analyse globale incluant notamment ces éléments ainsi que tout autre élément pertinent.

(78)

Deuxièmement, compte tenu de la nature et de l'objet de l'article 4 de la loi no 97-1026, les autorités françaises estiment que l'État aurait agi en sa qualité d'actionnaire en accordant une exonération d'impôt au reclassement des provisions des droits du concédant. Ainsi, cette loi a été précédée par la signature le 8 avril 1997 du contrat d'entreprise entre l'État et EDF pour la période 1997-2000, dont l'exécution présupposait l'adoption de mesures législatives de restructuration de son bilan. Préalablement, dans une lettre du 12 juillet 1996, les autorités de tutelle avaient signalé à EDF que ce contrat devait fixer à EDF un objectif ambitieux de rémunération de l'État. Or, le titre III du contrat prévoyait une rémunération de l'État résultant de deux éléments: i) une rémunération des dotations en capital à un taux fixe de 3 % et ii) une rémunération complémentaire égale à 40 % du résultat net comptable d'EDF, le montant combiné des deux éléments ne pouvant toutefois être supérieur à 6 % du montant des dotations en capital.

(79)

L'État aurait examiné cette rémunération sous forme de perspectives de dividendes, qu'il aurait quantifiées, pour ce qui est de la rémunération complémentaire, à FRF 3,5 milliards pouvant atteindre jusqu'à FRF 6 milliards sur la période, comme l'atteste une lettre du 22 avril 1997 des autorités de tutelle à EDF. Cette estimation se fondait sur les perspectives économico-financières qu'EDF avait transmises aux services du ministère des finances le 19 février 1997 et sur les hypothèses du contrat d'entreprise. Le rapport de septembre 1997 du rapporteur au Sénat sur la loi no 97-1026 incluait aussi des analyses des services du ministère sur l'incidence attendue sur la rémunération de l'État actionnaire pour 1998, à savoir, FRF 2,6 milliards dont FRF 1,5 milliard d'intérêt fixe et FRF 1,1 milliard de rémunération complémentaire. L'État aurait donc estimé les projections futures de rémunération avant de procéder à l'adoption de la mesure en cause, comme tout actionnaire souhaitant participer à l'augmentation de capital de son entreprise.

(80)

Troisièmement, les autorités françaises considèrent que le reclassement provisions des droits du concédant et, plus largement, la restructuration du bilan d'EDF et le renforcement des fonds propres palliaient la faiblesse de la structure financière de l'entreprise. Si cette faiblesse s'était poursuivie, EDF aurait probablement dû faire face à une augmentation du taux d'intérêt pour sa dette et à une difficulté avec ses partenaires commerciaux en raison d'une perception négative du risque de contrepartie. Un tel souci d'État actionnaire ressortirait de l'exposé des motifs de l'article 4 du projet de loi devenu ensuite la loi no 97-1026, tout comme du discours du ministre compétent présentant le projet de loi devant le Sénat le 2 octobre 1997.

(81)

Les rapports du député et du sénateur rapporteurs sur le projet de loi devant l'Assemblée nationale et le Sénat respectivement insistent par ailleurs sur l'effet positif de la restructuration du bilan d'EDF sur les ratios de dette par rapport aux capitaux propres: le premier rapport jugeait ceux-ci (FRF 24,2 milliards) insuffisants par rapport aux dettes d'emprunt (FRF 131,9 milliards) et à l'actif net (FRF 696,4 millions); le renforcement des capitaux propres rendrait à EDF une structure de bilan plus conforme à sa réalité patrimoniale, tout en permettant des comparaisons plus pertinentes avec les concurrents européens; le deuxième rapport insistait en plus sur l'effet positif pour EDF d'une crédibilité accrue auprès de la communauté financière et auprès de ses partenaires potentiels. Or, pour les autorités françaises, le renforcement de la structure financière d'une entreprise correspond à une préoccupation d'un investisseur privé avisé en économie de marché placé dans une situation comparable.

(82)

Il en résulterait, selon les autorités françaises, que le test de l'investisseur privé avisé en économie de marché était bien applicable puis que l'État aurait agi en sa qualité d'actionnaire en reclassant sans prélèvement d'impôt les provisions des droits du concédant en dotations en capital à EDF.

Sur l'application du principe de l'investisseur privé en économie de marché

(83)

Tout d'abord, les autorités françaises rappellent que le contrat d'entreprise entre l'État et EDF prévoyait une rémunération de l'État résultant de deux éléments: i) une rémunération des dotations en capital à un taux fixe de 3 % et ii) une rémunération complémentaire égale à 40 % du résultat net comptable d'EDF, ce qui montrerait que l'État disposait d'informations sur le rendement attendu des capitaux investis. Comme l'attesterait par ailleurs le rapport du député de l'Assemblée nationale précité, compte tenu de l'existence d'un taux fixe sur les dotations en capital, le reclassement en capital des provisions des droits du concédant a eu pour effet d'augmenter en valeur absolue la rémunération de l'État, du fait de l'élargissement de l'assiette.

(84)

Ensuite, les autorités françaises considèrent que la rentabilité de l'investissement dans EDF en 1997 devait être envisagée dans une perspective de long terme au regard des versements futurs à l'État et à l'aune de l'accroissement de la valeur de l'entreprise. Or aux résultats nets après impôts et rémunération de l'État positifs (FRF 1,4 milliard en sus de FRF 2,5 milliards en 1998 de rémunération de l'État), s'ajouterait une génération de ressources importantes sur la période 1997-2000, de près de FRF 70 milliards, comme le contrat d'entreprise le prévoyait. Comme le souligne le courrier d'EDF de 19 février 1997, l'État avait bien fixé un objectif d'accroissement de la valeur patrimoniale de l'entreprise chiffré à ce montant et résultant du désendettement, constitution d'actifs et des investissements de développement, fournissant des perspectives d'accroissement de la valeur du capital d'EDF.

(85)

Enfin, dans l'appréciation des risques de l'investissement, l'État actionnaire aurait pris en compte les caractéristiques de l'activité prépondérante d'EDF qui se développait principalement en France, reposant sur un principe de tarification réglementée devant couvrir les coûts de l'entreprise. Ces caractéristiques diminueraient le risque associé à l'investissement et, par conséquent, l'exigence de rentabilité. Une note d'EDF du 27 juillet 1996, transmise au Sénat le 15 septembre 1997, montrerait par ailleurs que les rémunérations des actionnaires dans des entreprises étrangères différaient sensiblement en fonction de l'environnement institutionnel et règlementaire du secteur dans chaque pays.

(86)

Il en résulterait, selon les autorités françaises, que l'État a eu un comportement d'investisseur privé avisé en économie de marché lorsqu'il a reclassé les provisions des droits du concédant en dotations en capital sans prélèvement d'impôt sur les sociétés. Cette conclusion serait en outre confirmée par les observations d'EDF, y compris les études et analyses sur lesquelles elles s'appuient, reprises aux considérants 62 à 73. En particulier, pour l'étude économique d'Oxera transmise par EDF, les autorités françaises estiment que la Commission doit effectuer la même analyse afin de déterminer si la recapitalisation d'EDF par l'État en 1997 présente ou non le caractère d'un investissement avisé.

Les documents transmis par la France à l'appui de ses observations

(87)

À l'appui de leur réponse à la décision d'extension, les autorités françaises ont transmis neuf documents à la Commission, en annexe à leurs observations du 1er juillet 2013. Ces neuf documents sont présentés à l'appui de leur affirmation, déjà contenue dans leurs observations du 11 décembre 2002, selon laquelle une dotation complémentaire en capital équivalente au produit de l'impôt non-perçu était justifiée par les perspectives de rentabilité offertes par EDF en 1997, qui se sont d'ailleurs concrétisées pendant les années suivantes. Sans préjudice des éléments mis en avant par la France dans ses observations, il convient de procéder à une analyse systématique des principaux éléments contenus dans ces pièces.

(88)

Les documents portent soit sur la préparation ou l'exécution du contrat d'entreprise entre l'État et EDF pour la période 1997-2000, soit sur la discussion du projet de loi devenu ensuite la loi no 97-1026. Il s'agit de pièces datant de 1996 à 1997 et donc contemporaines de la prétendue décision d'investissement. Plus concrètement, ces documents sont le contrat d'entreprise 1997-2000 (13), des courriers des ministres de tutelle à l'entreprise (14), des courriers de l'entreprise aux administrations du ministère ou du Sénat (15) et des documents et deux rapports de l'Assemblée Nationale et du Sénat en préparation de la discussion sur le projet de loi (16). Le contenu des documents est davantage précisé ci-après.

(89)

Par un courrier du 12 juillet 1996 au président d'EDF, les ministres de tutelle se félicitent des résultats du contrat de plan 1993-1996 entre EDF et l'État et, en vue de l'échéance au 31 décembre 1996, amorcent la préparation du contrat de plan 1997-2000. En outre, le courrier précise que la définition des équilibres financiers du contrat de plan 1997-2000 devait s'inscrire dans un nouveau cadre normalisant la situation comptable et fiscale d'EDF, à la suite des travaux menés depuis 1995. Ce courrier demandait de lancer les travaux et discussions entre les services responsables et EDF, tout en faisant part à l'entreprise des trois objectifs premiers qui devaient être pris en compte dans le futur contrat:

en premier lieu, les ministres demandaient que: «Les gains de productivité réalisés par l'entreprise doivent lui permettre de poursuivre sa politique de baisse tarifaire, contribuant à la compétitivité de l'industrie française et à l'accroissement du pouvoir d'achat du consommateur domestique»,

EDF devait aussi simultanément maintenir son effort de désendettement et se fixer un objectif ambitieux de rémunération de l'État, avec un mécanisme comportant une incitation pour EDF à améliorer ses résultats,

enfin, le contrat de plan devait aussi fixer les orientations stratégiques du développement d'EDF à l'international, en hiérarchisant les priorités.

(90)

Dans la suite des travaux de préparation du contrat, le 19 février 1997, le Directeur financier d'EDF transmettait à la direction du Trésor une note d'EDF du 18 février 1997. La note contenait les principales hypothèses du scenario financier associé au contrat d'Entreprise entre EDF et l'État pour la période 1997-2000, incluant notamment les comptes de résultat annuels et les tableaux de financement prévisionnels pour la période.

(91)

La note prévoyait un mouvement de baisse tarifaire chaque année (– […] (17) %, – […] %, – […] %, – […] %), des investissements industriels de développement de FRF […], dont FRF […] à l'international, et des investissements de FRF […] dans l'activité principale sur la période 1997-2000. Une rémunération fiscalement déductible des dotations en capital de 3 % sur une assiette estimée à FRF 50 milliards après restructuration du bilan et de 40 % du résultat après la part fixe de rémunération et l'impôt sur les sociétés est aussi évoquée. La dette en fin d'année devait aussi passer de FRF […] fin 1996 à FRF […] fin 2000. De même, le solde de la dette moins les actifs devait passer de FRF […] fin 1996 à FRF […] fin 2000.

(92)

Parmi les documents transmis par les autorités françaises en annexe à leurs observations, la note d'EDF du 18 février 1997 transmise aux autorités de tutelle le lendemain est le seul à contenir des prévisions et projections systématiques et chiffrées des résultats économiques et financiers d'exploitation d'EDF. Sur base de ces prévisions de février 1997, l'État actionnaire pouvait escompter une rémunération du capital investi de FRF 2,1 milliards en 1997, 2,5 milliards en 1998, 2,4 milliards en 1999 et 2,4 milliards en 2000, soit FRF 2,35 milliards en moyenne annuelle. Le compte de résultat prévisionnel d'EDF 1997-2000 repris dans la note, se présentait comme suit:

Tableau 1

Compte de résultat prévisionnel EDF 1997-2000 (milliards FRF courants)

 

1997

1998

1999

2000

Recettes

186,3

184,2

185,7

187,5

Charges

177,0

177,2

179,1

180,9

dont combustible et achats d'énergie

36,9

36,8

37,8

38,5

dont dépenses d'exploitation

88,3

91,2

93,6

95,7

Résultat de l'activité principale

9,3

7,0

6,6

6,6

Résultat avant rémunération de l'État

6,8

6,5

6,1

6,1

Rémunération des dotations en capital

1,5

1,5

1,5

1,5

Rémunération complémentaire

0,6

1,0

0,9

0,9

Impôt sur les sociétés

3,9

2,6

2,4

2,3

Résultat net

0,9

1,4

1,3

1,4

Source: Note d'EDF du 18 février 1997«Contrat d'Entreprise — Perspectives Economico-Financières».

(93)

Comme précisé dans la note d'EDF, la rémunération versée à l'État était fiscalement déductible. Cela constitue une dérogation au principe selon lequel l'impôt sur les sociétés est prélevé sur le résultat de l'entreprise après amortissement et intérêts, ce qui diminue le résultat net et, par conséquent, le montant éventuellement destiné au paiement de dividendes. Cette dérogation ad hoc augmentait potentiellement la rémunération versée à l'État actionnaire mais diminuait d'autant l'impôt à verser à l'État percepteur. Dans leur réponse du 23 décembre 2013, les autorités françaises précisent que la rémunération des dotations au capital a été assimilée à un dividende de droit commun à partir de 2001 et, par conséquent, le caractère fiscalement déductible de cette rémunération a été supprimé. Cette règle d'assimilation a été appliquée pour le contrat de groupe entre EDF et l'État pour la période 2001-2003, qui a succédé au contrat 1997-2000.

(94)

Le 8 avril 1997, un contrat d'entreprise entre l'État et EDF pour la période 1997-2000 a été conclu et signé par les ministres de tutelle et le Président et directeur général d'EDF. Le contrat précisait les principales orientations qu'EDF devait donner à son action à moyen terme, contenait les engagements réciproques des signataires et rappellait que ces engagements étaient pris sous des hypothèses de référence larges et ne pouvaient être remis en cause que par une modification significative de l'environnement de l'entreprise. Le contrat comportait des engagements divers sous trois titres: réaffirmer les missions fondamentales de l'entreprise publique (titre I), préparer aujourd'hui l'avenir de l'entreprise (titre II) et inscrire l'entreprise dans un cadre financier et institutionnel rénové (titre III). Deux annexes au contrat détaillaient les indicateurs de performances suivis pour l'exécution (annexe I) et les mouvements tarifaires prévus par année entre 1997 et 2000 (annexe II).

(95)

Les principaux engagements et orientations stipulés dans le contrat en rapport avec l'objet de la présente décision sont repris ci-dessous, à savoir:

l'État réaffirmait sa volonté de maintenir le statut de l'entreprise qui, parmi d'autres éléments, avait fait preuve de son efficacité et devait demeurer une référence stable dans l'évolution à venir, comme le permettait la directive européenne sur l'organisation du marché intérieur de l'électricité (18). De son côté, EDF devait participer à l'aménagement du territoire et à la solidarité nationale, notamment en mettant en œuvre une politique ambitieuse pour soutenir l'activité économique et l'emploi en se mettant au service des collectivités pour les aider à créer des emplois et en améliorant la situation de ses clients les plus démunis (titre I),

le développement d'EDF devait favoriser «le renforcement de la compétitivité des entreprises françaises»; ainsi les gains de productivité auxquels l'entreprise s'engageait devaient être affectés en priorité à la baisse du niveau moyen de ses prix. Les ajustements tarifaires devaient entraîner des baisses moyennes en francs constants de […] % en avril 1997, […] % en avril 1998 puis […] % en avril 1999 et […] % en avril 2000. Concomitamment, le développement d'EDF devait viser à conquérir des nouveaux marchés en privilégiant notamment l'Europe (titre II),

le bilan d'EDF devait être restructuré dans le double but de renforcer la situation nette de l'entreprise et de stabiliser la relation financière avec l'État sur des bases plus proches du droit commun; ainsi le gouvernement s'engageait à soumettre au Parlement une mesure législative restructurant le bilan d'EDF en 1997, avec une date d'effet de la restructuration au 1er janvier 1997. Le contrat prévoyait une rémunération de l'État actionnaire composée de deux éléments: une rémunération des dotations en capital avec un taux d'intérêt de 3 % et une rémunération complémentaire égale à 40 % du résultat comptable net, avec un plafonnement de la somme de ces composantes à 6 % du montant des dotations en capital, sans inclure un chiffrage estimatif en valeur absolue des montants prévus. En outre, pour la période 1997-2000, EDF s'engageait notamment à consacrer FRF […] à des investissements industriels à l'international, à ramener sa dette brute à FRF […] fin 2000 en la réduisant de FRF […] pour s'inscrire dans une trajectoire permettant d'arriver à une dette nulle à l'horizon de renouvellement du parc de production. Enfin, le contrat prévoyait qu'un dépassement éventuel des objectifs correspondant à un excédent de ressources devait être affecté «en priorité à une baisse tarifaire supplémentaire», avant la rémunération de l'État actionnaire ou l'intéressement du personnel de l'entreprise (titre III).

(96)

Une lettre des ministres cosignataires du contrat d'entreprise au président d'EDF du 22 avril 1997 confirme le caractère consensuel et définitif des hypothèses de référence et des projections financières contenus dans la note d'EDF du 18 février 1997 qui sous-tendaient le contrat d'entreprise 1997-2000. En effet, la lettre se réfère ainsi expressément à la concertation préalable entre EDF et les pouvoirs publics dans l'élaboration du scénario financier. Elle reprend l'objectif d'une baisse moyenne de […] % des tarifs d'EDF en quatre ans.

