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Document 62019TJ0027

    Arrêt du Tribunal (neuvième chambre élargie) du 2 février 2022.
    Pilatus Bank plc et Pilatus Holding ltd. contre Banque centrale européenne.
    Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Missions spécifiques de surveillance confiées à la BCE – Décision de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Inculpation de l’actionnaire principal dans un pays tiers – Critère d’honorabilité – Perception de l’honorabilité par le marché – Présomption d’innocence – Proportionnalité – Droits de la défense.
    Affaire T-27/19.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:T:2022:46

    Affaire T‑27/19

    Pilatus Bank plc
    et
    Pilatus Holding ltd.

    contre

    Banque centrale européenne

    Arrêt du Tribunal (neuvième chambre élargie) du 2 février 2022

    « Politique économique et monétaire – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Missions spécifiques de surveillance confiées à la BCE – Décision de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Inculpation de l’actionnaire principal dans un pays tiers – Critère d’honorabilité – Perception de l’honorabilité par le marché – Présomption d’innocence – Proportionnalité – Droits de la défense »

    1. Recours en annulation – Personnes physiques ou morales – Actes les concernant directement et individuellement – Affectation directe – Décision de la Banque centrale européenne (BCE) de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Absence d’affectation directe des actionnaires dudit établissement de crédit – Irrecevabilité

      (Art. 263, 4e al., TFUE)

      (voir point 33)

    2. Politique économique et monétaire – Politique économique – Surveillance du secteur financier de l’Union – Mécanisme de surveillance unique – Répartition des compétences entre la Banque centrale européenne (BCE) et les autorités nationales – Décision de la BCE de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Absence d’incidence des actes adoptés par les autorités nationales sur la légalité de cette décision – Surveillance directe d’un établissement de crédit par la BCE – Conditions

      [Règlement du Conseil no 1024/2013, art. 4, § 1, a), 6, § 5, b), et 14, § 5]

      (voir points 43, 45-47, 50-53)

    3. Politique économique et monétaire – Politique économique – Surveillance du secteur financier de l’Union – Mécanisme de surveillance unique – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Décision de la Banque centrale européenne (BCE) de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Motif de retrait fondé sur l’inculpation de l’actionnaire principal dans un pays tiers – Critère d’honorabilité – Portée – Prise en compte de la perception de l’honorabilité de cet actionnaire par le marché – Manque d’honorabilité justifiant le retrait de l’agrément

      (Règlement du Conseil no 1024/2013, art. 1er, 1er al., 4, § 1 et 3, 14, § 5 ; directive du Parlement européen et du Conseil 2013/36, art. 14, § 2, 18 et 23, § 1)

      (voir points 71-80, 97-102, 113)

    4. Politique économique et monétaire – Politique économique – Surveillance du secteur financier de l’Union – Mécanisme de surveillance unique – Surveillance prudentielle des établissements de crédit – Décision de la Banque centrale européenne (BCE) de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Motif de retrait fondé sur l’inculpation de l’actionnaire principal dans un pays tiers – Absence d’obligation de la BCE d’examiner le bien-fondé des poursuites contenues dans l’acte d’inculpation – Appréciation des conséquences des poursuites

      [Règlement du Conseil no 1024/2013, art. 4, § 1, a) et 14, § 5 ; directive du Parlement et du Conseil 2013/36, art. 14, § 2, et 23]

      (voir 114, 116-120)

    5. Droit de l’Union européenne – Principes – Droits fondamentaux – Présomption d’innocence – Décision de la Banque centrale européenne (BCE) de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Motif de retrait fondé sur l’inculpation de l’actionnaire principal dans un pays tiers – Absence de réexamen, par la BCE, des faits relatifs à l’acte d’inculpation – Violation du principe de présomption d’innocence – Absence

      (Art. 6, § 1, TUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 48, § 1)

      (voir points 196-198, 200-205)

    6. Droit de l’Union européenne – Principes – Droits de la défense – Décision de la Banque centrale européenne (BCE) de retrait de l’agrément d’un établissement de crédit – Conséquences sur les droits de la défense résultant de l’acte adopté par les autorités nationales – Absence de responsabilité de la BCE

