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Document 62015CJ0621

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 21 juin 2017.
N. W e.a. contre Sanofi Pasteur MSD SNC e.a.
Renvoi préjudiciel – Directive 85/374/CEE – Responsabilité du fait des produits défectueux – Article 4 – Laboratoires pharmaceutiques – Vaccin contre l’hépatite B – Sclérose en plaques – Preuves du défaut du vaccin et du lien de causalité entre le défaut et le dommage subi – Charge de la preuve – Modes de preuve – Absence de consensus scientifique – Indices graves, précis et concordants laissés à l’appréciation du juge du fond – Admissibilité – Conditions.
Affaire C-621/15.

Court reports – general

Affaire C‑621/15

N. W e.a.

contre

Sanofi Pasteur MSD SNC e.a.

[demande de décision préjudicielle, introduite par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 85/374/CEE – Responsabilité du fait des produits défectueux – Article 4 – Laboratoires pharmaceutiques – Vaccin contre l’hépatite B – Sclérose en plaques – Preuves du défaut du vaccin et du lien de causalité entre le défaut et le dommage subi – Charge de la preuve – Modes de preuve – Absence de consensus scientifique – Indices graves, précis et concordants laissés à l’appréciation du juge du fond – Admissibilité – Conditions »

Sommaire – Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 21 juin 2017

  1. Rapprochement des législations–Responsabilité du fait des produits défectueux–Directive 85/374–Action visant à mettre en cause la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques pour le défaut d’un vaccin–Preuves du défaut du vaccin et du lien de causalité entre ce défaut et la survenance de la maladie–Modes de preuve–Régime probatoire national permettant de conclure, en dépit de l’absence de consensus scientifique, à l’existence du défaut du vaccin et du lien de causalité entre ce défaut et la survenance de la maladie, sur la base d’indices graves, précis et concordants laissés à l’appréciation du juge de fond–Admissibilité–Conditions

    (Directive du Conseil 85/374, art. 4)

  2. Rapprochement des législations–Responsabilité du fait des produits défectueux–Directive 85/374–Action visant à mettre en cause la responsabilité des laboratoires pharmaceutiques pour le défaut d’un vaccin–Preuves du défaut du vaccin et du lien de causalité entre ce défaut et la survenance de la maladie–Charge de la preuve et modes de preuve–Régime probatoire national reposant sur des présomptions, permettant, en dépit de l’absence de consensus scientifique, de toujours considérer comme établie l’existence d’un lien de causalité entre le défaut du vaccin et la survenance de la maladie, en cas de réunion de certains indices factuels prédéterminés de causalité–Inadmissibilité

    (Directive du Conseil 85/374, art. 4)

  1.  L’article 4 de la directive 85/374/CEE du Conseil, du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à un régime probatoire national tel que celui en cause au principal en vertu duquel, lorsque le juge du fond est saisi d’une action visant à mettre en cause la responsabilité du producteur d’un vaccin du fait d’un défaut allégué de ce dernier, il peut considérer, dans l’exercice du pouvoir d’appréciation dont il se trouve investi à cet égard, que, nonobstant la constatation que la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, certains éléments de fait invoqués par le demandeur constituent des indices graves, précis et concordants permettant de conclure à l’existence d’un défaut du vaccin et à celle d’un lien de causalité entre ce défaut et ladite maladie. Les juridictions nationales doivent toutefois veiller à ce que l’application concrète qu’elles font dudit régime probatoire n’aboutisse ni à méconnaître la charge de la preuve instituée par ledit article 4 ni à porter atteinte à l’effectivité du régime de responsabilité institué par cette directive.

    Ainsi, d’une part, il incombe aux juridictions nationales de veiller à ce que les indices produits soient effectivement suffisamment graves, précis et concordants pour autoriser la conclusion selon laquelle l’existence d’un défaut du produit apparaît, nonobstant les éléments produits et arguments présentés en défense par le producteur, comme étant l’explication la plus plausible de la survenance du dommage de sorte que de tels défaut et lien de causalité peuvent raisonnablement être considérés avérés.

    D’autre part, il importe que ces mêmes juridictions fassent en sorte que demeure inaffecté le principe selon lequel c’est à la victime qu’il incombe de démontrer, par tous les moyens de preuves généralement admis par le droit national, et, comme en l’occurrence, notamment par la production d’indices graves, précis et concordants, l’existence d’un défaut du vaccin et d’un lien de causalité. Cela requiert que le juge veille à préserver sa propre liberté d’appréciation quant au point de savoir si une telle preuve a ou non été apportée à suffisance de droit, jusqu’au moment où, ayant pris connaissance de l’ensemble des éléments produits par les deux parties et des arguments échangés par celles-ci, il se considère en mesure, au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes du cas dont il est saisi, de former sa conviction définitive à cet égard (voir, par analogie, arrêt du 9 novembre 1983, San Giorgio, 199/82, EU:C:1983:318, point 14).