(97)

La lettre du 22 avril 1997 mentionne les dispositions du décret du 14 mai 1956 modifié et les modalités de rémunération versée à l'État retenues dans le titre III du contrat d'entreprise. En cohérence avec ces dispositions, la lettre précise qu'«il ressortait du scenario de référence un montant de rémunération complémentaire de 3,5 mdF sur la période» 1997-2000 et que ces conditions rendaient possible d'atteindre un montant total de versements à l'État de FRF 5,1 milliards en 1997, en incluant l'intérêt fixe et l'acompte sur l'impôt sur les sociétés. Ces montants correspondent à ceux contenus dans la note d'EDF du 18 février 1997. La correspondance des montants de rémunération complémentaire calculée sur les résultats de l'entreprise corrobore que les montants de toute nature (revenus, charges, résultat net, etc.) prévus dans le compte d'exploitation prévisionnel d'EDF pour la période 1997-2000 ont été examinés, validés et retenus par les autorités de tutelle.

(98)

La lettre des ministres de tutelle du 22 avril 1997 souligne aussi que les grands équilibres du contrat s'inscrivaient dans le cadre comptable et fiscal de la restructuration du bilan d'EDF, qui devait prendre effet, sous réserve des dispositions législatives nécessaires, au 1er janvier 1997. À cet égard, la lettre précise que «[l]es modalités détaillées de mise en œuvre de cette restructuration, tant sur le plan comptable que sur le plan fiscal, feront l'objet, sur la base du schéma désormais arrêté, d'échanges complémentaires entre les tutelles et l'entreprise».

(99)

En effet, peu de temps avant ce courrier, le gouvernement avait déposé à l'Assemblée Nationale un projet de loi adopté en conseil des ministres le 5 avril 1997 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier dont l'article 45 prévoyait le reclassement des provisions comptables d'EDF. L'exposé des motifs de ce projet expliquait que les ajustements comptables prévus permettraient à EDF de disposer d'un bilan plus conforme à sa situation économique réelle, avec un niveau de capitaux propres proportionné à son volume d'activité. Le projet de loi n'a pas été examiné du fait de la dissolution de l'Assemblée nationale, intervenue le 21 avril 1997.

(100)

Après la transmission au Parlement du projet de loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier ultérieurement adopté en tant que loi no 97-1026, l'Assemblée nationale et le Sénat ont désigné leurs rapporteurs. Le rapport no 204 de l'Assemblée nationale décrit l'historique à l'origine de la nécessité de préciser le statut patrimonial des ouvrages de transport d'électricité d'EDF, qui rendrait caduques les pratiques comptables contestées par la Cour des comptes dans son Rapport particulier sur les concessions d'EDF no 1993 du 10 octobre 1994. Il explique les modifications comptables qui seront nécessaires et fournit des estimations chiffrées de leurs conséquences sur les différents postes du bilan comme suit:

Tableau 2

Effets de la réorganisation des capitaux propres d'EDF résultant de l'article 4 de la loi MUFF sur les comptes 1996 (milliards de FRF)

 

Fin 1996

Effet de l'article

Capitaux propres

24,2

79,8

dont (postes de passif):

 

 

Capital

2,6

2,6

Dotations en capital

36,6

50,7

Écarts de réévaluation

2,1

6,2

Réserves réglementaires

0,15

0,15

Report à nouveau (19)

20,2

18,3

Résultat de l'exercice après rémunération de l'État

1,9

1,9

Source: Ministère de l'économie et des finances.

(101)

Le rapport de l'Assemblée nationale met en avant les effets du projet de loi pour rendre plus pertinentes les comparaisons avec les ratios d'endettement d'autres concurrents européens (Autriche, Grande-Bretagne Suède, Espagne, Allemagne): après restructuration du bilan, le ratio dette nette/capitaux propres d'EDF passerait de 480 % à 148 %.

(102)

En outre, le rapport de l'Assemblée nationale souligne les changements dans les relations financières entre l'État et EDF. Il explique le régime juridique et la rémunération des dotations en capital à EDF, régis par le décret no 56-493 du 14 mai 1956, modifié par le décret no 86-1360 du 30 décembre 1986. Ce régime prévoyait une rémunération à taux fixe plafonné à 8 % et une rémunération complémentaire sur le résultat d'EDF après impôt et intérêt fixe. Les versements effectués par EDF pour la période entre 1991 et 1996 présentés dans le rapport atteignirent FRF 3,41 milliards par an en moyenne durant cette période; rapportés aux capitaux propres fin 1996, ces versements produisirent une rentabilité courante moyenne de 14,1 % pour l'État actionnaire (20); ces versements sont récapitulés dans le tableau ci-dessous:

Tableau 3

Relations financières entre l'État et EDF (en millions de FRF courants)

 

1991

1992

1993

1994

1995

1996

Intérêts sur les dotations en capital (BG — ligne 407)

1 816

1 816

1 816

1 816

1 816

1 816

Rémunération complémentaire des dotations en capital (BG — ligne 116)

500

665

965

1 938

1 500

4 002

Total

2 316

2 481

2 781

3 754

3 316

5 818

Source: Rapport Assemblée nationale p.77, Calculs Commission pour «total».

(103)

Le rapport de l'Assemblée nationale précise, au sujet des modifications prévues dans le bilan d'EDF, que «[l]es dotations en capital constituant l'assiette de l'intérêt fixe, l'augmentation de celles-ci induite par le présent article risquait d'alourdir le prélèvement sur EDF. Une modification de leurs conditions de rémunération est donc prévue dans le contrat État-entreprise 1997-2000 signé le 8 avril 1997. Le taux d'intérêt fixe est ramené à 3 % afin de compenser l'effet d'assiette». Le rapport signale en outre qu'en dépit de bénéfices depuis 1990, EDF n'avait pas acquitté d'impôt sur les sociétés et que la remontée des provisions liée à la concession RAG permettrait l'apurement en une seule fois des reports à nouveau comptables et fiscaux déficitaires accumulés. De ce fait, le rapport fait état de ce que, selon le ministère de tutelle, l'établissement public (EDF) devrait s'acquitter de FRF 3 milliards en 1997 et FRF 2,5 milliards en 1998 au titre de l'impôt sur les sociétés.

(104)

Le rapport de l'Assemblée nationale évoque l'examen d'un amendement parlementaire au texte de loi présenté et rejeté en commission. L'amendement visait à préciser que les provisions comptables déclassifiées devaient être transformées en capitaux propres par une écriture comptable ne passant pas par le compte de résultat d'EDF, de façon à éviter de faire apparaître un bénéfice très important que l'État pourrait être tenté de prélever en partie. Pour ce faire, l'amendement prévoyait d'inclure dans la loi le procédé comptable et de préciser qu'aucun prélèvement supplémentaire ne pourrait être effectué par l'État sur EDF à l'occasion du transfert de propriété des biens du RAG. Le rapport relève que «L'inscription du procédé comptable de transformation des provisions en capitaux propres dans la loi avait été écartée à la demande du Conseil d'État, car n'étant pas de nature législative»; dans la discussion, le rapport relève plusieurs opinions parlementaires selon lesquelles l'État devrait pouvoir effectuer d'autres prélèvements sur EDF, l'entreprise devrait s'acquitter de l'impôt au titre de ses bénéfices et que la véritable question était de «savoir combien le Gouvernement allait prélever sur EDF et de quelle manière».

(105)

De son côté, le rapport du Sénat rédigé en vue de la discussion du projet de loi précise le caractère injustifié de la création des provisions comptables pour renouvellement des biens du RAG depuis 1987. Le discours du ministre responsable devant le Sénat le 2 octobre 1997, lors de la présentation du projet de loi, met en relief la nature «fictive» du point de vue fiscal des pertes d'EDF et du non-paiement de l'impôt sur les sociétés qu'entraînaient ces provisions. Le ministre rassurait le Sénat dans son discours sur le fait que le dispositif ne remettait nullement en cause le monopole dont disposait EDF. Le rapport du Sénat présente les conséquences de l'article examiné sur les rubriques du bilan d'EDF, avant et après la reclassification des provisions, selon un chiffrage analogue à celui examiné dans la rapport de l'Assemblée nationale, repris au tableau 2 ci-dessus. Le rapport précise que le toilettage du bilan rendrait plus aisée la comparaison avec les bilans des concurrents d'EDF; cela donnerait une crédibilité accrue à EDF auprès de la communauté financière, d'autant plus importante que le coût de renégociation de sa dette dépendait notamment du ratio dette nette/capitaux propres.

(106)

Au titre de la «clarification» des relations financières d'EDF avec l'État, le rapport du Sénat précise qu'«en contrepartie des recettes fiscales que l'établissement public procurera désormais à l'État, le contrat d'entreprise signé le 8 avril 1997 pour les années 1997 à 2000 prévoit une légère réduction des versements d'EDF à l'État». En conséquence de l'imputation positive de la provision pour renouvellement de FRF 38,5 milliards qui rendait EDF redevable de l'impôt sur les sociétés le rapport du Sénat précise que «les relations financières entre l'État et EDF ont été revues à la baisse».

(107)

Enfin, les autres documents présentés par la France incluent une lettre de transmission de la direction financière d'EDF à l'administration du Sénat du 15 septembre 1997. La lettre d'EDF annexait un tableau avec le chiffrage des effets de l'article 4 du projet de loi et les effets sur le bilan, copie de l'instruction du 27 juillet 1993 sur les concessions de distribution d'électricité et une note interne d'EDF de réflexion sur les expériences étrangères quant à la rémunération des actionnaires dans le secteur électrique, datée du 27 juillet 1996. Ce dernier document explique les principes essentiels applicables aux rémunérations de l'actionnaire, la disparité et les chiffres de rentabilité dans le cas de certaines entreprises du secteur: 60-80 % des bénéfices aux États-Unis, 40 % pour National Power et Power Gen, 78 % pour Union Fenosa et 30 % pour Endesa, qui avait procuré une rentabilité à l'État espagnol de 28 % sur la période 1991-1996 compte tenu des dividendes et de l'appréciation du cours de l'action.

(108)

En dépit des deux autres documents transmis au Sénat par EDF dans sa lettre du 15 septembre 1997, les principes, chiffrages et l'application de ceux-ci à la rémunération de l'actionnaire par EDF présentés dans la note du 27 juillet 1996 n'ont pas été analysés ni repris dans le rapport du Sénat. Au contraire, le rapport du Sénat précise, tout comme celui de l'Assemblée nationale, que la baisse prévue de la rémunération à verser à l'État par EDF au titre dotations au capital effectuées par l'État actionnaire était effectuée: «pour tenir compte de l'accroissement des dotations au capital que le présent article avait pour objet d'induire».

9.   APPRÉCIATION DES MESURES: EXISTENCE D'UNE AIDE D'ÉTAT

(109)

L'article 107, paragraphe 1, du TFUE dispose que: «Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions». L'application de ces conditions cumulatives à l'exonération d'impôt accordée par la France à EDF est examinée ci-après.

9.1.   AVANTAGE SÉLECTIF À UNE ENTREPRISE

(110)

La loi no 97-1026 ayant établi qu'EDF était réputée propriétaire du RAG dont la concession lui avait été accordée, il convient de vérifier si cette loi n'implique pas un transfert de propriété du RAG.

(111)

Selon les informations transmises par les autorités françaises, EDF peut raisonnablement être considérée comme propriétaire du RAG avant l'entrée en vigueur de ladite loi. Cette conclusion se fonde sur les éléments suivants: les caractéristiques des différents types de contrats de concession en droit français, les caractéristiques particulières de la concession originale à EDF, qui ne comportait pas de clause précise de rétrocession, la procédure d'acquisition des actifs concernés, pour lesquels EDF a dû acquitter un droit similaire à une indemnité d'expropriation, et les conditions de financement de l'entretien et du développement du RAG aux frais d'EDF. Par conséquent, la «clarification» quant à la propriété du RAG, fournie par la loi no 97-1026, ne semble pas constituer en soi un avantage économique en faveur d'EDF.

(112)

Il faut en conséquence examiner si la loi no 97-1026 a tiré toutes les conséquences fiscales de la clarification qu'elle apporte quant à la propriété du RAG et si, dans l'hypothèse où tel ne serait pas le cas, il n'y a pas eu d'avantage économique de nature fiscale en faveur d'EDF.

9.1.1.   La renonciation à percevoir l'impôt dû par EDF constitue prima facie un avantage sélectif

(113)

Pendant la période 1987-1996, EDF a créé des provisions en franchise d'impôt pour le renouvellement du RAG, dont la Cour des comptes française a souligné l'irrégularité. L'article 4 de la loi no 97-1026 réputant EDF propriétaire du RAG rendait ces provisions sans objet et celles-ci ont dû en conséquence être reclassées à d'autres postes du bilan.

(114)

La lettre du ministre de l'Économie, établissant les conséquences fiscales de la restructuration du bilan d'EDF, montre que les provisions pour renouvellement du RAG non utilisées ont été soumises par les autorités françaises à l'impôt sur les sociétés au taux de 41,66 %, applicable en 1997.

(115)

En revanche, la partie de ces provisions correspondant aux opérations de renouvellement déjà réalisées, aussi appelée droits du concédant, a été reclassée en dotations en capital à hauteur de FRF 14,119 milliards. Ce reclassement de provisions n'a pas été soumis à l'impôt sur les sociétés. L'administration des impôts reconnaît le caractère illégal de cette opération, comme il résulte de la note de la direction générale des impôts du 9 avril 2002, adressée à la Commission et reproduite au considérant 35.

(116)

Selon l'avis du Conseil national de la comptabilité, les corrections d'erreur doivent être comptabilisées dans le résultat de l'exercice au cours duquel elles sont constatées. D'autre part, si les provisions non utilisées qui avaient été créées en franchise d'impôt pour un montant de FRF 38,5 milliards ont été soumises à l'impôt sur les sociétés au taux de 41,66 % en 1997, il n'existe aucune raison objective de ne pas avoir imposé l'autre partie des provisions créées en franchise d'impôt au même taux.

(117)

Les droits du concédant auraient dû être imposés en même temps et au même taux que les autres provisions comptables créées en franchise d'impôt. Cela signifie que les FRF 14,119 milliards de droits du concédant auraient dû être additionnés aux FRF 38,5 milliards de provisions non utilisées pour être imposés au taux de 41,66 % appliqué à la restructuration du bilan d'EDF. En n'acquittant pas la totalité de l'impôt sur les sociétés dû lors de la restructuration de son bilan, EDF a économisé FRF 5 882 849 762 au titre de l'impôt dû.

(118)

La mesure fiscale a eu des effets favorisant EDF en 1997, car le montant de FRF 5,88 milliards d'exonération d'impôt compris dans le montant de FRF 14,119 milliards était enregistré au bilan d'EDF comme droits du concédant, requalifiés par l'État lors de la mise en œuvre de la loi no 97-1026 avec effet rétroactif au 1er janvier 1997. Les conséquences fiscales de la loi sont exposées dans la lettre du ministre de l'économie, avec effet à la même date du 1er janvier 1997.

(119)

Les autorités françaises affirment que, même en l'absence de dotations en provisions pour le renouvellement du RAG, EDF n'aurait pas été en mesure d'acquitter l'impôt sur les sociétés de 1987 à 1996 du fait des reports fiscaux déficitaires. Cet argument n'est pas pertinent. L'avantage fiscal date de 1997, et non des années antérieures. En outre, les dotations en provisions irrégulières ont partiellement provoqué les reports fiscaux déficitaires. Les reports fiscaux auraient progressivement disparu de 1987 à 1996, de sorte que, en 1997, le montant de l'impôt dû par EDF aurait été nettement supérieur à ce qu'il a été, même sans tenir compte du non-paiement d'impôt pour le reclassement des droits du concédant.

(120)

Les autorités françaises estiment également que si la constitution des provisions pour le renouvellement du RAG s'était traduite par un avantage, celui-ci devrait être considéré comme neutralisé par l'augmentation de l'impôt sur les sociétés payé en 1997. Or, comme les autorités françaises l'indiquent elles-mêmes dans leur note du 9 avril 2002 reproduite au considérant 35, si les provisions pour renouvellement non utilisées ont été imposées normalement, les droits du concédant ont été reclassés en dotations en capital sans être soumis à l'impôt sur les sociétés. L'impôt payé par EDF en 1997 est donc inférieur à l'impôt normalement dû.

(121)

Les autorités françaises affirment également que sur la période 1987-1996, EDF a globalement versé à l'État une somme supérieure à l'impôt sur les sociétés qu'aurait payé une société commerciale, qui n'aurait pas constitué de provisions pour renouvellement du RAG et qui aurait versé à son actionnaire un dividende égal à 37,5 % du résultat net après impôt. Par ailleurs, le taux de l'impôt sur les sociétés qui aurait dû être appliqué à la restructuration du bilan d'EDF est celui de 1996, et non de 1997.

(122)

D'une part, comme indiqué aux considérants 32 et 116, le Conseil national de la comptabilité considère que les erreurs comptables doivent être corrigées au cours de l'exercice comptable au cours duquel elles ont été constatées. Les provisions pour renouvellement du RAG étant devenues sans objet à la suite de la loi no 97-1026 du 10 novembre 1997, c'est bien au cours de l'exercice comptable 1997 qu'elles devaient être reclassées, et donc imposées au taux de l'impôt sur les sociétés applicables au cours de cet exercice. D'autre part, les autorités françaises ont elles-mêmes appliqué le taux de l'impôt sur les sociétés de 1997 à la partie des provisions qui a été imposée, comme il est rappelé au considérant 34.

