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Document 62021CJ0562
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 22 février 2022.
X et Y.
Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 3 – Procédures de remise entre États membres – Conditions d’exécution – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47, deuxième alinéa – Droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi – Défaillances systémiques ou généralisées – Examen en deux étapes – Critères d’application – Obligation de l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier de manière concrète et précise s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen court, en cas de remise, un risque réel de violation de son droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.
Affaires jointes C-562/21 PPU et C-563/21 PPU.
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 22 février 2022.
X et Y.
Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 3 – Procédures de remise entre États membres – Conditions d’exécution – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47, deuxième alinéa – Droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi – Défaillances systémiques ou généralisées – Examen en deux étapes – Critères d’application – Obligation de l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier de manière concrète et précise s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen court, en cas de remise, un risque réel de violation de son droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi.
Affaires jointes C-562/21 PPU et C-563/21 PPU.
Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:100
Affaires jointes C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU
X
et
Y
(demandes de décision préjudicielle, introduites par le Rechtbank Amsterdam)
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 22 février 2022
« Renvoi préjudiciel – Procédure préjudicielle d’urgence – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 3 – Procédures de remise entre États membres – Conditions d’exécution – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47, deuxième alinéa – Droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi – Défaillances systémiques ou généralisées – Examen en deux étapes – Critères d’application – Obligation de l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier de manière concrète et précise s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen court, en cas de remise, un risque réel de violation de son droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi »
Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres – Remise des personnes condamnées ou soupçonnées aux autorités judiciaires d’émission – Obligation de respecter les droits et principes juridiques fondamentaux – Conséquences de la constatation du risque de violation du droit à un procès équitable
(Art. 2 TUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47, 2e al. ; décision-cadre du Conseil 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, art. 1er, § 3)
(voir points 45, 46)
Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres – Remise des personnes condamnées ou soupçonnées aux autorités judiciaires d’émission – Obligation de respecter les droits et principes juridiques fondamentaux – Droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi – Défaillances systémiques ou généralisées concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission – Défaillances portant sur la procédure de nomination des membres de ce pouvoir – Présomption de violation dudit droit – Absence – Vérification par l’autorité judiciaire d’exécution – Portée – Conséquences
(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47, 2e al. ; décision-cadre du Conseil 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, art. 1er, § 2 et 3)
(voir points 50-53, 66, 76-81, 83-90, 93, 96-102 et disp.)
Droit de l’Union européenne – Principes – Droit à une protection juridictionnelle effective – Droit à un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi – Portée
(Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47, 2e al.)
(voir points 56-58, 69-75)
Résumé
Refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen : la Cour précise les critères permettant à une autorité judiciaire d’exécution d’apprécier le risque éventuel de violation du droit fondamental de la personne recherchée à un procès équitable
Deux mandats d’arrêt européens (ci-après « MAE ») ( 1 )ont été émis en avril 2021 par des juridictions polonaises à l’encontre de deux ressortissants polonais, aux fins, respectivement, de l’exécution d’une peine privative de liberté et de l’exercice de poursuites pénales. Les intéressés se trouvant aux Pays-Bas et n’ayant pas consenti à leur remise, le Rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas) a été saisi de demandes d’exécution de ces MAE.
Cette juridiction exprime des doutes quant à son obligation de faire droit à ces demandes. À cet égard, elle relève que, depuis 2017, il existe en Pologne des défaillances systémiques ou généralisées affectant le droit fondamental à un procès équitable ( 2 ), et notamment le droit à un tribunal établi préalablement par la loi, défaillances qui résulteraient, notamment, du fait que les juges polonais sont nommés sur proposition de la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne, ci-après la « KRS »). Or, selon la résolution adoptée en 2020 par le Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne), la KRS n’est plus, depuis l’entrée en vigueur d’une loi de réforme judiciaire le 17 janvier 2018, un organe indépendant ( 3 ). Dans la mesure où des juges nommés sur proposition de la KRS auraient pu participer à la procédure pénale ayant abouti à la condamnation de l’une des deux personnes concernées ou pourraient être appelés à connaître de l’affaire pénale de l’autre personne concernée, la juridiction de renvoi estime qu’il existe un risque réel que ces personnes subissent, en cas de remise, une violation de leur droit à un tribunal établi préalablement par la loi.
Dans ces conditions, cette juridiction interroge la Cour sur le point de savoir si l’examen en deux étapes ( 4 ), qui a été consacré par la Cour dans le contexte d’une remise sur la base des MAE, au regard des garanties d’indépendance et d’impartialité inhérentes au droit fondamental à un procès équitable, est applicable dans l’hypothèse où est en cause la garantie, également inhérente à ce droit fondamental, relative à un tribunal établi préalablement par la loi.
La Cour, réunie en grande chambre et statuant en application de la procédure préjudicielle d’urgence, répond par l’affirmative et précise les modalités d’application de cet examen.
Appréciation de la Cour
La Cour juge que, lorsque l’autorité judiciaire d’exécution appelée à décider de la remise d’une personne faisant l’objet d’un MAE dispose d’éléments faisant état de l’existence de défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission, s’agissant notamment de la procédure de nomination des membres de ce pouvoir, elle ne peut refuser la remise, sur le fondement de la décision-cadre 2002/584 ( 5 ), que si elle constate qu’il existe, dans les circonstances particulières de l’affaire, des motifs sérieux et avérés de croire que le droit fondamental de la personne concernée à un procès équitable devant un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi, a été violé ou risque, en cas de remise, d’être violé.
