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Document 62020CJ0497

    Arrêt de la Cour (grande chambre) du 21 décembre 2021.
    Randstad Italia SpA contre Umana SpA e.a.
    Renvoi préjudiciel – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Obligation des États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Marchés publics – Directive 89/665/CEE – Article 1er, paragraphes 1 et 3 – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Arrêt de la juridiction suprême de l’ordre administratif d’un État membre déclarant, en méconnaissance de la jurisprudence de la Cour, irrecevable le recours d’un soumissionnaire exclu d’une procédure de passation de marché public – Absence de voie de recours contre cet arrêt devant la juridiction suprême de l’ordre judiciaire de cet État membre – Principes d’effectivité et d’équivalence.
    Affaire C-497/20.

    Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2021:1037

    Affaire C‑497/20

    Randstad Italia SpA

    contre

    Umana SpA e.a.

    (demande de décision préjudicielle, introduite par la Corte suprema di cassazione)

    Arrêt de la Cour (grande chambre) du 21 décembre 2021

    « Renvoi préjudiciel – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – Obligation des États membres d’établir les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Marchés publics – Directive 89/665/CEE – Article 1er, paragraphes 1 et 3 – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Arrêt de la juridiction suprême de l’ordre administratif d’un État membre déclarant, en méconnaissance de la jurisprudence de la Cour, irrecevable le recours d’un soumissionnaire exclu d’une procédure de passation de marché public – Absence de voie de recours contre cet arrêt devant la juridiction suprême de l’ordre judiciaire de cet État membre – Principes d’effectivité et d’équivalence »

    1. Rapprochement des législations – Procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux – Directive 89/665 – Obligation pour les États membres de prévoir une procédure de recours – Modalités procédurales – Pouvoir d’appréciation des États membres – Limites – Obligation d’assurer le respect du droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial

      [Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; directive du Conseil 89/665, telle que modifiée par la directive 2014/23, art. 1er, § 1 et 3)]

      (voir point 49)

    2. États membres – Obligations – Établissement des voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective – Principe de l’autonomie procédurale – Réglementation nationale ayant pour effet de priver les justiciables de la possibilité de contester la conformité au droit de l’Union d’un arrêt de la juridiction suprême de l’ordre administratif dans le cadre d’un pourvoi en cassation devant la juridiction suprême de l’ordre judiciaire – Admissibilité – Conditions – Respect des principes d’équivalence et d’effectivité – Recours d’un soumissionnaire exclu d’une procédure de passation de marché public visant à démontrer l’irrégularité de cette procédure – Possibilité d’introduire ce recours devant un tribunal indépendant et impartial

      (Art. 4, § 3, et 19, § 1, 2d al., TUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47 ; directive du Conseil 89/665, telle que modifiée par la directive 2014/23, art. 1er, § 1 et 3)

      (voir points 56-66, 69, 78, 81 et disp.)

    3. Rapprochement des législations – Procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux – Directive 89/665 – Obligation pour les États membres de prévoir une procédure de recours – Accès aux procédures de recours – Recours d’un soumissionnaire exclu d’une procédure de passation de marché public visant à démontrer l’irrégularité de cette procédure – Recevabilité – Condition relative à l’introduction de ce recours par un soumissionnaire n’ayant pas été définitivement exclu de la procédure

      (Directive du Conseil 89/665, telle que modifiée par la directive 2014/23, art. 1er, § 1 et 3, et 2 bis)

      (voir points 67, 68, 70-77)

    Résumé

    Le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que la juridiction suprême de l’ordre judiciaire d’un État membre ne puisse annuler un arrêt rendu en violation de ce droit par la juridiction suprême de l’ordre administratif de cet État membre

    Ceci est sans préjudice toutefois de la possibilité pour les personnes lésées par une telle violation de demander réparation de la part de l’État membre concerné

    Azienda USL Valle d’Aosta (agence sanitaire locale de la région Val d’Aoste, Italie) a lancé une procédure de passation d’un marché public, afin de désigner une agence pour l’emploi aux fins de la mise à disposition temporaire de personnel. Randstad Italia SpA (ci-après « Randstad ») figurait parmi les soumissionnaires ayant participé à cette procédure. À la suite de l’évaluation des offres techniques, Randstad a été exclue, au motif que son offre n’avait pas atteint la note correspondant au seuil obligatoire fixé.

