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Document 62004TJ0099

Arrêt du Tribunal de première instance (troisième chambre élargie) du 8 juillet 2008.
AC-Treuhand AG contre Commission des Communautés européennes.
Concurrence - Ententes - Peroxydes organiques - Amendes - Article 81 CE - Droits de la défense - Droit à un procès équitable - Notion d’auteur d’infraction - Principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) - Principe de sécurité juridique - Confiance légitime.
Affaire T-99/04.

Recueil de jurisprudence 2008 II-01501

Identifiant ECLI: ECLI:EU:T:2008:256

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

8 juillet 2008 ( *1 )

«Concurrence — Ententes — Peroxydes organiques — Amendes — Article 81 CE — Droits de la défense — Droit à un procès équitable — Notion d’auteur d’infraction — Principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) — Principe de sécurité juridique — Confiance légitime»

Dans l’affaire T-99/04,

AC-Treuhand AG, établie à Zurich (Suisse), représentée par Mes M. Karl, C. Steinle et J. Drolshammer, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par M. A. Bouquet, en qualité d’agent, assisté de Me A. Böhlke, avocat,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2005/349/CE de la Commission, du 10 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-2/37.857 — Peroxydes organiques) (JO 2005, L 110, p. 44),

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre élargie),

composé de MM. M. Jaeger, président, J. Azizi et O. Czúcz, juges,

greffier : Mme K. Andová, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 12 septembre 2007,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1

La décision 2005/349/CE de la Commission, du 10 décembre 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] et de l’article 53 de l’accord EEE (Affaire COMP/E-2/37.857 — Peroxydes organiques) (JO 2005, L 110, p. 44, ci-après la « décision attaquée »), concerne une entente conclue et mise en œuvre sur le marché européen des peroxydes organiques, produits chimiques utilisés dans l’industrie des plastiques et du caoutchouc, par, notamment, le groupe AKZO (ci-après « AKZO ») ainsi que Atofina SA, successeur d’Atochem (ci-après « Atochem/Atofina »), et Peroxid Chemie GmbH & Co. KG, une société contrôlée par Laporte plc, devenue Degussa UK Holdings Ltd (ci-après « PC/Degussa »).

2

Il ressort de la décision attaquée que l’entente a débuté en 1971 par la conclusion d’un accord écrit (ci-après l’« accord de 1971 »), modifié en 1975 (ci-après l’« accord de 1975 »), entre les trois producteurs de peroxydes organiques AKZO, Luperox GmbH, devenue, par la suite Atochem/Atofina, et PC/Degussa (ci-après l’« entente »). Elle visait notamment à préserver les parts de marché de ces producteurs et à coordonner leurs hausses de prix. Des réunions se tenaient régulièrement pour assurer le bon fonctionnement de l’entente. Dans le cadre de l’entente, Fides Trust AG (ci-après « Fides ») puis, à partir de 1993, la requérante, AC-Treuhand AG, étaient chargées, sur le fondement de contrats de service conclus avec AKZO, Atochem/Atofina et PC/Degussa, notamment, de garder dans leurs locaux certains documents secrets relatifs à l’entente, tels que l’accord de 1971, de collecter et de traiter certaines données concernant l’activité commerciale des trois producteurs de peroxydes organiques et de leur communiquer les chiffres ainsi traités, ainsi que d’accomplir des tâches logistiques et de secrétariat associées à l’organisation de réunions notamment à Zurich (Suisse) entres lesdits producteurs, telles que la réservation des locaux et le remboursement des frais de voyages de leurs représentants. Toutefois, certains éléments de fait relatifs aux activités de la requérante en relation avec l’entente sont contestés entre les parties.

3

La Commission avait entamé l’instruction de l’entente à la suite d’une rencontre intervenue le 7 avril 2000 avec des représentants d’AKZO, ceux-ci l’informant d’une infraction aux règles communautaires de la concurrence afin de bénéficier de l’immunité au titre de la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la « communication sur la coopération »). Ensuite, Atochem/Atofina et PC/Degussa ont décidé de collaborer également avec la Commission en lui apportant des informations supplémentaires (considérants 56 à 63 de la décision attaquée).

4

Le 3 février 2003, la Commission a adressé une demande de renseignements à la requérante. Dans cette demande, la Commission a fait savoir, en substance, qu’elle était en train d’instruire une infraction présumée à l’article 81 CE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen (EEE) par les producteurs européens de peroxydes organiques. Elle a en outre demandé à la requérante de fournir un organigramme de son entreprise, de décrire son activité et son évolution, y compris sa reprise de l’activité de Fides, son activité en tant que « secrétariat » des producteurs de peroxydes organiques et ses chiffres d’affaires pour les années 1991 à 2001. La requérante a répondu à cette demande de renseignements par lettre du 5 mars 2003 (considérant 73 de la décision attaquée).

5

Le 20 mars 2003, une réunion s’est tenue entre des représentants de la requérante et les fonctionnaires de la Commission en charge du dossier au terme de laquelle ces derniers ont indiqué que la requérante serait également visée par la poursuite entamée par la Commission, sans toutefois préciser les reproches qui seraient retenus contre elle.

6

Le 27 mars 2003, la Commission a engagé la procédure formelle d’examen et a adopté une communication des griefs qu’elle a ensuite notifiée, notamment, à la requérante. La requérante a envoyé ses observations sur ces griefs le 16 juin 2003 et a participé à l’audition qui s’est tenue le 26 juin 2003. La Commission a enfin adopté la décision attaquée le 10 décembre 2003, qu’elle a notifiée à la requérante le 9 janvier 2004 et par laquelle elle lui a infligé une amende d’un montant de 1000 euros [considérant 454 et article 2, sous e), de la décision attaquée].

7

L’adoption et la notification de la décision attaquée ont été accompagnées d’un communiqué de presse dans lequel la Commission indiquait, notamment, que la requérante avait joué, en tant que société de conseil, à partir de la fin de 1993, un rôle essentiel dans le cadre de l’entente en organisant des réunions et en dissimulant des preuves de l’infraction. Dès lors, la Commission concluait que la requérante avait également violé les règles de la concurrence et précisait :

« La sanction prise [à l’encontre de la requérante] est d’un montant limité en raison de la nouveauté de la politique suivie en la matière. Le message est cependant clair : ceux qui organisent ou facilitent les ententes, donc pas seulement leurs membres, doivent redouter dorénavant d’être découverts et de se voir infliger des sanctions très lourdes. »

Procédure et conclusions des parties

8

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 mars 2004, la requérante a introduit le présent recours.

9

Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 30 novembre 2005, la requérante a demandé que, en ce qui concerne la publication de l’arrêt du Tribunal mettant fin à l’instance, soit accordé un traitement confidentiel à l’intégralité de l’accord conclu entre elle et Fides qui figure en annexe de la requête, ainsi qu’au nom de Fides et de son ancien collaborateur M. S.

10

Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 1er février 2006, la requérante a, à titre principal, indiqué maintenir sa demande de traitement confidentiel et, à titre subsidiaire, demandé que soit accordé un traitement confidentiel aux passages rendus illisibles du texte de l’accord cité au point 9 ci-dessus, dont elle a produit une version non confidentielle à la demande du Tribunal.

11

En application de l’article 14 du règlement de procédure du Tribunal et sur proposition de la troisième chambre, le Tribunal a décidé, les parties entendues conformément à l’article 51 dudit règlement, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

12

Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la procédure orale.

13

Lors de l’audience, qui s’est déroulée le 12 septembre 2007, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal.

14

La procédure orale a été close à l’issue de l’audience du 12 septembre 2007. Conformément à l’article 32 du règlement de procédure, un membre de la chambre étant empêché d’assister au délibéré, le juge le moins ancien au sens de l’article 6 du règlement de procédure s’est en conséquence abstenu de participer au délibéré et les délibérations du Tribunal ont été poursuivies par les trois juges dont le présent arrêt porte la signature.

15

À l’audience, la requérante a retiré sa demande de traitement confidentiel pour autant qu’elle concerne l’usage du nom de Fides, ce dont il a été pris acte au procès-verbal de l’audience.

16

La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée en ce qu’elle la concerne ;

condamner la Commission aux dépens.

17

La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.

En droit

A — Observations liminaires

18

Le Tribunal considère qu’il est nécessaire de répondre, d’abord, à la demande de traitement confidentiel de la requérante pour autant que celle-ci ne l’a pas retirée à l’audience (voir points 9, 10 et 15 ci-dessus).

19

En ce qui concerne le nom de l’ancien collaborateur de la requérante, le Tribunal a tenu compte de cette demande conformément à sa pratique de publication relative à l’identité de personnes physiques dans d’autres affaires (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 16 novembre 2006, Peróxidos Orgánicos/Commission, T-120/04, Rec. p. II-4441, points 31 et 33). En revanche, le Tribunal estime que l’existence en tant que telle de l’accord entre Fides et la requérante a, en tout état de cause, perdu son caractère éventuellement confidentiel, compte tenu de l’identification de cet accord dans l’extrait du registre de commerce du canton de Zurich, qui est accessible au public, concernant l’établissement de la requérante, tel que produit en annexe de la requête, ainsi qu’aux considérants 20 et 91 de la version de la décision attaquée provisoirement publiée sur le site Internet de la direction générale « Concurrence » de la Commission (voir, en ce sens, ordonnance du président de la troisième chambre élargie du Tribunal du 4 mars 2005, BUPA e.a./Commission, T-289/03, Rec. p. II-741, points 34 et 35), publication à laquelle la requérante ne s’est pas opposée selon la procédure visée à l’article 9 de la décision 2001/462/CE, CECA de la Commission, du 23 mai 2001, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans certaines procédures de concurrence (JO L 162, p. 21).

20

Par conséquent, il y a lieu de rejeter la demande de traitement confidentiel pour autant qu’elle concerne l’existence de l’accord entre Fides et la requérante.

21

Le Tribunal relève, ensuite, que, au soutien de son recours, la requérante invoque cinq moyens, à savoir, premièrement, la violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable, deuxièmement, la violation du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), troisièmement, la violation du principe de protection de la confiance légitime, quatrièmement, à titre subsidiaire, la violation des principes de sécurité juridique et de précision de la loi pénale (nulla poena sine lege certa) et, cinquièmement, la violation des principes de sécurité juridique et de précision de la loi pénale (nulla poena sine lege certa) en ce qui concerne l’article 3, second alinéa, de la décision attaquée.

B — Sur le premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable

1. Arguments des parties

a) Arguments de la requérante

22

La requérante estime que la Commission l’a informée tardivement, à savoir trois ans après le début de l’enquête, de la procédure ouverte contre elle et des griefs soulevés à son égard. Elle n’en aurait pris connaissance que lors de l’ouverture de la procédure formelle d’examen et de l’adoption de la communication des griefs le 27 mars 2003. Auparavant, la requérante n’aurait reçu que la demande de renseignements du 3 février 2003, à laquelle elle aurait dûment répondu par la lettre du 5 mars 2003. La requérante n’aurait appris que le 20 mars 2003, lors de la réunion avec la Commission, qu’elle était également visée par l’enquête, toutefois sans recevoir des informations précises sur la portée des accusations retenues contre elle.

23

Selon la requérante, aux termes de l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (CEDH), tout accusé a droit à être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui. Ce droit serait un corollaire du droit fondamental à un procès équitable prévu à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, ferait partie intégrante des droits de la défense, tels que reconnus par la jurisprudence en tant que principes généraux du droit communautaire applicables aux procédures administratives répressives prévues par le règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204) (arrêts de la Cour du 15 juillet 1970, ACF Chemiefarma/Commission, 41/69, Rec. p. 661, points 172 à 176 ; du 28 mars 2000, Krombach, C-7/98, Rec. p. I-1935, points 25 et 26 ; du 6 mars 2001, Connolly/Commission, C-274/99 P, Rec. p. I-1611, points 37 et 38, et du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Rec. p. I-123, points 63 et 64 ; voir, également, arrêts du Tribunal du 20 mars 2002, Brugg Rohrsysteme/Commission, T-15/99, Rec. p. II-1613, points 109 et 122, et LR AF 1998/Commission, T-23/99, Rec. p. II-1705, point 220), et serait confirmé par l’article 6, paragraphe 2, UE et par l’article 48, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1).

24

En effet, les amendes pouvant être infligées aux entreprises, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, seraient, malgré le paragraphe 4 de cet article, en réalité des sanctions à « caractère pénal » du fait de leur objectif tant préventif que répressif (conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d’avocat général sous l’arrêt du Tribunal du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T-1/89, Rec. p. II-867, II-885 ; voir, également, conclusions de l’avocat général M. Roemer sous l’arrêt de la Cour du 13 février 1969, Wilhelm, 14/68, Rec. p. 1, 17 et 24 ; conclusions de l’avocat général M. Mayras sous l’arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, 2062 et 2141 ; conclusions de l’avocat général M. Léger sous l’arrêt de la Cour du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C-185/95 P, Rec. p. I-8417, I-8422, point 31, et conclusions de l’avocat général M. Ruiz-Jarabo Colomer sous l’arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, dans l’affaire C-204/00 P, Rec. p. I-133, point 26, dans l’affaire C-205/00 P, Rec. p. I-171, point 32, dans l’affaire C-213/00 P, Rec. p. I-230, point 26, dans l’affaire C-217/00 P, Rec. p. I-267, point 29, et dans l’affaire C-219/00 P, Rec. p. I-342, point 25). Cette conclusion serait également dictée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour eur. D. H. ») [arrêt Engel e.a. c. Pays-Bas du 8 juin 1976, série A no 22 (1977), § 82 ; arrêt Öztürk c. Allemagne du 21 février 1984, série A no 73, § 53, et arrêt Lutz c. Allemagne du 25 août 1987, série A no 123, § 54].

25

À cet égard, la requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle aucun reproche ne serait formulé à l’encontre des entreprises durant la phase d’instruction de la procédure administrative. Au contraire, au cours de cette phase, la Commission prendrait des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et entraînant des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées (arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375, point 182). En effet, la circonstance que, dans le cadre de la procédure prévue par le règlement no 17, les intéressés ne font l’objet d’une accusation formelle qu’au moment de la communication des griefs (arrêt du Tribunal du 16 décembre 2003, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, T-5/00 et T-6/00, Rec. p. II-5761, point 79) ne serait pas déterminante et n’exclurait pas que, au cours de la phase d’instruction, la requérante soit déjà devenue une « personne accusée » au sens de l’article 6, paragraphe 3, de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour eur. D. H. Au regard de cette jurisprudence, l’existence d’un acte formel de mise en accusation ne serait pas requise, mais l’ouverture d’une procédure d’instruction de nature pénale suffirait (Cour eur. D. H., arrêt Delcourt c. Belgique du 17 janvier 1970, série A, no 11, p. 13, § 25 ; arrêt Ringeisen c. Austria du 17 juillet 1971, série A, no 13, p. 45, § 110 ; arrêt Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A, no 35, p. 22, § 42 ; arrêt Viezzer c. Italie du 19 février 1991, série A, no 196-B, p. 21, § 17 ; arrêt Adolf c. Autriche du 26 mars 1982, série A, no 49, p. 15, § 30, et arrêt Imbrioscia c. Suisse du 24 novembre 1993, série A, no 275, p. 13, § 36).

26

La requérante soutient qu’il découle de la finalité de l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la CEDH que, dans le cadre d’une poursuite pénale, un accusé doit être informé immédiatement de l’ouverture et de l’objet de l’enquête le concernant afin d’éviter qu’il soit laissé dans l’incertitude plus longtemps que nécessaire. En revanche, une information seulement au stade de l’inculpation formelle, qui n’intervient souvent qu’au terme de longues enquêtes, ne serait pas suffisante et risquerait de compromettre sérieusement le caractère équitable de la suite de la procédure et d’ôter de son effet utile le droit garanti par l’article 6, paragraphe 3, sous c), de la CEDH. Or, lorsque, comme en l’espèce, la Commission mène l’enquête en secret pendant environ trois ans avant d’adopter la communication des griefs, elle bénéficie d’une avance inéquitable en matière de preuve incompatible avec l’article 6 de la CEDH. Cela tiendrait au fait que, compte tenu du temps écoulé, il serait difficile, voire presque impossible, pour les entreprises concernées de reconstituer les faits et de rapporter des preuves contraires.

27

Par ailleurs, l’obligation d’une information immédiate des entreprises concernées découlerait de l’importance, voire du caractère déterminant, que revêt la procédure d’instruction pour la future décision de la Commission (arrêts de la Cour du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, Rec. p. 2859, point 15, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, point 63). Après une longue instruction, menée avec le soutien de demandeurs d’immunité ou de clémence, qui précède l’adoption de la communication des griefs, la Commission aurait tendance à considérer les faits comme étant déjà établis et serait ensuite peu encline à revenir sur les conclusions qu’elle en a tirées. Le risque de préjuger la future décision serait d’autant plus élevé que la Commission réunit en sa personne les fonctions d’enquêteur, d’accusateur et de juge. Or, dans les circonstances de l’espèce, la Commission n’était plus un juge impartial et la requérante n’avait plus l’occasion adéquate et suffisante (voir Cour eur. D.H., arrêt Delta c. France du 19 décembre 1990, série A no 191-A, p. 16, § 36) de réfuter les fausses allégations du principal témoin à charge AKZO. Dès lors, au stade de l’envoi de la communication des griefs, l’entreprise concernée se trouverait dans une situation dans laquelle ses chances de parvenir à convaincre la Commission du caractère erroné de la présentation des faits dans ladite communication seraient nettement réduites, ce qui porterait gravement atteinte à l’efficacité de sa défense.

28

La requérante rappelle que, en l’espèce, la Commission a fondé ses griefs, presque exclusivement, sur le témoignage de la demanderesse d’immunité AKZO, avec laquelle elle a entretenu des contacts étroits depuis l’année 2000. Dans ces conditions, la requérante estime qu’AKZO a bénéficié, aux yeux de la Commission, de davantage de crédibilité par rapport à toute autre entreprise, telle que la requérante, qui ne s’était pas engagée à coopérer en vertu du point B, sous d), de la communication sur la coopération et que les fonctionnaires chargés du dossier ne connaissaient pas personnellement. Par conséquent, la Commission aurait accordé plus de crédit aux affirmations erronées d’AKZO concernant le rôle de la requérante qu’aux informations fournies par la requérante, sans que cette dernière ait eu la possibilité de se défendre, de manière efficace, contre les affirmations d’AKZO et de les rectifier.

