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Document 62008TJ0584
Judgment of the General Court (Eighth Chamber) of 3 February 2011.#Cantiere navale De Poli SpA v European Commission.#State aid - Temporary defensive mechanism for shipbuilding - Alteration planned by the Italian authorities to an aid scheme previously authorised by the Commission - Decision declaring the aid scheme incompatible with the common market.#Case T-584/08.
Arrêt du Tribunal (huitième chambre) du 3 février 2011.
Cantiere navale De Poli SpA contre Commission européenne.
Aides d’État - Mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale - Modification envisagée par les autorités italiennes d’un régime d’aides préalablement autorisé par la Commission - Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché commun.
Affaire T-584/08.
Arrêt du Tribunal (huitième chambre) du 3 février 2011.
Cantiere navale De Poli SpA contre Commission européenne.
Aides d’État - Mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale - Modification envisagée par les autorités italiennes d’un régime d’aides préalablement autorisé par la Commission - Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché commun.
Affaire T-584/08.
Recueil de jurisprudence 2011 II-00063
Identifiant ECLI: ECLI:EU:T:2011:26
Affaire T-584/08
Cantiere navale De Poli SpA
contre
Commission européenne
« Aides d’État — Mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale — Modification envisagée par les autorités italiennes d’un régime d’aides préalablement autorisé par la Commission — Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché commun »
Sommaire de l'arrêt
1. Aides accordées par les États — Projets d'aides — Examen par la Commission — Application des règles de droit matériel en vigueur au moment de la prise de décision de la Commission
(Art. 88, § 3, CE; règlement du Conseil nº 659/1999, art. 4)
2. Aides accordées par les États — Interdiction — Dérogations — Catégories d'aides, définies par voie réglementaire, pouvant être considérées comme compatibles avec le marché commun
(Art. 87, § 3, CE et 88, § 3, CE)
1. S’agissant de l’application dans le temps d’une règle de droit en l’absence de dispositions transitoires, il importe de distinguer les règles de compétence des règles de droit matériel. En ce qui concerne les règles régissant la compétence des institutions de l’Union européenne, la disposition constituant la base juridique d’un acte et habilitant l’institution de l’Union à adopter l’acte en cause doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci. Quant aux règles de droit matériel, elles régissent à partir de leur entrée en vigueur tous les effets futurs de situations nées sous l’empire de la législation antérieure. Par conséquent, les règles de droit matériel ne s’appliquent pas aux effets établis antérieurement à leur entrée en vigueur, à moins que les conditions exceptionnelles de l’application rétroactive ne soient remplies.
S’agissant des aides notifiées et non versées, dans le cadre du système de contrôle des aides d’État de l’Union, la date à laquelle les effets de l’aide envisagée deviennent établis coïncide avec le moment où la Commission adopte la décision se prononçant sur la compatibilité de ladite aide avec le marché commun. En effet, les règles, principes et critères d’appréciation de la compatibilité des aides d’État en vigueur à la date à laquelle la Commission prend sa décision peuvent, en principe, être considérés comme mieux adaptés au contexte concurrentiel. Cela est dû au fait que l’aide en question ne donnerait lieu à des avantages ou à des désavantages réels dans le marché commun qu’au plus tôt à la date à laquelle la Commission décide ou non de l’autoriser. En revanche, pour les aides versées illégalement sans notification préalable, les règles de droit matériel applicables sont celles en vigueur au moment où l’aide a été versée, dès lors que les avantages et désavantages suscités par une telle aide se sont matérialisés durant la période au cours de laquelle l’aide en question a été versée.
Certes, le fait que la date déterminant les règles de droit matériel applicables coïncide, s’agissant d’une aide notifiée et non versée, avec l’adoption par la Commission d’une décision se prononçant sur la compatibilité de ladite aide aboutit à ce que cette institution peut, en modulant la durée d’examen de la mesure d’aide notifiée, provoquer l’application d’une règle de droit matériel entrée en vigueur postérieurement à la notification de ladite mesure à la Commission. À cet égard, il importe de relever que la possibilité pour la Commission d’opter pour l’application soit de la nouvelle règle, soit de l’ancienne règle est circonscrite et contrebalancée, d’une part, par le fait que les États membres ont un pouvoir discrétionnaire quant à la date à laquelle ils notifient les mesures d’aides et, d’autre part, par le fait que l’article 4 du règlement nº 659/1999, relatif à l'application de l'article 88 CE, invite la Commission, conformément au principe de bonne administration, à agir avec diligence.
(cf. points 32-33, 35-37, 40-41)
2. Aux termes de l'article 87, paragraphe 3, CE, certaines catégories d’aides « peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun ». Lorsqu'un règlement se fonde sur l’article 87, paragraphe 3, CE et définit les aides pouvant être considérées comme compatibles avec le marché commun, il n’en résulte pas pour autant qu’elles le sont nécessairement. En effet, il appartient à la Commission de vérifier, en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE, que ces aides remplissent toutes les conditions pour être compatibles avec le marché commun.
