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Document 32003D0006

    2003/6/CE: Décision de la Commission du 13 décembre 2000 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (COMP/33.133 — C: Carbonate de soude — Solvay) [notifiée sous le numéro C(2000) 3795] (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)

    JO L 10 du 15.1.2003, p. 10–32 (ES, DA, DE, EL, EN, FR, IT, NL, PT, FI, SV)

    Legal status of the document In force

    ELI: http://data.europa.eu/eli/dec/2003/6(1)/oj

    32003D0006

    2003/6/CE: Décision de la Commission du 13 décembre 2000 relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE (COMP/33.133 — C: Carbonate de soude — Solvay) [notifiée sous le numéro C(2000) 3795] (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)

    Journal officiel n° L 010 du 15/01/2003 p. 0010 - 0032


    Décision de la Commission

    du 13 décembre 2000

    relative à une procédure d'application de l'article 82 du traité CE

    (COMP/33.133 - C: Carbonate de soude - Solvay)

    [notifiée sous le numéro C(2000) 3795]

    (Le texte en langue française est le seul faisant foi.)

    (Texte présentant de l'intérêt pour l'EEE)

    (2003/6/CE)

    LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES,

    vu le traité instituant la Communauté européenne,

    vu le règlement n° 17 du Conseil du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité(1), modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1216/1999(2), et notamment ses articles 3 et 15,

    vu la décision prise par la Commission, le 19 février 1990, d'engager dans cette affaire la procédure d'office en vertu de l'article 3 du règlement n° 17,

    après avoir donné à l'entreprise concernée l'occasion de faire connaître son point de vue au sujet des griefs retenus par la Commission, conformément aux dispositions de l'article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17 et au règlement n° 99/63/CEE de la Commission du 25 juillet 1963 relatif aux auditions prévues à l'article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 du Conseil(3),

    après consultation du comité consultatif en matière d'ententes et de positions dominantes,

    considérant ce qui suit:

    PARTIE I

    FAITS

    A. RÉSUMÉ DE L'INFRACTION

    1. VÉRIFICATIONS

    (1) La présente décision fait suite aux vérifications effectuées par la Commission en mars 1989 au titre de l'article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 auprès des producteurs de soude de la Communauté. Au cours de ces vérifications et des enquêtes réalisées ensuite conformément à l'article 11 du règlement n° 17, la Commission a découvert des documents prouvant qu'une infraction à l'article 86 du traité CEE (à présent l'article 82 du traité CE) avait été commise par Solvay et Cie SA (aujourd'hui Solvay SA), Bruxelles (Solvay).

    2. INFRACTION À L'ARTICLE 82 COMMISE PAR SOLVAY

    (2) Depuis 1983 environ et jusqu'à la fin 1990 environ, Solvay a abusé de la position dominante qu'elle détenait sur le marché de la soude dans la Communauté (à l'exclusion du Royaume-Uni et de l'Irlande) en appliquant à ses gros clients un système de rabais, de ristournes et de remises par référence à un tonnage marginal, des conditions contractuelles tendant à lui assurer une exclusivité effective de livraison ainsi que d'autres mesures qui ont eu pour objet et pour effet de lui lier lesdits clients pour la totalité de leurs besoins et d'exclure les concurrents.

    B. MARCHÉ DE LA SOUDE

    1. PRODUIT

    (3) Le produit faisant l'objet de la présente procédure est la soude (carbonate de sodium), un produit chimique alcalin principalement utilisé comme matière première dans la production du verre. Le carbonate de soude est la matière de base d'où est tiré l'oxyde de sodium qui agit en tant que fluide dans le procédé de fusion du verre. La soude est également utilisée dans l'industrie chimique, pour la fabrication de détergents, et en métallurgie.

    (4) En Europe, la soude est produite à partir de sel ordinaire et de calcaire par le procédé "ammoniaque-soude" inventé par Solvay en 1865. Le procédé Solvay produit d'abord de la soude légère qui exige une nouvelle étape de densification pour produire la forme dense. Les deux formes sont chimiquement identiques, mais la soude dense est la forme préférée pour la production du verre.

    (5) Aux États-Unis d'Amérique, la soude "naturelle" est extraite de gisements de minerai de trona qui se trouvent essentiellement dans le Wyoming. Après son extraction, ce minerai de trona est purifié et calciné dans des raffineries. La soude naturelle n'est produite que sous forme dense. La soude naturelle se trouve également en Afrique et en Australie.

    (6) La totalité de la soude produite aux États-Unis d'Amérique est à présent obtenue naturellement (la dernière usine de production synthétique a été fermée en 1986), alors qu'en Europe la production totale consiste en matériau synthétique. En raison de sa faible teneur en sel, la soude naturelle des États-Unis d'Amérique se prête particulièrement à la production de verre et certains producteurs de verre qui achètent principalement de la soude synthétique peuvent tenter de la mélanger à la soude naturelle américaine pour obtenir la concentration voulue.

    2. PRODUCTEURS

    (7) Les six producteurs communautaires de soude synthétique étaient les suivants pendant la période considérée:

    - Solvay,

    - Imperial Chemical Industries (ICI),

    - Rhône-Poulenc,

    - Akzo,

    - Matthes & Weber (M & W),

    - Chemische Fabrik Kalk, Cologne (CFK).

    (8) Solvay était le premier producteur de soude synthétique, dans le monde et dans la Communauté. Cette société exploitait des usines en Autriche, en Belgique, en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Portugal et, avec 60 % environ du marché, elle était sans conteste l'entreprise dominante de l'Europe occidentale.

    (9) Solvay avait une direction nationale (DN) établie, pour l'Autriche, la Belgique et le Luxembourg, la France, l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas, le Portugal, l'Espagne et la Suisse, qui devait gérer ses activités commerciales, le siège principal de Bruxelles exerçant un rôle de surveillance et de coordination.

    (10) ICI Soda Ash Products était gérée depuis 1987 comme une activité distincte à l'intérieur de la division des produits chimiques et des polymères de ICI. Elle faisait précédemment partie de la Mond Division de ICI.

    (11) ICI était le deuxième producteur de soude de la Communauté. Cette société possédait deux usines de production à Northwich (Cheshire), mais limitait ses ventes dans la Communauté presque exclusivement au Royaume-Uni et à l'Irlande et détenait plus de 90 % du marché britannique.

    3. MARCHÉ MONDIAL

    (12) La demande mondiale de soude a augmenté d'environ 1 % par an au cours des années quatre-vingt, encore que l'on ait pu distinguer des divergences régionales substantielles. Dans les pays développés, la demande a été généralement statique de 1980 à 1987, année à partir de laquelle le marché a connu un redressement considérable. Plus de la moitié de la soude produite dans le monde était consommée par l'industrie verrière.

    (13) La capacité mondiale de production de soude (naturelle et synthétique) en 1989 était d'environ 36 millions de tonnes par an, la part de la Communauté représentant environ 7,2 millions de tonnes. La capacité de Solvay et de ICI dans la Communauté était respectivement d'environ 4,3 millions et 1 million de tonnes. (La capacité pratique ou effective était d'environ 85 à 90 % de la capacité nominale.) La consommation de soude dans la Communauté en 1989 était d'environ 5,5 millions de tonnes par an, pour une valeur d'environ 900 millions d'écus.

    (14) Les six producteurs américains de soude naturelle avaient une capacité nominale totale de 9,5 millions de tonnes par an, pour une demande intérieure en 1989 d'environ 6,5 millions de tonnes. La production de soude aux États-Unis d'Amérique s'est élevée, en 1989, à environ de 9 millions de tonnes. Les producteurs américains approvisionnaient l'ensemble de leur marché intérieur et exportaient le solde de leur production. Les coûts de production de la soude naturelle sont beaucoup plus bas que ceux du produit synthétique, mais les mines sont très éloignées de leurs principaux marchés, ce qui ne manque pas d'avoir une incidence sur les coûts de distribution.

    (15) La concurrence des producteurs américains de soude dense était considérée par les producteurs européens comme la principale menace sur leur marché intérieur. Aux taux de change en vigueur à la fin des années quatre-vingt, ces producteurs pouvaient vendre en Europe à des prix nettement inférieurs à ceux du marché local sans dumping.

    (16) Les producteurs de l'Europe de l'Est, avec une production d'environ 9 millions de tonnes par an, représentaient quelque 30 % de la capacité mondiale de production de soude. L'Union soviétique consommait plus de la moitié de la production et était importateur net. La quasi-totalité de la production excédentaire exportée par les pays de l'Europe de l'Est était de la soude légère. En dépit des droits antidumping, les importations dans la Communauté de soude légère en provenance des pays du CAEM restaient substantielles.

    (17) Pendant les années quatre-vingt, on a observé une augmentation sensible de la demande et la totalité de la production de soude a pu être écoulée à l'échelle mondiale. Les unités de production travaillaient à pleine capacité en 1990. La capacité de production de la Chine devait s'accroître d'environ 500 kilotonnes par an et la production au Botswana (pour l'Afrique du Sud) devait augmenter de 300 kilotonnes, ce qui a du entraîner un déplacement des importations au détriment des autres régions de production.

    4. COMMUNAUTÉ

    (18) Solvay était le principal producteur, avec presque de 60 % du marché total de la Communauté et des ventes dans tous les États membres, à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande. Après trois années de stagnation de la demande au milieu des années quatre-vingt, les ventes de soude en Europe de l'Ouest ont commencé à se redresser substantiellement en 1987. En 1988 et 1989, les producteurs ont travaillé à pleine capacité.

    (19) Le marché de la soude de l'Europe de l'Ouest à la fin des années quatre-vingt restait caractérisé par une division selon les frontières nationales. Les producteurs avaient tendance à concentrer leurs ventes sur les États membres où ils possédaient des capacités de production, encore qu'à partir de 1981 ou 1982 les petits producteurs - CFK, M & W et Akzo - aient accru leurs ventes hors de leur marché "intérieur".

    (20) Il n'y avait pas de concurrence entre Solvay et ICI, chacune de ces entreprises limitant ses ventes dans la Communauté à sa "sphère d'influence" traditionnelle, respectivement l'Europe de l'Ouest continentale et le Royaume-Uni. Tant ICI que Solvay avaient des exportations substantielles vers les marchés étrangers non européens qui étaient approvisionnés à partir de la Communauté. Une part importante des exportations de ICI consistait en fait en fournitures livrées par Solvay au nom de ICI.

    (21) Dans les États membres où Solvay était le seul producteur établi localement (Italie, Portugal et Espagne), cette société avait un monopole quasi total.

    (22) La part de marché de Solvay était de plus de 80 % en Belgique, de 55 % en France, et de 52 % en Allemagne. ICI détenait plus de 90 % du marché britannique, les seules autres sources d'approvisionnement étant les États-Unis et la Pologne.

    (23) En ce qui concerne la demande, les principaux clients dans la Communauté étaient les fabricants de verre. Quelque 65 à 70 % de la production des entreprises de l'Europe de l'Ouest étaient utilisés dans la fabrication de verre plat et de verre creux (verre d'emballage). La soude était l'un des principaux éléments de coût de la production verrière puisqu'il représentait environ 60 % de la valeur des matières premières nécessaires. La plupart des producteurs de verre exploitent des usines en continu et avaient besoin d'un approvisionnement sûr en soude. Dans la plupart des cas, ils avaient un contrat à assez long terme avec un fournisseur important pour l'essentiel de leurs besoins et avaient un autre fournisseur comme source secondaire. Au cours des années quatre-vingt, l'industrie du verre a fait l'objet, en Europe, d'un important mouvement de concentration, les grands groupes opérant sur une base paneuropéenne et disposant d'unités de production dans plusieurs États membres. La part de l'industrie chimique dans la consommation de soude était de 20 % et celle des applications métallurgiques, d'environ 5 %.

    5. SOUDE NATURELLE AMÉRICAINE

    (24) Depuis le développement de l'exploitation de la soude naturelle dans les années soixante, le marché des États-Unis d'Amérique accusait des surcapacités importantes par rapport à la demande intérieure. L'excédent disponible pour l'exportation à la fin des années quatre-vingt était d'environ 2,5 millions de tonnes par an.

    (25) Étant donné la surproduction et la présence d'un certain nombre de producteurs ayant des coûts similaires, le marché intérieur américain était caractérisé par une forte concurrence des prix. Le produit se vendait aux États-Unis d'Amérique avec une ristourne importante sur le "prix de liste" [93 dollars des États-Unis (USD) par short ton fob Wyoming], le prix net départ usine étant, fin 1989, d'environ 73 USD par short ton, prix auquel il fallait ajouter les coûts du transport jusqu'aux centres industriels de la côte est. La plupart des producteurs ont porté les prix de liste à 98 USD par short ton avec effet au 1er juillet 1990 et le prix effectif est passé à environ 85 USD.

    (26) Confrontés à la nécessité d'exporter, les producteurs américains se sont efforcés de pénétrer le marché européen et d'autres marchés. La soude naturelle a fait son apparition dans la Communauté à la fin des années soixante-dix, principalement au Royaume-Uni. En 1982, les importations américaines dans la Communauté se sont élevées à quelque 100000 tonnes, dont un peu moins de 80000 tonnes au Royaume-Uni. L'industrie européenne a demandé et obtenu la mise en place d'une protection antidumping contre les importations de soude dense américaine en 1982. (Des mesures antidumping étaient également appliquées à l'encontre des importations de soude légère, mais non de soude dense, en provenance d'Europe de l'Est, depuis octobre 1982).