      (Art. 6, § 1, TUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 41, 47 et 48 ; règlement du Conseil no 1024/2013)

      (voir points 235-238, 242-250)

    Résumé

    Pilatus Bank plc est un établissement de crédit de droit maltais, soumis à la surveillance prudentielle de la Malta Financial Services Authority (MFSA, Autorité maltaise des services financiers). À la suite de l’inculpation, aux États-Unis, pour des infractions financières, de son actionnaire principal, qui en détient indirectement le contrôle intégral, cet établissement a reçu plusieurs demandes de retrait de dépôts, représentant environ 40 % des dépôts figurant à son bilan.

    En réaction à cette situation, la MFSA a adopté trois décisions, respectivement relatives à la suspension des droits de vote de l’actionnaire inculpé, au moratoire par lequel elle enjoint à Pilatus Bank plc de n’autoriser aucune transaction bancaire et à la nomination d’une personne compétente chargée de l’exercice de l’essentiel des pouvoirs normalement dévolus aux organes de direction de cet établissement en ce qui concerne ses activités spécifiques et ses actifs. Elle a ensuite soumis à la Banque centrale européenne (BCE) une proposition de retrait de l’agrément de Pilatus Bank plc pour l’accès aux activités d’établissement de crédit ( 1 ), sur la base de laquelle la BCE a adopté une décision en ce sens.

    Le Tribunal rejette le recours introduit par Pilatus Bank plc contre cette décision de la BCE. Cette affaire a notamment permis au Tribunal, pour la première fois, de se prononcer sur le retrait de l’agrément d’un établissement de crédit pour manque d’honorabilité de son actionnaire.

    Appréciation du Tribunal

    Tout d’abord, le Tribunal relève que les critères que les actionnaires candidats à l’acquisition d’une participation qualifiée dans un établissement de crédit doivent respecter, parmi lesquels figure le critère d’honorabilité, sont applicables à l’évaluation de la qualité des actionnaires effectuée aux fins du retrait d’un agrément pour l’accès aux activités d’établissement de crédit ( 2 ). Ainsi, les autorités compétentes peuvent retirer un agrément d’un établissement de crédit si, compte tenu de la nécessité de garantir la gestion saine et prudente de cet établissement et d’assurer la sauvegarde et la solidité du système financier au sein de l’Union et dans chaque État membre, ces autorités ne sont pas satisfaites de la qualité des actionnaires, notamment en raison de leur manque d’honorabilité.

    Ensuite, le Tribunal apporte des précisions sur la notion d’« honorabilité », tout en relevant qu’il s’agit d’une notion juridique indéterminée et que les autorités compétentes jouissent d’une marge d’appréciation dans l’application du critère d’honorabilité. Or, au sens courant, l’honorabilité se réfère à la qualité d’une personne qui se conforme aux normes et aux règles d’usage ainsi qu’à la réputation dont cette personne jouit auprès du public quant à cette aptitude et à son comportement. Ainsi, l’honorabilité dépend non seulement du comportement d’une personne, mais également de la perception de ce comportement par autrui. En procédant à l’évaluation de l’honorabilité des actionnaires des établissements de crédit, il convient de tenir compte, d’une part, de la conformité de leur conduite avec les lois et les réglementations applicables et, d’autre part, de la perception de cette conduite et de leur réputation par le public et par les acteurs des marchés financiers.

    Par la suite, le Tribunal juge que, en l’espèce, la BCE a considéré à bon droit que, en raison de l’inculpation de l’actionnaire principal de Pilatus Bank plc et de la perception corrélative de son honorabilité par les acteurs des marchés financiers, qui s’est traduite par d’importantes conséquences négatives pour la situation de cet établissement, le manque d’honorabilité de cet actionnaire justifiait le retrait de l’agrément de Pilatus Bank plc pour l’accès aux activités d’un établissement de crédit. En effet, la décision de retrait a été motivée par les effets négatifs concrets que l’acte d’inculpation avait eus sur la réputation de l’actionnaire inculpé et de Pilatus Bank plc, sur la confiance du public à son égard et, ainsi, sur le caractère sain de sa gestion et la solidité du système financier au sein de l’Union et dans chaque État membre. Parmi ces effets ont été identifiées les demandes significatives de retrait de dépôts, la cessation des relations bancaires correspondantes, la résiliation des contrats ainsi que la dégradation du ratio de risque de Pilatus Bank plc.

