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Document 62003TJ0340

Arrêt du Tribunal de première instance (cinquième chambre élargie) du 30 janvier 2007.
France Télécom SA contre Commission des Communautés européennes.
Concurrence - Abus de position dominante - Marché des services d'accès à Internet à haut débit - Prix prédateurs.
Affaire T-340/03.

Recueil de jurisprudence 2007 II-00107

Identifiant ECLI: ECLI:EU:T:2007:22

Affaire T-340/03

France Télécom SA

contre

Commission des Communautés européennes

« Concurrence — Abus de position dominante — Marché des services d'accès à Internet à haut débit — Prix prédateurs »

Sommaire de l'arrêt

1.      Concurrence — Procédure administrative — Communication des griefs — Contenu nécessaire

2.      Procédure — Requête introductive d'instance — Exigences de forme

(Statut de la Cour de justice, art. 21, al. 1; règlement de procédure du Tribunal, art. 44, § 1)

3.      Concurrence — Procédure administrative — Décision constatant une infraction — Obligation de motivation — Portée

(Art. 82 CE)

4.      Concurrence — Amendes — Principe d'individualisation des sanctions

5.      Concurrence — Position dominante — Marché en cause — Délimitation

(Art. 82 CE)

6.      Concurrence — Position dominante — Caractérisation à travers la détention d'une part de marché extrêmement importante

(Art. 82 CE)

7.      Concurrence — Position dominante — Abus — Pratique de prix inférieurs aux coûts dans le but d'éliminer un concurrent

(Art. 82 CE)

8.      Concurrence — Position dominante — Abus — Pratique de prix inférieurs aux coûts dans le but d'éliminer un concurrent

(Art. 82 CE)

9.      Concurrence — Position dominante — Obligations incombant à l'entreprise dominante

(Art. 82 CE)

10.    Concurrence — Amendes

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2)

11.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Critères — Impact concret sur le marché

(Règlement du Conseil nº 17, art. 15, § 2; communication de la Commission 98/C 9/03)

12.    Concurrence — Amendes — Montant — Détermination — Réduction de l'amende en contrepartie de la coopération de l'entreprise incriminée

(Art. 81 CE; règlement du Conseil nº 17, art. 11, § 4 et 5, et 14, § 2 et 3; communication de la Commission 98/C 9/03)

1.      La communication des griefs doit contenir un exposé des griefs libellés dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n'est, en effet, qu'à cette condition que la communication des griefs peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises et associations d'entreprises pour qu'elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission adopte une décision définitive. Cette exigence est respectée dès lors que la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans l'exposé des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l'occasion de s'expliquer. La décision finale de la Commission ne doit toutefois pas nécessairement être une copie de l'exposé des griefs. Sont ainsi admissibles des ajouts à la communication des griefs effectués à la lumière du mémoire en réponse des parties, dont les arguments démontrent qu'elles ont effectivement pu exercer les droits de la défense. La Commission peut également, au vu de la procédure administrative, réviser ou ajouter des arguments de fait ou de droit à l'appui des griefs qu'elle a formulés.

C'est ainsi qu'une telle exigence est satisfaite lorsque la comparaison de la première communication des griefs et de la décision fait apparaître que la société, le marché et les produits concernés sont identiques de même que l'infraction reprochée, à savoir la pratique de prix prédateurs contraire à l'article 82 CE, et que, si la décision est beaucoup plus précise sur la couverture des coûts, cette précision a été introduite dans une communication des griefs complémentaire.

(cf. points 18, 25-27, 36)

2.      Il n'appartient pas au Tribunal de rechercher et d'identifier dans des annexes à la requête les éléments qui pourraient fonder le recours.

En vertu de l'article 21 du statut de la Cour de justice et de l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l'objet du litige et contenir un exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l'appui.

Si le texte de la requête peut être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d'autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l'absence des éléments essentiels dans celle-ci, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale. Les annexes ne sauraient dès lors servir à développer un moyen sommairement exposé dans la requête en avançant des griefs ou des arguments ne figurant pas dans celle-ci. La requérante doit indiquer dans sa requête les griefs précis sur lesquels le Tribunal est appelé à se prononcer ainsi que, de manière à tout le moins sommaire, les éléments de droit et de fait sur lesquels ces griefs sont fondés.

Il serait contraire à la fonction purement probatoire et instrumentale des annexes que celles-ci puissent servir à faire la démonstration détaillée d'une allégation présentée de manière insuffisamment claire et précise dans la requête.

(cf. points 30, 166-167, 204)

3.      Lorsqu'elle adopte une décision relative à l'application de l'article 82 CE, la Commission a rempli son obligation de motivation dès lors qu'elle a mentionné dans sa décision les éléments de fait dont dépendent la justification légale de la mesure et les considérations qui l'ont amenée à prendre sa décision.

(cf. point 57)

4.      En vertu du principe d'individualité des peines et des sanctions, une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d'aboutir à des sanctions en vertu des règles communautaires de concurrence.

Le fait qu'une décision constatant la violation de l'article 82 CE par une entreprise et infligeant une sanction à celle-ci fasse référence au comportement d'une autre entreprise ne viole pas ce principe dès lors que ce comportement n'est pas retenu comme grief à l'égard de l'entreprise sanctionnée mais est pris en compte uniquement pour décrire le contexte du marché concerné.

(cf. points 66, 68, 70-71)

5.      Aux fins de l'examen de la position, éventuellement dominante, d'une entreprise sur un marché sectoriel déterminé, les possibilités de concurrence doivent être appréciées dans le cadre du marché regroupant l'ensemble des produits ou services qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d'autres produits ou services. En outre, étant donné que la détermination du marché en cause sert à évaluer si l'entreprise concernée a la possibilité de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective et d'avoir un comportement, dans une mesure appréciable, indépendant de celui de ses concurrents et de ses prestataires de services, on ne saurait, à cette fin, se limiter à l'examen des seules caractéristiques objectives des services en cause, mais il convient également de prendre en considération les conditions de la concurrence et la structure de la demande et de l'offre sur le marché.

Lorsqu'un produit est susceptible d'être utilisé à des fins diverses et lorsque ces différents usages répondent à des besoins économiques eux aussi différents, il y a lieu d'admettre que ce produit peut appartenir, selon les cas, à des marchés distincts, présentant éventuellement, tant du point de vue de la structure que des conditions de concurrence, des caractéristiques différentes. Cette constatation ne justifie cependant pas la conclusion qu'un tel produit constitue un seul et même marché avec tous les autres qui, dans les différents usages auxquels il peut être affecté, peuvent lui être substitués et avec lesquels il entre, suivant le cas, en concurrence.

La notion de marché concerné (relevant market) implique, en effet, qu'une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d'interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits faisant partie d'un même marché.

Il ressort également de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence qu'« [u]n marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et l'usage auquel ils sont destinés ». Selon cette communication, l'appréciation de la substituabilité de la demande entraîne une détermination de l'éventail des produits perçus comme substituables par le consommateur.

C'est ainsi que, s'agissant du secteur de l'accès à Internet, dès lors qu'il n'existe pas qu'une simple différence de confort ou de qualité entre le haut et le bas débit, un écart de prix important entre les deux s'ajoutant à des différences d'usages, de spécificités et de performances, et que, bien que le bas débit et le haut débit présentent un certain degré de substituabilité, celle-ci fonctionne de manière profondément asymétrique, les migrations de clients d'offres de haut débit vers des offres de bas débit paraissant infimes par rapport aux migrations dans l'autre sens, la Commission peut à bon droit conclure à l'absence de degré suffisant d'interchangeabilité entre le haut débit et le bas débit et retenir comme marché à prendre en considération pour apprécier l'existence d'une position dominante celui de l'accès à Internet à haut débit pour la clientèle résidentielle.

(cf. points 78-82, 85-88, 91)

6.      Une position dominante est démontrée par le fait que l'entreprise en cause est dans une situation de puissance économique qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs, et la Commission n'a pas besoin de démontrer que les concurrents d'une entreprise seront exclus du marché, même à terme, afin d'établir l'existence d'une position dominante.

Par ailleurs, si la signification des parts de marché peut différer d'un marché à l'autre, des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l'existence d'une position dominante. Tel est le cas, par exemple, d'une part de marché de 50 %.

L'existence d'une concurrence, même vive, sur un marché donné n'exclut pas celle d'une position dominante sur ce même marché, ladite position étant essentiellement caractérisée par la capacité de se comporter sans avoir à tenir compte, dans sa stratégie de marché, de cette concurrence et sans, pour autant, subir des effets préjudiciables du fait de cette attitude. Ainsi, l'éventuelle existence d'une concurrence sur le marché est, certes, une circonstance pertinente, notamment, aux fins d'apprécier l'existence d'une position dominante, mais elle n'est pas en soi une circonstance déterminante à cet égard.

La baisse de parts de marché au cours de la période litigieuse n'exclut pas non plus l'existence d'une position dominante, la réduction de parts de marché encore très importantes ne pouvant constituer, en elle-même, la preuve de l'absence de position dominante.

Le fait qu'il s'agit d'un marché en forte croissance ne saurait pas davantage exclure l'application des règles de concurrence, et notamment celles de l'article 82 CE, spécialement lorsque l'entreprise en cause a toujours détenu une part de marché très supérieure à celle du premier de ses concurrents, ce qui constitue un indice valable de position dominante, et qu'elle considère elle-même la concurrence potentielle comme limitée.

Le fait que l'entreprise en cause a bénéficié, à travers son « adossement » au groupe auquel elle appartient, d'avantages sur ses concurrents peut en revanche être de nature à contribuer à sa position dominante.

(cf. points 99-101, 103-104, 107, 109, 111-112, 118)

7.      Dans le cadre de la caractérisation, à travers le taux de couverture des coûts de l'entreprise en cause, d'un abus de position dominante résultant d'une pratique de prix prédateurs, il convient de distinguer la mise en oeuvre de la méthode de détermination du taux de couverture des coûts et les calculs proprement dits, qui se limitent à de simples opérations mathématiques.

Dans la mesure où le choix de la méthode de calcul du taux de couverture des coûts, à la différence des calculs eux-mêmes, implique de la part de la Commission une appréciation économique complexe, il y a lieu de lui reconnaître un large pouvoir d'appréciation. Le contrôle du juge doit dès lors se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l'exactitude matérielle des faits, de l'absence d'erreur manifeste d'appréciation et de détournement de pouvoir.

(cf. points 129, 162-163)

8.      Aux fins de l'application de l'article 82 CE, la démonstration de l'objet et de l'effet anticoncurrentiel peut, le cas échéant, se confondre. En effet, s'il est démontré que l'objet poursuivi par le comportement d'une entreprise en position dominante est de restreindre la concurrence, ce comportement sera également susceptible d'avoir un tel effet. Ainsi, concernant les pratiques en matière de prix, il existe deux méthodes d'analyse différentes lorsqu'il s'agit de vérifier si une entreprise a pratiqué des prix prédateurs. Des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables pratiqués par une entreprise détenant une position dominante sont considérés per se comme abusifs, parce que le seul intérêt que peut avoir l'entreprise à pratiquer de tels prix est d'éliminer ses concurrents, et des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables sont abusifs lorsqu'ils sont fixés dans le cadre d'un plan ayant pour but d'éliminer un concurrent. Aucune démonstration des effets concrets des pratiques en cause n'est exigée.

En effet, lorsqu'une entreprise en position dominante met effectivement en oeuvre une pratique dont l'objet est d'évincer un concurrent, la circonstance que le résultat escompté n'est pas atteint ne saurait suffire à écarter la qualification d'abus de position dominante au sens de l'article 82 CE.

Il en ressort clairement que, s'agissant des prix prédateurs, le premier élément de la pratique abusive mise en oeuvre par l'entreprise dominante est constitué par la non-couverture de ses coûts. Dans le cas de la non-couverture des coûts variables, le second élément, c'est-à-dire l'intention de prédation, est présumé, tandis que, pour les prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, il faut prouver l'existence d'un plan d'éviction de la concurrence. Cette intention d'élimination doit être établie sur la base d'indices sérieux et concordants.

À cet égard, les recettes et les coûts postérieurs à l'infraction ne sauraient entrer en ligne de compte pour évaluer le taux de couverture des coûts pendant la période considérée. En effet, l'article 82 CE vise la position détenue, sur le marché commun, par l'entreprise concernée au moment où celle-ci a commis l'infraction prétendument abusive.

Par ailleurs, que ce soit lorsque les prix sont inférieurs à la moyenne des coûts variables ou lorsque les prix sont inférieurs à la moyenne des coûts totaux, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables, il n'est pas nécessaire d'établir, à titre de preuve supplémentaire, que l'entreprise en cause avait une chance réelle de récupérer ses pertes.

Enfin, une entreprise qui pratique des prix prédateurs peut bénéficier d'économies d'échelle et d'effets d'apprentissage en raison d'une production accrue précisément grâce à cette pratique. Les économies d'échelle et les effets d'apprentissage obtenus ne sauraient donc exonérer l'entreprise de sa responsabilité au regard de l'article 82 CE.

(cf. points 130, 152, 195-197, 217, 224, 227, 229)

9.      Il ne saurait être affirmé que le droit d'alignement d'une entreprise dominante sur les prix de la concurrence est absolu et qu'il a été reconnu comme tel par la Commission dans sa pratique décisionnelle et par la jurisprudence, spécialement lorsque ce droit aboutirait à justifier le recours à des prix prédateurs interdits par ailleurs par le traité. Si une position dominante ne saurait priver une entreprise se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et s'il faut lui accorder, dans une mesure raisonnable, la faculté d'accomplir les actes qu'elle juge appropriés en vue de protéger lesdits intérêts, l'on ne peut admettre de tels comportements lorsqu'ils ont précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d'en abuser.

Il résulte de la nature des obligations imposées par l'article 82 CE que, dans des circonstances spécifiques, les entreprises en position dominante peuvent être privées du droit d'adopter des comportements, ou d'accomplir des actes, qui ne sont pas en eux-mêmes abusifs et qui seraient même non condamnables s'ils étaient adoptés, ou accomplis, par des entreprises non dominantes.

(cf. points 182, 185-186)

10.    La décision de la Commission de ne pas imposer une amende dans un cas particulier en raison de la nature relativement nouvelle des infractions constatées n'octroie pas une immunité aux entreprises commettant des infractions qui n'ont pas été sanctionnées antérieurement par la Commission. En effet, c'est dans le cadre particulier de chaque affaire que la Commission, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, décide de l'opportunité d'infliger une amende afin de sanctionner l'infraction constatée et de préserver l'efficacité du droit de la concurrence.

(cf. point 251)

11.    Conformément aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA, l'évaluation du caractère de gravité de l'infraction doit prendre en considération la nature propre de l'infraction, son impact concret sur le marché et l'étendue du marché géographique concerné.

