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Document 62021TJ0689

Arrêt du Tribunal (cinquième chambre) du 17 juillet 2024.
Margrete Auken e.a. contre Commission européenne.
Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Contrats d’achat anticipé et contrats d’achat conclus entre la Commission et des sociétés pharmaceutiques pour l’achat de vaccins contre la COVID-19 – Refus partiel d’accès – Exception relative à la protection des intérêts commerciaux d’un tiers – Obligation de motivation – Existence d’un risque prévisible et non purement hypothétique d’atteinte à l’intérêt invoqué – Principe de bonne administration – Liberté d’expression.
Affaire T-689/21.

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2024:476

Affaire T‑689/21

Margrete Auken
et
Tilly Metz
et
Jutta Paulus
et
Emilie Mosnier, en qualité d’héritière de Michèle Rivasi
et
Kimberly van Sparrentak

contre

Commission européenne

Arrêt du Tribunal (cinquième chambre) du 17 juillet 2024

« Accès aux documents – Règlement (CE) no 1049/2001 – Contrats d’achat anticipé et contrats d’achat conclus entre la Commission et des sociétés pharmaceutiques pour l’achat de vaccins contre la COVID-19 – Refus partiel d’accès – Exception relative à la protection des intérêts commerciaux d’un tiers – Obligation de motivation – Existence d’un risque prévisible et non purement hypothétique d’atteinte à l’intérêt invoqué – Principe de bonne administration – Liberté d’expression »

  1. Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection des intérêts commerciaux – Refus d’accès – Obligation de motivation – Portée

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 2, 1er tiret)

    (voir points 30, 31, 34-36, 42, 45, 68, 77-79, 81-83, 86, 87, 106, 107, 109, 111, 118, 119, 142, 143, 147-149, 160, 161, 165, 166, 168, 169, 176, 177, 183, 186, 200, 202, 210, 217)

  2. Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection des intérêts commerciaux – Champ d’application – Informations sur la localisation des sites de production des vaccins contre la COVID-19 – Inclusion – Publication d’une carte interactive illustrant des capacités de production de vaccins dans l’Union – Absence d’incidence

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 2, 1er tiret)

    (voir points 33, 59-61, 63-65, 67)

  3. Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection des intérêts commerciaux – Portée – Refus de divulgation de certaines définitions, des stipulations relatives à l’indemnisation et aux donations et aux reventes dans les contrats d’achat de vaccins contre la COVID-19 – Inadmissibilité

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 2, 1er tiret)

    (voir points 46, 156-170, 187)

  4. Recours en annulation – Contrôle de légalité – Critères – Prise en compte des seuls éléments de fait et d’information disponible à la date d’adoption de l’acte litigieux

    (Art. 263 TFUE)

    (voir points 56, 117)

  5. Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection des intérêts commerciaux – Portée – Fonds publics – Stipulations relatives aux acomptes et aux paiement anticipés – Inclusion – Divulgation non autorisée des informations relatives aux prix des vaccins – Absence d’incidence

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 2, 1er tiret)

    (voir points 112-115, 118)

  6. Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection des intérêts commerciaux – Portée – Intérêt à éviter des actions en réparation – Exclusion

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 2, 1er tiret)

    (voir point 159)

  7. Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection des intérêts commerciaux – Portée – Atteinte possible à la réputation d’une entreprise – Inclusion

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 2, 1er tiret)

    (voir point 167)

  8. Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection des intérêts commerciaux – Intérêt public supérieur justifiant la divulgation de documents – Invocation du principe de transparence – Nécessité de faire valoir des considérations particulières en rapport avec l’espèce

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 2)

    (voir points 212-214, 220-223, 229, 230)

  9. Institutions de l’Union européenne – Droit d’accès du public aux documents – Règlement no 1049/2001 – Exceptions au droit d’accès aux documents – Protection des intérêts commerciaux – Champ d’application – Contrats d’achat de vaccins contre la COVID-19 – Intérêt public supérieur justifiant la divulgation de documents – Absence – Application de l’exception limitée dans le temps

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 1049/2001, art. 4, § 2, et § 7)

    (voir point 231)

Résumé

Dans cet arrêt, le Tribunal accueille partiellement le recours en annulation introduit par plusieurs membres du Parlement européen contre la décision de la Commission européenne n’accordant qu’un accès partiel aux contrats d’achat anticipé et aux contrats d’achat de vaccins contre la COVID-19 ( 1 ).

Au début de l’année 2021, six membres du Parlement avaient demandé l’accès ( 2 ) aux différents contrats conclus entre la Commission et les sociétés pharmaceutiques en vue de l’achat de vaccins contre la COVID-19, y compris ceux qui auraient pu être conclus après la date de la demande d’accès (ci-après la « demande initiale »). La Commission avait accordé un accès partiel à neuf documents en indiquant que les versions expurgées desdits documents avaient été rendues publiques sur le site Internet de la Commission et que les passages avaient été occultés sur le fondement des exceptions relatives à la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu, à la protection des intérêts commerciaux et à la protection du processus décisionnel des institutions ( 3 ).

