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Document 62020TJ0304

Arrêt du Tribunal (troisième chambre élargie) du 22 novembre 2023.
Laura Molina Fernández contre Conseil de résolution unique.
Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Résolution de Banco Popular Español – Décision du CRU refusant d’accorder un dédommagement aux actionnaires et aux créanciers concernés par les mesures de résolution – Valorisation de la différence de traitement – Indépendance de l’évaluateur.
Affaire T-304/20.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:T:2023:734

Affaire T‑304/20

Laura Molina Fernández

contre

Conseil de résolution unique

Arrêt du Tribunal (troisième chambre élargie) du 22 novembre 2023

« Union économique et monétaire – Union bancaire – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Résolution de Banco Popular Español – Décision du CRU refusant d’accorder un dédommagement aux actionnaires et aux créanciers concernés par les mesures de résolution – Valorisation de la différence de traitement – Indépendance de l’évaluateur »

  1. Politique économique et monétaire – Politique économique – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement – Adoption d’un dispositif de résolution – Pouvoir d’appréciation du Conseil de résolution unique (CRU) – Portée – Demande de dédommagement des actionnaires et créanciers – Appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes – Appréciations économiques complexes – Large pouvoir d’appréciation – Contrôle juridictionnel – Limites – Erreur manifeste d’appréciation – Charge de la preuve

    [Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, § 2, a)]

    (voir points 32-38)

  2. Politique économique et monétaire – Politique économique – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement – Adoption d’un dispositif de résolution – Mécanisme de dédommagement des actionnaires et créanciers – Méthode de valorisation du traitement des actionnaires et créanciers dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité – Procédure normale d’insolvabilité – Notion – Liquidation de l’entité – Inclusion – Concordat avec les créanciers – Exclusion – Scénario de continuité d’exploitation – Exclusion

    (Règlement du Parlement européen et du Conseil no 806/2014, art. 20, § 16 à 18)

    (voir points 48, 50, 56, 58)

Résumé

Dans les affaires jointes T 302/20, T 303/20 et T 307/20 et dans l’affaire T 304/20, les requérants sont des personnes physiques et morales qui étaient actionnaires de Banco Popular Español, SA (ci-après « Banco Popular ») avant l’adoption d’un dispositif de résolution à l’égard de cette dernière. En revanche, dans l’affaire T 330/20, il s’agit de fonds de placement qui, avant l’adoption de ce même dispositif, détenaient des instruments de fonds propres, à l’exception de l’un d’entre eux, venu aux droits d’une entité détenant des obligations de Banco Popular.

Le 7 juin 2017, la session exécutive du Conseil de résolution unique (CRU) a adopté, sur le fondement du règlement no 806/2014 ( 1 ), un dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular ( 2 ), approuvé le même jour par la Commission européenne ( 3 ).

Avant l’adoption de ce dispositif, le CRU avait engagé le cabinet Deloitte Réviseurs d’Entreprises, en tant qu’évaluateur (ci-après le « cabinet évaluateur »), afin de réaliser une valorisation de Banco Popular, préalablement à une éventuelle résolution, ainsi que la valorisation de la différence de traitement, postérieurement à une résolution potentielle. Le 6 juin 2017, le cabinet évaluateur a remis au CRU une valorisation (ci-après la « valorisation 2 »), qui avait pour but d’estimer la valeur de l’actif et du passif de Banco Popular et de fournir une estimation sur le traitement dont les actionnaires et créanciers auraient bénéficié si Banco Popular avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité ainsi que des éléments permettant de prendre une décision concernant les actions et les titres de propriété à transférer et permettant au CRU de déterminer des conditions commerciales aux fins de l’instrument de cession des activités. Dans le dispositif de résolution, considérant que les conditions requises ( 4 ) étaient remplies, le CRU a décidé de soumettre Banco Popular à une procédure de résolution. Au terme d’un processus de vente transparent et ouvert réalisé par l’autorité de résolution espagnole, le Fonds de restructuration ordonnée des établissements bancaires (FROB), les nouvelles actions de Banco Popular ont été transférées à Banco Santander SA.