    (27) Les mesures en vigueur à la fin des années quatre-vingt pour établir une protection antidumping contre la soude dense en provenance des États-Unis d'Amérique prévoyaient ce qui suit:

    a) pour les deux producteurs alors sur le marché, Allied (à présent General Chemical) et Texas Gulf, un engagement de prix minimal de 112,26 livres sterling (GBP) par tonne départ entrepôt [règlement (CEE) n° 2253/84 de la Commission(4)];

    b) pour les producteurs non présents sur le marché, Tenneco, KMG, FMC et Stauffer, un droit antidumping définitif de 67,49 écus par tonne [règlement (CEE) n° 3337/84 du Conseil(5)].

    (28) Les engagements de prix négociés prévoyaient la conversion en d'autres devises au taux de change alors en vigueur. Avec la modification des parités à partir de 1984, le prix d'engagement pour l'Allemagne, la France et d'autres marchés se situait nettement au-dessus du prix du marché, si bien que les ventes correspondant à l'engagement étaient commercialement impossibles en dehors du Royaume-Uni.

    (29) Texas Gulf a subi une perte en volume à la suite de l'adoption des mesures antidumping et s'est retirée du marché britannique en 1985, de sorte qu'en 1990 General Chemical était le seul producteur américain qui continuait à livrer au Royaume-Uni, encore qu'à raison d'environ 30000 tonnes seulement par an.

    (30) À partir de 1987, General Chemical avait également "ciblé" la France, ce qui avait affecté en particulier Solvay et Rhône-Poulenc qui se partageaient ce marché. Texas Gulf vendait également un certain tonnage en Belgique. Dans les deux cas, les importations ont été exonérées des droits antidumping dans le cadre du régime du trafic de "perfectionnement actif".

    (31) Un certain nombre de grands consommateurs communautaires du secteur du verre avaient indiqué leur intention de réduire de façon substantielle leurs achats auprès des producteurs de la Communauté et de s'approvisionner aux États-Unis d'Amérique. Toutefois, jusqu'en 1990, les livraisons des producteurs américains en Europe de l'Ouest continentale (hors Royaume-Uni et Irlande) n'ont été que de 40000 tonnes au total, pour la quasi-totalité sous le régime du "perfectionnement actif".

    (32) Les mesures antidumping arrêtées par le règlement (CEE) n° 3337/84 ont expiré en novembre 1989. Un certain nombre de producteurs américains et des représentants de l'industrie verrière communautaire ont demandé en 1988 un réexamen de ces mesures. Le 7 septembre 1990, la procédure de réexamen s'est terminée sans que soient imposées des mesures de protection [décision 90/507/CEE de la Commission(6)].

    (33) En 1982, un certain nombre de producteurs américains ont formé une association d'exportation (Export Association) en se prévalant du "Webb-Pommerene Act" de 1918, avec l'approbation du ministère du commerce des États-Unis d'Amérique. Initialement, les activités de cette association étaient limitées au Japon et trois producteurs seulement y prenaient part. En décembre 1983, les six producteurs de soude naturelle se sont regroupés pour former l'American Natural Soda Ash Corporation (ANSAC).

    (34) La fonction de l'ANSAC était d'agir en tant que comptoir de vente pour assurer la commercialisation et la distribution des exportations de soude des producteurs américains hors des États-Unis d'Amérique. Ces ventes représentaient environ 250 millions d'USD par an. En prévision de l'extension de ses activités au marché de l'Europe de l'Ouest (en remplacement des ventes par les différents producteurs), l'ANSAC a notifié ses accords à la Commission en sollicitant une attestation négative ou une exemption au titre de l'article 81, paragraphe 3.

    (35) La demande de l'ANSAC a fait l'objet de la décision 91/301/CEE de la Commission(7), par laquelle l'exemption a été refusée.

    C. CONTEXTE

    1. POSITION DE SOLVAY SUR LE MARCHÉ COMMUNAUTAIRE DE LA SOUDE PENDANT LA PÉRIODE CONSIDÉRÉE

    (36) Sur les neuf marchés nationaux de l'Europe occidentale sur lesquels Solvay avait sa propre organisation de vente (les neuf directions nationales ou "DN", qui comprenaient l'Autriche et la Suisse), elle avait une part de marché stable d'environ 70 %, alors que celle de ses quatre concurrents de la Communauté pris ensemble n'était que de 26 %. Dans la Communauté, sans les îles britanniques (où ICI détenait un quasi-monopole), la part de marché de Solvay se situait aussi traditionnellement autour de 70 %. À la seule exception des Pays-Bas (laissés dans une large mesure à NSI et ensuite à Akzo, conformément à un accord de partage des marchés conclu en 1955 qui n'a pas fait l'objet d'une procédure), Solvay était le fournisseur de soude le plus important, et dans certains cas le seul, dans chacun des États membres de la Communauté dans lesquels elle vendait.

    (37) Solvay, qui était le premier producteur de sel dans la Communauté, était très favorablement placée en ce qui concernait la fourniture de la principale matière première pour la soude.

    2. CONCURRENTS DE SOLVAY

    (38) Le seul producteur européen qui était d'une taille comparable à Solvay était ICI, qui s'abstenait d'entrer en concurrence sur les marchés de Solvay. À l'exception peut-être de Akzo qui, du fait de sa localisation sur la côte néerlandaise, considérait comme son "territoire naturel" non seulement les Pays-Bas, mais aussi l'Allemagne du Nord et le Danemark, les autres producteurs avaient tendance à concentrer leurs ventes communautaires sur leurs marchés nationaux respectifs. Ainsi, Rhône-Poulenc réalisait 95 % de ses activités communautaires dans le domaine de la soude en France. CFK et M & W avaient quelques exportations vers les Pays-Bas, la France et le Luxembourg, mais, là aussi, leur effort principal portait sur leur marché local. Par rapport aux 70 % de Solvay, la part de marché des autres producteurs dans les États membres continentaux de la Communauté allait de 4 à 11 %.

    (39) D'après Solvay, le principal risque pour la position qu'elle détenait sur le marché européen provenait non pas des autres producteurs de la Communauté, mais de la soude naturelle des État-Unis d'Amérique. Les producteurs d'Europe de l'Est fournissaient principalement de la soude légère, qui n'est normalement pas utilisée par l'industrie du verre. Les mesures antidumping instaurées en 1983 avaient assuré à Solvay un degré de protection substantiel contre les importations (considérant 49).

    3. CLIENTS DE SOLVAY

    (40) Le principal débouché de Solvay était le secteur du verre, qui représentait de 66 à 68 % de la consommation de soude en Europe de l'Ouest. Le secteur du verre lui-même était divisé entre le verre d'emballage et le verre plat dans la proportion de 2 à 1.

    (41) Solvay était le principal ou le seul fournisseur de pratiquement tous les producteurs de verre en Europe de l'Ouest continentale. Il n'y avait que très peu de consommateurs qui avaient l'un des autres producteurs comme "premier" fournisseur. Par conséquent, en 1988, Solvay détenait 82 % de l'approvisionnement en soude pour le verre plat sur les neuf marchés nationaux formés par les neuf directions nationales. Dans le secteur du verre d'emballage, elle détenait 74 % de l'approvisionnement total disponible.

    (42) Le principal client de Solvay était le groupe Saint-Gobain, avec des contrats à durée indéterminée dans les différents États membres, résiliables moyennant un délai de préavis de vingt-quatre mois, qui représentaient des ventes de plus de 500000 tonnes par an en Europe de l'Ouest. Il existait également un "protocole" secret qui prévoyait une "ristourne de groupe" de 1,5 % par an sur toutes les ventes en Europe. Les prix et les autres conditions contractuelles étaient toutefois négociés dans chaque pays entre la DN compétente de Solvay et la société Saint-Gobain dans l'État membre en question. De nombreux autres clients avaient également un contrat à durée indéterminée assorti d'un délai de préavis de vingt-quatre mois.

    4. ORGANISATION DE VENTE DE SOLVAY

    (43) Les activités de production et de commercialisation de Solvay dans le secteur de la soude en Europe occidentale étaient organisées sur une base nationale, avec une direction nationale distincte desservant chacun des différents marchés. Il existait des variations de prix considérables d'un État membre à l'autre, les prix départ usine en France étant d'environ 10 % inférieurs à ceux qui étaient pratiqués en Belgique. Dans le secteur du verre, en particulier, il y a eu cependant aux cours des années quatre-vingt une tendance marquée à la formation de groupes de dimension européenne. Alors que Solvay affirme que les négociations de prix se déroulaient au niveau national (c'est-à-dire entre la DN de Solvay et la filiale verrière locale du groupe concerné), les clients ont pris de plus en plus conscience des écarts de prix entre les États membres et ont cherché à les réduire. Dans certains cas, les clients sont parvenus à négocier avec Solvay une formule qui réduisait la variation de prix (par exemple les verriers belges Saint-Roch et Glaverbel).

    5. CONTRATS "TOUS BESOINS" UTILISÉS PAR SOLVAY JUSQU'À 1981

    (44) Jusqu'à 1980, les contrats de fourniture conclus par Solvay dans le secteur de la soude dans les différents États membres étaient de longue durée et prévoyaient généralement que le client devait s'approvisionner auprès de Solvay pour la totalité de ses besoins.

    (45) Après que les accords de fourniture de Solvay eurent été portés à l'attention de la Commission, des discussions approfondies ont eu lieu et Solvay a finalement accepté de modifier ses conditions contractuelles en substituant à la clause "tous besoins" une clause stipulant un tonnage déterminé et ramenant la période de préavis pour la résiliation du contrat (dans de nombreux cas, cinq ans) à deux ans.

    (46) La Commission a toutefois informé Solvay par lettre que les tonnages que le client était tenu d'acheter chaque année ne devaient pas être égaux ou presque égaux aux besoins totaux de soude du client. En outre, tout en confirmant que Solvay pouvait accorder des remises et des ristournes sur le prix de liste, la Commission a bien précisé que toute ristourne accordée par Solvay ne devait ni constituer un moyen détourné pour assurer le maintien des contrats "tous besoins" abandonnés, ni faire office de ristourne de fidélité.

    (47) Solvay a informé la Commission à la fin de l'année 1980 qu'elle donnait instruction à ses différentes directions nationales de modifier leurs accords de fourniture et a joint une copie du projet de circulaire qu'elle se proposait d'adresser à ses différents bureaux de vente nationaux, dans laquelle elle soulignait - à deux reprises - que, en aucun cas, un accord de prix ne devait constituer une incitation à assurer la fidélité du client. Ce dernier devait également être libre de déterminer les tonnages qu'il désirait acheter, et Solvay interdisait expressément aux bureaux de vente de tenter d'apprendre du client à quelle part de ses besoins totaux correspondait le tonnage indiqué.

    (48) Sur la base de la lettre de Solvay, le dossier a été classé en 1982 et la Commission n'a pas pris d'autres mesures jusqu'aux vérifications effectuées dans le cadre de la présente procédure.

    6. PROTECTION ANTIDUMPING

    (49) L'un des soucis majeurs de la politique commerciale de Solvay dans le secteur de la soude était d'assurer le maintien des mesures antidumping instaurées aussi bien à l'encontre des producteurs américains de soude dense qu'à l'encontre des fournisseurs de soude légère d'Europe de l'Est. À la suite des changements de parité intervenus depuis 1984, Solvay était parfaitement consciente de ce que les producteurs américains étaient en mesure de vendre en Europe à des prix nettement inférieurs aux prix moyens de la Communauté sans commettre de dumping: leur prix départ usine à l'exportation n'était pas inférieur au prix qu'ils pratiquaient sur leur marché intérieur.

    (50) Un certain nombre de producteurs de verre avaient tiré profit d'une disposition de la législation antidumping qui leur permettait d'éviter les droits antidumping sur la soude importée utilisée pour produire du verre destiné à l'exportation en dehors de la Communauté ("le perfectionnement actif").

    (51) Les droits antidumping sur les importations américaines faisaient l'objet d'un réexamen au moment de la présente procédure et Solvay a insisté fortement pour leur renouvellement, de même que pour leur extension aux produits importés sous le régime du "perfectionnement actif". L'un des producteur américain, en particulier General Chemical (précédemment connu sous la dénomination de Allied) "visait" - d'après d'autres producteurs européens - la France, politique qui n'affectait que Solvay et Rhône-Poulenc. On trouve cependant certaines indications dans les comptes rendus d'une réunion de l'association des producteurs, CEFIC, de ce que ces deux producteurs devraient "examiner la possibilité d'un arrangement avec General Chemical".

    (52) Il est significatif que dans la procédure antidumping Solvay ait demandé qu'un nouveau prix minimal terminal "CEE" dédouané de 163 écus par tonne soit imposé à la soude dense en provenance de l'Europe de l'Est et des États-Unis d'Amérique (soit environ 170 à 180 écus rendu), alors que (comme elle le savait bien), dans plusieurs pays, son propre prix rendu moyen était inférieur à 300 marks allemands (DEM) (soit 150 écus).

