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Document 62018CJ0558

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 26 mars 2020.
Miasto Łowicz contre Skarb Państwa – Wojewoda Łódzki et Prokurator Generalny contre VX e.a.
Renvoi préjudiciel – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – État de droit – Protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Principe d’indépendance des juges – Régime disciplinaire applicable aux juges nationaux – Compétence de la Cour – Article 267 TFUE – Recevabilité – Interprétation nécessaire pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Notion.
Affaires jointes C-558/18 et C-563/18.

Court reports – general – 'Information on unpublished decisions' section

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2020:234

Affaires jointes C‑558/18 et C‑563/18

Miasto Łowicz
contre
Skarb Państwa – Wojewoda Łódzki

et

Prokurator Generalny
contre
VX e.a.

(demandes de décision préjudicielle,
introduites par le Sąd Okręgowy w Łodzi et par le Sąd Okręgowy w Warszawie)

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 26 mars 2020

« Renvoi préjudiciel – Article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE – État de droit – Protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union – Principe d’indépendance des juges – Régime disciplinaire applicable aux juges nationaux – Compétence de la Cour – Article 267 TFUE – Recevabilité – Interprétation nécessaire pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Notion »

  1. Droit de l’Union européenne – Principes – Droit à une protection juridictionnelle effective – Principe de l’indépendance des juges – Portée

    (Art. 19, § 1, 2d al., TUE ; art. 267 TFUE ; charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, art. 47, 2e al., et 51, § 1)

    (voir points 32-36, 59)

  2. Questions préjudicielles – Compétence de la Cour – Limites – Questions générales ou hypothétiques – Absence de lien de rattachement entre le litige au principal et la disposition de droit de l’Union visée par les questions préjudicielles – Irrecevabilité

    (Art. 19, § 1, 2d al., TUE ; art. 267 TFUE)

    (voir points 45, 49, 51-53, 60 et disp.)

  3. Questions préjudicielles – Saisine de la Cour – Compétences des juridictions nationales – Étendue – Réglementation nationale empêchant une juridiction statuant en dernier ressort d’adresser des questions préjudicielles ou de les maintenir, sous peine de mesures disciplinaires – Inadmissibilité

    (Art. 267 TFUE)

    (voir points 56, 57)

Résumé

La Cour déclare irrecevables deux demandes de décision préjudicielle concernant les mesures polonaises de 2017 établissant un régime de procédure disciplinaire à l’égard des juges

Le fait pour un juge national d’avoir posé une question préjudicielle s’avérant irrecevable ne peut toutefois pas conduire à des procédures disciplinaires à son égard

Dans l’arrêt Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (affaires jointes C‑558/18 et C‑563/18), prononcé le 26 mars 2020, la Cour, réunie en formation de grande chambre, a déclaré irrecevables les demandes de décision préjudicielle introduites par le tribunal régional de Łódź (Pologne) et par le tribunal régional de Varsovie (Pologne). Par ces deux demandes, les juridictions de renvoi ont posé en substance à la Cour la question de la conformité de la nouvelle réglementation polonaise relative au régime disciplinaire des juges avec le droit des justiciables à une protection juridictionnelle effective, garanti à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE.

La première affaire (C-558/18) s’inscrit dans un litige opposant la ville de Łowicz, en Pologne, au Trésor public, au sujet d’une demande tendant au paiement de dotations publiques. La juridiction de renvoi a précisé qu’il était probable que la décision qu’elle serait amenée à rendre en l’espèce serait défavorable au Trésor public. La seconde affaire (C‑563/18) concerne, quant à elle, une procédure pénale engagée contre trois personnes pour des délits commis en 2002 et en 2003, le juge de renvoi devant envisager de leur accorder une atténuation extraordinaire de peine étant donné qu’ils ont collaboré avec les autorités pénales en reconnaissant les faits reprochés. Les deux demandes de décision préjudicielle font état des craintes de poursuites disciplinaires auxquelles de telles décisions pourraient conduire à l’encontre du juge unique en charge de chacune des affaires. Les juges de renvoi évoquent les récentes réformes législatives ayant eu lieu en Pologne, qui conduiraient à remettre en cause l’objectivité et l’impartialité des procédures disciplinaires à l’égard des juges et affecteraient l’indépendance des juridictions polonaises. Soulignant en particulier le pouvoir d’influence considérable dont serait dorénavant investi le ministre de la Justice dans les procédures disciplinaires à l’égard des juges des juridictions de droit commun, les juges de renvoi insistent sur l’absence de garanties adéquates assortissant ce pouvoir. Pour les juridictions de renvoi, des procédures disciplinaires ainsi conçues conféreraient aux pouvoirs législatif et exécutif un moyen d’évincer les juges dont les décisions leur sont importunes, influençant de ce fait les décisions juridictionnelles qu’ils doivent rendre.