(123)

Le non-paiement par EDF, en 1997, de FRF 5 882 849 762 d'impôt sur les sociétés constitue un avantage économique pour cette entreprise. EDF a pu employer cette somme pour renforcer ses capitaux propres sans faire appel à des ressources financières extérieures. Si l'impôt dû avait été effectivement payé et l'accroissement des capitaux propres avait été financé par les résultats d'exploitation de l'entreprise, celle-ci aurait dû compresser ses coûts, accroître ses revenus ou renoncer à des dépenses d'investissement. En disposant de sommes qui auraient dû être versées à l'État français au titre de l'impôt sur les sociétés, EDF a été bénéficiaire d'une mesure s'appliquant à elle seule et qui l'a favorisée par rapport aux entreprises françaises en situation analogue qui devaient acquitter l'impôt sur les sociétés sur des reclassements de provisions indues, en application de l'article 38-2 du Code général des impôts en vigueur en 1997, comme il est expliqué au considérant 35.

(124)

Toutefois, dans ses observations du 11 décembre 2002, la France a invoqué l'application du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché. Ainsi que le rappellent les juridictions de l'Union, notamment dans leurs arrêts mentionnés aux considérants 7 et 8, en l'espèce, une dotation en capital supplémentaire au bénéfice d'EDF correspondant à l'impôt dû ne favoriserait pas l'entreprise qui en bénéficie en lui fournissant un avantage économique au sens de l'article 107, paragraphe 1 du TFUE s'il était établi qu'un actionnaire privé hypothétique aurait investi dans EDF un montant égal, à des conditions et dans une situation similaires, au regard du critère de l'investisseur privé avisé en économie de marché.

(125)

La Cour, au point 99 de son arrêt précité du 5 juin 2012 a précisé que, par l'arrêt attaqué, le Tribunal n'avait préjugé ni de l'applicabilité, en l'espèce, du critère investisseur privé avisé en économie de marché, ni du résultat de l'éventuelle application de ce critère. Il convient donc d'examiner, successivement, l'applicabilité et l'application de ce principe aux faits de l'espèce, compte tenu notamment des critères énoncés par la Cour.

9.1.2.   Sur l'applicabilité du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché

(126)

Pour déterminer l'applicabilité éventuelle du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché, il convient d'établir, dans le cadre d'une appréciation globale, si l'exonération d'impôt a été accordée par la République française en qualité d'actionnaire ou en qualité de puissance publique. La Cour précise dans son arrêt du 5 juin 2012 plusieurs éléments à prendre en compte dans cette appréciation globale. Ces éléments, plus amplement examinés ci-après par rapport aux circonstances de l'espèce, sont les suivants:

il incombe à l'État membre, en cas de doute, d'établir sans équivoque et sur la base d'éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d'actionnaire (21); ces éléments doivent faire apparaître clairement que l'État membre concerné a pris, préalablement ou simultanément à l'octroi de l'avantage économique, la décision de procéder, par la mesure effectivement mise en œuvre, à un investissement dans l'entreprise publique contrôlée (22),

peuvent notamment être requis, à cet égard, des éléments faisant apparaître que la décision se fonde sur des évaluations économiques comparables à celles que, dans les circonstances de l'espèce, un investisseur privé avisé en économie de marché se trouvant dans une situation la plus proche possible de celle dudit État membre aurait fait établir, avant de procéder audit investissement, aux fins de déterminer la rentabilité future d'un tel investissement (23); la Commission peut refuser d'examiner des éléments de preuve établis postérieurement à l'adoption de la décision d'effectuer l'investissement en question (24),

peuvent être pertinents à cet égard la nature et l'objet de la mesure, le contexte dans lequel elle s'inscrit, ainsi que l'objectif et les règles auxquelles ladite mesure est soumise (25),

l'application du critère de l'investisseur privé avisé en économie de marché doit permettre de déterminer si un actionnaire privé aurait apporté, à des conditions similaires, un montant égal à l'impôt dû, dans une entreprise se trouvant dans une situation comparable à EDF (26).

(127)

Dans leurs observations du 11 décembre 2002 mentionnées au considérant 42, les autorités françaises affirmaient qu'il aurait été jugé plus efficace et neutre pour EDF d'affecter directement les droits du concédant en fonds propres pour leur montant total, sans payer l'impôt sur les sociétés. Pourtant, aucun des documents préalables ou contemporains de la prétendue décision de ne pas prélever l'impôt, transmis par la France ou par EDF à l'appui de leurs observations à la décision d'extension de la procédure, ne mentionne directement ou indirectement la prétendue décision d'investissement, ses conséquences, avantages et inconvénients ou la décision analogue d'accroître le montant des dotations au capital par le non-prélèvement de l'impôt. Les documents transmis par les autorités françaises et mentionnés aux considérants 87 à 108 ne mentionnent pas et, a fortiori, n'analysent pas, les avantages et inconvénients pour l'État de la décision de ne pas prélever l'impôt sur les sociétés sur la partie des provisions des droits du concédant reclassée en dotation en capital d'EDF en vertu de la loi no 97-1026 du 10 novembre 1997.

(128)

Il incombe à la France, en cas de doutes sur l'applicabilité du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché tels que ceux formulés par la Commission, d'établir sans équivoque et sur la base d'éléments objectifs et vérifiables que la mesure mise en œuvre ressortit à sa qualité d'actionnaire. Or, au vu des éléments fournis, il apparaît que la décision de procéder à un investissement en renonçant à prélever l'impôt dû en principe par EDF doit être réputée avoir été prise tacitement, sans acte juridique motivé qui permette de connaître ou de vérifier le contenu précis de cette décision, les raisons et la base juridique qui la fondent et par quelle autorité compétente et à quelle date elle a été prise. Au regard des éléments mis en avant par la Cour pour vérifier l'applicabilité du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché, à savoir, notamment, la nécessité de disposer d'éléments objectifs et vérifiables, une mesure effectivement mise en œuvre ou des évaluations économiques préalables, l'absence de références ou preuves matérielles doit être vue comme une première indication de la non-applicabilité de ce principe.

(129)

En l'absence de documents retraçant la décision alléguée, il convient de décrire l'éventuelle mesure d'investissement qu'aurait mise en œuvre l'État français. En l'espèce, la Cour a estimé que le critère de l'investisseur privé avisé en économie de marché doit permettre de déterminer si un actionnaire privé aurait apporté, à des conditions similaires, FRF 5,88 milliards, dans une entreprise se trouvant dans une situation comparable à EDF. Un investissement par la France impliquerait le renoncement à l'encaissement de ce montant en vue de l'obtention d'un profit qui dépasse les ressources initialement employées. C'est donc par rapport au montant de l'impôt sur les sociétés dû qu'il convient d'effectuer l'analyse.

(130)

À cet égard, l'absence d'études, références ou analyses spécifiques de la profitabilité de l'investissement pour le montant d'exonération d'impôt constitue une difficulté pour isoler les effets de l'investissement allégué dans les informations transmises par la France ou par EDF. Cette difficulté n'est pas insurmontable dès lors qu'il est considéré, pour les besoins de l'analyse dans la plupart des facteurs pertinents pour vérifier l'applicabilité et l'application du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché, que le surcroît d'apport au capital d'EDF pour le montant d'impôt non prélevé bénéficiait des droits attachés à l'ensemble des dotations. Ainsi, si les dotations étaient rémunérées à un certain taux, ce taux devait être et a dans les faits été appliqué au montant d'impôt non-prélevé. En revanche dans les cas où c'est l'effet marginal ou incrémental qui est retenu, les informations transmises par la France ou par EDF ne permettent pas d'illustrer à première vue l'effet d'avoir accru le montant des dotations à due concurrence du montant d'impôt non prélevé.

(131)

Le non prélèvement de l'impôt a eu pour effet d'accroître la dotation au capital d'EDF et, par conséquent, les fonds propres d'EDF à hauteur de FRF 5,88 milliards supplémentaires, dans le montant total de FRF 14,119 milliards des provisions requalifiées. Ces provisions, qui ne correspondaient pas à un apport d'argent frais préalable de l'État actionnaire, ont été requalifiées en dotations au capital, passant vers le poste correspondant du haut de bilan d'EDF, parmi les autres capitaux propres (capital, dotations etc. — Tableau 2). Sans l'exonération d'impôt, les fonds propres d'EDF qui devaient atteindre FRF 79,8 milliards en 1997, auraient atteint FRF 72,1 milliards, d'après les documents examinés à l'époque (considérant 100, Tableau 2). Au lieu de FRF 50,7 milliards, les dotations de l'État au capital d'EDF se seraient établies à FRF 44,8 milliards.

Prétendue décision d'investissement: éléments d'analyse

(132)

Premièrement, comme le soulignent les autorités françaises, puisque l'intégration du montant de l'impôt non payé accroissait l'assiette des dotations et que celle-ci était rémunérée à un taux fixe (3 %), la valeur absolue de la rémunération de l'État a été augmentée par l'exonération ou le non-prélèvement d'impôt (considérant 83). Toutefois, l'accroissement de la dotation au capital correspondant à l'exonération fiscale ne s'est pas traduit par une augmentation relative de la rémunération de l'État. Il est constant à cet égard que la rémunération des dotations de l'État au capital d'EDF est prévue depuis le décret no 56-1360 du 30 décembre 1956 (considérants 18 et 103). Des rémunérations, par ailleurs différentes, ont ainsi été prévues dans les contrats d'entreprise qui ont précédé et suivi celui en vigueur pour la période 1997-2000, comme il est montré aux considérants 93 et 102. Le principe d'une rémunération préexistait la prétendue décision et a été maintenu après celle-ci.

(133)

En outre, l'examen des faits montre que l'exonération d'impôt en cause a pu avoir pour effet de réduire la rémunération de l'investissement de l'État. Le rapport établi par l'Assemblée nationale en septembre 1997 montre sans ambiguïté que l'augmentation du montant total de la dotation est à l'origine d'une réduction de la rémunération de celle-ci afin de ne pas «alourdir le prélèvement sur EDF» (considérant 103). Le rapport du Sénat corrobore cette réduction voulue par les pouvoirs publics (considérant 108).

(134)

Entre 1991 et 1996, EDF a mieux rémunéré l'État pour une assiette inférieure de dotations au capital par rapport à ce qui était envisagé entre 1997 et 2000 pour une assiette supérieure. La rémunération moyenne annuelle en valeur absolue de FRF 3,41 milliards pour la période 1991-1996 où le montant des dotations était de FRF 36,6 milliards a été bien plus importante que celle de FRF 2,35 milliards qui était prévue pour une assiette élargie à FRF 50,7 milliards pendant la période 1997-2000 (considérants 92 et 102-103, tableau 3). Il s'ensuit que le rendement marginal courant de l'accroissement du montant de la dotation au capital à hauteur de FRF 5,88 milliards espéré pour la période 1997-2000 par l'État actionnaire pouvait donc être analysé comme étant négatif au regard de la période 1991-1996.

(135)

En effet, les autorités françaises ont fait en sorte que la rémunération absolue et relative versée à l'État français au titre de la dotation au capital soit d'autant moins élevée en valeur absolue et en valeur relative que l'assiette de la dotation s'élargissait, comme le montrent sans ambiguïté les rapports établis par l'Assemblée nationale et le Sénat. Il s'ensuit qu'en accroissant le montant de la dotation totale moins bien rémunérée que la dotation existant avant la loi no 97-1026, la décision d'octroyer une exonération d'impôt n'apparaît pas nécessairement constitutive d'un investissement.

(136)

Deuxièmement, la manière d'envisager et de fixer la rémunération de l'augmentation des dotations au capital n'est pas celle qu'aurait pu retenir un investisseur privé avisé en économie de marché.

(137)

En effet, comme le montrent les références tant dans les lettres des ministres de tutelle que dans les rapports parlementaires mentionnés aux considérants 97, 103 et 106, dans l'examen en 1997 de la rémunération de l'État français après la restructuration du bilan d'EDF, les autorités françaises ont pris en compte à la fois, la rémunération des dotations au capital échéant à l'État actionnaire stricto sensu et le montant espéré d'impôt que l'État percevrait à partir de 1997 après plusieurs années de reports fiscaux négatifs échéant à l'État agissant comme puissance publique dans le prélèvement de l'impôt. Comme il est montré au considérant 93, la rémunération des dotations était, à son tour, déductible de l'impôt sur les sociétés, par dérogation au droit commun.

(138)

Le concept examiné et validé par les autorités françaises en 1997 était donc celui du prélèvement global sur EDF, impôt et rémunération de l'actionnaire cumulés. Le montant de l'impôt global perçu sur EDF, même par-delà l'exonération litigieuse, qui relève des prérogatives fiscales, et la rémunération versée à l'État en tant qu'actionnaire s'enchevêtrent dans les pièces transmises par les autorités françaises. Pourtant, selon elles, ces pièces démontrent l'existence d'une décision d'investissement. Au contraire, cette prise en considération constante du paiement des impôts dus par EDF à l'État percepteur, y compris par la régularisation et apurement de l'impôt non perçu avant la loi no 97-1026 aux fins d'examiner et fixer la rémunération de l'État actionnaire tend à indiquer que c'est par l'État agissant en tant que puissance publique et non en tant qu'investisseur, que l'exonération d'impôt litigieuse a été consentie.

(139)

Cette indication est par ailleurs renforcée par la nature des objectifs fixés à EDF par l'État en 1997 en considération de préoccupations et objectifs de puissance publique, et non d'actionnaire. Ces préoccupations sont manifestes dans la fixation de tarifs d'EDF, telle que convenue dans le contrat d'entreprise pour la période 1997-2000, dont dépendait la rémunération de l'État actionnaire. En effet, l'État demandait à EDF de contribuer au renforcement de la compétitivité de l'industrie française et celui du pouvoir d'achat des ménages français. Ce sont autant de considérations non seulement étrangères à celles qu'aurait retenues un investisseur privé avisé en économie de marché, mais, de plus, contraires aux intérêts financiers de cet investisseur hypothétique. Il en va de même de l'objectif fixé à EDF dans le contrat d'entreprise 1997-2000 de mettre en œuvre une politique ambitieuse pour soutenir l'activité économique et l'emploi en se mettant au service des collectivités locales (considérants 89 et 95).

Évaluations économiques aux fins de déterminer la rentabilité de l'investissement prétendu

(140)

Le contrat d'entreprise entre l'État et EDF signé le 8 avril 1997 comportait des évaluations préalables du scenario financier, dans lesquelles s'inséraient des prévisions de retour sur l'investissement en dotations au capital d'EDF pour l'État actionnaire (considérant 92). Ces documents et les analyses mis en avant par les autorités françaises se rapportent aux effets attendus du reclassement de toutes les provisions constituées par EDF, qu'elles aient été imposées ou non, qu'elles aient résulté de la mise en œuvre de la loi no 97-1026 ou non. La seule évaluation systématique présentée par les autorités françaises contenue dans la note d'EDF du 18 février 1997 (considérant 92) est générale et limitée à la rémunération réglementaire appliquée aux dotations en capital, y compris celles antérieures à la restructuration du bilan d'EDF, sans inclure, par exemple, la rémunération du capital hors dotations ou la rémunération des fonds propres.

(141)

Aucun document transmis par la France ou par EDF ne montre que la décision d'investissement prétendument prise, à savoir, fournir une plus grande dotation en capital à EDF en ne prélevant pas d'impôt sur le reclassement, aurait fait l'objet d'examen, d'études ou d'analyses spécifiques. Pourtant, compte tenu des montants en cause, un investisseur privé avisé en économie de marché aurait vraisemblablement fait établir une analyse financière et économique d'investissement avant de décider si, compte tenu de la rentabilité réglementaire des dotations au capital, le montant de FRF 5,88 milliards de l'exonération d'impôt était nécessaire pour que l'entreprise assure la rentabilité à long terme de son investissement total et pour que l'actionnaire soit suffisamment rémunéré dans ce but. Ce genre d'étude économique préalable, que la Cour cite au point 84 de son arrêt parmi les éléments permettant de conclure favorablement à l'applicabilité du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché, fait défaut.

(142)

Il est particulièrement remarquable de constater qu'au-delà de la rémunération qui serait octroyée à l'État sur la période 1997-2000, aucune étude de rémunération ni de rendement à plus long terme n'a été effectuée, alors même que la France prétend précisément avoir fait un investissement à long terme. Or, un investisseur privé avisé en économie de marché n'aurait pas omis de procéder à une analyse de rentabilité d'un investissement pour la période postérieure à l'an 2000.

