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Document 62016CJ0184

Arrêt de la Cour (première chambre) du 14 septembre 2017.
Ovidiu-Mihăiță Petrea contre Ypourgou Esoterikon kai Dioikitikis Anasygrotisis.
Renvoi préjudiciel – Directive 2004/38/CE – Directive 2008/115/CE – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Séjour d’un ressortissant d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre malgré une interdiction d’accès au territoire de cet État – Légalité d’une décision de retrait d’une attestation d’enregistrement et d’une seconde décision d’éloignement du territoire – Possibilité de se prévaloir, par voie d’exception, de l’illégalité d’une décision antérieure – Obligation de traduction.
Affaire C-184/16.

Affaire C‑184/16

Ovidiu-Mihăiță Petrea

contre

Ypourgou Esoterikon kai Dioikitikis Anasygrotisis

(demande de décision préjudicielle,
introduite par le Dioikitiko Protodikeio Thessalonikis)

« Renvoi préjudiciel – Directive 2004/38/CE – Directive 2008/115/CE – Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres – Séjour d’un ressortissant d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre malgré une interdiction d’accès au territoire de cet État – Légalité d’une décision de retrait d’une attestation d’enregistrement et d’une seconde décision d’éloignement du territoire – Possibilité de se prévaloir, par voie d’exception, de l’illégalité d’une décision antérieure – Obligation de traduction »

Sommaire – Arrêt de la Cour (première chambre) du 14 septembre 2017

  1. Citoyenneté de l’Union–Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres–Directive 2004/38–Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique–Attestation d’enregistrement délivrée à un citoyen de l’Union, malgré une interdiction d’accès au territoire de l’État membre–Retrait de ladite attestation et adoption d’une seconde décision d’éloignement du territoire fondée sur le seul constat de l’existence d’une mesure d’interdiction toujours en vigueur–Admissibilité, également en vertu du principe de protection de la confiance légitime

    (Directive du Parlement européen et du Conseil 2004/38, 11e considérant et art. 8, § 2, et 32, § 1 et 2)

  2. Citoyenneté de l’Union–Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres–Directive 2004/38–Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique–Décision de retour d’un citoyen de l’Union–Adoption de ladite décision par les mêmes autorités et selon la même procédure qu’une décision de retour d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier au sens de la directive 2008/115–Admissibilité–Condition

    (Directives du Parlement européen et du Conseil 2004/38 et 2008/115, art. 6, § 1)

  3. Citoyenneté de l’Union–Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres–Directive 2004/38–Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique–Ressortissant d’un État membre faisant l’objet d’une décision de retour ne pouvant pas se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre cette décision, de l’illégalité de la décision d’interdiction du territoire précédemment prise à son encontre–Violation du principe d’effectivité–Absence–Condition

    (Directive du Parlement européen et du Conseil 2004/38)

  4. Citoyenneté de l’Union–Droit de libre circulation et de libre séjour sur le territoire des États membres–Directive 2004/38–Limitation du droit d’entrée et du droit de séjour pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique–Décision de restriction de la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union–Notification–Obligation de notifier la décision dans une langue comprise par l’intéressé en l’absence de demande de sa part–Absence

    (Directives du Parlement européen et du Conseil 2004/38, art. 27, § 1, et 30, et 2008/115, art. 12, § 2)

  1.  La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, ainsi que le principe de protection de la confiance légitime ne s’opposent pas à ce qu’un État membre, d’une part, retire une attestation d’enregistrement délivrée à tort à un citoyen de l’Union européenne qui était toujours sous le coup d’une interdiction du territoire et, d’autre part, prenne à son encontre une décision d’éloignement fondée sur le seul constat que la mesure d’interdiction du territoire était toujours en vigueur.

    S’agissant, tout d’abord, du retrait de l’attestation d’enregistrement, il a été jugé par la Cour que le droit des ressortissants d’un État membre d’entrer sur le territoire d’un autre État membre et d’y séjourner, aux fins voulues par le traité CE, constitue un droit directement conféré par celui-ci ou, selon le cas, par les dispositions prises pour la mise en œuvre dudit traité. Ainsi, la délivrance d’un titre de séjour à un ressortissant d’un État membre doit être considérée non comme un acte constitutif de droits, mais comme un acte destiné à constater, de la part d’un État membre, la situation individuelle d’un ressortissant d’un autre État membre au regard des dispositions du droit de l’Union (arrêt du 21 juillet 2011, Dias, C‑325/09, EU:C:2011:498, point 48 et jurisprudence citée).