S'agissant de ce dernier facteur, l'entreprise concernée ne saurait contester que l'infraction qui lui est reprochée a eu un impact concret sur le marché lorsque sa part sur le marché en cause a augmenté dès le début de l'infraction sans jamais redescendre à son niveau initial, que cette part de marché reste bien supérieure à celle de son concurrent le plus proche, qu'un de ses concurrents très marginal pratiquant des tarifs inférieurs à ses coûts mais légèrement supérieurs aux prix pratiqués par celle-ci a disparu du marché, que ses concurrents étaient maintenus à des niveaux de pénétration très faibles et, enfin, que les pratiques de celle-ci ont eu un effet dissuasif sur l'entrée ou le développement des concurrents.

(cf. points 259-264)

12.    Une coopération à l'enquête qui ne dépasse pas ce qui résulte des obligations qui incombent aux entreprises en vertu de l'article 11, paragraphes 4 et 5, du règlement nº 17 ne justifie pas une réduction de l'amende.

Le fait pour une entreprise incriminée d'avoir invité elle-même la Commission à effectuer une visite dans ses locaux sans attendre que cette dernière ordonne des vérifications par voie de décision ne saurait suffire à établir une coopération à ce point étroite qu'elle puisse justifier sa prise en compte au titre des circonstances atténuantes. L'article 14 du règlement nº 17 prévoit que, dans l'accomplissement des tâches qui lui sont assignées par l'article 81 CE, la Commission peut procéder à toutes les vérifications nécessaires auprès des entreprises. Ses agents mandatés peuvent notamment accéder à tous locaux et prendre copie des documents professionnels. Les vérifications de la Commission peuvent être effectuées sur simple mandat (article 14, paragraphe 2) ou ordonnées par voie de décision (article 14, paragraphe 3). Le fait que la Commission n'ait pas procédé par voie de décision ne saurait impliquer à lui seul une « collaboration effective de l'entreprise à la procédure », au sens des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l'article 15, paragraphe 2, du règlement nº 17 et de l'article 65, paragraphe 5, du traité CECA.

(cf. points 277, 281)




ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

30 janvier 2007 (*)

« Concurrence − Abus de position dominante − Marché des services d’accès à Internet à haut débit – Prix prédateurs »

Dans l’affaire T‑340/03,

France Télécom SA, anciennement Wanadoo Interactive SA, établie à Paris (France), représentée par Mes O. Brouwer, H. Calvet, M. Pittie, J. Philippe et T. Janssens, avocats,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée initialement par MM. S. Rating et É. Gippini Fournier, en qualité d’agents, puis par M. Gippini Fournier,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande d’annulation de la décision de la Commission du 16 juillet 2003 relative à une procédure d’application de l’article [82 CE] (affaire COMP/38.233 − Wanadoo Interactive) ou, subsidiairement, une demande d’annulation ou de réduction de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE
DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (cinquième chambre élargie),

composé de M. M. Vilaras, président, Mme M. E. Martins Ribeiro, MM. F. Dehousse, D. Šváby et Mme K. Jürimäe, juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 avril 2005,

rend le présent

Arrêt

 Faits et procédure

1        Dans le contexte du développement de l’accès à Internet à haut débit, la Commission a décidé, en juillet 1999, l’ouverture, au sein de l’Union européenne, d’une enquête sectorielle au titre des pouvoirs qui lui sont conférés par l’article 12, paragraphe 1, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), portant notamment sur la fourniture de services relatifs à l’accès à la boucle locale et à l’utilisation de la boucle locale résidentielle. Dans ce cadre, les informations recueillies ont conduit la Commission à examiner en détail les conditions tarifaires de fourniture par Wanadoo Interactive SA (ci-après « WIN ») de services d’accès à Internet à haut débit à destination de la clientèle résidentielle en France. À cette fin, elle a ouvert une procédure d’office en septembre 2001.

2        WIN était à l’époque litigieuse une société du groupe France Télécom. Son capital était détenu à 99,9 % par Wanadoo SA. La participation de France Télécom dans le capital de Wanadoo a oscillé entre 70 et 72,2 % pendant la période litigieuse. Le groupe formé par Wanadoo et ses filiales (ci-après le « groupe Wanadoo ») rassemblait toutes les activités relatives à l’internet du groupe France Télécom ainsi que les activités d’édition d’annuaires téléphoniques. Au sein du groupe Wanadoo, WIN assurait les responsabilités opérationnelles et techniques liées aux services d’accès à Internet sur le territoire français, y compris les services ADSL (Asymmetric Digital Subscriber Line, ligne numérique à paire asymétrique).

3        La Commission a adressé à WIN une première communication des griefs le 19 décembre 2001 (ci-après la « première communication des griefs ») et une communication des griefs complémentaire le 9 août 2002 (ci-après la « communication des griefs complémentaire »), auxquelles WIN a répondu respectivement les 4 mars et 23 octobre 2002.

4        Le 16 janvier 2003, la Commission a transmis à WIN un courrier qualifié de « lettre factuelle » (ci-après la « lettre factuelle »), en lui donnant accès au dossier ayant servi à la rédaction de ladite lettre. WIN a effectivement eu accès au dossier les 23 et 27 janvier 2003. Par courrier du 26 février 2003, WIN a demandé à la Commission de lui fournir des éclaircissements sur plusieurs aspects de la lettre factuelle. La Commission a répondu par lettre du 28 février 2003, de sorte que WIN a présenté un mémoire en réponse à la lettre factuelle le 4 mars 2003.

5        Par décision du 16 juillet 2003, relative à une procédure d’application de l’article [82 CE] (affaire COMP/38.233 – Wanadoo Interactive) (ci‑après la « décision »), la Commission a constaté que « [WIN] a enfreint l’article 82 [CE] en pratiquant pour ses services eXtense et Wanadoo ADSL des prix prédateurs ne lui permettant pas de couvrir ses coûts variables jusqu’en août 2001 et ne lui permettant pas de couvrir ses coûts complets à partir d’août 2001, dans le cadre d’un plan visant à préempter le marché de l’accès à Internet à haut débit dans une phase importante de son développement » (article 1er). La Commission lui a ordonné de mettre fin à cette infraction (article 2) et lui a infligé une amende de 10,35 millions d’euros (article 4).

6        La décision définit le marché en cause comme le marché français de l’accès à Internet à haut débit pour la clientèle résidentielle. Les produits sur lesquels porte l’infraction sont les services d’accès à Internet à haut débit par la technologie ADSL (Wanadoo ADSL et eXtense).

7        Selon la décision, dans le cas de Wanadoo ADSL, l’abonné devait, à l’époque litigieuse, payer mensuellement un abonnement à France Télécom au titre de la prestation de service, la location du modem ADSL auprès de France Télécom, ainsi qu’un abonnement à WIN en sa qualité de fournisseur d’accès à Internet (ci‑après le « FAI »). Dans le cadre du service eXtense, le modem était acheté par l’utilisateur et ce dernier payait un seul abonnement mensuel à WIN correspondant au service fourni par France Télécom et à l’accès Internet forfaitaire illimité.

8        Après l’examen de différents éléments, dont les parts de marché (considérants 211 à 222 de la décision) et les effets d’« adossement » à France Télécom (considérants 223 à 228), la Commission conclut à l’existence d’une position dominante de WIN sur le marché en cause. Elle s’attache ensuite à démontrer que la pratique de tarification en dessous des coûts mise en œuvre par WIN s’est inscrite dans le cadre d’une stratégie intentionnelle de prédation en vue de « préempter » le marché et, de ce fait, constitue un abus de position dominante au sens de l’article 82 CE (considérant 254).

9        La décision fixe le début de la période d’infraction au 1er mars 2001 et la fin au 15 octobre 2002, date d’entrée en vigueur du remède présenté par France Télécom en mars 2002. Les coûts variables n’auraient pas été couverts par les tarifs pratiqués de mars à août 2001 et les coûts complets ne l’auraient pas été à partir de cette dernière date (article 1er de la décision, voir point 5 ci-dessus).

10      Cette décision a été notifiée le 23 juillet 2003 à WIN, qui en a demandé l’annulation par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 octobre 2003.

11      À la suite d’une opération de fusion intervenue le 1er septembre 2004, France Télécom SA vient aux droits de WIN.

 Conclusions des parties

12      La partie requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision ;

–        subsidiairement, supprimer ou réduire le montant de l’amende ;

–        condamner la défenderesse aux dépens.

13      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

I –  Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision

14      À l’appui de ses conclusions en annulation, la requérante a invoqué plusieurs moyens de forme, la violation du principe de la personnalité des peines et la violation de l’article 82 CE.

A –  Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense et des formes substantielles

1.     Arguments des parties

15      Selon WIN, dans une affaire mettant en cause des prix prédateurs, le calcul des coûts doit être considéré comme un élément central du grief en cause. Or, à son avis, non seulement elle a rencontré des difficultés d’accès au dossier, mais, de plus, d’importants éléments des calculs des coûts variables et complets contenus dans la décision n’ont jamais fait l’objet d’une communication des griefs et n’ont été communiqués que par la lettre factuelle. Il s’agirait d’une violation des droits de la défense de WIN et d’une violation des formes substantielles. En effet, WIN allègue qu’elle ne pouvait savoir quelle importance ni quelle place ces éléments devaient occuper dans le raisonnement et les griefs de la Commission et ne pouvait dès lors exercer valablement les droits de la défense à cet égard.

16      De plus, la Commission aurait appliqué dans la décision des calculs qui, tant sur le plan de la méthode utilisée qu’au niveau des résultats, seraient différents de ceux utilisés dans la communication des griefs complémentaire. En modifiant son test de couverture, la Commission aurait modifié son grief. Par ailleurs, la décision retiendrait une durée d’infraction supérieure à celle mentionnée dans la communication des griefs, sans que les parties aient pu s’exprimer à cet égard.

17      La Commission estime que les arguments de WIN sont inexacts en fait et non fondés en droit. Elle affirme n’avoir, dans la lettre factuelle, fait que corriger des erreurs de calcul soulignées par WIN dans sa réponse à la communication des griefs complémentaire, sans modifier le test ni les griefs. Elle souligne, par ailleurs, que WIN a été entendue sur le contenu de la lettre factuelle. Celle-ci aurait précisément eu pour objet de mettre l’entreprise en mesure de faire connaître utilement son point de vue sur la réalité et la pertinence des faits allégués, ce que WIN n’aurait pas manqué de faire. Par courrier du 26 février 2003, WIN aurait ainsi demandé à la Commission de lui fournir quelques éclaircissements sur plusieurs aspects de la lettre factuelle. La Commission affirme avoir répondu par lettre du 28 février 2003, permettant ainsi à WIN de répondre à son tour à la lettre factuelle le 4 mars 2003. Lors de l’envoi de la lettre factuelle, la Commission dit avoir donné à WIN un accès à l’ensemble du dossier ayant servi à sa rédaction. WIN aurait effectivement eu accès au dossier les 23 et 27 janvier 2003. En ce qui concerne la durée de l’infraction, le fait que cette dernière soit toujours en cours lors de l’envoi de la communication des griefs empêcherait la Commission d’aller au-delà de la détermination du point de départ de l’infraction.

2.     Appréciation du Tribunal

18      Il convient d’emblée de rappeler que la communication des griefs doit, selon une jurisprudence constante, contenir un exposé des griefs libellés dans des termes suffisamment clairs, seraient-ils sommaires, pour permettre aux intéressés de prendre effectivement connaissance des comportements qui leur sont reprochés par la Commission. Ce n’est, en effet, qu’à cette condition que la communication des griefs peut remplir la fonction qui lui est attribuée par les règlements communautaires et qui consiste à fournir tous les éléments nécessaires aux entreprises et associations d’entreprises pour qu’elles puissent faire valoir utilement leur défense avant que la Commission adopte une décision définitive. Il est, par ailleurs, de jurisprudence constante que cette exigence est respectée dès lors que la décision ne met pas à la charge des intéressés des infractions différentes de celles visées dans l’exposé des griefs et ne retient que des faits sur lesquels les intéressés ont eu l’occasion de s’expliquer. La décision finale de la Commission ne doit toutefois pas nécessairement être une copie de l’exposé des griefs (arrêt du Tribunal du 28 février 2002, Compagnie générale maritime e.a./Commission, T‑86/95, Rec. p. II‑1011, point 442 et la jurisprudence citée). Sont ainsi admissibles des ajouts à la communication des griefs effectués à la lumière du mémoire en réponse des parties, dont les arguments démontrent qu’elles ont effectivement pu exercer les droits de la défense. La Commission peut également, au vu de la procédure administrative, réviser ou ajouter des arguments de fait ou de droit à l’appui des griefs qu’elle a formulés (arrêt du Tribunal du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission, T‑310/01, Rec. p. II‑4071, point 438).

19      C’est à la lumière de ce qui précède qu’il convient d’apprécier le présent moyen.

20      Force est de constater que, à l’issue de la phase d’investigations, la Commission a adressé, le 19 décembre 2001, la première communication des griefs à WIN. Cette dernière a fait valoir ses observations dans sa réponse du 4 mars 2002 et à l’occasion d’une audition ayant eu lieu le 18 mars 2002 (considérant 153 de la décision). Le 9 août 2002, la Commission a adressé à WIN la communication des griefs complémentaire. WIN a déposé ses observations sur celle-ci le 23 octobre 2002 et n’a pas demandé la tenue d’une audition (considérant 157 de la décision). WIN a dès lors pu exercer les droits de la défense à l’égard des griefs invoqués par la Commission dans ces communications des griefs, à la fois dans le cadre de ses réponses à ces dernières et de son audition.

21      Or, les griefs retenus par la Commission dans sa décision ne diffèrent pas de ceux exposés dans les communications des griefs.

22      En effet, dans la communication des griefs du 19 décembre 2001, la Commission expose en introduction ce qui suit :

« La présente communication des griefs vise les pratiques de tarification de [WIN], une des sociétés du groupe France Télécom, pour ses services d’accès à Internet haut débit Wanadoo ADSL et Pack [eXtense] au cours de l’année 2001.

[…]

Au cours des investigations, il est apparu que [WIN] se livre depuis le début de l’année 2001 à des pratiques de tarification des services en cause en dessous des coûts, susceptibles de recevoir la qualification de comportements prédateurs et de constituer une violation de l’article 82 [CE]. »

23      Dans cette même communication des griefs, la Commission conclut, au terme de son analyse, ce qui suit :

« [À ce stade,]  la politique de prix prédateurs conduite par [WIN] depuis le début de l’année 2001 constitue un abus de position dominante [au sens de] l’article 82[, sous] a) et b), [CE]. Les pratiques en cause sont intervenues à un stade critique de développement du marché de l’accès à Internet à haut débit pour la clientèle résidentielle, contemporain du déploiement de l’ADSL en France. Elles ont donné à [WIN] une avance considérable sur ses concurrents ou empêché leur entrée ou leur maintien sur ce marché. »

24      Or l’article 1er de la décision est ainsi libellé :

« De mars 2001 à octobre 2002, [WIN] a enfreint l’article 82 [CE] en pratiquant pour ses services eXtense et Wanadoo ADSL des prix prédateurs ne lui permettant pas de couvrir ses coûts variables jusqu’en août 2001 et ne lui permettant pas de couvrir ses coûts complets à partir d’août 2001, dans le cadre d’un plan visant à préempter le marché de l’accès à Internet à haut débit dans une phase importante de son développement. »

25      La comparaison de la première communication des griefs et de la décision fait apparaître que la société, le marché et les produits concernés sont identiques de même que l’infraction reprochée, à savoir la pratique de prix prédateurs contraire à l’article 82 CE.