    Randstad a introduit devant la juridiction administrative de première instance compétente un recours visant, d’une part, à contester son exclusion de la procédure de passation de marché et, d’autre part, à démontrer l’irrégularité de cette procédure. Le recours a été déclaré recevable mais a été rejeté sur le fond. Toutefois, saisi en appel, le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) a considéré que les moyens visant à contester la régularité de la procédure auraient dû être déclarés irrecevables, Randstad étant dépourvue de la qualité pour soulever ces moyens. Ainsi, il a réformé sur ce point le jugement rendu en première instance. Randstad a introduit un pourvoi contre cet arrêt devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie). Celle-ci a souligné, sur le fond, que le refus par le Conseil d’État d’examiner les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure de passation de marché porte atteinte au droit à un recours effectif, au sens du droit de l’Union. Cependant, elle a relevé que le droit constitutionnel italien ( 1 ), tel qu’interprété par la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) ( 2 ), exige de déclarer un tel pourvoi irrecevable. En effet, contre les décisions du Conseil d’État, le pourvoi en cassation n’est admis que pour des moyens tenant à la compétence juridictionnelle, alors que, en l’espèce, le pourvoi de Randstad était fondé sur un moyen tiré d’une violation du droit de l’Union.

    Dans ce contexte, la Cour de cassation a décidé de saisir la Cour afin de clarifier, en substance, si le droit de l’Union ( 3 ) s’oppose à une disposition du droit interne qui, selon la jurisprudence nationale, ne permet pas au justiciable de contester, dans le cadre d’un pourvoi en cassation devant cette juridiction, la conformité au droit de l’Union d’un arrêt de la juridiction suprême de l’ordre administratif.

    La Cour, réunie en grande chambre, juge qu’une telle disposition est conforme au droit de l’Union.

    Appréciation de la Cour

    Au regard du principe de l’autonomie procédurale, la Cour observe que, sous réserve de l’existence de règles de l’Union en la matière, il appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des voies de recours pour assurer aux justiciables, dans les domaines couverts par le droit de l’Union, le respect de leur droit à une protection juridictionnelle effective, au sens de l’article 19 TUE. Toutefois, il y a lieu d’assurer que ces modalités ne sont pas moins favorables que dans des situations similaires soumises au droit interne (principe d’équivalence) et qu’elles ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité). Ainsi, le droit de l’Union, en principe, ne s’oppose pas à ce que les États membres limitent ou soumettent à des conditions les moyens susceptibles d’être invoqués dans les procédures de cassation, à condition que ces deux principes soient respectés.

    En ce qui concerne le principe d’équivalence, la Cour relève que, en l’espèce, la compétence de la juridiction de renvoi pour connaître de pourvois contre des arrêts du Conseil d’État est limitée selon les mêmes modalités, qu’ils trouvent leur fondement dans des dispositions de droit national ou dans des dispositions de droit de l’Union. Par conséquent, le respect de ce principe est assuré.