(cf. points 60-62)
ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)
3 février 2011 (*)
« Aides d’État – Mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale – Modification envisagée par les autorités italiennes d’un régime d’aides préalablement autorisé par la Commission – Décision déclarant le régime d’aides incompatible avec le marché commun »
Dans l’affaire T‑584/08,
Cantiere navale De Poli SpA, établie à Venise (Italie), représentée initialement par Mes A. Abate et R. Longanesi Cattani, puis par Mes Abate et A. Franchi, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par Mme E. Righini, MM. C. Urraca Caviedes et V. Di Bucci, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2010/38/CE de la Commission, du 21 octobre 2008, relative à l’aide d’État C 20/08 (ex N 62/08) que l’Italie entend mettre à exécution en modifiant le régime N 59/04 relatif à un mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale (JO 2010, L 17, p. 50),
LE TRIBUNAL (huitième chambre),
composé de Mme M. E. Martins Ribeiro, président, MM. S. Papasavvas et N. Wahl (rapporteur), juges,
greffier : M. N. Rosner, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 juin 2010,
rend le présent
Arrêt
Cadre juridique
1 L’article 1er du règlement (CE) nº 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[…]
b) ‘aide existante’ :
i) […] toute aide existant avant l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné, c’est-à-dire les régimes d’aides et aides individuelles mis à exécution avant, et toujours applicables après, ladite entrée en vigueur ;
ii) toute aide autorisée, c’est-à-dire les régimes d’aides et les aides individuelles autorisés par la Commission ou le Conseil ;
[…]
v) toute aide qui est réputée existante parce qu’il peut être établi qu’elle ne constituait pas une aide au moment de sa mise en vigueur, mais qui est devenue une aide par la suite en raison de l’évolution du marché commun et sans avoir été modifiée par l’État membre. Les mesures qui deviennent une aide [à la suite de] la libéralisation d’une activité par le droit communautaire ne sont pas considérées comme une aide existante après la date fixée pour la libéralisation ;
c) ‘aide nouvelle’ : toute aide, c’est-à-dire tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante ;
[…] »
2 Le règlement (CE) n° 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement n° 659/1999 (JO L 140, p. 1), prévoit, à son article 4, paragraphe 1, ce qui suit :
« Aux fins de l’article 1er, [sous] c), du règlement […] n° 659/1999, on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché commun. Toutefois, une augmentation du budget initial d’un régime d’aides existant n’excédant pas 20 % n’est pas considérée comme une modification de l’aide existante. »
3 Sur le fondement de l’article 87, paragraphe 3, sous e), CE, le Conseil a adopté le règlement (CE) n° 1177/2002, du 27 juin 2002, concernant un mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale (JO L 172, p. 1). Ledit règlement avait autorisé un tel mécanisme afin d’aider les chantiers navals communautaires qui avaient subi un préjudice grave en raison de la concurrence déloyale des chantiers navals situés en Corée (considérant 3 du règlement). L’article 2, paragraphes 2 et 3, de ce même règlement précisait que les aides directes en faveur de certains contrats de construction navale pouvaient être considérées comme compatibles avec le marché commun lorsque ces aides n’excédaient pas 6 % de la valeur contractuelle et lorsque le segment du marché en cause avait subi un préjudice grave du fait de la concurrence déloyale coréenne.
4 L’article 3 du règlement n° 1177/2002 subordonne l’octroi de l’aide à sa notification, conformément à l’article 88 CE, à la Commission, laquelle devait l’examiner et adopter une décision à son égard conformément au règlement n° 659/1999.
5 L’article 2, paragraphe 4, ainsi que les articles 4 et 5 du règlement n° 1177/2002 sont rédigés comme suit :
« Article 2
[…]
4. Le présent règlement n’est pas applicable à un navire livré plus de trois ans après la date de signature du contrat final. La Commission peut néanmoins proroger ce délai de trois ans lorsque cela se justifie en raison de la complexité technique du projet de construction navale concerné ou de retards résultant de perturbations inattendues, importantes et justifiables du plan de charge d’un chantier en raison de circonstances exceptionnelles, imprévisibles et extérieures à l’entreprise.
[…]
Article 4
Le présent règlement est applicable aux contrats finals signés à compter de la date de son entrée en vigueur jusqu’à son expiration, à l’exception des contrats finals signés avant que la Communauté ait annoncé au Journal officiel des Communautés européennes qu’elle a engagé la procédure de règlement des différends à l’encontre de la Corée en demandant des consultations conformément au mémorandum d’accord sur les règles et les procédures régissant le règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce et des contrats finals signés un mois ou plus après la publication par la Commission au Journal officiel des Communautés européennes d’une communication annonçant que ladite procédure de règlement des différends est close ou suspendue au motif que la Communauté estime que le procès-verbal agréé a été effectivement mis en œuvre.
Article 5
Le présent règlement entre en vigueur le jour suivant celui de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes et il expire le 31 mars 2004.
[…] »
6 Par le règlement (CE) n° 502/2004 du Conseil, du 11 mars 2004, modifiant le règlement n° 1177/2002 (JO L 81, p. 6), la date d’expiration du règlement n° 1177/2002 prévue à l’article 5 dudit règlement a été reportée au 31 mars 2005.
Antécédents du litige
7 La requérante, Cantiere navale De Poli SpA, exploite un chantier naval situé à Venise (Italie).
8 Le 15 janvier 2004, la République italienne a notifié un régime d’aides par lequel elle entendait appliquer le règlement n° 1177/2002 par le biais de l’article 4, paragraphe 153, de la legge n° 350 su disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2004) [loi n° 350 portant dispositions relatives à l’établissement du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances pour 2004)], du 24 décembre 2003 (supplément ordinaire à la GURI n° 299, du 27 décembre 2003, ci-après la « loi n° 350/2003 »), disposition qui précisait ce qui suit :
« Pour permettre l’application du [règlement n° 1177/2002], la somme de 10 millions d’euros est octroyée pour l’année 2004. Le décret du ministère des Infrastructures et des Transports fixe les modalités d’octroi de l’aide. L’efficacité des dispositions du présent point est subordonnée, conformément à l’article 88, paragraphe 3, [CE], à l’approbation préalable de la [Commission]. »
9 Par sa décision du 19 mai 2004, relative au régime d’aides N 59/2004, portant mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale, notifiée sous la référence C (2004) 1807 (ci-après la « décision d’approbation de 2004 »), la Commission a approuvé le régime notifié en considérant qu’il était conforme aux dispositions du règlement n° 1177/2002 et compatible avec le marché commun (ci-après le « régime de 2004 »).