    Par conséquent, de même que ce caractère déclaratif empêche de qualifier d’illégal, au sens du droit de l’Union, le séjour d’un citoyen en considération de la seule circonstance qu’il ne dispose pas d’une carte de séjour, il fait obstacle à ce que soit considéré comme légal, au sens du droit de l’Union, le séjour d’un citoyen de celle-ci en raison du seul fait qu’une telle carte lui a été valablement délivrée (arrêt du 21 juillet 2011, Dias, C‑325/09, EU:C:2011:498, point 54).

    Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 42 de ses conclusions, une telle solution s’applique a fortiori dans le cadre du traité FUE, ainsi que l’énonce d’ailleurs le considérant 11 de la directive 2004/38.

    Un tel caractère déclaratif s’attache dès lors, également, à l’attestation d’enregistrement prévue à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2004/38, de sorte que la délivrance de ce document ne saurait, en soi, fonder la confiance légitime de l’intéressé dans son droit à séjourner sur le territoire de l’État membre concerné.

    S’agissant des modalités d’adoption d’une décision imposant le retour dans des circonstances telles que celles au principal, il convient de rappeler que l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2004/38 prévoit, sous réserve des dispositions de son chapitre VI, la possibilité pour les États membres de restreindre la liberté de circulation et de séjour d’un citoyen de l’Union ou d’un membre de sa famille, quelle que soit sa nationalité, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique.

    Quant à l’article 28, paragraphe 1, de ladite directive, celui-ci impose aux autorités compétentes de tenir compte notamment de la durée du séjour de l’intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d’accueil et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine, avant de prendre une décision d’éloignement du territoire pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique.

    Ces dispositions, qui valent pour toutes les décisions d’éloignement, s’appliquent donc en particulier aux décisions d’interdiction du territoire dont l’article 32 de la directive 2004/38 fait explicitement état.

    Si la directive 2004/38 ne comporte pas de dispositions spécifiques pour le cas où une personne qui fait l’objet d’une telle interdiction revient dans l’État membre concerné en violation de celle-ci, il résulte de l’ensemble des dispositions de cette directive et plus particulièrement de celles consacrées à l’éventuelle levée d’une interdiction de ce type que les autorités compétentes disposent de pouvoirs propres à en assurer le respect.

    Il y a lieu de relever, à cet égard, que la directive 2004/38 prévoit les conditions dans lesquelles les autorités compétentes peuvent accorder une levée de cette interdiction en raison d’un changement de circonstances.

    L’article 32, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2004/38 précise en effet que les personnes faisant l’objet d’une décision d’interdiction du territoire peuvent en demander la levée après un délai raisonnable, en fonction des circonstances, et, en tout cas, après trois ans à compter de son exécution, en apportant des éléments tendant à établir un changement matériel des circonstances qui en avaient justifié l’adoption.

    L’article 32, paragraphe 2, de cette directive indique toutefois que ces personnes n’ont « aucun droit d’accès au territoire » de l’État membre concerné pendant l’examen de leur demande.

    Il résulte, par conséquent, explicitement du libellé de ces dispositions que la directive 2004/38 n’empêche nullement un État membre d’adopter une décision de retour à l’égard d’une personne qui a demandé la levée de l’interdiction du territoire dont elle fait l’objet, conformément à l’article 32, paragraphe 1, de cette directive, tant que l’examen de cette demande n’a pas abouti favorablement.

    Il en va nécessairement de même lorsque, comme dans l’affaire au principal, l’intéressé est revenu sur le territoire de l’État membre concerné sans avoir demandé la levée de l’interdiction de territoire qui le frappe.

    S’agissant de la question de savoir si les autorités compétentes doivent de nouveau vérifier si les conditions prévues aux articles 27 et 28 de la directive 2004/38 sont remplies, il découle de la nature même d’une mesure d’interdiction du territoire que celle-ci demeure en vigueur tant qu’elle n’a pas été levée et que le seul constat de sa violation permet à ces autorités de prendre à l’encontre de l’intéressé une nouvelle décision d’éloignement.