26      La décision est certes beaucoup plus précise sur la couverture des coûts. Contrairement à la première communication des griefs, la décision évoque les coûts variables et les coûts complets et distingue les périodes considérées à cet égard.

27      Cependant, cette précision a été introduite dans la communication des griefs complémentaire dont le point 5.4 est intitulé « La matérialité de l’abus : non‑couverture des coûts variables et des coûts complets dans la cadre d’une stratégie de préemption du marché ». Dans les deux notes en bas de page auxquelles renvoie ce titre, la Commission précise que, « [à] cet égard, la présente communication des griefs complète [le point] 3.4 de la première communication des griefs » et que « [l]’examen de la couverture des coûts complets est un élément nouveau par rapport à la première communication des griefs ». La méthode utilisée était donc déjà connue à ce stade par WIN, qui a pu faire connaître son point de vue.

28      S’agissant de la lettre factuelle, son objet est, selon ses termes mêmes, d’« indiquer certains éléments factuels non explicitement mentionnés dans les communications des griefs, auxquels la Commission pourrait se référer dans le texte d’une telle décision[ ; c]es éléments consist[a]nt pour partie en faits retracés dans les documents du dossier de la Commission auxquels [les] avocats ont déjà eu accès, et pour partie en éléments recueillis au cours des investigations qui se sont poursuivies au-delà du 9 août 2002 ».

29      Selon WIN, cette lettre modifie le test de couverture et donc le grief correspondant, de sorte qu’elle aurait dû faire l’objet d’une communication des griefs.

30      Il convient de souligner d’emblée que, mise à part la simple mention du découpage différent des périodes d’analyse, WIN n’a pas précisé dans sa requête en quoi consisteraient les différences de méthode ou de résultats ni quels seraient les nouveaux éléments introduits par la lettre factuelle. Elle s’est contentée de renvoyer à la première communication des griefs, à la communication des griefs complémentaire et à la lettre factuelle, qu’elle a jointes en annexe. Or, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier dans ces annexes les éléments qui pourraient fonder le recours. Si le texte de la requête peut être étayé et complété sur des points spécifiques par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels dans celle‑ci (arrêt du Tribunal du 20 mars 2002, ABB Asea Brown Boveri/Commission, T‑31/99, Rec. p. II‑1881, point 113). Il n’y a dès lors pas lieu de procéder à une comparaison détaillée des communications des griefs et de la lettre factuelle, jointes en annexe à la requête, en vue de rechercher dans la lettre factuelle des différences de méthode ou des éléments nouveaux. À titre surabondant, il convient néanmoins de relever que cette lettre factuelle ne contient aucun grief et n’annonce ni n’introduit aucun changement de méthode pour calculer le taux de couverture des coûts. Souvent en réponse à des remarques de WIN, elle actualise, affine ou corrige des éléments déjà présents dans les communications des griefs. Elle ne modifie donc pas les griefs énoncés dans ces dernières.

31      Quant au découpage différent des périodes d’analyse, seul élément invoqué dans la requête à l’appui de l’allégation de modification du test de couverture, la décision a effectivement raccourci la période de non‑couverture des coûts variables et allongé celle de non‑couverture des coûts complets. Néanmoins, le grief de non‑couverture des coûts s’étend, comme dans la communication des griefs, à toute la période d’infraction visée. Par ailleurs, le report du début de l’infraction de janvier 2001, dans les communications des griefs, à mars 2001, dans la décision, est favorable à WIN. Il ne saurait, par ailleurs, être reproché à la Commission d’avoir tenu compte des remarques de WIN dans sa réponse à la communication des griefs complémentaire. Selon ces remarques, la Commission ne parvenait à la conclusion d’une non‑couverture des coûts variables entre août et octobre 2001 qu’en raison d’une faute de calcul. Dans la décision, la Commission a donc finalement arrêté la période de non‑couverture des coûts variables en août 2001.

32      À supposer que, par cet argument, la requérante invoque la modification du découpage des périodes d’analyse des coûts variables, il faut relever que, effectivement dans la décision, la troisième période ne s’arrête plus au 31 décembre 2001, mais va jusqu’au 15 février 2002. Selon la Commission, cette modification est inspirée par le souci de mieux faire coïncider la périodisation retenue avec l’évolution des coûts subis par WIN. Elle affirme que ce changement n’emporte qu’une simplification des calculs, sans modifier les conclusions générales auxquelles la Commission était parvenue dans la communication des griefs complémentaire.

33      Il convient d’observer que WIN n’a pas contesté cette justification et n’explique pas en quoi cette prolongation de la troisième période lui porte préjudice.

34       Par ailleurs, la lettre factuelle invite WIN à faire ses observations sur ces éléments de fait et lui offre la possibilité d’avoir accès à tous les documents du dossier.

35      Il y a lieu de souligner que WIN se contente de mentionner, dans la partie introductive de sa requête, des difficultés d’accès au dossier, mais n’en fait pas un moyen d’annulation. Elle ne prétend du reste pas ne pas avoir obtenu les pièces demandées, mais avoir dû formuler des demandes répétées et ne devoir « qu’à son extrême vigilance et à sa persévérance […] d’avoir pu, dans la mesure de ses moyens, faire valoir son droit d’accès au dossier ». Il convient d’en déduire que, malgré les difficultés qu’elle a pu rencontrer, WIN a eu accès au dossier.

36      Dès lors, conformément à la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus, la requérante a été informée des éléments de fait essentiels et a été mise en mesure de faire connaître utilement son point de vue. Une audition avait déjà eu lieu le 18 mars 2002 et une nouvelle audition ne s’imposait pas. WIN ne l’a du reste pas demandée ni après l’envoi de la communication des griefs complémentaire ni après l’envoi de la lettre factuelle.

37      Il ressort de ce qui précède que l’argumentation selon laquelle une troisième communication était nécessaire ne saurait être retenue. De plus, WIN a pu exercer les droits de la défense à cet égard et n’a pas manqué de le faire. En effet, par courrier du 26 février 2003, elle a demandé quelques éclaircissements à la Commission sur plusieurs aspects de la lettre factuelle. La Commission y a répondu par lettre du 28 février 2003. La requérante a alors adressé à la Commission un mémoire en réponse à la lettre factuelle. WIN a en outre effectivement eu accès au dossier les 23 et 27 janvier 2003. WIN n’a donc pas établi que l’envoi de la lettre factuelle emportait une violation des formes substantielles et des droits de la défense.

38      À titre surabondant, s’il y avait lieu de considérer qu’il incombe au Tribunal de procéder lui-même à une comparaison détaillée de la lettre factuelle et des communications des griefs en recherchant les éléments susceptibles d’étayer le recours, il convient de relever que les éléments factuels détaillés dans la lettre factuelle complétaient ou développaient des informations déjà contenues dans les communications des griefs. En effet, l’examen, dans la lettre factuelle, du revenu moyen réel et du revenu théorique au début de l’année 2002 vient prolonger les calculs effectués dans la communication des griefs complémentaire, en tenant compte de la lettre de WIN du 13 décembre 2002. En outre, il était déjà question de la bande passante facturée par France Télécom dans le cadre du service de collecte dans la première communication des griefs et dans la communication des griefs complémentaire. La lettre factuelle prend en compte à ce sujet les informations fournies par France Télécom les 3 mai et 21 novembre 2002. De même, le coût de la « connectivité » internationale était abordé dans la première communication des griefs. La lettre factuelle vise à tenir compte des explications fournies sur ce point par France Télécom dans une lettre du 13 novembre 2002. Enfin, une première estimation des coûts prévisibles pour les nouveaux abonnés ainsi qu’une estimation des coûts complets avaient déjà été présentées dans la communication des griefs complémentaire.

39      Par ailleurs, certains éléments de la lettre factuelle sont clairement fournis à titre informatif en réponse à des remarques de WIN. Ainsi, à la suite de la lettre de WIN du 27 septembre 2002, la Commission fait, dans la lettre factuelle, référence aux coûts liés aux déménagements des abonnés en soulignant qu’elle n’entend pas incorporer ces coûts dans ses calculs. Concernant l’effet de la dynamique des ventes, la Commission souligne, dans la lettre factuelle, que cet élément ne permet pas de conclure sur la prédation, mais est susceptible d’être utilisé dans le cadre de la discussion de la proposition, formulée par WIN dans son mémoire en réponse du 23 octobre 2002, d’étudier séparément chaque génération nouvelle d’abonnés, indépendamment des générations antérieures ou postérieures. Les développements, dans la lettre factuelle, sur les dépenses publicitaires ou promotionnelles de WIN visent à confirmer leur prise en compte dans les coûts variables par la communication des griefs complémentaire, ce que WIN avait contesté dans sa réponse à cette dernière.

40      Les seuls éléments qui peuvent être présentés comme amenant un changement au niveau de l’application de la méthode retenue par la Commission sont, d’une part, le découpage différent des périodes d’analyse et, d’autre part, le calcul des moyennes pondérées de couverture des coûts en fonction des revenus générés par le parc d’abonnés aux deux services en cause.

41      S’agissant du découpage des périodes d’analyse, il y a lieu de renvoyer aux points 31 à 33 ci‑dessus.

42      Concernant le calcul des moyennes pondérées de couverture des coûts en fonction des revenus générés par le parc d’abonnés, la Commission expose que « ce changement s’impose de lui-même d’un simple point de vue arithmétique, compte tenu de la forte différence entre les coûts et revenus du service eXtense, d’une part, [et] les coûts et revenus du service Wanadoo ADSL, d’autre part, qui sont deux fois inférieurs à ceux d’eXtense ». Dans la note en bas de page nº 77 de la décision, la Commission ajoute qu’« elle estime ne pouvoir se tenir liée par une erreur de calcul effectuée à un stade antérieur de la procédure, dès lors qu’elle donne à l’entreprise l’occasion de faire valoir ses observations sur la rectification de l’erreur dans le cadre des droits de la défense, comme elle l’a fait dans le présent cas au moyen de [la lettre factuelle] ».

43      Quant à la rectification des erreurs, il y a lieu de relever que WIN l’admet parfaitement lorsqu’elle lui est favorable. Dans sa réponse à la communication des griefs complémentaire, WIN attire l’attention de la Commission sur des erreurs que celle‑ci aurait commises dans ses calculs. Dans la lettre factuelle, la Commission rectifie ces erreurs sans contestation de la part de WIN ou, lorsque la Commission s’y refuse, elle explique pourquoi. En revanche, la Commission ne pourrait pas, selon WIN, rectifier, dans une lettre relative à des éléments factuels, une erreur dans un sens qui ne lui serait pas favorable, dès lors que cela reviendrait à modifier le grief formulé à son égard.

44      Il y a donc lieu de vérifier si cette rectification représente un changement de méthode à l’origine d’un nouveau grief.

45      Or force est de constater que la méthode reste celle du calcul du taux de couverture des coûts variables et complets retraités et que la rectification ou la modification apportée dans le calcul de la moyenne pondérée ne modifie en rien le grief de pratique de prix prédateurs depuis le début de l’année 2001 figurant dans les deux communications des griefs. L’absence de calcul de moyenne dans la première communication des griefs n’empêche pas la Commission de conclure à la non‑couverture des coûts, le calcul du taux de couverture se faisant d’abord par produit (eXtense ou Wanadoo ADSL).

46      De plus, il ressort de la réponse de WIN à la lettre factuelle que, les nouveaux éléments pris en compte par la Commission dans la lettre factuelle aboutissant à un taux de couverture des coûts variables retraités supérieur à 100 % à partir du 1er août 2001, la Commission aurait modifié sa méthode de calcul pour diminuer ce taux et maintenir son grief de non‑couverture des coûts variables pour la période allant du 1er août au 15 octobre 2001. Un tel objectif ne paraît toutefois pas conciliable avec le fait que, dans la décision, la Commission a en définitive arrêté la période de non‑couverture des coûts variables retraités au 31 juillet 2001. Cet argument ne saurait dès lors prospérer. WIN n’a donc pas établi de changement de méthode par la lettre factuelle.

47      WIN a également fait valoir que la décision retient une durée d’infraction supérieure à celle mentionnée dans la communication des griefs, sans que les parties aient eu l’occasion de s’exprimer à cet égard.

48      Il convient de relever d’abord que WIN n’a pas contesté le point de départ de l’infraction et son report de janvier à mars 2001 par la Commission entre la communication des griefs et la décision.

49      Quant à l’allongement de la durée de l’infraction du mois de juillet au 15 octobre 2002, force est de constater que, si les deux communications des griefs fixaient le début de l’infraction au mois de janvier 2001, ni l’une ni l’autre n’indiquaient que l’infraction avait pris fin. Bien au contraire, l’une et l’autre annonçaient que la Commission se proposait de prendre une décision invitant WIN à « mettre fin à l’infraction ». Pareille formulation indiquait sans équivoque que, selon la Commission, l’infraction en cause n’avait pas encore pris fin. Certes, la première communication des griefs évoquait des faits couvrant une durée de douze mois et la communication des griefs complémentaire une durée de dix-huit mois. Cette limitation dans le temps des éléments de preuve, et non de la durée de l’infraction, à une période écoulée ne remet pas en cause la conclusion explicite des deux documents. À titre d’illustration, la communication des griefs complémentaire indique :

« Au terme de son analyse, la Commission considère à ce stade que la politique de prix prédateurs conduite par [WIN] depuis le début de l’année 2001 constitue un abus de position dominante […] Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission se propose de prendre une décision arrêtant que [… WIN] mette fin à l’infraction […] »

50      Il en résulte clairement que chaque communication des griefs indiquait la durée retenue par la Commission sur la base des informations dont elle disposait au moment de son élaboration (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 15), l’infraction n’étant pas terminée. WIN n’a du reste pas prétendu avoir pris des mesures particulières qui auraient mis fin à l’infraction alléguée. Ce n’est que dans la décision que la Commission expose que « l’abus a pris fin le 15 octobre 2002, date de l’entrée en vigueur du remède présenté par France Télécom en mars 2002 ».

51      La phrase de la lettre factuelle selon laquelle « ces éléments de fait ne conduisent en aucune façon à allonger la période visée par les communications des griefs » doit être comprise à la lumière des considérations qui précèdent. Le fait que la lettre factuelle évoque « les coûts complets retraités en 2002 » (voir p. 6) et que plusieurs données couvrent les neuf premiers mois, voire les douze mois de l’année 2002 (voir notamment les annexes 15.1 et 15.2, 20, 21 et 22) s’inscrit dans la perspective de la poursuite de l’infraction. Il ressort d’ailleurs de la réponse de WIN à la lettre factuelle qu’elle a été en mesure de comprendre que l’infraction se poursuivait. Plusieurs de ses éléments de réponse se réfèrent en effet aux neuf premiers mois, voire aux douze mois de l’année 2002. Elle a en effet produit un tableau intitulé « Publicité/Croissance du parc ADSL » portant sur une période allant jusqu’en décembre 2002 et, sous le même titre, un graphique couvrant la période allant de janvier 2001 à septembre 2002. De plus, toujours dans cette réponse, WIN s’est exprimée sur les taux de couverture des coûts variables jusqu’au 30 septembre 2002. Enfin, dans cette même réponse, WIN conteste le revenu de 37,03 euros par abonnement que la Commission a pris en compte pour la période du 15 février à septembre 2002. WIN ne saurait donc prétendre que les droits de la défense ont été violés (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, Rec. p. II‑491, point 576).

