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Document 62019CJ0743

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 14 juillet 2022.
Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne.
Recours en annulation – Droit institutionnel – Organes et organismes de l’Union européenne – Autorité européenne du travail (ELA) – Compétence en matière de fixation du siège – Article 341 TFUE – Champ d’application – Décision adoptée par les représentants des gouvernements des États membres en marge d’une réunion du Conseil – Compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE – Auteur et nature juridique de l’acte – Absence d’effets contraignants dans l’ordre juridique de l’Union.
Affaire C-743/19.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:569

Affaire C‑743/19

Parlement européen

contre

Conseil de l’Union européenne

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 14 juillet 2022

« Recours en annulation – Droit institutionnel – Organes et organismes de l’Union européenne – Autorité européenne du travail (ELA) – Compétence en matière de fixation du siège – Article 341 TFUE – Champ d’application – Décision adoptée par les représentants des gouvernements des États membres en marge d’une réunion du Conseil – Compétence de la Cour au titre de l’article 263 TFUE – Auteur et nature juridique de l’acte – Absence d’effets contraignants dans l’ordre juridique de l’Union »

  1. Recours en annulation – Compétence du juge de l’Union – Recours dirigé contre la décision adoptée par les représentants des gouvernements des États membres en marge d’une réunion du Conseil désignant le siège de l’Autorité européenne du travail (ELA) – Incompétence

    (Art. 263 TFUE ; décision des représentants des gouvernements des États membres 2019/1199)

    (voir points 37, 38, 83-85, 89-92)

  2. Union européenne – Siège des institutions – Fixation – Article 341 TFUE – Champ d’application – Désignation du lieu du siège des organes, organismes ou services de l’Union – Exclusion – Fixation du siège de l’Autorité européenne du travail (ELA) par les représentants des gouvernements des États membres – Décision à caractère politique dépourvue d’effets obligatoires en droit de l’Union – Compétence du législateur de l’Union

    (Art, 13, § 1, TUE ; art. 46, 48 et 341 TFUE ; protocole no 6 ; décision des représentants des gouvernements des États membres du 12 décembre 1992, art. 2)

    (voir points 45-47, 52, 54, 58-68, 71-74)

Résumé

La Cour a été saisie de cinq recours en annulation de différents actes adoptés, d’une part, par les représentants des gouvernements des États membres, et, d’autre part, par le Conseil et le Parlement européen, au sujet de la fixation du siège de deux agences européennes.

Deux recours ont été introduits, respectivement, par l’Italie et par le Comune di Milano (commune de Milan, Italie) contre, d’une part, le Conseil aux fins de l’annulation de la décision du 20 novembre 2017 ( 1 ) adoptée par les représentants des gouvernements des États membres (affaires jointes C‑59/18 et C‑182/18), et, d’autre part, le Parlement et le Conseil aux fins de l’annulation du règlement (UE) 2018/1718 ( 2 ) (affaires jointes C‑106/19 et C‑232/19) au sujet de la désignation de la ville d’Amsterdam (Pays-Bas) comme nouveau siège de l’Agence européenne des médicaments (EMA) à la suite du Brexit. Un autre recours a été introduit par le Parlement contre le Conseil aux fins de l’annulation de la décision du 13 juin 2019 ( 3 ) prise d’un commun accord entre les représentants des gouvernements des États membres et fixant le siège de l’Autorité européenne du travail (ELA) à Bratislava (Slovaquie) (affaire C‑743/19).

Dans les affaires concernant le siège de l’EMA, les chefs d’État ou de gouvernement avaient approuvé, à la suite du Brexit, une procédure aux fins de l’adoption d’une décision relative au transfert dudit siège, implanté jusqu’alors à Londres (Royaume-Uni). À l’issue de cette procédure, l’offre des Pays-Bas l’avait emporté sur l’offre de l’Italie (Milan). Les représentants des gouvernements des États membres avaient, en conséquence, par la décision du 20 novembre 2017, désigné, en marge d’une réunion du Conseil, la ville d’Amsterdam comme nouveau siège de l’EMA. Cette désignation avait été entérinée par le règlement attaqué à l’issue de la procédure législative ordinaire, impliquant la participation du Parlement. L’Italie et la commune de Milan soutenaient cependant que la décision fixant le nouveau siège de l’EMA, en ce qu’elle concernait la désignation du siège d’une agence de l’Union et non d’une institution de l’Union, relevait de la compétence exclusive de l’Union et qu’elle devait être, en réalité, imputée au Conseil. Elles contestaient en conséquence la légalité de cette décision comme fondement du règlement attaqué et soutenaient, par ailleurs, que le Parlement n’avait pas pleinement exercé ses prérogatives législatives lors de l’adoption de ce règlement.

Dans l’affaire concernant le siège de l’ELA, les représentants des gouvernements des États membres avaient approuvé d’un commun accord la procédure et les critères permettant de décider du siège de cette agence. En application de cette procédure, ils ont adopté, en marge d’une réunion du Conseil, la décision fixant le siège de l’ELA à Bratislava. Le Parlement soutenait que l’auteur effectif de cette décision était en fait le Conseil et que, s’agissant d’un acte de l’Union juridiquement contraignant, elle était attaquable devant la Cour dans le cadre d’un recours en annulation.