    Quant au principe d’effectivité, la Cour rappelle que le droit de l’Union n’a pas pour effet de contraindre les États membres à instituer des voies de droit autres que celles établies par le droit interne, à moins qu’il n’existe aucune voie de recours juridictionnelle permettant d’assurer le respect des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union. Pourvu que, en l’espèce, la juridiction de renvoi constate l’existence d’une telle voie de recours juridictionnelle, ce qui semble a priori être le cas, il est parfaitement loisible, sous l’angle du droit de l’Union, à l’État membre concerné, d’investir la juridiction suprême de son ordre administratif de la compétence de statuer en dernier ressort sur le litige, en fait comme en droit, et d’empêcher, en conséquence, que ce même litige puisse encore être examiné au fond dans le cadre d’un pourvoi en cassation devant la juridiction suprême de son ordre judiciaire. Ainsi, la disposition nationale en cause ne porterait pas non plus atteinte au principe d’effectivité et ne révélerait aucun élément permettant de conclure à la méconnaissance de l’article 19 TUE. Cette conclusion n’est pas en contradiction avec les dispositions de la directive 89/665 qui, dans le domaine de la passation des marchés publics, obligent les États membres à garantir le droit à un recours effectif ( 4 ).

    Toutefois, la Cour relève que, au regard du droit à un recours effectif garanti par cette directive et par l’article 47 de la Charte, c’est à tort que le Conseil d’État a considéré comme irrecevable le recours de Randstad devant les juridictions administratives. À cet égard, la Cour rappelle, d’une part, qu’il suffit, pour déclarer ce recours recevable, qu’il existe une possibilité que le pouvoir adjudicateur soit, pour le cas dans lequel le recours est accueilli, amené à réitérer la procédure de passation de marché public. D’autre part, en vertu de ladite directive, le recours ne peut être introduit que par le soumissionnaire qui n’est pas encore définitivement exclu de la procédure de passation de marché, et l’exclusion d’un soumissionnaire n’est définitive que si elle lui a été notifiée et a été « jugée licite » par un tribunal indépendant et impartial ( 5 ).

    En l’occurrence, le Conseil d’État a méconnu cette règle, dans la mesure où tant au moment où Randstad a introduit son recours devant la juridiction de première instance qu’au moment où celle-ci a statué, la décision de la commission d’adjudication d’exclure ce soumissionnaire de la procédure n’avait pas encore été jugée licite par ladite juridiction ou par une quelconque autre instance de recours indépendante.

    Toutefois, dans une situation telle que celle en l’espèce, où le droit procédural national permet, en soi, aux intéressés d’introduire un recours devant un tribunal indépendant et impartial et de faire valoir devant lui, de manière effective, une violation du droit de l’Union ainsi que des dispositions du droit national qui le transposent dans l’ordre juridique interne, mais où la juridiction suprême de l’ordre administratif de l’État membre concerné, statuant en dernier ressort, subordonne indûment la recevabilité de ce recours à des conditions qui ont pour effet de priver ces intéressés de leur droit à un recours effectif, le droit de l’Union n’exige pas que cet État membre prévoie, afin de remédier à la violation de ce droit à un recours effectif, la possibilité de saisir la juridiction suprême de l’ordre judiciaire d’un pourvoi contre de telles décisions d’irrecevabilité émanant de la juridiction administrative suprême.

    La Cour souligne enfin que cette solution est sans préjudice de la faculté qu’ont les particuliers qui auraient, le cas échéant, été lésés par la violation de leur droit à un recours effectif du fait d’une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort, d’engager la responsabilité de l’État membre concerné, pourvu que les conditions prévues par le droit de l’Union à cet effet soient satisfaites, en particulier celle tenant au caractère suffisamment caractérisé de la violation dudit droit.


    ( 1 ) Article 111, huitième alinéa, de la Costituzione (Constitution).

    ( 2 ) Arrêt no 6/2018, du 18 janvier 2018, portant sur l’interprétation de l’article 111, huitième alinéa, de la Constitution (ECLI :IT :COST :2018 :6).

    ( 3 ) Article 4, paragraphe 3, et article 19, paragraphe 1, TUE, et article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux, telle que modifiée par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, lu à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

    ( 4 ) Article 1er, paragraphes 1 et 3, de la directive 89/665.

    ( 5 ) Article 2 bis, paragraphe 2, de la directive 89/665, interprété à la lumière de l’article 47 de la Charte.

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