À la suite de l’adoption du dispositif de résolution, le cabinet évaluateur a transmis au CRU la valorisation de la différence de traitement ( 5 ) (ci-après la « valorisation 3 ») visant à déterminer si les actionnaires et créanciers affectés auraient bénéficié d’un meilleur traitement si Banco Popular avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité que celui dont ils ont fait l’objet du fait de la résolution. Cette valorisation a été réalisée dans le cadre d’un scénario de liquidation, en application de la législation espagnole, au moment où le dispositif de résolution a été adopté. Le cabinet évaluateur a estimé que l’ouverture d’une procédure normale d’insolvabilité aurait abouti à une liquidation non planifiée. Il a conclu qu’aucun recouvrement n’aurait été attendu dans le cadre d’une telle procédure et qu’il n’existait donc pas de différence de traitement avec celui résultant de la mesure de résolution.

Par la suite, afin de pouvoir prendre une décision finale sur la nécessité ou non de leur accorder un dédommagement en recourant au Fonds de résolution unique ( 6 ), le CRU a invité les actionnaires et créanciers affectés à lui faire part de leur intérêt à exercer leur droit d’être entendus, eu égard à sa décision préliminaire à ce sujet ( 7 ), dans laquelle il concluait, au regard de la valorisation 3, qu’il n’était pas tenu de leur verser un dédommagement. La procédure relative au droit d’être entendu s’est déroulée en deux phases successives, à savoir, la phase d’inscription, dans laquelle les actionnaires et créanciers affectés étaient invités à faire part de leur intérêt à exercer leur droit d’être entendus, puis la phase de consultation, au cours de laquelle les personnes concernées pouvaient soumettre leurs commentaires sur la décision préliminaire à laquelle était annexée la version non confidentielle de la valorisation 3.

À l’issue de cette phase de consultation, le CRU a examiné les commentaires pertinents et a reçu du cabinet évaluateur un document de clarification dans lequel ce dernier a confirmé que la stratégie et les différents scénarios de liquidation hypothétiques détaillés dans la valorisation 3 ainsi que les méthodologies suivies et les analyses menées restaient valables.

Le 17 mars 2020, le CRU a adopté la décision SRB/EES/2020/52, visant à déterminer si un dédommagement devait être accordé aux actionnaires et aux créanciers concernés par les mesures de résolution effectuées à l’égard de Banco Popular (ci-après la « décision attaquée »), dans laquelle il a considéré que le cabinet évaluateur était indépendant et que la valorisation 3 était conforme au cadre légal applicable et était suffisamment motivée et complète. Il a également présenté les commentaires transmis par les actionnaires et créanciers affectés ainsi que leur évaluation et a conclu qu’il n’existait pas de différence entre le traitement dont les actionnaires et créanciers affectés avaient réellement fait l’objet et celui dont ils auraient bénéficié si Banco Popular avait été soumise à une procédure normale d’insolvabilité à la date de la résolution.

Par ses arrêts, dans lesquels il conclut au rejet des trois recours, fondés sur l’article 263 TFUE, le Tribunal se prononce, pour la première fois, sur une demande d’annulation d’une décision du CRU concernant l’éventuel dédommagement des actionnaires et des créanciers affectés à la suite d’une résolution bancaire. À ce titre, le Tribunal examine plusieurs questions inédites soulevées dans les trois recours, en particulier concernant l’appréciation de la situation des actionnaires et créanciers affectés dans l’hypothèse où Banco Popular aurait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité, l’indépendance du cabinet évaluateur, le droit d’être entendu durant la procédure, le droit à un recours effectif et le droit de propriété.

Appréciation du Tribunal

En premier lieu, le Tribunal écarte les griefs pris de ce que la décision attaquée serait entachée d’illégalité quant à l’examen de la question de savoir si les anciens actionnaires de Banco Popular auraient bénéficié d’un meilleur traitement dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité.

Premièrement, le Tribunal relève, d’une part, qu’il ressort clairement des dispositions du règlement no 806/2014 que la référence ( 8 ) au traitement dont les actionnaires et créanciers de l’entité auraient bénéficié si celle-ci avait été soumise à une procédure normale d’insolvabilité renvoie à leur traitement hypothétique en cas de liquidation de l’entité. D’autre part, la méthode de valorisation dudit traitement définie dans le règlement délégué 2018/344 ( 9 ) correspond à la réalisation des actifs de l’établissement et donc à une liquidation, telle qu’elle est définie à l’article 3, paragraphe 1, point 42, du règlement no 806/2014.

Deuxièmement, pour établir la différence de traitement, la comparaison porte sur le traitement réel dont les actionnaires et les créanciers affectés ont fait l’objet du fait de la résolution et sur l’évaluation de leur situation dans l’hypothèse où la mesure de résolution n’aurait pas été adoptée, à savoir l’hypothèse où l’entité aurait été liquidée.