Par trois arrêts prononcés en grande chambre, la Cour développe sa jurisprudence sur le cadre juridique applicable à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union. Elle juge notamment que les décisions fixant le nouveau siège de l’EMA et le siège de l’ELA sont des actes de nature politique, adoptés par les seuls États membres en cette qualité, et non en tant que membres du Conseil, de sorte que ces actes échappent au contrôle de légalité prévu à l’article 263 TFUE. Ces décisions ne sauraient être assimilées à celles prises en vertu de l’article 341 TFUE ( 4 ), qui vise seulement la détermination du siège des institutions de l’Union ( 5 ). Dès lors, cette disposition ne peut constituer la base juridique desdites décisions.

Appréciation de la Cour

– Sur la recevabilité du recours introduit par une entité régionale ou locale contre le règlement portant fixation du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union (affaires jointes C‑106/19 et C‑232/19)

La Cour rappelle, tout d’abord, que le recours d’une entité régionale ne peut être assimilé au recours d’un État membre au sens de l’article 263 TFUE et que, par conséquent, une telle entité doit justifier tant d’un intérêt que d’une qualité à agir. Après avoir constaté que la commune de Milan justifiait d’un intérêt à agir, dans la mesure où l’annulation éventuelle du règlement attaqué entraînerait la reprise de la procédure législative visant à fixer le siège de l’EMA à laquelle elle était candidate, la Cour juge que cette entité est directement et individuellement concernée par ce règlement et, partant, a qualité pour en demander l’annulation. À cet égard, elle constate, d’une part, que cet acte réglementaire ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires et, d’autre part, que la commune de Milan a concrètement participé à la procédure de sélection du siège de l’EMA, laquelle l’a placée dans une situation qui l’a individualisée d’une manière analogue à celle d’un destinataire de l’acte.

– Sur la compétence de la Cour pour connaître de décisions des États membres en matière de fixation du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union (affaires jointes C‑59/18 et C‑182/18 et affaire C‑743/19)

La Cour rappelle, à titre liminaire, que, dans le cadre du recours en annulation, le juge de l’Union est compétent uniquement pour contrôler la légalité des actes imputables aux institutions, organes et organismes de l’Union. Les actes adoptés par les représentants des gouvernements des États membres, agissant en cette qualité et exerçant ainsi collectivement les compétences des États membres, ne sont dès lors pas soumis au contrôle de légalité exercé par le juge de l’Union, sauf lorsque l’acte en cause, eu égard à son contenu et aux circonstances dans lesquelles il a été adopté, constitue en réalité une décision du Conseil. Elle précise, en conséquence, que les décisions fixant le nouveau siège de l’EMA et le siège de l’ELA ne peuvent être appréhendées qu’à l’aune du cadre juridique applicable à la fixation du siège des organes et des organismes de l’Union.

À cet égard, elle examine, au titre d’une analyse textuelle, contextuelle et téléologique, si l’article 341 TFUE peut valablement être invoqué comme fondement de ces décisions ( 6 ).

En premier lieu, la Cour souligne que les termes de l’article 341 TFUE ne visent formellement que les « institutions de l’Union ».

En deuxième lieu, s’agissant du contexte dans lequel cette disposition s’inscrit, elle juge, notamment, que l’interprétation large qu’elle a donnée à ce terme en matière de responsabilité non contractuelle ( 7 ) ne saurait être utilement invoquée aux fins de définir, par analogie, le champ d’application de cette disposition. Par ailleurs, la Cour relève que la pratique institutionnelle antérieure invoquée par le Conseil, en vertu de laquelle les sièges des organes et des organismes de l’Union auraient été fixés sur la base d’un choix politique opéré par les seuls représentants des gouvernements des États membres, est loin d’être généralisée, qu’elle ne bénéficie pas d’une reconnaissance institutionnelle et que, en tout état de cause, elle ne saurait créer un précédent liant les institutions.

En troisième lieu, concernant l’objectif de l’article 341 TFUE, la Cour précise, tout d’abord, que celui-ci consiste à préserver les pouvoirs décisionnels des États membres dans la détermination du siège des seules institutions de l’Union. Elle relève, ensuite, que la création des organes et des organismes de l’Union résulte d’un acte de droit dérivé adopté sur le fondement des dispositions matérielles mettant en œuvre la politique de l’Union dans laquelle l’organe ou l’organisme intervient. Or, la décision relative à la fixation de leur siège est consubstantielle à la décision relative à leur création. Partant, le législateur de l’Union détient, en principe, la compétence exclusive pour fixer le siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union, à l’instar de celle qu’il détient pour en définir les compétences et l’organisation. Enfin, la Cour souligne que le fait que la décision de fixation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union puisse revêtir une dimension politique importante n’empêche pas que cette décision puisse être prise par le législateur de l’Union conformément aux procédures prévues par les dispositions des traités matériellement pertinentes.