29

En l’espèce, la Commission aurait dû informer la requérante de la nature et de la cause des soupçons qui pesaient sur elle lorsque, le 27 juin 2000, AKZO lui a remis une description du prétendu rôle de la requérante dans le cadre de l’entente, étant donné que, à partir de ce moment, la future décision de la Commission risquait d’être préjugée du fait des allégations erronées d’AKZO, et, au plus tard, lorsque, le 18 juin 2001, AKZO a soumis à la Commission son témoignage final. En effet, en ce qui concerne la requérante, la décision attaquée serait fondée presque exclusivement sur ce témoignage. Par conséquent, l’absence d’information de la requérante dès l’ouverture de l’enquête menée contre elle entraînerait une violation par la Commission de ses droits à un procès équitable et de la défense, au sens de l’article 6, paragraphe 1 et paragraphe 3, sous a), de la CEDH.

30

Selon la requérante, cette illégalité doit conduire à l’annulation de la décision attaquée (conclusions de l’avocat général M. Mischo sous l’arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 25 supra, dans l’affaire C-250/99 P, Rec. p. I-8503, point 80). Afin de garantir l’effet utile du droit garanti à l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la CEDH, qui serait une garantie procédurale élémentaire dans un État de droit, il ne saurait être exigé de l’entreprise concernée qu’elle démontre que la décision de la Commission aurait eu un contenu différent si elle avait été informée en temps utile. L’information de l’inculpé en temps utile et de manière exhaustive constituerait la condicio sine qua non d’un procès équitable et serait d’ordre public. Dès lors, toute décision infligeant une amende adoptée en violation de cette garantie procédurale devrait être annulée.

31

À titre subsidiaire, la requérante fait valoir que, si la Commission avait respecté le droit garanti à l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la CEDH et l’avait informée sans délai de la nature et de l’objet de l’instruction menée contre elle, elle aurait pu reconstituer les faits pertinents plus facilement et plus exhaustivement qu’elle n’avait pu le faire en 2003. En particulier, elle aurait pu attirer l’attention de la Commission sur le caractère erroné du témoignage d’AKZO concernant son rôle dans le cadre de l’entente. Cette contestation aurait amené la Commission à demander des précisions à AKZO et, le cas échéant, à procéder à une vérification en vertu de l’article 14 du règlement no 17.

32

En revanche, en l’absence d’information immédiate, la requérante aurait été privée de la possibilité d’exercer une influence décisive sur la conduite de l’instruction et sur le processus décisionnel interne de la Commission. Dans le cas contraire, la Commission aurait conclu que la requérante n’avait en réalité pas commis d’infraction, mais qu’elle n’était qu’un complice non punissable des producteurs de peroxydes organiques impliqués dans l’entente. Par conséquent, la Commission aurait privé la requérante, à ce stade déterminant de la procédure, de la possibilité de se défendre rapidement et efficacement contre les allégations d’AKZO.

33

Dès lors, la décision attaquée devrait être annulée pour violation des droits de la défense et de l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la CEDH.

34

À cet égard, la requérante a toutefois reconnu à l’audience, en réponse à une question spécifique du Tribunal, que, à son avis, même si elle avait été informée au stade de la demande de renseignements du 3 février 2003 et avait eu, de ce fait, la possibilité de se défendre plus efficacement, cela n’aurait pas été susceptible de modifier les conclusions de la Commission la concernant dans la décision attaquée, ce dont il a été pris acte au procès-verbal de l’audience.

b) Arguments de la Commission

35

La Commission conteste être obligée d’informer la requérante préalablement à l’envoi de la communication des griefs de la nature et des raisons de l’instruction conduite à son égard.

36

D’une part, ainsi que le confirme expressément l’article 15, paragraphe 4, du règlement no 17, ni la procédure administrative ni la possibilité d’infliger des amendes au titre de ce règlement n’auraient un caractère pénal. D’autre part, cette procédure serait divisée en deux phases, à savoir une phase d’instruction préliminaire et une phase contradictoire qui s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale. Si la phase contradictoire permet à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée (arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 25 supra, points 182 à 184), aucun reproche ne serait encore formulé vis-à-vis des entreprises concernées durant la phase d’instruction. Cette phase servirait à rechercher les éléments de fait qui permettent à la Commission de déterminer s’il y a lieu ou non de poursuivre une entreprise. À cet effet, la Commission pourrait exiger des renseignements et les entreprises seraient soumises à une obligation de collaboration active de fournir tous les éléments d’information relatifs à l’objet de l’instruction (arrêt de la Cour du 18 octobre 1989, Orkem/Commission, 374/87, Rec. p. 3283, point 27).

37

En effet, au moment de l’adoption de telles mesures d’instruction, la Commission ne serait pas encore prête à formuler des reproches à l’encontre des entreprises, parce qu’elle serait encore en train de chercher les éléments susceptibles de conduire à l’adoption d’une communication des griefs. Dès lors, le seul fait qu’une entreprise se voie adresser des mesures d’instruction de la Commission ne saurait être assimilé à une accusation de cette entreprise (conclusions de l’avocat général M. Mischo sous l’arrêt Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, dans l’affaire C-250/99 P, point 25 supra, points 41 à 46). Par conséquent, ne saurait être accueilli l’argument de la requérante selon lequel elle aurait dû être informée déjà au stade de la phase d’instruction pour pouvoir élaborer sa défense.

38

La Commission reconnaît que les droits de la défense font, en tant que droits fondamentaux, partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire doit assurer le respect (arrêts Krombach, point 23 supra, points 25 et 26, et Connolly/Commission, point 23 supra, points 37 et 38). En outre, il serait correct que la Commission doive veiller à ce que ces droits ne soient pas compromis durant la phase d’instruction qui peut avoir un caractère déterminant pour l’établissement de preuves du caractère illégal de comportements d’entreprises de nature à engager leur responsabilité (arrêts Hoechst/Commission, point 27 supra, point 15, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, point 63). En revanche, cette obligation ne viserait que certains des droits de la défense, tels que le droit à une assistance juridique et celui à la protection de la confidentialité de la correspondance entre avocat et client, tandis que d’autres droits ne concerneraient que la procédure contradictoire engagée à la suite de l’adoption d’une communication des griefs (arrêt Hoechst/Commission, point 27 supra, point 16).

39

En tout état de cause, le prétendu droit d’être immédiatement informé de la nature et du motif de l’instruction n’existerait pas et ne découlerait pas non plus de l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la CEDH du fait de l’absence d’« accusation » durant la phase d’instruction. En effet, une telle « accusation » formelle n’interviendrait qu’au stade de la communication des griefs (arrêt Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, point 25 supra, point 79). Cette communication supposerait l’engagement de la procédure au titre de l’article 3 du règlement no 17 et manifesterait la volonté de la Commission de procéder à l’adoption d’une décision de constatation d’infraction (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 6 février 1973, Brasserie de Haecht, 48/72, Rec. p. 77, point 16). En même temps, elle vaudrait information de l’entreprise de l’objet de la procédure qui est engagée contre elle et des comportements qui lui sont reprochés par la Commission (arrêts du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T-305/94 à T-307/94, T-313/94, T-316/94, T-318/94, T-325/94, T-328/94, T-329/94 et T-335/94, Rec. p. II-931, point 132, et Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied et Technische Unie/Commission, point 25 supra, point 80).

40

Cela serait confirmé par la jurisprudence selon laquelle il n’existerait, en droit communautaire de la concurrence, aucun droit à être informé de l’état d’une procédure administrative avant l’émission formelle d’une communication des griefs ; en effet, la thèse contraire aboutirait à la création d’un droit à être informé d’une instruction dans des circonstances où des soupçons existent à l’égard d’une entreprise, ce qui pourrait gravement entraver les travaux de la Commission (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Dalmine/Commission, T-50/00, Rec. p. II-2395, point 110).

41

La Commission ajoute que, si la jurisprudence de la Cour eur. D. H. relative à l’article 6 de la CEDH est susceptible de jouer, le cas échéant, un rôle dans le cadre des procédures d’instruction à caractère pénal, s’agissant par exemple du calcul d’un « délai raisonnable » au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, rien n’indique que cela vaut également pour l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la CEDH. Or, pour être pris en compte, le non-respect de telles garanties au stade de l’instruction doit gravement compromettre le caractère équitable du procès (Cour eur. D. H., arrêt Imbroscia c. Suisse du 24 novembre 1993, série A no 275, § 36, et la jurisprudence qui y est citée) en tenant compte de la mise en œuvre de l’ensemble de la procédure.

42

En l’espèce, la phase contradictoire de la procédure administrative prévue par le règlement no 17 serait particulièrement importante à cet égard, puisqu’elle a précisément pour objet d’informer l’intéressé de la nature et du motif de l’accusation portée contre lui. Cependant, la requérante n’aurait formulé aucun grief quant à la régularité du déroulement de cette phase de la procédure. Aussi la requérante ne saurait-elle affirmer, pour la première fois dans son mémoire en réplique, qu’elle n’a pas eu, pendant la phase contradictoire de ladite procédure, l’occasion de faire connaître, de manière appropriée et suffisante, son point de vue sur la version des faits telle que retenue par la Commission. En tout état de cause, cette allégation erronée de la requérante ne saurait remettre en cause ni le caractère contradictoire ni le caractère équitable de cette phase de la procédure administrative.

43

Par conséquent, le présent moyen devrait être rejeté comme non fondé.

2. Appréciation du Tribunal

44

Par son premier moyen, la requérante soutient, en substance, que la Commission a violé ses droits de la défense et, en particulier, son droit à un procès équitable, tel que reconnu par l’article 6, paragraphe 3, sous a), de la CEDH, en ne l’informant pas, à un stade très précoce de la procédure d’instruction, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre elle, et notamment en ne lui communiquant pas plus tôt les témoignages d’AKZO.

45

Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que le Tribunal n’est pas compétent pour apprécier la légalité d’une enquête en matière de concurrence au regard des dispositions de la CEDH, dans la mesure où celles-ci ne font pas partie en tant que telles du droit communautaire. Il n’empêche que le juge communautaire est appelé à veiller au respect des droits fondamentaux qui font partie intégrante des principes généraux du droit et que, à cet effet, il s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres ainsi que des indications fournies par les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les États membres ont coopéré et adhéré. Force est de constater que, à cet égard, la CEDH revêt une signification particulière, ainsi que cela est confirmé par l’article 6, paragraphe 2, UE (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 20 février 2001, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T-112/98, Rec. p. II-729, points 59 et 60, et la jurisprudence qui y est citée). Cela a d’ailleurs été réaffirmé dans le cinquième alinéa du préambule, dans l’article 52, paragraphe 3, et dans l’article 53 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

46

À cet égard, il est de jurisprudence constante que les droits de la défense dans toute procédure susceptible d’aboutir à des sanctions, notamment à des amendes ou à des astreintes, telle que celle prévue par le règlement no 17, constituent des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, point 64, et du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C-3/06 P, Rec. p. I-1331, point 68).

47

Il convient de rappeler en outre que la procédure administrative au titre du règlement no 17, qui se déroule devant la Commission, se subdivise en deux phases distinctes et successives dont chacune répond à une logique interne propre, à savoir une phase d’instruction préliminaire, d’une part, et une phase contradictoire, d’autre part. La phase d’instruction préliminaire, durant laquelle la Commission fait usage des pouvoirs d’instruction prévus par le règlement no 17 et qui s’étend jusqu’à la communication des griefs, est destinée à permettre à la Commission de rassembler tous les éléments pertinents confirmant ou non l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et de prendre une première position sur l’orientation ainsi que sur la suite ultérieure à réserver à la procédure. En revanche, la phase contradictoire, qui s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale, doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 25 supra, points 181 à 183, et arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105/04 P, Rec. p. I-8725, point 38).

48

D’une part, s’agissant de la phase d’instruction préliminaire, la Cour a précisé que cette phase avait pour point de départ la date à laquelle la Commission, dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés par les articles 11 et 14 du règlement no 17, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et entraînant des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 25 supra, point 182, et du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, point 47 supra, point 38). D’autre part, il ressort de la jurisprudence de la Cour que ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, c’est seulement après l’envoi de la communication des griefs que l’entreprise concernée peut pleinement se prévaloir de ses droits de la défense (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 25 supra, points 315 et 316 ; Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, points 66 et 67 ; du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, point 47 supra, point 47 ; arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C-407/04 P, Rec. p. I-829, point 59). En effet, si ces droits étaient étendus à la phase précédant l’envoi de la communication des griefs, l’efficacité de l’enquête de la Commission serait compromise, puisque l’entreprise concernée serait, déjà lors de la phase d’instruction préliminaire, en mesure d’identifier les informations qui sont connues de la Commission et, partant, celles qui peuvent encore lui être cachées (arrêt Dalmine/Commission, précité, point 60).

49

Dans ces conditions, l’argument de la requérante selon lequel le respect des droits de la défense et du droit à un procès équitable implique de lui donner accès aux témoignages d’AKZO au cours de la phase d’instruction préliminaire doit être rejeté.

50

Il n’en reste pas moins que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée au point 48 ci-dessus, les mesures d’instruction prises par la Commission au cours de la phase d’instruction préliminaire, notamment les mesures de vérification et les demandes de renseignements au titre des articles 11 et 14 du règlement no 17, impliquent par nature le reproche d’une infraction et sont susceptibles d’avoir des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées.

51

Partant, il importe d’éviter que les droits de la défense puissent être irrémédiablement compromis au cours de cette phase de la procédure administrative dès lors que les mesures d’instruction prises peuvent avoir un caractère déterminant pour l’établissement de preuves du caractère illégal de comportements d’entreprises de nature à engager leur responsabilité (voir, en ce sens, arrêt Hoechst/Commission, point 27 supra, point 15). S’agissant de l’observation d’un délai raisonnable, la Cour a ainsi jugé, en substance, que la durée excessive de la phase d’instruction préliminaire peut avoir une incidence sur les possibilités futures de défense des entreprises concernées, notamment en diminuant l’efficacité des droits de la défense lorsque ceux-ci sont invoqués lors de la phase contradictoire. En effet, plus il s’écoule de temps entre une mesure d’instruction et la communication des griefs, plus il devient probable que d’éventuelles preuves à décharge ne pourront plus être recueillies ou ne le seront qu’avec difficulté. Pour cette raison, l’appréciation de la source de l’éventuelle entrave à l’exercice efficace des droits de la défense ne doit pas être limitée à la phase même dans laquelle ces droits produisent leur plein effet, à savoir la phase contradictoire de la procédure administrative, mais doit s’étendre à l’ensemble de cette procédure en se référant à la durée totale de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, point 47 supra, points 49 et 50).

52

Le Tribunal estime que ces considérations s’appliquent par analogie à la question de savoir si et dans quelle mesure la Commission est tenue de fournir à l’entreprise concernée, dès le stade de la phase d’instruction préliminaire, certains éléments d’information sur l’objet et sur le but de l’instruction, qui la mettent en mesure de préserver l’efficacité de sa défense dans le cadre de la phase contradictoire. En effet, même si, d’un point de vue formel, l’entreprise concernée n’a pas de statut d’« accusé » au cours de la phase d’instruction préliminaire, l’ouverture de l’enquête à son égard, notamment par l’adoption d’une mesure d’instruction la concernant, ne saurait, en règle générale, être dissociée, d’un point de vue matériel, de l’existence d’un soupçon et, partant, d’un reproche implicite, au sens de la jurisprudence citée aux point 48 ci-dessus, qui justifie l’adoption de cette mesure (voir également, en ce sens, Cour eur. D. H., arrêt Casse c. Luxembourg du 27 avril 2006, requête no 40327/02, § 29 à 33, 71 et 72).

53

Quant à la portée de cette obligation d’information, il y a lieu de rappeler d’abord que, dans une demande de renseignements, qu’elle soit informelle au sens de l’article 11, paragraphe 2, du règlement no 17 ou qu’elle prenne la forme d’une décision au titre de l’article 11, paragraphe 5, dudit règlement, la Commission est tenue, en vertu du paragraphe 3 de cet article et aux fins, notamment, du respect des droits de la défense des entreprises concernées, d’indiquer les bases juridiques et le but de ladite demande. Ainsi, la nécessité, au sens de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 17, des renseignements demandés par la Commission doit s’apprécier en fonction de la finalité de l’enquête, telle qu’elle est obligatoirement précisée dans la demande de renseignements elle-même. À cet égard, le Tribunal a précisé que la Commission ne pouvait exiger que des renseignements susceptibles de lui permettre de vérifier les présomptions d’infraction qui justifient la conduite de l’enquête et qui sont indiquées dans la demande de renseignements en tant que telle (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 12 décembre 1991, SEP/Commission, T-39/90, Rec. p. II-1497, point 25, et du 8 mars 1995, Société générale/Commission, T-34/93, Rec. p. II-545, points 39, 40, 62 et 63).

54

Il convient de rappeler ensuite l’exigence pour la Commission d’indiquer dans une décision de vérification, au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 17, l’objet et le but de cette vérification. Cette exigence constitue une garantie fondamentale des droits de la défense des entreprises concernées, avec pour conséquence que la portée de l’obligation de motivation des décisions de vérification ne peut pas être restreinte en fonction de considérations tenant à l’efficacité de l’investigation. À cet égard, il ressort de la jurisprudence que, s’il est vrai que la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision de vérification toutes les informations dont elle dispose à propos d’infractions présumées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions, elle doit, en revanche, indiquer clairement les présomptions qu’elle entend vérifier (voir, en ce sens, arrêts de la Cour Hoechst/Commission, point 27 supra, point 41, et du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85/87, Rec. p. 3137, points 8 et 9 ; arrêt du Tribunal du 12 juillet 2007, CB/Commission, T-266/03, non publié au Recueil, point 36 ; voir, par analogie, arrêt Société générale/Commission, point 53 supra, points 62 et 63). De même, dans le cadre d’une vérification fondée sur l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 17, les inspecteurs de la Commission doivent produire un mandat écrit qui indique également l’objet et le but de la vérification.

