Choose the experimental features you want to try

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 62021TJ0095

    Arrêt du Tribunal (huitième chambre) du 21 septembre 2022.
    République portugaise contre Commission européenne.
    Aides d’État – Zone franche de Madère – Régime d’aides mis à exécution par le Portugal – Décision constatant la non-conformité du régime aux décisions C(2007) 3037 final et C(2013) 4043 final, déclarant ce régime incompatible avec le marché intérieur et ordonnant la récupération des aides versées en application de celui-ci – Notion d’aide d’État – Aide existante au sens de l’article 1er, sous b), i) et ii), du règlement (UE) 2015/1589 – Récupération – Confiance légitime – Sécurité juridique – Principe de bonne administration – Impossibilité absolue d’exécution – Prescription – Article 17 du règlement 2015/1589.
    Affaire T-95/21.

    Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:2022:567

    Affaire T‑95/21

    République portugaise

    contre

    Commission européenne

    Arrêt du Tribunal (huitième chambre) du 21 septembre 2022

    « Aides d’État – Zone franche de Madère – Régime d’aides mis à exécution par le Portugal – Décision constatant la non-conformité du régime aux décisions C(2007) 3037 final et C(2013) 4043 final, déclarant ce régime incompatible avec le marché intérieur et ordonnant la récupération des aides versées en application de celui-ci – Notion d’aide d’État – Aide existante au sens de l’article 1er, sous b), i) et ii), du règlement (UE) 2015/1589 – Récupération – Confiance légitime – Sécurité juridique – Principe de bonne administration – Impossibilité absolue d’exécution – Prescription – Article 17 du règlement 2015/1589 »

    1. Aides accordées par les États – Notion – Caractère sélectif de la mesure – Mesure conférant un avantage fiscal – Cadre de référence pour déterminer l’existence d’un avantage – Mesure introduisant des différenciations entre des opérateurs se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l’objectif poursuivi par le régime fiscal commun – Exonération fiscale non applicable à des opérations comparables à celles conditionnant son octroi – Mesure pouvant être qualifiée de sélective

      (Art. 107, § 1, TFUE)

      (voir points 48-58, 65)

    2. Aides accordées par les États – Notion – Caractère sélectif de la mesure – Dérogation au système fiscal général – Justification tirée de la nature et de l’économie du système – Critères d’appréciation

      (Art. 107, § 1, TFUE)

      (voir points 59-63)

    3. Aides accordées par les États – Affectation des échanges entre États membres – Atteinte à la concurrence – Critères d’appréciation – Aides susceptibles d’affecter lesdits échanges et de fausser la concurrence – Notion

      (Art. 107, § 1, TFUE)

      (voir points 66-69)

    4. Aides accordées par les États – Aides existantes et aides nouvelles – Mesure portant modification d’un régime d’aides existantes – Modification des éléments constitutifs du régime par des actes législatifs successifs – Modifications affectant la substance du régime – Qualification d’aide nouvelle

      [Art. 108, § 3, TFUE ; règlement du Conseil 2015/1589, art. 1er, c) ; règlement de la Commission no 794/2004, art. 4, § 1, c)]

      (voir points 78-88)

    5. Aides accordées par les États – Aides existantes et aides nouvelles – Mesure portant modification d’un régime d’aides existantes – Mise en œuvre du régime en violation des conditions fixées dans la décision d’approbation de la Commission – Modification affectant la substance du régime – Qualification d’aide nouvelle

      [Art. 108, § 3, TFUE ; règlement du Conseil 2015/1589, art. 1er, c) ; règlement de la Commission no 794/2004, art. 4, § 1, c)]

      (voir points 121-125, 129-134, 136-141, 145-155, 164-178)

    6. Recours en annulation – Moyens – Argument tiré d’éléments de fait ou de droit non contestés au cours de la procédure formelle d’examen d’une aide d’État – Recevabilité

      (Art.108, § 3, et 263, 4e al., TFUE)

      (voir point 182)

    7. Aides accordées par les États – Récupération d’une aide illégale et incompatible – Aide octroyée en violation des règles de procédure de l’article 108 TFUE – Confiance légitime éventuelle dans le chef des bénéficiaires – Absence sauf circonstances exceptionnelles

      (Art. 108, § 3, TFUE)

      (voir points 194-203)

    8. Aides accordées par les États – Récupération d’une aide illégale et incompatible – Violation du principe de sécurité juridique – Absence

      (Art. 107 TFUE ; règlement du Conseil 2015/1589, art. 16, § 1)

      (voir points 204-214)

    9. Recours en annulation – Moyens – Impossibilité absolue d’exécution d’une décision de la Commission constatant l’incompatibilité d’un régime d’aide avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Recevabilité

      (Art. 263 TFUE)

      (voir points 221, 222)

    10. Aides accordées par les États – Récupération d’une aide illégale et incompatible – Impossibilité absolue d’exécution – Motifs – Impossibilité pour l’État de déterminer les montants à récupérer – Absence de justification