10 Estimant que la dotation initiale de 10 millions d’euros n’était pas suffisante pour couvrir la totalité des demandes d’aides introduites avant l’expiration du règlement n° 1177/2002, tel que modifié par le règlement n° 502/2004, la République italienne a notifié le 1er février 2008 à la Commission son intention d’allouer, par le biais de l’article 2, paragraphe 206, de la legge n° 244 su disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2008) [loi n° 244 portant dispositions relatives à l’établissement du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances pour 2008)], du 24 décembre 2007 (supplément ordinaire à la GURI n° 300, du 28 décembre 2007), ci-après la « loi n° 244/2007 », 10 millions d’euros supplémentaires au budget consacré au régime de 2004 (ci-après la « mesure notifiée »).
11 Par lettre du 30 avril 2008, la Commission a informé la République italienne de sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à son égard, s’agissant de la mesure notifiée. La décision d’ouvrir la procédure a, en outre, été publiée au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2008, C 140, p. 20). La Commission y invitait l’ensemble des parties intéressées à présenter leurs observations dans le délai d’un mois à compter de la date de publication. Par lettre du 12 septembre 2008, la requérante a présenté ses observations, dont la Commission n’a pas tenu compte, dès lors qu’elle a estimé qu’elles avaient été déposées tardivement.
12 Le 21 octobre 2008, la Commission a adopté la décision 2010/38/CE relative à l’aide d’État C 20/08 (ex N 62/08) que l’Italie entend mettre à exécution en modifiant le régime N 59/04 relatif à un mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale (JO 2010, L 17, p. 50) (ci-après la « décision attaquée »), dont l’article 1er dispose :
« L’aide d’État que l’Italie entend mettre à exécution en modifiant le régime N 59/04 relatif à un mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale qui comporte une augmentation du budget du régime [de 2004] de l’ordre de 10 millions d’[euros] n’est pas compatible avec le marché commun.
Cette aide ne peut, par conséquent, être mise à exécution. »
13 Dans la décision attaquée, la Commission a estimé que la mesure notifiée constituait une aide nouvelle au sens de l’article 1er, sous c), du règlement n° 659/1999 et de l’article 4 du règlement n° 794/2004 et que cette aide ne pouvait être considérée comme compatible avec le marché commun, puisque le règlement n° 1177/2002 n’était plus en vigueur et ne pouvait donc servir de base légale pour l’appréciation de la mesure notifiée. La Commission a également précisé que ladite mesure ne pouvait pas être considérée comme compatible avec le marché commun sur la base de l’encadrement des aides d’État à la construction navale (JO 2003, C 317, p. 11) et qu’elle ne paraissait pas non plus compatible avec le marché commun sur le fondement d’une quelconque autre disposition applicable en matière d’aides d’État.
14 En outre, la Commission a relevé que, à la suite de l’entrée en vigueur du règlement n° 1177/2002, la République de Corée avait soumis à l’attention de l’organe de règlement des différends (ORD) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) la question de la légalité dudit règlement au regard des règles de l’OMC. Le 22 avril 2005, un groupe d’experts créé par l’ORD aurait publié un rapport dans lequel il avait été conclu que le règlement n° 1177/2002 et divers régimes nationaux appliquant ledit règlement existant à l’époque où la République de Corée avait porté le différend devant l’OMC violaient certaines règles de cette dernière. Le 20 juin 2005, l’ORD aurait adopté le rapport du groupe d’experts qui recommandait à la Communauté de mettre le règlement n° 1177/2002 et les régimes nationaux l’appliquant en conformité avec les obligations qui lui incombaient en vertu des accords passés dans le cadre de l’OMC.
Procédure et conclusions des parties
15 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 30 décembre 2008, la requérante a introduit le présent recours.
16 Elle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
17 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
18 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (huitième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 de son règlement de procédure, a invité les parties à se prononcer sur l’opportunité de joindre la présente affaire à l’affaire T‑3/09 dans laquelle un recours ayant le même objet avait été introduit par la République italienne. Après réception des observations des parties, qui n’ont émis aucune objection, ces affaires ont été jointes, par ordonnance du président de la huitième chambre du 2 juin 2010, aux fins de la procédure orale, conformément à l’article 50 du règlement de procédure.
19 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 16 juin 2010.
En droit
20 À l’appui de son recours, la requérante soulève cinq moyens, tirés, respectivement, de la violation du règlement n° 1177/2002, de l’appréciation erronée de la mesure notifiée, de l’absence de pertinence de la recommandation de l’ORD du 20 juin 2005, d’une violation de l’article 253 CE et d’une violation des principes de bonne administration, du contradictoire et du respect des droits de la défense.
Sur le premier moyen, tiré de la violation du règlement n° 1177/2002, de l’article 253 CE et des principes d’égalité de traitement et de protection de la confiance légitime
Arguments des parties
21 Dans le cadre de ce moyen, la requérante soutient que la Commission a violé les principes régissant l’application dans le temps d’une règle de droit. La Commission aurait confondu la période durant laquelle le règlement n° 1177/2002 était en vigueur avec celle au cours de laquelle ledit règlement était applicable. En effet, la Commission aurait été obligée d’appliquer ce règlement aux situations existant avant sa date d’expiration, à savoir le 31 mars 2005, dans la mesure où ces situations sont légalement nées au cours de la période durant laquelle le règlement n° 1177/2002 était en vigueur. Dans ce contexte, la requérante fait valoir que le considérant 34 de la décision attaquée est entaché d’un défaut de motivation. La requérante fait également référence à l’article 4 du règlement n° 1177/2002 et à la décision C (2008) 4356 de la Commission, du 8 août 2008, relative aux aides N 68/2008 et N 69/2008 – Italie (prolongation du délai de trois ans pour la livraison de navires-citernes construits par le chantier naval Giacalone), dans laquelle la Commission aurait fait application du règlement n° 1177/2002 après le 31 mars 2005.
22 En outre, la requérante prétend que la Commission, dans la décision attaquée, a enfreint le principe d’égalité de traitement, dès lors que les entreprises qui ont été privées du bénéfice du régime d’aides visé par cette décision avaient conclu leurs contrats de ventes respectifs dans le même contexte économique et réglementaire, à savoir avant le 31 mars 2005, en vue de faire face à la concurrence déloyale coréenne, que les entreprises ayant bénéficié du régime d’aides à la suite de la décision d’approbation de 2004. La seule différence entre ces opérateurs serait que le gouvernement italien, en raison d’exigences budgétaires, a procédé, après le 31 mars 2005, à un refinancement du régime de 2004.