(143)

S'il est raisonnable de penser qu'un investisseur privé avisé en économie de marché aurait pris en compte les effets de la réduction du taux d'endettement d'EDF, il y a lieu de constater que l'avantage pour EDF d'emprunter à moindre coût en raison d'un ratio endettement sur fonds propres amélioré est évoqué en des termes généraux dans certains documents produits par la France (considérants 101 et 105) et par EDF. Toutefois, aucun élément n'évoque les avantages et la rentabilité pour l'État actionnaire d'une diminution du coût d'emprunt d'EDF ou d'un ratio d'endettement plus bas. D'après les quantifications d'époque présentées au considérant 101, le ratio dette nette sur fonds propres d'EDF devait atteindre 148 % avec la nouvelle dotation au capital dans son intégralité, qui s'établissait à FRF 50,7 milliards, en ce compris les FRF 5,88 milliards d'exonération litigieuse. Sans l'exonération d'impôt, ce ratio aurait été d'environ 163 %, soit environ trois fois moindre que le ratio de 480 % avant la loi no 97-1026. Considérée isolément des autres effets du reclassement des diverses provisions, la contribution de l'exonération d'impôt à l'amélioration de ce ratio est peu significative et sa traduction concrète en termes de diminution du coût d'emprunt pour EDF, très douteuse (considérants 170 à 172). En tout état de cause, les documents présentés par les autorités françaises ne mentionnent ni n'analysent comme un investissement ni la rémunération pour l'actionnaire résultant d'un ratio de 148 % ni, a fortiori, celle résultant d'un ratio de 163 %. Il n'y a, sur ce point, aucune évaluation économique préalable comparable à celles qu'un investisseur privé avisé en économie de marché aurait fait établir, telle que mentionnée par la Cour au point 84 de son arrêt.

(144)

À cet égard, l'étude économique présentée par EDF à l'appui de ses observations (considérants 69-70) n'établit pas que la France ait agi en tant qu'investisseur et non en tant que puissance publique. L'étude a été établie postérieurement à la prétendue décision d'investissement prise en 1997 et n'a pas été examinée par les autorités compétentes pour prendre une telle décision. Pour ce motif seul, l'étude n'est pas recevable en tant que preuve, conformément aux indications de la Cour (considérant 126, point 104 de l'arrêt du 5 juin). Que l'étude soit effectuée à partir de données de base authentiques disponibles à l'époque n'est pas de nature à invalider cette conclusion. L'étude a été commandée pour les besoins de la cause à la suite de l'extension de la procédure en mai 2013 et les conclusions auxquelles elle aboutirait étaient apparemment connues par EDF en juillet 2013, alors que l'étude date d'octobre 2013. Des raisons additionnelles rendent par ailleurs non valides les résultats chiffrés auxquels aboutit l'étude et, partant, privent de fondement les conclusions qu'EDF en tire à l'appui de ses observations, à savoir:

l'étude est nourrie par des données de base presque toutes d'époque et applique des approches méthodologiques généralement reconnues dans l'évaluation de la valeur d'entreprises, sous les importantes réserves formulées ci-dessous. Pour autant, elle n'en constitue pas moins une évaluation économique particulièrement complexe, après une recherche de données relativement approfondie, ayant requis trois mois environ pour sa réalisation et validation. Cette élaboration comporte des choix méthodologiques successifs et multiples et parfois contestables. Sans cette élaboration, il est tout à fait impossible, à partir des données de base, éparpillées et de provenances diverses, d'avoir une idée sommaire ou une prévision possible des résultats quantifiés quant à la rentabilité que pouvait prétendument attendre l'État français en 1997, que l'étude présente. Or, la Cour requiert que l'application du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché s'appuie sur les évaluations prévisibles au moment où la décision a été prise (point 105 de l'arrêt du 5 juin 2012). Contrairement aux prétentions d'EDF, le fait même qu'à partir de données disponibles en 1996-1997, les services compétents de l'État français n'aient ni effectué eux-mêmes ni commandé une étude de cette ampleur et de cette complexité fournit une indication que la seule rentabilité pour l'actionnaire de l'investissement prétendu n'était pas la considération pertinente pour les autorités françaises avant de prendre leur décision,

l'étude analyse le comportement de l'État français au regard du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché avec des informations et hypothèses très différentes de celles présentées aux considérants 87 à 108 et qui, selon les autorités françaises, ont motivé et justifié la décision prétendument prise. Or, ce n'est pas EDF qui a pris la décision d'investissement et, selon la Cour (points 82 et 83 de son arrêt du 5 juin 2012), c'est à la France qu'il incombe de mettre en avant les éléments qui font apparaître la nature et le contexte de la décision prise. Puisque la France allègue que c'est au regard des informations et données qu'elle a présentées qu'elle a pris sa décision, l'étude et, dès lors EDF, se substituent de fait à l'investisseur allégué et prétendent connaître mieux que l'État français les considérations et informations qui auraient effectivement motivé la décision déjà prise et les hypothèses qu'il aurait retenues. De ce fait, l'étude se nourrit de spéculations et conjectures sur les données, informations et hypothèses que les autorités françaises auraient pu prendre en considération -parmi d'autres qui ne peuvent être exclues- en 1997, et n'a donc pas de force probatoire en 2015 (ou en octobre 2013, quand elle a été effectuée) pour expliquer et éclairer la décision effectivement prise par les autorités françaises en 1997, que ces autorités expliquent par des données et hypothèses différentes,

cette valeur probatoire est d'autant plus absente que, pour aboutir aux résultats présentés au considérant 70, l'étude s'appuie sur des hypothèses soit arbitraires ou hasardeuses, soit non corroborées par les faits, soit contraires aux informations qui se dégagent des pièces transmises par les autorités françaises et qui, selon elles, illustrent l'applicabilité et l'application positive en l'espèce du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché. Ainsi, premièrement, l'étude conjecture que, après 2000, la rémunération servie à l'État actionnaire ne serait pas régie par décret et traduite par un contrat d'entreprise entre l'État et EDF mais serait fixée par référence aux dividendes que d'autres entreprises du secteur versaient en 1996-1997 (27). Or la rémunération des dotations au capital d'EDF était régie par décret depuis 1956 (considérant 102) et elle a été fixée règlementairement et reflétée dans des contrats d'entreprise pluriannuels avant et bien après 1997, en fonction de considérations sans rapport avec les dividendes que versaient des entreprises du secteur opérant dans d'autres marchés que la France (considérants 94 et 95). De même, deuxièmement, l'étude réintroduit sans justification dans le compte de résultat d'EDF des provisions provenant des comptes sociaux d'EDF pour un montant de FRF 11,6 milliards (hors impôt) et 7,3 milliards (après impôt) (28) en accroissant artificiellement d'autant la valeur d'EDF, sans tenir compte des informations disponibles et évolutions prévisibles en 1997 quant au poids des engagements d'EDF sur le régime de retraite de son personnel (considérants 168-169),

aussi, troisièmement, la croissance de la valeur d'EDF résultant de la croissance des retours et résultats est-elle calculée dans l'étude à partir des «expectatives de marché» en 1997 (29). Or, les autorités françaises disposaient des projections de revenus et résultats spécifiques et chiffrés pour EDF pour 1997 à 2000, validées dans le cadre de l'élaboration du contrat d'entreprise pour la même période et disent s'être appuyées sur ces projections et informations pour prendre leur décision (considérants 78-79, 90, 94, 96), tout en ayant, en 1997, une connaissance fine de l'entreprise et de ses perspectives financières (considérant 77). Le recours à des «expectatives de marché» provenant de tiers pour fixer in fine une estimation de la valeur d'EDF dans ces conditions n'est ni avéré ni cohérent par rapport aux arguments qu'avance la France pour expliquer et étayer la décision que ses autorités auraient prétendument prise. Ceci d'autant moins que les autorités françaises mettent en avant que l'activité prépondérante d'EDF s'effectuait en France à des tarifs règlementés en 1997 (considérant 85). Par ailleurs, ces tarifs étaient fixés à un niveau bas en vue du renforcement de la compétitivité de l'industrie française et du pouvoir d'achat des ménages français (considérants 89 et 95). L'étude est en défaut d'expliquer, et encore plus de justifier valablement, pourquoi la rémunération, les dividendes et résultats d'entreprises constituées en sociétés anonymes cotées qui n'avaient pas de présence significative en France et opéraient dans des marchés aux contraintes concurrentielles et règlementaires différentes (p.ex. Endesa, Gas Natural et Union Fenosa en Espagne-, RWE, EON et Verbund en Allemagne- Fluxys en Belgique etc.), pouvait déterminer les résultats, la rémunération et les dividendes d'EDF, ce qui figure parmi les hypothèses dont dépendent les résultats présentés au considérant 70 (30),

enfin, quatrièmement, l'étude postule sans aucune justification qu'un accroissement de la dotation au capital d'EDF en 1997 équivalait à l'acquisition d'un actif financier liquide, au moins potentiellement (31). Pourtant, EDF était en 1997 un établissement public industriel et commercial, non doté de capital social (considérant 19), dont les autorités françaises et EDF affirmaient à l'époque qu'il garderait le même statut à l'avenir (considérants 95, 105). Le caractère hasardeux de ce postulat dont dépendent pourtant crucialement les résultats de l'étude est démontré plus amplement dans les considérants 179 à 181.

Nature et objet de la mesure, contexte dans lequel elle s'inscrit et règles auxquelles la mesure est soumise

(145)

La Cour souligne que la nature de la mesure prise fait partie des éléments pertinents à prendre en considération pour conclure favorablement à l'applicabilité du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché (point 86 de l'arrêt). La décision d'apporter un montant supplémentaire de dotation en capital à EDF en ne prélevant pas d'impôt sur le reclassement des provisions irrégulières afférentes au RAG est à la fois une décision de nature comptable de réaffectation entre postes du bilan d'EDF (considérants 100 et 105) et une décision de nature fiscale, puisque les autorités compétentes estiment que l'impôt sur les sociétés devait être prélevé avant le reclassement (considérant 35), alors même que l'impôt a été payé sur d'autres provisions comptables reclassées. Il n'est donc pas établi, contrairement aux prétentions des autorités françaises, que ces deux volets comptable et fiscal soient indissociablement liés dans une mesure unique mise en place par la loi no 97-1026 du 10 novembre 1997.

(146)

L'article 4, paragraphe 2, de la loi prévoyait que la contre-valeur des biens en nature mis en concession du RAG figurant au passif du bilan d'EDF devait être inscrite, nette des écarts de réévaluation correspondants, au poste «Dotations en capital» (considérant 28). Il pourrait en être déduit que la loi prévoyait que, hormis d'éventuels écarts d'évaluation, aucun retraitement comptable ou fiscal ne devait amputer le montant de la contrevaleur à inscrire comme dotation au capital d'EDF. Toutefois, la décision de prélever ou non l'impôt sur EDF n'est pas du domaine de la loi en vertu de l'article 34 de la Constitution de la France et la loi no 97-1026 ne pouvait pas statuer valablement sur cette question. Cet article limite les compétences législatives du Parlement en matière fiscale à la fixation de l'assiette, du taux et des modalités de recouvrement des impositions de toutes natures. Ainsi, EDF a acquitté l'impôt des sociétés pour certaines provisions comptables mais pas pour d'autres à la suite de la même opération de reclassement opérée par la loi.

(147)

Les documents préparatoires transmis par les autorités françaises mentionnés dans le considérant 104 montrent d'ailleurs que le Conseil d'État était d'avis en 1997 que les dispositions de nature non-législative devaient être écartées du texte du projet de loi; en outre, un projet d'amendement au projet de loi du gouvernement visant à limiter les prélèvements que l'État pourrait effectuer sur EDF en vertu de la loi a lui aussi été écarté. Enfin, les ministres responsables considéraient en avril 1997 que les modalités détaillées de mise en œuvre de la restructuration d'EDF sur le plan comptable et sur le plan fiscal devaient faire l'objet d'échanges supplémentaires entre les autorités de tutelle et l'entreprise (considérant 98).

(148)

Ces éléments, précisés et quantifiés dans la lettre de mise en œuvre envoyée par les ministres de tutelle à EDF le 22 décembre 1997, après l'adoption de la loi (considérant 31), indiquent que les aspects fiscaux de mise en œuvre sont dissociables des dispositions de la loi no 97-1026 du 10 novembre 1997. Ces ministres, dans leur lettre adressée à EDF, expliquent la restructuration du haut du bilan d'EDF, en application de l'article 4 de la loi no 97-1026 du 10 novembre 1997 et semblent décider tacitement des conséquences fiscales de cette restructuration, sans qu'il soit question d'un quelconque investissement rentable ni de dispositions impératives dans la loi.

(149)

Pour ce qui est du contexte de la mesure, que la Cour met en avant comme élément pertinent parmi d'autres pour apprécier l'éventuelle applicabilité du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché, les réunions préparatoires et les documents d'appui pour la période qui ont mené au contrat d'entreprise entre l'État et EDF signé le 8 avril 1997 montrent que le reclassement des provisions s'inscrivait dans le contexte de la perspective de la libéralisation partielle des marchés de l'électricité dans l'Union, fixée dès 1996. Aussi, le souci d'internationaliser davantage les activités d'EDF est-il présent dans le contrat d'entreprise 1997-2000 et les documents préparatoires, tout comme dans les documents parlementaires. Le contrat d'entreprise lui-même présuppose que, pour être exécuté, une mesure législative de régularisation comme celle prévue par la loi no 97-1026 est nécessaire, établissant par là une continuité de fait entre les objectifs du contrat et ceux du législateur. Toutefois, ni le contrat conclu en avril 1997, ni les documents préparatoires et échanges avec les autorités de tutelle d'EDF ne prennent position sur le montant d'impôt précis.

(150)

Ce contexte, retracé par les éléments exposés par la France dans ses observations, ne permet toutefois pas d'établir avec certitude que la mesure relève d'un comportement d'actionnaire effectuant un investissement. En effet, la nécessité de remédier aux irrégularités constatées par la Cour des comptes en octobre 1994 fait aussi partie de ce contexte. Alors que, d'un côté, il s'agissait de remédier à une irrégularité comptable qui avait permis à EDF de ne pas s'acquitter de l'impôt sur les sociétés pendant des années, les autorités françaises soulignaient que le dispositif ne remettrait pas en cause le monopole d'EDF (considérant 105) et que le cadre stable permis par la libéralisation du marché devait être maintenu (considérant 95). Il est vrai que la libéralisation ouvrait des perspectives d'expansion sur des marchés nationaux d'autres États membres et que certaines actions étaient prévues dans le contrat d'entreprise 1997-2000 pour qu'EDF s'internationalise davantage. Il n'en demeure pas moins que le souci des pouvoirs publics d'avantager les entreprises nationales par des mesures de soutien financier à l'aube d'une libéralisation ne se limite pas aux entreprises publiques ni ne caractérise le comportement d'actionnaire avisé d'entreprise publique.

(151)

Enfin, la Cour indique que l'examen des règles auxquelles la mesure litigieuse est soumise est pertinent pour en déterminer le caractère, soit d'investissement par l'État actionnaire soit de prérogative de puissance publique. La classification de la mesure dans l'une ou l'autre catégorie peut donc tenir compte du respect des règles applicables qui la régissent. Il convient donc d'examiner les règles régissant l'investissement de ressources fiscales dans les entreprises telles qu'EDF. Sans la mesure en cause, le produit de l'impôt sur les sociétés non perçu aurait été versé aux recettes générales du budget de l'État français en 1997. Comme le prévoyait l'article 18 de l'ordonnance no 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, applicable à l'époque des faits, l'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes et toutes les dépenses de l'État sont imputées à un compte unique, intitulé budget général. Ainsi, les recettes de l'impôt sont versées au budget et au profit de l'État, et non au profit des entreprises publiques.

(152)

Ce budget est soumis au principe constitutionnel d'universalité en vertu duquel l'ensemble des recettes et l'ensemble des crédits sont inscrits en deux blocs distincts, sans qu'aucune liaison particulière ne soit établie, par exemple, entre une recette d'impôt sur les sociétés et un emploi tel qu'une dotation au capital au profit d'une entreprise publique comme EDF. Certes, la pré-affectation d'une ressource fiscale à une personne morale autre que l'État, à titre de subvention ou à titre d'investissement, est possible en droit français, pour autant que cette affectation fasse l'objet de dispositions expresses. L'article 18 de l'ordonnance no 59-2 prévoyait ainsi que, hormis pour les prêts et les avances notamment, l'affectation de recettes de l'État est exceptionnelle et ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances, d'initiative gouvernementale.

(153)

Or, la loi no 97-1026 du 10 novembre 1997 n'était pas une loi de finances et ne pouvait, de ce fait, affecter une ressource d'impôt au profit du capital d'EDF. Par ailleurs, il n'apparaît pas que des dispositions spécifiques d'initiative gouvernementale en loi de finances applicable au budget de 1997 aient été adoptées pour pré-affecter le produit de l'impôt dû par EDF aux dépenses de l'État français au titre d'un quelconque investissement dans le capital d'EDF dans le cadre du même budget. Cette règle qui rend possible l'investissement d'une ressource fiscale établie au profit de l'État, à une personne morale distincte de l'État telle qu'EDF, ne semble donc pas avoir été appliquée.

(154)

La très grande majorité des éléments qui précèdent indiquent clairement que la France n'a pas pris, préalablement ou simultanément à l'octroi de l'avantage économique résultant du non-paiement de l'impôt sur les sociétés, la décision de procéder, par l'exonération d'impôt, à un investissement dans EDF. De ce fait, le principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché n'apparaît pas applicable à cette mesure. Les considérations qui suivent, relatives à l'application du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché présentent donc un caractère subsidiaire.