      (Art. 4, § 3, TUE ; art. 108, § 2, TFUE)

      (voir points 223-231)

    11. Aides accordées par les États – Récupération d’une aide illégale et incompatible – Obligation – Bénéficiaires en difficulté ou en faillite – Absence d’incidence

      (Art. 108, § 2, TFUE)

      (voir point 240)

    12. Aides accordées par les États – Récupération d’une aide illégale et incompatible – Prescription décennale de l’article 17 du règlement 2015/1589 – Point de départ du délai de prescription – Date de l’octroi de l’aide au bénéficiaire – Interruption de la prescription par une demande de renseignements adressée par la Commission à l’État membre concerné

      (Art. 108, § 2, TFUE ; règlement 2015/1589, art. 17)

      (voir points 245-249)

    13. Aides accordées par les États – Récupération d’une aide illégale et incompatible – Régime d’aides – Expiration du délai de prescription concernant un bénéficiaire en particulier – Annulation de la décision de la Commission constatant l’incompatibilité du régime d’aide avec le marché intérieur et ordonnant sa récupération – Exclusion

      (Art. 108, § 2, TFUE)

      (voir point 250)

    Résumé

    Afin de promouvoir le développement régional et la diversification de la structure économique de l’île de Madère, la République portugaise a mis en place un régime d’aides en faveur d’une zone délimitée sur cette île, appelée la zone franche de Madère (ZFM).

    Ce régime, initialement approuvé par la Commission européenne en 1987 en tant qu’aide à finalité régionale compatible, a été modifié en 2002 (ci-après le « régime II »). En 2007, la Commission a autorisé un troisième régime qui a de nouveau été modifié en 2013 ( 1 ), (ci-après le « régime III »).

    Le régime III, tel qu’approuvé par la Commission, prenait la forme d’une réduction de l’impôt sur le revenu applicable aux personnes morales sur les bénéfices issus d’activités effectivement et matériellement réalisées à Madère, d’une exonération de taxes municipales et locales ainsi que d’une exonération de l’impôt sur la transmission de biens immobiliers pour la création d’une entreprise dans la ZFM, à concurrence de montants d’aide maximaux basés sur des plafonds fixés en fonction du nombre de postes de travail maintenus par le bénéficiaire.

    À la suite d’un exercice de surveillance dudit régime portant sur les années 2012 et 2013, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue par l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

    À l’issue de cette procédure, elle a constaté, par décision du 4 décembre 2020 ( 2 ), que le régime III, tel que mis en œuvre par le Portugal, était substantiellement différent de celui autorisé par les décisions de 2007 et de 2013. Qualifiant ce régime d’« aide nouvelle » exécutée illégalement et incompatible avec le marché intérieur, la Commission a ordonné sa récupération auprès des bénéficiaires.

    Le recours en annulation introduit par la République portugaise à l’encontre de cette décision est rejeté par le Tribunal.

    Appréciation du Tribunal

    En premier lieu, le Tribunal écarte les différents griefs contestant la qualification d’« aide nouvelle » du régime III, tel que mis en œuvre par la République portugaise.

    D’une part, la République portugaise faisait valoir que la ZFM avait été créée avant son adhésion, le 1er janvier 1986, à la Communauté économique européenne (CEE) et que le régime d’aides adopté en faveur de cette zone n’avait pas fait l’objet de modifications substantielles depuis cette date. Dès lors, elle estimait que la Commission aurait dû qualifier le régime III, tel que mis en œuvre, d’« aide existante », à savoir une aide mise à exécution avant son adhésion et toujours applicable après.

    À cet égard, le Tribunal rappelle que doit être considéré comme une « aide nouvelle » tout régime d’aides ou toute aide individuelle qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification substantielle d’une aide existante. Afin d’apprécier le caractère substantiel de telles modifications, il y a lieu d’examiner si celles-ci portent atteinte aux éléments constitutifs du régime en cause, tels que le cercle des bénéficiaires, l’objectif du soutien financier ou encore la source de ce soutien et son montant.

    En l’occurrence, les modifications apportées par les régimes II et III au régime initial d’aides étaient de nature substantielle, en ce qu’elles portaient, entre autres, sur l’exclusion de certaines activités du champ d’application de ce régime et sur une augmentation des plafonds de la base d’imposition auxquels s’appliquait la réduction d’impôts.

    En réponse à l’argument de la République portugaise selon lequel les modifications en cause s’étaient limitées à restreindre la portée du régime initial de la ZFM, le Tribunal relève, en outre, que l’appréciation du caractère substantiel d’une modification est indépendante de la question de savoir si cette dernière conduit à étendre ou à restreindre le champ d’application de l’aide en cause. Seul importe, aux fins de cette appréciation, de savoir si la modification est susceptible d’affecter la substance même du régime initial.

    Dès lors, le Tribunal confirme que les modifications substantielles apportées au régime d’aides initial après le 1er janvier 1986 excluaient la qualification d’« aide existante », sans qu’il soit nécessaire de déterminer si ce régime avait effectivement été mis à exécution avant l’adhésion du Portugal à la CEE.