Troisièmement, le Tribunal constate que, dans le cadre de l’appréciation de la différence de traitement à la suite d’une résolution décidée par le FROB, le droit espagnol prévoit que le scénario contrefactuel est un scénario de liquidation de l’entité prenant en compte les dispositions de la législation espagnole relatives à la liquidation. Il en conclut que la détermination de la différence de traitement doit s’appuyer sur un scénario de liquidation, ce qui exclut la possibilité d’un scénario reposant sur une continuité d’exploitation de l’entité ou sur un concordat avec les créanciers.

Quatrièmement, le Tribunal précise que le scénario contrefactuel de liquidation envisagé dans la valorisation 3 devait être défini au regard de la situation de Banco Popular à la date de la résolution. À cette date, Banco Popular n’était pas en mesure de poursuivre ses activités du fait de sa situation de liquidité, de sa situation de défaillance avérée ou prévisible et du possible retrait de son agrément bancaire, et, pour ce motif, ni un concordat ni un scénario d’insolvabilité prenant l’hypothèse d’une entreprise en continuité d’exploitation n’étaient envisageables.

De même, le Tribunal rejette l’argument selon lequel le cabinet évaluateur aurait dû effectuer une valorisation de Banco Popular en envisageant la vente de l’établissement dans sa totalité ou par unité de production, dès lors qu’elle implique une poursuite des activités de l’entreprise. Le cabinet évaluateur n’a donc pas commis d’erreur en utilisant une méthodologie fondée sur un scénario de liquidation et sur la vente des actifs individuellement ou par portefeuille.

Cinquièmement, la décision attaquée n’est entachée d’aucune erreur manifeste d’appréciation tant s’agissant de la prise en compte d’une durée maximale de la procédure de liquidation de sept ans, compte tenu notamment de l’objectif de réaliser une liquidation dans un délai raisonnable ainsi que des incertitudes induites par une durée de liquidation prolongée, que s’agissant de la valorisation des portefeuilles de prêts performants et non performants, des filiales immobilières de Banco Popular et des risques juridiques.

En deuxième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré de l’absence d’indépendance du cabinet évaluateur.

Premièrement, il relève que les circonstances de l’espèce, d’une part, n’établissent pas que le cabinet évaluateur, en réalisant la valorisation 3, a été influencé par le fait qu’il avait réalisé la valorisation 2 et, d’autre part, viennent contredire l’argument selon lequel il pouvait raisonnablement sembler manquer d’objectivité ou d’impartialité.

En effet, dans la valorisation 3, l’analyse de la différence de traitement s’appuie sur le traitement réel dont les actionnaires et créanciers affectés ont fait l’objet à l’issue de la résolution. L’évaluation de l’actif et du passif de Banco Popular figurant dans la première partie de la valorisation 2 n’a pas été prise en compte dans la valorisation 3 et ne pouvait donc influencer le cabinet évaluateur lorsqu’il a réalisé cette dernière.

De plus, la valorisation 2 contenait de nombreuses réserves quant à la fiabilité de la simulation du scénario de liquidation. Dès lors, le Tribunal écarte le grief pris de ce que le cabinet évaluateur, dans le but de protéger sa réputation professionnelle, se serait estimé lié par les conclusions figurant dans la valorisation 2 lorsqu’il a réalisé la valorisation 3.

En outre, le Tribunal rejette l’argument selon lequel le cabinet évaluateur aurait été incité à éviter toute rectification ou modification des conclusions contenues dans la valorisation 2, au motif qu’il est contredit par les circonstances dans lesquelles les valorisations 2 et 3 ont été effectuées. En effet, la valorisation 3 s’appuyait sur des informations plus fines que celles dont disposait le cabinet évaluateur au stade de la valorisation 2. Par ailleurs, le CRU, dès la réception de la valorisation 2, était informé du fait que le cabinet évaluateur devrait s’appuyer sur de nouvelles données dans la valorisation 3 et donc modifier l’évaluation effectuée dans la simulation du scénario de liquidation. Dans la valorisation 3, le cabinet évaluateur ne s’est pas contenté de confirmer le résultat de la simulation figurant dans la valorisation 2. Du reste, le seul fait que le cabinet évaluateur soit arrivé à la même conclusion ne saurait suffire à établir qu’il s’est estimé tenu par son évaluation réalisée dans la valorisation 2 lorsqu’il a effectué la valorisation 3.

