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Document 62019CJ0316
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 17 décembre 2020.
Commission européenne contre République de Slovénie.
Manquement d’État – Article 343 TFUE – Privilèges et immunités de l’Union européenne – Statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) et de la Banque centrale européenne (BCE) – Article 39 – Privilèges et immunités de la BCE – Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne – Articles 2, 18 et 22 – Principe de l’inviolabilité des archives de la BCE – Saisie de documents dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie – Documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème – Article 4, paragraphe 3, TUE – Principe de coopération loyale.
Affaire C-316/19.
Arrêt de la Cour (grande chambre) du 17 décembre 2020.
Commission européenne contre République de Slovénie.
Manquement d’État – Article 343 TFUE – Privilèges et immunités de l’Union européenne – Statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) et de la Banque centrale européenne (BCE) – Article 39 – Privilèges et immunités de la BCE – Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne – Articles 2, 18 et 22 – Principe de l’inviolabilité des archives de la BCE – Saisie de documents dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie – Documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème – Article 4, paragraphe 3, TUE – Principe de coopération loyale.
Affaire C-316/19.
ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:1030
Affaire C‑316/19
Commission européenne
contre
République de Slovénie
Arrêt de la Cour(grande chambre) du 17 décembre 2020
« Manquement d’État – Article 343 TFUE – Privilèges et immunités de l’Union européenne – Statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) et de la Banque centrale européenne (BCE) – Article 39 – Privilèges et immunités de la BCE – Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne – Articles 2, 18 et 22 – Principe de l’inviolabilité des archives de la BCE – Saisie de documents dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie – Documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème – Article 4, paragraphe 3, TUE – Principe de coopération loyale »
Droit de l’Union européenne – Interprétation – Principes – Interprétation autonome – Notion d’"archives de l’Union"
(voir points 68-72)
Privilèges et immunités de l’Union européenne – Caractère fonctionnel – Notion d’"archives de l’Union” – Portée – Principe de l’inviolabilité des archives de l’Union
(Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, art. 2)
(voir points 73-75)
Privilèges et immunités de l’Union européenne – Statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) et de la Banque centrale européenne (BCE) – Privilèges et immunités de la BCE – Notion d’"archives de la BCE” – Saisie de documents dans les locaux d’une banque centrale nationale – Documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème – Inclusion – Violation du principe de l’inviolabilité des archives de la BCE et de l’obligation de coopération loyale – Manquement
(Art. 4, § 3, TUE ; art. 127, § 1 et 2, 129, § 1, 258, 282, § 1 et 2, 283, § 1, et 343 TFUE ; protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, art. 1er, 2 et 18 ; protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et la Banque centrale européenne, art. 1er, 8, 9.2, 10.1, 14.3 et 39)
(voir points 76-85, 87, 89-98, 100-106, 119, 121-130, disp.1)
Résumé
En procédant unilatéralement à la saisie de documents relevant des archives de la BCE, la Slovénie a manqué à son obligation de respecter le principe de l’inviolabilité des archives de l’Union. De plus, en n’ayant pas dûment collaboré avec la BCE pour effacer les conséquences illicites de ce manquement, la Slovénie a également méconnu son obligation de coopération loyale vis-à-vis de l’Union.
Le 6 juillet 2016, les autorités slovènes ont procédé à une perquisition et à une saisie de documents papier et électroniques dans les locaux de la Banka Slovenije (Banque centrale de Slovénie). Les documents saisis par ces autorités comprenaient toutes les communications effectuées par l’intermédiaire du compte de la messagerie électronique du gouverneur alors en fonction, tous les documents électroniques se trouvant sur le poste de travail et dans l’ordinateur portable de ce dernier, portant sur la période comprise entre l’année 2012 et l’année 2014, indépendamment de leur contenu, ainsi que des documents relatifs à la même période et se trouvant dans le bureau du gouverneur. Ces interventions ont été menées dans le cadre d’une enquête visant certains agents de la Banque centrale de Slovénie, dont ce même gouverneur, qui faisaient l’objet de soupçons d’abus de pouvoir et de fonctions officielles dans le cadre de la restructuration, en 2013, d’une banque slovène. Bien que la Banque centrale de Slovénie ait fait valoir que ces mesures portaient atteinte au principe de l’inviolabilité des « archives de la Banque centrale européenne (BCE) » découlant du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ( 1 ) et exigeant que tout accès par les autorités nationales à ces archives soit soumis à l’accord exprès de la BCE, les autorités slovènes ont poursuivi cette perquisition et cette saisie de documents sans associer la BCE.
