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Document 62018CJ0171

    Arrêt de la Cour (grande chambre) du 7 octobre 2019.
    Safeway Ltd contre Andrew Richard Newton et Safeway Pension Trustees Ltd.
    Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Article 119 du traité CE (devenu, après modification, article 141 CE) – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Égalité de rémunération – Régime professionnel privé de pensions de retraite – Âge normal de départ à la retraite différencié selon le sexe – Date d’adoption de mesures rétablissant l’égalité de traitement – Uniformisation rétroactive de cet âge au niveau de celui des personnes antérieurement défavorisées.
    Affaire C-171/18.

    Court reports – general

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:2019:839

    Affaire C‑171/18

    Safeway Ltd

    contre

    Andrew Richard Newton
    et
    Safeway Pension Trustees Ltd

    [demande de décision préjudicielle,
    introduite par la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division)]

    Arrêt de la Cour (grande chambre) du 7 octobre 2019

    « Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Article 119 du traité CE (devenu, après modification, article 141 CE) – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Égalité de rémunération – Régime professionnel privé de pensions de retraite – Âge normal de départ à la retraite différencié selon le sexe – Date d’adoption de mesures rétablissant l’égalité de traitement – Uniformisation rétroactive de cet âge au niveau de celui des personnes antérieurement défavorisées »

    1. Politique sociale – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Égalité de rémunération – Régime professionnel privé de pensions de retraite – Fixation, pour l’ouverture du droit à pension, d’une condition d’âge différente selon le sexe – Discrimination constatée dans l’arrêt du 17 mai 1990, C‑262/88 – Mesure prise afin de rétablir l’égalité de traitement – Uniformisation rétroactive de l’âge normal de départ à la retraite au niveau de celui des personnes antérieurement défavorisées – Période comprise entre l’annonce et l’adoption de cette mesure – Inadmissibilité – Autorisation de cette mesure par le droit national et par l’acte constitutif du régime de pension – Absence d’incidence

      [Traité CE, art. 117 et 119 (devenus 136 et 141 CE)]

      (voir points 14-18, 33, 34, 37-43, 45 et disp.)

    2. Politique sociale – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Égalité de rémunération – Article 119 du traité CE – Effet direct – Portée – Exigences applicables aux mesures prises en vue de rétablir l’égalité de traitement – Principe de sécurité juridique

      [Traité CE, art. 119 (devenu art. 141 CE)]

      (voir points 23-26)

    Résumé

    Le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins s’oppose à ce que, pour mettre fin à une discrimination fondée sur le sexe, l’âge normal de départ à la retraite soit rétroactivement uniformisé au niveau de celui des personnes antérieurement défavorisées

    Dans l’arrêt Safeway (C‑171/18), rendu le 7 octobre 2019, la grande chambre de la Cour a examiné la compatibilité, avec le principe de l’égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et travailleurs féminins prévu à l’article 119 du traité CE ( 1 ), d’une mesure visant à mettre fin à une discrimination constatée par la Cour dans son arrêt du 17 mai 1990, Barber (C‑262/88, EU:C:1990:209 ; ci-après l’« arrêt Barber »). Cette discrimination consistait à fixer un âge normal de départ à la retraite (ci-après l’« ANDR ») différent selon le sexe, à savoir 65 ans pour les hommes et 60 ans pour les femmes. Afin de remédier à cette discrimination, un régime de pension avait uniformisé, de manière rétroactive, l’ANDR de tous ses affiliés à 65 ans. La Cour a jugé que l’article 119 du traité CE s’oppose, en l’absence d’une justification objective, à une telle mesure d’uniformisation pour la période comprise entre l’annonce de cette mesure et son adoption, et ce même lorsqu’une telle mesure est autorisée par le droit national et par l’acte constitutif de ce régime de pension.

    Le régime de pension en cause au principal avait été créé sous la forme d’un trust par Safeway Ltd en 1978. À la suite du prononcé de l’arrêt Barber, Safeway et Safeway Pension Trustees Ltd, le responsable de la gestion du régime de pension, avaient annoncé, en septembre et en décembre 1991, que l’ANDR allait être uniformisé à 65 ans pour tous les affiliés, avec effet au 1er décembre 1991. Toutefois, ce n’est que le 2 mai 1996 que cette mesure d’uniformisation a été formellement adoptée, au moyen d’un acte de trust, avec effet au 1er décembre 1991. Les juridictions du Royaume-Uni ont par la suite été saisies d’une procédure concernant la question de savoir si cette modification rétroactive de l’ANDR était compatible avec le droit de l’Union.

    En premier lieu, la Cour a rappelé que les conséquences qu’il convient de tirer du constat d’une discrimination opéré dans l’arrêt Barber diffèrent selon les périodes d’emploi concernées. S’agissant des périodes pertinentes pour la présente affaire, à savoir les périodes d’emploi comprises entre le prononcé dudit arrêt et l’adoption, par un régime de pension, de mesures rétablissant l’égalité de traitement, les personnes de la catégorie défavorisée (en l’occurrence, les hommes) doivent se voir accorder les mêmes avantages que ceux dont bénéficient les personnes de la catégorie privilégiée (en l’espèce, les femmes).

    En deuxième lieu, la Cour a énuméré les exigences auxquelles les mesures prises en vue de mettre fin à une discrimination contraire à l’article 119 du traité CE doivent satisfaire, afin de pouvoir être considérées comme rétablissant l’égalité de traitement exigée par cette disposition. D’une part, ces mesures ne peuvent, en principe, pas être soumises à des conditions qui se traduiraient par le maintien, fût-il transitoire, de la discrimination. D’autre part, elles doivent respecter le principe de sécurité juridique, si bien que l’instauration d’une simple pratique, dépourvue d’effet juridique contraignant à l’égard des personnes concernées, n’est pas permise. Par conséquent, la Cour a conclu que, dans le cadre du régime de pension en cause au principal, des mesures satisfaisant auxdites exigences n’ont été prises que le 2 mai 1996, au moyen de l’acte de trust pris à cette date, et non lors des annonces faites par les responsables de ce régime aux affiliés en septembre et en décembre 1991.

    Dans ces conditions, la Cour a jugé que permettre une mesure comme celle en cause au principal, uniformisant l’ANDR au niveau de celui des personnes de la catégorie antérieurement défavorisée, à savoir 65 ans, avec effet rétroactif au 1er décembre 1991, serait contraire non seulement à l’objectif de l’égalisation des conditions de travail dans le sens du progrès, lequel résulte du préambule du traité CE et de son article 117, mais également au principe de sécurité juridique et aux exigences découlant de la jurisprudence de la Cour relative, notamment, à l’article 119 du traité CE.

    La Cour a toutefois rappelé que des mesures visant à mettre fin à une discrimination contraire au droit de l’Union peuvent, à titre exceptionnel, être prises avec effet rétroactif, pourvu qu’elles répondent effectivement à un impératif d’intérêt général. Si le risque d’atteinte grave à l’équilibre financier d’un régime de pension peut constituer un tel impératif d’intérêt général, la Cour a relevé que c’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de vérifier si la mesure en cause au principal répondait à l’objectif d’éviter une telle atteinte.


    ( 1 ) Disposition applicable à l’époque des faits en cause au principal et qui correspond à l’actuel article 157 TFUE.

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