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Document 62021TJ0415

    Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 20 décembre 2023.
    Banca Popolare di Bari SpA contre Commission européenne.
    Responsabilité non contractuelle – Aides d’État – Aide accordée par les autorités italiennes à Banca Tercas – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur – Prescription – Préjudice continu – Irrecevabilité partielle – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers – Lien de causalité.
    Affaire T-415/21.

    Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:2023:833

    Affaire T‑415/21

    Banca Popolare di Bari SpA

    contre

    Commission européenne

    Arrêt du Tribunal (quatrième chambre élargie) du 20 décembre 2023

    « Responsabilité non contractuelle – Aides d’État – Aide accordée par les autorités italiennes à Banca Tercas – Décision déclarant l’aide incompatible avec le marché intérieur – Prescription – Préjudice continu – Irrecevabilité partielle – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers – Lien de causalité »

    1. Recours en indemnité – Délai de prescription – Point de départ – Préjudice se produisant de façon continue – Interruption de la prescription – Prescription s’appliquant à la période antérieure de plus de cinq ans à la date de l’acte interruptif de prescription

      (Art. 340, 2e al., TFUE ; statut de la Cour de justice, art. 46 et 53, 1er al.)

      (voir points 28-54, 67)

    2. Recours en indemnité – Délai de prescription – Point de départ – Préjudice à caractère non continu – Date à prendre en considération – Date de l’apparition des effets dommageables de l’acte à l’égard de la personne concernée

      (Art. 340, 2e al., TFUE ; statut de la Cour de justice, art. 46 et 53, 1er al.)

      (voir points 57-66)

    3. Responsabilité non contractuelle – Conditions – Illégalité – Préjudice – Lien de causalité – Conditions cumulatives – Absence de l’une des conditions – Rejet du recours en indemnité dans son ensemble

      (Art. 340, 2e al., TFUE)

      (voir points 70-72)

    4. Responsabilité non contractuelle – Conditions – Illégalité – Violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers – Règle de droit conférant des droits aux particuliers – Notion – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Inclusion – Principe de bonne administration – Inclusion

      (Art. 107, § 1, 108, § 3, et 340, 2e al., TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41)

      (voir points 75, 80-100)

    5. Responsabilité non contractuelle – Conditions – Illégalité – Violation suffisamment caractérisée du droit de l’Union – Exigence d’une méconnaissance manifeste et grave par les institutions des limites de leur pouvoir d’appréciation – Décision de la Commission constatant erronément l’existence d’une aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Contexte juridique et factuel particulièrement complexe – Absence de violation suffisamment caractérisée

      (Art. 340, 2e al., TFUE)

      (voir points 103-125)

    6. Responsabilité non contractuelle – Conditions – Lien de causalité – Charge de la preuve – Décision de la Commission constatant erronément l’existence d’une aide incompatible avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Préjudices découlant d’une perte de confiance de la clientèle de l’entreprise bénéficiaire de l’aide – Perte de confiance induite par une pluralité de facteurs – Absence de lien de causalité direct entre les préjudices allégués et le comportement de la Commission

      (Art. 340, 2e al., TFUE)

      (voir points 132-153, 155-161)

    Résumé

    En 2013, la banque italienne Banca Popolare di Bari SpA (BPB) avait exprimé son intérêt pour la souscription à une augmentation de capital d’une autre banque italienne, Banca Tercas (ci-après « Tercas »), placée sous administration extraordinaire depuis 2012. Cette expression d’intérêt était toutefois liée à la condition que le déficit patrimonial de Tercas soit entièrement couvert par le Fonds interbancaire de protection des dépôts (ci-après le « FITD »).

    En 2014, avec l’aval de la banque centrale de la République italienne, le FITD est intervenu en faveur de Tercas en couvrant ses fonds propres négatifs et en lui octroyant deux garanties. Par la suite, BPB a souscrit à deux augmentations de capital de Tercas.