    En l’occurrence, des éléments tels que ceux invoqués dans le cadre de l’affaire au principal et liés à la proximité temporelle entre l’administration d’un vaccin et la survenance d’une maladie ainsi qu’à l’absence d’antécédents médicaux personnels et familiaux, en relation avec cette maladie, de même que l’existence d’un nombre significatif de cas répertoriés de survenance de cette maladie à la suite de telles administrations, paraissent a priori constituer des indices dont la conjonction pourrait, le cas échéant, conduire une juridiction nationale à considérer qu’une victime a satisfait à la charge de la preuve pesant sur elle en vertu de l’article 4 de la directive 85/374. Tel pourrait notamment être le cas si lesdits indices amènent le juge à considérer, d’une part, que l’administration du vaccin constitue l’explication la plus plausible de la survenance de la maladie et, d’autre part, que ledit vaccin n’offre dès lors pas, au sens de l’article 6 de cette directive, la sécurité à laquelle on peut légitimement s’attendre compte tenu de toutes les circonstances, en ce qu’il occasionne un dommage anormal et particulièrement grave au patient qui, s’agissant d’un produit de cette nature et eu égard à la fonction de celui-ci, peut, en effet, légitimement s’attendre à un degré élevé de sécurité (voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2015, Boston Scientific Medizintechnik, C‑503/13 et C‑504/13, EU:C:2015:148, point 39).

    (voir points 37, 38, 41, 43, disp. 1)

  2.  L’article 4 de la directive 85/374 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à un régime probatoire reposant sur des présomptions selon lequel, lorsque la recherche médicale n’établit ni n’infirme l’existence d’un lien entre l’administration du vaccin et la survenance de la maladie dont est atteinte la victime, l’existence d’un lien de causalité entre le défaut attribué à un vaccin et le dommage subi par la victime serait toujours considérée comme établie lorsque certains indices factuels prédéterminés de causalité sont réunis.

    D’une part, en effet, en précisant, dans sa question, que, une fois établis certains faits ainsi pré-identifiés, l’existence d’un tel lien causal serait « toujours considérée comme établie », la juridiction de renvoi semble vouloir se référer à une présomption de nature irréfragable. Or, un tel type de présomption aurait pour conséquence que, alors que les faits ainsi pré-identifiés ne sont, par hypothèse, pas de nature à établir de manière certaine l’existence d’un tel lien de causalité, le producteur se verrait, en pareil cas, privé de toute possibilité de produire des éléments factuels ou de faire valoir des arguments, par exemple d’ordre scientifique, aux fins de tenter de renverser celle-ci, et le juge se verrait ainsi privé de toute possibilité d’apprécier les faits à la lumière de tels éléments ou arguments. Par son automatisme, une telle situation non seulement porterait atteinte au principe énoncé à l’article 4 de la directive 85/374 et voulant que la charge de la preuve du défaut et du lien de causalité incombe à la victime, mais risquerait, de surcroît, de mettre à mal l’effectivité même du régime de responsabilité institué par cette directive. En effet, l’existence de l’une des trois conditions auxquelles se trouve subordonnée la responsabilité du producteur en vertu de ladite directive s’imposerait ainsi au juge, sans qu’il soit même loisible à ce dernier d’examiner si les autres éléments d’appréciation qui lui auraient été soumis, dans le cas d’espèce dont il se trouve saisi, ne sont pas de nature à commander une conclusion inverse.

    D’autre part, en supposant même que la présomption envisagée par la juridiction de renvoi soit réfragable, il demeurerait, alors, que, dès lors que les faits ainsi pré-identifiés par le législateur ou par la juridiction suprême nationale se trouveraient établis, l’existence d’un lien de causalité serait automatiquement présumée, de telle sorte que le producteur pourrait alors se trouver, avant même que la juridiction du fond ait pris connaissance des éléments d’appréciation dont dispose le producteur et des arguments présentés par ce dernier, dans l’obligation de renverser ladite présomption afin de s’opposer avec succès à la demande. Or, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 36 du présent arrêt, une telle situation conduirait à ce que la charge de la preuve prévue à l’article 4 de la directive 85/374 soit méconnue.

    (voir points 53-55, disp. 2)

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