    D. COMPORTEMENT DE SOLVAY VISANT À EXCLURE LA CONCURRENCE

    1. STRATÉGIE COMMERCIALE DE SOLVAY APRÈS 1982

    (53) En dépit des termes exprès de la lettre de la Commission et de la circulaire interne de Solvay, Solvay a fait, à partir de 1983, un usage croissant tant d'un système de ristournes progressives que de contrats de fourniture qui liaient effectivement les gros clients à Solvay pour la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins en soude. Confrontée à la baisse de la demande (jusqu'à 1987), Solvay semble avoir eu pour premier souci de préserver sa position dominante sur le marché européen contre "l'agitation" des petits producteurs, ainsi que contre la menace qu'elle percevait des importations d'Europe de l'Est et des États-Unis d'Amérique. Les principales mesures prises par Solvay comprenaient:

    "l'amélioration des relations avec les gros clients (verriers-chimie) par la généralisation et le renforcement de la politique de contrats avec l'objectif de 'fidéliser' les clients (en particulier Saint-Gobain qui reçoit une super ristourne de groupe de 1,5 % dans le cadre d'un 'contrat chapeau')... mais des contrats restent relativement 'ouverts' en raison des règles de la Communauté économique européenne (préavis de deux ans au maximum, tonnage contractuel limité à environ 85 % des besoins du client afin de laisser à ce dernier la possibilité d'avoir un deuxième fournisseur)".

    (54) Une note de stratégie (non datée mais probablement d'avril 1988) exposait la politique commerciale et en matière de prix de Solvay:

    "Première préoccupation de Solvay: défendre ses importantes positions commerciales notamment en Europe (c'est le marché solvable et rentable).

    Ce qui implique:

    - une politique de présence 'tous clients' et une bonne couverture du marché [...],

    - une politique favorisant les clients qui acceptent des engagements à terme = contrats assortis de ristournes importantes."

    (55) Une autre note de stratégie datée d'avril 1988 exposait les autres politiques possibles de Solvay:

    "La stratégie défensive consiste et consistera:

    - à continuer à fidéliser nos clients avec des ristournes contractuelles de plus en plus importantes."

    2. SYSTÈME DE RISTOURNES PRATIQUÉ PAR SOLVAY EN ALLEMAGNE

    (56) La politique déclarée de Solvay sur l'important marché allemand était de préserver sa part globale de marché de plus de 50 % en prenant les mesures suivantes:

    - exclure toutes les importations en provenance des États-Unis d'Amérique, et empêcher toute nouvelle croissance des importations de Akzo et des producteurs d'Europe de l'Est,

    - maintenir sa "position dominante" en tant que fournisseur de soude de l'industrie du verre plat et du verre d'emballage.

    (57) Outre les ristournes usuelles de quantité sur le tonnage de base pour les gros clients, Solvay a, à partir de 1982, accordé deux formes supplémentaires de ristourne en Allemagne:

    - une ristourne sur le tonnage marginal, dénommée Spitzenrabatt, qui était presque toujours fixée à 20 % du prix de liste,

    - un paiement annuel spécial par chèque (jusqu'à 3,4 millions de DEM dans un cas) à condition que le client s'approvisionne chez Solvay pour la totalité ou l'essentiel de ses besoins.

    (58) Le remboursement par chèque était déjà en vigueur à la fin de l'année 1982 et le pourcentage de la "tranche supérieure" a été instauré au début de l'année 1983. Le système avait été étendu et perfectionné à partir de 1983, et formait la base de la structure de prix de Solvay en Allemagne. Au moment des vérifications effectuées par la Commission en mars 1989, la quasi-totalité des gros clients de Solvay en Allemagne recevaient les deux formes d'incitation. Solvay avait enjoint aux clients en question de s'abstenir strictement de divulguer ces ristournes aux tiers.

    (59) Dans le système de ristournes appliqué aux gros clients, le tonnage "de base", qui correspondait généralement à environ 80 % des besoins annuels totaux du client, était facturé au prix de liste avec la ristourne de quantité usuelle (par exemple 10 %). Pour le tonnage marginal dépassant les besoins de base du client, celui-ci obtenait une ristourne de 20 %, et en outre, un paiement substantiel par chèque.

    (60) Ainsi, dans le cas de Vegla, qui faisait partie du groupe Saint-Gobain et était le principal client de Solvay en Allemagne, le système de ristournes a fonctionné comme suit pour 1989:

    1) sur le tonnage contractuel de base de 85000 tonnes, une ristourne de 10 %;

    2) pour le tonnage "marginal" de 43000 tonnes, une ristourne de 20 %;

    3) un chèque correspondant au tonnage marginal de 3349000 DEM.

    (61) Le prix départ usine de Solvay pour l'Allemagne était de 403 DEM par tonne. Le prix net moyen par tonne payé par les gros clients d'Allemagne à la fin des années quatre-vingt se situait autour de 340 à 360 DEM par tonne. Ce qui n'apparaissait pas c'est que, sur le tonnage marginal, le prix à la tonne pouvait descendre jusqu'à 250 DEM par tonne ou même plus bas.

    (62) Pour reprendre l'exemple de Vegla en 1989:

    - prix de liste départ usine: 403 DEM,

    - tonnage de base (ristourne de 10 %): 85000,

    - tonnage marginal (ristourne de 20 %): 43400,

    - prix avec ristourne de la dernière tranche (prix de liste -20 %): 322,40 DEM,

    - paiement spécial par chèque: 3349000 DEM = 77,16 DEM par tonne,

    - prix net par tonne pour le tonnage marginal: 245,24 DEM.

    (63) Dans tous les cas où Solvay accordait les ristournes spéciales de la tranche supérieure ou le chèque, elle était le fournisseur exclusif ou principal du client. Il ressort des documents que, dans chaque cas, Solvay avait une idée très précise des besoins totaux de chaque client et pouvait calculer son offre de prix en conséquence. Le tonnage marginal auquel les incitations financières renvoyaient correspondait à celui que le client aurait pu sinon envisager de se procurer auprès d'un fournisseur concurrent.

    (64) L'effet du système de ristournes était qu'un concurrent qui voulait faire son entrée en tant que deuxième fournisseur en prenant à Solvay une partie de l'approvisionnement du client (c'est-à-dire le tonnage marginal) devait lui offrir pour ce tonnage un prix au moins égal, sinon inférieur, à celui de Solvay. Dans l'exemple ci-dessus, 245 DEM. Alors que le concurrent devait offrir ce prix non rentable pour tous les tonnages offerts, Solvay ne devait le faire que sur la dernière tranche. Par conséquent, bien que la quantité marginale fût fournie à seulement 245 DEM par tonne, le prix moyen par tonne de Solvay pour la totalité du tonnage fourni était de 320 DEM.

    (65) En d'autres termes, si le fournisseur concurrent espérait prendre une activité marginale à Solvay, il devait compenser au client la perte de l'avantage financier due au fait qu'il n'achetait pas à Solvay. Dans notre l'exemple la valeur de cet avantage est d'environ 6850000 DEM. Le deuxième fournisseur devait absorber le coût représenté par l'octroi de cette ristourne sur un peu plus de 43000 tonnes, alors que Solvay pouvait répartir cette ristourne sur une quantité trois fois supérieure.

    (66) Le consommateur n'avait donc pas tellement intérêt à rechercher un deuxième fournisseur eu égard au prix favorable offert par Solvay pour le tonnage marginal, et le deuxième fournisseur n'avait pas intérêt à faire offre pour les besoins marginaux du client eu égard au prix non rentable qu'il devait offrir.

    (67) Dans la plupart des cas, comme dans celui de Vegla, le système de ristournes raffermissait la position de Solvay en tant que fournisseur exclusif. Toutefois, ce système visait également à maintenir la part dominante de Solvay lorsque les clients avaient pour politique de subdiviser leur activité entre deux fournisseurs. Flachglas, le deuxième client de Solvay en Allemagne, fractionnait ses activités en gros dans la proportion de 70 à 30 entre Solvay et M & W. À partir de 1983, les conditions de prix appliquées par Solvay à Flachglas prévoyaient une ristourne de quantité de 8,5 % pour toute quantité jusqu'à 70 kilotonnes, 20 % sur tout tonnage marginal, ainsi qu'un chèque de 500000 à 750000 DEM. Cette ristourne supplémentaire par chèque signifiait que le prix réel de tout tonnage marginal au-delà de 70 kilotonnes n'était (selon la quantité) que de 250 ou 260 DEM par tonne. Il était extrêmement difficile pour le deuxième fournisseur de s'attaquer à la part "essentielle" de l'approvisionnement détenue par Solvay, qui (comme il ressort des propres documents de Solvay) était protégée par la "barrière" des ristournes. Même si le deuxième fournisseur était en mesure d'égaler le prix facturé de 322,40 DEM (prix de liste -20 %), il était hautement improbable que le client veuille risquer de perdre le chèque substantiel dont le paiement était de toute évidence subordonné à l'achat par lui d'un tonnage approprié à Solvay en plus du tonnage contractuel de base. Des documents obtenus de Matthes & Weber confirment qu'il était impossible à cette société de faire des incursions dans la part de l'approvisionnement de Flachglas détenue par Solvay.

    (68) Des documents internes de Solvay démontrent à l'évidence que le système des ristournes pratiqué en Allemagne était destiné à fidéliser les clients de Solvay.

    (69) Là encore, le cas de Vegla est particulièrement instructif. Vegla avait un accord de longue durée avec Deutsche Solvay Werke (DSW) pour s'approvisionner chez Solvay pour la totalité de ses besoins. À la fin de 1987 toutefois, Vegla, apparemment sous l'effet de pressions du siège de Saint-Gobain à Paris, a demandé à Solvay d'accepter qu'elle achète 15 kilotonnes aux États-Unis d'Amérique. DSW a fermement rejeté cette suggestion et a signifié à Solvay à Bruxelles que le système de ristournes visait à renforcer la position de DSW en tant que fournisseur exclusif de Vegla. Si Vegla devait être autorisée à s'approvisionner aux États-Unis d'Amérique, il en résulterait "un abandon inutile de notre forte position de défense (besoins totaux de Vegla), protégée par un système 'étanche' de ristournes".

    (70) D'autres documents de DSW datant du début de 1988 soulignent que Vegla devait bien comprendre que le "traitement préférentiel" qui lui était réservé par Solvay était subordonné à la condition qu'elle s'approvisionne pour la totalité de ses besoins auprès de DSW. Au cas où Vegla ne le ferait pas, la ristourne par chèque lui serait retirée. Les documents soulignent en outre le fait que le système de prix à deux niveaux de Solvay comportait une subvention non négligeable pour les tonnages marginaux de façon à exclure la concurrence. Ce point est bien précisé dans une note datée du 1er février 1988:

    "2) Que la politique de prix menée jusqu'ici, qui était fondée sur le principe du double échelonnement prix/quantité, qui subventionnait particulièrement le 'tonnage marginal' et qui, ce faisant, protégeait contre une incursion de la concurrence pour une quantité marginale correspondante.

    3) Que, dans les négociations futures sur les prix pour 1988, DSW se doit, en toute logique, de concentrer tous les efforts (éventuellement chèques supplémentaires) sur le 'tonnage marginal', étant bien entendu que ceci implique inéluctablement la volonté de supprimer les prestations complémentaires (chèques) en cas de disparition du 'tonnage marginal'".

    (71) En l'espèce, il a été convenu que DSW approvisionnerait Vegla pour la totalité de ses besoins pour 1988 et 1989 (exception faite de tonnages mineurs pour une usine) moyennant une ristourne de 20 % sur les achats dépassant 85000 tonnes et un chèque comprenant un élément exprès de fidélité de 1500000 DEM de même que d'autres remises.

    3. SYSTÈME DE RISTOURNES PRATIQUÉ PAR SOLVAY EN FRANCE

    (72) Solvay appliquait en France un système de ristournes sur le tonnage marginal analogue à celui qu'elle mettait en oeuvre en Allemagne.

    (73) Le groupe BSN était le principal client de Solvay en France, avec une consommation d'environ 300000 tonnes par an. Solvay était en tout état de cause le fournisseur exclusif de BSN en France. Tout comme pour Saint-Gobain, Solvay était particulièrement soucieuse d'empêcher BSN de trouver une autre source d'approvisionnement parmi les producteurs américains de soude naturelle.

    (74) À la fin de l'année 1987, Solvay a passé un accord avec BSN pour 1988 aux termes duquel Solvay lui accordait non seulement la ristourne de quantité normale de 8,5 %, mais également une ristourne supplémentaire sur le tonnage marginal. Une ristourne de 135 francs français (FRF) par tonne devait être versée par trimestre pour un achat de plus de 210000 tonnes. L'accord avec BSN a été prorogé d'une année le 11 janvier 1989.

    (75) Durand (Cristalleries d'Arques) avait des achats annuels de 50000 à 60000 tonnes. Jusqu'à 1987, Durand recevait une ristourne de 5 % pour les quantités supérieures à 50000 tonnes. Pour 1988, l'accord prévoyait non seulement la ristourne de 5 %, mais également une ristourne supplémentaire de 100 FRF par tonne pour les achats supérieurs à 48000 tonnes. Pour 1989, s'étant assurée que les besoins totaux de soude de Durand seraient de 68000 à 70000 tonnes, Solvay a porté la ristourne sur les tonnages de 48000 à 58000 tonnes à 140 FRF par tonne et à 175 FRF sur la dernière tranche, c'est-à-dire sur toute quantité qui excédait 58000 tonnes.