À cet égard, la Cour précise que le droit d’être jugé par un tribunal « établi par la loi » englobe, par sa nature même, le processus de nomination des juges. Ainsi, dans le cadre de la première étape de l’examen visant à évaluer l’existence d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable, notamment lié à une méconnaissance de l’exigence d’un tribunal établi par la loi, l’autorité judiciaire d’exécution doit effectuer une appréciation globale, fondée sur tout élément objectif, fiable, précis et dûment actualisé concernant le fonctionnement du système juridictionnel dans l’État membre d’émission et, en particulier, le cadre général de nomination des juges dans cet État membre. Constituent de tels éléments les informations figurant dans une proposition motivée adressée par la Commission européenne au Conseil sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, TUE, la résolution du Sąd Najwyższy (Cour suprême), susmentionnée, ainsi que la jurisprudence pertinente de la Cour ( 6 )et de la Cour européenne des droits de l’homme ( 7 ). En revanche, la circonstance qu’un organe, tel que la KRS, qui est impliqué dans le processus de nomination des juges soit composé, de manière prépondérante, de membres représentant les pouvoirs législatif ou exécutif ou choisis par ceux-ci, ne saurait suffire pour justifier un refus de remise.
Dans le cadre de la seconde étape dudit examen, il appartient à la personne faisant l’objet d’un MAE d’apporter des éléments concrets donnant à penser que les défaillances systémiques ou généralisées du système juridictionnel ont eu une incidence concrète sur le traitement de son affaire pénale ou sont susceptibles d’avoir, en cas de remise, une telle incidence. Ces éléments peuvent être complétés, le cas échéant, par des informations fournies par l’autorité judiciaire d’émission.
À cet égard, s’agissant, premièrement, d’un MAE émis aux fins de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, l’autorité judiciaire d’exécution doit tenir compte des éléments relatifs à la composition de la formation de jugement ayant connu de l’affaire pénale ou à toute autre circonstance pertinente pour l’appréciation de l’indépendance et de l’impartialité de cette formation. Il ne suffit pas, pour refuser la remise, qu’un ou plusieurs juges, qui ont participé à cette procédure, aient été nommés sur proposition d’un organe tel que la KRS. Il faut, en outre, que la personne concernée fournisse des éléments relatifs, notamment, à la procédure de nomination des juges concernés et à la délégation éventuelle de ceux-ci, qui aboutiraient à la constatation que la composition de cette formation de jugement a été de nature à affecter son droit fondamental à un procès équitable. Par ailleurs, il convient de tenir compte de l’existence éventuelle d’une possibilité, pour la personne concernée, de demander la récusation des membres de la formation de jugement pour des motifs tenant à une violation de son droit fondamental à un procès équitable, de l’exercice éventuel de cette possibilité par cette personne ainsi que des suites réservées à sa demande de récusation.
Deuxièmement, lorsqu’un MAE a été émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales, l’autorité judiciaire d’exécution doit prendre en compte des éléments relatifs à la situation personnelle de la personne concernée, à la nature de l’infraction pour laquelle celle-ci est poursuivie, au contexte factuel dans lequel ce MAE s’inscrit ou à toute autre circonstance pertinente pour l’appréciation de l’indépendance et de l’impartialité de la formation de jugement vraisemblablement appelée à connaître de la procédure relative à cette personne. De tels éléments peuvent aussi avoir trait aux déclarations effectuées par des autorités publiques qui pourraient avoir une incidence dans le cas concret. En revanche, la circonstance que l’identité des juges qui seront appelés à connaître éventuellement de l’affaire de la personne concernée n’est pas connue au moment de la décision sur la remise, ou, lorsque leur identité est connue, que ces juges auraient été nommés sur proposition d’un organe tel que la KRS ne saurait suffire pour refuser cette remise.
( 1 ) Au sens de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24).
( 2 ) Garanti à l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
( 3 ) La juridiction de renvoi se réfère également à l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596, points 108 et 110).
( 4 ) Dans le cadre de la première étape de cet examen, l’autorité judiciaire d’exécution doit évaluer le risque réel de violation des droits fondamentaux au regard de la situation générale de l’État membre d’émission ; dans le cadre de la seconde étape, cette autorité doit vérifier, de manière concrète et précise, s’il existe un risque réel d’atteinte à un droit fondamental de la personne recherchée, compte tenu des circonstances de l’espèce. Voir arrêts du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586), et du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:1033).
( 5 ) Voir en ce sens l’article 1er, paragraphes 2 et 3, de la décision-cadre 2002/584 en vertu duquel, d’une part, les États membres exécutent tout MAE sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de cette décision-cadre et, d’autre part, ladite décision-cadre ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 TUE.
( 6 ) Arrêts du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême - Recours) (C‑824/18, EU:C:2021:153), du 15 juillet 2021, Commission/Pologne (Régime disciplinaire des juges) (C‑791/19, EU:C:2021:596), ainsi que du 6 octobre 2021, W.Ż. (chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême - Nomination) (C‑487/19, EU:C:2021:798).
( 7 ) Cour EDH, 22 juillet 2021, Reczkowicz c. Pologne CE :ECHR :2021 :0722JUD 004344719.