23 La Commission aurait également violé le principe de protection de la confiance légitime en ayant arbitrairement présumé que la mesure notifiée l’avait été hors délai. Dès lors que le règlement n° 1177/2002 ne comportait aucun délai dans lequel les notifications des mesures d’aides devaient être effectuées et compte tenu du fait que la requérante avait conclu avant le 31 mars 2005 des contrats satisfaisant les conditions matérielles prévues par ledit règlement, la Commission n’aurait pas pu, sans porter atteinte aux attentes légitimes de la requérante, refuser d’approuver la mesure notifiée.
24 La requérante fait également valoir que la Commission n’a pas indiqué comment concilier la réalisation des objectifs du règlement n° 1177/2002 avec l’impossibilité matérielle, pour le gouvernement italien, de notifier, le jour même de l’expiration dudit règlement, les aides liées à des contrats dont il ne connaissait pas la date à laquelle ils seraient conclus et dont, par conséquent, il ne pouvait avoir connaissance, parce que le règlement n° 1177/2002 prévoyait le droit de les conclure jusqu’au 31 mars 2005.
25 Par ailleurs, la requérante relève que ni le système de contrôle des aides d’État prévu par le traité ni le règlement n° 1177/2002 ne prévoient de délai dans lequel les notifications des mesures d’aides au titre de l’article 88, paragraphe 3, CE doivent être effectuées.
26 En effet, il appartiendrait aux seules autorités italiennes, en vertu du principe de subsidiarité, de choisir la date de notification d’une mesure d’aide en fonction de leur connaissance du budget requis pour l’application du règlement n° 1177/2002, et eu égard aux procédures budgétaires habituellement prévues. Il s’avérerait que la Commission a commis une erreur manifeste en confondant et en faisant coïncider la date d’expiration du règlement n° 1177/2002, à savoir le 31 mars 2005, avec le délai dont les États membres disposaient pour prévoir le financement d’un régime d’aides.
27 La Commission conclut au rejet du moyen.
Appréciation du Tribunal
28 S’agissant, tout d’abord, du grief pris de ce que le considérant 34 de la décision attaquée serait entaché d’un défaut de motivation, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée par l’article 253 CE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués ainsi que de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par l’acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 230 CE doit être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt de la Cour du 1er juillet 2008, Chronopost/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, Rec. p. I‑4777, point 88, et la jurisprudence citée).
29 En l’espèce, aux considérants 33 et 34 de la décision attaquée, la Commission a expliqué pour quelles raisons elle estimait que la jurisprudence invoquée par le gouvernement italien n’était pas pertinente pour trancher la question de l’existence d’une confiance légitime du gouvernement italien dans la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché commun.
30 La motivation qui fait prétendument défaut figure aux considérants 11, 25 et 26 de la décision attaquée, qui comportent un exposé de la raison pour laquelle la Commission a considéré que le règlement n° 1177/2002 n’était pas applicable à la mesure notifiée, à savoir le fait qu’il n’était plus en vigueur.
31 Ensuite, en ce qui concerne le bien-fondé de l’approche retenue par la Commission, il est constant que, dans la décision attaquée, la Commission a conclu que le règlement n° 1177/2002 ne pouvait pas servir de base juridique pour l’appréciation de la mesure notifiée, dès lors qu’il avait expiré le 31 mars 2005 (considérants 11, 25 et 26 de la décision attaquée).
32 S’agissant de l’application dans le temps d’une règle de droit en l’absence de dispositions transitoires, il importe de distinguer, en l’espèce, les règles de compétence des règles de droit matériel.
33 En ce qui concerne les règles régissant la compétence des institutions de l’Union européenne, il ressort de la jurisprudence que la disposition constituant la base juridique d’un acte et habilitant l’institution de l’Union à adopter l’acte en cause doit être en vigueur au moment de l’adoption de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 4 avril 2000, Commission/Conseil, C‑269/97, Rec. p. I‑2257, point 45).
34 En l’occurrence, c’est l’article 88 CE qui constitue la base juridique attribuant à la Commission la compétence pour adopter des décisions en matière d’aides d’État et qui l’habilite de façon permanente, depuis 1968, à statuer sur la compatibilité des mesures d’aides, au regard de l’article 87 CE, avec le marché commun.
35 Quant aux règles de droit matériel, elles régissent à partir de leur entrée en vigueur tous les effets futurs de situations nées sous l’empire de la législation antérieure. Par conséquent, les règles de droit matériel ne s’appliquent pas aux effets établis antérieurement à leur entrée en vigueur, à moins que les conditions exceptionnelles de l’application rétroactive ne soient remplies (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 14 avril 1970, Brock, 68/69, Rec. p. 171, point 6 ; du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer, C‑162/00, Rec. p. I‑1049, point 49, et du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, C‑74/00 P et C‑75/00 P, Rec. p. I‑7869, point 119 ; arrêts du Tribunal du 14 février 2007, Simões Dos Santos/OHMI, T‑435/04, non encore publié au Recueil, point 100, et du 12 septembre 2007, González y Díez/Commission, T‑25/04, Rec. p. II‑3121, point 70).
36 S’agissant des aides notifiées et non versées, dans le cadre du système de l’Union de contrôle des aides d’État, la date à laquelle les effets de l’aide envisagée deviennent établis coïncide avec le moment où la Commission adopte la décision se prononçant sur la compatibilité de ladite aide avec le marché commun. En effet, les règles, principes et critères d’appréciation de la compatibilité des aides d’État en vigueur à la date à laquelle la Commission prend sa décision peuvent, en principe, être considérés comme mieux adaptés au contexte concurrentiel (arrêt de la Cour du 11 décembre 2008, Commission/Freistaat Sachsen, C‑334/07 P, Rec. p. I‑9465, points 50 à 53). Cela est dû au fait que l’aide en question ne donnerait lieu à des avantages ou à des désavantages réels dans le marché commun qu’au plus tôt à la date à laquelle la Commission décide ou non de l’autoriser.