55

Le Tribunal considère que les exigences exposées aux points 53 et 54 ci-dessus s’appliquent indépendamment de la question de savoir si la demande de renseignements, qui est adressée à une entreprise soupçonnée d’avoir commis une infraction, revêt la nature d’une décision formelle, au sens de l’article 11, paragraphe 5, du règlement no 17, ou d’une lettre informelle, au sens du paragraphe 2 dudit article. En outre, dans le cadre de la phase d’instruction préliminaire, la possibilité pour l’entreprise concernée de préparer utilement sa défense ne saurait différer selon que la Commission prend une mesure d’instruction au titre de l’article 11 ou de l’article 14 du règlement no 17, dès lors que toutes ces mesures sont susceptibles d’impliquer le reproche d’avoir commis une infraction et d’entraîner des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées (voir, en ce sens, arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 25 supra, point 182, et du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, point 47 supra, point 38).

56

Il en résulte que la Commission est tenue d’informer l’entreprise concernée, au stade de la première mesure prise à son égard, y compris dans les demandes de renseignements qu’elle lui adresse au titre de l’article 11 du règlement no 17, notamment, de l’objet et du but de l’instruction en cours. À cet égard, la motivation ne doit pas avoir la même portée que celle exigée pour les décisions de vérification, exigence qui découle de leur caractère plus contraignant et de l’intensité particulière de leur impact sur la situation juridique de l’entreprise concernée (voir, concernant les pouvoirs de vérification de la Commission, arrêt CB/Commission, point 54 supra, point 71). Cette motivation doit cependant permettre à cette entreprise de comprendre le but ainsi que l’objet de cette instruction, ce qui implique de préciser les présomptions d’infraction et, dans ce contexte, le fait qu’elle est susceptible de s’exposer à des reproches liés à cette éventuelle infraction, pour qu’elle puisse prendre les mesures qu’elle estime utiles à sa décharge et préparer ainsi sa défense au stade de la phase contradictoire de la procédure administrative.

57

Par conséquent, en l’espèce, la Commission était tenue, lors de l’envoi de la demande de renseignements du 3 février 2003, d’informer la requérante, notamment, des présomptions d’infraction faisant l’objet de l’instruction menée et du fait que, dans ce contexte, elle pourrait être amenée à retenir des reproches à son égard. Or, il ressort uniquement de cette demande que la Commission était en train d’instruire une infraction présumée à l’article 81 CE commise par des producteurs européens de peroxydes organiques du fait de certains agissements, qui y sont mentionnés à titre d’exemple et de façon générale, sans qu’il soit pour autant précisé que cette instruction visait également une éventuelle infraction reprochée à la requérante. En effet, c’est, semble-t-il, seulement lors de la réunion du 20 mars 2003, c’est-à-dire quelques semaines avant l’engagement de la procédure formelle d’examen, que les fonctionnaires de la Commission chargés du dossier ont indiqué que la requérante était également la cible de son enquête. Or, une information préalable de la requérante aurait été d’autant plus nécessaire que, selon la Commission elle-même, son choix de poursuivre une entreprise de conseil constituait une réorientation de sa pratique décisionnelle antérieure et que, partant, la requérante ne pouvait pas nécessairement s’attendre à ce qu’elle soit directement visée par la communication des griefs.

58

Cette circonstance ne saurait cependant en elle-même conduire à l’annulation de la décision attaquée. En effet, il convient encore de vérifier si l’irrégularité commise par la Commission a été de nature à affecter concrètement les droits de la défense de la requérante dans le cadre de la procédure en cause (voir, en ce sens, arrêts Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, points 71 et suivants, et du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, point 47 supra, points 55 et suivants).

59

En l’espèce, la requérante n’a apporté aucun élément concret susceptible d’établir que l’irrégularité en question avait porté atteinte à l’efficacité de sa défense au cours de la phase contradictoire de la procédure administrative et que le déroulement de cette procédure, dans son ensemble, et le contenu de la décision de la Commission auraient pu être influencés par une défense plus efficace. Au contraire, à l’audience, la requérante a admis qu’une information préalable relative à la portée des reproches retenus contre elle, notamment, au stade de la demande de renseignements du 3 février 2003, n’aurait pas été susceptible d’avoir une quelconque influence sur les conclusions de la Commission la concernant dans la décision attaquée, ce dont il a été pris acte au procès-verbal de l’audience. En effet, une telle influence est d’autant moins probable qu’il n’y a eu qu’un écart d’environ sept semaines entre ladite demande de renseignements, d’une part, et l’engagement de la procédure formelle d’examen et l’envoi de la communication des griefs, d’autre part.

60

Par conséquent, le présent moyen doit être rejeté comme non fondé.

C — Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege)

1. Arguments des parties

a) Arguments de la requérante

Généralités

61

La requérante estime qu’elle n’a pas commis d’infraction à l’article 81 CE dès lors qu’elle n’est qu’un complice non punissable des membres de l’entente, à savoir, notamment, AKZO, Atochem/Atofina et PC/Degussa. La Commission aurait elle-même reconnu, au considérant 339 de la décision attaquée, que la requérante n’était pas partie contractante à l’entente conclue par ces producteurs de peroxydes organiques. Néanmoins, elle serait parvenue à la conclusion très vague, au considérant 349 de ladite décision, que la requérante « était partie à l’accord et/ou a pris des décisions en tant qu’entreprise et/ou qu’association d’entreprises ». Ensuite, la Commission aurait admis, au considérant 454 de ladite décision, qu’« adresser une décision à une entreprise et/ou à une association d’entreprises ayant joué un rôle aussi spécifique est, dans une certaine mesure, une nouveauté ». Selon la requérante, la Commission a ainsi outrepassé les limites du pouvoir qui lui est conféré par l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, lu conjointement avec l’article 81, paragraphe 1, CE, et enfreint le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege). En outre, l’appréciation juridique inexacte de la Commission reposerait sur des constatations de fait erronées concernant le rôle de la requérante dans le contexte de l’entente.

Sur la contestation des faits retenus dans la décision attaquée

62

La requérante conteste, en substance, l’importance qu’attribue la Commission, dans la décision attaquée, à son activité dans l’entente (considérants 95, 105, 332, 333 et 345 de la décision attaquée). En réalité, la requérante n’aurait fourni, en tant qu’entreprise de conseil et mandataire soumis aux instructions d’AKZO, d’Atochem/Atofina et de PC/Degussa, que des services de secrétariat pour le compte de ces entreprises, dont la majeure partie n’aurait eu aucun rapport avec l’entente.

63

En premier lieu, entre la fin de 1993 et la fin de 1999, la requérante aurait été liée, en vertu du droit des obligations suisse et sans aucun but anticoncurrentiel, à ces trois producteurs de peroxydes organiques par des contrats de service dits « de mandat ». Sur le fondement de ces mandats et sur instruction desdits producteurs, elle aurait, premièrement, établi une statistique de marché, deuxièmement, organisé quatre réunions officielles de ces producteurs à Zurich tout en participant au volet officiel de ces réunions, troisièmement, réservé une salle de réunion pour quatre rencontres officieuses de ces producteurs à Zurich sans pour autant avoir participé — ou seulement partiellement — à ces réunions ou avoir connu leur contenu, quatrièmement, remboursé aux représentants desdits producteurs les frais de déplacement engagés pour se rendre auxdites réunions et, cinquièmement, conservé certains documents — en partie au contenu anticoncurrentiel — pour le compte de PC/Degussa et d’Atochem/Atofina.

64

Par ailleurs, contrairement au constat figurant au considérant 340 de la décision attaquée, ces contrats de service n’auraient pas été restrictifs de la concurrence ; seuls les accords entre les producteurs, en particulier l’accord de 1971, auxquels la requérante n’a jamais été partie (considérant 339 de la décision attaquée), auraient prévu des restrictions de la concurrence sur le marché des peroxydes organiques. Dès lors, serait également erronée l’affirmation figurant au considérant 335 de la décision attaquée selon laquelle l’activité de la requérante a « servi de base à la réalisation de l’entente », cette entente ayant été créée en 1971 par AKZO, par Atochem/Atofina et par PC/Degussa sans le concours de la requérante. La requérante précise, en substance, que, pour autant que ses activités incriminées avaient un rapport avec l’entente, telles que la réservation d’une salle de réunion et le remboursement de frais de déplacement, ces activités n’ont eu qu’un caractère purement logistique et de secrétariat pour les trois producteurs de peroxydes organiques.

65

En deuxième lieu, la requérante fait valoir, en substance, que, en se référant, aux considérants 87, 109 et suivants, notamment 209, de la décision attaquée, à « Fides/AC-Treuhand » en tant qu’unité, la Commission lui impute à tort les actes commis par Fides pendant la période allant de 1971 à 1993. Ce faisant, la Commission violerait les principes de culpabilité et de responsabilité personnelle et porterait atteinte à la réputation de la requérante (arrêt de la Cour du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49/92 P, Rec. p. I-4125, point 145). La requérante, fondée en 1993, ne serait pas responsable du comportement de Fides et il n’y aurait aucun lien structurel, en vertu du droit des sociétés, entre cette dernière et la requérante. À la fin de 1993, la requérante n’aurait acquis de Fides que le département chargé de conseils de gestion aux associations et aurait ensuite conclu de nouveaux contrats de service avec les anciens clients de Fides. En outre, la lettre de Fides de novembre 1993, dans laquelle celle-ci suggérait à ses anciens clients de poursuivre les relations commerciales avec la requérante, ne serait pas une preuve pertinente pour démontrer une prétendue « continuité personnelle » entre Fides et la requérante. Il serait tout à fait usuel, dans le cadre de rachats d’entreprises, que, pour des raisons de marketing, le vendeur envoie de telles « lettres de recommandation » concernant l’éventuel transfert du mandat à la société ayant pris la succession. La requérante en conclut qu’elle ne saurait être tenue pour responsable du comportement de Fides, ce qui aurait dû amener la Commission à accorder une importance nettement moindre à son rôle pendant la période déterminante allant de 1994 à 1999.

66

La requérante précise, à cet égard, que, à la différence de Fides, elle n’a pas participé à l’échange anticoncurrentiel d’informations entre les trois producteurs de peroxydes organiques. La description du rôle de la requérante aux considérants 91 et suivants de la décision attaquée ne tiendrait pas compte du fait que, en 1993, ces producteurs avaient substantiellement modifié le mode de fonctionnement de l’entente en renonçant dorénavant à se communiquer, avec la participation de Fides, des chiffres de vente et de prix dans le cadre de réunions. Après 1993, ce système aurait été remplacé par un système d’échange d’informations géré par AKZO, auquel la requérante n’aurait pas participé et dont elle n’aurait même pas eu connaissance, par télécopie et dans le cadre de réunions dites « de groupe de travail » (considérant 136 de la décision attaquée). Dans ce contexte, AKZO aurait établi des statistiques détaillées pour les présenter lors des réunions de groupe de travail, dirigé ces réunions, surveillé le respect des parts de marché et insisté auprès des autres producteurs pour que ceux-ci augmentent leurs prix.

67

En troisième lieu, en ce qui concerne la conservation des originaux de l’accord de 1971 et de l’accord de 1975, la requérante affirme avoir uniquement conservé dans son coffre les exemplaires d’Atochem/Atofina et de PC/Degussa, qui pouvaient les emporter ou les consulter à tout moment. La requérante admet en outre avoir réalisé jusqu’en 1995 ou en 1996, pour le compte des producteurs de peroxydes organiques, le calcul des écarts par rapport aux quotas convenus entre eux. Les documents relatifs à ce calcul auraient également pu être consultés à tout moment par les membres de l’entente. Or, la conservation de documents d’autrui par la requérante ne constituerait pas, en soi, un comportement interdit par les règles de concurrence.

68

En quatrième lieu, la requérante conteste le reproche selon lequel elle a collecté des données relatives à la vente de peroxydes organiques et fourni les « statistiques correspondantes » aux membres de l’entente (considérant 92 de la décision attaquée). La requérante fait valoir que ces statistiques étaient licites et n’avaient aucun rapport avec l’entente, ainsi que l’ont confirmé, selon elle, AKZO, Atochem/Atofina et PC/Degussa. À la suite de la mise en place par Fides, à la demande de ces producteurs, d’un système officiel d’information sur le marché des peroxydes organiques, la requérante aurait tacitement conclu, à la fin de 1993, de nouveaux contrats de service avec eux qui portaient sur la réalisation de statistiques de marché « neutres ». Ces statistiques auraient été fondées sur les chiffres de vente historiques (en tonnes), tels que fournis par ces producteurs, et les prix pratiqués par ces derniers ainsi que le nom de leurs clients n’y auraient pas été identifiés. Elles auraient été accompagnées d’une liste des catégories des produits pertinents que la Commission désignerait erronément par « code AC-Treuhand » (considérant 105 de la décision attaquée). Cette liste n’aurait toutefois été qu’un outil de travail, d’une part, pour la requérante afin d’établir les statistiques de marché et, d’autre part, pour la société chargée de réaliser un audit des volumes de vente communiqués par les producteurs. En effet, les statistiques ainsi établies n’auraient comporté, pour les catégories de peroxydes organiques visées, que le volume total du marché de l’année ou du trimestre précédent, le volume de vente de chaque producteur et sa part de marché, mais non des renseignements concernant les concurrents.

69

Dans ce contexte, la requérante rappelle que, entre 1993 et 1999, l’échange des volumes et des prix de vente par pays et par client entre les producteurs de peroxydes organiques et, partant, la coordination de leur comportement n’ont plus suivi les règles convenues en 1971 et en 1975, mais ont été assurés par télécopie ou lors de réunions de groupe de travail séparées et, parfois, à la suite de réunions officielles à Zurich, toutefois sans sa participation (considérants 128 et 136 de la décision attaquée). La requérante en conclut que, contrairement à l’impression créée au considérant 92 de la décision attaquée, la statistique de marché qu’elle a établie n’a pas servi à coordonner le comportement des producteurs. La préparation et le contrôle des chiffres du système d’information sur le marché n’auraient pas non plus constitué la base de l’infraction. En effet, à partir de 1993, la statistique établie par la requérante n’aurait pas été liée à sa participation aux réunions de l’entente et à la proposition de quotas. Ce lien aurait été rompu, au plus tard, en 1996 lorsque la requérante a cessé d’effectuer le calcul des écarts par rapport aux quotas convenus.

70

La requérante précise que l’audit des chiffres de vente des producteurs de peroxydes organiques n’avait aucun rapport avec l’entente. La requérante n’aurait ni « réalisé et approuvé » d’audit à ce titre (considérant 333 de la décision attaquée), ni été le « comptable » de l’entente (considérant 404 de ladite décision). Cette appréciation erronée relèverait, d’une part, d’un amalgame du fonctionnement du système licite d’information sur le marché avec celui de l’entente et, d’autre part, d’une confusion avec les devoirs de la société sous-mandatée par la requérante, qui aurait réalisé l’audit des volumes de vente communiqués par les producteurs à la requérante, tous les trois à six mois, concernant chaque catégorie de produits. Sur cette base, la requérante aurait calculé les parts de marché respectives pour renvoyer les « chiffres totaux du marché » aux producteurs. Enfin, l’audit des volumes de ventes communiqués à la requérante aurait répondu au souhait des trois producteurs et serait un procédé courant et licite dans le cadre de systèmes sérieux d’information sur le marché sans aucun rapport avec l’entente.

71

En cinquième lieu, la requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle elle a participé « une fois au moins » à une réunion de groupe de travail (considérant 92 de la décision attaquée), voire à plusieurs de ces réunions (considérant 99 de la décision attaquée). En réalité, la requérante n’aurait presque jamais participé aux réunions à but anticoncurrentiel des trois producteurs de peroxydes organiques. Sur les 63 réunions ayant eu lieu depuis la fin de décembre 1993, telles que recensées au tableau 4 de la décision attaquée (p. 28 et suivantes), dont uniquement neuf à Zurich, seules cinq se seraient déroulées avec la participation partielle de collaborateurs de la requérante, à savoir les réunions à Zurich du 25 octobre 1994, du 16 février 1995, du 16 janvier, du 19 avril 1996 et du 23 novembre 1998. Il conviendrait d’ajouter la réunion d’Amersfoort (Pays-Bas) du 19 octobre 1998, à laquelle auraient participé uniquement des représentants d’AKZO et un ancien collaborateur de la requérante, M. S. La requérante conteste toutefois, de manière très détaillée, la portée qu’attribue la Commission, dans la décision attaquée, à cette participation de M. S. En tout état de cause, il incomberait à la Commission l’obligation d’apporter la preuve que la requérante a effectivement participé à des réunions à but anticoncurrentiel (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, point 78).

72

La requérante précise que, à l’exception de la réunion du 16 janvier 1996, il s’agissait de réunions dites « au sommet » comportant un volet « officiel » et un volet « officieux ». Or, les collaborateurs de la requérante n’auraient participé qu’au volet officiel de ces réunions dans le cadre duquel n’étaient abordées que des questions relatives à la statistique officielle de marché, à la classification et à la sécurité des produits. Dans ce contexte, le rôle de la requérante se serait limité à des activités de secrétariat, tel que l’envoi de lettres d’invitation indiquant l’ordre du jour, la réservation d’une salle de réunion et, le cas échéant, de chambres d’hôtel, l’accueil des participants et la rédaction d’un compte rendu des réunions officielles. Sur instruction, la requérante aurait en outre réservé par téléphone une salle de réunion dans un hôtel pour les réunions « officieuses » à Zurich du 23 octobre 1997, du 17 avril et du 27 octobre 1998, toutefois sans avoir participé à ces réunions.

73

Dès lors, serait manifestement erronée l’affirmation d’AKZO, telle que retenue au considérant 127 de la décision attaquée, selon laquelle la requérante a assisté « systématiquement » aux réunions annuelles, par exemple, afin de pouvoir adapter les parts de marché. Pour ce faire, la participation de la requérante n’aurait pas été nécessaire étant donné que chacun des producteurs de peroxydes organiques connaissait les parts de marchés « officielles » du fait de l’échange entre eux de leurs volumes de ventes par télécopie ou lors des réunions des groupes de travail (considérant 128 de la décision attaquée).