    D’autre part, la République portugaise contestait la conclusion de la Commission selon laquelle le régime III avait été mis en œuvre en méconnaissance des décisions de 2007 et de 2013 et constituait, de ce fait, une aide nouvelle exécutée illégalement.

    À cet égard, le Tribunal rappelle qu’un régime d’aides autorisé n’est plus couvert par la décision l’ayant autorisé et, partant, constitue une « aide nouvelle », lorsque l’État membre concerné procède à la mise en œuvre du régime d’aides selon des modalités substantiellement différentes de celles prévues dans le projet de régime d’aides notifié à la Commission et, donc, de celles prises en considération par cette dernière pour constater la compatibilité du régime notifié avec le marché intérieur.

    Dans ce contexte, la République portugaise alléguait plus particulièrement que la Commission avait commis des erreurs de fait et de droit et violé son obligation de motivation en constatant, dans la décision attaquée, que les décisions de 2007 et de 2013 permettaient d’octroyer les aides prévues par le régime III uniquement en ce qui concernait les bénéfices résultant d’activités réalisées à Madère, à l’exclusion des bénéfices résultant d’activités réalisées en dehors de cette région par des sociétés enregistrées dans la ZFM.

    Cette argumentation est rejetée par le Tribunal, qui confirme que la Commission a pu valablement considérer que seules les « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère » ouvraient droit aux aides autorisées par les décisions de 2007 et de 2013.

    Par ailleurs, le Tribunal souligne que les lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013 ( 3 ), au regard desquelles la Commission avait approuvé le régime III, énoncent que des aides au fonctionnement peuvent être octroyées exceptionnellement dans des régions ultrapériphériques, telles que la région autonome de Madère, à condition qu’elles soient justifiées par leur contribution au développement régional et par leur nature et que leur niveau soit proportionnel aux handicaps qu’elles visent à pallier. Les activités affectées par les handicaps et donc par les surcouts propres à ces régions sont, dès lors, les seules à pouvoir bénéficier de telles aides. Les activités exercées en dehors desdites régions qui, de ce fait, ne sont pas affectées par ces surcouts, et cela même si elles sont exercées par des sociétés établies dans ces mêmes régions, doivent quant à elles être exclues du bénéfice de ces aides.

    Le Tribunal écarte également l’argument de la République portugaise tiré du fait que l’interprétation retenue par la Commission était contraire à un commentaire du comité des affaires fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ainsi qu’à la pratique décisionnelle antérieure de la Commission. En effet, si la Commission est susceptible de prendre en considération des textes adoptés dans le cadre de l’OCDE, elle ne saurait aucunement être liée par ceux-ci, notamment dans l’application des règles de l’Union relatives aux aides d’État. De même, c’est dans le seul cadre de l’article 107 TFUE que doit être appréciée la légalité d’une décision de la Commission et non au regard d’une prétendue pratique décisionnelle antérieure de celle-ci.

    En deuxième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré par la République portugaise de la prétendue impossibilité de récupérer les aides octroyées illégalement au motif, essentiellement, que la décision attaquée ne lui permettait pas de déterminer les montants à récupérer « sans difficulté excessive ».

    En effet, même si la République portugaise a le droit de se prévaloir du principe selon lequel « à l’impossible nul n’est tenu », elle n’a pas établi à suffisance de droit l’impossibilité objective et absolue, dès l’adoption de la décision attaquée, de procéder à la récupération des aides en cause. Par ailleurs, les difficultés d’ordre administratif et pratique qu’entraîne le grand nombre de bénéficiaires des aides ne permettent pas de considérer la récupération comme étant techniquement impossible à réaliser.

    En troisième lieu, concernant le grief tiré de la prescription de certaines aides versées, le Tribunal relève que le seul fait que certaines aides individuelles versées en application d’un régime d’aides, dont une décision de la Commission constate le caractère illégal et incompatible avec le marché intérieur, soient prescrites ne saurait emporter l’annulation de cette décision. À cet égard, il appartient aux autorités nationales sur lesquelles pèse l’obligation de récupération immédiate et effective desdites aides de déterminer, au regard des circonstances particulières propres à chaque bénéficiaire d’un régime d’aides, si chacun des bénéficiaires doit effectivement restituer ladite aide.


    ( 1 ) Décisions de la Commission du 27 juin 2007, rendue dans l’affaire N421/2006, et du 2 juillet 2013, rendue dans l’affaire SA.34160 (2011/N) (ci-après les « décisions de 2007 et de 2013 ».

    ( 2 ) Décision C(2020) 8550 final de la Commission européenne, du 4 décembre 2020, relative au régime d’aides SA.21259 (2018/C) (ex 2018/NN) mis à exécution par le Portugal en faveur de la zone franche de Madère (ZFM) - Régime III (ci-après la « décision attaquée »).

    ( 3 ) Lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013, (JO 2006, C 54, p. 13).

    Top