52       Il y a donc lieu de rejeter l’argument de la requérante relatif à l’allongement de la durée de l’infraction.

53      Dès lors qu’aucune violation des droits de la défense n’a été établie, il y a lieu de rejeter le présent moyen.

B –  Sur le moyen tiré d’un défaut de motivation

1.     Arguments des parties

54      Dans le cadre de son allégation de violation des formes substantielles, WIN fait aussi valoir que la Commission remet en cause, sans aucune motivation, le droit reconnu à toute entreprise de s’aligner de bonne foi sur les prix de ses concurrents. Ce droit serait consacré par la jurisprudence de la Cour et dans la pratique décisionnelle antérieure de la Commission. WIN ajoute que, lorsque la décision va sensiblement plus loin que les décisions précédentes, il incombe à la Commission de développer son raisonnement d’une manière explicite.

55      La Commission estime pour sa part qu’il suffit de se référer aux considérants 314 à 331 de la décision pour constater que le moyen tiré d’un défaut de motivation sur cet aspect est manifestement dépourvu de fondement.

2.     Appréciation du Tribunal

56      Force est de constater que la décision consacre 18 considérants (314 à 331) à l’argument de l’alignement sur les prix des concurrents. La Commission examine d’abord l’alignement sur le plan des principes, puis la position effectivement occupée sur le marché par les concurrents visés et termine par des éléments de fait infirmant à son avis la thèse de WIN.

57      La Commission a donc rempli son obligation de motivation en la matière. Conformément à la jurisprudence citée par WIN, la Commission a motivé sa décision en mentionnant les éléments de fait dont dépendent la justification légale de la mesure et les considérations qui l’ont amenée à prendre sa décision (arrêt de la Cour du 26 novembre 1975, Fabricants de papiers peints/Commission, 73/74, Rec. p. 1491, point 30).

58      En tout état de cause, même s’il y avait lieu d’admettre en l’espèce une obligation pour la Commission de développer son raisonnement d’une manière plus explicite, elle n’y aurait pas manqué.

59      En effet, contrairement à ce qu’a allégué WIN, la Commission ne se contente pas d’une motivation sommaire en affirmant purement et simplement qu’un opérateur dominant ne peut s’aligner sur les prix de ses concurrents lorsque son prix est inférieur à ses coûts. Elle détaille sa position au considérant 315 de la décision en l’accompagnant en note en bas de page de plusieurs références jurisprudentielles. Ce considérant est ainsi libellé :

« En premier lieu, sur le plan des principes, il est vrai que de nouveaux entrants ou des entreprises n’exerçant pas de position dominante sont en droit de pratiquer des prix promotionnels pour des durées limitées dans le temps. Leur seul objet consiste à attirer l’attention du consommateur sur l’existence même du produit, de manière plus persuasive que par un simple message publicitaire, et ces offres n’exercent pas d’effets négatifs sur le marché. En revanche, l’alignement de l’opérateur dominant sur les prix promotionnels de l’opérateur non dominant n’est pas justifié. S’il est vrai qu’il n’est pas, dans l’absolu, interdit à l’opérateur dominant de s’aligner sur les prix des concurrents, il n’en reste pas moins que cette faculté doit lui être refusée lorsqu’elle implique une non-couverture par l’entreprise dominante des coûts du service en cause. Si une position dominante ne saurait priver une entreprise se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, l’on ne peut admettre de tels comportements lorsqu’ils ont précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser. Il incombe ainsi à l’entreprise dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun. »

60      Le moyen tiré du défaut de motivation en la matière ne saurait donc pas davantage être accueilli, de sorte qu’il y a lieu de rejeter l’ensemble des moyens de forme.

C –  Sur le moyen tiré de la violation du principe de la personnalité des peines

1.     Arguments des parties

61      Selon WIN, la Commission a manifestement violé le principe de la personnalité des peines en retenant à son égard des éléments qu’elle impute au groupe France Télécom et sur lesquels ni WIN ni France Télécom n’ont été en mesure de présenter leurs observations. La Commission opérerait une confusion entre les pratiques reprochées à WIN et celles de France Télécom. Elle les décrirait comme la mise en œuvre d’une action concertée ou d’une stratégie unique définie par le groupe France Télécom. Or, la procédure ne viserait que WIN. Il s’agirait dès lors d’une « grave anomalie procédurale ».

62      À l’appui de sa thèse, WIN cite, dans sa requête, plusieurs passages de la décision et de la communication des griefs complémentaire.

63      WIN allègue ainsi que la Commission a dénoncé, dans le considérant 145 de la décision, les moyens mis en œuvre par elle et par son actionnaire principal pour endiguer le développement des concurrents et détourner à son profit la croissance du marché du haut débit. WIN cite également le considérant 285 de la décision, qui mentionne « un plan d’ensemble » et souligne que la « stratégie poursuivie par la filiale n’est pas totalement dissociable des objectifs de la société mère », ainsi que le considérant 286 dans lequel la Commission estime « intéressant de se référer au comportement de France Télécom sur le marché de gros ».

64      De même, selon WIN, dans la communication des griefs complémentaire, la Commission avait prétendu qu’une partie des faits qu’elle relevait étaient « imputables à France Télécom », en affirmant néanmoins que « l’intensité des relations entre [WIN] et France Télécom [était] telle […] qu’il [était] impossible de considérer que les stratégies des deux entités n’[avaient] pas été étroitement liées ». La Commission aurait aussi affirmé que la politique tarifaire de WIN résultait d’une « action concertée » entre celle-ci et France Télécom.

65      La Commission répond qu’il suffit de se référer au dispositif de la décision pour constater que la seule entreprise visée est bien WIN. La décision n’a pas été adressée à France Télécom, car aucun abus de position dominante ne lui était reproché. La Commission admet en revanche que la décision comporte des références fréquentes à France Télécom en raison de sa position centrale comme opérateur du réseau téléphonique et de sa qualité d’actionnaire majoritaire de WIN. Ces éléments seraient pertinents pour comprendre le contexte du marché au cours de la période d’infraction.

2.     Appréciation du Tribunal

66      Il y a lieu de rappeler que, en vertu du principe d’individualité des peines et des sanctions, une entreprise ne doit être sanctionnée que pour les faits qui lui sont individuellement reprochés, principe qui est applicable dans toute procédure administrative susceptible d’aboutir à des sanctions en vertu des règles communautaires de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 13 décembre 2001, Krupp Thyssen Stainless et Acciai speciali Terni/Commission, T‑45/98 et T‑47/98, Rec. p. II‑3757, point 63).

67      Force est de constater qu’il ne résulte pas de la décision que la Commission reproche à WIN des infractions qui auraient été commises par France Télécom et qui lui auraient été imputées. En effet, les passages de la décision dont WIN prétend tirer une mise en cause du comportement de France Télécom se situent tous dans deux subdivisions de la décision [partie I, G, point 4, et partie II, D, point 3, sous c)] qui ont trait à des éléments du contexte de l’infraction et qui visent clairement à décrire le cadre dans lequel s’inscrit le comportement incriminé de WIN.

68      Les références à France Télécom se justifient donc par la description du contexte du marché concerné. En effet, France Télécom occupait une position particulière sur le marché en cause en sa qualité d’opérateur téléphonique incontournable pour la plupart des fournisseurs d’accès à Internet. France Télécom est l’opérateur historique des télécommunications en France. Elle exploite les réseaux de longue distance sur le territoire français utilisés pour véhiculer le trafic Internet. Elle est propriétaire du réseau d’accès local de télécommunications raccordant à son réseau l’ensemble des abonnés du téléphone. Or, à l’époque, l’utilisation du réseau d’accès local de France Télécom était indispensable pour la fourniture d’un service ADSL (considérant 231 de la décision). France Télécom facture ses services à ses clients, dont WIN fait partie (considérants 42 à 59 de la décision). La baisse des tarifs de France Télécom a dès lors un impact sur les coûts de WIN. Cette position centrale de France Télécom et sa qualité d’actionnaire majoritaire de WIN l’ont du reste amenée à participer à la procédure administrative.

69      Par ailleurs, la Commission prend soin de préciser que ces éléments du contexte, « bien qu’ils ne soient qu’en partie imputables à [WIN] et qu’ils ne constituent pas des griefs à l’égard de celle-ci » revêtent de l’importance pour la compréhension de l’affaire (considérant 145 de la décision) ou, encore, que, « [a]fin de mieux apprécier la portée de la politique de [WIN] et son insertion dans un plan d’ensemble, il est utile de mettre en perspective le comportement de la filiale dans la problématique du groupe France Télécom » (considérant 285 de la décision), tout en ajoutant que les éléments décrits aux considérants 286 à 290 « ne constituent pas des griefs à l’encontre de [WIN] » mais que « la stratégie poursuivie par la filiale n’est pas complètement dissociable des objectifs de la société mère ».

70      Il résulte donc de la décision, dans laquelle la Commission a toujours pris soin de préciser que les éléments du contexte ne constituaient pas des griefs à l’encontre de la requérante, que la Commission n’a pas imputé à WIN des comportements mis en œuvre par France Télécom.

71      Il y a dès lors lieu de rejeter ce moyen tiré de la violation du principe de la personnalité des peines.

D –  Sur la violation de l’article 82 CE

72      Selon WIN, la Commission a violé l’article 82 CE à plusieurs égards. Quant à la position dominante, la Commission aurait retenu une définition inexacte du marché et considéré à tort que WIN y détenait une position dominante. Concernant l’abus de position dominante, la Commission aurait appliqué un test de couverture des coûts contraire à l’article 82 CE à la fois quant aux coûts pris en compte et quant à la méthode appliquée ; elle aurait en outre commis de grossières erreurs de calcul. Dans le cadre du test de prédation, la Commission aurait refusé à WIN le droit fondamental de s’aligner sur ses concurrents. Elle aurait de plus commis une erreur de droit doublée d’une erreur manifeste d’appréciation en concluant à l’existence d’un plan de prédation et en soutenant que la démonstration de la récupération des pertes n’était pas nécessaire.

1.     Sur la position dominante

a)     Sur la définition erronée du marché

 Arguments des parties

73      Selon WIN, la distinction opérée par la Commission entre l’accès à Internet à bas débit et l’accès à Internet à haut débit pour la clientèle résidentielle repose sur une analyse gravement lacunaire et contradictoire. À son avis, il n’existe qu’un seul marché d’accès à Internet, qui se présente comme un continuum depuis le bas débit jusqu’au haut débit. Cela serait démontré par l’émergence d’offres ADSL à moyen débit.

74      La Commission reconnaîtrait l’existence d’usages communs et d’un certain degré de substituabilité entre l’accès à Internet à haut débit et l’accès à Internet à bas débit, mais elle refuserait d’en tirer les conclusions qui s’imposent.

75      En outre, il existerait une véritable concurrence entre le haut débit et le bas débit, qui trouve son origine dans le caractère illimité des offres des deux types d’accès à Internet, les utilisateurs se montrant relativement indifférents à leurs caractéristiques.

76      Enfin, selon la pratique décisionnelle constante de la Commission, une simple différence dans le degré de confort ou de qualité serait insuffisante pour distinguer des marchés pertinents distincts dès lors que l’usage est similaire. Or, il résulterait d’un sondage produit par WIN que, dans 80 % des cas, les abonnés utilisent le même type d’applications et de fonctionnalités.

77      La Commission renvoie, pour sa part, aux développements qu’elle a consacrés dans la décision (considérants 169 à 204) à la distinction entre haut débit et bas débit. Elle affirme y avoir mis en évidence des différences d’usage, de spécificités techniques et de performances ainsi que des différences de prix des services et de revenu par abonné qui obligent à distinguer les deux marchés. Quant au degré de substituabilité, la Commission allègue que la seule substitution constatée est complètement asymétrique, puisqu’elle opère dans un seul sens, à savoir du bas débit vers le haut débit. La Commission estime par ailleurs que la distinction entre haut débit et bas débit est aujourd’hui universellement reconnue.

 Appréciation du Tribunal

78      Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante (arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Michelin/Commission, 322/81, Rec. p. 3461, point 37 ; arrêts du Tribunal du 30 mars 2000, Kish Glass/Commission, T‑65/96, Rec. p. II‑1885, point 62, et du 17 décembre 2003, British Airways/Commission, T‑219/99, Rec. p. II‑5917, point 91), aux fins de l’examen de la position, éventuellement dominante, d’une entreprise sur un marché sectoriel déterminé, les possibilités de concurrence doivent être appréciées dans le cadre du marché regroupant l’ensemble des produits ou services qui, en fonction de leurs caractéristiques, sont particulièrement aptes à satisfaire des besoins constants et sont peu interchangeables avec d’autres produits ou services. En outre, étant donné que la détermination du marché en cause sert à évaluer si l’entreprise concernée a la possibilité de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective et d’avoir un comportement, dans une mesure appréciable, indépendant de celui de ses concurrents et, en l’espèce, de ses prestataires de services, on ne saurait, à cette fin, se limiter à l’examen des seules caractéristiques objectives des services en cause, mais il convient également de prendre en considération les conditions de la concurrence et la structure de la demande et de l’offre sur le marché.

79      Lorsqu’un produit est susceptible d’être utilisé à des fins diverses et lorsque ces différents usages répondent à des besoins économiques, eux aussi différents, il y a lieu d’admettre que ce produit peut appartenir, selon les cas, à des marchés distincts, présentant éventuellement, tant du point de vue de la structure que des conditions de concurrence, des caractéristiques différentes. Cette constatation ne justifie cependant pas la conclusion qu’un tel produit constitue un seul et même marché avec tous les autres qui, dans les différents usages auxquels il peut être affecté, peuvent lui être substitués et avec lesquels il entre, suivant le cas, en concurrence.

80      La notion de marché concerné (relevant market) implique, en effet, qu’une concurrence effective puisse exister entre les produits qui en font partie, ce qui suppose un degré suffisant d’interchangeabilité en vue du même usage entre tous les produits faisant partie d’un même marché (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 28).

81      Il ressort également de la communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5, point 7) qu’« [u]n marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et l’usage auquel ils sont destinés ».