    Par décision du 23 décembre 2015 ( 1 ) (ci-après la « décision Tercas »), la Commission européenne a considéré que l’intervention susvisée du FITD en faveur de Tercas, intégralement détenue par BPB depuis le 1er octobre 2014, constituait une aide d’État incompatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, qui devait être récupérée auprès de son bénéficiaire par la République italienne.

    Néanmoins, par arrêt du Tribunal du 19 mars 2019 ( 2 ), confirmé sur pourvoi ( 3 ), la décision Tercas a été annulée pour violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

    Par lettre du 28 avril 2021, BPB a demandé à la Commission la réparation des dommages prétendument subis en raison de la décision Tercas en estimant ce préjudice à 228 millions d’euros. La Commission ayant rejeté cette demande, BPB a introduit un recours en responsabilité non contractuelle de l’Union au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

    À l’appui de ce recours, BPB fait valoir que la décision Tercas a provoqué une détérioration de la confiance de la clientèle à son égard, ce qui aurait causé une perte de dépôts et de clientèle (manque à gagner), une atteinte à sa réputation (dommage moral) ainsi qu’occasionné des coûts pour les mesures d’atténuation des effets négatifs de ladite décision (dommage réel).

    En rejetant ce recours, le Tribunal précise les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union en raison d’une application erronée, par la Commission, des règles en matière d’aides d’État.

    Appréciation du Tribunal

    La Commission ayant invoqué l’expiration du délai de prescription de cinq ans prévu par l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « le statut de la Cour ») pour l’introduction d’actions contre l’Union en matière de responsabilité non contractuelle ( 4 ), le Tribunal rappelle que ce délai ne commence à courir qu’à partir du moment où le dommage à réparer s’est effectivement réalisé.

    En relevant que la demande d’indemnisation adressée par lettre du 28 avril 2021 à la Commission constitue un acte interruptif de prescription, le Tribunal souligne, en outre, que, lorsqu’il s’agit d’un dommage à caractère continu, la prescription s’applique à la période antérieure de plus de cinq ans à la date de l’acte interruptif de prescription, sans affecter les droits nés au cours des périodes postérieures.

    À cet égard, le Tribunal précise que les préjudices matériels allégués dérivant tant de la perte de dépôts directs que de la perte de clientèle par BPB présentent un caractère continu dès lors qu’ils se seraient accumulés et renouvelés depuis l’adoption de la décision Tercas. Le prétendu préjudice moral découlant de l’atteinte à la réputation de BPB présente, lui aussi, un caractère continu, dans la mesure où ce préjudice trouverait sa source dans la décision Tercas, qui, dans un premier temps, a été adoptée et rendue publique au moyen d’un communiqué de presse et qui, dans un second temps, a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne.

    Il s’ensuit que la demande en indemnité de BPB n’est pas prescrite pour autant qu’elle vise la réparation des préjudices découlant de la perte de dépôts directs et de clientèle et de l’atteinte à sa réputation, subis postérieurement au 28 avril 2016, c’est-à-dire durant la période antérieure de moins de cinq ans à la demande d’indemnisation du 28 avril 2021.

    S’agissant du prétendu dommage réel consistant en des frais supplémentaires subis par BPB en raison de mesures d’atténuation des effets négatifs de la décision Tercas, le Tribunal écarte le caractère continu de plusieurs dommages allégués à ce titre, dès lors qu’ils se sont effectivement réalisés à une date précise et que leurs montants n’ont pas augmenté en proportion du temps écoulé.

    Sur le fond, le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union suppose la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers, la réalité du dommage ainsi que l’existence d’un lien de causalité direct entre la violation et le préjudice subi.