    Eu égard à ces effets négatifs concrets, la BCE n’était pas obligée de prendre en considération le fait que le comportement incriminé de l’actionnaire principal de Pilatus Bank plc puisse ne pas être illégal en vertu du droit de l’Union. En effet, l’élément le plus important à prendre en compte n’est pas le bien-fondé des poursuites contenues dans l’acte d’inculpation en vertu du droit de l’Union ou de l’État tiers concerné, mais les conséquences de ces poursuites sur la réputation de l’actionnaire inculpé, sur la situation de Pilatus Bank plc et sur le marché bancaire dans son ensemble. Cependant, il n’en demeure pas moins que la BCE est tenue de considérer tout élément présenté dans le cadre de la procédure administrative, susceptible de démontrer l’absence d’incidence de telles poursuites sur la réputation ou la gestion de l’établissement concerné, et qui pourrait découler, éventuellement, du caractère abusif ou manifestement dénué de fondement de telles poursuites.

    Enfin, le Tribunal constate, que, en l’espèce, la BCE n’a violé ni la présomption d’innocence de Pilatus Bank plc ni les droits de la défense.

    En ce qui concerne le principe de présomption d’innocence, le Tribunal relève que l’absence de réexamen des faits relatifs à l’acte d’inculpation de l’actionnaire ne démontre pas une violation de ce principe. En effet, dans la décision attaquée, la BCE a clairement indiqué que l’acte d’inculpation contenait des allégations. Cette décision n’impliquait donc pas une accusation de nature criminelle et ne constituait pas une constatation de l’infraction. Le Tribunal souligne que la surveillance prudentielle, qui vise à assurer la gestion saine des établissements de crédit et la sauvegarde de la solidité du système financier au sein de l’Union et dans chaque État membre, poursuit des objectifs différents des objectifs des poursuites criminelles, qui visent à sanctionner des comportements punis par la loi.

    Pour ce qui est des droits de la défense de Pilatus Bank plc, qui auraient été violés notamment en raison de l’impossibilité, pour ses administrateurs, de rémunérer son conseil et d’accéder à ses ressources et à ses informations, le Tribunal constate que ces circonstances résultent exclusivement de la décision de la MFSA de désigner une personne compétente chargée de l’exercice de l’essentiel des pouvoirs normalement dévolus aux organes de direction de cet établissement en ce qui concerne ses activités spécifiques et ses actifs. Toutefois, une telle décision n’a pas d’incidence sur la décision attaquée et son adoption relève de la compétence de l’autorité nationale. Ainsi, la BCE ne saurait être tenue responsable des conséquences que cette décision a entraînées. En effet, les décisions des institutions de l’Union ne peuvent pas être entachées d’illégalité pour des motifs liés à l’application de règles de droit national, qui ne relèvent pas de leur compétence, et sur laquelle elles n’ont aucun contrôle. De plus, dans le cadre du mécanisme de surveillance unique, la BCE n’est tenue à aucune obligation d’empêcher une autorité nationale d’adopter une telle décision. Par conséquent, les circonstances invoquées par la Pilatus Bank plc ne sont pas de nature à entacher d’illégalité la décision attaquée.


    ( 1 ) En application de l’article 14, paragraphe 5, du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63).

    ( 2 ) Conclusion tirée d’une lecture combinée de l’article 1er, premier alinéa, de l’article 4, paragraphes 1 et 3, de l’article 14, paragraphe 5, du règlement no 1024/2013 et de l’article 14, paragraphe 2, de l’article 18 et de l’article 23, paragraphe 1, de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant l’accès à l’activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’investissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE (JO 2013, L 176, p. 338).

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