Enfin, le Tribunal rejette le grief pris de ce que le CRU aurait dû faire appel à un évaluateur différent pour procéder à une valorisation selon une méthode différente, puisque l’évaluation du traitement des actionnaires et créanciers affectés devait être effectuée selon un scénario de liquidation. De même, aucune disposition du règlement no 806/2014 ni du règlement délégué 2016/1075 ne s’oppose explicitement à ce que les valorisations 2 et 3 soient réalisées par le même évaluateur.

Deuxièmement, le Tribunal rejette les griefs tirés d’un manque d’indépendance du cabinet évaluateur en raison de ses prétendus liens avec Banco Popular et Banco Santander.

À ce titre, il observe que, à la date de la désignation du cabinet évaluateur comme évaluateur indépendant, d’une part, l’identité de l’acquéreur n’était pas connue, de sorte qu’il n’était pas possible de prendre en compte les liens entre le cabinet évaluateur et Banco Santander et, d’autre part, le cabinet évaluateur ne fournissait plus de services d’audit à Banco Santander.

Le Tribunal souligne que, tout au long de la procédure relative à la résolution de Banco Popular, le CRU a veillé, ainsi qu’il était tenu de le faire, à ce que le cabinet évaluateur respecte les exigences d’indépendance et, en particulier, celles relatives à l’absence de conflit d’intérêts, prévues par le règlement délégué 2016/1075 ( 10 ).

Ainsi, c’est sans commettre d’erreur que le CRU a considéré que les services fournis par le cabinet évaluateur tant à Banco Popular qu’à Banco Santander n’étaient pas de nature à influencer le jugement de celui-ci dans la réalisation de la valorisation 3 et n’étaient donc pas de nature à établir l’existence d’intérêts significatifs, réels ou potentiels en commun ou en conflit avec elles.

De même, aucun argument ne remet en cause les appréciations du CRU relatives à l’absence de lien entre, d’une part, les services d’audit et les services relatifs à l’intégration de Banco Popular fournis à Banco Santander par le cabinet évaluateur et, d’autre part, les éléments pertinents pour la valorisation 3, laquelle ne concernait que l’évaluation de Banco Popular et non celle de Banco Santander.

En outre, les requérants n’expliquent pas de quelle manière ces services prestés par le cabinet évaluateur auraient été de nature à influencer ou auraient pu être raisonnablement perçus comme influençant son jugement dans la réalisation de la valorisation 3.

Par ailleurs, le Tribunal estime que constater que le CRU aurait dû tenir compte d’une apparence de manque d’objectivité ou d’impartialité du cabinet évaluateur du fait de ses liens avec Banco Santander suppose d’établir que, lorsque le premier a estimé, dans la valorisation 3, que les actionnaires et créanciers affectés n’auraient pas bénéficié d’un meilleur traitement dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité, il aurait entendu favoriser la seconde. En outre, à supposer même que le cabinet évaluateur ait conclu, dans la valorisation 3, que les actionnaires et créanciers affectés auraient bénéficié d’un meilleur traitement dans l’hypothèse d’une liquidation de Banco Popular, le dédommagement qui pourrait en résulter serait versé par le fonds de résolution unique et non par Banco Santander.

De plus, le Tribunal considère que le résultat de la valorisation 3 est sans influence sur la légalité et la légitimité de la décision de soumettre Banco Popular à une procédure de résolution ainsi que sur le résultat de cette résolution, à savoir sa vente à Banco Santander, et qu’il ne peut avoir pour conséquence d’ouvrir un droit à une indemnisation des actionnaires et créanciers affectés de la part de Banco Santander.

Le Tribunal conclut que, dans la mesure où la valorisation 3, quel que soit son résultat, ne pouvait affecter la situation de Banco Santander, le cabinet évaluateur n’était pas en mesure de la favoriser. Dès lors, leurs liens ne sauraient faire naître un doute légitime quant à l’existence d’un éventuel préjugé ni conduire à un manque d’objectivité ou d’impartialité du cabinet évaluateur. Ces liens ne constituaient pas une circonstance de nature à remettre en cause son indépendance pour réaliser la valorisation 3 et sa désignation par le CRU comme évaluateur indépendant.

En troisième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré d’une prétendue violation du droit d’être entendu des actionnaires et créanciers, en particulier, en ce que le CRU leur aurait imposé de formuler leurs commentaires dans un formulaire.

