EUR-Lex Access to European Union law

Back to EUR-Lex homepage

This document is an excerpt from the EUR-Lex website

Document 61998CJ0084

Arrêt de la Cour du 4 juillet 2000.
Commission des Communautés européennes contre République portugaise.
Manquement d'Etat - Règlement (CEE) nº 4055/86 - Libre prestation des services - Transports maritimes - Article 234 du traité CE (devenu, après modification, article 307 CE).
Affaire C-84/98.

Recueil de jurisprudence 2000 I-05215

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2000:359

61998J0084

Arrêt de la Cour du 4 juillet 2000. - Commission des Communautés européennes contre République portugaise. - Manquement d'Etat - Règlement (CEE) nº 4055/86 - Libre prestation des services - Transports maritimes - Article 234 du traité CE (devenu, après modification, article 307 CE). - Affaire C-84/98.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-05215


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1 Transports - Transports maritimes - Accord de partage des cargaisons entre un État membre et un pays tiers - Obligation d'adapter un accord existant avant l'entrée en vigueur du règlement n_ 4055/86 - Non-respect - Obligation de l'État membre de dénoncer un tel accord - Manquement - Justification tirée de l'existence d'une situation politique difficile dans le pays tiers - Inadmissibilité

(Traité, art. 169 (devenu art. 226 CE); Règlement du Conseil n_ 4055/86, art. 3 et 4, § 1)

2 Accords internationaux - Accords des États membres - Accords antérieurs au traité CE - Droits des États tiers et obligations des États membres - Obligation d'éliminer les incompatibilités éventuelles entre un accord antérieur et le traité - Portée

(Traité, art. 234 (devenu, après modification, art. 307 CE))

Sommaire


1 Lorsqu'un État membre n'est pas parvenu, dans les délais prévus par le règlement n_ 4055/86 portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et États tiers, à modifier par la voie diplomatique un accord bilatéral conclu avec un pays tiers avant l'adhésion de l'État membre aux Communautés contenant des arrangements en matière de partage des cargaisons incompatibles avec ledit règlement, et dans la mesure où la dénonciation d'un tel accord est possible au regard du droit international, il lui incombe de le dénoncer.

À cet égard, l'existence d'une situation politique difficile dans le pays tiers cocontractant ne saurait justifier la persistance d'un manquement dans le chef d'un État membre aux obligations qui lui incombent en vertu du traité. (voir points 40, 48)

2 L'article 234, premier alinéa, du traité (devenu, après modification, article 307, premier alinéa, CE) a pour objet de préciser, conformément aux principes du droit international, que l'application du traité n'affecte pas l'engagement par l'État membre concerné de respecter les droits des pays tiers résultant d'une convention antérieure et d'observer ses obligations correspondantes. Toutefois, dans le cadre du deuxième alinéa de l'article 234, si les États membres ont le choix quant aux mesures appropriées à prendre, ils n'en ont pas moins une obligation d'éliminer les incompatibilités existant entre une convention précommunautaire et le traité. Si un État membre rencontre des difficultés rendant la modification d'un accord impossible, on ne saurait donc exclure qu'il lui incombe de dénoncer cet accord.

À cet égard, l'argument selon lequel pareille dénonciation comporterait une exclusion disproportionnée des intérêts liés à la politique extérieure de l'État membre concerné par rapport à l'intérêt communautaire ne saurait être retenu. En effet, l'équilibre entre les intérêts liés à la politique extérieure d'un État membre et l'intérêt communautaire trouve son expression dans l'article 234 précité, dans la mesure où cette disposition, d'une part, permet à un État membre de tenir en échec une norme communautaire afin de respecter les droits des pays tiers résultant d'une convention antérieure et d'observer ses obligations correspondantes et, d'autre part, lui donne le choix des moyens appropriés afin que l'accord concerné soit rendu compatible avec le droit communautaire. (voir points 53, 58-59)