74

En sixième lieu, la requérante soutient qu’elle n’a été ni le président ni le modérateur de l’entente (considérants 92, 99, 102 et 336 de la décision attaquée). D’une part, il n’y aurait pas eu de « président » lors des rares réunions des trois producteurs de peroxydes organiques auxquelles la requérante a participé entre 1994 et 1999 et durant lesquelles sa fonction se serait limitée à accueillir les participants et à rédiger le compte rendu du volet officiel de la réunion. D’autre part, la requérante n’aurait pas non plus fait office de « modérateur » en cas de tensions entre les membres de l’entente ni encouragé ces derniers à trouver des compromis. Ceux-ci seraient toujours parvenus eux-mêmes à la conclusion qu’un abandon des discussions ne ferait qu’empirer la situation. En outre, compte tenu de l’absence de participation de la requérante aux réunions officieuses (voir point 72 ci-dessus), elle n’aurait pas pu exercer la fonction de modérateur lors des tensions entre les membres de l’entente.

75

À cet égard, la requérante conteste avoir déclaré dans sa réponse à la communication des griefs qu’elle avait « fait office d’intermédiaire » (considérants 92, 94 et 99 de la décision attaquée). En réalité, la requérante aurait déclaré que M. S., en tant que secrétaire, s’était limité à jouer un « rôle d’animateur de la réunion », ce qui signifierait, notamment, qu’il a ouvert par un mot de bienvenue les quatre réunions « au sommet » officielles et licites entre 1994 et 1999 (voir point 72 ci-dessus) et qu’il a annoncé la pause déjeuner. M. S. n’aurait toutefois pas ou presque jamais participé, durant cette même période, aux réunions officieuses des trois producteurs de peroxydes organiques. Le point 10 de l’accord de 1971, sous le titre « Arbitrage », démontrerait que les producteurs ont eux-mêmes fait office de modérateurs, ce qui aurait été confirmé par Atochem/Atofina quant au rôle de modérateur d’AKZO lors de plusieurs réunions. La requérante en conclut qu’AKZO a proféré de fausses accusations contre elle afin de détourner l’attention de son propre rôle de modérateur.

76

En septième lieu, la requérante réaffirme qu’elle n’a accompli la tâche consistant à calculer les écarts par rapport aux quotas convenus et à les transmettre aux producteurs de peroxydes organiques, en vertu d’un mandat et sur instruction, que jusqu’en 1995 ou en 1996. Au plus tard à partir de 1997, le calcul de ces écarts aurait été effectué par les trois producteurs eux-mêmes, sous la direction d’AKZO, sur le fondement de leurs chiffres de vente échangés lors des réunions de groupe de travail ou par télécopie (voir point 69 ci-dessus). AKZO aurait ensuite établi, sur cette base, la statistique globale comportant les chiffres de vente de tous les producteurs de peroxydes organiques et l’aurait présentée lors de la réunion de groupe de travail suivante. Par ailleurs, les documents produits par AKZO dans l’intention de prouver que, en 1996 ou en 1997, la requérante a continué à calculer les écarts par rapport aux quotas convenus proviendraient d’AKZO elle-même et n’émaneraient pas de la requérante.

77

En dernier lieu, la requérante soutient que l’appréciation des preuves par la Commission est illégale parce qu’elle méconnaît la présomption d’innocence (arrêt Baustahlgewebe/Commission, point 24 supra, point 58) et le droit fondamental à un procès équitable, tel que consacré à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH et à l’article 47, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En effet, la Commission aurait fait sien le témoignage erroné d’AKZO sans pour autant vérifier son bien-fondé à la lumière des témoignages contraires d’Atochem/Atofina, de PC/Degussa et de la requérante. Or, il résulterait de l’article 6, paragraphe l, de la CEDH que les déclarations d’une partie qui coopère ne peuvent être considérées comme crédibles que lorsqu’elles sont étayées par des preuves supplémentaires et indépendantes (Commission eur. D. H., décision du 6 octobre 1976, X/Royaume-Uni, requête no 7306/75, Décisions et rapports, no 7, p. 119, 122). En outre, la crédibilité serait le seul critère pertinent pour apprécier les preuves produites (arrêt du Tribunal du 8 juillet 2004, Mannesmannröhren-Werke/Commission, T-44/00, Rec. p. II-2223, faisant référence aux conclusions du juge M. Vesterdorf faisant fonction d’avocat général sous l’arrêt Rhône-Poulenc/Commission, point 24 supra, Rec. p. II-869, II-954 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 23 mars 2000, Met-Trans et Sagpol, C-310/98 et C-406/98, Rec. p. I-1797, point 29, et arrêt du Tribunal du 7 novembre 2002, Vela et Tecnagrind/Commission, T-141/99, T-142/99, T-150/99 et T-151/99, Rec. p. II-4547, point 223).

78

Or, une partie qui coopère aurait toutes les raisons de mentir et la Commission serait d’office tenue de remettre en cause son témoignage, notamment, lorsqu’il est déterminant pour la décision finale et contredit par un autre témoignage [voir également considérant 85 de la décision 86/399/CEE de la Commission, du 10 juillet 1986, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.371 — Revêtements bitumés) (JO L 232, p. 15), et considérant 278 de la décision attaquée]. En l’espèce, la Commission aurait violé ces principes en reprenant plusieurs fausses accusations d’AKZO à l’encontre de la requérante sans produire à cette fin d’autres preuves indépendantes (voir également, en ce sens, arrêt du Tribunal du 14 octobre 2004, Dresdner Bank/Commission, T-44/02, non publié au Recueil, point 74). Or, un examen particulièrement critique des déclarations d’AKZO se serait imposé compte tenu, d’une part, du risque qu’AKZO exagère le rôle et l’importance de la requérante pour détourner l’attention de son propre rôle déterminant dans la mise en œuvre de l’entente et, d’autre part, du fait qu’AKZO n’a soulevé que tardivement certaines des accusations non fondées à l’encontre de la requérante.

79

En effet, si AKZO avait admis, dans sa lettre du 17 février 2003, que la proposition de nouveaux quotas provenait d’elle-même et non de la requérante, la Commission n’aurait pas eu d’autre choix que de prendre acte du rôle déterminant d’AKZO au sein de l’entente, ce qui lui aurait interdit d’exempter AKZO d’une amende en application du point B, sous e), de la communication sur la coopération. Selon la requérante, le risque de se voir refuser l’immunité et l’importance de l’amende menaçant AKZO confirment le fait que cette dernière a été incitée à témoigner à charge contre elle. Par conséquent, en se fondant sur les déclarations erronées d’AKZO, sans produire de preuves supplémentaires et indépendantes à l’appui de ses griefs et sans s’interroger sur la crédibilité desdites déclarations ou avoir pris en compte toutes les circonstances à décharge en faveur de la requérante, la Commission aurait méconnu les exigences du droit fondamental à un procès équitable et de la présomption d’innocence.

Sur la violation du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege)

— Sur les incidences du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) sur la distinction entre auteur et complice en droit communautaire de la concurrence

80

La requérante rappelle que, en vertu de l’article 15, paragraphe 2, sous a), du règlement no 17, la Commission ne peut infliger des amendes qu’aux entreprises ou aux associations d’entreprises qui, de propos délibéré ou par négligence, ont commis une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE. Cependant, les entreprises qui, sans participer à l’entente au sens de cette dernière disposition, ne font que faciliter l’infraction au droit de la concurrence commise par les membres de l’entente ou qu’inciter à la commission d’une telle infraction ne violeraient pas l’article 81, paragraphe 1, CE et ne seraient pas passibles d’amende en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17. Par conséquent, en constatant, dans la décision attaquée, une infraction de la requérante à l’article 81, paragraphe 1, CE et en lui infligeant une amende, la Commission aurait enfreint le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) tel que consacré à l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH. En outre, selon la requérante, l’interprétation extensive de l’article 81, paragraphe 1, CE, telle que soutenue par la Commission, étend à l’infini l’élément constitutif de l’infraction visée à l’article 81, paragraphe 1, CE et méconnaît ainsi le principe de précision de la loi pénale (nulla poena sine lege certa).

81

La requérante soutient que, en droit communautaire de la concurrence, il convient d’opérer une distinction entre, d’une part, les auteurs et, d’autre part, les instigateurs et complices d’une infraction. Cette distinction ferait partie des principes généraux du droit communautaire, compte tenu de la concordance des règles contenues dans les ordres juridiques nationaux à ce titre, telles que celles prévues à l’article 27, paragraphe 1, du Strafgesetzbuch (code pénal allemand), à l’article 48 du Wetboek van Strafrecht (code pénal néerlandais), à l’article 67 du code pénal belge, à l’article 121-7 du code pénal français, à la section 8 de l’Accessories and Abettors Act de 1861 (code pénal du Royaume-Uni), à l’article 28, paragraphe 2, sous b), et à l’article 29 du Código penal (code pénal espagnol) relatifs à la complicité, aux articles 46 et 47 du Poinikos kodikas (code pénal grec), aux articles 66 et 67 du code pénal luxembourgeois, aux articles 26 et suivants du Código penal (code pénal portugais), au chapitre 23, section 4, du Brottsbalk (code pénal suédois) et au chapitre 5 du Rikoslaki (code pénal finlandais). Elle serait également confirmée par l’article 2, paragraphe 1, de la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes du 26 juillet 1995 (JO C 316, p. 49) ainsi que par l’article 11 du Corpus Juris portant dispositions pénales pour la protection des intérêts financiers de l’Union européenne (établi sous la direction de Mireille Delmas-Marty, Economica, 1997).

82

Par conséquent, lorsque des sanctions sont prises en vertu du règlement no 17, il conviendrait également de distinguer les auteurs des instigateurs et complices. Selon la requérante, en droit communautaire de la concurrence, il n’existe toutefois pas de disposition législative permettant de sanctionner l’instigateur ou le complice d’une infraction. Dès lors, pourrait être sanctionnée seulement une personne qui, en tant qu’auteur d’une infraction, remplit la condition relative à la constitution de l’infraction visée à l’article 81, paragraphe 1, CE. En revanche, les complices ou les instigateurs d’une infraction ne seraient pas punissables.

83

Or, une interprétation contraire et extensive de l’article 81, paragraphe 1, CE, telle que celle effectuée par la Commission en l’espèce, violerait le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, et l’article 49, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La Cour eur. D. H. aurait reconnu que l’article 7 de la CEDH consacre ce principe ainsi que le principe qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive, notamment par analogie, au détriment de l’accusé. Il en résulterait qu’une infraction doit être clairement définie par la loi elle-même (Cour eur. D. H., arrêt Streletz e.a. c. Allemagne du 22 mars 2001, no 34044/96 e.a., Recueil des arrêts et décisions, 2001-II, § 50, et la jurisprudence qui y est citée).

84

La requérante estime que le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), en tant que principe général de droit communautaire, s’applique également à la procédure administrative à caractère répressif au titre du règlement no 17 et, en particulier, aux amendes prévues à l’article 15, paragraphe 2, dudit règlement. Cela résulterait, d’une part, de l’article 6, paragraphe 2, UE et, d’autre part, de la jurisprudence (arrêt de la Cour du 12 décembre 1996, X, C-74/95 et C-129/95, Rec. p. I-6609, point 25 ; arrêts Brugg Rohrsysteme/Commission, point 23 supra, points 109 et 122, et LR AF 1998/Commission, point 23 supra, points 209 et 210). En outre, il s’agirait d’un principe intrinsèque de l’État de droit qui assurerait une protection effective contre les poursuites et les sanctions arbitraires (Cour eur. D. H., arrêt Streletz e.a. c. Allemagne, point 83 supra, § 50, et la jurisprudence qui y est citée).

— Sur la notion d’auteur au sens de l’article 81 CE

85

La requérante précise que le principe de précision de la loi pénale (nulla poena sine lege certa) consacré à l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH (voir point 80 ci-dessus) imposerait de retenir une conception restrictive de la notion d’auteur d’une infraction au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, également, arrêts de la Cour X, point 84 supra, point 25, et du 2 octobre 2003, Krupp Hoesch/Commission, C-195/99 P, Rec. p. I-10937, point 86). Ce principe viserait à garantir que la sanction encourue pour une infraction à une norme, telle que la sanction prévue à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, soit prévisible pour le destinataire de cette norme et que le pouvoir décisionnel de l’autorité compétente soit encadré d’une façon telle qu’il exclue des décisions de « surprise ». La Cour aurait en effet jugé qu’une sanction prévue par le droit communautaire, même de caractère non pénal, ne peut être infligée que si elle repose sur une base claire et non ambiguë (arrêts de la Cour du 25 septembre 1984, Könecke, 117/83, Rec. p. 3291, point 11, et du 18 novembre 1987, Maizena, 137/85, Rec. p. 4587, point 15).

86

En outre, un acte de droit communautaire devrait être d’autant plus précis que l’atteinte ressentie par l’individu est intense. La Cour aurait statué en ce sens en précisant que l’exigence de clarté juridique est particulièrement impérieuse dans un domaine où toute incertitude risque d’entraîner l’application de sanctions particulièrement sensibles (arrêt de la Cour du 10 juillet 1980, Commission/Royaume-Uni, 32/79, Rec. p. 2403, point 46). Compte tenu du plafond particulièrement élevé du montant des amendes pouvant être infligées en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, ce qui serait confirmé par la pratique récente de la Commission, le principe de légalité des peines justifierait d’appliquer une conception restrictive de la notion d’auteur dans le cadre de l’article 81, paragraphe 1, CE. De même, l’interprétation extensive de l’article 81, paragraphe 1, CE, telle que soutenue par la Commission, irait bien au-delà d’une simple clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire du fait de son incompatibilité avec, d’une part, la définition généralement reconnue de la notion d’« accord » et, d’autre part, l’idée fondamentale d’autonomie qui sous-tend les dispositions en matière de concurrence.

87

La requérante avance que, en l’espèce, elle n’a pas été l’auteur d’une infraction, puisqu’elle n’avait ni la qualité de partie à l’entente ni celle d’une association d’entreprises. En réalité, elle n’aurait accompli pour AKZO, Atochem/Atofina et PC/Degussa que des actes de complicité qui ne sont pas constitutifs d’une infraction au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE. À la lumière des règles nationales visées au point 81 ci-dessus, la distinction entre les auteurs de l’infraction et les participants devrait être opérée sur la base de critères objectifs. Ne serait auteur punissable d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE que celui qui appartient aux catégories de personnes énoncées à l’article 81, paragraphe 1, CE et qui commet l’acte qui y est visé. En revanche, serait complice non punissable celui qui, sans remplir les conditions relatives à la constitution d’une infraction au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, facilite sciemment, par aide ou par assistance, la préparation ou la commission de l’infraction.

88

En effet, les infractions prévues aux articles 81 CE et 82 CE relèveraient de la catégorie des délits dits « spéciaux », car ces articles restreindraient le cercle des entreprises susceptibles d’être les auteurs de telles infractions à celles qui répondent à des caractéristiques spécifiques, à savoir, dans le cas de l’article 81 CE, les entreprises parties contractantes à l’accord restrictif de concurrence. Cela résulterait de la formulation « accords entre entreprises » retenue à l’article 81, paragraphe 1, CE et serait confirmé par la jurisprudence (arrêt Krupp Hoesch/Commission, point 85 supra, point 86). Dès lors, seule l’entreprise qui est partie contractante à l’accord restrictif de concurrence serait susceptible de se voir infliger une amende en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17.

89

La requérante fait valoir que la lettre et la finalité de l’article 81, paragraphe 1, CE, qui vise à sauvegarder la concurrence, font dépendre la qualité d’auteur de la question de savoir si l’entreprise en cause est un concurrent, qui doit s’exposer au jeu de la concurrence et est, par conséquent, tenu d’adopter un certain comportement concurrentiel. Seule l’entreprise soumise à cette obligation spécifique liée à l’objectif de la libre concurrence serait destinataire de cette norme. En effet, un accord restrictif de concurrence ne pourrait être conclu qu’entre des entreprises qui ont, sur le marché concerné, la qualité de concurrent, d’offreur ou de demandeur.

90

Par conséquent, une entreprise ne serait susceptible d’être qualifiée d’auteur d’une infraction que lorsque l’accord restrictif de concurrence est intervenu dans le cadre de son propre secteur d’activité. La restriction du cercle des auteurs de l’infraction résulterait en outre de la jurisprudence relative à l’exigence dite « d’autonomie » sous-jacente aux règles du traité en matière de concurrence, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun. Cette exigence d’autonomie s’opposerait donc rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre ces opérateurs ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement que l’on est décidé à, ou que l’on envisage de, tenir soi-même sur le marché (arrêts de la Cour Suiker Unie e.a./Commission, point 24 supra, point 174, et du 8 juillet 1999, Hüls/Commission, C-199/92 P, Rec. p. I-4287, point 160).

— Sur la qualité de complice non punissable de la requérante

91

La requérante souligne qu’elle n’a pas été partie à l’accord restrictif de concurrence entre les producteurs de peroxydes organiques et que, ainsi, elle n’a pas enfreint l’exigence d’autonomie sous-jacente au droit de la concurrence. En effet, elle n’aurait ni contacté ses propres concurrents ni influencé ou cherché à influencer leur comportement sur le marché. Étant donné que son activité économique est étrangère au marché des peroxydes organiques, qui a fait l’objet de l’infraction, la requérante ne remplirait pas les conditions relatives à la constitution de l’infraction visée à l’article 81, paragraphe 1, CE et elle ne saurait être considérée comme auteur de l’infraction. De même, serait erronée la thèse de la Commission selon laquelle l’accord de 1971 ainsi que les contrats de service entre la requérante, d’une part, et AKZO, Atochem/Atofina et PC/Degussa, d’autre part, forment un prétendu « accord global et unique » impliquant la participation de la requérante. En effet, le préambule de l’accord de 1971 énoncerait exclusivement les producteurs de peroxydes organiques en tant que parties à cet accord (considérant 80 de la décision attaquée).

92

Or, la requérante n’aurait jamais été partie audit accord (considérant 339 de la décision attaquée), qui aurait formé le cadre des activités de l’entente entre 1971 et 1999 (considérants 89, 90 et 316 de la décision attaquée), ni été susceptible de le devenir du fait de son activité économique étrangère au marché concerné. Toutefois, en qualifiant la participation de la requérante à certains éléments de l’entente d’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, la Commission méconnaîtrait le libellé de cette disposition. Par ailleurs, à supposer même que la requérante eût effectivement exercé les fonctions que lui attribue erronément la Commission (considérant 334 de la décision attaquée), cette activité, en l’absence de participation directe à l’accord restrictif de concurrence sur le marché concerné, ne serait pas susceptible d’enfreindre l’article 81, paragraphe 1, CE, mais relèverait de la complicité non punissable.