À ce titre, premièrement, il rappelle que le respect du droit d’être entendu doit être assuré même en absence d’une réglementation prévoyant expressément l’exercice de ce droit et que ni le règlement no 806/2014 ni la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ne prévoient de procédure spécifique pour mettre en œuvre le droit d’être entendu. Ainsi, le choix du CRU d’utiliser un formulaire pour recueillir les commentaires des actionnaires et des créanciers affectés relevait de sa marge d’appréciation dans l’organisation de cette procédure, pour permettre aux actionnaires et aux créanciers affectés d’exercer leur droit d’être entendu, sous réserve qu’ils puissent l’exercer de manière effective et utile.

Deuxièmement, en l’espèce, le Tribunal observe que le CRU a examiné tous les commentaires reçus et a expliqué, dans la décision attaquée, pour quel motif certains de ces commentaires n’étaient pas pertinents aux fins de l’adoption de la décision attaquée et il rejette l’argument tiré de la violation du droit d’être entendu au motif que le CRU a écarté des commentaires non pertinents.

Troisièmement, il constate que, dans le formulaire, les questions étaient rédigées de manière neutre sous la forme d’une présentation succincte du thème concerné et d’un renvoi aux parties de la décision préliminaire ou de la valorisation 3 visées, suivie d’une invitation aux actionnaires et aux créanciers affectés à présenter leurs commentaires ou leurs avis sur ce thème.

Quatrièmement, le Tribunal rejette l’argument relatif à la limitation de la longueur des réponses au formulaire au motif qu’il est purement théorique et n’est pas susceptible d’établir à suffisance de droit que, à défaut d’une telle limite, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent.

En effet, d’une part, les commentaires présentés durant la procédure relative au droit d’être entendu en réponse au formulaire ont fait l’objet d’une analyse détaillée dans la décision attaquée et ont conduit le cabinet évaluateur à adopter le document de clarification. Ainsi, quand bien même la longueur des commentaires était limitée, le CRU et le cabinet évaluateur y ont répondu de manière circonstanciée.

D’autre part, les requérants n’indiquent pas quels commentaires, autres que ceux qui avaient été formulés et auxquels le CRU et le cabinet évaluateur avaient répondu, ils auraient été empêchés de faire valoir en raison de la taille du formulaire. Ils ne précisent pas non plus quels seraient les documents qu’ils auraient souhaité pouvoir joindre au formulaire.

En quatrième lieu, le Tribunal rejette comme inopérant le moyen, tiré de ce que la valorisation 3 s’appuie sur une base erronée concernant l’état financier de Banco Popular au moment de sa résolution.

En effet, il rappelle que l’appréciation de la différence de traitement devait être effectuée au moment où le dispositif de résolution a été adopté. Or, le rapport d’expertise de la Banque d’Espagne du 8 avril 2019, sur lequel s’appuient les requérants et dont la production par voie d’une mesure d’instruction était demandée, concerne des événements antérieurs à la résolution de Banco Popular, qui n’étaient pas pertinents pour réaliser la valorisation 3.

En cinquième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré de ce que le CRU a indûment délégué au cabinet évaluateur les pouvoirs de décision que lui confère le règlement no 806/2014.

Premièrement, après avoir constaté que les requérants ne soulèvent pas d’exception d’illégalité du règlement no 806/2014, ni de griefs tirés de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire par le CRU ou d’un manque de clarté concernant la délimitation des compétences de ce dernier dans ce règlement, ni de griefs tirés de la violation dudit règlement par le CRU, en ce qu’il aurait agi en dehors des pouvoirs que celui-ci lui confère, le Tribunal juge que les arguments visant à reprocher au CRU d’avoir conféré un pouvoir décisionnel au cabinet évaluateur ne sauraient établir une violation des principes relatifs à la délégation de pouvoir

Deuxièmement, le Tribunal rappelle que la décision de ne pas accorder de dédommagement aux actionnaires et aux créanciers affectés a bien été adoptée par le CRU et non par le cabinet évaluateur.

En outre, en application du règlement no 806/2014, les aspects économiques et techniques de l’évaluation du traitement dont les actionnaires et créanciers affectés auraient bénéficié si Banco Popular avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité devaient être appréciés par un évaluateur indépendant et non par le CRU lui-même. Ainsi, le fait, pour le CRU, d’avoir confié au cabinet évaluateur la réalisation de la valorisation 3 ne saurait être interprété comme une délégation de son pouvoir d’adopter la décision.