9.1.3.   Sur l'application du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché

(155)

Dans son arrêt du 5 juin 2012 dans le cas présent, la Cour a estimé que l'application du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché doit permettre de déterminer si un actionnaire privé aurait apporté un montant égal à l'impôt dû, à des conditions similaires, dans une entreprise se trouvant dans une situation comparable à celle d'EDF (point 95 de l'arrêt). L'éventuelle différence entre le coût d'investissement supporté par l'investisseur privé et celui qui est à la charge de l'État actionnaire peut aussi être prise en compte pour savoir si les conditions fixées par le principe sont remplies (point 96 de l'arrêt).

(156)

L'appréciation s'effectue par rapport aux éléments objectifs et vérifiables et les évaluations prévisibles au moment où la décision d'investissement a été prise (points 102 et 105 de l'arrêt). Dans cette appréciation, seuls les bénéfices et les obligations liés à la situation de l'État en qualité d'actionnaire, à l'exclusion de ceux liés à sa qualité de puissance publique, sont à prendre en compte (point 79 de l'arrêt).

(157)

Compte tenu de la situation et des caractéristiques d'EDF, qui existait en tant qu'établissement public entièrement contrôlé par l'État français depuis plus de 50 ans, il convient de retenir la référence d'un investisseur poursuivant un objectif de rentabilité à long terme et d'examiner plus particulièrement les informations transmises par la France telles que retracées aux considérants 87 à 108. C'est en effet de ces éléments que les autorités françaises se prévalent comme base de leur propre décision en 1997.

(158)

En premier lieu, il convient d'examiner la rentabilité qu'offrait EDF à son actionnaire en 1997. Cette rentabilité doit être comparée avec des valeurs de référence. En 1997, le taux moyen de rémunération des obligations à long terme (30 ans) de la France s'établissait à 6,35 %. Même pour des maturités plus courtes (10 ans), inférieures à celles du cycle de durée de vie des installations d'EDF, le taux d'intérêt moyen servi sur les obligations de l'État français était de 5,58 % (32). Ces valeurs représentent à la fois le rendement d'actifs financiers réputés peu risqués et le coût de financement à long terme de l'État français à l'époque. Un investissement dans une entreprise telle qu'EDF en 1997 constituait un investissement plus risqué que la détention d'obligations d'État à la même époque. De ce fait, un investisseur privé avisé en économie de marché aurait requis une plus grande rentabilité que celle des obligations d'État.

(159)

Or, l'examen de la rentabilité courante que pouvait escompter l'État français en 1996-1997 telle qu'elle ressort des pièces transmises par les autorités françaises ne permet pas de conclure que l'investissement satisfait au test de l'investisseur privé avisé en économie de marché.

(160)

Les autorités françaises ont transmis le compte de résultat prévisionnel d'EDF pour la période postérieure à la restructuration du bilan, tel qu'examiné en 1997 par les autorités concernées (considérant 92, tableau 1). Les estimations du tableau sont corroborées par d'autres documents d'époque (considérants 96-97, 103). Ces estimations du scenario de référence d'EDF pour la période à venir avaient été validées par les autorités de l'État (considérant 97). À partir de ce compte de résultat, et des montants attendus de ressources investies par l'État dans EDF (considérant 100, tableau 2), il est possible de calculer la rentabilité que l'État pouvait escompter par rapport, respectivement, aux dotations au capital, au capital total (capital initial et dotations) et aux fonds propres d'EDF (capital total, écarts de réévaluation, réserves réglementaires et report à nouveau) (33), d'après le tableau 4.

Tableau 4

Rémunération prévisionnelle des capitaux au bilan d'EDF 1997-2000 (Mds FRF)

 

1997

1998

1999

2000

1997-2000

Part fixe à 3 %

1,5

1,5

1,5

1,5

6,0

Part variable

0,6

1,0

0,9

0,9

3,4

Parts fixe et variable

2,1

2,5

2,4

2,4

9,4

Rentabilité sur fonds propres (FRF 79,8 mds) (%)

2,63

3,13

3,01

3,01

2,94

Rentabilité sur capital et dotations (FRF 53,3 mds) (%)

3,94

4,69

4,50

4,50

4,41

Rentabilité sur dotations au capital (FRF 50,7 mds) (%)

4,14

4,93

4,73

4,73

4,64

Source: Calculs Commission à partir des tableaux 1 et 2.

(161)

Il ressort des pièces citées et transmises par les autorités françaises qu'en 1997 la rémunération attendue par l'État actionnaire de la part d'EDF pour la période complète 1997-2000 était de FRF 9,4 milliards dont FRF 6 milliards au titre de la part au taux fixe de 3 % et 3,4 milliards pour l'ensemble de la période au titre de la part complémentaire, après le reclassement opéré par la loi no 97-1026. À partir des estimations validées à l'époque, en moyenne, la rentabilité courante future que pouvait espérer l'État actionnaire était de 2,94 % sur le total des fonds propres d'EDF, 4,41 % sur le total du capital investi par l'État dans EDF et 4,64 % sur le montant des dotations au capital. Cette rémunération, applicable au montant de l'exonération d'impôt requalifiée en dotation au capital était largement au-dessous de 6,35 % servie sur les obligations que l'État français émettait en 1997 en vue de son propre financement à long terme. Un investisseur privé avisé en économie de marché aurait trouvé que la rentabilité courante escompté sur un montant de FRF 5,88 milliards correspondant à l'exonération d'impôt était insuffisante pour justifier l'investissement.

(162)

Par ailleurs, la Cour a estimé au point 96 de son arrêt du 5 juin 2012 qu'il est possible dans le cadre de l'application du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché de prendre en considération la différence entre le coût d'investissement supporté par un investisseur privé et celui supporté par l'État. Cela revient à comparer la rentabilité qui, selon les autorités françaises, a justifié l'opération de reclassement des provisions des droits du concédant à hauteur de l'exonération d'impôt, avec celle qu'aurait obtenue un actionnaire privé effectuant la même opération de recapitalisation dans une entreprise en tout point semblable à EDF, hormis pour la prérogative, inaccessible pour l'investisseur privé, d'exonérer d'impôt sur les sociétés la dotation en capital.

(163)

Une telle entreprise dont l'actionnaire aurait disposé de FRF 5,88 milliards en vue de sa recapitalisation dans des conditions identiques à celles d'EDF aurait eu une perspective de rendement de 4,64 % annuels sur le capital supplémentaire investi par l'actionnaire, soit FRF 272 millions par an, sans tenir compte de l'impôt sur les sociétés. En appliquant le taux de l'impôt sur les sociétés de 41,66 % applicable en 1997, la perspective de rendement s'établirait à FRF 159 millions par an pour le même apport en capital, soit un taux de rendement annuel nominal de 2,7 %. Un tel taux pour une participation au capital d'une entreprise avec les risques attachés à un tel investissement doit être comparé à 6,35 % servi sur les obligations de la France à la même époque. Le faible rendement aurait donc dissuadé un investisseur privé ne disposant pas des prérogatives fiscales de l'État. Avec de si faibles perspectives de rentabilité sur les capitaux investis, il semble exclu qu'un investisseur privé avisé dont l'entreprise serait redevable de l'impôt sur les sociétés sur les dotations en capital aurait, en lieu et place de la France, participé à l'augmentation du capital d'EDF en 1997.

(164)

Il convient donc d'examiner si les éléments et informations contemporains de la décision de reclasser les provisions sans prélever l'impôt transmis par la France contiennent des indications supplémentaires qui auraient convaincu un investisseur privé avisé d'effectuer l'investissement prétendu nonobstant la très faible rentabilité apparente. Ces indications peuvent avoir trait notamment à la capacité d'EDF i) d'accroître ses revenus d'activité à long terme, ii) d'améliorer ses résultats d'exploitation par des gains d'efficience, iii) d'accroître la valeur nette des actifs productifs de l'entreprise ou iv) de servir une rémunération constante et suffisante à son actionnaire. Ce sont des facteurs potentiellement créateurs de valeur à long terme pour l'actionnaire, avec des perspectives positives, mais destructeurs de valeur, avec des perspectives négatives.

(165)

À cet égard, aucun des documents transmis par les autorités françaises ne contient une quantification, voire une évaluation qualitative, d'une éventuelle création de valeur pour l'actionnaire que les autorités françaises auraient examinée et prise en considération pour la période 1997-2000 ou au-delà. Seules des références génériques générales à une meilleure prise en compte des intérêts de l'État actionnaire sont présentes. Cela indiquerait que l'accroissement de la valeur de l'entreprise en tant qu'investissement pour l'État actionnaire n'a pas été prise en compte pour décider de l'investissement prétendu. En tout état de cause, l'examen de quatre facteurs potentiellement créateurs de valeur pour l'actionnaire ne permet pas de conclure à une croissance prévisible à partir des données disponibles en 1997, notamment le compte d'exploitation prévisionnel 1997-2000 d'EDF et les prévisions du scénario financier retenues par les autorités de tutelle (considérant 92, tableau 1, considérant 96).

(166)

Pour ce qui est des recettes totales d'EDF, l'État actionnaire pouvait s'attendre à un très faible accroissement, à savoir 0,64 %. Cette quasi-stagnation peut être expliquée par l'objectif fixé par l'État de contribuer «à la compétitivité de l'industrie française et à l'accroissement du pouvoir d'achat du consommateur domestique», qui se traduisait par une réduction en moyenne de […] % des tarifs d'EDF sur quatre ans (considérants 89, 95-96), soit une baisse annuelle de […] %. EDF exerçait l'essentiel de son activité en France puisque, pour la période de 1997 à 2000, il était prévu que plus de 89 % des recettes d'EDF proviennent du marché français. Dès lors, l'essentiel de ses recettes dépendaient des choix de l'État en matière de fixation des tarifs de l'électricité. Un investisseur privé avisé n'aurait pas manqué de relever le caractère préjudiciable pour ses intérêts patrimoniaux de la fixation d'objectifs de politique publique antinomiques avec ses intérêts d'actionnaire. Aucun investisseur privé avisé n'aurait accepté une baisse de la rémunération de son investissement pour favoriser la compétitivité des entreprises françaises.

(167)

Le poste dans le compte d'exploitation prévisionnel 1997-2000 retraçant les résultats de l'activité principale d'EDF devait lui aussi décroître de 29 % au cours de la période, passant de FRF 9,3 milliards en 1997 à FRF 6,6 milliards en 2000. Les charges d'exploitation devaient, quant à elles, s'accroître de 2,2 %, en raison surtout de l'accroissement des dépenses d'exploitation courante, puisque les charges financières, l'amortissement et les intérêts, hors rémunération du capital devaient décroître. En ajoutant les dotations aux amortissements et charges financières aux résultats de l'activité principale, l'évolution prévue pour la période 1997-2000 était aussi négative, puisque cet agrégat devait passer de FRF 62,6 milliards à FRF 53,9 milliards, soit une baisse de 13,9 %. Or, c'est l'évolution du résultat de l'activité courante avant amortissements et intérêts qui détermine à terme la capacité de l'activité de l'entreprise à générer de la valeur et des cash-flows positifs. En plus de la dégradation prévue, dans la poursuite d'objectifs de politique économique ou de régulation, l'État avait fixé à EDF l'objectif d'affecter les gains éventuels d'efficience et productivité de l'entreprise à la baisse supplémentaire des tarifs, en priorité avant une meilleure rémunération de l'actionnaire (considérant 95). Il résulte que l'activité courante d'EDF, plombée par des objectifs de politique économique de l'État, n'aurait pas offert une perspective de rémunération future satisfaisante.

(168)

Comme la Commission le relevait dans la décision d'extension, un investisseur privé avisé aurait tenu compte de l'incertitude sur le montant et l'évolution des charges de financement des retraites auxquelles EDF devait faire face en 1997, en application du régime spécifique applicable aux industries électriques et gazières. Dans le cas d'EDF en 1997, les charges de retraites et, à fortiori, les engagements hors bilan y afférents, représentaient une hypothèque anticipant des ponctions supplémentaires amenuisant le déjà faible résultat net de l'entreprise.

(169)

Alors que la masse des pensions de retraite d'EDF représentait FRF 12,2 milliards en 1997, à législation inchangée, la masse des pensions devait s'accroître significativement au cours des années suivantes, passant, pour l'ensemble du régime (y compris GDF et entreprises non nationalisées) à FRF 20 milliards en 2010 et à FRF 25 milliards en 2020 (34). En appliquant une clé de répartition pour EDF de 78,4 % reflétant le poids de sa masse salariale dans la branche des industries du régime, la part revenant à EDF aurait été de FRF 15,7 milliards en 2010 et FRF 19,6 milliards en 2020 et ce, sans tenir compte d'un provisionnement éventuel des engagements à venir, à législation inchangée (35). L'accroissement prévisible des charges de pensions était donc plus important que le résultat net, après rémunération de l'État et impôt, attendu pour la période 1997-2000 tel qu'illustré au tableau 1. En conséquence, l'évaluation que pouvait en faire un investisseur privé avisé en économie de marché en 1997 qui, comme l'État français, aurait eu une connaissance approfondie de la situation de l'entreprise, l'aurait conduit à majorer les charges futures de l'entreprise et à minorer d'autant les perspectives de rentabilité de l'investissement.

(170)

En outre, l'investisseur privé avisé pouvait s'attendre à une réduction considérable de la dette d'EDF, qui devait passer de FRF […] à FRF […] en quatre ans (considérants 91 et 95). Cependant, il est établi qu'EDF a gardé une notation financière Aaa par l'agence de notation Moody's entre 1992 et 1996 avec un ratio d'endettement de 480 %. Les autorités françaises mentionnent aussi de manière assez vague une génération de ressources de FRF 70 milliards par EDF pour la période 1997-2000 (considérant 84). Toutefois, le désendettement d'EDF et son effet mécanique sur la valeur de l'actif net de l'entreprise ne devait pas se traduire par une amélioration de la rémunération de l'État français au cours de la même période mais, au contraire, par une nette dégradation par rapport à la période entre 1991 et 1996 (considérant 134).

(171)

Comme le signale EDF, un abaissement éventuel de la notation d'EDF par des agences telles que Moody's ou Standard & Poor's n'en aurait pas moins permis à EDF de garder une note excellente (considérant 71). Par ailleurs, parmi les objectifs fixés entre 1997 et 2000, figurait la réduction de l'endettement d'EDF à hauteur de FRF […]. Une diminution importante des charges totales d'intérêt encourues par EDF devait donc s'ensuivre. Ni la réduction de la dette totale d'EDF ni le coût de celle-ci, ni d'éventuels avantages découlant pour l'État actionnaire, n'auraient donc été compromis par une moindre dotation au capital de FRF 44,8 milliards au lieu de FRF 50,7 milliards. Un ratio de la dette sur fonds propres de 163 % au lieu de 148 % prévus du fait de l'exonération d'impôt n'aurait pas été préjudiciable aux intérêts de l'actionnaire. En cette matière, il n'y a pas de structure financière optimale et le rapport de l'Assemblée nationale (considérant 100), montre des ratios dans le secteur allant de 250 % (Verbund, Autriche) à 10-15 % (Veba, Allemagne et PowerGen, Grande-Bretagne)

(172)

L'endettement a permis à EDF de financer sa croissance et ses résultats sans fonds supplémentaires de l'actionnaire, accroissant avec un «effet de levier» de la dette la rentabilité des fonds déjà investis par l'État. Or une priorité était donnée au désendettement, alors même qu'EDF disposait d'une notation excellente avant la réduction de dette envisagée (considérant 71). Par ailleurs, l'excellence de la notation traduisant la capacité de remboursement d'EDF vis-à-vis de ses créanciers avant 1996 n'est pas incompatible avec une faible rémunération de l'actionnaire. Au contraire, la notation des titres de dette qu'EDF émettait serait d'autant meilleure que le prélèvement effectué par son actionnaire serait faible. Dans l'horizon temporel mis en avant par les projections transmises par les autorités françaises, la réduction prévisible de l'effet de levier et, en tout état de cause, la faible incidence du montant de l'impôt sur le ratio d'endettement aurait conduit un investisseur privé avisé en économie de marché soit à minorer les perspectives de rentabilité de son investissement, soit à ne pas considérer que l'investissement en fonds propres pour le montant d'impôt était justifié par la nécessité d'améliorer la situation d'endettement d'EDF en 1997.

(173)

Enfin, un investisseur privé avisé aurait été susceptible de fonder sa décision d'investissement sur l'évaluation de la capacité de l'entreprise à lui garantir une rémunération stable et suffisante. À cet égard, la rémunération prévue pour l'État actionnaire pour la période 1997-2000 illustrée par les autorités françaises apparaissait très en deçà du 6,35 % servi sur les obligations de la France à la même époque. En plus, cette rémunération pouvait de facto être diminuée pour tenir compte de l'impôt payé à l'État percepteur (considérants 103 et 106). La rémunération de l'actionnaire était aussi considérablement amputée au moment même où l'État procédait à l'investissement prétendu. Tout actionnaire aurait pris négativement en considération la baisse abrupte et très significative de la rémunération des dotations en capital. Cette rémunération devait passer de 9,32 % réel en moyenne sur la période 1991-1996 à 4,64 % prévu pour la période 1997-2000, soit une diminution de plus de moitié. Rapportée aux fonds propres, la rentabilité passait de 14,1 % en moyenne fin 1996 à 2,94 % prévus pour la même période (considérants 92 et 102, tableaux 1 et 3).