37 En revanche, pour les aides versées illégalement sans notification préalable, les règles de droit matériel applicables sont celles en vigueur au moment où l’aide a été versée, dès lors que les avantages et désavantages suscités par une telle aide se sont matérialisés durant la période au cours de laquelle l’aide en question a été versée (arrêt du Tribunal du 15 avril 2008, SIDE/Commission, T‑348/04, Rec. p. II‑625, points 58 à 60).
38 Il s’ensuit que, en l’occurrence, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir appliqué le règlement n° 1177/2002, dès lors que l’aide envisagée avait été notifiée et non versée. En effet, les avantages et désavantages effectifs de la mesure notifiée dans le marché commun n’étaient pas susceptibles de se matérialiser avant l’adoption de la décision attaquée, laquelle a été prise après la date d’expiration du règlement n° 1177/2002, à savoir le 31 mars 2005.
39 L’argument selon lequel l’article 4 du règlement n° 1177/2002 prévoyait que ce dernier s’appliquait aux contrats conclus avant le 31 mars 2005 n’infirme pas la conclusion selon laquelle le règlement n° 1177/2002 n’était pas applicable à la mesure notifiée. En effet, l’article 4 du règlement n° 1177/2002 précise, à l’instar de l’article 2 dudit règlement, les conditions matérielles qui doivent être réunies pour que la Commission puisse, au titre de ce règlement, prendre une décision déclarant l’aide en cause compatible avec le marché commun. Cependant, l’application dans le temps dudit règlement est régie par son article 5 et les principes exposés aux points 33 à 36 ci-dessus.
40 Certes, le fait que la date déterminant les règles de droit matériel applicables coïncide, s’agissant d’une aide notifiée et non versée, avec l’adoption par la Commission d’une décision se prononçant sur la compatibilité de ladite aide aboutit à ce que cette institution peut, en modulant la durée d’examen de la mesure d’aide notifiée, provoquer l’application d’une règle de droit matériel entrée en vigueur postérieurement à la notification de ladite mesure à la Commission. Cependant, cette hypothèse, qui, au demeurant, ne se présente pas en l’occurrence, dès lors que la mesure notifiée l’a été après la date d’expiration du règlement n° 1177/2002, ne saurait justifier une dérogation au principe selon lequel les nouvelles règles de droit matériel régissent à partir de leur entrée en vigueur tous les effets futurs de situations constituées sous l’empire des règles anciennes.
41 À cet égard, il importe de relever que la possibilité pour la Commission d’opter pour l’application soit de la nouvelle règle, soit de l’ancienne règle est circonscrite et contrebalancée, d’une part, par le fait que les États membres ont un pouvoir discrétionnaire quant à la date à laquelle ils notifient les mesures d’aides et, d’autre part, par le fait que l’article 4 du règlement n° 659/1999 invite la Commission, conformément au principe de bonne administration, à agir avec diligence (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du Tribunal du 18 novembre 2004, Ferriere Nord/Commission, T‑176/01, Rec. p. II‑3931, point 62, et la jurisprudence citée).
42 Le fait que les États membres étaient tenus, pour bénéficier de l’application du règlement n° 1177/2002, de notifier les mesures d’aides envisagées avant l’expiration dudit règlement et avant que tous les contrats éligibles d’aides ne soient signés n’est pas susceptible de remettre en cause l’application au système de l’Union de contrôle des aides d’État des principes régissant l’application dans le temps des règles de droit matériel. En effet, il est inhérent au système de contrôle préalable des mesures d’aides d’État que les notifications doivent nécessairement contenir des estimations en ce qui concerne les montants globaux des aides envisagées. Cela est particulièrement valable s’agissant d’une mesure visant des aides opérationnelles, comme celles en cause en l’espèce.
43 En outre, l’affirmation selon laquelle la Commission a appliqué le règlement n° 1177/2002 après le 31 mars 2005, pour approuver une demande de prorogation de délai de livraison, n’infirme pas non plus la conclusion selon laquelle le règlement n° 1177/2002 n’était pas applicable à la mesure notifiée. D’une part, il importe de souligner que l’interprétation et l’application par la Commission d’une règle de droit ne sauraient en aucun cas lier le Tribunal. D’autre part, il y a lieu de constater que la décision à laquelle la requérante fait référence (voir point 21 ci-dessus) concerne, contrairement à celle en cause en l’espèce, une situation dont le cadre juridique a définitivement été établi antérieurement au 31 mars 2005, par le biais de la décision d’approbation de 2004.
44 Quant à l’argument tiré de la violation du principe d’égalité de traitement, il importe de souligner qu’il est manifestement dénué de fondement. En effet, le fait que le règlement n° 1177/2002 ne s’applique pas à la mesure notifiée ne résulte pas de l’exercice d’une marge d’appréciation. Partant, la raison pour laquelle les contrats visés par la mesure notifiée ne bénéficieraient pas d’aides au titre du règlement n° 1177/2002 est uniquement liée au caractère temporaire de ce même règlement et au fait que la République italienne n’a pas notifié la mesure en cause, de sorte qu’une décision puisse être prise par la Commission avant l’expiration dudit règlement.
45 S’agissant de l’affirmation de la requérante selon laquelle la Commission aurait violé le principe de protection de la confiance légitime, il importe de constater que le règlement n° 1177/2002 ne contient ni dispositions dispensant les États membres de leur obligation de notification au titre de l’article 88, paragraphe 3, CE, ni dispositions modifiant la définition des notions y afférentes, telles que la notion de modification d’une aide existante. Au contraire, ce règlement soumet son application au respect des dispositions de l’article 88 CE et du règlement n° 659/1999. Partant, la décision d’approbation de 2004, qui est fondée sur le règlement n° 1177/2002, ne pouvait aucunement être de nature à créer une confiance légitime au-delà de ce qui était explicitement exposé dans ladite décision, à savoir l’autorisation pour la République italienne d’octroyer des aides d’un montant global de 10 millions d’euros.