Parties


Dans l'affaire C-84/98,

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Caeiro, conseiller juridique principal, B. Mongin et Mme M. Afonso, membres du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. C. Gómez de la Cruz, membre du même service, Centre Wagner, Kirchberg,

partie requérante,

contre

République portugaise, représentée par M. L. Fernandes, directeur du service juridique de la direction générale des Communautés européennes du ministère des Affaires étrangères, et Mme M. L. Duarte, conseiller juridique à la même direction, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg au siège de l'ambassade du Portugal, 33, allée Scheffer,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en n'ayant ni dénoncé ni adapté l'accord sur la marine marchande conclu avec la république fédérale de Yougoslavie, approuvé par le décret n_ 74/81, signé le 28 juin 1979 et entré en vigueur le 19 mai 1981, de manière à permettre un accès équitable, libre et non discriminatoire des ressortissants de la Communauté aux parts de cargaisons destinées à la République portugaise, conformément au règlement (CEE) n_ 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entres États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1), la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 4, paragraphe 1, dudit règlement,

LA COUR,

composée de MM. G. C. Rodríguez Iglesias, président, J. C. Moitinho de Almeida, D. A. O. Edward (rapporteur), L. Sevón et R. Schintgen, présidents de chambre, C. Gulmann, J.-P. Puissochet, G. Hirsch, P. Jann, H. Ragnemalm et M. Wathelet, juges,

avocat général: M. J. Mischo,

greffier: M. H. von Holstein, greffier adjoint,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les parties en leur plaidoirie à l'audience du 14 septembre 1999,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 20 octobre 1999,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 27 mars 1998, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en n'ayant ni dénoncé ni adapté l'accord sur la marine marchande conclu avec la république fédérale de Yougoslavie, approuvé par le décret n_ 74/81, signé le 28 juin 1979 et entré en vigueur le 19 mai 1981 (ci-après l'«accord litigieux»), de manière à permettre un accès équitable, libre et non discriminatoire des ressortissants de la Communauté aux parts de cargaisons destinées à la République portugaise, conformément au règlement (CEE) n_ 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO L 378, p. 1), la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 4, paragraphe 1, dudit règlement.

2 La république fédérale de Yougoslavie, telle qu'elle existait au moment de la conclusion de l'accord litigieux, a été démembrée. La république de Croatie et la république de Slovénie ont été reconnues de concert par les États membres le 15 janvier 1992. La république de Bosnie-Herzégovine a été reconnue le 7 avril 1992. L'ex-république yougoslave de Macédoine a été reconnue par les États membres, à l'exception de la République hellénique, en 1993.

3 À la suite du démembrement de la république fédérale de Yougoslavie, les autorité portugaises ont décidé de prendre contact avec chacun de ces pays tiers afin de procéder à la modification de l'accord litigieux.

4 En ce qui concerne la république de Slovénie, la Commission a reconnu, lors de l'audience, que la modification nécessaire avait fait l'objet d'un accord entre ce pays tiers et la République portugaise.

Le cadre juridique communautaire

5 L'article 234 du traité CE (devenu, après modification, article 307 CE) dispose:

«Les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du présent traité, entre un ou plusieurs États membres, d'une part, et un ou plusieurs États tiers, d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions du présent traité.

Dans la mesure où ces conventions ne sont pas compatibles avec le présent traité, le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées. En cas de besoin, les États membres se prêtent une assistance mutuelle en vue d'arriver à cette fin et adoptent le cas échéant une attitude commune.

Dans l'application des conventions visées au premier alinéa, les États membres tiennent compte du fait que les avantages consentis dans le présent traité par chacun des États membres font partie intégrante de l'établissement de la Communauté et sont, de ce fait, inséparablement liés à la création d'institutions communes, à l'attribution de compétence en leur faveur et à l'octroi des mêmes avantages par tous les autres États membres.»

6 Le règlement n_ 4055/86 contient les dispositions suivantes:

Article 1er, paragraphe 1:

«La libre prestation des services de transport maritime entre États membres et entre États membres et pays tiers est applicable aux ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire des services.»