Par la suite, lesdits membres ont présenté une demande confirmative tendant à la divulgation intégrale des neuf documents identifiés, à l’exclusion des passages relevant de la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu (ci-après la « demande confirmative »).

Dans la décision attaquée, la Commission a indiqué que, à la suite d’un nouvel examen de la réponse apportée à la demande initiale, treize documents avaient été identifiés comme relevant de la demande d’accès aux documents (ci-après, ensemble, « les contrats en cause »). Elle a accordé un accès plus large aux neuf documents initialement identifiés et un accès partiel aux quatre autres documents qui n’avaient jusqu’alors pas été divulgués publiquement. Elle a invoqué l’exception relative à la protection de la vie privée et de l’intégrité de l’individu et celle relative à la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées pour justifier l’accès uniquement partiel aux contrats en cause.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal accueille partiellement le moyen tiré de l’application erronée par la Commission de l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées en ce qu’il vise l’occultation des définitions des expressions « faute intentionnelle » et « tous les efforts raisonnables possibles » dans trois des contrats en cause. À cet égard, il relève que la seule lecture des contrats en cause démontre que, si certaines définitions sont identiques, d’autres ont fait l’objet de négociations individuelles et spécifiques. Partant, leur rédaction spécifique ne saurait être considérée, dans tous les cas, comme étant générale et usuelle.

Le Tribunal constate, ensuite, que la décision attaquée ne laisse pas apparaître de manière expresse, ne serait-ce que de manière succincte, les motifs pour lesquels les définitions des expressions mentionnées ont été occultées. Même si la Commission a fourni des explications dans ses écritures et lors de l’audience, celles-ci n’ont pas été invoquées dans la décision attaquée et ne peuvent pas en être déduites. Or, le juge de l’Union n’est pas tenu de prendre en compte les explications complémentaires fournies seulement en cours d’instance par l’auteur de l’acte en cause pour apprécier le respect de l’obligation de motivation.

Ainsi, le Tribunal conclut que les motifs de la décision attaquée ne permettent pas aux requérantes de comprendre les raisons spécifiques qui ont conduit à ces occultations, ni au juge de l’Union d’exercer son contrôle sur leur légalité. En n’ayant pas fourni d’explications suffisantes permettant de savoir de quelle manière l’accès auxdites définitions pourrait porter concrètement et effectivement atteinte aux intérêts commerciaux des entreprises en question, la Commission a méconnu l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001.

En deuxième lieu, le Tribunal accueille partiellement le moyen critiquant la manière dont la Commission a appliqué l’exception relative à la protection des intérêts commerciaux pour expurger les contrats en cause de certaines informations.

Il rejette comme étant inopérante l’argumentation des requérantes selon laquelle la divulgation des informations relatives à la localisation des sites de production et des sous-traitants des entreprises concernées ne serait pas susceptible de porter atteinte à leurs intérêts commerciaux actuels. À cet égard, il rappelle que l’appréciation du bien-fondé de l’application de l’une des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001 doit se faire au regard des informations disponibles et des faits existant à la date de l’adoption de la décision refusant l’accès. Par ailleurs, il constate que la Commission a considéré à juste titre que les informations occultées relevaient des relations commerciales et de la stratégie industrielle et commerciale des entreprises concernées.

En ce qui concerne les stipulations en matière de droit de propriété intellectuelle ainsi que celles relatives aux acomptes ou aux paiements anticipés et à la responsabilité contractuelle, et les calendriers de livraison, le Tribunal conclut que les explications fournies par la Commission dans la décision attaquée sur l’existence d’un risque raisonnablement prévisible et non purement hypothétique d’atteinte à la protection des intérêts commerciaux des entreprises concernées quant à leur divulgation intégrale sont fondées.

En revanche, le Tribunal n’entérine pas la position de la Commission quant au refus d’accorder un accès plus large aux stipulations relatives à l’indemnisation. Dans ce cadre, il fait remarquer, d’une part, que le mécanisme d’indemnisation des entreprises concernées par les États membres prévu par les contrats en cause n’affecte en rien le régime de la responsabilité juridique desdites entreprises au titre de la directive 85/374 ( 4 ). En effet, selon cette directive, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit et sa responsabilité ne peut être limitée ou écartée à l’égard de la victime par une clause limitative ou exonératoire de responsabilité. D’autre part, il observe que l’information relative au mécanisme d’indemnisation relevait déjà du domaine public au moment du dépôt de la demande initiale et de l’adoption de la décision attaquée ( 5 ).

Le Tribunal constate que, si les contrats en cause contiennent tous une stipulation relative à l’indemnisation, le contenu détaillé desdites stipulations n’est pas identique.