46 Eu égard à tout ce qui précède et en l’absence de dispositions transitoires étendant le champ d’application temporel du règlement n° 1177/2002, il convient de rejeter le premier moyen dans son ensemble.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une appréciation erronée de la mesure notifiée
Arguments des parties
47 La requérante soutient, en premier lieu, que la Commission n’aurait disposé d’aucune compétence pour examiner la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché commun, cette exigence de compatibilité étant étrangère au règlement n° 1177/2002. En effet, ce règlement résulte selon elle d’une situation d’urgence existant sur le marché, qui relève de la seule compétence du Conseil, en vertu de l’article 87, paragraphe 3, sous e), CE.
48 À cet égard, elle affirme que le rôle de la Commission, aux fins de l’appréciation de la compatibilité de mesures d’aides sous l’angle du régime dérogatoire instauré par le Conseil en vertu de l’article 87, paragraphe 3, sous e), CE, est limité à la vérification du respect des conditions énoncées par le Conseil, respect qui serait assuré en l’occurrence.
49 En deuxième lieu, la requérante allègue que c’est à tort que la Commission s’est fondée sur l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 794/2004 pour conclure que la mesure notifiée était une aide nouvelle. À cet égard, elle affirme que le règlement n° 1177/2002 était une norme supérieure au règlement n° 794/2004. Partant, ce dernier ne saurait restreindre l’application du règlement n° 1177/2002. Au contraire, le règlement n° 794/2004 devrait être interprété à la lumière de la finalité du règlement n° 1177/2002, à savoir celle de soutenir les chantiers européens confrontés à la concurrence déloyale coréenne.
50 En troisième lieu, la requérante conteste le bien-fondé du motif figurant au considérant 23 de la décision attaquée, selon lequel « les augmentations du budget d’un régime autorisé (autres que des augmentations marginales inférieures à 20 %) ont inévitablement une incidence sur la concurrence, puisqu’elles permettent à l’État membre d’accorder une aide plus importante que celle approuvée initialement ». D’après elle, la mesure notifiée n’aurait pu avoir d’impact sur la concurrence, dès lors qu’un tel impact se serait produit antérieurement, lorsque les opérateurs économiques, à la suite de l’adoption du règlement n° 1177/2002, ont conclu jusqu’en 2005 des contrats de navires.
51 D’après la requérante, le fait que les chantiers coréens aient pu subir un préjudice est un élément non pertinent, car cet élément constituerait précisément la finalité du règlement n° 1177/2002. De plus, la mesure notifiée n’aurait pas impliqué une véritable augmentation du budget d’une « aide existante », puisque les contrats concernés par la mesure notifiée n’ont jamais bénéficié du régime d’aides en cause.
52 En quatrième lieu, la requérante souligne qu’il faut considérer le refinancement entrepris par le gouvernement italien, c’est-à-dire la mesure notifiée, comme la conséquence directe du règlement n° 502/2004, qui a prolongé l’application du règlement n° 1177/2002 et a suscité un besoin de refinancement. Partant, il serait erroné de considérer la mesure notifiée comme un nouveau régime distinct de celui faisant l’objet de la décision d’approbation de 2004.
53 La Commission conteste les arguments de la requérante.
54 S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la mesure notifiée ne pourrait avoir aucune incidence sur la concurrence, la Commission excipe de son irrecevabilité. D’après la Commission, la requête introductive d’instance met en avant une violation de l’article 4, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 794/2004, alors que, dans la réplique, est critiquée l’inexistence d’un risque d’incidence sur la concurrence et, par conséquent, l’absence de l’une des exigences de l’article 87, paragraphe 1, CE. Il s’agirait, dès lors, d’un nouveau moyen, qui ne satisferait pas les dispositions combinées de l’article 44, paragraphe 1, sous c), et de l’article 48, paragraphe 2, du règlement de procédure.
Appréciation du Tribunal
55 À titre liminaire, il convient de rejeter la fin de non-recevoir avancée par la Commission. En effet, bien que, dans la requête introductive d’instance, la requérante a, à l’appui du présent moyen, principalement soutenu qu’il résultait de la hiérarchie des normes en cause que l’article 4, paragraphe 2, du règlement n° 794/2004 ne pouvait pas s’appliquer à la mesure notifiée, elle a également avancé l’argument selon lequel la mesure notifiée ne pouvait pas altérer les conditions de concurrence.
56 Il s’ensuit qu’il y a lieu de déclarer recevable l’ensemble des arguments soulevés par la requérante dans le cadre du présent moyen.
57 En ce qui concerne le bien-fondé du moyen, il importe de rejeter d’emblée l’affirmation selon laquelle le règlement n° 1177/2002 avait pour effet de priver la Commission de la compétence d’examiner la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché commun.
58 Premièrement, la compétence dont la Commission jouit à cet égard est consacrée par le traité CE et ne saurait être compromise par un règlement.
59 Deuxièmement, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de l’examen du premier moyen, le règlement n° 1177/2002 ne s’appliquait pas à la mesure notifiée.
60 Troisièmement, à supposer même que le règlement n° 1177/2002 trouve à s’appliquer à la mesure notifiée, il importe de souligner que le règlement n° 1177/2002 est fondé sur l’article 87, paragraphe 3, sous e), CE. Par conséquent, les aides qu’il vise ne constituent qu’une catégorie d’aides qui « peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun ». L’article 2, paragraphe 1, du règlement n° 1177/2002 reproduit d’ailleurs fidèlement ce libellé.
61 Partant, bien que de telles aides puissent être considérées comme compatibles avec le marché commun, il n’en résulte pas pour autant qu’elles le sont nécessairement (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 15 octobre 1996, IJssel-Vliet, C‑311/94, Rec. p. I‑5023, points 26 à 28).