(174)

Certes, un investisseur privé avisé peut accepter une réduction de sa rémunération courante dans la perspective d'une croissance de l'entreprise se traduisant soit par une meilleure rémunération future, soit par une appréciation de la valeur de l'entreprise susceptible de générer une plus-value lors d'une vente de son actif traduisant un droit de propriété sur l'entreprise. À cet égard, d'une part, la rentabilité courante qui pouvait être escomptée en 1997 n'aurait pas permis de compenser la réduction abrupte de la rentabilité passée. D'autre part, l'examen de quatre facteurs potentiellement créateurs de valeur pour l'actionnaire identifiés dans les considérants 164 à 173 ne permet pas de conclure à une croissance prévisible de la valeur de l'entreprise par l'actionnaire, à partir des données disponibles dans les documents transmis par les autorités françaises.

(175)

Par ailleurs, les éléments disponibles ne permettent pas de conclure qu'un investisseur privé avisé agissant à la place de l'État français en 1997 aurait pu miser sur une plus-value en capital venant compenser la faiblesse de la rémunération courante servie à l'État, au vu de l'information disponible. Les autorités françaises n'ont effectué aucune étude de la valeur d'EDF avant et après la requalification des provisions en 1997.

(176)

Au surplus, en 1997, EDF était depuis plus de cinquante ans, un établissement public à caractère industriel et commercial et non une société anonyme. Aux termes de l'article 16 de la loi no 46-628, son capital appartenait à la nation française et ne pouvait être aliéné (considérant 18). Par ailleurs, force est de constater que, même après la restructuration du bilan d'EDF introduite par la loi no 97-1026, en 1997 la dette nette totale d'EDF d'un montant de FRF 118 milliards environ, dépassait de très loin la valeur de ses capitaux propres qui s'établissait à FRF 79,8 milliards (considérant 101, tableau 2).

(177)

Aucune des pièces qui ont éclairé la prétendue décision d'investissement des autorités françaises ne fait état du projet d'une éventuelle privatisation d'EDF par vente en tout ou en partie du capital détenu par l'État. Cela aurait requis au préalable l'adoption d'un statut de société anonyme et l'abandon du statut d'établissement public à caractère industriel et commercial. Au contraire, la seule référence au statut d'EDF contenue dans ces pièces était la réaffirmation par l'État de sa volonté de maintenir le statut spécifique d'EDF qui «devait demeurer une référence stable dans l'évolution à venir» au sein du marché intérieur de l'électricité (considérant 95). C'est en s'appuyant sur ces informations que la France affirme que la décision d'investissement aurait été prise. Ces faits doivent donc rester le cadre de référence de l'analyse de la décision alléguée.

(178)

Dans ces conditions, il n'aurait pas été raisonnable et avisé de la part d'un investisseur d'espérer une plus-value en capital qui aurait dépendu de l'intervention du pouvoir législatif à l'encontre tant, d'une part, des dispositions de loi décidées par les autorités françaises en 1946 et appliquées sans faillir, que, d'autre part, de la volonté expresse de l'État, affirmée par le ministre en charge des participations de l'État à l'époque des faits en 1997, de maintenir le statut légal spécifique d'EDF dans un marché intérieur de l'énergie libéralisé au niveau de l'Union. Les hypothèses sur lesquelles reposent les conclusions d'EDF quant à la rentabilité de l'investissement qu'aurait espéré un investisseur privé avisé, reposant sur la valeur initiale et future d'actions d'EDF en 1997 (considérants 69 et 70), ne tiennent pas compte du statut d'EDF en 1997, et sont contredites par les pièces transmises par les autorités françaises qui s'y réfèrent.

(179)

Comme le soulignent les autorités françaises, en tant qu'établissement public à caractère industriel et commercial, en 1997, EDF n'avait pas de capital social, contrairement, par exemple à une société anonyme dont le capital est détenu par les actionnaires (considérant 19), qui peuvent à tout moment revendre leurs actions. Aussi l'investisseur de référence aurait-il dû en 1997 déterminer notamment un certain nombre de facteurs ou formuler des hypothèses forcément sujets à caution; à savoir, i) à quel montant l'État fixerait le capital social d'une future société anonyme, notamment en incluant ou non des quasi-fonds propres, ce qui détermine la capacité de la société à assurer un dividende stable; ii) quel serait le nombre d'actions dans lequel ce capital serait divisé, sachant que le montant plus ou moins élevé détermine partiellement leur attractivité sur le marché; iii) quelle serait la forme éventuelle d'une ouverture de capital par émission de nouvelles actions et pour quel montant, ce qui détermine le degré de dilution possible de sa participation; enfin, iv) à quel moment l'opération serait mise en œuvre, ce qui, en raison des faibles perspectives de valorisation que présentaient les résultats prévisionnels d'EDF jusqu'en 2000 (considérant 167) ne pouvait être envisagé que dans un avenir lointain. Rien dans les informations transmises par les autorités françaises pour la période précédant l'investissement prétendu ne permet de considérer que ces inconnues auraient pu être levées en 1997.

(180)

Dans ces conditions, l'éventuel accroissement de la valeur du droit détenu par l'État dans le capital d'EDF résultant de la dotation en capital litigieuse, à le supposer établi -ce qui n'est manifestement pas le cas- aurait impliqué de la part d'un investisseur avisé de conjecturer au moins quatre facteurs essentiels sur lesquels, contrairement au législateur et au régulateur, il n'aurait eu de prise ni, en tout état de cause, des informations valables disponibles en 1997. Un investisseur privé avisé n'aurait pas ignoré la quasi-absence de liquidité de son investissement. Il s'ensuit qu'un investisseur privé avisé aurait tenu compte de cette circonstance au moment de décider ou non d'investir. Ce manque de liquidité est de nature à diminuer l'intérêt d'un éventuel accroissement de valeur de l'entreprise

(181)

Par ailleurs, comme il est indiqué au considérant 144, le test de l'investisseur privé avisé en économie de marché doit être fondé principalement sur les informations et éléments transmis par l'État membre dans une situation où la décision a déjà été prise dès lors que c'est l'État membre qui allègue que ce sont ces éléments, et non d'autres plus hypothétiques, voire contradictoires par rapport aux éléments transmis, que l'État membre a pris en considération. Or, la Cour requiert que l'application du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché s'appuie sur les évaluations prévisibles au moment où la décision a été prise (point 105 de l'arrêt du 5 juin 2012). Ainsi, les autorités françaises affirmaient en 1997 que le statut d'EDF, qui ne permettait pas une création et revente d'actions d'EDF, serait maintenu comme une référence stable, y compris dans un marché européen libéralisé (considérant 95). Retenir des hypothèses contredisant l'affirmation des autorités françaises revient à situer le test dans une situation qui n'est pas la plus proche possible de celle de l'État membre, contrairement à ce que requiert la jurisprudence (considérant 126).

(182)

Néanmoins, même s'il l'on supposait pour les besoins de l'analyse, qu'un investisseur privé avisé aurait pu prendre en considération une appréciation future de la valeur de son investissement à une date incertaine en plus de la rentabilité régulière offerte, pour décider de l'investissement prétendu, l'investisseur aurait retenu la capacité de l'entreprise à générer des dividendes sur le long terme, suivant en cela l'horizon de l'État français contrôlant EDF depuis 1946. Pour estimer la valeur de son droit de propriété dans EDF, l'investisseur privé avisé aurait écarté la valeur comptable de l'actif net de l'entreprise, même en misant sur le désendettement et la génération de ressources que mettent en avant les autorités françaises (considérant 84). La valeur des actifs, les montants d'investissement ou le désendettement ne coïncident pas nécessairement avec la valeur économique réelle en vue de fixer un prix de transaction. Ainsi, il ne convient pas de s'attacher au fait que le remboursement total des dettes d'EDF en 1997 aurait requis des montants dépassant de loin les capitaux propres d'EDF (considérant 177). Sur le long terme, la valeur d'une entreprise est fonction de sa capacité à générer de la valeur pour l'actionnaire sous forme de dividendes ou appréciation du capital, plutôt qu'en fonction de la valeur comptable de son actif ou patrimoine.

(183)

Parmi les différentes méthodes utilisées en finance pour estimer le coût d'opportunité ou la rentabilité requise d'un droit de propriété transférable à titre onéreux dans le capital d'une entreprise, la plus utilisée est celle du modèle d'évaluation des actifs financiers («MEDAF») (en anglais, Capital Asset Pricing Model«CAPM») (36). Comme il est montré au tableau 5, l'application du modèle MEDAF à un investissement dans le capital d'EDF en 1997 détermine une valeur cible de rentabilité requise d'environ 12 %, pouvant aller jusqu'à 13,4 %, pour un actif liquide tel une action EDF. Pourtant, cette valeur cible doit être vue comme un plancher. Elle présuppose que non seulement un droit de propriété sur EDF tel qu'une action était possible et transférable, mais, en plus, qu'il y aurait un marché liquide, alors que l'État détenait 100 % du capital et qu'EDF ne pouvait émettre des actions. À la rentabilité requise pour un actif liquide il convient d'ajouter une prime entre 0,5 et 1,5 % (37) pour refléter la grande incertitude qui ressort des facteurs examinés aux considérants 179 et 180 quant à la liquidité des titres EDF que pouvait avoir un investisseur privé avisé en 1997.

(184)

En tout état de cause, la validité de l'ordre de grandeur de 12 % hors prime de liquidité est proche, bien qu'inférieure, de la rentabilité courante sur fonds propres de 14 % avec laquelle EDF avait rémunéré l'État français entre 1991 et 1996 (considérant 102, tableau 3). C'est normalement de la rentabilité réelle obtenue que part l'expectative de rentabilité pour l'avenir. La validité de cet ordre de grandeur de 12 % est aussi corroborée par l'utilisation d'autres paramètres à partir de chiffres disponibles à l'époque, y compris ceux utilisés dans l'étude réalisée pour le compte d'EDF reprise au considérant 70, qui détermine une valeur cible dans une fourchette entre 11,9 % et 13,5 %, avec une moyenne de 12,7 %. Dès lors que les résultats de l'analyse ne changent pas avec une prime de liquidité en sus de la rentabilité cible de 12 % environ, ou en appliquant à partir de 1997 les 14 % de rentabilité réelle sur le passé récent, il n'est pas nécessaire de prendre cette prime et la rentabilité réelle en considération.

Tableau 5

Rentabilité cible requise pour un investissement en actions d'EDF en 1997: valeurs de calcul

Paramètre

Valeur

Source

Taux sans risque

6,35 – 5,58

Moyenne annuelle en 1997 du taux quotidien de l'emprunt phare de la République française à 30 et 10 ans, source Banque de France: Taux de référence des bons du Trésor et OAT, http://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/changes-et-taux)

Bêta d'EDF (endettée)

0,45 – 0,54 – 0,62

1. Bêta d'EDF — Vernimmen et alii op.cit., graphique p.427. 2. et 3. Étude Oxera, tableau 3.8, Bêta de sociétés UE dans le secteur.

Endettement (%)

60

Structure de capital d'EDF après restructuration 1997

Bêta d'EDF (désendettée)

0,84 – 0,89 – 1,36

1. et 2. Calcul Commission. 3. Étude Oxera, tableau 3.8

Prime de risque de marché

6,3 – 7,3

1. Vernimmen op.cit. p.423 citant Mehra Prescott 2/2003 T.2 FR 1973-98. 2. Prime de risque anticipée en France en moyenne de la période 1988-1996 (cette prime était 10,1 % en 1996). «An examination of Equity Risk Premium Forecasts in the G-6 Countries», Khorana, Moyer & Pattel, I/B/E/S Working Paper, Août 1997, p. 25.

Fourchette rentabilité cible

11,7 – 12,1 – 13,4

Calcul Commission

Rentabilité médiane

12

Calcul Commission

(185)

Pour arrêter sa décision d'investissement en 1997, un investisseur privé avisé dans la situation la plus proche possible des autorités françaises aurait retenu les estimations systématiques des résultats futurs d'EDF validées par les autorités compétentes et retenues comme scenario financier telles que contenues dans le compte d'exploitation prévisionnel d'EDF sur la période 1997-2000 (considérants 90-92 tableau 1, considérant 97). L'exonération d'impôt représentait 11 % des FRF 53,3 milliards de capital et dotations en capital d'EDF en 1997, après la restructuration du bilan. Il peut donc être assumé que l'investissement ouvrait droit à recevoir 11 % des dividendes (rémunération des dotations au capital telles qu'estimées aux tableaux 1 et 4) et de la valeur d'EDF. Pour la détermination de cette valeur, il convient d'appliquer un modèle de calcul de valeur à long terme d'entreprise, à savoir le modèle d'actualisation des dividendes (en anglais, «dividend discount model»«DDM») (38).

(186)

Les résultats de l'analyse avec le modèle DDM d'un investissement de FRF 5,88 milliards à partir des dividendes prévus dans le compte de résultat prévisionnel d'EDF 1997-2000 (rémunération des dotations au capital et rémunération complémentaire au tableau 1) sont présentés au tableau 6, en notant le taux de rendement interne (TRI) des flux financiers et la valeur actuelle nette («VAN») pour des taux de rentabilité-cible de 12 %, 6,35 % et 5,58 %, (39). Ces résultats sont calculés pour un scenario de référence fondé sur la pratique courante d'analyse (tableau 6.1), avec trois analyses de sensibilité moins plausibles qui relâchent les hypothèses du scenario de référence et, donc, simulent une plus grande rentabilité pour l'actionnaire que le scenario de référence (tableaux 6.2, 6.3 et 6.4).

Tableau 6

Estimation de la rentabilité (VAN) d'un investissement de FRF 5,88 milliards à partir du modèle DDM à partir du compte de résultat prévisionnel d'EDF 1997-2000 (tableau 1) (Mds FRF)

6.1.   Scenario central (Croissance des dividendes prévue en fin de période 1999-2000)

 

 

1.1.1997

31.12.1997

31.12.1998

31.12.1999

31.12.2000

31.12.2000

 

 

Investissement

Dividende

Dividende

Dividende

Dividende

valeur DDM

 

 

– 5,88

0,23

0,28

0,26

0,26

2,21

VAN à 12 %

– 3,43

 

 

 

 

 

 

VAN à 6,35 %

– 3,17

 

 

 

 

 

 

VAN à 5,58 %

– 3,12

 

 

 

 

 

 

TRI

– 13 %

 

 

 

 

 

 

NB: Le tableau se lit comme suit: Pour les flux financiers prévus entre le 1.1.1997 et le 31.12.2000, la VAN avec un taux d'actualisation à 12 % est de FRF – 3,43 milliards […] et le TRI est de – 13 %


6.2.   Sensibilité 1 (ɗ dividendes = 4,51 % taux annuel 1997/2000)

 

 

1.1.1997

31.12.1997

31.12.1998

31.12.1999

31.12.2000

31.12.2000

 

 

Investissement

Dividende

Dividende

Dividende

Dividende

valeur DDM

 

 

– 5,88

0,23

0,28

0,26

0,26

3,69

VAN à 12 %

– 2,68

 

 

 

 

 

 

VAN à 6,35 %

– 2,14

 

 

 

 

 

 

VAN à 5,58 %

– 2,05

 

 

 

 

 

 

TRI

– 4,7 %

 

 

 

 

 

 


6.3.   Sensibilité 2 (Scenario central + ajout 11 % quasi fonds propres)

 

 

1.1.1997

31.12.1997

31.12.1998

31.12.1999

31.12.2000

31.12.2000

 

 

Investissement

Dividende

Dividende

Dividende

Dividende

valeur DDM

 

 

– 5,88

0,23

0,28

0,26

0,26

4,93

VAN à 12 %

– 2,06

 

 

 

 

 

 

VAN à 6,35 %

– 1,29

 

 

 

 

 

 

VAN à 5,58 %

– 1,16

 

 

 

 

 

 

TRI

0,3 %

 

 

 

 

 

 


6.4.   Sensibilité 3 (Sensibilité 1 + ajout 11 % quasi fonds propres)

 

 

1.1.1997

31.12.1997

31.12.1998

31.12.1999

31.12.2000

31.12.2000

 

 

Investissement

Dividende

Dividende

Dividende

Dividende

valeur DDM

 

 

– 5,88

0,23

0,28

0,26

0,26

6,41

VAN à 12 %

– 1,30

 

 

 

 

 

 

VAN à 6,35 %

– 0,26

 

 

 

 

 

 

VAN à 5,58 %

– 0,08

 

 

 

 

 

 

TRI

5,2 %

 

 

 

 

 

 

(187)

Il ressort des estimations du tableau 6 que si le montant de FRF 5,88 milliards prétendument investi avait ouvert un droit à disposer d'un pourcentage proportionnel des dividendes et de la valeur d'EDF, l'opération aurait présenté une valeur actuelle nette largement négative (FRF – 3,43 milliards). Pour que l'investissement ait un intérêt financier pour un investisseur privé en économie de marché, dans l'hypothèse la plus couramment retenue (tableau 6.1), il aurait fallu que l'investisseur privé avisé se satisfasse d'une rémunération très largement inférieure à un coût d'opportunité du capital à 12 % pour un placement en actions liquides d'EDF, voire, inférieure aussi à celle servie sur les obligations de l'État français à 30 ans (6,35 %) et 10 ans (5,58 %) en 1997. Or, à l'évidence, un investisseur privé avisé n'aurait pas effectué l'investissement dans ces conditions.