Article 2:

«Par dérogation à l'article 1er, les restrictions nationales unilatérales applicables au transport de certaines marchandises dont l'acheminement est en tout ou en partie réservé aux navires battant pavillon national, existant avant le 1er juillet 1986, sont supprimées au plus tard aux dates prévues par le calendrier suivant:

- transport entre États membres effectué par des navires battant pavillon d'un État membre: le 31 décembre 1989,

- transport entre États membres et pays tiers effectué par des navires battant pavillon d'un État membre: le 31 décembre 1991,

- transport entre États membres et entre États membres et pays tiers effectué par d'autres navires: le 1er janvier 1993.»

Article 3:

«Les arrangements en matière de partage des cargaisons contenus dans les accords bilatéraux existants conclus par les États membres avec des pays tiers sont supprimés progressivement ou adaptés conformément aux dispositions de l'article 4.»

Article 4, paragraphe 1:

«Les arrangements existant en matière de partage des cargaisons non supprimés en vertu de l'article 3 sont adaptés conformément à la législation communautaire et notamment:

a) pour ce qui est des trafics régis par le code de conduite des conférences maritimes des Nations unies, ils respectent ce code et les obligations incombant aux États membres aux termes du règlement (CEE) n_ 954/79;

b) pour ce qui est des trafics non régis par le code de conduite des conférences maritimes des Nations unies, les accords sont adaptés dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, avant le 1er janvier 1993, de manière à prévoir un accès équitable, libre et non discriminatoire de tous les ressortissants de la Communauté, tels qu'ils sont définis à l'article 1er, aux parts de cargaison revenant aux États membres concernés.»

7 Conformément à son article 12, le règlement n_ 4055/86 est entré en vigueur le 1er janvier 1987.

L'accord litigieux

8 L'accord litigieux est entré en vigueur le 19 mai 1981, soit plusieurs années avant l'adhésion, le 1er janvier 1986, de la République portugaise aux Communautés.

9 L'article 3, deuxième alinéa, de l'accord litigieux prévoit:

«Les entreprises de navigation des deux parties contractantes ont les mêmes droits pour le transport des cargaisons dans le trafic bilatéral entre les ports des pays respectifs.»

10 L'article 13, troisième alinéa, de ce même accord stipule:

«Le présent accord reste en vigueur encore douze mois après la date de notification par une des parties contractantes de sa décision de le dénoncer.»

11 L'accord litigieux réserve le transport des cargaisons entre les parties contractantes aux navires qui battent pavillon d'une des parties ou aux navires exploités par des personnes ou des entreprises ayant la nationalité d'une des parties. Ainsi, les navires exploités par des ressortissants d'autres États membres sont exclus du trafic couvert par ledit accord.

La procédure précontentieuse

12 Considérant que les clauses de partage de cargaisons contenues dans l'accord litigieux sont soumises aux dispositions du règlement n_ 4055/86, et notamment à son article 4, paragraphe 1, et qu'elles auraient dû être modifiées afin d'être rendues conformes audit règlement, la Commission a adressé à la République portugaise plusieurs lettres.

13 En réponse à une lettre de la Commission du 30 juillet 1993, les autorités portugaises ont indiqué, par lettre du 28 octobre 1993, que leurs démarches diplomatiques auprès des nouveaux pays n'avaient pas encore abouti. Elles ont rappelé que, dans la pratique, le gouvernement portugais respectait les dispositions du règlement n_ 4055/86 et qu'il n'invoquait aucune des clauses de partage des cargaisons prévues dans l'accord litigieux.

14 Le 28 mars 1994, la Commission a adressé une lettre de mise en demeure à la République portugaise.

15 Dans sa réponse du 21 juin 1994, le gouvernement portugais a reconnu la nécessité de modifier l'accord litigieux. Il a expliqué, en outre, que la procédure avait déjà été engagée à cet effet et qu'il prévoyait qu'elle serait menée à son terme à brève échéance.

16 L'accord litigieux n'ayant été ni modifié ni dénoncé dans le délai imparti par la Commission, celle-ci a émis, le 6 décembre 1995, un avis motivé invitant la République portugaise, conformément aux dispositions de l'article 169 du traité, à prendre les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

17 Par lettre du 8 septembre 1997, les autorités portugaises ont expliqué que, à la suite du démembrement de la république fédérale de Yougoslavie, elles avaient décidé de prendre contact avec chacune des républiques qui étaient issues de ce pays et que, pour procéder à la modification de l'accord litigieux, elles avaient remis aux autorités de ces républiques une note contenant la proposition des autorités portugaises sur les modifications à apporter audit accord. Le gouvernement portugais y soulignait également l'urgence qu'il y avait à modifier cet accord.