62 En effet, il appartient à la Commission de vérifier, en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE, que ces aides remplissent toutes les conditions pour être compatibles avec le marché commun. Cela est rappelé par l’article 3 du règlement n° 1177/2002, qui prévoit expressément que l’article 88 CE et le règlement n° 659/1999 s’appliquent aux aides en cause.
63 Il résulte de l’ensemble de ces considérations concernant la compétence de la Commission que, contrairement à ce que la requérante soutient, la Commission était compétente en l’espèce pour apprécier la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché commun et aucune règle ne l’empêchait d’avoir recours au règlement n° 794/2004.
64 S’agissant de la contestation de la qualification de la mesure notifiée d’aide nouvelle, il importe de rappeler que la portée de la notion de modification d’une aide existante se fait par rapport à la base juridique ayant instauré le régime d’aides existant (arrêt de la Cour du 27 mars 1984, Commission/Italie, 169/82, Rec. p. 1603, points 9 et 10, et arrêt du Tribunal du 30 janvier 2002, Keller et Keller Meccanica/Commission, T‑35/99, Rec. p. II‑261, points 61 et 62).
65 En l’espèce, la loi n° 350/2003, précisant que le budget initial du régime d’aides s’élevait à 10 millions d’euros, faisait partie des éléments que la République italienne avait soumis à l’examen de la Commission dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à la décision d’approbation de 2004. Il s’ensuit que l’adoption de la loi n° 244/2007, prévoyant la dotation de 10 millions d’euros supplémentaires au régime de 2004, a effectivement suscité la qualification de la mesure notifiée d’aide nouvelle au sens de la jurisprudence.
66 À titre surabondant, il est rappelé que la prémisse sur laquelle le grief de la requérante est fondé, à savoir que la concurrence ne pouvait être altérée au moment de l’octroi de l’aide, dès lors que l’incidence sur la concurrence avait déjà eu lieu au moment des conclusions des contrats en 2005 (voir point 50 ci-dessus), est erronée, ainsi qu’il a déjà été indiqué aux points 36 à 38 ci-dessus.
67 Enfin, l’argument de la requérante, selon lequel la mesure notifiée ne peut être considérée comme une aide nouvelle, dès lors qu’elle constitue la conséquence directe du règlement n° 502/2004, qui a prolongé l’application du règlement n° 1177/2002 et a suscité un besoin de refinancement du régime de 2004, est dénué de pertinence. En effet, bien que le règlement n° 502/2004 ait prolongé l’application du règlement n° 1177/2002, il n’a introduit aucune dérogation à l’obligation de notifier les modifications d’aides, telle que prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE et par l’article 3 du règlement n° 1177/2002.
68 Il découle de tout ce qui précède qu’il y a également lieu de rejeter le deuxième moyen comme étant non fondé.
Sur le troisième moyen, tiré de l’absence de pertinence de la recommandation de l’ORD du 20 juin 2005
Arguments des parties
69 La requérante soutient, en substance, que la décision attaquée est viciée, dès lors que celle-ci a retenu, à tort, que la recommandation de l’ORD du 20 juin 2005 empêchait l’approbation de la mesure notifiée. En effet, la position retenue par la Commission dans la décision attaquée reviendrait à appliquer la recommandation de l’ORD du 20 juin 2005 rétroactivement aux contrats signés avant le 31 mars 2005, dont les signataires auraient eu une confiance légitime en ce que le règlement n° 1177/2002 leur soit appliqué. Cependant, la recommandation de l’ORD du 20 juin 2005 n’aurait dû jouer aucun rôle dans l’examen de la mesure notifiée par la Commission.
70 La Commission conclut au rejet du moyen.
Appréciation du Tribunal
71 Force est de constater qu’il ressort du considérant 26 de la décision attaquée que la Commission a considéré que la mesure notifiée était incompatible avec le marché commun eu égard, d’une part, au fait que le règlement n° 1177/2002 avait expiré et, d’autre part, au fait qu’il n’y avait pas d’autre base légale sur laquelle une décision de compatibilité pouvait être fondée.
72 Au considérant 37 de la décision attaquée, la Commission a indiqué, en réponse à l’argument de la République italienne exposé au considérant 35 de la décision attaquée, que la Communauté avait informé l’OMC, le 20 juillet 2005, du fait que le règlement n° 1177/2002 avait expiré le 31 mars 2005 et que les États membres ne pouvaient donc plus accorder d’aides au titre dudit règlement. La Commission a conclu à cet égard que cette communication constituait un engagement de la part de la Communauté vis-à-vis de l’OMC de ne plus appliquer le règlement n° 1177/2002.
73 Partant, une lecture combinée des considérants 26 et 37 de la décision attaquée révèle que, dans cette dernière, la Commission a estimé que l’approbation éventuelle de la mesure notifiée aurait été tant incompatible avec le marché commun qu’en contradiction avec les engagements de la Communauté par rapport à l’OMC, la conclusion portant sur l’incompatibilité de la mesure notifiée avec le marché commun étant une appréciation distincte, autonome et préalable à celle portant sur les responsabilités de la Communauté à l’égard de l’OMC.
74 Il s’ensuit que le troisième moyen de la requérante ne saurait prospérer.
Sur le quatrième moyen, tiré d’une insuffisance et d’un défaut de motivation
Arguments des parties
75 Par son quatrième moyen, la requérante fait valoir, en premier lieu, que le considérant 25 de la décision attaquée est entaché d’un défaut de motivation, dès lors que celui-ci « invoque, en termes généraux, l’inexistence d’une base juridique permettant d’autoriser [la mesure notifiée] en faisant simplement référence à l’expiration du règlement [n° 1177/2002], intervenue le 31 mars 2005 ». Selon la requérante, cette insuffisance de la motivation s’accompagne d’un défaut de motivation, dans la mesure où la décision attaquée néglige d’examiner la relation existant entre le règlement n° 1177/2002 et le règlement n° 794/2004 sous l’angle tant des objectifs poursuivis par le Conseil que de la hiérarchie des normes juridiques.