    (76) Perrier consommait environ 50000 à 60000 tonnes de soude par an, achetées en totalité à Solvay. Par un contrat de fourniture à durée indéterminée datant de 1981, cette société était tenue d'acheter 50000 tonnes ± 10 % à Solvay. À compter de 1987, Perrier a reçu une ristourne de base de 4 %, mais, si ses achats excédaient 55000 tonnes, cette ristourne était portée à 4,75 % sur la totalité. Par conséquent, si Perrier s'adressait à un autre fournisseur pour le tonnage marginal, c'est-à-dire toute quantité qui dépassait 55000 tonnes, ce dernier devait la dédommager de la perte de la ristourne supplémentaire de 0,75 % sur la totalité des 55000 tonnes déjà achetées à Solvay.

    (77) L'accord Perrier est le seul exemple découvert d'une ristourne de fidélité dans laquelle le client perdait en fait un avantage lié au tonnage de base sauf s'il prenait également le tonnage marginal. Toutefois, les autres ristournes sur la tranche supérieure avaient un effet d'exclusion similaire, comme le démontre le cas de Durand.

    (78) Eu égard à la ristourne supplémentaire de Solvay de 175 FRF par tonne pour le tonnage excédent 58000 tonnes, tout autre fournisseur désireux de reprendre la dernière tranche de 10000 tonnes des besoins de Durand devait offrir une compensation égale ou supérieure aux incitations offertes par Solvay, c'est-à-dire la ristourne contractuelle de 5 % plus la ristourne supplémentaire de 175 FRF.

    (79)

    >TABLE>

    (80) Le prix rendu moyen par tonne de Solvay - si elle fournissait la totalité des 58000 tonnes - était beaucoup plus élevé: 1136 FRF. Le concurrent qui voulait fournir les 10000 tonnes marginales aurait néanmoins dû offrir un prix rendu égal ou inférieur à 991,75 FRF. Le deuxième fournisseur aurait dû compenser la perte subie par le client changeant de fournisseur en offrant une incitation de 2312000 FRF (10000 × 231,25 FRF). Dans l'hypothèse où son prix de liste départ usine aurait été le même que celui de Solvay (1125 FRF), il aurait dû prendre en charge la totalité des 2,5 millions de FRF pour des ventes ne représentant que 11250000 FRF au prix de liste, c'est-à-dire accorder une remise effective de plus de 20 %.

    4. SAINT-GOBAIN

    (81) Le groupe Saint-Gobain, qui possédait quelque trente verreries dans toute l'Europe (France, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique et Portugal), était le plus gros client de Solvay avec des achats de plus de 550000 tonnes de soude en 1988.

    (82) Saint-Gobain produisait du verre plat et du verre d'emballage. Solvay couvrait 68 % (1987: 67 %) de sa consommation totale de soude en Europe de l'Ouest, qui se chiffrait à 822000 tonnes (1988).

    (83) Solvay couvrait 100 % des besoins de Saint-Gobain sur tous les marchés nationaux importants en dehors de la France, où elle occupait la position de deuxième fournisseur, 75 % des besoins de Saint-Gobain dans cet État membre étant traditionnellement couverts par Rhône-Poulenc. Les prix et autres conditions étaient négociés à un niveau national entre la filiale locale de Saint-Gobain et la DN de Solvay dans le pays en question. Dans la plupart des cas, le contrat de fourniture était conclu pour une durée indéterminée (contrat dit "evergreen") et assorti d'un délai de préavis de deux ans. (En Italie toutefois, il n'y avait pas de contrat formel et, pour la France, Saint-Gobain a dénoncé le contrat avec préavis de vingt-quatre mois le 10 mars 1987: de nouvelles conditions étaient en cours de négociation au moment des vérifications effectuées par la Commission).

    (84) On notait des variations de prix substantielles d'un État membre à l'autre, mais Saint-Gobain (au mécontentement manifeste de Solvay) faisait usage de sa présence dans plusieurs pays pour exercer une pression à la baisse sur la différenciation des prix pratiqués par Solvay.

    (85) Un protocole secret a été passé en novembre 1982 (avec effet au 1er janvier 1983) afin de concrétiser les relations spéciales existant entre Solvay et le groupe Saint-Gobain, qui étaient fondées sur le statut du "partenaire le plus favorisé" accordé à titre réciproque.

    (86) La clause 2 du protocole était libellée comme suit:

    "Sur les marchés européens, à l'exception de la France, Saint-Gobain continuera à accorder à Solvay la priorité pour son approvisionnement en carbonate de soude pour des quantités s'élevant au moins à 400000 tonnes par an, sur la base de la production verrière de Saint-Gobain en 1981; en France, Saint-Gobain augmentera progressivement ses achats à Solvay pour les placer dans un cadre compris entre 50000 et 100000 tonnes par an."

    (87) Outre les dispositions en vertu desquelles Saint-Gobain devait recevoir les prix les plus bas offerts par Solvay dans chaque pays pour des usages verriers comparables, la clause 4 prévoyait une ristourne spéciale de groupe calculée sur le total des achats de Saint-Gobain à Solvay:

    "Dans le cadre du présent protocole, Solvay accorde en outre à Saint-Gobain une ristourne complémentaire de 1,5 % calculée sur l'ensemble des achats de carbonate de soude de Saint-Gobain à Solvay en Europe."

    (88) Le protocole contenait par ailleurs une "clause de concurrence" selon laquelle:

    "Les offres concurrentes reçues par Saint-Gobain à des prix inférieurs à ceux de Solvay et portant sur des livraisons durables, feront l'objet d'un examen en commun dans l'intérêt réciproque des deux parties. À défaut de trouver une solution acceptable pour celles-ci, le présent protocole deviendrait caduc. Ne seront pas prises en considération les offres à caractère spot ou basées sur des prix de dumping."

    (89) La "super ristourne groupe" accordée à Saint-Gobain s'élevait à environ 50 à 60 millions de francs belges (BEF) par an.

    (90) Les documents internes de Solvay laissent peu de doute quant au but de cet accord spécial avec Saint-Gobain:

    "- Il faut noter que la 'super ristourne groupe' de 1,5 % à SG, qui contribue à fidéliser ce groupe, ne peut être une arme 'absolue' (difficile d'en augmenter le taux en raison des règles de la Communauté économique européenne). Elle oblige surtout SG à se démasquer en cas d'achats importants à la concurrence."

    (91) DSW a informé franchement à deux occasions un représentant de Vegla, la filiale allemande de Saint-Gobain, que le protocole conclu entre Saint-Gobain et Solvay à Bruxelles était en tout état de cause un accord d'exclusivité, même si, pour des raisons évidentes, les parties ne pouvaient le préciser par écrit. L'objet de l'accord était, selon des déclarations, de maintenir le statu quo, ce qui était une nette allusion à la position de Solvay en tant que fournisseur exclusif. La seule divergence de vues entre DSW et le siège de Solvay quant à l'interprétation de l'accord était que Solvay à Bruxelles paraît avoir considéré que Saint-Gobain n'était pas empêché en principe de procéder à des achats spot.

    5. ACCORDS D'EXCLUSIVITÉ EN ALLEMAGNE

    (92) Outre le "protocole" secret passé avec le groupe Saint-Gobain, DSW avait également un accord de longue date, bien qu'officieux (appelé gentlemen's agreement) avec Vegla, la filiale allemande de Saint-Gobain, en vertu duquel ce client s'approvisionnait chez Solvay pour la totalité de ses besoins de soude. Toutefois, eu égard sans doute à la lettre des règles de concurrence de la Communauté, l'accord Vegla avait été intitulé officiellement un contrat de "tonnage". Vegla, comme la plupart des gros clients de Solvay en Allemagne, avait un accord à durée indéterminée datant de 1981, assorti d'un délai de préavis de vingt-quatre mois. Les quantités exactes faisaient l'objet d'une négociation annuelle.

    (93) Lorsqu'un représentant de Vegla a rappelé à DSW que la Commission avait invité Solvay en 1981 à modifier ses contrats de fourniture exclusive, la réaction de DSW a été la suivante:

    "Toutefois, nous - Vegla et DSW - nous étions toujours entendus sur le fait que l'accord portait sur les besoins totaux des usines (sans Bergisch-Gladbach)."

    (94) Les accords d'exclusivité paraissent remonter au moment où le protocole avait été signé avec Saint-Gobain et où Vegla (d'après un document de DSW) avait fait promesse de "fidélité". Il ressort des documents découverts chez DSW que les ristournes sur la tranche supérieure et autres avantages étaient subordonnés à la condition que Vegla se fournisse chez Solvay pour la totalité de ses besoins.

    (95) Il y a également de fortes indications selon lesquelles DSW avait avisé Vegla à un moment donné que si elle n'achetait pas à Solvay les quantités en couverture de sa consommation totale, les livraisons seraient interrompues: on peut lire dans une note de Solvay relative à une réunion tenue à Paris avec des cadres de haut rang de Saint-Gobain:

    "Il [...] signale que, d'après SG/D [Saint-Gobain Allemagne], les DSW auraient imposé une condition inacceptable: approvisionnement de SG/D à 100 % chez DSW sinon DSW ne fourniraient rien à SG/D!"

    (96) Dans la marge de la note, on peut lire le commentaire suivant: "so plump wurde das nicht gesagt" ("cela n'a pas été dit si brutalement"): ce commentaire implique toutefois qu'il s'agissait bien du sens de cette intervention, quels qu'aient été les termes utilisés.

    (97) Dans un autre cas au moins, un gros client allemand (Oberlandglas) a été informé par DSW en termes très nets que les "conditions spéciales" (ristourne de 20 % sur la tranche supérieure, chèque d'un million de DEM) dépendaient d'un approvisionnement à 100 % chez Solvay à compter de 1987. Oberlandglas a toujours couvert la totalité de ses besoins chez Solvay.

    6. ACCORDS D'EXCLUSIVITÉ EN FRANCE

    (98) Outre les ristournes de fidélité accordées à plusieurs gros clients français, le lien d'exclusivité avec Solvay a été renforcé par le mécanisme consistant à conclure des accords de fourniture à long terme qui, bien qu'intitulés contrats de "tonnage", stipulaient en fait une quantité qui correspondait étroitement aux besoins totaux du client. La Commission avait adressé à Solvay une mise en garde à l'encontre d'une telle pratique en décembre 1980.

    (99) Le contrat de fourniture à durée indéterminée avec BSN, qui date du 18 juin 1981, obligeait celle-ci à acheter à Solvay chaque année une quantité de 300000 tonnes ± 15 % pour ses usines de production de verre en France. Le total des besoins en soude de BSN de 1982 à 1984 était en réalité d'environ 300000 tonnes, tombant à partir de 1985 à 270-280000 tonnes environ par an. Le tonnage minimal que BSN était obligée d'acheter à Solvay aux termes de l'accord de 1981 était de 265000 tonnes, quantité qui n'était pas très éloignée de ses besoins totaux. Le contrat était à durée indéterminée et se poursuivait pour une période de deux ans après préavis introduit par l'une ou l'autre partie. Solvay a été virtuellement le fournisseur exclusif de soude de BSN à partir de 1982 et lui a fourni chaque année environ 98 % de ses besoins.

    (100) Les contrats de fourniture conclus avec un certain nombre d'autres gros verriers français - comme Perrier, verrerie d'Albi - obligeaient également le client à prendre un tonnage proche de ses besoins réels: Perrier: tonnage contractuel, 50000 tonnes ± 10 %. Besoins annuels depuis 1982, ± 55000 tonnes, la totalité étant fournie par Solvay. Verrerie d'Albi: tonnage contractuel, 25000 tonnes ± 5000 tonnes. Besoins annuels depuis 1982, 20000-25000 tonnes, la totalité étant fournie par Solvay. Ces deux contrats étaient eux aussi assortis d'un préavis de deux ans.

    7. CONTRATS VERRIERS BELGES

    (101) On trouve un autre exemple de contrats de "tonnage" pour des quantités proches des besoins totaux estimés du client dans les contrats conclus entre Solvay et les trois grands verriers belges qu'étaient Saint-Roch (groupe Saint-Gobain), Glaverbel et Verlipack. Comme Solvay l'a indiqué dans une note interne du 11 février 1986, le prix belge était effectivement déterminé par le prix appliqué à ces trois clients. Jusqu'en 1978, ces clients s'étaient toujours approvisionnés auprès de Solvay pour la quasi-totalité de leurs besoins. En janvier de cette année-là, le gouvernement belge est intervenu pour empêcher les trois producteurs de verre de conclure un contrat avec FMC en vue d'acheter des quantités substantielles de soude en provenance des États-Unis d'Amérique.

    (102) Le 7 février 1978, des accords ont été signés entre les verriers belges et Solvay en vertu desquels les premiers étaient tenus d'acheter à Solvay la totalité du tonnage nécessaire pour couvrir leurs besoins pour une période de cinq ans. Au cours des discussions avec Solvay en 1980 et 1981, la Commission a clairement indiqué que ces contrats devaient également être modifiés.