18 Les autorités portugaises ont ensuite informé la Commission qu'elles attendaient les réponses des administrations des pays issus de l'ex-république fédérale de Yougoslavie.

19 Par lettre du 3 décembre 1997, la République portugaise a transmis à la Commission toutes les informations disponibles sur les résultats obtenus.

20 En l'absence de modifications concrètes de l'accord litigieux, la Commission a décidé d'introduire le présent recours.

Arguments des parties

21 La Commission relève que le règlement n_ 4055/86 a pour objectif d'assurer la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers. L'accord litigieux réserve le transport des cargaisons entre les parties aux navires battant pavillon d'une des parties ou à ceux exploités par des personnes ou des entreprises ayant la nationalité d'une des parties. Il en résulte que les navires exploités par des ressortissants d'autres États membres sont exclus du trafic couvert par cet accord. La Commission estime, par conséquent, que cet accord aurait dû être modifié afin de devenir conforme au règlement n_ 4055/86, et notamment à son article 4, paragraphe 1.

22 À cet égard, la Commission relève que l'article 2 du règlement n_ 4055/86 fixe les dates auxquelles l'adaptation d'un accord devait avoir lieu, concrétisant ainsi les seules dérogations à la libre prestation des services de transport maritime introduite par l'article 1er, paragraphe 1, dudit règlement.

23 Conformément à l'article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement n_ 4055/86, s'agissant des trafics non régis par le code de conduite des conférences maritimes des Nations unies, l'accord devait être adapté dans les meilleurs délais et, en tout état de cause, avant le 1er janvier 1993. En ce qui concerne les trafics régis par le code de conduite des conférences maritimes des Nations unies visés à l'article 4, paragraphe 1, sous a), dudit règlement, aucun délai n'était accordé pour procéder aux adaptations.

24 Dans la mesure où le code de conduite n'est entré en vigueur que le 6 octobre 1983 pour la république fédérale de Yougoslavie et le 13 décembre 1990 pour la République portugaise, la Commission estime que les dispositions de l'article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement n_ 4055/86 ne pouvaient s'appliquer à cet accord qu'à compter de cette dernière date. Les adaptations auraient donc dû être achevées au plus tard le 13 décembre 1990.

25 Toutefois, la Commission estime que, indépendamment du fait que les trafics soient régis par l'article 4, paragraphe 1, sous a) ou b), du règlement n_ 4055/86, le délai dans lequel l'adaptation de l'accord litigieux aurait dû être effectuée est dépassé depuis longtemps. Elle fait valoir que le temps écoulé depuis l'entrée en vigueur dudit règlement a été plus que suffisant pour que cet accord soit modifié ou, en derniers recours, dénoncé et pour que la République portugaise remplisse ses obligations.

26 Le gouvernement portugais ne conteste pas que les clauses de partage de cargaisons figurant dans l'accord litigieux requièrent, en vertu des articles 3 et 4 du règlement n_ 4055/86, une modification de leur texte et souligne qu'il s'est efforcé, par tous les moyens diplomatiques mis à sa disposition, d'inciter les autorités compétentes des pays tiers à accepter une telle modification. En outre, il a décidé, dans l'attente de l'achèvement du processus diplomatique de révision dudit accord, de ne pas invoquer les clauses de partage des cargaisons.

27 Ce gouvernement soutient que, étant donné que la république fédérale de Yougoslavie a cessé d'exister, la Commission aurait dû adapter sa demande à cette nouvelle réalité.

28 Selon le gouvernement portugais, le recours en manquement est prématuré, vu l'état d'avancement des négociations avec les quatre pays concernés.

29 En outre, la demande de la Commission serait entachée d'une absence de fondement juridique parce qu'elle ne fait pas référence à l'article 234 du traité. Le cadre juridique garanti par cette disposition s'imposerait dans la motivation d'une demande qui a pour objet la modification ou la dénonciation d'une convention conclue avant l'adhésion aux Communautés (ci-après la «convention précommunautaire»).