82      Force est de constater qu’il n’existe pas qu’une simple différence de confort ou de qualité entre le haut et le bas débit. Il ressort des éléments fournis par la Commission (considérant 175 de la décision), sans qu’elle soit contredite par WIN, que certaines applications disponibles avec le haut débit sont inutilisables avec le bas débit, dont, par exemple, le téléchargement de fichiers très volumineux et les jeux interactifs en réseau. WIN a d’ailleurs confirmé, dans sa réponse du 4 mars 2002 à la communication des griefs, qu’il existait des « activités audiovisuelles/multimédia plus spécifiques à l’ADSL ». De plus, l’étude réalisée par le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Crédoc) pour le compte de WIN et produite par celle‑ci en annexe à sa requête fait aussi état de nouveaux usages développés sur Internet par le service eXtense et qui sont spécifiques au haut débit, à savoir pratiquer des jeux en réseau, écouter une radio en ligne, regarder une vidéo en ligne et effectuer des achats en ligne. Par ailleurs, selon cette même étude, l’abonné au haut débit est connecté beaucoup plus souvent et en moyenne beaucoup plus longtemps que l’utilisateur du bas débit.

83      En ce qui concerne les différences de spécificités techniques et de performances, il ressort des affirmations de la Commission (considérants 181 à 187 de la décision), qui n’ont pas été démenties par la requérante, qu’une particularité technique importante de l’accès à Internet à haut débit réside dans la spécificité des modems utilisés. Un modem d’accès à Internet à haut débit ne peut être utilisé pour le bas débit, et réciproquement (considérant 181 de la décision). Par ailleurs, dans le cas du haut débit, la connexion est permanente et la ligne téléphonique est libre.

84      En outre, dans le cas du marché français, il y a lieu d’observer que, pour la période examinée, les offres de haut débit prévoyaient des débits en sens descendant de l’ordre de 512 kbits/s (considérant 185 de la décision). Les offres de bas débit traditionnel (limité à 56 kbits/s) et les offres RNIS (réseau numérique à intégration de services) ou ISDN (Integrated Services Digital Network) (64 ou 128 kbits/s) ne permettaient des débits que quatre à dix fois inférieurs. Les offres ADSL à 128 kbits/s en sens descendant, qui témoigneraient selon la requérante de la continuité entre le bas et le haut débit, ne sont apparues qu’à l’issue de la période visée par la décision. De plus, même dans le cas d’une offre à 128 kbits/s, la différence entre le bas et le haut débit reste très substantielle. La différence de performances était donc significative au cours de la période considérée.

85      À ces différences d’usages, de spécificités et de performances s’ajoute un écart de prix important entre le bas et le haut débit (considérants 188 à 192 de la décision).

86      S’agissant du degré de substituabilité, il y a lieu de rappeler, outre la jurisprudence citée au point 78 ci-dessus, les éléments d’appréciation énoncés par la Commission dans sa communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (voir point 81 ci-dessus).

87      Selon cette communication, l’appréciation de la substituabilité de la demande entraîne une détermination de l’éventail des produits perçus comme substituables par le consommateur. Une façon de procéder à cette détermination peut être envisagée comme un exercice mental présupposant une variation légère, mais durable, des prix relatifs et évaluant les réactions probables des clients. Au point 17 de cette communication, la Commission précise que « [l]a question posée est de savoir si les clients des parties se tourneraient vers des produits de substitution facilement accessibles […] en cas d’augmentation légère (de 5 à 10 %), mais permanente, des prix relatifs des produits considérés dans les territoires concernés ».

88      Dans le considérant 193 de la décision, la Commission admet certes que le bas débit et le haut débit présentent un certain degré de substituabilité. Elle ajoute cependant, dans le considérant 194, que celle‑ci fonctionne de manière profondément asymétrique, les migrations de clients d’offres de haut débit vers des offres de bas débit seraient infimes par rapport aux migrations dans l’autre sens. Or, selon la Commission, si les produits étaient parfaitement substituables du point de vue de la demande, les taux de migration devraient être, sinon identiques, du moins d’un ordre de grandeur comparable.

89      À cet égard, force est de constater, en premier lieu, qu’il ressort des données recueillies auprès de WIN et reproduites dans le tableau 7 de la décision que les taux de migration des abonnés au haut débit vers les offres intégrales de bas débit étaient très faibles à l’époque visée, malgré la différence de prix entre ces services, qui aurait dû inciter de nombreux internautes à se reporter vers le bas débit. Cette forte disproportion dans les taux de migration entre haut et bas débit et inversement n’accrédite pas la thèse de l’interchangeabilité de ces services aux yeux des consommateurs. Dans la requête, WIN n’a, de plus, avancé aucun élément précis remettant cette analyse en cause.

90      Il s’avère, en second lieu, qu’un sondage effectué pour le compte de la Commission et présenté par WIN en annexe à sa requête montre que, en cas d’augmentation du prix du haut débit de l’ordre de 5 à 10 %, 80 % des abonnés au haut débit conserveraient leur abonnement. Or, en application du point 17 de la communication de la Commission sur la définition du marché aux fins du droit communautaire de la concurrence (voir point 87 ci-dessus), ce pourcentage élevé d’abonnés qui n’abandonneraient pas le haut débit en cas d’augmentation du prix de 5 à 10 % constitue un fort indice d’absence de substitution du côté de la demande.

91      En conséquence, sur la base de l’ensemble des éléments qui précèdent, il y a lieu de considérer que c’est à bon droit que la Commission a conclu à l’absence de degré suffisant d’interchangeabilité entre le haut débit et le bas débit et a défini le marché en cause comme celui de l’accès à Internet à haut débit pour la clientèle résidentielle.

b)     Sur l’examen lacunaire de la position dominante

 Arguments des parties

92      Selon WIN, c’est à tort que la Commission a considéré sa position comme dominante. En effet, l’analyse de la Commission comporterait de graves carences.

93      La puissance de marché ne pourrait en aucun cas s’apprécier par rapport aux parts de marché détenues sur un marché émergent. Il conviendrait, sur un tel marché, de se placer dans une perspective dynamique, d’apprécier non pas seulement la concurrence actuelle mais également la concurrence potentielle. Or, selon WIN, le nombre d’abonnés potentiels est très important étant donné le sous-équipement des foyers français. WIN estime avoir démontré l’émergence de nouveaux acteurs sur ce marché et la multiplication des offres, qui s’est accompagnée d’une diminution des prix.

94      Ces éléments témoigneraient de la vigueur de la concurrence sur un marché sans barrière sur lequel WIN ne saurait par conséquent détenir une position dominante.

95      WIN reproche à la Commission de n’en avoir tenu aucun compte et de s’être bornée à analyser sa part de marché sur le segment du haut débit entre le 31 décembre 2000 et le 31 août 2002. Or, la chute de plus de dix points de sa part de marché entre août 2002 et mars 2003 attesterait du caractère concurrentiel et évolutif du marché.

96      Par ailleurs, toujours selon WIN, l’appartenance à un groupe avec des moyens financiers importants et un réseau de distribution étendu ne saurait être appréciée sans considération pour la situation des concurrents. Or, la Commission n’aurait procédé à aucun examen approfondi de la situation des sociétés AOL, T‑Online/Club-Internet et Tiscali, qui sont « adossés » à de grands groupes jouissant d’une puissance financière exceptionnelle et bénéficiant également d’un large réseau de distribution.

97      Enfin, WIN soutient que le regroupement de ses activités d’édition d’annuaires et d’accès à Internet ne saurait être considéré comme lui conférant une puissance financière de nature à établir sa position dominante sur le marché français de l’accès à Internet à haut débit. En effet, d’une part, d’autres concurrents, comme T‑Online, auraient aussi cette possibilité et, d’autre part, le groupe Wanadoo pourrait parfaitement répondre aux besoins de son activité de FAI sans recourir aux liquidités générées par l’édition des pages jaunes de l’annuaire.

98      La Commission conteste le caractère émergent du marché en cause pendant la période considérée. Elle fait valoir que la part de marché de WIN s’est accrue de manière soutenue durant la période litigieuse. Elle estime que WIN n’a en rien remis en cause l’analyse faite dans la décision des synergies et avantages découlant pour WIN de son « adossement » technique, logistique et commercial au groupe France Télécom.

 Appréciation du Tribunal

99      À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une position dominante est démontrée par le fait que l’entreprise en cause est dans une situation de puissance économique qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs (arrêt Michelin/Commission, point 78 supra, point 30, et arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98, Rec. p. II‑4653, point 154). Il y a lieu de relever d’emblée que la Commission n’a pas besoin de démontrer que les concurrents d’une entreprise seront exclus du marché, même à terme, afin d’établir l’existence d’une position dominante.

100    Par ailleurs, si la signification des parts de marché peut différer d’un marché à l’autre, des parts extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 80 supra, point 41, et arrêt du Tribunal du 28 avril 1999, Endemol/Commission, T‑221/95, Rec. p. II‑1299, point 134). La Cour a jugé dans son arrêt du 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 60), que tel était le cas d’une part de marché de 50 %.

101    L’existence d’une concurrence, même vive, sur un marché donné n’exclut pas celle d’une position dominante sur ce même marché, ladite position étant essentiellement caractérisée par la capacité de se comporter sans avoir à tenir compte, dans sa stratégie de marché, de cette concurrence et sans, pour autant, subir des effets préjudiciables du fait de cette attitude (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 80 supra, point 70 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands/Commission, 27/76, Rec. p. 207, points 108 à 129). Ainsi, l’éventuelle existence d’une concurrence sur le marché est, certes, une circonstance pertinente, notamment, aux fins d’apprécier l’existence d’une position dominante, mais elle n’est pas en soi une circonstance déterminante à cet égard.

102    Il y a lieu de vérifier selon ces critères si, comme l’affirme la Commission, WIN se trouve en position dominante sur le marché en cause.

103    S’agissant des parts de marché, force est de constater que, selon le tableau 8 de la décision, la part que détient WIN sur le marché du haut débit a atteint 50 % au 31 mars 2001, est allée jusqu’à 72 % au 31 mars 2002 et est demeurée stable à ce niveau jusqu’en août 2002. Il ressort des réponses des parties aux questions posées par le Tribunal que cette part a ensuite baissé en octobre 2002 à 63,6 % selon WIN et à un chiffre que la Commission situe entre 63,4 et 71 % suivant les sources. WIN a donc eu pendant toute la période litigieuse une part de marché extrêmement importante constituant, sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante au sens de la jurisprudence précitée.

104    Concernant la baisse intervenue entre les mois d’août et d’octobre 2002, la réduction de parts de marché encore très importantes ne peut constituer, en elle-même, la preuve de l’absence de position dominante (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 8 octobre 1996, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, T-24/93 à T-26/93 et T-28/93, Rec. P II-1201, point 77). Même en partant du chiffre avancé par WIN, la part de marché de WIN restait en effet substantielle à la fin de la période d’infraction.

105    WIN fait toutefois valoir que les parts de marché sont un indice peu fiable dans le contexte d’un marché émergent caractérisé par une clientèle encore limitée.

106    Le Tribunal considère que, selon les informations relatives à la situation du marché exposées au considérant 218 de la décision et non contestées par WIN, le marché concerné avait certainement dépassé, en mars 2001, date du début de l’infraction selon la Commission, le stade du lancement ou de l’expérimentation. En effet, le marché du haut débit s’est développé en France à partir de 1997. Les services ADSL de WIN et les premières offres de ses concurrents ont été lancés sur une base commerciale dès la fin de l’année 1999. À la fin du mois de juin 2000, le marché de l’accès à Internet à haut débit pour la clientèle résidentielle comptait déjà environ 100 000 abonnés et, au terme de l’année 2000, il dépassait 180 000 abonnés en France. Au cours du premier trimestre de 2001, le marché progressait de plus de 5 000 abonnés nouveaux par semaine. En ne faisant remonter l’infraction qu’au mois de mars 2001, comme l’indique le considérant 71 de la décision, parce qu’elle estimait que le marché n’avait jusque-là « pas [...] atteint un stade de développement suffisant pour qu’un ‘test de prédation’ soit significatif », la Commission a dûment exclu de son analyse la phase de démarrage.

107    Il s’agissait certes d’un marché en forte croissance, mais cet élément ne saurait exclure l’application des règles de concurrence, et notamment celles de l’article 82 CE.

108    Ce marché en forte croissance n’a pas été caractérisé par une forte instabilité au cours de la période litigieuse. Il s’avère au contraire qu’une hiérarchie assez stable s’y était installée avec WIN en position de leader.

109    À cet égard, il y a lieu de relever que, dans les considérants 213 à 215 de la décision, la Commission complète son analyse de la position dominante de WIN par l’examen comparatif des parts de marché détenues, au cours de la période litigieuse, par WIN et par ses concurrents. Selon cette analyse, non contestée par la requérante, il s’avère que WIN a toujours détenu un nombre d’abonnés ADSL plus de huit fois supérieur à celui des abonnés du premier de ses concurrents. Or, selon la jurisprudence, les parts de marché détenues par l’entreprise concernée par rapport à celles de ses concurrents constituent des indices valables de position dominante (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 80 supra, point 48).

110    WIN a cependant fait valoir que, sur un tel marché, il convenait de se placer dans une perspective dynamique en appréciant non seulement la concurrence actuelle mais également la concurrence potentielle.

111    À cet égard, il suffit de constater que, selon ses propres analyses prospectives, datant du mois de mars 2001, WIN conserverait une part de 55 % du total du marché fin 2004. En juin 2001, WIN a elle-même réévalué ces prévisions de pénétration du marché. Elle pensait alors détenir plus des trois-quarts du segment de l’ADSL à la fin de 2004 et au moins 60 % du marché du haut débit résidentiel (considérant 220 et note en bas de page nº 255 de la décision). De pareils éléments indiquent que WIN elle-même considérait la concurrence potentielle comme limitée. Par conséquent, la situation du marché en cause ne justifie pas de considérer les parts de marché comme un indice peu fiable.

112    Par ailleurs, dans le cadre de son examen de la position de WIN sur le marché, la Commission a également pris en compte, aux considérants 223 à 246 de la décision, le fait que WIN avait bénéficié, à travers son « adossement » au groupe France Télécom, d’avantages très appréciables, qui ont contribué à sa position dominante.

113    À cet égard, il convient de constater que, contrairement à ce que prétend WIN, la Commission a bien examiné dans la décision, aux considérants 226 à 228, la situation des concurrents cités par WIN, à savoir AOL, T‑Online et Tiscali. Elle a conclu au considérant 228 que, quelle que soit la disposition des groupes en question à soutenir les investissements et les initiatives commerciales de leurs filiales françaises, aucun d’eux ne pouvait prétendre faire bénéficier celles-ci d’un « adossement » technique, d’un « adossement » logistique et d’un « adossement » en termes de réseau commercial en France aussi déterminant que ceux qu’offrait France Télécom à WIN.

114    En premier lieu, quant au large réseau de distribution dont auraient aussi disposé, selon WIN, les groupes concurrents, il convient de souligner que, sur le territoire français, seul visé par la décision, il ne saurait en tout état de cause atteindre, même de loin, l’importance de celui de France Télécom, l’opérateur historique des télécommunications en France.

115    Parmi les avantages commerciaux dont a bénéficié WIN, sans qu’elle le conteste du reste, il y a lieu de mentionner surtout le réseau des agences de France Télécom, qui ont assuré la distribution des produits de WIN sur tout le territoire français.