Troisièmement, d’une part, au regard des dispositions du règlement no 806/2014, le fait que le CRU ait approuvé les conclusions de la valorisation 3 ne saurait être interprété comme une absence de contrôle par celui-ci du respect des exigences auxquelles l’évaluateur indépendant doit se conformer lorsqu’il réalise sa valorisation. D’autre part, il ressort du contenu même de la décision attaquée que le CRU ne s’est pas contenté de résumer la valorisation 3 et le document de clarification, mais qu’il a examiné leur validité au regard des commentaires des actionnaires et des créanciers affectés.

En sixième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré d’une violation du droit à un recours effectif.

S’agissant de la non-divulgation de certaines informations dans la version non confidentielle de la valorisation 3, annexée à la décision préliminaire, le Tribunal relève que l’appréciation du CRU selon laquelle les données expurgées relatives aux provisions pour risques juridiques figurant dans la valorisation 3 étaient couvertes par le secret professionnel et étaient confidentielles n’est pas contestée, pas plus qu’il n’est contesté que le CRU a l’obligation de protéger les données confidentielles ( 11 ). En outre, les requérants n’indiquent pas que ces données expurgées seraient nécessaires à la compréhension de la décision attaquée ou à l’exercice de leur droit à un recours juridictionnel effectif.

En septième lieu, le Tribunal rejette le moyen tiré d’une violation du droit de propriété.

Le Tribunal rappelle que le règlement no 806/2014 met en place un mécanisme visant à garantir aux actionnaires et aux créanciers de l’entité soumise à une résolution une juste indemnité conformément aux exigences de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte.

En l’espèce, à défaut d’établir que le CRU avait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant, sur le fondement de la valorisation 3, que les actionnaires et créanciers affectés de Banco Popular n’auraient pas été mieux traités dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité que dans le cadre de la résolution, les requérants n’ont pas démontré une violation de leur droit de propriété résultant de la décision attaquée.

Par ailleurs, il ne saurait valablement être soutenu que le CRU a violé l’article 17 de la Charte dans la mesure où la valeur du dédommagement au titre du principe selon lequel aucun créancier n’est plus mal traité a été calculée sur le fondement du pire scénario possible pour les actionnaires, à savoir une procédure de liquidation de Banco Popular. En effet, l’application d’un scénario contrefactuel de liquidation est conforme aux dispositions applicables.


( 1 ) Règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1).

( 2 ) Décision SRB/EES/2017/08 concernant l’adoption d’un dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular (ci-après le « dispositif de résolution »).

( 3 ) Décision (UE) 2017/1246 de la Commission européenne, approuvant le dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular (JO 2017, L 178, p.15).

( 4 ) En vertu de l’article 18, paragraphe 1, du règlement no 806/2014.

( 5 ) En vertu de l’article 20, paragraphes 16 à 18, du règlement no 806/2014.

( 6 ) En vertu de l’article 76, paragraphe 1, sous e), du règlement no 806/2014.

( 7 ) Décision préliminaire du CRU sur la nécessité d’accorder ou non un dédommagement aux actionnaires et aux créanciers qui ont fait l’objet des mesures de résolution concernant Banco Popular et au lancement de la procédure du droit d’être entendu (SRB/EES/2018/132) (ci-après la « décision préliminaire »).

( 8 ) En vertu de l’article 20, paragraphes 16 à 18, du règlement no 806/20104.

( 9 ) Règlement délégué (UE) 2018/344 de la Commission, du 14 novembre 2017, complétant la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation précisant les critères relatifs aux méthodes de valorisation de la différence de traitement dans le cadre de la procédure de résolution (JO 2018, L 67, p. 3).

( 10 ) En vertu de l’article 41 du règlement délégué (UE) 2016/1075 de la Commission, du 23 mars 2016, complétant la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation précisant le contenu des plans de redressement, des plans de résolution et des plans de résolution de groupe, les critères minimaux que l’autorité compétente doit prendre en compte pour évaluer les plans de redressement et les plans de redressement de groupe, les conditions préalables à un soutien financier de groupe, les exigences relatives à l’indépendance des évaluateurs, les conditions de la reconnaissance contractuelle des pouvoirs de dépréciation et de conversion, les exigences de procédure et de contenu concernant les notifications et l’avis de suspension ainsi que le fonctionnement des collèges d’autorités de résolution (JO 2016, L 184, p. 1).

( 11 ) En vertu de l’article 88, paragraphe 5, du règlement no 806/2014.

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