30 Le gouvernement portugais estime que, eu égard aux termes de l'article 234 du traité, aucun manquement ne peut lui être reproché. En effet, lorsqu'il s'agit de conventions précommunautaires qui, en tout ou en partie, tiennent en échec le traité CE ou le droit pris en application de ce traité, l'article 234, deuxième alinéa, du traité ferait obligation aux États membres de recourir à tous les mécanismes appropriés afin d'éliminer la contradiction entre une disposition conventionnelle et une disposition communautaire. Toutefois, il ne leur imposerait pas une obligation de résultat, en ce sens qu'il exigerait d'eux, indépendamment des conséquences juridiques et du prix politique, l'élimination de l'incompatibilité constatée.

31 Le gouvernement portugais fait valoir que le deuxième alinéa de l'article 234 du traité doit être lu en liaison avec son premier alinéa, en sorte que l'élimination des incompatibilités doit prendre une forme qui, tout en garantissant le plein effet du droit communautaire, affecte le moins possible le droit des pays tiers qui sont parties à une convention précommunautaire.

32 Si l'article 234, deuxième alinéa, du traité faisait obligation aux États membres de dénoncer la convention précommunautaire, dans l'hypothèse où la voie diplomatique de modification des clauses incompatibles ferait défaut ou s'avérerait très difficile, la dernière phrase de cette disposition serait dénuée de sens. En effet, pour procéder à la dénonciation d'une convention précommunautaire, l'État membre n'aurait besoin ni de l'aide ni de l'assistance des autres États membres, puisqu'il s'agirait d'un acte unilatéral de volonté.

33 Selon le gouvernement portugais, l'hypothèse d'une obligation de dénonciation d'un accord en vertu de l'article 234, deuxième alinéa, du traité ne peut se présenter qu'à titre exceptionnel et dans des situations extrêmes. Dès lors, comme il s'agit d'un acte qui donne lieu en principe à une responsabilité internationale, la dénonciation ne se justifierait que si deux conditions étaient réunies, à savoir l'incompatibilité totale entre la disposition d'une convention précommunautaire et le droit communautaire ainsi que l'impossibilité de sauvegarder, par le biais de mécanismes politiques ou autres, l'intérêt communautaire en la matière.

34 Dans le cas d'espèce, la seconde condition ne serait pas remplie: les arrangements en matière de partage de cargaisons qu'il y aurait lieu de modifier ne seraient pas appliqués et, partant, leur portée formelle n'affecterait pas l'intérêt communautaire quant à une réalisation pleine et effective de la libre prestation des services dans le domaine des transports maritimes.

35 Une dénonciation ne pourrait être exigée que dans le cas où il serait évident que le pays tiers ne veut pas renégocier. Les difficultés à modifier l'accord pour des raisons politiques ou d'un autre ordre ne seraient pas suffisantes pour imposer la dénonciation.

36 D'ailleurs, la situation délicate dans laquelle ces nouveaux pays tiers se trouveraient au sein de la communauté internationale et, surtout, la considération de priorités et de lignes d'action stratégique, définies dans le cadre de la politique extérieure et de sécurité commune rendraient inopportune toute décision unilatérale de dénonciation de l'accord litigieux.

37 Selon le gouvernement portugais, une dénonciation serait un moyen disproportionné pour atteindre l'objectif visé à l'article 234, deuxième alinéa, du traité et comporterait une méconnaissance disproportionnée des intérêts liés à la politique extérieure de la République portugaise par rapport à l'intérêt communautaire qui, en pratique, ne subit pas de préjudices réels et effectifs. Une telle dénonciation aurait un effet extrêmement pernicieux sur les relations diplomatiques, politiques et économiques entre cet État membre et les pays tiers concernés.

Appréciation de la Cour

38 À titre liminaire, il y a lieu de relever que la Commission et la République portugaise s'accordent sur le fait que les clauses de partage de cargaisons figurant dans l'accord litigieux requièrent une modification dudit accord afin que ce dernier soit compatible avec les articles 3 et 4 du règlement n_ 4055/86.