    (103) De nouveaux accords ont été conclus avec les trois verriers, avec effet au 1er janvier 1983, qui prévoyaient l'obligation pour le client d'acheter une quantité spécifiée, ± 15 %. Les tonnages stipulés étaient les suivants:

    >TABLE>

    (Après la faillite de Verlipack et sa restructuration en 1985, la consommation annuelle de cette entreprise a diminué de moitié et Verlipack s'est approvisionnée dans le cadre d'un contrat annuel). Les contrats étaient conclus pour une durée indéterminée sauf dénonciation avec préavis de vingt-quatre mois. Le client devait informer Solvay, avant le 1er novembre de chaque année, des quantités qu'il se proposait d'acheter au cours de l'année suivante. Il y avait également des dispositions spéciales concernant l'éventualité où le client n'achèterait plus ou moins que les tonnages contractuels.

    (104) Dans la pratique, les tonnages contractuels de base constituaient une estimation assez proche de la consommation annuelle totale des clients à l'époque. À partir de 1983, les trois clients ont en fait acheté à Solvay la quasi-totalité des tonnages nécessaires pour couvrir leurs besoins(8). Faisaient exception à cette règle les 7800 à 8000 tonnes importées par Saint-Roch au début de 1988 sous le régime du "perfectionnement actif". Ce volume a fait l'objet de négociations approfondies entre Solvay et Saint-Gobain et a été récupéré par Solvay pour 1989.

    (105) Il est manifeste que - quelles que soient les instructions officielles données aux DN par Solvay dans sa lettre du 19 février 1981 - il y avait, à tout le moins dans le cas de Saint-Roch, des discussions approfondies avec le client concernant le volume exact de ses besoins totaux, suivies de démarches réussies auprès du client afin qu'il s'engage expressément a) à limiter à 8000 tonnes le volume qui serait acheté en 1988 aux fournisseurs concurrents et b) à revenir complètement à Solvay pour 1989.

    8. AUTRES ACCORDS D'EXCLUSIVITÉ EN BELGIQUE

    (106) Un certain nombre de contrats avec des petits clients contenaient eux aussi des clauses destinées à lier le client à Solvay.

    (107) Durobur, de Soignies, a eu à partir de 1983 une série de contrats de livraison annuels ou bisannuels avec Solvay portant sur des achats de 5000 à 5500 tonnes par an.

    (108) Les contrats établis à chaque occasion contiennent une clause qui assurait effectivement que Durobur ne passerait pas à un autre fournisseur à la fin de la période contractuelle. Les accords prévoyaient que Solvay et Durobur se rencontreraient à la fin de la période pour négocier les conditions du prochain contrat, et stipulaient ensuite ce qui suit:

    "Avant que ces négociations aient eu lieu, Durobur ne prendra pas d'engagement d'achat concernant son approvisionnement en carbonate de sodium pour (l'année suivante)."

    (109) Des dispositions similaires figuraient dans le contrat passé par Solvay avec Pittsburg Corning (environ 4500 à 6000 tonnes par an).

    (110) On trouve en outre un cas au moins où les contrats prévoyaient une clause "besoins totaux" et un rabais spécial de fidélité. À partir de la mi-1985, les accords avec Owens-Corning (5000 tonnes par an) prévoyaient expressément une remise "exceptionnelle" basée sur un contrat besoins totaux:

    "Dans le cadre d'un marché couvrant l'ensemble de vos besoins, évalués à environ 2500 tonnes au cours du second semestre, nous vous accordons une remise exceptionnelle de 150 BEF par tonne sur les quantités fournies."

    9. CLAUSES DE CONCURRENCE

    (111) Un certain nombre d'accords de fourniture contenaient des clauses particulières de concurrence qui renforçaient le lien entre le client et Solvay et qui faisaient qu'il était difficile, voire impossible pour un concurrent de prendre des activité de Solvay.

    a) Clauses de concurrence

    (112) Un nombre considérable de contrats à durée indéterminée passés par Solvay avec de gros clients contenaient des variantes de la "clause de concurrence" ou "clause anglaise" [voir affaire 85/76, Hoffmann-La Roche contre Commission, points 102 à 108(9)]. Ces clauses prévoyaient un mécanisme par lequel les offres concurrentes reçues pendant la durée du contrat devaient être notifiées à Solvay afin que celle-ci puisse - si elle le souhaitait - adapter ses prix en conséquence. On trouve les clauses de concurrence sous plusieurs formes différentes.

    (113) En Allemagne, les accords de fourniture (dont la plupart étaient assortis d'un délai de préavis de vingt-quatre mois) stipulaient que le client prendrait un tonnage minimal chez Solvay, les quantités exactes devant être précisées au début de chaque année. Le client était donc contractuellement lié à Solvay pour un tonnage minimal fixé pour une longue période: ce tonnage pouvait en fait correspondre aux besoins totaux du client (par exemple, Vegla, Oberlandglas).

    (114) La majorité des contrats de fourniture contenaient une clause de concurrence libellée dans les termes suivants (ou des termes similaires):

    "Clause de concurrence

    Dans la mesure où X atteste, à l'intervention d'un expert-comptable assermenté, qu'au cours de la durée du présent contrat de la soude lui a été offerte par un autre fournisseur à des prix plus favorables et à des conditions par ailleurs comparables, X est libre, pour autant que ce produit provient d'un pays à économie libre et que DSW n'a pas fait offre à ces prix dans un délai de quatre semaines, d'acheter les quantités de soude à l'offrant en question. Dans ce cas, le contrat peut être dénoncé par DSW avec effet immédiat."

    (115) Si, en théorie, cette clause permettait au client d'obtenir une partie de ses besoins annuels d'une autre source (meilleur marché), elle donnait à Solvay le droit dans ce cas de mettre fin immédiatement à l'accord et de refuser toute nouvelle fourniture. Dans un très petit nombre de cas seulement (par exemple Granus), l'accord autorisait le client à porter les achats à un concurrent en déduction de ses engagements contractuels vis-à-vis de Solvay.

    (116) L'utilité de cette sorte de "clause de concurrence" était qu'elle informait Solvay du prix exact de tout matériau concurrent et lui permettait de décider pour elle-même si elle entendait ou non contrer l'offre. En revanche, il était hautement improbable que le client décide de risquer de mettre en péril sa sécurité d'approvisionnement en donnant à Solvay la possibilité de dénoncer l'accord à durée indéterminée et de refuser toute nouvelle fourniture s'il achetait une quantité limitée au concurrent.

    (117) Dans le cas de Vegla, la disposition type donnant à Solvay le droit de dénoncer l'ensemble de l'accord en cas d'achat à un concurrent a été supprimée de la "clause de concurrence". Dans la pratique toutefois il était entendu entre DSW et Vegla que le client couvrirait la totalité de ses besoins chez Solvay.

    (118) Ainsi, lorsque Vegla a informé Solvay en 1983 d'une offre concurrente et a demandé si elle pouvait acheter, Solvay a opposé un refus. L'objet réel de la "clause de concurrence" ressort du fait que DSW a noté, avec une certaine satisfaction, qu'elle avait été informée par ce gros client des détails de l'offre concurrente.

    (119) On trouve une forme draconienne de "clause de concurrence" dans le contrat passé avec Verrerie d'Albi. Telle qu'elle est libellée, la clause de concurrence du contrat Albi (article 4) permettait à Solvay de mettre fin au contrat lorsqu'elle etait informée d'une offre concurrente, même si le client ne s'engageait pas effectivement à acheter aux concurrents.

    (120) Le "protocole" Saint-Gobain prévoyait un examen en commun par Solvay et Saint-Gobain de toute offre concurrente en vue de trouver une solution acceptable pour les deux parties. Dans ce cas, il n'y avait même pas de concession limitée à "l'anonymat" qui était contenue dans les contrats allemands. La disposition permettait à Solvay d'être parfaitement informée des détails du comportement commercial de ses concurrents et concurrents potentiels et d'être ainsi en mesure, si elle l'estimait nécessaire, de négocier avec Saint-Gobain les adaptations des prix et des conditions permettant de maintenir la relation d'exclusivité réciproque. Comme Solvay elle-même l'a observé, le but principal de l'accord était d'obliger Saint-Gobain à se démasquer dans le cas de tout achat important à un concurrent.

    (121) Les exemples concrets de l'achat projeté par Vegla de 15 kilotonnes de soude américaine et par Saint-Roch, de 8 kilotonnes en 1988 montrent exactement que Solvay était en mesure soit d'empêcher les concurrents d'effectuer les livraisons, soit de limiter les quantités achetées.

    (122) Les modifications apportées le 30 décembre 1983 au contrat de fourniture BSN prévoyaient l'obligation pour les clients d'informer Solvay des offres concurrentes (sans devoir toutefois révéler l'identité du concurrent), afin que les parties puissent se concerter pour trouver une solution ["les parties se concerteraient alors dans les meilleurs délais (trois mois au maximum) pour trouver une solution"]. Comme la clause Saint-Gobain, ce mécanisme donnait à Solvay la possibilité d'adapter ses prix et ses conditions en parfaite connaissance de l'offre concurrente (exception faite de l'identité du fournisseur). Il était extrêmement probable dans la pratique que l'application de la clause permettrait à Solvay de maintenir son exclusivité effective à l'égard du client.

    b) Clauses de sauvegarde

    (123) Un certain nombre de contrats de fourniture qui envisageaient manifestement le maintien de relations à long terme entre Solvay et le client (par exemple Glaverbel, Perrier) prévoyaient une procédure de concertation en cas de changement de la situation économique, en particulier si des offres concurrentes étaient plus avantageuses que celles de Solvay. Si de telles dispositions ne sont pas nécessairement critiquables en soi, il est clair dans la présente affaire que Solvay était particulièrement soucieuse d'empêcher tout fournisseur concurrent d'avoir accès au marché. Si les clauses de sauvegarde permettaient au client d'utiliser les offres concurrentes pour réduire le prix de Solvay, il était peu probable qu'un concurrent parvienne effectivement à obtenir (ou s'il y parvenait, à conserver) une part de l'approvisionnement.

    PARTIE II

    APPRÉCIATION JURIDIQUE

    A. ARTICLE 82 DU TRAITÉ

    1. TERMES DE L'ARTICLE 82

    (124) Aux termes de l'article 82, est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci. L'octroi, par des entreprises dominantes, de ristournes spéciales ou d'autres avantages financiers à des clients en vue de s'assurer la totalité ou une partie substantielle de leur approvisionnement peut être interdit par l'article 82 comme une pratique d'exclusion.

    (125) Dans la présente affaire, les questions essentielles à trancher sont celles de savoir:

    - si Solvay occupait une position dominante au sens de l'article 82 CE,

    - si la conduite alléguée constituait une exploitation abusive d'une telle position dominante,

    - s'il y avait un effet appréciable sur le commerce entre États membres.

    2. POSITION DOMINANTE

    a) Définition

    (126) Le terme "position dominante" n'est pas défini à l'article 82. La Cour de justice a toutefois défini la position dominante au sens de cet article comme "une situation de puissance économique détenue par une entreprise, qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs. Pareille position, n'exclut pas l'existence d'une certaine concurrence, mais met la firme qui en bénéficie en mesure, sinon de décider, tout au moins d'influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte préjudice" (Arrêt de la Cour dans l'affaire 85/76, Hoffmann-La Roche/Commission, points 38 et 39).

    (127) La "position dominante" est donc le pouvoir de faire obstacle à une concurrence effective. Ce pouvoir peut également impliquer la capacité d'éliminer ou d'affaiblir fortement la concurrence ou d'empêcher des concurrents potentiels d'avoir accès au marché. Comme la Cour l'a déclaré, il n'est cependant pas nécessaire qu'une entreprise ait éliminé toute possibilité de concurrence pour être en situation de position dominante [voir également l'affaire 27/76, United Brands/Commission(10), point 113].

    (128) L'existence d'une position dominante peut résulter d'une combinaison de facteurs qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants.

    b) Marché en cause

    (129) En vue de déterminer si une entreprise détient une position dominante, il est nécessaire tout d'abord de déterminer la zone d'activité dans laquelle les conditions de concurrence et le pouvoir de marché de l'entreprise dite dominante doivent être appréciés. Cet examen permet à la Commission de déterminer les concurrents actuels et potentiels de l'entreprise en question et d'autres contraintes qui peuvent peser sur l'exercice de sa puissance supposée sur le marché. Elle doit tenir compte de la nature de la pratique abusive qui est alléguée et de la manière particulière dont il est fait obstacle à la concurrence dans le cas en question [arrêt de la Cour dans l'affaire 22/78, Hugin/Commission(11)].

    (130) Dans la présente affaire, les pratiques abusives particulières reprochées concernaient l'exclusion par Solvay de la concurrence réelle et potentielle des autres fournisseurs de soude.

    (131) Solvay produisait tant de la soude légère que de la soude dense. Les verriers consomment presque tous de la soude dense, alors que la soude légère est la forme préférée pour les applications chimiques et métallurgiques. Bien que la concurrence que Solvay visait à exclure émanât principalement de la soude dense, il serait artificiel d'établir une ligne de séparation stricte entre la soude légère et la soude dense.

    (132) En Allemagne, un certain nombre de clients verriers de Solvay achetaient tant de la soude dense que de la soude légère (Schott, Ruhrglas), tandis que d'autres achetaient exclusivement ou quasi exclusivement de la soude légère (Gerresheimer, Woellner). Le système des ristournes de fidélité était appliqué aux deux formes. Du point de vue géographique, il est vrai que le marché communautaire restait dans une large mesure divisé suivant les frontières nationales. Toutefois, s'il existait des écarts de prix entre les différents marchés nationaux, la Communauté pouvait être divisée, pour les besoins d'une analyse de la concurrence, en deux grandes zones ou "sphères d'influence", l'une dominée par Solvay, l'autre par ICI. Le marché traditionnel de Solvay couvrait l'ensemble de la Communauté à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande où, en raison de leurs dispositions anticoncurrentielles, la situation de la concurrence était tout à fait différente.