— Sur la pratique décisionnelle antérieure contraire de la Commission

93

La requérante soutient en outre que l’approche de la Commission dans la décision attaquée contredit sa pratique décisionnelle antérieure depuis 1983, selon laquelle les entreprises de conseil, non présentes sur le marché concerné par l’infraction, ne sont pas considérées comme des parties à l’accord restrictif de concurrence et, partant, comme auteurs d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE. La thèse contraire encore défendue par la Commission dans sa décision 80/1334/CEE, du 17 décembre 1980, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/29.869 — Verre coulé en Italie) (JO L 383, p. 19, ci-après la « décision Verre coulé en Italie »), méconnaîtrait le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), puisque l’entreprise de conseil visée n’était pas partie à l’accord restrictif de concurrence, mais simple complice. Pour cette raison, la Commission aurait, à juste titre, implicitement abandonné cette thèse dès 1983. Dans sa décision 83/546/CEE, du 17 octobre 1983, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/30.064 — Cylindres en fonte et en acier moulés) (JO L 317, p. 1, ci-après la « décision Cylindres en fonte et en acier moulés »), elle n’aurait qualifié d’auteur d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE que les entreprises présentes sur le marché concerné par l’infraction et parties à l’accord restrictif de concurrence et non l’entreprise de conseil chargée de gérer, notamment, le système d’échange d’informations entre les membres de l’entente (considérants 10 et suivants). Cette même approche aurait été suivie par la Commission dans ses décisions 86/398/CEE, du 23 avril 1986, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.149 — Polypropylène) (JO L 230, p. 1, ci-après la « décision Polypropylène ») considérant 66, 89/191/CEE, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.866 — PEBD) (JO 1989, L 74, p. 21, ci-après la « décision PEBD »), considérants 11 et 19, et 94/601/CE, du 13 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/C/33.833 — Carton) (JO L 243, p. 1, ci-après la « décision Carton »), considérants 2, 27 et suivants, 33, 37, 61 et suivants, 134 et 162.

94

La Commission ne saurait prétendre que, en l’espèce, la requérante aurait joué un rôle plus important que les entreprises de conseil dans les affaires précitées. Au contraire, à la différence des entreprises de conseil impliquées dans les affaires ayant donné lieu à la décision Cylindres en fonte et en acier moulés et à la décision Carton, la requérante n’aurait presque jamais participé aux réunions à but anticoncurrentiel (voir points 72 et suivants ci-dessus). En outre, les autres griefs soulevés à l’encontre de la requérante seraient dénués de pertinence et n’auraient aucun rapport avec l’entente. Ainsi, le système d’information sur le marché fondé sur des statistiques officielles ne violerait pas l’article 81, paragraphe 1, CE (arrêt de la Cour du 2 octobre 2003, Eurofer/Commission, C-179/99 P, Rec. p. I-10725, point 44, et arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Eurofer/Commission, T-136/94, Rec. p. II-263, publication par extraits, point 186), dès lors qu’il n’impliquait pas le transfert entre concurrents d’informations couvertes par le secret d’affaires. Au regard de la pratique décisionnelle constante de la Commission, cela serait d’autant plus vrai lorsqu’une entreprise de conseil se limite à exploiter les chiffres de vente qui lui ont été communiqués sans pour autant participer à l’échange d’informations sensibles en tant que tel [décision 94/599/CE de la Commission, du 27 juillet 1994, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.865 — PVC) (JO L 239, p. 14), considérant 12 ; décision PEBD, considérant 11 ; décision Polypropylène, considérant 66]. Enfin, l’audit des chiffres de vente communiqués par les membres de l’entente par des experts-comptables indépendants ne serait pas restrictif de la concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE. Dès lors, les activités de « secrétariat » précitées de la requérante, qui sont liées à l’entente, ne constitueraient que des actes de complicité.

— Sur l’absence de maîtrise de l’entente par la requérante et de lien de causalité entre son activité et la restriction de la concurrence

95

La requérante précise qu’elle n’avait aucune maîtrise de l’infraction. Les décisions relatives à la mise en œuvre, à la gestion et à l’orientation de l’entente auraient été prises exclusivement par les trois producteurs de peroxydes organiques. Par conséquent, il n’y aurait pas de lien de causalité entre l’activité de la requérante et la restriction de la concurrence sur le marché des peroxydes organiques. En tant que mandataire en vertu du droit des obligations suisse, soumis aux instructions de ces producteurs et à une obligation de confidentialité, la requérante n’aurait été que l’instrument des membres de l’entente. Ne fût-ce que pour cette raison, la requérante ne saurait être considérée comme un coauteur de l’infraction au même titre que les producteurs de peroxydes organiques. L’absence de maîtrise de l’infraction par la requérante résulterait également du fait qu’elle n’a pas participé à l’activité collusoire proprement dite, à savoir l’échange d’informations entre les producteurs par télécopie, par téléphone cellulaire et lors des réunions des groupes de travail durant lesquelles elle n’était pas présente (voir points 72 et suivants ci-dessus).

96

La requérante soutient en outre que, contrairement à ce qui est constaté au considérant 345 de la décision attaquée, s’agissant des services qu’elle a fournis dans le cadre de l’entente, tels que le remboursement des frais de déplacement, elle aurait pu être remplacée à tout moment soit par les producteurs de peroxydes organiques eux-mêmes, soit par une autre entreprise de conseil, sans que cela eût perturbé le fonctionnement de l’entente au même titre que le retrait d’un des producteurs.

97

Au vu de tout ce qui précède, la requérante estime qu’elle devrait être qualifiée de complice non punissable des trois producteurs de peroxydes organiques impliqués dans l’entente. À cet égard, il serait indifférent que la requérante ait eu partiellement connaissance de ladite entente, dès lors que cette connaissance ne serait pas suffisante pour conclure qu’elle a elle-même commis une infraction (arrêt de la Cour du 16 novembre 2000, Stora Kopparbergs Bergslags/Commission, C-286/98 P, Rec. p. I-9925, point 39 ; conclusions de l’avocat général M. Mischo sous cet arrêt, Rec. p. I-9928, point 80).

— Sur la qualification erronée de la requérante d’« association d’entreprises »

98

La requérante conteste enfin sa qualification d’« association d’entreprises » à l’article 1er et aux considérants 347, 373 et 464 de la décision attaquée. En interprétant cette notion de manière extensive, la Commission violerait l’interdiction du raisonnement par analogie, corollaire du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) consacré à l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH (voir point 83 ci-dessus), qui s’applique également dans le cadre de la procédure administrative répressive prévue par le règlement no 17. En effet, dans l’usage courant, une entreprise de conseil, telle que la requérante, ne constituerait pas une « association d’entreprises », c’est-à-dire une structure organisationnelle composée d’entreprises membres. N’étant pas composée d’entreprises membres, la requérante serait une entreprise indépendante contrôlée exclusivement par des personnes physiques en tant qu’actionnaires. De même, elle serait liée à ses clients non par un lien structurel, mais dans le cadre d’un mandat purement contractuel.

99

La thèse de la Commission irait également à l’encontre du sens et de la finalité de la notion d’association d’entreprises. Cette notion n’aurait pas pour objet de permettre de sanctionner des complices de membres d’une entente, mais viserait en réalité à éviter que les entreprises puissent échapper à l’application des règles de la concurrence en raison de la seule forme par laquelle elles coordonnent leur comportement sur le marché et, partant, à appréhender également les formes institutionnelles de coopération par l’intermédiaire d’une structure collective ou d’un organe commun (conclusions de l’avocat général M. Léger sous l’arrêt de la Cour du 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, Rec. p. I-1577, I-1582, point 62). En revanche, en l’espèce, les producteurs de peroxydes organiques n’auraient pas agi par l’intermédiaire d’une structure collective ou d’un organe commun, mais auraient coordonné leur comportement de manière directe par télécopie, par téléphone et lors de réunions de groupes de travail. À cet égard, la requérante se serait contentée de fournir une assistance administrative ou logistique sans qu’elle représente la « structure collective » ou l’« organe collectif » de ces producteurs.

100

La requérante en conclut que, en tant que complice non punissable d’AKZO, d’Atochem/Atofina et de PC/Degussa, elle n’est pas coupable d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE et que le fait que la Commission lui a imputé ladite infraction est contraire au principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege).

b) Arguments de la Commission

Sur le cadre factuel de la décision attaquée

101

S’agissant du cadre factuel pertinent, la Commission soutient, en substance, que la requérante ne remet pas en cause le fait qu’elle a conservé dans son coffre, notamment, les exemplaires de l’accord de 1971 et de l’accord de 1975 appartenant à Atochem/Atofina et à PC/Degussa. En outre, la Commission conteste le fait que la requérante ait qualifié de façon isolée le système officiel d’information sur le marché et estime que celui-ci doit être replacé dans le contexte de l’entente. En effet, la collecte, la préparation, le contrôle des chiffres ainsi que l’établissement des statistiques, en toute connaissance de cause et à des fins anticoncurrentielles, dans le cadre de ce système, auraient constitué, avec la participation aux réunions, la proposition de quotas et le calcul des écarts par rapport aux quotas convenus, une condition essentielle du fonctionnement de l’entente.

102

Par ailleurs, il ne serait pas contesté que la requérante a participé à cinq réunions à Zurich entre 1994 et 1998, dont quatre réunions « au sommet », ainsi qu’à la réunion avec des représentants d’AKZO à Amersfoort. La requérante aurait également admis avoir réservé la salle de réunion pour trois rencontres « officieuses » à Zurich entre 1997 et 1998. Au vu de ces faits constants, la requérante ne saurait minimiser sa participation par l’emploi de termes tels que « rarement » ou « presque jamais ». La requérante ne contesterait pas non plus avoir calculé les écarts par rapport aux quotas convenus au moins jusqu’en 1995 ou en 1996. Elle aurait également fait office de chambre de compensation afin d’assurer que les réunions à but anticoncurrentiel ne laisseraient aucune trace dans les comptes des entreprises participantes. Ainsi, la requérante aurait veillé elle-même, lors du remboursement, à ce qu’aucun objet ne soit mentionné dans les ordres de paiement internes remplis et signés par M. S. La Commission conteste enfin l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée serait fondée sur des déclarations prétendument non crédibles d’AKZO. À cet égard, la Commission relève que les différentes déclarations quant aux faits pertinents, même celles dont la crédibilité est nécessairement moindre, peuvent se renforcer mutuellement (arrêt Mannesmannröhren-Werke/Commission, point 77 supra, point 87).

Sur la violation du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege)

103

La Commission conteste que la décision attaquée viole le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege). Elle rejette les prémisses de la requérante selon lesquelles, en droit communautaire de la concurrence, à l’instar du droit pénal de plusieurs États membres, il convient de distinguer formellement les auteurs des instigateurs et complices. Ni le droit primaire ni le droit secondaire pertinents n’opéreraient une telle distinction. En outre, ainsi que le confirme l’article 15, paragraphe 4, du règlement no 17, la procédure administrative prévue par ce règlement n’aurait pas de caractère pénal (arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T-83/91, Rec. p. II-755, point 235). Par ailleurs, il ne serait pas nécessaire d’établir une telle distinction formelle en droit communautaire de la concurrence, dès lors que l’on pourrait tenir compte de l’existence de différentes formes de participation et de la gravité de la contribution à l’infraction dans le cadre de la détermination du montant de l’amende (conclusions de l’avocat général Mme Stix-Hackl sous l’arrêt Krupp Hoesch/Commission, point 85 supra, Rec. p. I-10941, note en bas de page no 15).

104

Or, en l’absence de règle distinguant l’auteur du participant, toute personne remplissant les conditions relatives à la constitution de l’infraction visée à l’article 81, paragraphe 1, CE serait susceptible de se voir infliger une amende en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17. La Commission ajoute que l’impératif, découlant du principe de sécurité juridique, que les actes juridiques de la Communauté soient clairs et leur application suffisamment prévisible pour les personnes concernées n’exclut pas qu’il soit, parfois, nécessaire d’interpréter ces actes. En effet, la Cour eur. D. H. reconnaîtrait également le besoin de mettre en équilibre, d’une part, l’obligation de précision et l’interdiction d’analogie en matière pénale au titre de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH et, d’autre part, l’interprétation judiciaire destinée notamment à la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale d’une affaire à l’autre (Cour eur. D. H., arrêt S.W. c. Royaume-Uni du 22 novembre 1995, série A, no 335-B, § 36). Par conséquent, serait auteur d’une infraction quiconque remplit les conditions de l’article 81, paragraphe 1, CE.

105

La Commission récuse l’allégation de la requérante selon laquelle elle n’était pas partie à l’entente et ne pouvait pas l’être. L’accord de 1971, conclu entre les producteurs de peroxydes organiques, et les contrats de service, conclus entre la requérante et lesdits producteurs, devraient être qualifiés d’éléments essentiels d’une entente globale et unique. Étant donné que les contrats de service servaient à mettre en œuvre l’accord de 1971, ils devraient être appréciés conjointement avec celui-ci en tant qu’accords complémentaires et accessoires (considérants 339 et 340 de la décision attaquée ; voir également décision Verre coulé en Italie).

106

À cet égard, il ne serait pas nécessaire, au regard des termes de l’article 81, paragraphe 1, CE, que la requérante, en sa qualité d’entreprise de conseil, soit active sur le marché en cause en tant que concurrent ou du côté de l’offre ou de la demande. Ne serait pas non plus requise une restriction de l’autonomie commerciale des entreprises concernées et de la concurrence entre elles, mais une quelconque restriction de la concurrence à l’intérieur du marché commun suffirait. Cela correspondrait à l’objectif de l’article 81 CE, qui, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, fait partie d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée dans le marché intérieur [voir également considérant 9 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 [CE] et 82 [CE] (JO 2003 L 1, p. 1)].

107

En effet, l’article 81, paragraphe 1, CE serait applicable non seulement aux accords « horizontaux », mais également aux accords « verticaux » restrictifs de concurrence, conclus entre des entreprises situées à différents niveaux de la chaîne de distribution (arrêt de la Cour du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission de la CEE, 56/64 et 58/64, Rec. p. 429), voire entre des entreprises actives sur des marchés distincts. À cet égard, la notion d’accord viserait uniquement à permettre d’établir une distinction entre la coordination interdite et le comportement parallèle autorisé (voir, également, arrêt du Tribunal du 11 décembre 2003, Adriatica di Navigazione/Commission, T-61/99, Rec. p. II-5349, point 89). Par ailleurs, l’infraction visée à l’article 81, paragraphe 1, CE serait un « délit abstrait de dangerosité » (abstraktes Gefährdungsdelikt) dans la mesure où cette disposition vise également l’objet de restriction de la concurrence, c’est-à-dire le caractère dangereux de l’entente pour la concurrence, abstraction faite du cas particulier.

108

La Commission rappelle ensuite la jurisprudence selon laquelle la simple participation à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel et l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, constitue un mode passif de participation à l’infraction de nature à engager la responsabilité de l’entreprise dans le cadre d’un accord unique (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, points 83 et 84 ; arrêts du Tribunal du 17 décembre 1991, Hercules Chemicals/Commission, T-7/89, Rec. p. II-1711, point 232 ; du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T-12/89, Rec. p. II-907, point 98, et du 6 avril 1995, Tréfileurope/Commission, T-141/89, Rec. p. II-791, points 85 et 86). Cela vaudrait d’autant plus pour la participation active d’une entreprise à une entente, indépendamment de la question de savoir si cette entreprise est active ou non sur le marché en cause.

109

Or, en l’espèce, la requérante ne se serait pas comportée comme un complice passif de l’entente, mais y aurait participé activement en tant qu’organisatrice et gardienne de sa bonne mise en œuvre (considérant 343 de la décision attaquée). Grâce à ses activités, la requérante aurait considérablement contribué à maintenir en vigueur et à dissimuler l’entente et donc à restreindre gravement et durablement la concurrence sur le marché des peroxydes organiques. Selon la Commission, ce sont des éléments nécessaires et suffisants pour fonder sa responsabilité au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE. À cet égard, il serait indifférent que le participant à une infraction en tire ou non profit (arrêt Krupp Hoesch/Commission, point 85 supra), étant donné que l’article 81, paragraphe 1, CE n’est pas fondé sur le critère de l’enrichissement, mais sur celui de la mise en péril de la concurrence.

110

En tout état de cause, la requérante aurait directement profité du bon fonctionnement de l’entente (considérant 342 de la décision attaquée). Selon la Commission, il n’est pas non plus déterminant qu’un participant soit ou non en mesure d’influer directement sur les prix et les quantités en tant que paramètres de la concurrence (voir, par analogie, arrêt Brugg Rohrsysteme/Commission, point 23 supra, point 61), sous peine de remettre en cause l’effet utile de l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE en ouvrant la possibilité de la contourner moyennant l’engagement de « prestataires spécialisés de services collusoires » chargés d’organiser, de maintenir et de dissimuler l’entente.

111

La Commission considère en conséquence que le présent moyen doit être rejeté.

2. Appréciation du Tribunal

a) Observations liminaires

112

Il convient de préciser d’abord que la requérante ne conteste pas en tant que tel le niveau de l’amende qui lui a été infligée dans la décision attaquée. Par le présent moyen, la requérante soutient, en substance, que, en la tenant pour responsable d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE et en lui infligeant une amende, la Commission outrepasse les limites du pouvoir décisionnel qui lui a été conféré par l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et enfreint le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) au sens de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH. À cet égard, la Commission aurait dû tenir compte du fait que la requérante n’était qu’un complice non punissable de l’entente, qui ne peut donc être qualifiée d’entreprise ou d’association d’entreprises « auteur » d’une infraction, telles que visées à l’article 81, paragraphe 1, CE.