39 Il convient de constater que, en l'espèce, le gouvernement portugais n'est pas parvenu, dans les délais prévus par le règlement n_ 4055/86, à modifier l'accord litigieux en ayant recours à des moyens diplomatiques.

40 Il y a lieu, à cet égard, de rappeler que la Cour a déjà jugé que, dans ces conditions, dans la mesure où la dénonciation d'un accord de ce type est possible au regard du droit international, il incombe à l'État membre concerné de le dénoncer (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 1999, Commission/Belgique, C-170/98, Rec. p. I-5493, point 42).

41 Toutefois, le gouvernement portugais conteste l'existence d'un manquement, essentiellement pour quatre raisons.

42 En premier lieu, il fait valoir que, en raison du démembrement de la république fédérale de Yougoslavie, la Commission aurait dû adapter sa demande à cette nouvelle réalité.

43 À cet égard, il convient de relever que, selon une jurisprudence constante (arrêt du 20 mars 1997, Commission/Allemagne, C-96/95, Rec. p. I-1653, point 22), la procédure précontentieuse a pour but de donner à l'État membre concerné l'occasion, d'une part, de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d'autre part, de faire utilement valoir ses moyens de défense à l'encontre des griefs formulés par la Commission.

44 En l'espèce, la République portugaise ne donne aucune indication quant aux raisons pour lesquelles elle estime que le fait que la Commission n'a pas adapté sa demande à la suite du démembrement de la république fédérale de Yougoslavie a affecté, d'une part, la possibilité pour elle de se conformer à ses obligations découlant du droit communautaire et, d'autre part, ses droits de la défense.

45 En second lieu, le gouvernement portugais fait valoir que l'action de la Commission est prématurée, en raison de l'état d'avancement des négociations avec les pays tiers concernés.

46 À cet égard, il convient de rappeler que, eu égard à son rôle de gardienne du traité, la Commission est seule compétente pour décider s'il est opportun d'engager une procédure en constatation de manquement (voir arrêt du 11 août 1995, Commission/Allemagne, C-431/92, Rec. p. I-2189, point 22).

47 En troisième lieu, le gouvernement portugais prétend que la complexité de la situation née du démembrement de la république fédérale de Yougoslavie constitue un fait justificatif.

48 Il convient sur ce point de relever que l'existence d'une situation politique difficile dans un pays tiers cocontractant, comme c'est le cas en l'espèce, ne saurait justifier la persistance d'un manquement dans le chef d'un État membre aux obligations qui lui incombent en vertu du traité (voir arrêt Commission/Belgique, précité, point 42).

49 En dernier lieu, le gouvernement portugais fait valoir, en substance, que, en ce qui concerne les conventions précommunautaires conclues entre un État membre et un pays tiers, si l'article 234 du traité impose l'obligation d'utiliser tous les mécanismes appropriés pour éliminer une contradiction entre une règle conventionnelle et une règle communautaire, cette disposition ne serait cependant pas indifférente aux conséquences juridiques et aux coûts politiques résultant de ladite obligation. En effet l'hypothèse d'une obligation de dénonciation en vertu de l'article 234 du traité n'existerait qu'à titre exceptionnel et dans des cas extrêmes. Selon ce gouvernement, une telle dénonciation comporterait une exclusion disproportionnée des intérêts liés à sa politique extérieure par rapport à l'intérêt communautaire. En outre, la Commission aurait dû faire référence à cette disposition dans la motivation d'une demande ayant pour objet la modification ou la dénonciation d'une convention précommunautaire.

50 Il importe donc d'examiner les circonstances dans lesquelles un État membre peut maintenir des mesures contraires au droit communautaire en se fondant sur une convention précommunautaire conclue avec un pays tiers.

51 À cet égard, il y a lieu de rappeler que l'article 234 du traité dispose, en son premier alinéa, que les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement à l'entrée en vigueur du traité entre, d'une part, un ou plusieurs États membres et, d'autre part, un ou plusieurs pays tiers ne sont pas affectés par les dispositions du traité. Le deuxième alinéa de cette disposition fait toutefois obligation aux États membres de recourir à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités éventuelles entre une telle convention et le traité CE.