    (133) S'il n'y avait pas d'autre producteur qui, à l'instar de Solvay, aient vendu dans tous les pays de l'Europe de l'Ouest continentale, il n'en reste pas moins vrai que CFK, M & W et Akzo ont toutes accru leurs activités d'exportation depuis 1982 et il n'y avait pas de raison fondamentale qui les aurait empêchées d'offrir leur produit dans l'ensemble de la Communauté. De même, les producteurs américains de soude naturelle, que Solvay considérait comme étant probablement la principale menace sur le plan de la concurrence, visaient à commercialiser le produit dans l'ensemble de l'Europe de l'Ouest continentale.

    (134) Il est également significatif que Solvay elle-même approvisionnait un marché donné, si les circonstances l'exigeaient, à partir d'une usine d'un autre État membre. Une grande proportion du commerce intracommunautaire déclaré consistait donc en opérations de compensation de Solvay.

    (135) Sur le plan de la demande, les gros clients opéraient dans plusieurs États membres et - comme Solvay l'a elle-même observé - la distribution de leurs activités avait eu pour effet d'accroître la pression pour l'égalisation des prix.

    (136) Le produit et la zone géographique en cause à l'égard desquels la puissance économique de Solvay doit être appréciée sont donc le marché de la soude dans la Communauté (à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande).

    c) Puissance sur le marché

    (137) La propre documentation de Solvay reconnaît qu'elle occupait une position dominante en Europe de l'Ouest. La part de marché de quelque 70 % qu'elle y détenait pour toute la période considérée est en soi révélatrice d'un degré significatif de puissance sur le marché. La part de marché, bien qu'importante, n'est que l'un des indicateurs d'où l'existence d'une position dominante peut être déduite. Sa signification peut varier selon le cas en fonction des caractéristiques du marché en cause.

    (138) Pour apprécier la puissance sur le marché aux fins de la présente affaire, la Commission a examiné tous les facteurs économiques qui entraient en jeu, y compris les éléments suivants:

    i) la position de Solvay en tant que seul producteur de soude exerçant son activité dans l'ensemble de la Communauté (à l'exception du Royaume-Uni et de l'Irlande);

    ii) la capacité de production de Solvay, avec des usines en Belgique, en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne et au Portugal;

    iii) l'intégration en amont de Solvay, en tant que premier producteur de sel dans la Communauté, en ce qui concerne les matières premières;

    iv) l'absence de toute concurrence de ICI, le seul autre producteur de la Communauté qui détienne une position comparable à celle de Solvay sur le marché;

    v) la part de marché élevée de Solvay dans le Benelux, en France et en Allemagne et sa position de monopole ou de quasi-monopole en Italie, en Espagne et au Portugal;

    vi) l'excellente couverture du marché de Solvay en tant que fournisseur exclusif ou quasi exclusif de la quasi-totalité des principaux clients dans la Communauté;

    vii) l'improbabilité qu'un nouveau producteur de soude synthétique fasse son entrée sur le marché et crée des capacités de production dans la Communauté;

    viii) la protection contre les producteurs non communautaires constituée par les droits antidumping;

    ix) le rôle traditionnel de Solvay en tant qu'entreprise exerçant une influence prédominante sur les prix;

    x) la perception qu'avaient les autres producteurs communautaires de Solvay en tant que producteur dominant, et leur réticence à lui faire une concurrence agressive auprès de ses clients traditionnels.

    (139) Pour évaluer la puissance de Solvay sur le marché, la Commission a tenu compte du degré de substitution possible de la soude caustique à la soude. La soude caustique (hydroxyde de sodium) est couramment utilisée pour la production de papier et d'aluminium et peut aussi théoriquement remplacer la soude pour certaines applications industrielles en tant que source d'alcalis, en particulier dans la fabrication de détergents et dans les procédés métallurgiques. (L'inverse est également vrai: la soude peut en théorie également se substituer à la soude caustique dans certains procédés). Dans la pratique, toutefois, la disponibilité de soude caustique ne constituait pas une limitation substantielle de la puissance de Solvay sur le marché communautaire, qui est principalement fondée sur l'approvisionnement des verriers, qui n'étaient guère disposés à substituer la soude caustique à la soude.

    (140) La soude caustique est un coproduit du chlore, matière première de base pour la fabrication de PVC. Comme le stockage à long terme n'est pas possible, la production de chlore varie en fonction de la demande de PVC. La fourniture de soude caustique fluctue inévitablement en fonction de celle de chlore. La demande de soude caustique, en revanche, dépend largement des besoins de son principal client, l'industrie du papier. Le prix de la soude caustique - contrairement à celui de la soude - est par conséquent sujet à des fluctuations considérables.

    (141) Durant la période considérée, la soude caustique manquait dans la mesure où la croissance de la demande de soude caustique excédait celle du chlore. Le produit était donc peu abondant et devait le rester dans l'avenir proche. Il était aussi considérablement plus cher que l'équivalent en soude. Il n'y avait donc pas d'incitation pour les utilisateurs de soude à passer à la soude caustique. En outre, la conversion de la soude à la soude caustique nécessite des investissements en capital. Même si la soude caustique est abondante à un moment donné, la nature cyclique du marché et l'incertitude quant à l'évolution des prix exercent un effet dissuasif.

    (142) Dans le secteur du verre, le principal consommateur de soude, qui représentait environ les deux tiers des ventes de Solvay durant la période considérée, la substitution par la soude caustique est encore moins probable que dans les applications métallurgiques et les détergents. Théoriquement, jusqu'à 15 % des besoins d'alcalis des verriers peuvent être couverts par la soude caustique. Ici aussi, des investissements en capital sont nécessaires pour transformer les usines. Dans la pratique, en 1990 il n'y avait eu qu'un seul cas d'un verrier qui se soit converti à la soude caustique.

    (143) On notera également que les principaux fabricants de soude (Solvay, ICI, Akzo) représentaient ensemble environ un tiers de la production de soude caustique dans la Communauté.

    (144) Solvay a également fait valoir que la disponibilité de calcin (débris de verre recyclé) excluait qu'elle détienne une position dominante. Les besoins de soude d'un client pour la production de verre creux peuvent être réduits jusqu'à 15 % par l'utilisation de calcin, voire plus encore par l'application d'une technologie appropriée. Il est possible que l'utilisation de calcin réduise la dépendance des clients à l'égard des fournisseurs de soude en général. Elle ne réduit toutefois pas la capacité d'un producteur de soude puissant d'exclure les petits producteurs.

    (145) C'est pourquoi les possibilités de substitution ne constituaient pas une contrainte significative à l'égard du pouvoir de marché de Solvay vis-à-vis d'autres producteurs de soude.

    (146) La Commission a évalué le pouvoir de marché de Solvay par rapport à la totalité de la zone géographique où elle opérait, et qui englobait en l'espèce les États membres de la Communauté où elle avait des installations de production. Les documents internes de Solvay prouvent qu'elle avait tendance à considérer les neuf directions nationales comme formant un marché homogène. (Cette délimitation du marché incluait deux pays qui n'étaient pas membres de la Communauté, à savoir la Suisse et l'Autriche, et excluait le Royaume-Uni et l'Irlande, qui étaient des marchés traditionnels de ICI, ainsi que le Danemark et la Grèce, qui étaient des marchés "non producteurs".)

    (147) Toutefois, même si chacun des marchés nationaux particulièrement touchés par le comportement d'exclusion de Solvay était considéré comme un marché distinct, Solvay restait dominante sur chacun d'entre eux, et la plupart des considérations émises ci-dessus s'y appliquent également.

    (148) Sur la base des considérations exposées ci-dessus, la Commission conclut que, pendant toute la période considérée, Solvay a occupé une position dominante au sens de l'article 82.

    3. ABUS DE POSITION DOMINANTE

    a) Pratiques d'exclusion et ristournes de fidélité

    (149) Comme la Cour de justice l'a observé dans plusieurs affaires, le fait, pour une entreprise dominante, d'avoir un comportement qui sape les objectifs de l'article 3, point g), du traité CE [auparavant l'article 3, point f), du traité CEE] en portant atteinte à la structure de la concurrence peut constituer une infraction à l'article 82. Un comportement d'exclusion qui fait obstacle à la concurrence existante ou au développement d'une concurrence nouvelle a été condamné par la Cour. Les pratiques visant à empêcher l'accès de concurrents aux clients en liant ces derniers au fournisseur dominant ont été considérées, en particulier, comme abusives dans des arrêts qui font jurisprudence [affaire 40/73, Suiker Unie/Commission(12), affaire 85/76, Hoffmann-La Roche/Commission, affaire 322/81, Nederlandsche Banden Industrie Michelin/Commission(13)]. À cet égard, il convient de prendre également en considération la décision 89/22/CEE de la Commission, British Gypsum/BPB Industries(14).

    (150) La présente affaire concerne principalement la pratique consistant à lier les clients à Solvay au moyen d'un certain nombre de mécanismes qui visaient tous le même but d'exclusion.

    i) Ristournes sur tonnage marginal

    (151) L'appréciation sous la présente rubrique concerne:

    - le système du Spitzenrabatt de 20 % en Allemagne,

    - l'octroi de chèques de "fidélité" en Allemagne,

    - les ristournes sur tonnage marginal en France (BSN, Durand, Vergeze, Hoechst).

    (152) Contrairement à la remise de quantité, qui est liée uniquement au volume des achats au producteur concerné, une ristourne de fidélité implique l'octroi aux clients d'avantages financiers qui doivent les empêcher de s'approvisionner auprès de producteurs concurrents. Lorsqu'elle est pratiquée par une entreprise dominante, elle peut tomber sous le coup de l'article 82.

    (153) Il n'est pas nécessaire, pour que des ristournes de fidélité tombent sous le coup de l'article 82, qu'il y ait une obligation légale ou une clause expresse prévoyant que le client doit s'approvisionner exclusivement auprès de l'entreprise dominante. Ce qui importe c'est que les conditions de vente du fournisseur dominant fassent qu'il soit financièrement intéressant pour les clients de s'approvisionner exclusivement ou principalement chez lui. Les moyens exacts par lesquels ce but est atteint importent peu.

    (154) À partir de 1982, Solvay a adopté un système de ristournes progressives qui, d'après ses propres documents internes, visait expressément à assurer la fidélité du client et à exclure ou à limiter la concurrence:

    - en accordant aux clients des avantages financiers substantiels afin de les amener à se procurer chez Solvay la totalité ou la majeure partie du tonnage marginal, tonnage qu'ils auraient pu, en l'absence de ces avantages, acheter à un concurrent,

    - en rendant difficile ou impossible pour un fournisseur existant ou potentiel de devenir le deuxième fournisseur pour le tonnage marginal, étant donné que, pour répondre aux avantages pécuniaires substantiels offerts par Solvay et obtenir la commande pour la "dernière tranche" de l'approvisionnement, ils auraient dû vendre à des prix non rentables ou de "dumping",

    - en liant le client à Solvay pour une durée indéterminée, et ce faisant, en contribuant à la rigidité du marché,

    - en supprimant tout intérêt, pour le client, à s'adresser à un autre fournisseur pour une partie de ses besoins.

    (155) À titre d'exemple, tout fournisseur désireux d'obtenir une part de l'approvisionnement de Vegla en Allemagne aurait dû faire offre pour la "dernière tranche" de 40 kilotonnes à un prix par tonne départ usine effectif de 245 DEM par tonne, contre un "prix de liste" de 403 DEM par tonne et un prix "moyen" en Allemagne de 360 DEM par tonne.

    (156) Ce prix de 245 DEM était nettement inférieur à tout prix économique que les autres producteurs de la Communauté auraient pu offrir. Tout producteur de soude naturelle vendant à ce prix l'aurait fait en violation des engagements en matière de prix minimal antidumping.

    (157) La possibilité pour un deuxième fournisseur de supplanter Solvay pour une partie de l'approvisionnement d'un gros client était rendue encore plus difficile par l'obligation de secret entourant la ristourne en pourcentage et le paiement par chèque.

    (158) Les griefs formulés par la Commission à l'encontre du système des ristournes s'appliquent non seulement aux cas où Solvay avait l'exclusivité complète, mais aussi à ceux où il était le fournisseur principal, mais non exclusif. Les ristournes progressives contribuaient alors, en garantissant sa part dans l'approvisionnement du client, au maintien de la position dominante globale de Solvay. La rigidité du marché était préservée, étant donné qu'il était extrêmement difficile pour un deuxième fournisseur de s'introduire dans l'approvisionnement de base assuré par Solvay.

    (159) Solvay a prétendu dans ses observations écrites en réponse à la communication des griefs que les ristournes n'étaient pas une incitation à la fidélité, mais qu'elles représentaient simplement une forme de ristourne sur le volume, en fonction de l'achat par les clients d'un tonnage "seuil" objectif et prédéterminé. Un tel argument ignore totalement le caractère attribué à ces ristournes dans les propres documents de Solvay.