Dans ce contexte, la BCE a expliqué aux autorités slovènes que ses archives comprenaient non seulement les documents élaborés par elle-même dans l’accomplissement de ses missions mais également les communications entre elle et les banques centrales nationales qui étaient nécessaires à l’accomplissement des missions du Système européen de banques centrales (SEBC) ou de l’Eurosystème ainsi que les documents élaborés par ces banques centrales destinés à l’accomplissement des missions du SEBC ou de l’Eurosystème. La BCE a également soutenu qu’elle ne s’opposerait pas, sous certaines conditions, à la levée de la protection dont bénéficiaient les documents saisis par les autorités slovènes.
Considérant, d’une part, que la saisie unilatérale des documents en cause constitue une violation du principe de l’inviolabilité des archives de la BCE ( 2 ) et, d’autre part, que les autorités slovènes, contrairement à ce qu’exige l’obligation de coopération loyale ( 3 ), n’avaient pas mené de discussions constructives pour effacer les conséquences illicites de la méconnaissance de ce principe, la Commission a introduit un recours en manquement contre la Slovénie devant la Cour de justice.
Dans son arrêt, la Cour, statuant en grande chambre, accueille le recours de la Commission et constate les manquements reprochés dans leur intégralité. Cette affaire donne ainsi à la Cour l’occasion de préciser les conditions applicables à la protection des archives de l’Union à l’égard d’une saisie unilatérale de documents relevant de ces archives, effectuée par les autorités d’un État membre dans d’autres endroits que les bâtiments et locaux de l’Union et, en particulier, les conditions permettant de constater une atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de la BCE.
Appréciation de la Cour
– Sur la notion d’« archives de la BCE »
La Cour rappelle que, la BCE étant une institution de l’Union, le principe de l’inviolabilité des archives de l’Union s’applique à ses archives. À cet égard, la Cour précise que les archives de l’Union couvrent les archives d’une institution de l’Union telle que la BCE même si elles sont abritées dans d’autres endroits que les bâtiments et locaux de l’Union ( 4 ).
À cet égard, la Cour relève que la BCE et les banques centrales nationales des États membres constituent le SEBC et que la politique monétaire de l’Union est conduite par la BCE et les banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’euro, y compris la Banque centrale de Slovénie, ces banques constituant l’Eurosystème ( 5 ). Les gouverneurs desdites banques, dont celui de la Banque centrale de Slovénie, sont membres du conseil des gouverneurs de la BCE ( 6 ) et participent à l’adoption des décisions nécessaires à l’accomplissement des missions du SEBC. Le SEBC a pour objectif principal le maintien de la stabilité des prix. À cette fin, les missions fondamentales relevant du SEBC comprennent notamment celle de définir et de mettre en œuvre la politique monétaire de l’Union ( 7 ), ce qui nécessite une étroite coopération entre la BCE et les banques centrales nationales ( 8 ). Dans ce système, les banques centrales nationales, ainsi que leurs gouverneurs, ont un statut hybride, en ce qu’ils constituent certes des autorités nationales mais agissant dans le cadre du SEBC, qui est constitué par ces banques nationales centrales et la BCE.
La Cour souligne que, pour que le SEBC et l’Eurosystème fonctionnent correctement et accomplissent dûment leurs missions, il doit exister une coopération étroite et un échange permanent d’informations entre la BCE et les banques centrales nationales qui y participent, ce qui implique nécessairement que des documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème se trouvent en possession non seulement de la BCE, mais également des banques centrales nationales.
Dans ces conditions, la Cour considère que de tels documents sont couverts par la notion d’« archives de la BCE » même s’ils sont détenus par des banques centrales nationales, et non par la BCE elle-même.
– Sur l’atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de la BCE
La Cour souligne que, en l’espèce, une atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de la BCE ne pourrait être constatée que si, d’une part, une saisie, décidée unilatéralement par des autorités nationales, de documents appartenant à des archives de l’Union peut être constitutive d’une telle atteinte et, d’autre part, les documents saisis incluaient effectivement des documents devant être considérés comme faisant partie des archives de la BCE.
En premier lieu, la Cour constate que la notion d’« inviolabilité » implique une protection contre toute ingérence unilatérale des États membres. Cela est confirmé par le fait que cette notion est décrite comme une protection contre toute mesure de perquisition, de réquisition, de confiscation et d’expropriation. Dès lors, la Cour considère que la saisie unilatérale, par des autorités nationales, de documents appartenant aux archives de l’Union est constitutive d’une atteinte au principe de l’inviolabilité de ces archives de l’Union.