76 Dans sa réplique, la requérante affirme que les considérants 19 à 24 de la décision attaquée sont entachés d’un défaut de motivation, dès lors qu’ils omettent d’expliquer tant la relation entre la mesure notifiée et le règlement n° 1177/2002 que la relation entre l’octroi des aides et leurs incidences sur la concurrence en 2005.
77 La requérante soutient également que les affirmations de la Commission selon lesquelles, premièrement, le règlement n° 1177/2002 ne constituait pas une base légale valide dans l’examen de la mesure notifiée, deuxièmement, le gouvernement italien n’avait pas notifié la mesure en cause lorsque le règlement n° 1177/2002 était en vigueur et, troisièmement, l’approbation de la mesure notifiée constituerait une violation des engagements internationaux de la Communauté ne sont pas motivées.
78 La Commission fait valoir que la motivation de la décision attaquée est suffisante et adéquate pour faire apparaître clairement le raisonnement suivi dans l’appréciation de la mesure notifiée. Par ailleurs, elle estime que les arguments avancés par la requérante dans sa réplique sont irrecevables, dès lors qu’ils visent la conclusion de la Commission selon laquelle la mesure notifiée constituait une aide nouvelle. Or, la requérante n’aurait pas critiqué cet aspect de la décision attaquée dans sa requête.
Appréciation du Tribunal
79 À titre liminaire, il convient de rejeter la fin de non-recevoir avancée par la Commission, dès lors que la requérante a explicitement contesté dans sa requête la qualification de la mesure notifiée d’aide nouvelle. Il y a donc lieu de considérer comme recevables tous les arguments avancés par la requérante dans le cadre de ce moyen.
80 En ce qui concerne le grief dirigé à l’encontre du considérant 25 de la décision attaquée, il convient de le rejeter comme étant non fondé. Le raisonnement de la Commission quant au cadre juridique applicable à la mesure notifiée ainsi que son incompatibilité avec le marché commun ressort de façon suffisamment claire des considérants 11 et 25 à 35 de la décision attaquée.
81 En outre, il convient de rejeter comme dénués de tout fondement les arguments selon lesquels la décision attaquée ne traite pas de la relation entre le règlement n° 1177/2002, d’une part, et la mesure notifiée et le règlement n° 794/2004, d’autre part. Ainsi que constaté ci-dessus, la Commission a estimé dans la décision attaquée que le règlement n° 1177/2002 n’était plus applicable et n’était pas pertinent afin d’examiner la mesure notifiée. Partant, et au vu de la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus, il ne saurait être requis de la Commission d’expliquer davantage comment elle envisageait l’articulation entre un règlement qu’elle considérait comme non applicable en l’occurrence et les règles qu’elle envisageait d’appliquer.
82 S’agissant du grief pris de la prétendue insuffisance de motivation relative à la relation entre l’octroi des aides et leurs incidences sur la concurrence en 2005, il convient de constater que, par celui-ci, la requérante ne conteste en réalité que la qualification par la Commission de la mesure notifiée d’aide nouvelle. Ainsi que cela a été constaté aux points 63 à 66 ci-dessus, ce grief ne saurait être accueilli.
83 Enfin, concernant les trois griefs exposés au point 77 ci-dessus, il convient de constater que, eu égard aux considérants 26 et 34 de la décision attaquée, les deux premiers sont manifestement non fondés et le troisième inopérant.
84 En effet, aux considérants 26 et 34 de la décision attaquée, la Commission explique que le règlement n° 1177/2202 n’était plus en vigueur au moment de l’adoption de la décision attaquée et que la jurisprudence citée par le gouvernement italien au considérant 33 de la décision attaquée n’était pas pertinente afin de trancher la question de l’existence d’une confiance légitime des autorités italiennes.
85 En ce qui concerne le dernier grief, il convient de rappeler que l’article 1er de la décision attaquée précise que la mesure notifiée ne saurait être mise à exécution dès lors qu’elle n’est pas compatible avec le marché commun. Ainsi qu’il ressort du considérant 26 de la décision attaquée, en aboutissant à la conclusion que la mesure notifiée était incompatible avec le marché commun, la Commission ne s’est nullement fondée sur l’engagement international de la Communauté. Il s’ensuit qu’un éventuel défaut de motivation en ce qui concerne l’opposition entre l’engagement international de la Communauté et la mesure notifiée n’aurait aucune incidence sur le dispositif de la décision attaquée et que ce grief devrait, par conséquent, être déclaré inopérant.
86 Il ressort de tout ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le quatrième moyen dans son ensemble.
Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation des principes de bonne administration, du contradictoire et du respect des droits de la défense
Arguments des parties
87 La requérante relève que, en omettant de prendre en compte ses observations au cours de la procédure administrative (voir point 11 ci-dessus), la Commission a violé les principes de bonne administration, du contradictoire et du respect des droits de la défense.
88 La Commission conclut au rejet du moyen.
Appréciation du Tribunal
89 Le Tribunal considère que la Commission a rempli ses obligations procédurales à l’égard de la requérante en publiant, au mois de juin 2008, au Journal officiel de l’Union européenne, sa décision d’ouvrir la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, et en invitant les parties intéressées à présenter leurs observations sur la mesure notifiée dans un délai d’un mois (voir, en ce sens, arrêt Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission, point 35 supra, points 80 à 84). Partant, et au vu de son premier devoir, qui était d’adopter une décision dans un délai raisonnable vis-à-vis de la République italienne, la Commission ne saurait être critiquée pour ne pas avoir pris en compte des observations déposées par la requérante plus de trois mois après l’expiration dudit délai.
90 Il y a donc lieu de conclure que le cinquième moyen n’est pas non plus fondé.
91 Partant, le recours doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
92 Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Cantiere navale De Poli SpA est condamnée aux dépens.
Martins Ribeiro |
Papasavvas |
Wahl |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 3 février 2011.
Signatures
* Langue de procédure : l’italien.