Néanmoins, le Tribunal constate que les trois motifs invoqués par la Commission pour refuser un accès plus large auxdites stipulations ne démontrent pas l’existence d’un risque prévisible et non purement hypothétique pour les intérêts commerciaux des entreprises concernées.

Premièrement, s’agissant du motif selon lequel une connaissance précise des limites de la responsabilité de l’entreprise concernée pourrait l’exposer à de multiples actions en réparation, le Tribunal relève que le droit des personnes tierces éventuellement lésées par un vaccin défectueux d’introduire des recours en responsabilité repose sur la législation nationale transposant la directive 85/374. Il est donc indépendant de l’existence et du contenu des stipulations relatives à l’indemnisation. En outre, l’intérêt des entreprises concernées d’éviter de telles actions en réparation et des coûts liés à ces procédures ne saurait être qualifié d’intérêt commercial et ne constitue pas un intérêt digne de protection au titre du règlement no 1049/2001. De plus, la décision attaquée ne comporte aucun élément permettant de conclure que la divulgation plus large desdites stipulations pourrait être à l’origine de tels recours.

Deuxièmement, s’agissant du motif selon lequel une divulgation intégrale révélerait inévitablement aux concurrents de l’entreprise concernée les « points faibles » de la couverture de sa responsabilité, en leur procurant un avantage concurrentiel qu’ils pourraient exploiter, par exemple, dans des publicités, le Tribunal rappelle que la raison pour laquelle ces stipulations ont été intégrées aux contrats en cause, à savoir compenser les risques liés au raccourcissement du délai de mise au point des vaccins, relevait du domaine public avant l’adoption de la décision attaquée. Par ailleurs, toutes les entreprises concernées bénéficiaient d’une stipulation relative à l’indemnisation.

Troisièmement, le Tribunal écarte, pour les mêmes raisons, le motif selon lequel une divulgation intégrale aurait des répercussions sur les réputations des entreprises concernées.

De même, le Tribunal accueille l’argumentation des requérantes quant à l’occultation des stipulations relatives aux donations et aux reventes. Il observe que la décision attaquée ne laisse pas apparaître de manière expresse, ne serait-ce que de manière succincte, les motifs de ces occultations. En n’ayant pas fourni d’explications suffisantes permettant de savoir de quelle manière l’accès à ces stipulations pourrait porter concrètement et effectivement atteinte aux intérêts commerciaux des entreprises, la Commission a méconnu l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, du règlement no 1049/2001.

En troisième lieu, le Tribunal rejette le moyen des requérantes par lequel elles reprochent à la Commission d’avoir occulté de manière incohérente certaines dispositions et informations de même nature, voire identiques, dans certains des contrats en cause. Il rappelle que dans le cas de documents émanant d’un tiers, si la consultation de ce dernier est, certes, obligatoire, il incombe à la Commission d’apprécier les risques pouvant résulter de leur divulgation. En l’espèce, chaque contrat constituait un document autonome et les requérantes n’avaient fourni aucun indice de nature à réfuter les explications de la Commission dans la décision attaquée selon lesquelles elle s’est fondée sur une analyse du contenu spécifique de chaque contrat en cause et de la situation individuelle de chaque entreprise concernée.

Enfin, le Tribunal écarte le moyen des requérantes reprochant à la Commission de ne pas avoir pris en compte l’intérêt public supérieur justifiant la divulgation des informations demandées. Il constate que des considérations aussi générales que celles invoquées par les requérantes, à savoir la nécessité d’instaurer la confiance du public envers les actions de la Commission concernant l’achat de vaccins contre la COVID-19 et dans les vaccins eux-mêmes, ne sauraient établir que l’intérêt tenant à la transparence présentait une acuité particulière qui aurait pu primer les raisons justifiant le refus de divulgation des parties occultées des contrats en cause. Il rappelle également que les contrats en cause s’inscrivent dans le cadre d’une activité administrative, et non législative.


( 1 ) Décision C(2022) 1038 final de la Commission européenne, du 15 février 2022 (ci-après la « décision attaquée »).

( 2 ) En vertu du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43).

( 3 ) Exceptions prévues, respectivement, à l’article 4, paragraphe 1, sous b), et à l’article 4, paragraphe 2, premier tiret, ainsi qu’à l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement no 1049/2001.

( 4 ) Selon les articles 1er et 12 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux (JO 1985, L 210, p. 29).

( 5 ) Voir, notamment, l’article 6, troisième alinéa, de l’accord du 16 juin 2020 sur l’achat de vaccins contre la COVID 19 conclu entre la Commission et les États membres et la communication de la Commission, du 17 juin 2020, intitulée « Stratégie de l’Union européenne concernant les vaccins contre la COVID-19 » [COM(2020) 245 final].

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