    (160) Il est également clair que les diverses ristournes et les avantages financiers qu'elles conféraient n'étaient pas liés à une quelconque économie de coûts associée aux quantités livrées. On relève des différences substantielles d'un pays à l'autre en ce qui concerne le montant des ristournes et, à l'intérieur de chaque État membre, le tonnage "seuil" à partir duquel la ristourne de la "tranche supérieure" s'appliquait, variait d'un client à l'autre en fonction de sa demande totale. Par exemple, en Allemagne, la ristourne de 20 % s'appliquait à partir du tonnage seuil de 3000 tonnes pour PLM et de 85000 tonnes pour Vegla.

    ii) Ristourne "groupe" accordée à Saint-Gobain

    (161) Le "protocole" secret conclu avec Saint-Gobain était destiné à confirmer Solvay dans la position de fournisseur exclusif ou quasi exclusif de Saint-Gobain en Europe de l'Ouest, sauf la France. Comme l'a déclaré DSW elle-même, il était destiné à maintenir le statu quo, mais les parties hésitaient à le préciser par écrit.

    (162) La disposition par laquelle Saint-Gobain bénéficiait des "meilleures conditions" accordées par Solvay dans chaque pays pour des usages comparables, n'est pas nécessairement anticoncurrentielle en soi. Toutefois, en plus de cet avantage, Saint-Gobain recevait une ristourne "groupe" de 1,5 % calculée sur l'ensemble de ses achats en Europe. Il était implicitement prévu dans l'accord que le paiement était subordonné à la condition que Saint-Gobain continue à accorder à Solvay la "priorité" pour son approvisionnement. Solvay reconnaît, dans ses documents, que cette ristourne, encore qu'elle ne soit pas une "arme absolue", contribuait à assurer la fidélité du groupe. La remarque "elle oblige surtout SG à se démasquer en cas d'achats importants à la concurrence", démontre également que Solvay devait avoir l'assurance qu'elle avait eu la "priorité".

    (163) Solvay a prétendu que les ristournes accordées à Saint-Gobain ne faisaient que refléter les économies de coût imputables à la position de Saint-Gobain en tant que plus gros client en Europe. Cet argument néglige le fait que, sur la demande insistante de Solvay, les différentes filiales de Saint-Gobain étaient fournies par les filiales nationales de Solvay dans chaque État membre et non sur une base globale.

    (164) Il est donc également manifeste, d'après ces documents, que le seul but de la ristourne accordée à Saint-Gobain était d'assurer la fidélité du groupe dans les États membres, la France mise à part, et donc d'exclure les concurrents.

    (165) L'appréciation au regard de l'article 82 de la "clause de concurrence" contenue dans le protocole Saint-Gobain figure aux considérants 177 à 180.

    iii) Accords d'exclusivité

    (166) Cette partie de l'appréciation s'applique en particulier à:

    - Vegla,

    - Oberland,

    - Owens Corning,

    - BSN,

    - Saint-Roch,

    - Verreries d'Albi,

    - Perrier,

    - Glaverbel,

    - Verlipack.

    (167) La Commission avait informé Solvay en 1981 qu'elle devait abandonner le système des contrats "tous besoins". Elle lui avait également précisé que tout nouveau contrat de "tonnage" ne devrait pas en fait spécifier une quantité correspondant aux besoins totaux du client.

    (168) Dans un certain nombre de cas toutefois, il apparaît que:

    - même si le contrat de fourniture était intitulé contrat de "tonnage", il était néanmoins clairement entendu que le client couvrait la totalité ou la quasi-totalité de ses besoins chez Solvay

    ou

    - le tonnage stipulé correspondait aux besoins totaux du client

    ou

    - le client était informé que le paiement de toute ristourne était subordonné à la condition qu'il s'approvisionne à 100 % chez Solvay.

    (169) Dans le cas de Vegla, abstraction faite des divers avantages financiers (Spitzenrabatt de 20 %, chèque de fidélité), il était clairement - encore que non officiellement - entendu que le client couvrirait la totalité de ses besoins chez Solvay. De même, Oberlandglas a été informée que les "conditions spéciales" ne lui seraient accordées que si elle s'approvisionnait chez DSW en couverture de ses besoins totaux. Dans le cas de Owens Corning en Belgique, l'accord subordonnait la ristourne de 150 BEF à la condition qu'elle couvre la totalité de ses besoins chez Solvay.

    (170) Dans certains cas (Vegla, Oberlandglas, Owens Corning), il était expressément entendu que le client s'approvisionnerait pour la totalité de ses besoins chez Solvay. Chacun de ces accords visait de toute évidence à lier le client à Solvay pour ses besoins totaux et constituait une pratique d'exclusion au sens de l'article 82.

    (171) Dans les autres cas, le tonnage contractuel prévu dans le principal contrat à durée indéterminée (qui était assorti d'un délai de préavis de deux ans) correspondait aux besoins totaux prévus du client, avec toutefois une certaine marge (généralement de plus ou moins 15 %). Le client indiquait à Solvay au début de chaque année la quantité exacte de ses besoins à l'intérieur de cette fourchette.

    (172) La Commission estime que l'effet d'exclusion de ces accords, fondés sur le maintien d'une relation commerciale à long terme, n'était pas atténué par cette marge de tolérance.

    (173) En premier lieu, même si le client envisageait de s'approvisionner auprès d'une deuxième source, il n'en restait pas moins lié à Solvay pour une très large proportion de ses besoins aussi longtemps que le contrat à durée indéterminée était en vigueur. Dans le cas des verriers belges, il y avait même une clause prévoyant que si les quantités prévues pour une année dépassaient la quantité maximale fixée dans le contrat de base du 1er janvier 1983 (c'est-à-dire x tonnes + 15 %), le tonnage contractuel de base serait révisé à la hausse. Le but de cette clause était d'assurer que Solvay resterait le fournisseur prépondérant.

    (174) En second lieu, il est clair que Solvay s'efforçait d'obtenir des informations complètes sur toutes les offres concurrentes et sur l'intention éventuelle du client de rechercher d'autres sources d'approvisionnement (par exemple les importations américaines de Saint-Gobain en 1988). Dans de nombreux cas, il s'est également avéré que Solvay était informée des besoins totaux des clients. Elle pouvait donc, en parfaite connaissance des éléments importants de l'offre (prix, quantité, etc.) ainsi que des intentions et des besoins totaux du client, faire en sorte que l'effet concurrentiel soit limité, voire éliminé.

    (175) Il est parfaitement possible que, dans certains cas, un client n'ait pas vu d'inconvénient - tout au moins momentanément - à s'approvisionner chez Solvay pour la totalité de ses besoins. La Commission reconnaît pleinement la liberté des clients de s'adresser à Solvay pour la totalité de leurs besoins s'ils le souhaitent. Ils ne doivent toutefois pas y être contraints.

    (176) Si un client conclut un contrat pour une quantité qui est en fait équivalente à ses besoins totaux ou proche de ceux-ci, ce contrat peut néanmoins constituer une pratique d'exclusion et tomber sous le coup de l'article 82, surtout s'il a été conclu pour une longue durée. Dans le cas des contrats à durée indéterminée, la période de préavis de vingt-quatre mois imposée par Solvay était excessive. Elle empêchait le client de réagir d'une manière informée ou concurrentielle à l'évolution des conditions du marché. Étant donné qu'il est impossible de prévoir avec certitude quelle sera la situation deux ans plus tard, le long délai de préavis avait un effet de dissuasion considérable, les clients hésitant à mettre fin au lien avec Solvay. Certains d'entre eux au moins ont considéré que cette longue période de préavis constituait une gêne.

    iv) Clauses de concurrence et autres clauses d'exclusion des accords

    (177) Les diverses formes de "clauses de concurrence" et d'autres mécanismes similaires exposés aux considérants 111 à 123 renforçaient tous le lien avec Solvay, limitaient la possibilité pour le client de changer de fournisseur et rendaient plus difficile l'accès des concurrents à l'approvisionnement des clients établis de Solvay. Le but de ces diverses dispositions était de donner à Solvay, en tant que fournisseur établi, un avantage automatique sur tout autre fournisseur désireux de faire offre pour la totalité ou même une partie, de l'approvisionnement du client en question.

    (178) Loin d'atténuer l'effet anticoncurrentiel des accords de fourniture à long terme avec Solvay (avec leurs ristournes de fidélité et leur exclusivité de facto), les clauses de concurrence renforçaient en fait le lien entre Solvay et le client et constituaient des clauses d'exclusion quant à leur objet et leur effet. Elles permettaient à Solvay d'être informée en détail de l'activité des concurrents, tout en excluant effectivement la possibilité pour ces derniers d'obtenir un approvisionnement. Les "clauses de concurrence" qui donnent au fournisseur dominant la possibilité de mettre fin à l'ensemble de l'accord si le client achète ne fût-ce qu'une petite part de son approvisionnement à un concurrent, ont déjà un effet de dissuasion sur la concurrence: il est vraiment peu probable que le client mette en péril sa sécurité d'approvisionnement dans de telles circonstances.

    (179) Toutes les mesures exposées aux considérants 149 à 178 visaient à supprimer ou à restreindre la possibilité, pour d'autres producteurs ou fournisseurs de soude, de concurrencer effectivement Solvay. Elles consolidaient également la position dominante de Solvay d'une manière incompatible avec la notion de concurrence définie à l'article 82.

    (180) Même si on les examine isolément, chacun des accords décrits ci-dessus tendait à lier le client à Solvay d'une manière propre à exclure les concurrents. L'effet combiné des divers mécanismes était de nature à protéger presque totalement la position dominante de Solvay contre la concurrence.

    b) Discrimination

    (181) Outre son objet et son effet d'exclusion, le système de ristournes appliqué par Solvay tombe également sous le coup de l'interdiction expresse édictée à l'article 82, point c), contre l'application de conditions inégales à des prestations équivalentes. Les ristournes et autres avantages financiers ne reflétaient pas les différences éventuelles de coûts basées sur les quantités fournies, mais étaient motivés par le souci de s'assurer la totalité ou la plus grande part possible des besoins du client.

    (182) À l'intérieur d'un même État membre, il y avait des différences considérables tant en ce qui concerne l'importance des ristournes et des autres avantages qu'en ce qui concerne le tonnage "seuil" à partir duquel ils étaient accordés. Le montant de la ristourne spéciale par "chèque" semble également avoir varié d'une manière totalement arbitraire.

    (183) Le résultat du système de ristournes en Allemagne était non seulement, en théorie, de désavantager les clients qui n'auraient pas couvert la totalité ou la majeure partie de leurs besoins chez Solvay (seul un petit nombre ne l'ont pas fait), mais aussi d'opérer une discrimination entre les clients qui l'ont fait. Il pouvait donc arriver qu'un gros client paie nettement plus par tonne qu'un petit client, même si tous deux couvraient la totalité de leurs besoins chez Solvay.

    (184) La ristourne spéciale "groupe" de 1,5 % accordée aux sociétés du groupe Saint-Gobain était également discriminatoire. Certes, il est exact que le groupe Saint-Gobain dans son ensemble était de loin le plus gros client, mais dans le cadre des accords avec Solvay, les achats du groupe étaient fragmentés sur une base nationale. La ristourne "groupe" ne reflétait en fait aucun avantage de coût lié aux quantités livrées, mais visait (comme Solvay le déclare elle-même dans ses propres documents) à assurer la fidélité du groupe. Le résultat a été que la filiale de Saint-Gobain d'un État membre pouvait recevoir de Solvay un prix nettement plus avantageux qu'un concurrent qui achetait effectivement une quantité similaire ou plus importante à l'usine locale de Solvay.

    (185) La discrimination des prix avait un effet important sur les coûts des entreprises affectées. Dans le secteur verrier (qui représente la majeure partie de la consommation de soude), la soude est, après le combustible, le poste le plus coûteux du processus de fabrication. Bien qu'elle ne représente que 13 % en poids du produit fini, elle atteint jusqu'à 70 % du coût du mélange de matières premières pour la fabrication du verre. Le prix de la soude affecte donc la rentabilité et la compétitivité des verriers.

    4. EFFET SUR LE COMMERCE ENTRE ÉTATS MEMBRES

    (186) L'article 82 vise non seulement les pratiques abusives qui peuvent porter préjudice aux consommateurs de façon directe, mais aussi celles qui leur font tort de façon indirecte en faisant échec à la structure concurrentielle effective du marché commun au sens de l'article 3, point g).

    (187) Les ristournes de fidélité et les autres incitations offertes par Solvay en vue de s'assurer l'exclusivité ont affecté le commerce entre États membres en renforçant les liens entre les clients et le fournisseur dominant. La possibilité pour les fournisseurs concurrents d'avoir accès à de nouveaux marchés ou de se faire de nouveaux clients était effectivement éliminée du fait que les besoins correspondant au tonnage marginal du client, pour lesquels ils auraient présenté des offres concurrentes, étaient alors couverts par Solvay à des prix qu'ils n'étaient pas en mesure de soutenir. Les divers mécanismes utilisés par Solvay pour lier les clients ont eu pour résultat de renforcer la rigidité structurelle et la division du marché de la soude selon des frontières nationales, nuisant ou menaçant ainsi de nuire à la réalisation de l'objectif d'un marché unique entre les États membres.

