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Document 62008CJ0543

    Sommaire de l'arrêt

    Mots clés
    Sommaire

    Mots clés

    1. Recours en manquement — Objet du litige — Détermination au cours de la procédure précontentieuse

    (Art. 258 TFUE)

    2. Libre circulation des capitaux — Restrictions — Droit des sociétés

    (Art. 56, § 1, CE, 58 CE et 86, § 2, CE)

    Sommaire

    1. Une partie ne peut, en cours d’instance, modifier l’objet même du litige et le bien-fondé du recours doit être examiné uniquement au regard des conclusions contenues dans la requête introductive d’instance. Par ailleurs, en vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice et de l’article 38, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de cette dernière, la Commission est tenue, dans toute requête déposée au titre de l’article 258 TFUE, d’indiquer les griefs précis sur lesquels la Cour est appelée à se prononcer ainsi que, de manière à tout le moins sommaire, les éléments de droit et de fait sur lesquels ces griefs sont fondés. Toutefois, le fait que, dans le cadre d'un recours en manquement, la Commission a, dans son mémoire en réplique, détaillé un grief qu’elle avait déjà fait valoir de manière plus générale dans la requête, en faisant référence, à titre d’argument supplémentaire tendant à illustrer le bien-fondé de son grief, à un autre droit dont bénéficie un État dans une société privatisée, ne modifie pas l’objet du manquement allégué et n’a donc aucune incidence sur la portée du litige.

    (cf. points 20-21, 23)

    2. Manque aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 56 CE un État membre qui maintient dans une société anonyme des droits spéciaux prévus en faveur de cet État et d’autres entités publiques, attribués en liaison avec des actions privilégiées («golden shares») détenues par cet État dans le capital social de cette société, et tenant à l’exemption du plafond de vote de 5 % prévu en ce qui concerne l’émission des votes par les autres actionnaires, au droit de désigner un administrateur de la société, dans le cas où l’État aurait voté contre la proposition victorieuse lors de l’élection des administrateurs de cette société, et au droit de veto à l’égard des délibérations de l’assemblée générale des actionnaires relatives:

    - à la modification des statuts, y compris l'augmentation de capital, la fusion, la scission et la dissolution,

    - à la conclusion de contrats de groupe paritaire et de subordination,

    - à la suppression ou à la limitation du droit de préférence des actionnaires dans les augmentations de capital.

    En effet, le droit de veto, dans la mesure où il confère à cet État une influence sur la gestion et le contrôle de la société qui n’est pas justifiée par l’ampleur de la participation qu’il détient dans cette société, est susceptible de décourager les opérateurs d’autres États membres d’effectuer des investissements directs dans cette dernière dans la mesure où ils ne pourraient pas concourir à la gestion et au contrôle de cette société à proportion de la valeur de leurs participations. De même, le droit de veto en cause peut avoir un effet dissuasif sur les investissements de portefeuille dans la société dans la mesure où un éventuel refus de l’État concerné d’approuver une décision importante, présentée par les organes de cette société comme répondant à l’intérêt de celle-ci, est, en effet, susceptible de peser sur la valeur des actions de ladite société et, partant, sur l’attrait d’un investissement dans de telles actions.

    À l’égard de la limitation à un plafond de 5 % de l’exercice par tout actionnaire des droits de vote inhérents aux actions ordinaires qu’il détient, à l’exception de l’État concerné qui n’est pas soumis à cette limitation, les droits de vote afférents aux actions constituent l’un des principaux moyens pour l’actionnaire de participer activement à la gestion d’une entreprise ou à son contrôle. En conséquence, toute mesure visant à empêcher l’exercice de ces droits ou à les subordonner à des conditions peut dissuader les investisseurs d’autres États membres d’acquérir des participations dans les entreprises concernées et constitue une restriction à la libre circulation des capitaux. Par ailleurs, les plafonds de vote sont un instrument susceptible de limiter la possibilité des investisseurs directs de participer à la société en vue de créer ou de maintenir des liens économiques durables et directs avec celle-ci permettant une participation effective à sa gestion ou à son contrôle, qui réduisent l’intérêt de l’acquisition d’une participation dans le capital d’une société.

    En ce qui concerne le droit de désigner un administrateur, ce droit constitue une restriction à la libre circulation des capitaux dans la mesure où un tel droit spécifique constitue une dérogation au droit commun des sociétés prévu au seul bénéfice des acteurs publics par une mesure législative nationale. S’il est vrai que cette possibilité peut être attribuée par la loi en tant que droit d’une minorité qualifiée, elle doit être, dans ce cas, accessible à tous les actionnaires et ne doit pas être réservée exclusivement à l’État. En effet, en limitant la possibilité des actionnaires autres que l’État de participer à la société en vue de créer ou de maintenir des liens économiques durables et directs avec celle-ci permettant une participation effective à sa gestion ou à son contrôle, le droit de nommer un administrateur est susceptible de dissuader les investisseurs directs d’autres États membres d’investir dans le capital de cette société.

    S’agissant des dérogations permises par l’article 58 CE, certes, la nécessité de garantir la sécurité de l'approvisionnement énergétique de l'État membre concerné en cas de crise, de guerre ou de terrorisme peut constituer une raison de sécurité publique au sens de l'article 58 CE. Toutefois, les exigences de sécurité publique doivent, notamment en tant que dérogation au principe fondamental de la libre circulation des capitaux, être entendues strictement, de sorte que leur portée ne saurait être déterminée unilatéralement par chacun des États membres sans contrôle des institutions de l’Union. Ainsi, la sécurité publique ne saurait être invoquée qu’en cas de menace réelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Dès lors qu'un État se borne à invoquer le motif relatif à la sécurité de l’approvisionnement énergétique, sans préciser les raisons exactes pour lesquelles il estime que chacun des droits spéciaux contestés ou l’ensemble de ceux-ci permettrait d’éviter une telle atteinte à un intérêt fondamental de la société, une justification au titre de la sécurité publique ne saurait être retenue.

    Par ailleurs, s'agissant de la proportionnalité de la restriction en question, l'incertitude, créée par le fait que l’exercice des droits spéciaux que la détention d’actions privilégiées dans le capital social de la société confère à l’État n’est soumis à aucune condition ou circonstance spécifique et objective, constitue une atteinte grave à la liberté de circulation des capitaux en ce qu’elle confère aux autorités nationales, en ce qui concerne le recours à de tels droits, une marge d’appréciation tellement discrétionnaire que celle-ci ne saurait être considérée comme proportionnée aux objectifs poursuivis.

    Enfin, l’article 86, paragraphe 2, CE ne trouve pas à s’appliquer aux dispositions nationales précitées et ne saurait, dès lors, être invoqué à titre de justification de ces dispositions en tant que celles-ci constituent des restrictions à la libre circulation des capitaux consacrée par le traité. En effet, l’article 86, paragraphe 2, CE, lu en combinaison avec le paragraphe 1 du même article, permet de justifier l’octroi, par un État membre, à une entreprise chargée de la gestion de services d’intérêt économique général de droits spéciaux ou exclusifs contraires aux dispositions du traité, dans la mesure où l’accomplissement de la mission particulière qui lui a été impartie ne peut être assuré que par l’octroi de tels droits et pour autant que le développement des échanges n’est pas affecté dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union. Tel n'est toutefois pas l'objet d'une réglementation nationale qui attribue à un État membre des droits spéciaux dans une société anonyme, en liaison avec des actions privilégiées détenues par cet État dans le capital social de cette société.

    (cf. points 56-58, 62-64, 84-85, 87, 90, 92-97 et disp.)

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