    Concernant la première de ces conditions, le Tribunal relève, d’une part, que l’erreur dans l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE commise par la Commission dans la décision Tercas constitue une violation d’une règle ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, tels que BPB. En effet, en ce qu’il fournit une définition de la notion d’aide d’État incompatible avec le marché intérieur afin de garantir une concurrence loyale entre les entreprises des États membres, l’article 107, paragraphe 1, TFUE vise à protéger les intérêts des particuliers et notamment des entreprises. En outre, l’application de la notion d’aide visée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE est strictement liée à l’application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, lequel établit l’obligation de notifier les mesures d’aide et l’interdiction de les mettre en œuvre avant l’aboutissement de la procédure de contrôle préalable par la Commission. Vu que cette dernière disposition revêt un effet direct, elle peut être invoquée par les particuliers afin de faire valoir leurs droits découlant de son application. Or, c’est aux fins de l’application de la notion d’aide, prévue à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, que l’article 108 TFUE confère à la Commission le pouvoir de se prononcer sur la compatibilité des aides d’État avec le marché intérieur. De plus, l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE par la Commission peut être contestée devant les juridictions de l’Union par les bénéficiaires de l’aide, leurs concurrents ainsi que les États membres.

    S’agissant de l’existence d’une violation suffisamment caractérisée, le Tribunal indique, d’autre part, que la jurisprudence prend notamment en compte la complexité des situations à régler, les difficultés d’application ou d’interprétation des textes et, plus particulièrement, la marge d’appréciation dont dispose l’auteur de l’acte mis en cause. Lorsque l’institution concernée dispose d’un large pouvoir d’appréciation, le critère décisif pour établir une telle violation est celui de la méconnaissance manifeste et grave, par cette institution, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation.

    Au vu de ces critères, le Tribunal relève que la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE commise par la Commission dans la décision Tercas, bien que constatée dans les arrêts du Tribunal et de la Cour, n’est pas automatiquement de ce fait suffisamment caractérisée. En rappelant que l’erreur commise par la Commission concernait l’analyse des éléments retenus pour établir l’implication des autorités publiques italiennes dans l’intervention du FITD, le Tribunal souligne, en outre, que la Commission devait appliquer la notion d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE dans un contexte juridique et factuel particulièrement complexe. Or, le fait que, dans ces circonstances, la Commission n’avait pas établi à suffisance de droit l’imputabilité de l’intervention du FITD à l’État n’est pas suffisant pour qualifier cette erreur de violation manifeste et grave des limites qui s’imposent au pouvoir d’appréciation de la Commission. Dès lors, la Commission n’a pas commis de violation suffisamment caractérisée en ce qui concerne la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

    Le Tribunal examine ensuite la condition relative à l’existence d’un lien de causalité direct entre la violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE par la Commission et le préjudice allégué par BPB. À cet égard, il relève que, même si la décision Tercas a pu jouer un certain rôle dans le processus de perte de la confiance de la clientèle de BPB, cette perte a été induite également par d’autres facteurs, de sorte que ladite décision ne saurait être considérée comme étant la cause déterminante et directe du préjudice allégué. Partant, BPB n’a pas établi l’existence d’un lien de cause à effet entre le comportement prétendument illégal de la Commission et le préjudice allégué.

    Dès lors, le Tribunal conclut que, en ce qui concerne les préjudices non prescrits dont BPB demande l’indemnisation, les conditions de l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union relatives à l’existence d’une violation suffisamment caractérisée, d’une part, et à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice invoqué, d’autre part, ne sont pas remplies.

    Ainsi, le recours de BPB est rejeté sans qu’il soit nécessaire d’examiner la condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union relative à la réalité du dommage.


    ( 1 ) Décision (UE) 2016/1208 de la Commission, du 23 décembre 2015, concernant l’aide d’État SA.39451 (2015/C) (ex 2015/NN) mise à exécution par l’Italie en faveur de Banca Tercas (JO 2016, L 203, p. 1).

    ( 2 ) Arrêt du 19 mars 2019, Italie e.a/Commission (T 98/16, T 196/16 et T 198/16, EU:T:2019:167).

    ( 3 ) Arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a. (C 425/19 P, EU:C:2021:154).

    ( 4 ) Conformément à l’article 53, 1er alinéa, du statut de la Cour, l’article 46 du même statut est applicable à la procédure devant le Tribunal.

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