113

Il convient de relever ensuite que la procédure devant la Commission, au titre du règlement no 17, est seulement de nature administrative (voir, en ce sens, arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, point 200 ; arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T-25/95, T-26/95, T-30/95 à T-32/95, T-34/95 à T-39/95, T-42/95 à T-46/95, T-48/95, T-50/95 à T-65/95, T-68/95 à T-71/95, T-87/95, T-88/95, T-103/95 et T-104/95, Rec. p. II-491, points 717 et 718) et que, par conséquent, les principes généraux de droit communautaire et, notamment, le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), tel qu’il s’applique au droit communautaire de la concurrence (arrêt de la Cour du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, points 215 à 223), ne doivent pas nécessairement avoir la même portée que dans le cas de leur application à une situation visée par le droit pénal au sens strict.

114

Afin de déterminer s’il y a lieu de distinguer, au regard de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE et du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), l’entreprise « auteur » d’une infraction de l’entreprise « complice » non punissable, le Tribunal estime nécessaire de procéder à une interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 81, paragraphe 1, CE (voir, en ce qui concerne la méthodologie, arrêts du Tribunal du 20 novembre 2002, Lagardère et Canal+/Commission, T-251/00, Rec. p. II-4825, points 72 et suivants, et du 6 octobre 2005, Sumitomo Chemical et Sumika Fine Chemicals/Commission, T-22/02 et T-23/02, Rec. p. II-4065, points 41 et suivants).

b) Sur l’interprétation littérale de l’article 81, paragraphe 1, CE

115

L’article 81, paragraphe 1, CE dispose que « [s]ont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d’associations d’entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché commun ».

116

Il convient de s’interroger notamment sur la portée des termes « accords entre entreprises ».

117

À cet égard, le Tribunal constate d’abord que le juge communautaire ne s’est, à ce jour, pas prononcé, de manière explicite, sur la question de savoir si les notions d’accord et d’entreprise reprises à l’article 81, paragraphe 1, CE sont fondées sur une conception « unitaire », qui englobe toute entreprise ayant contribué à la commission d’une infraction, indépendamment du secteur économique dans lequel elle est normalement active, ou, ainsi que le soutient la requérante, sur une conception « bipolaire », qui distingue les entreprises « auteurs » de celles « complices » de l’infraction. Il y a lieu de rappeler en outre que la requérante prétend que le texte de l’article 81, paragraphe 1, CE comporte une lacune en ce sens que, en énonçant l’« entreprise » auteur de l’infraction et sa participation à un « accord », il ne comprend que certaines entreprises ayant des caractéristiques particulières et ne vise que certaines formes de participation. En conséquence, ce serait uniquement dans l’hypothèse d’une notion d’entreprise et d’une notion d’accord ainsi limitées et, partant, d’un champ d’application en ce sens restreint de l’article 81, paragraphe 1, CE que pourrait s’appliquer le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) afin d’exclure toute interprétation extensive du texte de cette disposition.

118

En ce qui concerne le terme « accord », le Tribunal constate qu’il n’est, tout d’abord, qu’une autre expression pour désigner un comportement coordonné/collusif et restrictif de concurrence, voire une entente au sens large, auquel participent à tout le moins deux entreprises distinctes ayant exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 65 supra, points 79 et 112 ; arrêts du Tribunal du 26 octobre 2000, Bayer/Commission, T-41/96, Rec. p. II-3383, points 67 et 173, et du 27 septembre 2006, Dresdner Bank e.a./Commission, T-44/02 OP, T-54/02 OP, T-56/02 OP, T-60/02 OP et T-61/02 OP, Rec. p. II-3567, points 53 à 55). En outre, pour constituer un accord au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, il suffit qu’un acte ou un comportement apparemment unilatéral soit l’expression de la volonté concordante de deux parties au moins, la forme selon laquelle se manifeste cette concordance n’étant pas déterminante par elle-même (arrêt de la Cour du 13 juillet 2006, Commission/Volkswagen, C-74/04 P, Rec. p. I-6585, point 37). Cette notion large d’accord est confirmée par le fait que tombe également sous le coup de l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE la pratique concertée qui vise une forme de coordination entre entreprises sans que celle-ci aboutisse à la réalisation d’une convention proprement dite (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 65 supra, point 115, et la jurisprudence qui y est citée).

119

En l’espèce, se pose la question de savoir si, ainsi que l’allègue la requérante, l’entente doit relever d’un secteur d’activité particulier, voire d’un même marché de produits ou de services, de sorte que seules les entreprises qui y sont actives en leur qualité de concurrents, d’offreurs ou de demandeurs sont susceptibles de coordonner leur comportement en tant qu’entreprises (co)auteurs d’une infraction.

120

Or, à cet égard, il convient de rappeler que l’article 81, paragraphe 1, CE s’applique non seulement aux accords « horizontaux » entre entreprises exerçant une activité commerciale sur un même marché de produits ou de services pertinent, mais également aux accords « verticaux », qui impliquent la coordination d’un comportement entre des entreprises actives à des niveaux distincts de la chaîne de production et/ou de distribution et, partant, opérant sur des marchés de produits ou de services distincts [voir, à cet égard, arrêts de la Cour Consten et Grundig/Commission de la CEE, point 107 supra, p. 493 et 494 ; du 6 janvier 2004, BAI et Commission/Bayer, C-2/01 P et C-3/01 P, Rec. p. I-23 ; du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C-551/03 P, Rec. p. I-3173 ; Commission/Volkswagen, point 118 supra, et ordonnance de la Cour du 28 septembre 2006, Unilever Bestfoods/Commission, C-552/03 P, Rec. p. I-9091 ; arrêt du Tribunal du 18 septembre 2001, M6 e.a./Commission, T-112/99, Rec. p. II-2459, points 72 et suivants ; voir, également, règlement (CE) no 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, [CE] à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO L 336, p. 21), et la communication (2000/C 291/01) de la Commission — Lignes directrices sur les restrictions verticales (JO C 291, p. 1)].

121

De même, il ressort de la jurisprudence que, pour tomber sous le coup de l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE, il suffit que l’accord en cause restreigne la concurrence sur des marchés voisins et/ou émergents sur lesquels, à tout le moins, une des entreprises participantes n’est pas (encore) présente [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 2 mai 2006, O2 (Germany)/Commission, T-328/03, Rec. p. II-1231, points 65 et suivants ; voir également, s’agissant de l’application de l’article 82 CE, arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C-333/94 P, Rec. p. I-5951].

122

À cet égard, les formules employées par la jurisprudence « volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée » (arrêt Bayer/Commission, point 118 supra, point 67) ou « expression de la volonté commune des membres de l’entente sur leur comportement dans le marché commun » (arrêt ACF Chemiefarma/Commission, point 23 supra, point 112) tendent à mettre en exergue l’élément de « volonté commune » et n’exigent pas une parfaite coïncidence entre le marché pertinent sur lequel l’entreprise « auteur » de la restriction de concurrence est active et celui sur lequel cette restriction est censée se matérialiser. Il en découle que toute restriction de concurrence à l’intérieur du marché commun peut relever d’un « accord entre entreprises » au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE. Cette conclusion est confirmée par le critère de l’existence d’un accord ayant pour objet de restreindre la concurrence à l’intérieur du marché commun. Ce critère implique qu’une entreprise est susceptible de violer l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE lorsque son comportement, tel que coordonné avec celui d’autres entreprises, a pour but de restreindre la concurrence sur un marché pertinent particulier à l’intérieur du marché commun, sans que cela présuppose nécessairement qu’elle soit elle-même active sur ledit marché pertinent.

123

Il résulte de ce qui précède qu’une interprétation littérale des termes « accords entre entreprises » n’impose pas une interprétation restrictive de la notion d’auteur d’infraction telle que préconisée par la requérante.

c) Sur l’interprétation contextuelle et téléologique de l’article 81, paragraphe 1, CE

Sur l’exigence de la restriction de l’autonomie commerciale

124

À l’appui de son moyen, la requérante allègue en outre que la notion d’auteur d’infraction implique nécessairement que celui-ci restreint sa propre autonomie commerciale vis-à-vis de ses concurrents et contrevient ainsi à l’exigence d’autonomie sous-jacente à l’article 81, paragraphe 1, CE, selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché commun.

125

Or, ainsi que le relève la requérante par référence à la jurisprudence pertinente, l’exigence d’autonomie a été développée, notamment, dans le cadre de la jurisprudence portant sur la distinction entre les pratiques concertées prohibées et le comportement parallèle licite entre concurrents (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 65 supra, points 115 à 117, et la jurisprudence qui y est citée ; arrêt Adriatica di Navigazione/Commission, point 107 supra, point 89). En outre, il ressort de la distinction qu’opère la jurisprudence entre l’existence d’un accord restrictif de concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, d’une part, et la présence d’une simple mesure unilatérale d’une entreprise visant à imposer un certain comportement à d’autres entreprises, d’autre part, que la restriction de concurrence doit résulter de la manifestation suffisamment établie d’une volonté concordante entre les entreprises impliquées quant à la réalisation d’un comportement déterminé (voir, en ce sens, arrêts BAI et Commission/Bayer, point 120 supra, points 96 à 102 et 141, et Commission/Volkswagen, point 118 supra, point 37). Il en découle que, contrairement à ce que prétend la requérante, l’exigence d’autonomie n’est pas directement liée à la question, en l’espèce non pertinente (voir points 120 à 123 ci-dessus), de savoir si les entreprises restreignant leur liberté commerciale sont actives ou non dans un même secteur d’activité ou sur un même marché pertinent, mais plutôt aux notions de « pratique concertée » et d’« accord », ces notions exigeant la preuve d’une manifestation suffisamment claire et précise d’une concordance de volonté entre les entreprises impliquées.

126

Par ailleurs, la requérante surestime l’importance du critère de la limitation de la liberté commerciale dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’une restriction de concurrence au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE. Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, tout accord entre entreprises ou toute décision d’une association d’entreprises qui restreignent la liberté d’action des parties ou de l’une d’elles ne tombent pas nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE. En effet, aux fins de l’application de cette disposition à un cas d’espèce, il y a lieu tout d’abord de tenir compte du contexte global dans lequel ledit accord ou ladite décision ont été pris ou déploient leurs effets, et plus particulièrement de leurs objectifs (arrêts de la Cour Wouters e.a., point 99 supra, point 97, et du 18 juillet 2006, Meca-Medina et Majcen/Commission, C-519/04 P, Rec. p. I-6991, point 42). À ce titre, le Tribunal a précisé qu’il n’y avait pas lieu de considérer, de manière complètement abstraite et indistincte, que tout accord restreignant la liberté d’action des parties ou de l’une d’elles tombait nécessairement sous le coup de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE, mais qu’il incombait, aux fins de l’analyse de l’applicabilité de cette disposition à un accord, de tenir compte du cadre concret dans lequel il déployait ses effets, et notamment du contexte économique et juridique dans lequel opéraient les entreprises concernées, de la nature des produits et/ou services visés par cet accord ainsi que des conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché (voir arrêt M6 e.a./Commission, point 120 supra, point 76, et la jurisprudence qui y est citée).

127

Au regard de cette notion contextuelle de restriction de la concurrence, il n’est dès lors pas exclu qu’une entreprise puisse participer à la mise en œuvre d’une telle restriction même si elle ne restreint pas sa propre liberté d’action sur le marché sur lequel elle est principalement active. En effet, toute autre interprétation serait susceptible de réduire la portée de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE dans une mesure contraire à son effet utile et à son objectif principal, tel que lu au regard de l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE, d’assurer le maintien d’une concurrence non faussée à l’intérieur du marché commun, étant donné qu’elle ne permettrait pas de poursuivre une contribution active d’une entreprise à une restriction de concurrence du seul fait que cette contribution n’émane pas d’une activité économique relevant du marché pertinent sur lequel cette restriction se matérialise ou a pour objet de se matérialiser. Il y a lieu de préciser que, ainsi que le fait valoir la Commission, seule la responsabilité de toute « entreprise » au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE est susceptible de pleinement garantir cet effet utile, dès lors qu’elle permet de sanctionner et de prévenir la création de nouvelles formes de collusion à l’aide d’entreprises non actives sur les marchés visés par la restriction de concurrence, avec pour objectif de contourner l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE.

128

Le Tribunal en conclut qu’une lecture des termes « accords entre entreprises » à la lumière des objectifs poursuivis par l’article 81, paragraphe 1, CE et par l’article 3, paragraphe 1, sous g), CE tend à confirmer l’existence d’une conception de l’entente et de l’entreprise auteur d’une infraction, qui n’opère pas de différenciation selon le secteur ou le marché sur lequel les entreprises concernées sont actives.

Sur les conditions dans lesquelles la participation d’une entreprise à une entente est constitutive d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE

129

Il y a lieu de rappeler ensuite la jurisprudence concernant les conditions que doit remplir la participation d’une entreprise à une entente pour que celle-ci puisse être tenue pour responsable en tant que coauteur de l’infraction.

130

À ce titre, il suffit que la Commission démontre que l’entreprise concernée a participé à des réunions au cours desquelles des accords de nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s’y être manifestement opposée, pour prouver à suffisance la participation de ladite entreprise à l’entente. Afin d’établir la participation d’une entreprise à un accord unique, constitué d’un ensemble de comportements infractionnels étalés dans le temps, la Commission doit prouver que cette entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements matériels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque. À cet égard, l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et compromet sa découverte. Cette complicité constitue un mode passif de participation à l’infraction qui est donc de nature à engager la responsabilité de l’entreprise dans le cadre d’un accord unique (voir, en ce sens, arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 65 supra, points 83 et 87 ; Aalborg Portland e.a./Commission point 23 supra, points 81 à 84, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 113 supra, points 142 et 143 ; voir, également, arrêt Tréfileurope/Commission, point 108 supra, point 85, et la jurisprudence qui y est citée). Il ressort en outre de la jurisprudence que ces principes s’appliquent mutatis mutandis à l’égard de réunions auxquelles ont participé non seulement des concurrents producteurs, mais également leurs clients (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T-202/98, T-204/98 et T-207/98, Rec. p. II-2035, points 62 à 66).

131

Par ailleurs, quant à la détermination de la responsabilité personnelle d’une entreprise dont la participation à l’entente n’a pas les mêmes étendue et intensité que celles des autres entreprises, il ressort de la jurisprudence que, si les accords et les pratiques concertées visés à l’article 81, paragraphe 1, CE résultent nécessairement du concours de plusieurs entreprises, qui sont toutes coauteurs de l’infraction, mais dont la participation peut revêtir des formes différentes, en fonction notamment des caractéristiques du marché concerné et de la position de chaque entreprise sur ce marché, des buts poursuivis et des modalités d’exécution choisies ou envisagées, la simple circonstance que chaque entreprise participe à l’infraction dans des formes qui lui sont propres ne suffit pas pour exclure sa responsabilité pour l’ensemble de l’infraction, y compris pour les comportements qui sont matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes, mais qui partagent le même objet ou le même effet anticoncurrentiel (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 65 supra, points 78 à 80).

132

Dès lors, le fait qu’une entreprise n’a pas participé à tous les éléments constitutifs d’une entente ou qu’elle a joué un rôle mineur dans les aspects auxquels elle a participé n’est pas pertinent pour établir l’existence d’une infraction à son égard. Or, si l’importance, le cas échéant, limitée de la participation de l’entreprise concernée ne peut ainsi remettre en cause sa responsabilité personnelle pour l’ensemble de l’infraction, elle est néanmoins de nature à avoir une influence sur l’appréciation de son étendue et de sa gravité et, partant, sur la détermination du niveau de la sanction (voir, en ce sens, arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 65 supra, point 90 ; Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, point 86, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 113 supra, point 145).

133

Il résulte des considérations qui précèdent que, s’agissant de la relation entre concurrents opérant sur un même marché pertinent ainsi qu’entre de tels concurrents et leurs clients, la jurisprudence reconnaît la coresponsabilité des entreprises coauteurs et/ou complices d’une infraction au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE en considérant que la condition objective pour l’imputation à l’entreprise concernée des divers comportements infractionnels constituant l’ensemble de l’entente est remplie dès lors qu’elle a contribué à sa mise en œuvre, même de façon subordonnée, accessoire ou passive, par exemple par une approbation tacite et par une absence de dénonciation de cette entente aux autorités, l’importance éventuellement limitée de cette contribution pouvant être prise en compte dans le cadre de la détermination du niveau de la sanction.

134

L’imputation de l’ensemble de l’infraction à l’entreprise participante dépend en outre de la manifestation de sa volonté propre, qui démontre qu’elle souscrit, ne fût-ce que tacitement, aux objectifs de l’entente. Cette condition subjective, d’une part, est inhérente au critère de l’approbation tacite de l’entente et à celui d’absence de distanciation publique de son contenu (arrêts Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, point 84, et Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 113 supra, point 143 ; arrêt Tréfileurope/Commission, point 108 supra, point 85), en ce que ces critères impliquent la présomption que l’entreprise concernée continue à souscrire aux objectifs et à la mise en œuvre de l’entente, et, d’autre part, constitue la justification permettant de tenir pour coresponsable l’entreprise concernée, puisqu’elle entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle connaissait les comportements infractionnels des autres participants ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (arrêts Commission/Anic Partecipazioni, point 65 supra, points 83 et 87, et Aalborg Portland e.a./Commission, point 23 supra, point 83).

135

Ce n’est que dans le respect des conditions visées aux points 133 et 134 ci-dessus que l’imputation à l’entreprise concernée de l’infraction dans son ensemble est conforme aux exigences du principe de la responsabilité personnelle (voir, en ce sens, arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 65 supra, point 84).

136

Compte tenu des considérations figurant aux points 115 à 127 ci-dessus, le Tribunal estime que ces principes s’appliquent mutatis mutandis à la participation d’une entreprise dont l’activité économique et l’expertise professionnelle lui permettent de ne pas pouvoir ignorer le caractère anticoncurrentiel des comportements en cause et d’apporter ainsi un soutien non négligeable à la commission de l’infraction. Dans ces conditions, l’argument de la requérante selon lequel une entreprise de conseil ne peut être considérée comme un coauteur d’une infraction du fait que, d’une part, elle n’exerce pas une activité économique sur le marché pertinent affecté par la restriction de concurrence et, d’autre part, elle n’a contribué à l’entente que de manière subordonnée ne saurait être accueilli.