En second lieu, la Cour rappelle qu’il incombe à la Commission, dans le cadre d’un recours en manquement, d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque. En l’espèce, la Commission a reconnu qu’elle ne disposait pas d’informations précises sur la nature des documents en cause saisis par les autorités slovènes, si bien qu’elle n’était pas en mesure d’établir si une partie de ces documents devaient être considérés comme faisant partie des archives de l’Union.
Toutefois, compte tenu du grand nombre de documents en cause saisis et des fonctions que le gouverneur d’une banque centrale nationale, telle que la Banque centrale de Slovénie, est amené à exercer dans le cadre du conseil des gouverneurs de la BCE et, par ce biais, dans le cadre du SEBC et de l’Eurosystème, la Cour considère comme établi que les documents saisis par les autorités slovènes ont nécessairement inclus des documents faisant partie des archives de la BCE. Elle considère également que les autorités slovènes ont, en saisissant de tels documents de manière unilatérale, porté atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de la BCE.
Dans ce contexte, la Cour souligne que le protocole sur les privilèges et immunités et le principe de l’inviolabilité des archives de l’Union s’opposent, en principe, à une saisie de documents de la part d’une autorité d’un État membre dès lors que ces documents font partie desdites archives et que les institutions n’ont pas donné leur accord à une telle saisie. Néanmoins, cette autorité a la faculté de s’adresser à l’institution de l’Union concernée afin que celle-ci lève la protection dont bénéficient les documents concernés, le cas échéant sous conditions, et, dans le cas d’un refus d’accès, au juge de l’Union afin d’obtenir une décision d’autorisation obligeant cette institution à donner l’accès à ses archives. En outre, la protection des archives de l’Union ne s’oppose aucunement à la saisie, par les autorités nationales, dans les locaux d’une banque centrale d’un État membre, de documents qui n’appartiennent pas aux archives de l’Union.
– Sur la violation de l’obligation de coopération loyale
Après avoir rappelé sa jurisprudence constante relative à la portée de l’obligation de coopération loyale, la Cour relève que, en n’ayant pas permis à la BCE, au terme du délai fixé dans l’avis motivé, d’identifier, parmi les documents saisis le 6 juillet 2016, ceux liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème et en n’ayant pas retourné ces documents à la Banque centrale de Slovénie, les autorités slovènes ont manqué à leur obligation de coopération loyale avec la BCE. Cette conclusion n’est pas affectée par le fait que le procureur d’État a invité la BCE à lui proposer des critères permettant d’identifier ceux des documents saisis par les autorités slovènes qui, selon la BCE, faisaient partie de ses archives. En effet, même après avoir reçu cette proposition, les autorités slovènes n’ont pas pris de mesures afin de permettre à la BCE d’identifier les documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème qui avaient été saisis. Par ailleurs, ces autorités n’ont pas accepté la demande de la BCE de restituer à la Banque centrale de Slovénie tous les documents qu’elles estimaient être sans pertinence pour l’enquête en cause.
Dans ce contexte, la Cour considère que le fait que les autorités slovènes aient pris des mesures pour assurer le maintien de la confidentialité desdits documents ne remet pas en cause la conclusion selon laquelle ces autorités ont manqué, en l’espèce, à leur obligation de coopération loyale avec la BCE.
Partant, s’agissant de la période postérieure à la saisie litigieuse, la Cour considère que les autorités slovènes ont manqué à leur obligation de coopération loyale avec la BCE.
( 1 ) Protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2016, C 202, p. 266, ci-après le « protocole sur les privilèges et immunités »).
( 2 ) Article 343 TFUE ; protocole (no 4) sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (JO 2016, C 202, p. 230, ci-après le « protocole sur le SEBC et la BCE »), article 39 ; protocole sur les privilèges et immunités, articles 2 et 22.
( 3 ) Article 4, paragraphe 3, TUE ; protocole sur les privilèges et immunités, article 18.
( 4 ) Protocole sur les privilèges et immunités, article 1er et 2.
( 5 ) Article 282, paragraphe 1, TFUE ; protocole sur le SEBC et la BCE, article 1er et 14.3.
( 6 ) Article 283, paragraphe 1, TFUE ; protocole sur le SEBC et la BCE, article 10.1.
( 7 ) Article 127, paragraphe 2, TFUE.
( 8 ) Protocole sur le SEBC et la BCE, article 9.2.