    (voir points 32-35, 39-49, disp. 1)

  2.  La directive 2004/38 et la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ne s’opposent pas à ce qu’une décision de retour d’un citoyen de l’Union européenne, telle que celle en cause au principal, soit adoptée par les mêmes autorités et selon la même procédure qu’une décision de retour d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier visée à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2008/115, dès lors que sont appliquées les mesures de transposition de la directive 2004/38 qui seraient plus favorables audit citoyen de l’Union.

    (voir point 56, disp. 2)

  3.  Le principe d’effectivité ne s’oppose pas à une pratique jurisprudentielle selon laquelle un ressortissant d’un État membre qui fait l’objet d’une décision de retour dans des circonstances telles que celles au principal ne peut pas se prévaloir, à l’appui d’un recours dirigé contre cette décision, de l’illégalité de la décision d’interdiction du territoire précédemment prise à son encontre, pour autant que l’intéressé a disposé de manière effective de la possibilité de contester en temps utile cette dernière décision au regard des dispositions de la directive 2004/38.

    À cet égard, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, en l’absence de réglementation du droit de l’Union, il appartient aux États membres de désigner les juridictions compétentes et de régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Toutefois, ces modalités ne doivent pas être de nature à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (arrêts du 29 avril 2004, Orfanopoulos et Oliveri, C‑482/01 et C‑493/01, EU:C:2004:262, point 80, ainsi que du 13 mars 2014, Global Trans Lodzhistik, C‑29/13 et C‑30/13, EU:C:2014:140, point 33).

    Le droit de l’Union ne s’oppose nullement à ce que la loi nationale ne permette pas de se prévaloir, à l’encontre d’un acte individuel, telle une décision de retour, de l’illégalité d’une décision d’interdiction du territoire devenue définitive, soit parce que le délai de recours à l’encontre de cette dernière a expiré, soit parce que le recours formé contre elle a été rejeté.

    En effet, ainsi que la Cour l’a jugé à plusieurs reprises, la fixation de délais raisonnables de recours dans l’intérêt de la sécurité juridique, qui protège à la fois le particulier et l’administration concernés, est compatible avec le droit de l’Union (arrêt du 17 novembre 2016, Stadt Wiener Neustad, C‑348/15, EU:C:2016:882, point 41 et jurisprudence citée).

    Toutefois, l’intéressé doit avoir disposé de manière effective de la possibilité de contester en temps utile la décision initiale d’interdiction du territoire et de se prévaloir des dispositions de la directive 2004/38.

    (voir points 58-61, 65, disp. 3)

  4.  L’article 30 de la directive 2004/38 impose aux États membres de prendre toute mesure utile pour que l’intéressé comprenne le contenu et les effets d’une décision adoptée en vertu de l’article 27, paragraphe 1, de cette directive mais n’exige pas que cette décision lui soit notifiée dans une langue qu’il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend, alors qu’il n’a pas introduit de demande en ce sens.

    Il importe, tout d’abord, de relever qu’une telle exigence ne découle pas du libellé de l’article 30, paragraphe 1, de ladite directive, qui prévoit, plus généralement, que toute décision prise en application de l’article 27, paragraphe 1, de cette même directive est notifiée par écrit à l’intéressé « dans des conditions lui permettant d’en saisir le contenu et les effets ».

    Ensuite, il résulte des travaux préparatoires de la directive 2004/38, en particulier de la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres [COM(2001) 257 final], que l’article 30, paragraphe 1, de la directive 2004/38 n’implique pas que la décision d’éloignement soit traduite dans la langue de l’intéressé mais impose en revanche aux États membres de prendre toute mesure utile pour que celui-ci comprenne le contenu et les effets de cette décision, conformément à ce que la Cour avait jugé dans l’arrêt du 18 mai 1982, Adoui et Cornuaille (115/81 et 116/81, EU:C:1982:183, point 13).

    Il importe, enfin, de constater que, s’agissant des décisions de retour adoptées à l’encontre des ressortissants de pays tiers, l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2008/115 prévoit que les États membres fournissent, sur demande, une traduction écrite ou orale des principaux éléments des décisions liées au retour, y compris des informations concernant les voies de recours disponibles, dans une langue que le ressortissant d’un pays tiers comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend.

    (voir points 69-72, disp. 4)

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