Sur l’interprétation de l’article 81, paragraphe 1, CE au regard du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege)

137

La requérante soutient toutefois, en substance, qu’une telle conception « unitaire » de l’auteur d’une infraction au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE est incompatible avec les exigences qui découlent, d’une part, du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), au titre de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH, et, d’autre part, des règles communes dans les ordres juridiques des États membres concernant la distinction entre auteurs et complices qui ont vocation à être appliquées tant en droit pénal qu’en droit de la concurrence.

138

À ce sujet, le Tribunal souligne, tout d’abord, comme indiqué au point 45 ci-dessus, que les droits fondamentaux font partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge communautaire assure le respect en tenant compte en particulier de la CEDH en tant que source d’inspiration.

139

Il y a lieu de rappeler, ensuite, que le juge communautaire a appliqué le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) en tant que principe général de droit communautaire, dans des affaires concernant le droit de la concurrence, en tenant compte de la jurisprudence de la Cour eur. D. H. (voir arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 113 supra, points 215 et suivants, et arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Jungbunzlauer/Commission, T-43/02, Rec. p. II-3435, points 71 et suivants, et la jurisprudence qui y est citée). D’une manière générale, ce principe exige, notamment, que toute réglementation communautaire, en particulier lorsqu’elle impose ou permet d’imposer des sanctions, soit claire et précise, afin que les personnes concernées puissent connaître sans ambiguïté les droits et obligations qui en découlent et puissent prendre leurs dispositions en conséquence. De même, ce principe s’impose tant aux normes de caractère pénal qu’aux instruments administratifs spécifiques imposant ou permettant d’imposer des sanctions administratives (voir, en ce sens, arrêts Maizena, point 85 supra, points 14 et 15, et X, point 84 supra, point 25), telles que les sanctions imposées en vertu du règlement no 17.

140

En outre, il résulte de l’interprétation constante que donne la Cour eur. D. H. de l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH que le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege), qui y est consacré, commande, notamment, de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au désavantage de l’accusé, notamment par analogie. Il en résulte qu’une infraction doit être clairement définie par la loi, condition qui se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente et, au besoin, à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes ou omissions engagent sa responsabilité pénale. À cet égard, la Cour eur. D. H. a précisé que la notion de droit utilisée à l’article 7 de la CEDH correspond à celle de loi qui figure dans d’autres articles de la CEDH et qu’elle englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, notamment celles d’accessibilité et de prévisibilité (voir Cour eur. D. H., arrêt Kokkinakis c. Grèce du 25 mai 1993, série A no 260-A, § 40, 41 et 52 ; arrêt S.W. c. Royaume-Uni, point 104 supra, § 35 ; arrêt Cantoni c. France du 15 novembre 1996, Recueil des arrêts et décisions, 1996-V, p. 1627, § 29 ; arrêt Baskaya et Okçuoglu c. Turquie du 8 juillet 1999, Recueil des arrêts et décisions, 1999-IV, p. 308, § 36 ; arrêt Coëme c. Belgique du 22 juin 2000, Recueil des arrêts et décisions, 2000-VII, p. 1, § 145; arrêt E.K. c. Turquie du 7 février 2002, requête no 28496/95, § 51 ; voir, également, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 113 supra, point 216).

141

Compte tenu de cette jurisprudence, le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) ne saurait être interprété comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 113 supra, point 217). En effet, d’après la jurisprudence de la Cour eur. D. H., aussi clair que soit rédigée une disposition légale, y compris de droit pénal, il existe inévitablement une part d’interprétation judiciaire et il sera toujours nécessaire d’élucider les points obscurs et d’adapter le libellé en fonction de l’évolution des circonstances. En outre, selon la Cour eur. D. H., il est solidement établi dans la tradition juridique des États parties à la CEDH que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal (Cour eur. D. H., arrêt S.W. c. Royaume-Uni, point 104 supra, § 36). À cet égard, la Cour eur. D. H. a reconnu que bien des lois ne présentent pas une précision absolue et que beaucoup d’entre elles, en raison de la nécessité d’éviter une rigidité excessive et de s’adapter aux changements de situation, se servent par la force des choses de formules plus ou moins floues, et que l’interprétation et l’application de celles-ci dépendent de la pratique (Cour eur. D. H., arrêt Kokkinakis c. Grèce, point 140 supra, § 40 et 52, et arrêt E.K. c. Turquie, point 140 supra, § 52 ; arrêt Jungbunzlauer/Commission, point 139 supra, point 80). Ainsi, lors de l’appréciation du caractère déterminé ou non des notions utilisées, outre le texte même de la loi, la Cour eur. D. H. tient également compte de la jurisprudence constante et publiée (Cour eur. D. H., arrêt G. c. France du 27 septembre 1995, série A no 325-B, § 25).

142

Néanmoins, si le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) permet, en principe, la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire, il peut s’opposer à l’application rétroactive d’une nouvelle interprétation d’une norme établissant une infraction. Il en est particulièrement ainsi si le résultat de cette interprétation n’était pas raisonnablement prévisible au moment de la commission de l’infraction, au vu notamment de l’interprétation retenue à cette époque dans la jurisprudence relative à la disposition légale en cause. En outre, la notion de prévisibilité dépend dans une large mesure du contenu du texte dont il s’agit, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires et elle ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé. Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier. Aussi peut-on attendre d’eux qu’ils mettent un soin particulier à évaluer les risques qu’il comporte (arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 113 supra, points 217 à 219, se référant à l’arrêt Cantoni c. France, point 140 supra, point 35).

143

Il ressort des considérations qui précèdent que l’interprétation de la portée de l’article 81, paragraphe 1, CE et, en particulier, des termes « accord » et « entreprise », selon laquelle tombe dans son champ d’application toute entreprise ayant contribué à la mise en œuvre d’une entente, même si cette entreprise n’est pas active sur le marché pertinent affecté par la restriction de concurrence, doit avoir été suffisamment prévisible, au stade de la perpétration des faits incriminés, au regard du texte de cette disposition, tel qu’interprété par la jurisprudence.

144

À cet égard, il convient de relever que les termes « accord » et « entreprise », au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE, constituent des notions juridiques indéterminées, dont la précision de la portée relève, en dernière instance, du ressort du juge communautaire, et dont l’application par l’administration est soumise à un contrôle juridictionnel entier. Dans ces conditions, la clarification graduelle des notions d’« accord » et d’« entreprise » par le juge communautaire est d’une importance décisive afin d’apprécier le caractère déterminé et prévisible de leur application concrète.

145

Or, d’une part, le Tribunal considère que, au regard de la jurisprudence constante visée aux points 115 à 128 ci-dessus, les termes « accords entre entreprises » figurant à l’article 81, paragraphe 1, CE constituent une expression suffisamment précise de la conception d’entente et d’auteur de l’infraction, telle que décrite au point 128 ci-dessus, en ce que ces termes désignent toute entreprise se comportant de manière collusive, indépendamment du secteur d’activité ou du marché pertinent sur lesquels elle est active, pour permettre à cette entreprise de ne pas pouvoir ignorer, voire reconnaître, qu’elle s’expose à des poursuites au cas où elle adopte un tel comportement.

146

D’autre part, ainsi qu’il a été rappelé aux points 129 à 135 ci-dessus, il existe une jurisprudence établie relative à la coresponsabilité, au titre de l’article 81, paragraphe 1, CE, d’entreprises coauteurs et/ou complices d’une infraction dans son ensemble qui se voient imputer mutuellement les comportements infractionnels des autres entreprises participantes. Cette jurisprudence, également fondée sur la conception « unitaire » des notions d’entente et d’auteur d’infraction, indique, de manière claire et précise, les conditions objectives et subjectives d’imputabilité qui doivent être réunies pour qu’une entreprise puisse être tenue pour responsable d’une infraction commise par plusieurs coauteurs ou complices. À cet égard, le seul fait que la Cour a précisé ces principes d’imputabilité seulement en 1999 (arrêt Commission/Anic Partecipazioni, point 65 supra, points 78 et suivants) n’est pas susceptible d’affecter, à lui seul, leur caractère prévisible déjà à l’époque des faits, entre 1993 et 1999, reprochés à la requérante, dès lors que les éléments déterminant la responsabilité personnelle découlaient déjà avec suffisamment de précision de la conception large d’entente et d’entreprise au sens de l’article 81, paragraphe 1, CE et de la jurisprudence antérieure du Tribunal (voir arrêt Tréfileurope/Commission, point 108 supra, point 85, et la jurisprudence qui y est citée). En outre, le fait que le juge communautaire ne s’est, à ce jour, pas prononcé sur le cas particulier de la coresponsabilité d’une entreprise de conseil, qui n’est pas active sur le même marché que les principaux participants à l’entente, ne suffit pas à conclure qu’une pratique administrative et jurisprudentielle constatant la coresponsabilité d’une telle entreprise ou, à tout le moins, la possibilité d’une telle coresponsabilité ne serait pas raisonnablement prévisible par des professionnels sur le fondement tant des termes de l’article 81, paragraphe 1, CE que de la jurisprudence précitée.

147

D’ailleurs, en ce qui concerne la pratique administrative répressive à cet égard, il y a lieu, au contraire, de rappeler que, ainsi que la requérante l’admet elle-même, la Commission avait déjà décidé en 1980 d’imputer une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE à une entreprise de conseil ayant activement participé, de manière comparable à celle dont la requérante a participé dans le cas d’espèce, à la mise en œuvre de l’entente en question (décision Verre coulé en Italie, voir notamment point II. A. 4. in fine des considérants). À cet égard, la circonstance que la Commission n’a plus adopté cette approche dans plusieurs décisions ultérieures ne justifie pas la conclusion selon laquelle une telle interprétation de la portée de l’article 81, paragraphe 1, CE ne serait pas raisonnablement prévisible. Cela est d’autant plus vrai s’agissant d’une entreprise de conseil, dont il doit être présumé que, au regard de la pratique décisionnelle de la Commission depuis 1980, elle gère ses activités économiques avec la plus grande prudence et recourt à des conseils éclairés, notamment d’experts juridiques, pour évaluer les risques associés à son comportement (voir, en ce sens, arrêt Dansk Rørindustri e.a./Commission, point 113 supra, point 219).

148

Dans ce contexte, la requérante ne saurait valablement faire valoir qu’une telle interprétation est contraire aux règles communes des États membres en matière de responsabilité personnelle qui opèrent une distinction entre auteurs et complices de l’infraction. En effet, les règles citées par la requérante (voir point 81 ci-dessus) relèvent uniquement du droit pénal national et elle n’explique pas si et dans quelle mesure ces règles sont également applicables, dans les ordres juridiques nationaux respectifs, en matière de répression administrative et, en particulier, de répression des pratiques anticoncurrentielles.

149

En outre, ne découle ni de la jurisprudence de la Cour eur. D. H. ni de la pratique décisionnelle de l’ancienne Commission européenne des droits de l’homme que le principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) exige de distinguer, dans le cadre de la répression pénale ou administrative, l’auteur du complice de l’infraction, en ce sens que ce dernier ne serait pas punissable lorsque la règle de droit pertinente ne prévoit pas expressément une sanction contre lui. Il en ressort, au contraire, que, pour que ce principe soit respecté, le comportement de la personne incriminée doit répondre à la définition d’auteur du délit concerné, telle qu’elle peut être déduite du libellé de la disposition en cause, le cas échéant au regard de l’interprétation donnée par la jurisprudence. Or, si cette définition est suffisamment large pour inclure tant le comportement des auteurs principaux de l’infraction que celui des complices, il ne saurait y avoir violation du principe de légalité des peines et délits (voir, a contrario, Cour eur. D. H., arrêt E.K. c. Turquie, point 140 supra, § 55 et 56 ; Commission eur. D. H., décision sur la recevabilité L.-G. R. c. Suède du 15 janvier 1997, requête no 27032/95, p. 12).

150

Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal conclut que toute entreprise ayant adopté un comportement collusif, y compris les entreprises de conseil non actives sur le marché en cause affecté par la restriction de concurrence, pouvait raisonnablement prévoir que l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE lui était en principe applicable. En effet, cette entreprise ne pouvait pas ignorer ou bien était en mesure de comprendre que la pratique décisionnelle de la Commission et la jurisprudence communautaire antérieures portaient déjà en elles, de manière suffisamment claire et précise, le fondement de la reconnaissance explicite de la responsabilité d’une entreprise de conseil pour une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, lorsque celle-ci contribue activement et de propos délibéré à une entente entre producteurs actifs sur un marché distinct de celui sur lequel elle opère elle-même.

d) Sur la qualité de la requérante en tant que coauteur de l’entente

151

Il convient d’examiner ensuite si, en l’espèce, les conditions objectives et subjectives permettant d’établir la coresponsabilité de la requérante en lui imputant les comportements infractionnels des autres entreprises participantes étaient remplies. À cet égard, il y a lieu de rappeler d’abord que, afin que l’on puisse imputer l’ensemble de l’infraction à une entreprise, il faut, d’une part, que cette entreprise ait contribué, même de façon subordonnée, à la restriction de concurrence en cause et, d’autre part, que la condition subjective tenant à la manifestation de volonté de cette entreprise à cet égard soit remplie.

152

Indépendamment de la question de savoir si la requérante était partie « contractante » à l’accord de 1971 et à l’accord de 1975 et si les contrats de services conclus avec les trois producteurs de peroxydes organiques faisaient partie intégrante de l’entente au sens large, le Tribunal constate qu’il est avéré que la requérante a activement contribué à la mise en œuvre de cette entente entre 1993 et 1999.

153

Premièrement, il est constant que la requérante a conservé et dissimulé dans ses locaux l’original de l’accord de 1971 et celui de l’accord de 1975 d’Atochem/Atofina et de PC/Degussa, et ce en ce qui concerne cette dernière même jusqu’en 2001 ou en 2002 (considérants 63 et 83 de la décision attaquée). Deuxièmement, la requérante a admis avoir calculé et communiqué aux membres de l’entente les écarts de leurs parts de marché respectifs par rapport aux quotas convenus, à tout le moins, jusqu’en 1995 ou en 1996, activité qui était expressément prévue par l’accord de 1971 et par l’accord de 1975, et avoir gardé les documents secrets à ce titre dans ses locaux. Troisièmement, s’agissant de la tenue de réunions entre les producteurs de peroxydes organiques comportant un volet anticoncurrentiel, la requérante a reconnu avoir organisé et partiellement participé à cinq de ces réunions ainsi qu’à celle d’Amersfoort du 19 octobre 1998, qui servait à préparer une proposition de répartition de quotas entre les producteurs. Quatrièmement, il est constant que la requérante a régulièrement remboursé les frais de déplacement des représentants des producteurs de peroxydes organiques occasionnés par leur participation aux réunions à but anticoncurrentiel, et ce manifestement dans le but de dissimuler ou de ne pas faire apparaître dans les livres desdits producteurs les traces de la mise en œuvre de l’entente (voir points 63 et 102 ci-dessus).

154

Sans qu’il soit besoin d’apprécier en détail les éléments contestés entre les parties relatifs à la portée effective de la participation de la requérante à l’entente, le Tribunal conclut des éléments repris au point 153 ci-dessus que la requérante a activement contribué à la mise en œuvre de l’entente et que, contrairement à ce qu’elle prétend, il existait un lien de causalité suffisamment concret et déterminant entre cette activité et la restriction de la concurrence sur le marché des peroxydes organiques. En effet, à l’audience, la requérante n’a pas contesté l’existence de ce lien de causalité, mais s’est limitée à contester la qualification juridique de sa contribution d’acte d’auteur de l’infraction, cette contribution ne pouvant, selon elle, être qualifiée que d’acte de complicité qui aurait pu être effectué par toute autre entreprise de conseil.

155

En outre, dans ces circonstances, il n’importe pas que la requérante ne fût pas formellement et directement partie contractante à l’accord de 1971 et à l’accord de 1975. D’une part, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, n’est pas déterminante la question de savoir s’il existe ou non un accord écrit ou autrement explicite entre les entreprises participantes tant que celles-ci se comportent de manière collusive (voir points 115 à 123 ci-dessus). D’autre part, la requérante reconnaît elle-même avoir repris, par contrat tacite avec les producteurs de peroxydes organiques, à son propre nom et à son propre compte, certaines activités de Fides spécifiquement prévues dans lesdits accords, telles que le calcul et la communication des écarts de quotas convenus. Il y a lieu d’ajouter que, étant donné que la Commission s’est contentée d’infliger à la requérante une amende d’un montant minimal de 1000 euros et que ce montant en tant que tel n’a pas été remis en cause par la requérante, le Tribunal ne doit pas se prononcer sur la portée exacte de la participation de la requérante pour autant que celle-ci pourrait avoir une incidence sur la légalité du niveau de l’amende infligée.

156

Par ailleurs, au vu de l’ensemble des circonstances objectives caractérisant la participation de la requérante, le Tribunal constate que c’est en toute connaissance de cause et de propos délibéré qu’elle a mis à la disposition de l’entente son expertise professionnelle et ses infrastructures pour en tirer, à tout le moins indirectement, profit dans le cadre de l’exécution des contrats individuels de service qui la liaient aux trois producteurs de peroxydes organiques. En effet, indépendamment de la question de savoir si la requérante a ainsi également sciemment violé les règles déontologiques auxquelles elle est soumise en tant que consultant économique, soit elle ne pouvait pas ignorer, soit elle connaissait, de toute évidence, l’objectif anticoncurrentiel et illicite de l’entente à laquelle elle contribuait, objectif qui s’est manifesté, notamment, dans le cadre de l’accord de 1971 et de l’accord de 1975 qu’elle conservait dans ses locaux, dans la tenue de réunions à but anticoncurrentiel et dans l’échange d’informations sensibles auquel elle a activement participé, à tout le moins, jusqu’en 1995 ou en 1996.

157

Au vu de tout ce qui précède, le Tribunal constate que, pour autant que la décision attaquée établit la coresponsabilité de la requérante pour l’infraction commise principalement par AKZO, Atochem/Atofina et PC/Degussa, elle n’excède pas les limites de l’interdiction édictée à l’article 81, paragraphe 1, CE et que, partant, en infligeant une amende de 1000 euros à la requérante, la Commission n’a pas outrepassé les pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17.