116    En second lieu, WIN n’a pas davantage contesté les avantages techniques résultant selon la Commission de son « adossement » à France Télécom. La Commission a avancé, sans être contredite par WIN, que cette dernière a bénéficié d’un traitement préférentiel pendant toute l’année 2000 et les sept premiers mois de l’année 2001, se traduisant par une offre sur mesure beaucoup moins contraignante que celle proposée à ses concurrents et par un accès en temps réel aux fichiers des lignes convertibles.

117    Ces avantages ont, d’ailleurs, été soulignés par le Conseil de la concurrence français dans sa décision 02‑MC‑03, du 27 février 2002, relative à la saisine et à la demande de mesures conservatoires présentée par la société T‑Online, figurant en annexe au mémoire en défense. Le Conseil de la concurrence a ordonné à France Télécom de mettre à la disposition de l’ensemble des FAI un serveur Extranet permettant d’accéder aux mêmes informations que celles dont disposait WIN et de commander aux services spécialisés de France Télécom l’opération matérielle de la connexion ADSL dans les mêmes conditions d’efficacité que celles accordées à WIN. Dans l’attente de la mise en place de ce système, le Conseil de la concurrence a enjoint à France Télécom de suspendre la commercialisation des services ADSL de WIN dans ses agences commerciales. Comme le souligne le considérant 146 de la décision, la décision du Conseil de la concurrence a été confirmée par la cour d’appel de Paris (France) dans son arrêt du 9 avril 2002.

118    Force est donc de constater que c’est à bon droit que la Commission a considéré que l’« adossement » de WIN à France Télécom lui a procuré des avantages sur ses concurrents de nature à contribuer à sa position dominante.

119    Le dernier élément mis en avant par la Commission dans l’examen de la position de WIN sur le marché en cause est l’avantage découlant pour le groupe Wanadoo de sa présence sur le marché des annuaires. Elle fait valoir que les activités très profitables sur ce marché sont de nature à atténuer de manière considérable l’effet pour le groupe de la vente à perte pratiquée par WIN sur le marché de l’accès à Internet à haut débit.

120    Il y a lieu de relever à cet égard que cette appréciation de la Commission se rapporte à un autre marché que celui de la fourniture d’Internet à haut débit. À ce titre, comme le prétend WIN, la présence du groupe Wanadoo sur le marché des annuaires ne constitue pas un élément venant corroborer de façon décisive la position dominante de WIN sur le marché en cause.

121    Dès lors, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que la Commission a estimé à bon droit que WIN détenait une position dominante sur le marché en cause au cours de la période visée.

2.     Sur l’abus de position dominante

a)     Sur les griefs relatifs au test de couverture des coûts

122    Le litige porte à cet égard sur la méthode de calcul du taux de couverture des coûts et sur des erreurs de calcul qu’aurait commises la Commission dans son application.

 Sur l’erreur de méthode de calcul du taux de couverture des coûts

–       Arguments des parties

123    Selon WIN, la Commission a commis une erreur de droit en retenant un test de couverture des coûts statique qui ne reflète en aucun cas la réalité économique de la rentabilité des abonnés de WIN. En effet, dans le cas des abonnements, une partie des coûts et la totalité des revenus seraient étalés dans le temps sur une longue durée et les coûts varieraient au cours du temps. Or, la méthode de la Commission reviendrait à additionner les coûts d’acquisition à 48 fois le montant des coûts récurrents mensuels, tels qu’ils existaient à la date de souscription de l’abonnement, et à comparer ce total à 48 fois les revenus récurrents mensuels, tels qu’ils existaient à la même date, sans tenir compte de l’adaptation des coûts récurrents mensuels dans le temps.

124    Quant aux coûts à prendre en compte, WIN fait valoir que, pour déterminer si les coûts sont effectivement couverts, la Commission a l’obligation d’examiner toute information dont elle dispose à la date de la décision, dès lors qu’elle reconnaît la validité de cette information. Or, toutes les baisses de coûts avérées et reconnues, entre la souscription d’un abonnement et le mois d’octobre 2002, auraient été ignorées par la Commission ou, plus précisément, la baisse des coûts aurait été prise en compte par la Commission pour tous ceux qui se sont abonnés après cette date, mais pas pour mettre à jour les coûts récurrents de ceux qui se sont abonnés avant. En prenant l’exemple d’un client s’abonnant chez elle le 1er juin 2001, WIN allègue que la Commission lui attribue un coût initial récurrent de 54,39 euros par mois jusqu’à la fin du mois de mai 2005 (soit pendant 48 mois), alors que ce coût ne correspond plus au coût réel dès le mois d’août 2001, puisque, selon l’annexe 3 à la décision, dès cette date il ne s’élève plus qu’à 34,72 euros par mois.

125    WIN a présenté à la Commission des résultats fondés sur la méthode des cash-flows actualisés afin de calculer la valeur actualisée nette (ci‑après la « VAN ») des abonnés. Cette méthode consisterait à lister, pour chaque abonné, l’ensemble des coûts et recettes qu’il engendre, à les actualiser en leur appliquant un taux d’actualisation donné par les marchés financiers et à additionner les cash-flows actualisés ainsi obtenus. Le coût du produit serait constitué par le coût d’acquisition payé initialement auquel s’ajouteraient les coûts récurrents mensuels. WIN affirme que cette méthode, la seule fiable sur le plan économique, est universellement reconnue et conforme aux calculs économiques d’investissements réalisés par les économistes et les opérateurs financiers. Cette méthode aurait été appliquée par le Conseil de la concurrence français et sa validité aurait été reconnue par le rapport établi par Oxera pour l’Office of Fair Trading (OFT, autorité de la concurrence du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord). Elle démontrerait que les coûts complets – sauf ceux du mois de mars 2001, qui ne sont couverts qu’à 98 ou 99 % selon le produit – et a fortiori les coûts variables de WIN sont couverts pour l’ensemble de la période.

126    La Commission s’accorde avec WIN sur la nécessité d’étaler certains coûts mais pas sur la méthode à utiliser. Pour apprécier l’équilibre économique des services de WIN, elle affirme avoir choisi une méthode dynamique qui tient compte du fait que certains postes de coûts variables, et notamment ceux liés à l’acquisition d’un abonné, seront compensés par les revenus que l’entreprise compte obtenir de cet abonné tout au long de la relation commerciale. En étalant sur 48 mois ces coûts variables non récurrents, elle aurait ainsi tenu compte de la durée de vie typique d’un abonnement qui pourrait servir de référence à une entreprise visant un retour sur investissement à une échéance raisonnable.

127    Dans l’application de sa méthode, la Commission prétend avoir tiré tous les chiffres utilisés des informations fournies par WIN. Il s’agirait donc de chiffres constatés ex post. Il n’y aurait aucune rubrique de coût qui soit fictive. La Commission affirme avoir pleinement pris en compte pour tous les abonnés les baisses de coût au moment précis où celles-ci survenaient.

128    La Commission a, par ailleurs, contesté le bien-fondé du recours en l’espèce à la méthode des cash-flows actualisés préconisée par WIN. Cette méthode ne permet pas, à son avis, de tirer de conclusion au sujet de la prédation. WIN n’aurait du reste pratiquement pas utilisé de calculs de VAN au moment des faits pour les produits en cause. L’utilisation de la méthode des cash-flows actualisés dans le cas d’espèce ne trouverait en outre aucun appui dans la jurisprudence communautaire ou dans la pratique décisionnelle de la Commission. En tout état de cause, la méthode proposée par la requérante ne serait pas la méthode traditionnelle, puisque WIN proposerait de découper les flux entrants de nouveaux clients en autant de « cohortes » et, pour chacune d’elles, d’analyser si le cash-flow actualisé est positif sur une période de cinq ans. WIN intégrerait par ailleurs dans son analyse la rentabilité accrue du fait de la fin de l’infraction.

–       Appréciation du Tribunal

129    À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans la mesure où le choix de la méthode de calcul du taux de couverture des coûts implique de la part de la Commission une appréciation économique complexe, il y a lieu de lui reconnaître un large pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P, Rec. p. I‑3111, point 34, et la jurisprudence citée). Le contrôle du juge doit dès lors se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir.

130    Il résulte de la jurisprudence relative aux prix prédateurs que, d’une part, des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables permettent de présumer le caractère éliminatoire d’une pratique de prix et que, d’autre part, des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables doivent être considérés comme abusifs lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent (arrêt AKZO/Commission, point 100 supra, points 71 et 72 ; arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, points 148 et 149, confirmé par arrêt de la Cour du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, C‑333/94 P, Rec. p. I‑5951, point 41).

131    Dans la décision, la Commission a présenté trois analyses différentes, afin d’éclaircir sa démarche. La première, exposée aux considérants 73 à 75 de la décision, constitue une analyse sur une base comptable simple, intégrant de façon instantanée les revenus et les coûts. Il s’agit, selon WIN elle-même, d’une mesure brute des entrées et des sorties enregistrées dans sa comptabilité. Les deux parties s’accordent à reconnaître le caractère inadapté de cette méthode. Si WIN dénie toute signification à cette première analyse, elle ne conteste pas les chiffres pris en compte. De manière générale, elle reconnaît que « la quasi-totalité des données relatives aux coûts proviennent de WIN, de rares données provenant de France Télécom ».

132    La deuxième analyse, décrite aux considérants 76 à 86 de la décision, concerne la couverture effective des coûts retraités. Selon le principe de l’amortissement d’une immobilisation, la Commission a pris l’hypothèse d’un étalement des coûts d’acquisition de la clientèle sur 48 mois. Elle a, sur cette base, examiné séparément la couverture des coûts variables retraités et celle des coûts complets retraités, en affirmant que la Cour prévoit deux tests de couverture de coût, selon que les agissements de l’entreprise dominante s’inscrivent ou non dans le cadre d’un plan visant à écarter des concurrents. C’est cette analyse qui fonde la décision de la Commission.

133    La Commission a, par ailleurs, effectué, aux considérants 97 à 106 de la décision, une troisième analyse, complémentaire, de la couverture des coûts retraités prévisibles ex ante. Certes, comme l’affirme WIN dans sa réponse aux questions posées par le Tribunal, cette troisième analyse traduit une approche très différente, puisque la Commission ne cherche pas à retracer les coûts et revenus réels. Néanmoins, cette analyse ne vise, selon la décision, qu’à « apporter un éclairage complémentaire ». En effet, la Commission expose expressément, au considérant 72 de la décision, que « seule l’approche des coûts retraités permet véritablement de conclure ». La Commission a donc recouru à la deuxième méthode, celle des coûts retraités, pour conclure à la non‑couverture des coûts. Il convient par conséquent d’en vérifier la légalité, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la légalité de l’analyse complémentaire de la couverture des coûts prévisibles ex ante.

134    Il ressort clairement des considérants 73 à 75 de la décision que l’application de la méthode comptable employée dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt AKZO/Commission, point 100 supra, et aux arrêts du 6 octobre 1994 et du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, point 130 supra, qui prend en compte les coûts tels qu’ils ressortent purement et simplement de la comptabilité de l’entreprise, aboutit, en l’espèce, à des taux de couverture très faibles, à savoir 30 % pour la période comprise entre janvier et juillet 2001, 60 % pour celle allant d’août à décembre 2001 et 83 % pour celle allant de janvier à juin 2002 (tableau 2 de la décision).

135    Toutefois, la Commission a estimé, dans le considérant 75 de la décision, que, dans un marché en phase de croissance, les coûts d’acquisition de la clientèle représentant une part significative des dépenses, « les taux de couverture indiqués au tableau 2 ne [pouvaient] donc en eux-mêmes s’avérer concluants pour qualifier des prix de prédateurs ».

136    Comme la Commission l’expose au considérant 76 de la décision, elle a considéré que, dans le présent contexte, « l’objectif pour l’entreprise n’[était] pas de réaliser immédiatement un résultat comptable positif instantané », mais « d’atteindre un niveau de couverture des coûts récurrents (coûts de réseau et coûts de production) suffisant pour que la marge dégagée sur ces coûts récurrents couvre à un horizon de temps raisonnable les coûts variables non récurrents investis dans le développement commercial des produits en cause ». La Commission a donc décidé de retraiter les coûts variables non récurrents en les étalant sur une certaine durée, selon le principe de l’amortissement.

137    La Commission a ainsi choisi d’étaler les coûts d’acquisition de la clientèle sur 48 mois, approche à laquelle WIN a souscrit tout en indiquant que la durée moyenne des abonnements serait plutôt désormais de l’ordre de cinq ans et que quatre ans serait une estimation minimale. Il convient cependant d’observer que WIN ne pratique pas de tels amortissements, les dépenses en cause étant comptabilisées au moment de leur survenance, comme des charges courantes ordinaires. De plus, certains de ses concurrents procèdent, dans leurs plans d’affaires, à un étalement dans le temps des coûts variables non récurrents, mais sur des durées inférieures à celles retenues par la Commission dans le cas d’espèce (considérant 79 et notes en bas de page nº 70 et 71 de la décision). La période d’étalement choisie n’apparaît dès lors pas erronée.

138    En appliquant cette méthode, la Commission a considéré que les prix pratiqués par WIN ne lui permettaient pas de couvrir ses coûts variables jusqu’en août 2001 ni ses coûts complets de janvier 2001 à octobre 2002 (tableaux 3 et 4 de la décision), la non‑couverture des coûts complets jusqu’en août 2001 ne faisant pas de doute compte tenu du niveau de couverture des coûts variables.

139    Il convient donc d’évaluer la méthode adoptée par la Commission au regard de l’objectif poursuivi, à savoir le test de couverture des coûts dans le cadre de l’article 82 CE, et par rapport aux critiques formulées par WIN.

140    En premier lieu, il faut constater que, contrairement à ce qu’a allégué WIN, la Commission n’a pas retenu un test de couverture statique, lequel aurait d’ailleurs été beaucoup plus défavorable à WIN (voir point 134 ci‑dessus).

141    Il ressort clairement de la décision (considérants 76 et 77) que, pour tenir compte du fait que, dans le cas des abonnements, les coûts et les revenus engendrés par l’abonné sont étalés dans le temps sur une longue durée, la Commission a décidé de retraiter les coûts d’acquisition de la clientèle sur 48 mois.

142    De plus, contrairement à ce qu’affirme WIN, la méthode ne revient nullement à additionner les coûts d’acquisition à 48 fois le montant des coûts récurrents mensuels, tels qu’ils existaient à la date de souscription de l’abonnement, et à comparer ce total à 48 fois les revenus mensuels, tels qu’ils existaient à la même date.

143    Au contraire, force est de constater, à la lecture de la décision et de ses annexes, que la Commission a intégré, pour chaque période de l’infraction considérée et pour tous les abonnés, les baisses successives de tarifs intervenues au cours de la période litigieuse. Elle a même structuré son analyse en fonction de ces baisses.