(188)

Ces conclusions ne changent pas qualitativement en appliquant, comme test de sensibilité, d'autres hypothèses qui, bien que moins plausibles, valorisent davantage l'investissement prétendu (tableaux 6.2 à 6.4) (40). Dans tous les cas, la rentabilité offerte est inférieure à 12 %, voire inférieure aussi à celle servie sur les obligations de l'État français à 30 et 10 ans en 1997. Enfin, l'examen d'autres variables disponibles sur les résultats d'exploitation prévisionnels d'EDF, telles que les prévisions de recettes, de résultats d'activité principale ou du résultat net (considérants 166 à 168) n'aurait pas permis à l'investisseur privé avisé d'anticiper un renversement total de tendance permettant de mieux rémunérer ou créer de la valeur pour l'État actionnaire par la suite. Ces évolutions prévisibles et prévues en 1997, corroborent encore les conclusions et leur extension à la période après l'an 2000, telle qu'un investisseur privé avisé pouvait la prévoir en 1997 à partir des informations transmises par les autorités françaises.

(189)

Même en considérant que l'investisseur privé avisé aurait espéré un gain en capital en plus de la rentabilité régulière d'EDF, ce que rien n'indique dans les informations et données transmises par les autorités françaises, et qu'il aurait été au surplus trop hasardeux d'espérer eu égard au statut d'EDF en 1997, il est exclu qu'il aurait procédé à l'investissement prétendu. Dans ces conditions, l'application du test de l'investisseur privé avisé en économie de marché montre que, quand bien même l'exonération d'impôt de FRF 5,88 milliards aurait été dans les faits une décision d'investissement de la part de l'État actionnaire, cette opération n'aurait pas été menée à bien par un investisseur privé avisé disposant des informations que mettent en avant les autorités françaises.

(190)

À cet égard, les observations d'EDF reproduites au considérant 71 selon lesquelles l'exonération d'impôt n'aurait aucun effet préjudiciable à la concurrence ni n'aurait procuré un avantage puisqu'EDF aurait pu, en tout état de cause, trouver un financement équivalent sur les marchés de capitaux, sont contredites par les faits. Il est constant qu'EDF n'aurait pu émettre des actions auprès des marchés pour se procurer ce montant. Même si EDF aurait sans doute pu trouver un prêteur, l'emprunt ou émission obligataire correspondant aurait dû être rémunéré, selon toute vraisemblance, à un taux plus élevé que celui que l'État français escomptait pour les dotations en capital à EDF pour la période 1997-2000 et à celui du coût de refinancement équivalent aux obligations de l'État en 1997. Si EDF avait pu disposer d'un montant équivalent en principal, les coûts de financement supportés auraient été plus importants que celui de l'investissement prétendu. Même à ce titre, sans prendre en compte un remboursement en principal auquel EDF n'était pas tenu pour le montant de l'exonération d'impôt ou le montant équivalent en dotations au capital en 1997, la mesure aurait procuré un avantage économique à EDF en réduisant ses coûts financiers.

(191)

Quand bien même le principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché serait applicable, au regard des pièces transmises par les autorités françaises qui ont éclairé, selon elles, les perspectives de rentabilité et les risques attachés au prétendu investissement sous forme d'exonération d'impôt, l'application du test du principe de l'investisseur privé en économie de marché permet de conclure qu'un investisseur privé avisé n'aurait pas investi un montant égal à l'impôt dû dans l'augmentation de capital d'EDF en 1997.

(192)

Le non-paiement par EDF de FRF 5,88 milliards d'impôt sur les sociétés n'apparaît pas comme un investissement productif de la part de l'État actionnaire en application du principe de l'investisseur privé avisé en économie de marché. Il apparaît plutôt comme une mesure dérogatoire d'exonération fiscale ad hoc qui a procuré un avantage économique à EDF, équivalent au montant d'impôt non payé. Un tel avantage renforce nécessairement la position d'EDF par rapport à celle de ses concurrents, dès lors que le montant de fonds propres détermine, parmi d'autres facteurs, la capacité et les conditions de financement externe d'une entreprise alors que, par ailleurs, les ressources ainsi économisées ont pu être utilisées à d'autres fins comme, notamment, l'investissement en France ou dans d'autres États membres où des concurrents exerçaient leur activité en 1997.

(193)

L'avantage économique crée donc une distorsion de concurrence au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE. L'avantage est sélectif, puisque le non-paiement de l'impôt sur les sociétés sur une partie de ces provisions comptables constitue une exception au traitement fiscal normalement applicable à une telle opération et, en l'espèce, cette exception a été appliquée à la seule entreprise EDF.

9.2.   RESSOURCES ÉTATIQUES

(194)

La notion d'aide recouvre non seulement des prestations positives telles que les subventions, mais également toutes les interventions des autorités publiques qui allègent les charges grevant normalement le budget d'une entreprise et qui ont des effets identiques aux subventions (41). Conformément à une jurisprudence constante (42), la non-perception par l'État d'un impôt qui aurait dû être perçu équivaut à la consommation d'une ressource d'État.

(195)

Cette non-perception de la totalité de l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'exercice 1997 découle directement des dispositions fiscales prises par les autorités françaises pour mettre en œuvre un acte étatique, à savoir, la loi no 97-1026 du 10 novembre 1997.

9.3.   DISTORSION DE CONCURRENCE ET AFFECTATION DES ÉCHANGES ENTRE LES ÉTATS MEMBRES

(196)

Depuis sa création en 1946 et jusqu'à l'entrée en vigueur de la directive 96/92/CE, EDF a bénéficié sur le marché français d'une situation de monopole avec des droits exclusifs pour le transport, la distribution ainsi que l'importation et l'exportation d'électricité. Toutefois, EDF était déjà en concurrence avec les producteurs des autres États membres avant même l'entrée en vigueur de la directive 96/92/CE. De surcroît, une libre concurrence existait sur les marchés connexes non soumis à droits exclusifs sur lesquels EDF avait déjà diversifié ses activités au-delà de ses droits exclusifs, que ce soit d'un point de vue géographique ou sectoriel. Des effets sur la concurrence et les échanges existaient donc bien avant la libéralisation prévue par la directive 96/92/CE.

(197)

L'électricité faisait l'objet entre les État membres d'échanges importants et croissants auxquels EDF participait activement. Ces échanges, renforcés par l'adoption de la directive 90/547/CEE du Conseil (43), s'effectuaient sur la base d'accords commerciaux entre les différents opérateurs des réseaux d'électricité de haute tension dans les États membres. Dans les pays européens de l'OCDE, les importations d'électricité ont augmenté à un taux annuel moyen de plus de 7 % entre 1980 et 1990. De 1981 à 1989, EDF a multiplié l'excédent de sa balance commerciale d'électricité par 9, atteignant des exportations nettes de 42 TWh représentant 10 % de sa production totale. En 1985, EDF exportait déjà 19 TWh vers les autres États membres.

(198)

Avant même l'entrée en vigueur de la directive 96/92/CE en février 1999, certains États membres avaient déjà adopté unilatéralement des mesures visant à ouvrir leur marché de l'électricité. En particulier, le Royaume-Uni a ouvert son marché à 100 % pour les gros clients industriels en 1990. La Suède a ouvert le sien à 100 % en 1996, la Finlande a commencé à l'ouvrir en 1995 pour atteindre 100 % en 1997, l'Allemagne l'a ouvert à 100 % en 1998 et les Pays-Bas l'ont ouvert totalement pour les clients industriels en 1998. Dans ces conditions, avant même la date fixée par la directive pour l'ouverture à la concurrence, les aides d'État accordées aux entreprises disposant d'un monopole dans un État membre participant activement aux échanges intra Union, comme c'est le cas d'EDF, étaient susceptibles d'affecter les échanges entre États membres au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE.

(199)

Dans son rapport annuel 1997, EDF indiquait se situer «parmi les tous premiers opérateurs internationaux du secteur électrique, avec, hors de France, plus de FRF 13 milliards engagés, un parc de production dont la puissance installée représente près de 11 % de celle du parc français et plus de 8 millions de clients.» Le rapport soulignait également qu'en 1997, EDF a «multiplié et renforcé ses investissements en Europe en étendant sa présence à l'Autriche et à la Pologne» et qu'elle a «exporté plus de 70 TWh en Europe». Ces exportations étaient livrées en concurrence avec des fournisseurs alternatifs sur les marchés concernés.

(200)

Le contrat d'entreprise 1997–2000, signé le 8 avril 1997 entre l'État et EDF, prévoyait qu'EDF consacrerait environ FRF 12-13 milliards à ses investissements internationaux, les régions de l'Europe figurant parmi les priorités. Entre 2000 et 2002, EDF avait acquis un tiers du capital de l'entreprise allemande EnBW, accru les capacités de production et de distribution de sa filiale britannique London Electricity, pris le contrôle direct de l'entreprise italienne Fenice et mis en place un partenariat avec Fiat pour l'achat de Montedison (devenu Edison).

(201)

En 1997, SDS, filiale détenue à 100 % par EDF, réunissait ses activités liées à la fourniture de services pour les clients individuels, les entreprises et les autorités locales. SDS exerçait son activité dans le traitement des déchets, l'éclairage de rue et d'autres services liés à l'énergie avec une contribution aux ventes équivalente à 685 millions d'EUR en 1998 contre 650 millions d'EUR en 1997. En 2000, EDF a mis au point un partenariat avec Veolia Environnement à travers la société Dalkia, leader européen des services énergétiques aux entreprises et aux collectivités. Dalkia propose des services d'ingénierie et de maintenance énergétiques, gère des installations thermiques et des services techniques liés au fonctionnement des bâtiments et assure l'exploitation de réseaux de chaleur, de cogénération, d'ensembles de production d'énergie et de fluides industriels.

(202)

EDF a également développé ses activités sur le marché des énergies renouvelables. En 1997, la société holding CHART, une filiale détenue à 100 % par EDF, réunissait ses activités dans le domaine des énergies renouvelables, telles que la géothermie et l'éolien. Sa contribution au chiffre d'affaires consolidé était alors de 70 millions d'EUR.

(203)

Enfin, en tant que producteur et distributeur d'électricité, EDF a été et est encore en concurrence avec des fournisseurs d'autres sources d'énergie de substitution comme le charbon, le pétrole et le gaz, tant sur son marché national que sur les marchés internationaux. En France, par exemple, EDF a lancé avec succès une campagne visant à encourager l'utilisation d'électricité pour le chauffage. Elle a ainsi accru sa part de marché par rapport à ses concurrents qui fournissent des sources d'énergie de substitution comme le pétrole ou le gaz. Dans le secteur de l'acier, les fours électriques sont en concurrence avec les fours à gaz et à pétrole. Il en découle qu'une mesure telle que celle en cause est de nature à fausser la concurrence qui s'exerçait avec les fournisseurs alternatifs, tels que Gaz de France.

(204)

EDF occupait ainsi une place importante dans les échanges d'électricité entre les États membres en 1997 alors que, à présent, le marché de l'électricité en France est pleinement ouvert et de nombreux fournisseurs européens y sont présents. Il apparaît ainsi qu'en 1997, EDF était déjà bien implantée sur certains marchés d'autres États membres, et que l'aide résultant du non-paiement par EDF de l'impôt sur les sociétés sur une partie des provisions comptables créées en franchise d'impôt pour le renouvellement du RAG ne pouvait qu'affecter la concurrence et les échanges entre États membres.

(205)

Les considérations qui précèdent ont été exposées dans la décision d'extension. Ni la France ni EDF n'ont contesté dans leurs observations que l'aide était susceptible d'affecter les échanges entre États membres.

(206)

Ainsi, dans la mesure où sont remplis les quatre critères énoncés à l'article 107, paragraphe 1, du TFUE, le non-paiement par EDF de l'impôt sur les sociétés sur une partie des provisions comptables créées en franchise d'impôt pour le renouvellement du RAG, constitue une aide d'État. Il convient désormais d'examiner la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur.

10.   APPRÉCIATION DE COMPATIBILITÉ DE L'AIDE AVEC LE MARCHÉ INTÉRIEUR

(207)

L'article 107, paragraphe 1, du TFUE dispose que les aides remplissant les critères qu'il énonce sont en principe incompatibles avec le marché intérieur. Selon une jurisprudence constante, il incombe à l'État membre de faire valoir les raisons et éléments de toute nature pour lesquels une aide d'État est compatible avec le marché intérieur (44). En l'espèce, la République française n'a fait valoir aucune raison ni n'a fourni d'élément à cet égard.

(208)

Les exceptions prévues à l'article 107, paragraphe 2, du TFUE ne sont pas applicables en l'espèce en raison de la nature de l'aide, celle-ci ne poursuivant pas les objectifs énumérés audit paragraphe.

(209)

L'aide concernée ne remplit pas non plus les conditions prévues pour les exceptions à l'article 107, paragraphe 3, points a) et c), du TFUE concernant les aides destinées à favoriser le développement économique de certaines régions, d'autant plus qu'elle correspond à une aide au fonctionnement. En effet, elle n'est pas subordonnée à des investissements ou à la création d'emplois comme envisagé dans les lignes directrices concernant les aides d'État à finalité régionale (45).

(210)

L'article 107, paragraphe 3, point c), du TFUE prévoit également une exception pour les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. En l'espèce, la mesure d'aide examinée n'entre pas dans le cadre de cette dérogation. Cette exception au droit fiscal applicable, qui ne bénéficie qu'à une seule entreprise, ne peut être considérée comme destinée à faciliter le développement d'une activité. Son seul objet est en effet d'aider une entreprise en réduisant ses coûts opérationnels.

(211)

En ce qui concerne les exceptions prévues à l'article 107, paragraphe 3, points b) et d), du TFUE, la mesure d'aide concernée n'est pas destinée à promouvoir la réalisation d'un projet d'intérêt commun, ni à remédier à une perturbation grave de l'économie française, ni à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine.

(212)

Ainsi, les critères de compatibilité énoncés à l'article 107, paragraphes 2 et 3, du TFUE ne sont pas remplis. Par ailleurs, en ce qui concerne la compensation des coûts de service public, les autorités françaises n'ont pas invoqué à l'égard de l'avantage fiscal l'application de l'article 106, paragraphe 2, du TFUE, mais elles ont souligné le fait qu'EDF exerce des missions de service public. Les autorités françaises n'ont cependant fourni aucune évaluation du coût occasionné à EDF par ces missions. La Commission ne peut donc pas établir si l'avantage fiscal en question compense ou non l'éventuel surcoût lié aux missions de service public qui lui sont imposées. En tout état de cause, si le non-paiement de l'impôt devait être qualifié de compensation pour la fourniture d'un service d'intérêt économique général, il n'est pas établi qu'une telle compensation ait été définie à l'avance selon des critères transparents et objectifs et calculée par rapport aux coûts d'une entreprise efficace.

(213)

L'examen du respect des conditions formulées dans l'arrêt Altmark (46), qui permettent d'échapper au champ d'application de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE ainsi que l'examen des critères d'application de l'article 106, paragraphe 2, du TFUE, que les autorités françaises n'invoquent d'ailleurs pas, ne sont donc pas possibles en l'espèce.

(214)

Sur la base des considérations précédentes, il apparaît que l'aide examinée constitue une aide au fonctionnement, qui a eu pour effet de renforcer la position concurrentielle d'EDF vis-à-vis de ses concurrents. Dans ces conditions, elle serait incompatible avec le marché intérieur.

(215)

La Commission considère aussi que, contrairement à l'affirmation des autorités françaises, la règle de prescription ne s'applique pas en l'espèce. Certes, EDF a créé les provisions comptables en franchise d'impôt de 1987 à 1996. Cependant, il convient de remarquer, d'une part, que d'après le Conseil national de la comptabilité, les corrections d'erreur, qui, par leur nature même, portent sur la comptabilisation des opérations passées, doivent être comptabilisées dans le résultat de l'exercice au cours duquel elles sont constatées et, d'autre part, que la loi qui dispose que les droits du concédant sont reclassés en dotations en capital sans être soumis à l'impôt sur les sociétés date du 10 novembre 1997. L'avantage fiscal date donc de 1997, et la prescription ne s'applique pas à une aide nouvelle versée à cette date, car le premier acte de la Commission concernant cette mesure date du 10 juillet 2001. Par ailleurs, en vertu de l'article 15 du règlement (CE) no 659/1999, la procédure au contentieux suspend le délai de prescription.

11.   CONLUSIONS

(216)

La Commission constate que la France a illégalement mis à exécution l'aide en question en violation de l'article 108, paragraphe 3, du TFUE. La Commission considère que l'exonération d'impôt sur les sociétés d'un montant de FRF 5 882 849 762 relative au reclassement comme dotation en capital, prévu par loi no 97-1026, de provisions comptables correspondant aux opérations de renouvellement du Réseau d'Alimentation Générale déjà réalisées à hauteur de FRF 14 119 065 335, constitue une aide illégale et incompatible avec le marché intérieur.

(217)

En vertu de l'article 108, paragraphe 2, du TFUE, dès lors que la Commission établit qu'une aide est incompatible avec le marché intérieur, la Commission est compétente pour obliger l'État membre concerné à supprimer ou à modifier ladite aide. Aux termes de l'article 14 du règlement (CE) no 659/1999 «En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée» décision de récupération«). La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général de droit communautaire.»