Au regard de ce qui précède, la Cour conclut que l’article 341 TFUE ne saurait être interprété comme gouvernant la désignation du lieu du siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union, tel que l’EMA ou l’ELA, et que la compétence pour décider de la fixation du lieu du siège de ces agences appartient non pas aux États membres mais au législateur de l’Union, selon la procédure législative ordinaire.

La Cour examine ensuite sa compétence pour juger de la validité des décisions fixant le nouveau siège de l’EMA et le siège de l’ELA au titre de l’article 263 TFUE. Elle rappelle, à cet égard, que le critère pertinent pour exclure la compétence des juridictions de l’Union pour connaître d’un recours juridictionnel dirigé contre des actes adoptés par les représentants des gouvernements des États membres est uniquement celui relatif à leur auteur, indépendamment de leurs effets juridiques obligatoires. Étendre la notion d’acte attaquable en vertu de l’article 263 TFUE aux actes adoptés, même d’un commun accord, par les États membres reviendrait à admettre un contrôle direct du juge de l’Union sur les actes des États membres et, ainsi, à contourner les voies de droit spécifiquement prévues en cas de manquement aux obligations qui leur incombent en vertu des traités.

Enfin, la Cour précise qu’il incombe au législateur de l’Union, pour des raisons tant de sécurité juridique que de protection juridictionnelle effective, d’adopter un acte de l’Union entérinant ou, au contraire, s’écartant de la décision politique adoptée par les États membres. Ledit acte précédant nécessairement toute mesure de mise en œuvre concrète de l’implantation du siège de l’agence concernée, seul cet acte du législateur de l’Union est de nature à produire des effets juridiques contraignants dans le cadre du droit de l’Union.

La Cour conclut que les décisions des représentants des gouvernements des États membres fixant le nouveau siège de l’EMA et celui de l’ELA (affaires jointes C‑59/18 et C‑182/18 et affaire C‑743/19) constituent, non pas des actes du Conseil, mais des actes de nature politique, dépourvus d’effets juridiques contraignants, pris par les États membres collectivement, de sorte que ces décisions ne sauraient faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE. Elle rejette en conséquence lesdits recours comme étant dirigés contre des actes dont elle n’est pas compétente pour juger la légalité.

– Sur la validité de l’acte législatif fixant le siège d’un organe ou d’un organisme de l’Union (affaires jointes C‑106/19 et C‑232/19)

S’agissant du règlement attaqué, par lequel le Conseil et le Parlement ont entériné, par la procédure législative ordinaire, la décision des représentants des gouvernements des États membres fixant le nouveau siège de l’EMA, la Cour rappelle que c’est à ces seules institutions, en vertu des principes d’attribution des pouvoirs et d’équilibre institutionnel consacrés par le traité UE ( 8 ), qu’il revient de déterminer son contenu. À cet égard, elle souligne que cette décision ne peut se voir attribuer aucune valeur contraignante susceptible de limiter le pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union. Ladite décision a donc la valeur d’un acte de coopération politique qui n’empiète en aucun cas sur les compétences conférées aux institutions de l’Union dans le cadre de la procédure législative ordinaire. L’absence d’implication du Parlement dans le processus ayant abouti à ladite décision ne constitue ainsi, en aucun cas, une violation, ni un contournement, des prérogatives de cette institution en tant que colégislateur, et l’incidence politique de ladite décision sur le pouvoir législatif du Parlement et du Conseil ne saurait constituer un motif d’annulation par la Cour du règlement attaqué. La décision du 20 novembre 2017 étant dénuée de tout effet juridique contraignant en droit de l’Union, la Cour conclut que cette décision ne saurait constituer la base juridique du règlement attaqué, de sorte que la légalité de ce dernier ne saurait se trouver affectée par d’éventuelles irrégularités ayant entaché l’adoption de ladite décision


( 1 ) Décision adoptée en marge d’une réunion du Conseil désignant la ville d’Amsterdam comme nouveau siège de l’Agence européenne des médicaments (EMA) (ci-après la « décision fixant le nouveau siège de l’EMA »).

( 2 ) Règlement (UE) 2018/1718 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 portant modification du règlement (CE) no 726/2004 en ce qui concerne la fixation du siège de l’Agence européenne des médicaments (JO 2018, L 291, p. 3, ci-après le « règlement attaqué »).

( 3 ) Décision (UE) 2019/1199 prise d’un commun accord entre les représentants des gouvernements des États membres le 13 juin 2019 fixant le siège de l’Autorité européenne du travail (JO 2019, L 189, p. 68, ci-après la « décision fixant le siège de l’ELA »).

( 4 ) L’article 341 TFUE établit que « [l]e siège des institutions de l’Union est fixé du commun accord des gouvernements des États membres ».

( 5 ) Telles que mentionnées à l’article 13, paragraphe 1, TUE.

( 6 ) La Cour procède, sur le fond, à un raisonnement similaire dans les affaires jointes C‑106/19 et C‑232/19.

( 7 ) Au titre de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

( 8 ) Article 13, paragraphe 2, TUE.

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