144    En effet, la fin, le 31 juillet 2001, de la première période prise en compte par la Commission pour l’analyse des coûts variables retraités (tableau 3 de la décision) coïncide avec la baisse des tarifs de la collecte nationale et régionale du trafic. La deuxième période prend en considération cette baisse des coûts en appliquant les nouveaux tarifs. La fin de la deuxième période, le 15 octobre 2001, coïncide avec le début d’une période de gratuité des frais de mise en service normalement facturés par France Télécom aux prestataires. Là encore, il est tenu compte de la baisse des coûts ainsi engendrée. Enfin, la frontière entre la troisième et la quatrième période, qui s’établit au 15 février 2002, marque le changement de tarification du service de « connectivité » internationale et le rétablissement de la facturation des frais de mise en service par France Télécom.

145    Dès lors, contrairement aux allégations de WIN, il apparaît clairement que les différentes périodes prises en considération visent précisément à tenir compte de la baisse des coûts invoquée.

146    En outre, il ressort notamment de la comparaison des annexes 1, 3, 5 et 7 de la décision, pour le service eXtense, ainsi que des annexes 2, 4, 6 et 8 de la décision, pour Wanadoo ADSL, que, à chaque période considérée, les nouveaux tarifs et autres composantes des coûts sont non seulement appliqués aux abonnements souscrits depuis le début de la période d’infraction, mais sont aussi répercutés sur l’ensemble du parc cumulé.

147    Si l’on compare, par exemple, les coûts variables récurrents figurant dans le tableau concernant le service eXtense joint en annexe 1 à la décision et portant sur la période allant du 8 janvier au 31 juillet 2001 à ceux de même nature figurant dans l’annexe 3 mais couvrant la période allant du 1er août au 15 octobre 2001, il s’avère que, d’une période à l’autre, le prix de la collecte nationale ou régionale du trafic est passé de 151 à 52,43 francs français (FRF) et celui du coût du service d’accès à l’ADSL de 185 à 140 FRF. Or, ces baisses de prix ont bien été prises en compte, non seulement pour les abonnements souscrits depuis le début de la période d’infraction (tableau 3.2 de l’annexe 3 de la décision), mais aussi pour l’ensemble du parc cumulé (tableau 3.1 de cette même annexe).

148    De même, il ressort de la comparaison des annexes 2 et 4 de la décision pour les coûts variables retraités de Wanadoo ADSL que le prix de la collecte nationale ou régionale du trafic est, pour l’ensemble du parc cumulé, passé, de la première à la deuxième période, de 151 à 52 FRF.

149    Par ailleurs, la gratuité des frais de mise en service pour les nouveaux abonnés au service eXtense (tableau 5.2 de l’annexe 5 de la décision), à compter du 15 octobre 2001, entraîne une baisse des frais de mise en service pour l’ensemble du parc cumulé (tableau 5.1 de cette même annexe) de 53,40 à 27,16 euros. En sens inverse, ces derniers frais repassent à 32,37 euros (tableau 7.1 de l’annexe 7 de la décision) lorsque les frais de mise en service pour les nouveaux abonnés au service eXtense sont rétablis à compter du 15 février 2002 (tableau 7.2 de cette même annexe).

150    Quant au coût de la « connectivité » internationale, la comparaison des annexes 5 et 7 de la décision pour le service eXtense ainsi que celle des annexes 6 et 8 de la décision pour Wanadoo ADSL montrent que la baisse de 3,19 à 1,62 euro, intervenue entre la troisième et la quatrième période, a été répercutée non seulement sur les nouveaux abonnés mais aussi sur l’ensemble du parc cumulé (tableau 7.1 de l’annexe 7 ou tableau 8.1 de l’annexe 8 de la décision, selon le produit).

151    La Commission a donc tenu compte des différentes modifications tarifaires dans son évaluation des coûts.

152    À cet égard, il convient de souligner que c’est à bon droit que la Commission considère que les recettes et les coûts postérieurs à l’infraction ne sauraient entrer en ligne de compte pour évaluer le taux de couverture des coûts pendant la période considérée. En effet, selon la jurisprudence, l’article 82 CE vise la position détenue, sur le marché commun, par l’entreprise concernée au moment où celle‑ci a commis l’infraction prétendument abusive (arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 450). WIN ne saurait donc inclure dans ses calculs des prix et des coûts postérieurs au mois d’octobre 2002. Dès lors, les allégations de la requérante fondées sur les prix et les coûts postérieurs au mois d’octobre 2002 ne sauraient remettre en cause l’appréciation de la Commission.

153    Enfin, quant à l’allégation de WIN selon laquelle seule la méthode des cash-flows actualisés serait pertinente pour calculer les taux de couverture dans le cas d’espèce, il y a lieu d’observer que, quand bien même WIN établirait le caractère adapté à certains égards de la méthode qu’elle préconise, cela ne saurait suffire à prouver l’illégalité de la méthode utilisée en l’espèce par la Commission. Il incombe à la requérante d’établir cette illégalité. Or, l’examen qui précède a révélé que la Commission n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en choisissant cette méthode.

154    En conclusion, WIN n’a pas démontré que, en utilisant les données enregistrées dans la comptabilité de WIN en les corrigeant d’une façon favorable à celle‑ci de manière à tenir compte du contexte particulier du marché en cause, tout en respectant les impératifs de l’examen requis par l’article 82 CE, la Commission a appliqué, en l’espèce, un test de couverture des coûts illégal.

155    À titre surabondant, force est de constater, d’une part, qu’il ne ressort pas de la jurisprudence que le recours à la méthode des cash-flows actualisés s’imposait en l’espèce et, d’autre part, que WIN n’a avancé aucun argument établissant que la Commission a commis une erreur manifeste d’appréciation à cet égard.

156    Par conséquent, les allégations relatives à la méthode de calcul du taux de couverture des coûts doivent être rejetées.

 Sur les erreurs de calcul lors de la mise en œuvre de la méthode retenue

–       Arguments des parties

157    Selon WIN, la Commission a commis des erreurs dans la mise en œuvre de sa propre méthode de calcul, notamment dans ses calculs des coûts fixes et variables. La Commission aurait sélectionné des valeurs différentes pour représenter les mêmes coûts, de façon systématiquement défavorable à WIN. Elle aurait aussi déduit de manière arbitraire des écarts censés traduire des mois d’abonnement gratuits offerts aux clients. Ces erreurs expliqueraient en grande partie le constat de non‑couverture des coûts auquel parvient la Commission. Pour plus de développements sur ces erreurs de calcul, WIN renvoie à l’une des annexes de sa requête.

158    La Commission estime que la requête elle-même n’identifie pas les prétendues erreurs de calcul commises dans la décision, le renvoi à la pièce annexée étant général. Ce moyen subsidiaire devrait donc être déclaré irrecevable.

159    En outre, selon la Commission, WIN ne va pas jusqu’à prétendre que la correction de ces erreurs aurait abouti à un résultat différent, le taux de couverture restant inférieur à 100 %. Ce moyen serait ainsi, en tout état de cause, inopérant.

160    Dans sa réplique, WIN a répondu que, seul le détail des erreurs de calcul figurant en annexe, le moyen, présenté de manière précise dans la requête, était recevable. Il n’est, à son avis, pas non plus inopérant. En effet, ce moyen démontrerait que les taux de couverture des coûts complets passent d’une fourchette de 90 à 91 % à une fourchette de 98 à 99 %. Or la Commission aurait estimé qu’un taux de couverture de 99,7 % ne constituait pas une infraction.

161    WIN a contesté, dans sa réplique, l’inclusion de la publicité dans les coûts variables et le calcul de la moyenne des taux de couverture des coûts pour les deux services en cause.

–       Appréciation du Tribunal

162    À titre liminaire, il convient de distinguer la mise en œuvre de la méthode de détermination du taux de couverture des coûts et les calculs proprement dits, qui se limitent à de simples opérations mathématiques. Il ressort des écritures de WIN qu’elle ne met pas en cause en substance les calculs arithmétiques, mais la prise en considération de certains éléments erronés.

163    La mise en œuvre de la méthode de détermination du taux de couverture des coûts, à la différence des calculs eux-mêmes, implique, de la part de la Commission, une appréciation économique complexe et il y a lieu de lui reconnaître un large pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt Deere/Commission, point 129 supra, point 34). Le contrôle du juge doit dès lors se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, ainsi que de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir.

164    Indépendamment de la recevabilité du présent moyen, il y a lieu de relever que, comme l’affirme la Commission, quand bien même toutes les erreurs alléguées seraient prises en compte et prouvées, le taux de couverture des coûts complets auquel parviendrait WIN resterait, selon WIN elle-même, inférieur à 99 % et même à 98 % pour le service eXtense. Cela laisserait par conséquent subsister le grief de non‑couverture des coûts complets sur toute la période considérée.

165    À cet égard, le fait que, faisant usage de son pouvoir d’appréciation, la Commission ait pu admettre qu’un taux de couverture des coûts variables de 99,7 % ne constituait pas une infraction ne saurait l’obliger à faire de même pour un taux de 98 ou 99 %, selon le cas, des coûts complets. Il y a dès lors lieu de rejeter ce moyen comme étant inopérant.

166    À titre surabondant, quant à la prétendue irrecevabilité de ce moyen, en vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice et de l’article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui (ordonnance du Tribunal du 29 novembre 1993, Koelman/Commission, T‑56/92, Rec. p. II‑1267, point 21).

167    Il convient également de rappeler que, si la requête peut être étayée et complétée, sur des points spécifiques, par des renvois à des extraits de pièces qui y sont annexées, les annexes ont une fonction purement probatoire et instrumentale (arrêt du Tribunal du 7 novembre 1997, Cipeke/Commission, T‑84/96, Rec. p. II‑2081, point 34). Les annexes ne sauraient dès lors servir à développer un moyen sommairement exposé dans la requête en avançant des griefs ou des arguments ne figurant pas dans celle‑ci. La requérante doit indiquer dans sa requête les griefs précis sur lesquels le Tribunal est appelé à se prononcer ainsi que, de manière à tout le moins sommaire, les éléments de droit et de fait sur lesquels ces griefs sont fondés (arrêt de la Cour du 31 mars 1992, Commission/Danemark, C‑52/90, Rec. p. I‑2187, point 17, et ordonnance du Tribunal du 28 avril 1993, De Hoe/Commission, T‑85/92, Rec. p. II‑523, point 20).

168    Dès lors, ce moyen est recevable dans la limite des erreurs clairement énoncées dans la requête, à savoir la sélection de valeurs différentes pour représenter les mêmes coûts et la déduction d’écarts censés traduire des mois d’abonnement gratuits offerts aux clients. Il n’est en revanche pas recevable pour ce qui concerne l’inclusion de la publicité dans les coûts variables et le calcul de la moyenne des taux de couverture des coûts pour les deux services examinés, éléments qui ne sont mentionnés et développés que dans l’une des annexes à la requête.

169    Il y a dès lors lieu de rejeter ce moyen comme étant en partie irrecevable et, en tout état de cause, inopérant, comme indiqué au point 165.

b)     Sur les griefs relatifs au test de prédation

170    Selon WIN, la Commission a commis une erreur de droit et des erreurs manifestes d’appréciation dans la mise en œuvre du test de prédation devant entraîner l’annulation de la décision pour violation de l’article 82 CE. WIN invoque la justification tirée d’un droit d’alignement de WIN sur les prix de ses concurrents, l’absence de plan de prédation et de réduction de la concurrence et la nécessité de prouver la récupération des pertes.

 Sur la justification tirée d’un droit d’alignement de WIN sur les prix de ses concurrents

–       Arguments des parties

171    Selon WIN, le droit pour un opérateur, quel qu’il soit, de s’aligner de bonne foi sur le prix antérieurement pratiqué par un concurrent est l’essence du processus concurrentiel. Ce droit serait reconnu par la Commission elle-même dans sa pratique décisionnelle, par la jurisprudence et par les enseignements unanimes de la doctrine et de l’analyse économique. Le fait que les prix pratiqués par les concurrents correspondent à des prix qui seraient inférieurs aux coûts de l’entreprise concernée ne revêtirait aucune importance à cet égard.

172    C’est la raison pour laquelle la Commission elle-même aurait, dans sa décision 83/462/CEE, du 29 juillet 1983, relative à une procédure au titre de l’article [82 CE] (IV/30.698 – ECS/Akzo – Mesures provisoires, JO L 252, p. 13), expressément autorisé l’entreprise dominante concernée à pratiquer des prix inférieurs à ses coûts pour s’aligner de bonne foi sur le prix préalablement pratiqué par les concurrents. Pour sa part, la Cour, dans le cadre du recours contre cette décision, aurait précisément relevé que la Commission ne met pas en cause, sur le plan des principes, le droit d’une entreprise dominante à l’alignement et aurait elle-même consacré de manière très claire ce principe.

173    Par ailleurs, dans ses constatations surabondantes, la Commission aurait dénaturé les faits en contestant à tort l’alignement de WIN sur ses concurrents.

174    La Commission considère que, si l’alignement sur les prix des concurrents n’est pas, dans l’absolu, interdit à une entreprise en position dominante, cette possibilité ne lui est pas ouverte si elle implique la pratique de prix inférieurs aux coûts du service en cause. En l’espèce, selon la Commission, la politique de prix de l’entreprise dominante ne lui permettant pas de couvrir ses coûts, l’alignement sur des prix promotionnels d’un autre opérateur non dominant ne serait pas justifié. Par ailleurs, la Commission a estimé que les concurrents de WIN n’étaient pas en position dominante et a contesté, à titre surabondant, l’exactitude des affirmations de WIN selon lesquelles ses pratiques de prix ne constituaient qu’un alignement sur ceux de ses concurrents.

175    En toute hypothèse, selon la Commission, la discussion relative à l’alignement est stérile. La décision se limiterait en effet à reprocher à WIN le maintien de ses prix après le mois de mars 2001, à une époque où les sociétés Noos et Mangoosta avaient augmenté leurs prix de plus de 20 % et où il ne saurait plus être question d’alignement. Elle renvoie à cet égard au considérant 331 de la décision.

–       Appréciation du Tribunal

176    Force est de constater d’abord que la Commission ne conteste nullement le droit pour un opérateur de s’aligner sur le prix antérieurement pratiqué par un concurrent. Elle affirme, au considérant 315 de la décision, que, « [s]’il est vrai qu’il n’est pas, dans l’absolu, interdit à l’opérateur dominant de s’aligner sur les prix de ses concurrents, il n’en reste pas moins que cette faculté doit lui être refusée lorsqu’elle implique une non‑couverture par l’entreprise dominante des coûts du service en cause ».

177    WIN estime toutefois que la Commission méconnaît ainsi sa pratique décisionnelle et la jurisprudence de la Cour.

178    À cet égard, il y a lieu d’observer que, dans les précédents invoqués par WIN, la consécration d’un droit à l’alignement pour une entreprise dominante était limitée. Cette observation vaut à la fois pour la décision 83/462 ordonnant des mesures provisoires et pour l’arrêt de la Cour y ayant fait suite (arrêt AKZO/Commission, point 100 supra, point 134).