(218)

L'objectif poursuivi par la Commission en exigeant de l'État membre concerné la récupération des aides incompatibles avec le marché intérieur est de rétablir la situation antérieure (47). À cet égard, la Cour considère que l'objectif est atteint lorsque les bénéficiaires ont remboursé les montants octroyés illégalement à titre d'aide en perdant ainsi l'avantage dont ils bénéficiaient à l'égard de leurs concurrents. De cette manière, la situation antérieure au versement de l'aide est rétablie (48).

(219)

En l'espèce, il apparaît qu'aucun principe général de droit de l'Union n'irait à l'encontre de la récupération des aides illégales ainsi constatées. En particulier, ni la France ni les tiers intéressés n'ont fourni d'arguments en ce sens.

(220)

Il s'ensuit que la France doit prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès d'EDF l'aide illégale versée sous forme d'exonération d'impôt sur les sociétés d'un montant de FRF 5 882 849 762 relative au reclassement en capital d'une partie des provisions à hauteur de FRF 14 119 065 335.

(221)

Aux fins de cette récupération, les autorités françaises doivent en outre ajouter au montant de l'aide les intérêts de récupération courant à compter de la date à laquelle l'aide incompatible a été mise à la disposition de l'entreprise, à savoir à la date d'exigibilité du paiement de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice fiscal 1997, et ce jusqu'à sa récupération effective (49), conformément au chapitre V du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission (50).

(222)

Dans le cadre de l'obligation de coopération loyale incombant à la France dans le cadre de la procédure de récupération, ce montant devra être établi plus précisément au cours de la procédure, sur la base d'éléments qui seront fournis par les autorités françaises, et qui tiendront compte, entre autres, des taux de change entre l'ECU/EUR et le franc français (FRF) éventuellement applicables aux tranches de paiement par EDF de l'impôt sur les sociétés au cours de l'année 1997 et du remboursement à EDF des aides à la suite de l'annulation de la première décision négative en 2009. En effet, dans le cas d'espèce, les intérêts ne sont pas dus pour la période au cours de laquelle l'aide n'était plus à la disposition de l'entreprise, à savoir, la période entre la récupération effective de l'aide par la France et le reversement à EDF. Les intérêts éventuellement versés par la France à EDF devront néanmoins être pris en considération.

(223)

Les autorités françaises doivent récupérer le montant précité dans un délai de 4 mois à compter de la date de notification de la présente décision.

(224)

Conformément à une jurisprudence bien établie, dans le cas où un État membre se heurte à des difficultés imprévisibles ou à des circonstances qui n'avaient pas été envisagées par la Commission, ces problèmes peuvent être portés à la connaissance de la Commission, ainsi que des propositions portant sur les amendements adéquats, afin que la Commission les évalue. Dans ce cas, la Commission et l'État membre coopèrent de bonne foi en vue de trouver une solution à ces difficultés, en respectant intégralement les dispositions (51) du TFUE.

(225)

La Commission demande donc à la France de lui soumettre sans délai tout problème auquel elle se verrait confrontée dans l'exécution de la présente décision.

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article premier

1.   L'exonération d'impôt sur les sociétés en faveur d'Électricité de France pour un montant de 5 882 849 762 francs français, relative au reclassement en capital des provisions correspondant à la contre-valeur des biens en nature mis en concession du réseau d'alimentation générale, constitue une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE.

2.   L'aide mentionnée au paragraphe 1, mise à exécution illégalement par la République française est incompatible avec le marché intérieur.

Article 2

1.   La République française est tenue de récupérer la contre-valeur en euros de l'aide visée à l'article 1er auprès du bénéficiaire.

2.   Les sommes à récupérer produisent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition du bénéficiaire, jusqu'à leur récupération effective.

3.   Les intérêts sont calculés sur une base composée conformément au chapitre V du règlement (CE) no 794/2004.

Article 3

1.   La récupération de l'aide visée à l'article 1er est immédiate et effective.

2.   La République française veille à ce que la présente décision soit mise en œuvre dans les quatre mois suivant la date de sa notification.

Article 4

1.   Dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, la République française communique les informations suivantes à la Commission:

a)

le montant total (principal et intérêts) à récupérer auprès du bénéficiaire;

b)

une description détaillée des mesures déjà prises et prévues pour se conformer à la présente décision; et

c)

les documents démontrant que le bénéficiaire a été mis en demeure de rembourser l'aide.

2.   La République française tient la Commission informée de l'avancement des mesures nationales prises pour mettre en œuvre la présente décision jusqu'à la récupération complète de l'aide visée à l'article 1er. Elle transmet immédiatement, sur simple demande de la Commission, toute information sur les mesures déjà prises et prévues pour se conformer à la présente décision. Elle fournit également des informations détaillées concernant les montants de l'aide et les intérêts déjà récupérés auprès du bénéficiaire.

Article 5

La République française est destinataire de la présente décision.

Fait à Bruxelles, le 22 juillet 2015.

Par la Commission

Margrethe VESTAGER

Membre de la Commission


(1)  À compter du 1er décembre 2009, les articles 87 et 88 du traité CE sont devenus respectivement les articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne («TFUE»). Dans les deux cas, les dispositions sont, en substance, identiques. Aux fins de la présente décision, les références faites aux articles 107 et 108 du TFUE s'entendent, s'il y a lieu, comme faites respectivement aux articles 87 et 88 du traité CE. Le TFUE a également introduit certaines modifications de terminologie, telles que le remplacement de «Communauté» par «Union», de «marché commun» par «marché intérieur» et de «Tribunal de première instance» par «Tribunal». La terminologie du TFUE est utilisée dans la présente décision.

(2)  JO C 280 du 16.11.2002, p. 8.

(3)  JO L 49 du 22.2.2005, p. 9.

(4)  Arrêt du Tribunal du 15 décembre 2009 dans l'affaire T-156/04, EDF/Commission, Rec. 2009 II-04503.

(5)  Arrêt Commission/EDF, C-124/10 P, EU:C:2012:318.

(6)  JO C 186 du 28.6.2013, p. 73.

(7)  Réponse des autorités françaises du 23.12.2013, points 71 et 72.

(8)  Rapport particulier sur les concessions d'EDF no 1993 du 10 octobre 1994.

(9)  Directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 décembre 1996 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité (JO L 27 du 30.1.1997, p. 20).

(10)  Règlement (CE) no 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (JO L 83 du 27.3.1999, p. 1.).

(11)  Arrêt Commission/EDF, C-124/10 P, EU:C:2012:318, point 84.

(12)  «Does the 1997 recapitalisation of EDF by the French State meet the private investor test?». Rapport final du 15 octobre 2013.

(13)  Contrat d'entreprise État/EDF 1997-2000, signé le 8 avril 1997

(14)  Courrier du 12 juillet 1996 du ministre de l'économie et des finances et du ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications au président d'EDF, courrier du 22 avril 1997 du ministre de l'économie et des finances, du ministre délégué au budget et du ministre de l'industrie, de la poste et des télécommunications au président d'EDF.

(15)  Courrier du directeur financier d'EDF à la chef du service des financements et des participations du Trésor du 19 février 1997; Note d'analyse d'EDF datée du 27 juillet 1996 sur la rémunération de l'actionnaire, transmise au Sénat le 15 septembre 1997.

(16)  Exposé des motifs de l'article 45 du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique est financier, adopté en conseil des ministres le 5 avril 1997; Rapport de la commission des finances, de l'économie générale et du plan de l'Assemblée Nationale présenté par le député Didier MIGAUD du 10 septembre 1997 sur le projet de loi no 201 portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier; Rapport du sénateur Alain Lambert sur le projet de loi portant mesures urgentes à caractère fiscal et financier présenté le 24 septembre 1997; Discours du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de présentation du projet de loi MUFF devant le Sénat le 2 octobre 1997.

(17)  Secret d'affaires.

(18)  Le contrat se réfère à la directive 96/92/CE. Cette directive, tout comme celles qui l'ont succédée, ne prévoit pas de règles quant au statut sociétaire de producteurs, transporteurs ou distributeurs d'électricité au sein du marché intérieur.

(19)  Les modifications concernant le report à nouveau ne font pas partie des effets de l'article stricto sensu mais en constituent une conséquence logique.

(20)  La rentabilité pour l'État actionnaire s'explique par la faiblesse de l'assiette de dotations en capital de FRF 36 milliards (dénominateur du ratio) et par l'importance des provisions comptables. Après comptabilisation de celles-ci, jusqu'en 1996, le résultat net annuel d'EDF devenait négatif. Le report à nouveau négatif du compte de résultats se répercutait sous forme de consommation de fonds propres au bilan, fixés à FRF 24,2 milliards (voir tableau 2, colonne «Fin 1996» qui montre comment les fonds propres d'EDF étaient amputés d'un report à nouveau négatif de FRF 20,2 milliards, avant la modification introduite par l'article 4 de la loi no 97-1026). Puisque l'impôt n'était pas prélevé sur des résultats négatifs, la rentabilité très positive pour l'État actionnaire se faisait au détriment de l'État percepteur.

(21)  Arrêt Commission/EDF, C-124/10 P, EU:C:2012:318, point 82.

(22)  Arrêt Commission/EDF, C-124/10 P, EU:C:2012:318, point 83.

(23)  Arrêt Commission/EDF, C-124/10 P, EU:C:2012:318, point 84.

(24)  Arrêt Commission/EDF, C-124/10 P, EU:C:2012:318, point 104.

(25)  Arrêt Commission/EDF, C-124/10 P, EU:C:2012:318, point 86.

(26)  Arrêt Commission/EDF, C-124/10 P, EU:C:2012:318, point 95.

(27)  Étude Oxera, points 3.3, 3.24-3.25

(28)  Étude Oxera, tableau A2.2

(29)  Étude Oxera, point 3.3.

(30)  Étude Oxera, point 3.3, 3.15, tableau 3.2, tableau 3.8 pour coefficient beta et annexe 5.

(31)  Étude Oxera, point 3.5, 3.13, 3.20 to 3.23.

(32)  Moyenne annuelle du taux quotidien de l'emprunt phare français à 30 et 10 ans, source Banque de France: Taux de référence des bons du Trésor et OAT, http://www.banque-france.fr/economie-et-statistiques/changes-et-taux.

(33)  La pertinence d'un calcul de rentabilité sur le total des fonds propres immobilisés dans l'entreprise par rapport aux seuls capitaux investis sous forme de dotations au capital est confirmée par le fait que, dans le contrat entre l'État et EDF pour la période 2001-2003, la rémunération de l'État chiffrée en pourcentage (37,5 %) du résultat net a été encadrée dans une fourchette de minimum (1,5 %) et maximum (4,5 %) de l'assiette des capitaux propres. Réponse des autorités françaises du 23.12.2013, point 53.

(34)  Rapport annuel EDF 1997, p. 103.

(35)  Par l'article 2 de la décision du 16 décembre 2003 [C(2003) 4637final] (JO L 49 du 22.2.2005, p. 9), la Commission a décidé de ne pas soulever d'objections à la réforme du régime de retraites applicable aux industries électriques et gazières auquel EDF était assujetti. Cette réforme a eu pour effet de reporter sur le régime général de la sécurité sociale les charges et engagement de charges de retraite du régime spécifique du personnel d'EDF et des autres entreprises qui y participaient.

(36)  Ce modèle évalue la rentabilité cible que demande un investisseur dans le capital d'une entreprise (k) comme la résultante d'un ajout à la rentabilité d'un actif financier réputé sans risque ou peu risqué, à savoir, une obligation d'État dans le marché financier de référence (rf), une prime de risque de marché reflétant le caractère plus risqué d'un investissement en actions (Km – rf) multipliée par un coefficient de risque spécifique de l'action de l'entreprise concernée (β) qui peut être, de préférence, celui de l'entreprise elle-même ou, à défaut, celui d'entreprises comparables utilisées comme référence. Le paramètre β, doit être estimé pour une entreprise non endettée (gearing), afin de mesurer le risque intrinsèque de (l'action de) l'entreprise par rapport au marché. Le modèle est k = rf + β × (Km – rf). La Commission a appliqué le modèle MEDAF pour estimer la rentabilité requise d'investissements en capital dans une entreprise, avalisée par le Tribunal de l'Union européenne: T-319/12, Espagne/Commission, «Ciudad de la Luz», EU:T:2014:604, points 48 à 66. Pour une description plus ample, voir Vernimmen et alii «Corporate Finance» John Wiley & Sons ed. 2nd edition, 2009, ch. 22; pour les résultats d'enquêtes sur la fréquence d'utilisation de méthodes d'évaluation, voir p. 460. Les fondements théoriques et une application numérique du MEDAF à l'espèce sont aussi contenus dans l'étude effectuée par Oxera pour le compte d'EDF (considérant 70), notamment son Annexe I.

(37)  Vernimmen et alii «Corporate Finance» John Wiley & Sons ed. 2nd edition, 2009, p. 433-4.

(38)  Le modèle DDM représente la valeur de l'entreprise à partir du (dernier) dividende versé (Dt), du taux de croissance des dividendes (ɗD) et de la rémunération cible, ou coût d'opportunité du capital (K) selon la formule Vr = Dt (1 + ɗD)/(K – ɗD). Le modèle DDM est utilisé aussi dans l'étude d'Oxera pour le compte d'EDF (points 3.27-3.31, tableau 3.4), mais avec des valeurs différentes et, pour certaines, largement irréalistes. L'étude Oxera retient un taux de croissance des dividendes de 9,3 % par an. Des taux de croissance du dividende sont associés, dans un calcul à perpétuité comme celui du modèle DDM, à la croissance de l'entreprise. Des taux de croissance de 9,3 % largement supérieurs à l'inflation et à celui de la croissance du produit intérieur brut («PIB») à long terme, impliquent que, à terme, EDF accaparerait l'ensemble du PIB de la France.

(39)  Une valeur actuelle nette négative pour un taux d'intérêt (actualisation-financement) donné indique que l'investissement n'est pas rentable à ce taux d'intérêt. Le taux de rendement interne (positif –«TRI»-), indique le taux d'intérêt effectif auquel les flux financiers escomptés rémunèrent un investissement.

(40)  L'hypothèse que le dividende d'EDF croîtrait de 4,51 % (sensibilité 1, tableau 6.2) paraît optimiste; elle est obtenue en lissant le taux de croissance prévu pour les 4 années de prévision 1997-2000. Outre que dans la pratique habituelle, la croissance des dividendes retenue est celle de fin de période (scenario central), dans les faits, les dividendes à verser par EDF devaient décroître en 1997-2000 par rapport à 1991-1996 et en 1999 et 2000 par rapport à 1998. En tout état de cause, un taux de 4,51 % à perpétuité est élevé en valeur absolue. L'hypothèse (sensibilité 2, tableau 6.3) que l'actionnaire ajouterait -ou l'acheteur paierait- (un prorata) des quasi fonds propres d'EDF tels qu'estimés en 1997 à la valeur objective d'EDF telle que calculée ne prend pas en considération le caractère règlementaire de certains fonds propres (réserves). Cette hypothèse combinée au modèle DDM est aussi optimiste car elle équivaut à attribuer à l'actionnaire (un prorata de 11 %) des quasi-fonds propres (hors capital souscrit) qui permettent à l'entreprise d'absorber des pertes éventuelles et, sur le long terme, d'être à même de servir un dividende et une rémunération réguliers pour l'actionnaire. Elle présuppose que les quasi-fonds propres d'EDF fixés en 1997-2000 resteraient perpétuellement disponibles, alors que le modèle DDM fait abstraction des sources de rémunération autres que le dividende. C'est donc une hypothèse peu justifiable. Le cumul des deux hypothèses (sensibilité 3, tableau 6.4) démultiplie leurs inconvénients ou faiblesses respectifs et rend encore plus improbables et hasardeux les résultats du calcul.

(41)  Arrêts Gezamenlijke Steenkolenmijnen c/Haute Autorité, 30/59, EU:C:1961:2; arrêt Banco de Crédito Industrial C-387/92, EU:C:1994:100; arrêt SFEI, C-39/94, EU:C:1996:285; arrêt France c/Commission, C-241/94, EU:C:1996:353; arrêt FFSA c/Commission, T-106/95, EU:T:1997:23.

(42)  Voir notamment arrêt Ladbroke/Commission, T-67/94, EU:T:1998:7, point 109.

(43)  Directive 90/547/CEE du Conseil du 29 octobre 1990 relative au transit d'électricité sur les grands réseaux (JO L 313 du 13.11.1990, p. 30.).

(44)  C-364/90, Italy c Commission, EU:C:1993:157, point 20.

(45)  Lignes directrices sur les aides régionales (JO C 209 du 23.7.2013, p. 1).

(46)  C-280/00, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg, EU:C:2003:415.

(47)  Arrêt Espagne/Commission, C-278/92, C-279/92 et C- 280/92, EU:C:1994:325, point 75.

(48)  Arrêt Belgique/Commission, C-75/97, EU:C:1999:311, points 64-65.

(49)  Voir article 14, paragraphe 2, du règlement (CE) no 659/1999 (précité).

(50)  Règlement (CE) no 794/2004 de la Commission du 21 avril 2004 concernant la mise en œuvre du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE (JO L 140 du 30.4.2004, p. 1).

(51)  Arrêt Commission/Allemagne, C-94/87, EU:C:1989:46, point 9, et arrêt Commission/Italie, C-348/93, EU:C:1995:95, point 17.


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