Après avoir confirmé sa compétence pour interpréter l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, la Cour s’est prononcée sur la recevabilité de ces deux demandes de décision préjudicielle. À cet égard, elle a tout d’abord rappelé que, aux termes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement ». Elle a également précisé que, en vertu de cette disposition, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour, la procédure préjudicielle présuppose notamment qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à prendre en considération l’arrêt préjudiciel. Mettant en exergue la particularité de sa mission dans le cadre des renvois préjudiciels, à savoir assister la juridiction de renvoi dans la solution du litige concret pendant devant cette dernière, la Cour a ensuite énoncé qu’un lien de rattachement doit exister entre ce litige et les dispositions de droit de l’Union dont l’interprétation est demandée. Ce lien doit être tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre.

En l’occurrence, la Cour a constaté, premièrement, que les litiges au principal ne présentent aucun lien de rattachement avec le droit de l’Union, et notamment avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, sur lequel portent les questions préjudicielles. Elle a jugé, dès lors, que les juridictions de renvoi ne sont pas appelées à appliquer ce droit aux fins de trancher le fond de ces litiges. Rappelant, deuxièmement, qu’elle a certes déjà jugé recevables des questions portant sur l’interprétation de dispositions procédurales du droit de l’Union que la juridiction de renvoi concernée était tenue d’appliquer pour rendre son jugement ( 1 ), la Cour a relevé que telle n’était pas la portée des questions posées dans les deux espèces. Troisièmement, la Cour a indiqué qu’une réponse à ces questions ne paraissait pas davantage de nature à pouvoir fournir aux juridictions de renvoi une interprétation du droit de l’Union leur permettant de trancher des questions procédurales de droit national avant de pouvoir statuer, le cas échéant, sur le fond des litiges au principal ( 2 ). En conséquence, la Cour a jugé qu’il ne ressortait pas des décisions de renvoi qu’il existerait, entre la disposition du droit de l’Union visée par les questions préjudicielles et les litiges au principal, un lien de rattachement rendant l’interprétation sollicitée nécessaire afin que les juridictions de renvoi puissent, en application des enseignements découlant d’une telle interprétation, rendre leurs jugements respectifs. Elle a dès lors considéré que les questions posées présentent un caractère général, si bien que les demandes de décision préjudicielle devaient être déclarées irrecevables.

Enfin, la Cour a rappelé qu’il ne saurait être admis que des dispositions nationales exposent les juges nationaux à des procédures disciplinaires en raison du fait qu’ils ont saisi la Cour d’un renvoi à titre préjudiciel ( 3 ). En effet, une telle perspective de poursuites disciplinaires serait de nature à porter atteinte à l’exercice effectif, par les juges nationaux concernés, de la faculté d’interroger la Cour et des fonctions de juge chargé de l’application du droit de l’Union dont ils se trouvent investis par les traités. La Cour a, à cet égard, précisé que l’absence d’exposition à de telles procédures ou sanctions disciplinaires pour ce motif constitue, en outre, une garantie inhérente à leur indépendance.


( 1 ) Arrêt de la Cour du 17 février 2011, Weryński (C‑283/09, EU:C:2011:85).

( 2 ) Arrêt de la Cour du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (affaires jointesC‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982).

( 3 ) Ordonnance du président de la Cour du 1er octobre 2018, Miasto Łowicz et Prokuratura Okręgowa w Płocku (affaires jointesC‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2018:923).

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