52 L'article 234 du traité a une portée générale et s'applique à toute convention internationale, quel que soit son objet, susceptible d'avoir une incidence sur l'application du traité (voir arrêts du 14 octobre 1980, Burgoa, 812/79, Rec. p. 2787, point 6, et du 2 août 1993, Levy, C-158/91, Rec. p. I-4287, point 11).

53 Ainsi qu'il ressort de l'arrêt Burgoa, précité, l'article 234, premier alinéa, du traité a pour objet de préciser, conformément aux principes du droit international [voir, à cet égard, l'article 30, paragraphe 4, sous b), de la convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités], que l'application du traité CE n'affecte pas l'engagement de l'État membre concerné de respecter les droits des pays tiers résultant d'une convention antérieure et d'observer ses obligations correspondantes.

54 Il en résulte que la République portugaise doit toujours respecter les droits que la république fédérale de Yougoslavie tire de l'accord litigieux.

55 L'accord litigieux comporte toutefois une clause (article 13) qui vise explicitement la possibilité pour les parties contractantes de le dénoncer, de sorte que sa dénonciation par la République portugaise n'irait pas à l'encontre des droits que la république fédérale de Yougoslavie tire de cet accord.

56 Par conséquent, les obligations auxquelles la République portugaise est soumise en vertu des articles 3 et 4 du règlement n_ 4055/86 ne sont pas affectées par le principe énoncé à l'article 234, premier alinéa, du traité.

57 En ce qui concerne l'argument du gouvernement portugais selon lequel l'obligation de recourir à la dénonciation constituerait une obligation exceptionnelle dans le cadre de l'article 234 du traité, il suffit de constater que, en l'espèce, l'obligation qui incombe à la République portugaise ne trouve pas son fondement dans cette disposition du traité, mais dans les dispositions du règlement n_ 4055/86.

58 Au surplus, il convient de relever que, si, dans le cadre de l'article 234 du traité, les États membres ont le choix quant aux mesures appropriées à prendre, ils n'en ont pas moins l'obligation d'éliminer les incompatibilités existant entre une convention précommunautaire et le traité CE. Si un État membre rencontre des difficultés rendant la modification d'un accord impossible, on ne saurait donc exclure qu'il lui incombe de dénoncer cet accord.

59 Quant à l'argument selon lequel pareille dénonciation comporterait une exclusion disproportionnée des intérêts liés à la politique extérieure de la République portugaise par rapport à l'intérêt communautaire, il y a lieu d'indiquer que l'équilibre entre les intérêts liés à la politique extérieure d'un État membre et l'intérêt communautaire trouve déjà son expression dans l'article 234 du traité, dans la mesure où cette disposition permet à un État membre de tenir en échec une norme communautaire afin de respecter les droits des pays tiers résultant d'une convention antérieure et d'observer ses obligations correspondantes. Cet article leur donne également le choix des moyens appropriés afin que l'accord concerné soit rendu compatible avec le droit communautaire.

60 Enfin, quant à l'absence de fondement juridique qui découlerait de ce que la Commission a omis de faire référence à l'article 234 du traité, il suffit de constater qu'en l'espèce la demande de la Commission était fondée sur le règlement n_ 4055/86.

61 Dans ces circonstances, il convient de constater que, en n'ayant ni dénoncé ni adapté l'accord litigieux, de manière à permettre un accès équitable, libre et non discriminatoire des ressortissants de la Communauté aux parts de cargaisons destinées à la République portugaise, conformément au règlement n_ 4055/86, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 4, paragraphe 1, dudit règlement.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

62 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République portugaise et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

déclare et arrête:

63 En n'ayant ni dénoncé ni adapté l'accord sur la marine marchande conclu avec la république fédérale de Yougoslavie, de manière à permettre un accès équitable, libre et non discriminatoire des ressortissants de la Communauté aux parts de cargaisons destinées à la République portugaise, conformément au règlement (CEE) n_ 4055/86 du Conseil, du 22 décembre 1986, portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers, la République portugaise a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 3 et 4, paragraphe 1, dudit règlement.

64 La République portugaise est condamnée aux dépens.

Top