    (188) Le fait que les mesures prises par Solvay visaient principalement les importations en provenance des États-Unis d'Amérique n'affecte pas l'application de l'article 82. Les importations de soude naturelle en provenance des États-Unis d'Amérique étaient vues comme la principale menace contre la domination exercée par Solvay sur le marché de la soude en Europe de l'Ouest continentale. Ces activités affectaient donc la structure concurrentielle de base de l'industrie de la soude dans la Communauté.

    (189) Il y a également lieu de noter que, si les principaux producteurs de verre avaient importé des quantités substantielles de soude des États-Unis d'Amérique, il est probable qu'ils l'auraient fait en vue d'approvisionner leurs usines dans plusieurs État membres. En outre, les mesures d'exclusion prises par Solvay visaient non seulement les producteurs des États-Unis d'Amérique, mais aussi les petits producteurs de soude synthétique implantés dans la Communauté. Tous ces producteurs effectuaient depuis 1982 des livraisons à partir de leur propre marché national vers d'autres États membres de la Communauté, bien que leur possibilité de le faire ait été fortement réduite par la politique de prix menée par Solvay.

    B. ARTICLE 15, PARAGRAPHE 2, DU RÈGLEMENT N° 17

    (190) En vertu de l'article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17, la Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises des amendes d'un montant de 1000 à 1 million d'euros, pouvant être portées à 10 % du chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l'infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence, elles commettent une infraction aux dispositions de l'article 82. Pour déterminer le montant de l'amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l'infraction, la durée de celle-ci.

    a) Gravité

    (191) En l'espèce, la Commission considère que les infractions ont été d'une gravité extrême. Solvay était le premier producteur de soude de la Communauté, et les infractions lui ont permis de consolider sa maîtrise du marché en excluant une concurrence effective dans une grande partie du marché commun. En saisissant toutes les opportunités de vente des concurrents pour longtemps, Solvay a endommagé durablement la structure du marché concerné, au détriment des consommateurs. Cette infraction, étant donné les circonstances spécifiques de cette affaire, est plus grave que les infractions à l'article 81 dans lesquelles Solvay était également impliquée. Solvay savait bien, à la suite des négociations approfondies qu'elle avait menées avec la Commission (1980-1982), quels étaient les critères de l'article 82 concernant l'exclusivité. Elle n'ignorait pas davantage l'interdiction des ristournes de fidélité. Les documents saisis chez Solvay démontrent que les cadres de haut rang de l'entreprise qui connaissaient le risque encouru ont néanmoins persisté dans ce comportement abusif.

    (192) En déterminant le montant de l'amende, la Commission tiendra compte du fait qu'au cours des négociations avec Solvay entre 1980 et 1982 elle a accepté une période de préavis de deux ans dans le cas des contrats à durée indéterminée et n'a pas émis de griefs à l'encontre des clauses de concurrence sous la forme dans laquelle elles étaient établies. Il est également possible que Solvay ait été amenée à croire qu'elle pouvait conclure des contrats de quantité à long terme qui limitaient les achats d'autres sources à raison de 15 % des besoins du client.

    (193) Grâce aux vérifications qu'elle a effectuées dans la présente affaire, la Commission a constaté qu'en pratique ces dispositions tendaient à renforcer l'exclusivité de Solvay, en particulier lorsqu'elles étaient combinées à d'autres pratiques abusives comme les ristournes de fidélité secrètes et les "engagements" officieux du client de s'approvisionner chez Solvay pour la totalité de ses besoins. Aussi n'imposera-t-elle d'amende que pour les ristournes de fidélité et les accords d'exclusivité "officieux".

    (194) Solvay s'est déjà vu infliger à plusieurs reprises des amendes substantielles par la Commission pour fait de collusion dans l'industrie chimique (peroxydes, polypropylène, PVC).

    b) Durée

    (195) Les infractions ont commencé vers 1983, soit très peu de temps après les négociations avec la Commission et la clôture du dossier de la Commission, et se sont poursuivies au moins jusqu'à fin 1990.

    C. PROCÉDURES DEVANT LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE ET LA COUR DE JUSTICE

    (196) Le 19 décembre 1990, la Commission a arrêté dans la présente affaire, en application de l'article 86 du traité CEE, la décision 91/299/CEE constatant qu'une infraction avait été commise par Solvay et infligeant à celle-ci une amende de 20 millions d'écus. La décision a été notifiée à l'entreprise par lettre recommandée du 1er mars 1991. Solvay a formé un recours en annulation de cette décision devant le Tribunal de première instance le 2 mai 1991. Le 10 avril 1992, Solvay a déposé, un "complément à la réplique", dans lequel elle a soulevé un moyen nouveau visant à ce que la décision attaquée soit déclarée inexistante à la suite de l'arrêt rendu par le Tribunal de première instance le 27 février 1992 dans les affaires jointes T-79/89, T-84/89, T-85/89, T-86/89, T-89/89, T-91/89, T-92/89, T-94/89, T-96/89, T-98/89, T-102/89 et T-104/89 - BASF et autres/Commission(15). La Cour de justice a statué sur le pourvoi formé par la Commission contre cet arrêt le 15 juin 1994 dans l'affaire C-137/92 P - Commission/BASF et autres(16) et a annulé la décision au motif que la Commission ne s'était pas conformée à l'article 12 de son règlement intérieur dans sa version en vigueur à l'époque, qui exigeait que la décision soit authentifiée dans les langues faisant foi par les signatures du président et du secrétaire général.

    (197) Dans son arrêt du 29 juin 1995 dans l'affaire T-32/91 - Solvay/Commission(17) (Solvay II) concernant la décision 91/299/CEE arrêtée dans la présente affaire le 19 décembre 1990, le Tribunal de première instance a considéré que le moyen nouveau soulevé par Solvay était recevable et, ayant constaté que le texte de la décision attaquée n'avait pas été authentifié avant d'être notifié, il a annulé la décision pour violation d'une forme substantielle au sens de l'article 173 du traité CE (devenu, après modification, l'article 230).

    (198) La Commission a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Cour de justice. Celle-ci a rejeté le pourvoi de la Commission par son arrêt du 6 avril 2000 dans les affaires jointes C-287/95 P et C-288/95 P(18).

    (199) Le Tribunal de première instance a considéré dans son arrêt du 20 avril 1999 dans les affaires jointes T-305/94, T-306/94, T-307/94, T-313/94, T-314/94, T-315/94, T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94, T-329/94 et T-335/94 - LVM et autres/Commission (PVC II)(19) que la Commission a le droit d'arrêter de nouveau une décision qui a été annulée pour vices de pure procédure. Une nouvelle décision peut, en l'occurrence, être arrêtée sans que soit engagée une nouvelle procédure administrative. La Commission n'est pas tenue d'organiser une nouvelle audition si le texte de la nouvelle décision ne contient pas d'autres griefs que ceux formulés dans la première décision. En outre, il n'y a pas violation des droits de la défense des entreprises concernées si la nouvelle décision est arrêtée dans un délai raisonnable.

    (200) Le Tribunal de première instance a aussi confirmé l'interprétation donnée par la Commission du règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil du 26 novembre 1974 relatif à la prescription en matière de poursuites et d'exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne(20).

    (201) Conformément au règlement (CEE) n° 2988/74, le pouvoir de la Commission d'infliger des amendes pour violation de fond des règles de concurrence est soumis à un délai de prescription de cinq ans. Pour les infractions continues ou continuées, la prescription ne court qu'à compter du jour où l'infraction a pris fin (c'est-à-dire, en l'espèce, fin 1990).

    (202) En vertu de l'article 2 du règlement (CEE) n° 2988/74, tout acte de la Commission visant à l'instruction ou à la poursuite de l'infraction interrompt la prescription en matière de poursuites. Lorsque la prescription est ainsi interrompue, le délai court à nouveau à partir de chaque interruption, mais le pouvoir d'infliger une amende est définitivement prescrit le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que la Commission ait infligé d'amende, c'est-à-dire dix ans à compter de la date à laquelle l'infraction a pris fin.

    (203) L'article 2, paragraphe 1, du règlement (CEE) n° 2988/74 énumère certains actes de la Commission qui interrompent la prescription dont la communication des griefs retenus. La liste n'est pas exhaustive. Le Tribunal de première instance a laissé ouverte la question de savoir si l'adoption de la décision annulée constituait elle-même un acte interrompant la prescription. Même en supposant que: i) l'infraction a pris fin le 31 décembre 1990, et ii) l'adoption (et la notification) de la décision annulée n'ont pas interrompu le délai de prescription, la Commission aurait disposé d'un délai allant au moins jusqu'à fin 1995 pour arrêter sa décision.

    (204) Le délai de prescription doit être prorogé de la période pendant laquelle le recours contre la décision était pendant devant le Tribunal. En application de l'article 3 du règlement (CEE) n° 2988/74, la prescription en matière de poursuites est suspendue aussi longtemps que la décision de la Commission fait l'objet d'une procédure pendante devant la Cour de justice (qui, dans ce contexte, s'entend comme incluant le Tribunal de première instance).

    (205) Comme le Tribunal de première instance l'a indiqué au point 1098 de son arrêt PVC II, l'objet même de l'article 3 est de permettre la suspension lorsque la décision constatant l'infraction et infligeant une amende est annulée. Le délai de prescription était donc suspendu aussi longtemps que la décision 91/299/CEE faisait l'objet d'une procédure pendante devant le Tribunal de première instance et la Cour de justice.

    (206) En l'espèce, le recours de Solvay a été formé devant le Tribunal de première instance le 2 mai 1991 et celui-ci a rendu son arrêt le 29 juin 1995. Le pourvoi de la Commission devant la Cour de Justice a été formé par requête déposée le 30 août 1995 et l'arrêt a été rendu le 6 avril 2000. Même sans tenir compte du temps qui s'est écoulé entre l'arrêt du Tribunal de première instance et le moment où la Cour de justice a été saisie du pourvoi, la prescription a été suspendue pour une période minimale de huit ans, neuf mois et quatre jours.

    (207) Si cette période de suspension est ajoutée au délai arrivé à expiration le 31 décembre 1995, la Commission a jusqu'à septembre 2004 pour arrêter à nouveau la décision annulée,

    A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

    Article premier

    Solvay et Cie SA, devenue Solvay SA (Solvay) a enfreint les dispositions de l'article 86 du traité CEE (à présent l'article 82 du traité CE) à partir de 1983 et jusqu'à fin 1990 environ par un comportement visant à exclure ou à limiter très fortement la concurrence et consistant à:

    a) conclure des accords avec des clients qui les obligent à s'approvisionner chez Solvay pour la totalité ou une très large part de leurs besoins de soude pour une période indéfinie ou excessivement longue;

    b) accorder des ristournes substantielles et d'autres incitations financières par référence à un tonnage marginal excédant le tonnage contractuel de base du client de façon à assurer qu'il s'approvisionne chez Solvay pour la totalité ou la plus grande part de ses besoins;

    c) subordonner l'octroi des ristournes à l'accord du client de s'approvisionner chez Solvay pour la totalité de ses besoins.

    Article 2

    Une amende de 20 millions d'euros est infligée à Solvay pour l'infraction spécifiée à l'article 1er, points b) et c).

    L'amende est payable dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente décision, au compte bancaire suivant:

    compte n° 642-0029000-95

    Commission européenne

    Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (BBVA)

    code SWIFT: BBVABEBB

    code IBAN: BE76 6420 0290 0095

    Avenue des Arts 43

    B-1040 Bruxelles.

    À l'expiration de ce délai, des intérêts sont automatiquement dus au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement au premier jour ouvrable du mois au cours duquel la présente décision est arrêtée, avec une majoration de 3,50 points de pourcentage, soit 8,32 %.

    Article 3

    L'entreprise suivante est destinataire de la présente décision: Solvay SA, rue du Prince Albert 33, B-1050 Bruxelles.

    La présente décision forme titre exécutoire au sens de l'article 256 du traité.

    Fait à Bruxelles, le 13 décembre 2000.

    Par la Commission

    Mario Monti

    Membre de la Commission

    (1) JO 13 du 21.2.1962, p. 204/62.

    (2) JO L 148 du 15.6.1999, p. 5.

    (3) JO 127 du 20.8.1963, p. 2268/63.

    (4) JO L 206 du 2.8.1984, p. 15.

    (5) JO L 311 du 29.11.1984, p. 26.

    (6) JO L 283 du 16.10.1990, p. 38.

    (7) JO L 152 du 15.6.1991, p. 54.

    (8) Glaverbel (à la connaissance de Solvay) devait acheter quelque 10000 tonnes par an à l'Allemagne de l'Est pour compenser ses exportations de verre à destination de ce pays. Abstraction faite de cela, Glaverbel était approvisionnée uniquement par Solvay.

    (9) Recueil 1979, p. 461.

    (10) Recueil 1978, p. 207.

    (11) Recueil 1979, p. 1869.

    (12) Recueil 1975, p. 1663.

    (13) Recueil 1983, p. 3465.

    (14) JO L 10 du 13.1.1989, p. 50.

    (15) Recueil 1992, p. II-315.

    (16) Recueil 1994, p. I-2555.

    (17) Recueil 1995, p. II-1825.

    (18) Recueil 2000, p. I-2391.

    (19) Recueil 1999, p. II-931.

    (20) JO L 319 du 29.11.1974, p. 1.

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