158

Dans ces conditions, le Tribunal considère qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question de savoir si la Commission pouvait également légitimement fonder la responsabilité de la requérante sur la notion de décision d’une association d’entreprises. Ainsi que l’a admis la Commission à l’audience, il s’agit, en l’espèce, d’une appréciation purement alternative, voire subsidiaire, qui n’est susceptible ni de fonder en droit ni d’infirmer l’approche principale de la Commission, telle que fondée sur les notions d’entente et d’entreprise. De même, il n’est pas nécessaire d’apprécier si la Commission a correctement examiné et évalué certaines preuves à charge à l’encontre de la requérante qui ne sont pas déterminantes pour la solution du présent litige. À cet égard, il convient de rappeler que les arguments de la requérante, tels que retenus aux points 77 à 79 ci-dessus, ne visent qu’à soutenir le bien-fondé du présent moyen et ne constituent pas un moyen distinct.

159

Par conséquent, le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

D — Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime

1. Arguments des parties

160

La requérante estime que, compte tenu de la pratique décisionnelle constante de la Commission depuis 1983, elle pouvait légitimement s’attendre que la Commission apprécie son comportement de la même manière que le comportement comparable d’autres entreprises de conseil dans les affaires précédentes. Dès lors, la décision attaquée serait contraire au principe de protection de la confiance légitime. Selon la requérante, si les décisions de la Commission ne sont obligatoires que pour leurs destinataires, elles constituent néanmoins, notamment lorsqu’elles établissent une pratique décisionnelle constante, des actes juridiques revêtant une importance pour des situations comparables. La possibilité pour le justiciable de se fier à la poursuite d’une certaine pratique décisionnelle mériterait d’autant plus de protection que l’application de l’article 81 CE relève de nombreuses notions juridiques indéterminées dont la concrétisation par une telle pratique serait indispensable.

161

La requérante soutient que le principe de protection de la confiance légitime, tel que reconnu par la jurisprudence (arrêt de la Cour du 3 mai 1978, Töpfer e.a., 112/77, Rec. p. 1019, point 19, et arrêt du Tribunal du 8 juillet 1999, Vlaamse Televisie Maatschappij/Commission, T-266/97, Rec. p. II-2329, point 71), interdit à la Commission d’abandonner sans prévenir sa propre pratique décisionnelle relative à l’article 81 CE, de qualifier rétroactivement d’infraction et d’infliger une amende pour un comportement jusque-là considéré comme ne tombant pas dans son champ d’application. Or, depuis 1983, à la différence de son approche dans la décision Verre coulé en Italie, la Commission n’aurait plus considéré comme une infraction l’assistance fournie par des entreprises de conseil non parties à l’accord restrictif de concurrence (voir, notamment, la décision Cylindres en fonte et en acier moulés, de 1983, la décision Polypropylène, de 1986, la décision PEBD, de 1988 et la décision Carton, de 1994). Ainsi, au moment de sa création à la fin de 1993, la requérante pouvait légitimement s’attendre que l’assistance fournie aux trois producteurs de peroxydes organiques ne fût pas non plus qualifiée d’infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE. Selon la requérante, en effet, son activité n’allait pas au-delà de celle des autres entreprises de conseil dans les affaires ayant donné lieu à la décision Cylindres en fonte et en acier moulés ou à la décision Carton. Par conséquent, la Commission n’aurait pas dû tenir la requérante pour responsable d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE et lui infliger une amende.

162

La Commission estime que le présent moyen doit être rejeté.

2. Appréciation du Tribunal

163

Le Tribunal considère que, compte tenu de la reconnaissance, en droit communautaire de la concurrence, du principe de la coresponsabilité d’une entreprise de conseil ayant participé à une entente, le principe de protection de la confiance légitime ne saurait faire échec à la réorientation de la pratique décisionnelle de la Commission dans le cas d’espèce. En effet, ainsi qu’il ressort des points 112 à 150 ci-dessus, cette réorientation de pratique est fondée sur une interprétation correcte de la portée de l’interdiction prévue à l’article 81, paragraphe 1, CE. L’interprétation de la notion juridique indéterminée d’« accords entre entreprises » relevant, en dernier ressort, du devoir du juge communautaire, la Commission ne dispose pas de marge de manœuvre lui permettant, le cas échéant, de renoncer à poursuivre une entreprise de conseil qui remplit lesdits critères de coresponsabilité. Au contraire, en vertu de son mandat prévu à l’article 85, paragraphe 1, CE, la Commission est tenue de veiller à l’application des principes fixés par l’article 81 CE et d’instruire d’office tous les cas d’infraction présumée auxdits principes, tels qu’ils sont interprétés par le juge communautaire. Dès lors, dans la mesure où, et malgré la décision Verre coulé en Italie, la pratique décisionnelle de la Commission antérieure à la décision attaquée pouvait paraître en contradiction avec l’interprétation susmentionnée de l’article 81, paragraphe 1, CE, cette pratique n’était pas susceptible de faire naître des espérances fondées chez les entreprises concernées.

164

Par ailleurs, ainsi qu’il ressort des points 147 et 148 ci-dessus, la présente réorientation de la pratique décisionnelle de la Commission était d’autant plus prévisible pour la requérante du fait de l’existence d’un précédent, à savoir la décision Verre coulé en Italie, de 1980. En outre, tel qu’il ressort du point 163 ci-dessus, la pratique décisionnelle de la Commission postérieure à 1980 ne pouvait pas être raisonnablement comprise comme un abandon définitif de l’approche initiale suivie dans la décision Verre coulé en Italie. Par ailleurs, si, dans la décision Polypropylène, de 1986, la Commission n’a pas qualifié la société Fides Trust d’auteur d’infraction, elle y a néanmoins clairement condamné le système d’échange d’informations établi et géré par cette société comme étant incompatible avec l’article 81, paragraphe 1, CE (décision Polypropylène, considérant 106 et article 2 ; voir également décision Carton, considérant 134). Dans ces conditions, la pratique décisionnelle de la Commission postérieure à 1980, qui se limite à ne pas condamner et sanctionner les entreprises de conseil impliquées sans pour autant rejeter, en droit, la conception initialement suivie dans la décision Verre coulé en Italie, ne pouvait d’autant moins créer chez la requérante une espérance fondée que la Commission s’abstienne à l’avenir de poursuivre les entreprises de conseil lorsque celles-ci participent à une entente.

165

Par conséquent, le présent moyen doit être rejeté comme non fondé.

E — Sur le quatrième moyen soulevé à titre subsidiaire, tiré de la violation du principe de sécurité juridique et du principe de précision de la loi pénale

1. Arguments des parties

166

La requérante soutient que l’analyse juridique de la Commission serait, en ce qui la concerne, tellement vague et contradictoire qu’elle enfreint le principe de sécurité juridique et le principe de précision de la loi pénale (nulla poena sine lege certa). La Commission s’abstiendrait de préciser avec la clarté nécessaire les contours et limites du comportement illicite et punissable d’une entreprise de conseil, telle que la requérante, et la priverait ainsi de la sécurité juridique requise dans un État de droit.

167

La requérante rappelle que le principe de précision de la loi pénale (nulla poena sine lege certa), tel qu’établi à l’article 7, paragraphe 1, de la CEDH et reconnu en tant que principe général de droit communautaire, est un corollaire du principe de sécurité juridique (arrêt X, point 84 supra, point 25). Ce dernier serait un principe fondamental du droit communautaire (arrêts de la Cour du 14 mai 1975, CNTA/Commission, 74/74, Rec. p. 533, point 44 ; du 12 novembre 1981, Salumi e.a., 212/80 à 217/80, Rec. p. 2735, point 10, et du 22 février 1984, Kloppenburg, 70/83, Rec. p. 1075, point 11), qui exigerait en particulier que la législation communautaire soit certaine et que son application soit prévisible pour les justiciables. La requérante précise que les décisions de la Commission, adoptées en vertu de l’article 81 CE, qui infligent des amendes dont le montant peut être particulièrement élevé, doivent répondre à un degré particulièrement élevé de précision et de certitude (arrêt de la Cour du 10 juillet 1980, Commission/Royaume-Uni, 32/79, Rec. p. 2403, point 46), pour que les entreprises concernées puissent contrôler et déterminer leur comportement au regard et en fonction de critères suffisamment clairs et concrets quant au caractère illicite d’une certaine activité.

168

Contrairement à ces exigences, la Commission, dans la décision attaquée, exposerait sur presque cinq pages les raisons pour lesquelles elle estime que la requérante a enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE (considérants 331 et suivants de ladite décision). Néanmoins, ce raisonnement ne ferait pas apparaître clairement quels sont les actes concrets de la requérante qui relèvent du champ d’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, et quels sont ceux qui n’en relèvent pas (voir, notamment, considérants 339, 343, 344 et 349 de la décision attaquée). La requérante ajoute que la Commission lui reproche à tort d’avoir dispensé des conseils juridiques (considérant 339 de la décision attaquée). À supposer même que ce soit établi, le fait de dispenser des conseils juridiques ne saurait être considéré comme une infraction aux règles de concurrence. En tout état de cause, la Commission ne pourrait considérer, dans leur ensemble, les conseils juridiques et les actes de soutien de la requérante, tels que décrits dans la décision attaquée, comme étant constitutifs d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, alors même que, pris isolément, ces actes ne sont pas constitutifs d’une telle infraction. Autrement, il serait impossible de prévoir à quel moment un acte licite bascule dans l’illégalité. La requérante reproche ensuite à la Commission de s’être exprimée, aux considérants 332 et suivants de la décision attaquée, de manière vague, incompréhensible et contradictoire quant à sa prétendue participation à l’entente. S’agissant de l’argument de la Commission relatif à l’absence d’autonomie du présent moyen, la requérante objecte que, à supposer même qu’elle soit coupable d’une infraction au droit de la concurrence, les motifs de la décision attaquée ne feraient pas apparaître, avec la clarté et la précision requises, quels sont les actes concrets qui lui sont reprochés qui sont constitutifs d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE.

169

En l’absence de réponse claire à la question de savoir pour quelle raison et de quelle manière la requérante a enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE, la décision attaquée devrait être annulée pour violation du principe de précision de la loi pénale et du principe de sécurité juridique.

170

La Commission considère que le présent moyen doit être rejeté, en ce qu’il ne constitue qu’une répétition du deuxième moyen.

2. Appréciation du Tribunal

171

Le Tribunal constate, d’abord, que, dans le cadre du présent moyen, la requérante avance essentiellement les mêmes arguments que dans le cadre des deuxième et troisième moyens. Il suffit dès lors de se référer aux considérations figurant aux points 112 à 159 ci-dessus pour conclure que la décision attaquée contient suffisamment d’éléments établissant la participation active et intentionnelle de la requérante à l’entente permettant ainsi de la tenir pour responsable d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE, indépendamment de la portée réelle de cette participation dans le détail.

172

Or, à supposer même que le présent moyen doive également être compris comme invoquant une violation de l’obligation de motivation au titre de l’article 253 CE, il ressort également de ces considérations que la décision attaquée comporte tous les éléments pertinents permettant à la requérante de contester son bien-fondé et au Tribunal d’exercer son contrôle au sens de la jurisprudence établie à cet égard (voir arrêt du Tribunal du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T-228/02, Rec. p. II-4665, point 138, et la jurisprudence qui y est citée).

173

Dès lors, le présent moyen doit également être rejeté comme non fondé.

F — Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique et du principe de précision de la loi pénale par l’article 3, second alinéa, de la décision attaquée

1. Arguments des parties

174

Selon la requérante, en l’absence d’indication claire et précise des actes illicites qui lui sont reprochés, tant l’analyse juridique que l’article 3, second alinéa, de la décision attaquée sont contraires aux principes de sécurité juridique et de précision de la loi pénale. En effet, les motifs de la décision attaquée ne feraient pas apparaître, de manière précise, par quels actes concrets la requérante serait censée avoir enfreint l’article 81, paragraphe 1, CE. Partant, la requérante ne pourrait pas non plus savoir lesquels de ses actes sont concernés par l’obligation prévue à l’article 3 de ladite décision. Il s’ensuivrait que l’article 3 méconnaît l’« impératif du caractère de certitude et de prévisibilité » de la réglementation communautaire qui s’impose avec une rigueur particulière lorsqu’il s’agit d’une réglementation susceptible de comporter des conséquences financières, afin de permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose (arrêts de la Cour du 9 juillet 1981, Gondrand et Garancini, 169/80, Rec. p. 1931, points 17 et 18 ; du 15 décembre 1987, Irlande/Commission, 325/85, Rec. p. 5041, point 18, et Pays-Bas/Commission, 326/85, Rec. p. 5091, point 24 ; du 22 février 1989, Commission/France et Royaume-Uni, 92/87 et 93/87, Rec. p. 405, point 22 ; du 13 mars 1990, Commission/France, C-30/89, Rec. p. I-691, point 23 ; du 17 juillet 1997, National Farmers' Union e.a., C-354/95, Rec. p. I-4559, point 57, et du 16 octobre 1997, Banque Indosuez e.a., C-177/96, Rec. p. I-5659, point 27).

175

Cette imprécision de l’analyse juridique et de l’obligation prévue à l’article 3 de la décision attaquée se trouverait encore amplifiée du fait que, d’une part, selon ledit article, la requérante serait également obligée de s’abstenir de tout accord ou de toute pratique concertée ayant un objet ou un effet « similaire » et, d’autre part, toute violation dudit article serait susceptible d’entraîner l’imposition d’une amende dont le montant peut être particulièrement élevé en vertu de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17. En outre, la Commission aurait admis avoir pénétré dans un « domaine nouveau » sur le plan du droit (considérant 454 de la décision attaquée). Dans un tel cas, la précision de l’injonction de ne pas réitérer l’infraction devrait satisfaire à des exigences particulièrement strictes pour permettre aux entreprises intéressées d’apprécier la portée réelle de l’interdiction prévue à l’article 81 CE. L’insécurité juridique qui en résulte ferait peser une menace sur l’activité économique des entreprises de conseil, telle la requérante, par exemple, dans le domaine de la réalisation de statistiques de marché et de l’administration de fédérations.

176

S’agissant de l’argument de la Commission selon lequel le présent moyen serait dirigé contre l’injonction de mettre fin à l’infraction (article 3, premier alinéa, de la décision attaquée), la requérante précise que son recours ne vise que l’injonction de ne pas réitérer l’infraction (article 3, second alinéa, de la décision attaquée). En effet, la première injonction ne lui ferait pas grief étant donné que l’infraction avait déjà cessé à la fin de 1999 ou au début de 2000 (considérant 91 de la décision attaquée).

177

Dès lors, l’article 3 de la décision attaquée devrait être annulé en ce qui concerne la requérante.

178

La Commission considère que le présent moyen est non fondé et doit être rejeté.

2. Appréciation du Tribunal

179

Le Tribunal considère que le présent moyen ne constitue qu’une reformulation du quatrième moyen, également tiré de la violation du principe de sécurité juridique et du principe de précision de la loi pénale qui, dès lors, ne saurait être apprécié différemment.

180

Dans la mesure où le présent moyen se réfère à l’article 3, second alinéa, de la décision attaquée, il suffit de rappeler que la Commission est habilitée, sur le fondement de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 17, à imposer aux destinataires d’une décision prise en application de l’article 81, paragraphe 1, CE des injonctions ayant pour objectif de mettre un terme au comportement infractionnel et de s’abstenir à l’avenir de pratiques ayant un objet ou un effet identique ou similaire (arrêt du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, point 39 supra, points 1252 et 1253).

181

Par conséquent, le présent moyen doit également être rejeté comme non fondé.

182

Il s’ensuit que le recours doit être rejeté comme non fondé dans son intégralité.

Sur les dépens

183

Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions en ce sens de la Commission.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

AC-Treuhand AG est condamnée aux dépens.

 

Jaeger

Azizi

Czúcz

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juillet 2008.

Le greffier

E. Coulon

Le président

M. Jaeger

Table des matières

 

Antécédents du litige

 

Procédure et conclusions des parties

 

En droit

 

A — Observations liminaires

 

B — Sur le premier moyen, tiré de la violation des droits de la défense et du droit à un procès équitable

 

1. Arguments des parties

 

a) Arguments de la requérante

 

b) Arguments de la Commission

 

2. Appréciation du Tribunal

 

C —  Sur le deuxième moyen, tiré de la violation du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege)

 

1. Arguments des parties

 

a) Arguments de la requérante

 

Généralités

 

Sur la contestation des faits retenus dans la décision attaquée

 

Sur la violation du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege)

 

— Sur les incidences du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege) sur la distinction entre auteur et complice en droit communautaire de la concurrence

 

— Sur la notion d’auteur au sens de l’article 81 CE

 

— Sur la qualité de complice non punissable de la requérante

 

— Sur la pratique décisionnelle antérieure contraire de la Commission

 

— Sur l’absence de maîtrise de l’entente par la requérante et de lien de causalité entre son activité et la restriction de la concurrence

 

— Sur la qualification erronée de la requérante d’« association d’entreprises »

 

b) Arguments de la Commission

 

Sur le cadre factuel de la décision attaquée

 

Sur la violation du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege)

 

2. Appréciation du Tribunal

 

a) Observations liminaires

 

b) Sur l’interprétation littérale de l’article 81, paragraphe 1, CE

 

c) Sur l’interprétation contextuelle et téléologique de l’article 81, paragraphe 1, CE

 

Sur l’exigence de la restriction de l’autonomie commerciale

 

Sur les conditions dans lesquelles la participation d’une entreprise à une entente est constitutive d’une infraction à l’article 81, paragraphe 1, CE

 

Sur l’interprétation de l’article 81, paragraphe 1, CE au regard du principe de légalité des délits et des peines (nullum crimen, nulla poena sine lege)

 

d) Sur la qualité de la requérante en tant que coauteur de l’entente

 

D — Sur le troisième moyen, tiré de la violation du principe de protection de la confiance légitime

 

1. Arguments des parties

 

2. Appréciation du Tribunal

 

E — Sur le quatrième moyen soulevé à titre subsidiaire, tiré de la violation du principe de sécurité juridique et du principe de précision de la loi pénale

 

1. Arguments des parties

 

2. Appréciation du Tribunal

 

F — Sur le cinquième moyen, tiré de la violation du principe de sécurité juridique et du principe de précision de la loi pénale par l’article 3, second alinéa, de la décision attaquée

 

1. Arguments des parties

 

2. Appréciation du Tribunal

 

Sur les dépens


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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