179    En effet, dans la décision 83/462, la Commission n’autorisait pas un alignement général des prix d’AKZO sur les prix des concurrents mais seulement un alignement dans le cas d’un client particulier sur les prix d’un autre producteur qui serait en mesure de l’approvisionner. De plus, cette autorisation d’alignement dans des conditions très précises ne figurait pas dans la décision finale rendue dans la même affaire [décision 85/609/CEE de la Commission, du 14 décembre 1985, relative à une procédure d’application de l’article [82 CE] (IV/30.698 − ECS/AKZO Chemie), JO L 374 p. 1].

180    WIN ne saurait dès lors prétendre sur cette seule base que, dans sa pratique décisionnelle, la Commission aurait reconnu aux entreprises dominantes un droit de s’aligner sur les prix de ses concurrents, quand bien même cela les conduirait à pratiquer des prix inférieurs à leurs coûts.

181    Dans l’arrêt AKZO/Commission, point 100 supra, qui est la seule illustration jurisprudentielle citée par WIN à l’appui de sa thèse, la Cour n’a certes pas remis en cause, sur le plan des principes, le droit d’une entreprise dominante à l’alignement. Toutefois, ayant considéré que la Commission avait à juste titre constaté l’absence d’une offre concurrente, la Cour n’a pas dû se prononcer sur la légalité d’un alignement sur les prix des concurrents de la part d’une entreprise dominante dans le cas où un tel alignement impliquait des prix inférieurs aux coûts.

182    Il ne saurait donc être affirmé que le droit d’alignement d’une entreprise dominante sur les prix de la concurrence est absolu et qu’il a été reconnu comme tel par la Commission dans sa pratique décisionnelle et par la jurisprudence, spécialement lorsque ce droit aboutirait à justifier le recours à des prix prédateurs interdits par ailleurs par le traité.

183    Dans le cas d’espèce, la Commission considère que cette faculté d’alignement doit être refusée à l’entreprise dominante lorsqu’elle implique une non‑couverture par l’entreprise dominante des coûts du service en cause.

184    Il convient donc de vérifier la compatibilité de cette restriction avec le droit communautaire.

185    Il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si une position dominante ne saurait priver une entreprise se trouvant dans une telle position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et s’il faut lui accorder, dans une mesure raisonnable, la faculté d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de protéger lesdits intérêts, l’on ne peut admettre de tels comportements lorsqu’ils ont précisément pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser (arrêt United Brands/Commission, point 101 supra, point 189 ; arrêts du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T‑65/89, Rec. p. II‑389, point 117, et Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, point 104 supra, point 146).

186    Les obligations spécifiques imposées aux entreprises en position dominante ont été confirmées par la jurisprudence à plusieurs reprises. Le Tribunal a déclaré, dans son arrêt du 17 juillet 1998, ITT Promedia/Commission (T‑111/96, Rec. p. II‑2937, point 139), qu’il résulte de la nature des obligations imposées par l’article 82 CE que, dans des circonstances spécifiques, les entreprises en position dominante peuvent être privées du droit d’adopter des comportements, ou d’accomplir des actes, qui ne sont pas en eux-mêmes abusifs et qui seraient même non condamnables s’ils étaient adoptés, ou accomplis, par des entreprises non dominantes.

187    WIN ne saurait invoquer un droit absolu à s’aligner sur les prix de ses concurrents pour justifier son comportement. S’il est vrai que l’alignement de l’entreprise dominante sur les prix des concurrents n’est pas en soi abusif ou condamnable, il ne saurait être exclu qu’il le devienne lorsqu’il ne vise pas seulement à protéger ses intérêts, mais a pour but de renforcer cette position dominante et d’en abuser.

 Sur la prétendue absence de plan de prédation et de réduction de la concurrence

–       Arguments des parties

188    Selon WIN, la prédation suppose une réduction significative de la concurrence. À son avis, s’il n’existe aucune possibilité que les concurrents soient évincés ou, à tout le moins, freinés ou contraints dans leur comportement, une stratégie de prédation ne peut en aucun cas être considérée comme rationnelle. Dès lors, en sanctionnant WIN alors même qu’elle reconnaît que sa part de marché a baissé de façon importante pendant la période d’infraction alléguée et que la concurrence à l’issue de la période visée est vive, la Commission aurait commis une violation grave de l’article 82 CE. WIN n’aurait eu aucune chance d’éliminer ses concurrents du marché en maintenant des prix trop bas. En outre, les barrières à l’entrée étant faibles dans ce secteur, il serait particulièrement irrationnel de chercher à évincer des concurrents sur un segment de ce type, car cela impliquerait, quand bien même il y aurait exclusion, de faire face à une entrée possible à tous les instants, ce qui annulerait l’intérêt éventuel d’une éviction des concurrents.

189    La Commission commettrait une grave erreur d’appréciation en reprochant à WIN l’éviction de la société Mangoosta. En effet, la faillite de cette entreprise ne serait due qu’à une politique stratégique particulièrement risquée et en aucun cas à la tarification de WIN.

190    WIN conteste en outre le fait que la Commission impute la lenteur de la progression de certains concurrents à l’impossibilité de ces derniers de s’aligner sur les prix de WIN. La Commission n’aurait pas tenu compte de la volonté des concurrents de WIN de se concentrer sur le développement du bas débit, au détriment de l’ADSL, considéré comme non porteur.

191    La Commission aurait également commis une erreur manifeste d’appréciation en considérant comme prédateurs des prix qui étaient parfaitement rationnels dans un contexte de concurrence forte, qui ont contribué à développer le marché et qui sont à l’origine de la forte concurrence qui existe aujourd’hui. Le consommateur n’aurait en tout état de cause jamais été lésé, puisqu’il a profité de prix bas.

192    Enfin, selon WIN, la stratégie qu’elle a adoptée ne peut en aucun cas être considérée comme révélatrice d’une quelconque intention de prédation. La Commission se serait contentée de relever des éléments tendant à prouver une supposée intention de WIN d’éliminer ses concurrents, mais n’aurait pas mis en évidence un plan d’éviction objectif. L’essentiel de l’argumentation de la Commission relative à la prétendue intention d’éviction reposerait sur une sélection arbitraire et biaisée des documents internes saisis dans les locaux de WIN.

193    La Commission estime pour sa part que la démonstration des effets concrets des prix prédateurs pratiqués par WIN n’est pas déterminante aux fins de la constatation de l’infraction en cause. Elle allègue que l’article 82 CE doit être appliqué dès qu’il y a un risque d’élimination de la concurrence, sans qu’il soit nécessaire d’attendre que l’objectif d’éviction soit atteint.

194    Concernant le plan de prédation, la Commission avance qu’il résulte de la jurisprudence que l’élément intentionnel est présumé dans le cas de prix inférieurs aux coûts variables moyens et doit être prouvé sur la base d’indices sérieux et concordants dans le cas de prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables. La Commission estime avoir exposé dans la décision des indices sérieux qui prouvent que l’entreprise s’était engagée intentionnellement dans une stratégie de « préemption » du marché et d’endiguement de la concurrence.

–       Appréciation du Tribunal

195    Quant aux conditions d’application de l’article 82 CE et à la distinction entre l’objet et l’effet de la pratique abusive, il convient de souligner que, aux fins de l’application dudit article, la démonstration de l’objet et de l’effet anticoncurrentiel peut, le cas échéant, se confondre. En effet, s’il est démontré que l’objet poursuivi par le comportement d’une entreprise en position dominante est de restreindre la concurrence, ce comportement sera également susceptible d’avoir un tel effet. Ainsi, concernant les pratiques en matière de prix, la Cour a jugé dans son arrêt AKZO/Commission, point 100 supra, que des prix inférieurs à la moyenne des coûts variables pratiqués par une entreprise détenant une position dominante sont considérés per se comme abusifs, parce que le seul intérêt que peut avoir l’entreprise à pratiquer de tels prix est d’éliminer ses concurrents, et que des prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux mais supérieurs à la moyenne des coûts variables sont abusifs lorsqu’ils sont fixés dans le cadre d’un plan ayant pour but d’éliminer un concurrent. Aucune démonstration des effets concrets des pratiques en cause n’a été exigée par la Cour dans cette affaire (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, points 241 et 242).

196    Par ailleurs, il y a lieu d’ajouter que, lorsqu’une entreprise en position dominante met effectivement en œuvre une pratique dont l’objet est d’évincer un concurrent, la circonstance que le résultat escompté n’est pas atteint ne saurait suffire à écarter la qualification d’abus de position dominante au sens de l’article 82 CE (arrêts du Tribunal Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, point 104 supra, point 149, et du 7 octobre 1999, Irish Sugar/Commission, T‑228/97, Rec. p. II‑2969, point 191).

197    Il en ressort clairement que, s’agissant des prix prédateurs, le premier élément de la pratique abusive mise en oeuvre par l’entreprise dominante est constitué par la non‑couverture de ses coûts. Dans le cas de la non‑couverture des coûts variables, le second élément, c’est-à-dire l’intention de prédation, est présumé, tandis que, pour les prix inférieurs à la moyenne des coûts complets, il faut prouver l’existence d’un plan d’éviction de la concurrence. Selon l’arrêt du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission (point 130 supra, point 151), cette intention d’élimination doit être établie sur la base d’indices sérieux et concordants.

198    En l’espèce, la Commission a établi la position dominante de WIN et a retenu à sa charge, dans l’article 1er de la décision, la non‑couverture de ses coûts variables jusqu’en août 2001 ainsi que la non‑couverture de ses coûts complets à partir de cette date et jusqu’en octobre 2002. Pour la période de non‑couverture des coûts complets, elle était donc tenue, afin d’établir l’infraction, de fournir des indices sérieux de l’existence d’une stratégie de « préemption » du marché.

199     Au considérant 110, la décision fait état de plusieurs documents, répartis sur l’ensemble de la période litigieuse, qui attestent de l’existence d’une stratégie de « préemption » du marché du haut débit par WIN, en particulier :

–        un document de juillet 2000 exprimant l’objectif suivant pour le second semestre de l’année 2000 et pour l’année 2001 : « préempter le marché ADSL avec offre tout compris [plus] pack et accélérer les placements 2001, mais bilan financier négatif » ;

–        un courrier électronique de juillet 2000, relatif à une discussion sur le niveau adéquat de prix, indiquant : « nous aurons du mal à préempter ce marché avec un prix trop cher » ;

–        la lettre de cadrage pour 2001 comportant les indications suivantes : « notre préemption du marché de l’ADSL est une nécessité » ;

–        une présentation du 28 février 2001 évoquant une « campagne de préemption du territoire haut débit par [WIN] » ;

–        le plan stratégique pour 2002-2004 rappelant pour la période 2001‑2003 le fort développement du haut débit et l’objectif de « préemption d’un marché considéré comme générateur de valeur ».

200    Par ailleurs, des documents de WIN prouvent qu’elle cherchait à acquérir puis à conserver des parts de marché très importantes. La lettre de cadrage pour 2001 indique, par exemple, que « 70 […] à 80 % du marché de l’ADSL doit revenir à [WIN] ». Une présentation du président directeur général de WIN au comité exécutif de France Télécom datée de juin 2001 évoque une part de marché de 80 % sur toute la période 2001-2004 sur le créneau des « offres ‘dissociées’ de type Wanadoo ADSL » et une part de marché augmentant de 50 % en moyenne en 2001 à 72 % en 2004 sur le créneau des « offres ‘packagées’ de type eXtense ».

201    Certes, WIN a contesté la portée de ces documents et notamment la signification du terme « préemption » qui y est employé. Selon elle, de tels propos informels et spontanés, voire même irréfléchis, ne seraient que le reflet de la dialectique du processus décisionnel. Ils n’engageraient que leurs auteurs et non l’entreprise.

202    Toutefois, il convient de relever que ces propos émanent de cadres appartenant au personnel de direction de l’entreprise et que certains ont été prononcés dans le cadre de présentations formelles pour des instances de décision ou d’une lettre de cadrage très élaborée. Leur caractère spontané et irréfléchi paraît donc douteux.

203    Par ailleurs, WIN a allégué, dans sa requête et surtout dans certaines annexes de sa requête, que la plupart des documents et déclarations prétendument à charge sont sortis de leur contexte et que la Commission a sciemment omis de prendre en compte de nombreuses déclarations à décharge.

204    Force est de constater que, dans sa requête, WIN s’est contentée de faire valoir que la Commission utilise de nombreux extraits de documents internes qu’elle s’abstient de replacer dans leur véritable contexte. Une affirmation aussi vague ne saurait permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de se prononcer, le cas échéant sans autres informations à l’appui (ordonnance Koelman/Commission, point 166 supra, point 21). Il serait contraire à la fonction purement probatoire et instrumentale des annexes que celles-ci puissent servir à faire la démonstration détaillée d’une allégation présentée de manière insuffisamment claire et précise dans la requête.

205    Il y a donc lieu de rejeter ce grief que WIN entend tirer de la prise en considération, hors de leur contexte, de documents prétendument à charge et de la non‑prise en compte de nombreuses déclarations à décharge.

206    À titre surabondant, il y a lieu de relever que, même en replaçant dans son contexte le passage « nous aurons du mal à préempter ce marché avec un prix trop cher », c’est-à-dire en le faisant précéder de « nous sommes surpositionnés en terme de tarif » et en le faisant suivre de « nos concurrents seront en dessous en terme tarifaire », l’idée d’une intention d’éviction de la concurrence ne disparaît pas.

207    De même, le passage « notre préemption du marché de l’ADSL est une nécessité » ne peut pas être lu d’une manière différente qu’une intention de « préemption » même si on le replace dans le contexte avancé par WIN d’une concurrence généralisée. Le fait que la déclaration visée par la Commission soit suivie de la déclaration selon laquelle « la mise en œuvre de la concurrence sur l’ADSL va déclencher un mouvement de baisse des tarifs de Netissimo (au détail et en gros) dès début 2001 » et « la fixation des conditions tarifaires du dégroupage de la boucle locale [va] sans doute aussi contribuer à la baisse des tarifs ADSL » ne vient pas infirmer la nécessité affichée de WIN de « préempter » le marché.

208    Quant au passage selon lequel « 70 […] à 80 % du marché de l’ADSL doit revenir à Wanadoo », il n’est pas réellement contesté. WIN affirme simplement qu’aucune mention n’est faite d’un éventuel recours à des prix bas et qu’il n’y a dès lors pas de lien entre les prix fixés et ses objectifs en termes de part de marché. Néanmoins, le fait que la manière de parvenir à obtenir 70 à 80 % du marché de l’ADSL ne soit pas mentionnée n’enlève rien à l’objectif poursuivi.

209    En tout état de cause, ces déclarations, qui figurent dans des documents internes de la société, constituent un indice de l’existence d’un plan de prédation, que d’autres éléments viennent conforter.

210    Selon les considérants 279 et suivants de la décision, l’intention d’endiguement de la concurrence résulte également du fait que WIN savait que sa stratégie de tarification non rentable combinée à des volumes de ventes importants n’était pas soutenable économiquement pour ses concurrents.

211    Dans un courrier électronique destiné au président directeur général de WIN, daté de fin avril 2001(considérant 279 de la décision et note en bas de page nº 319), le responsable des services ADSL évoque les concurrents qui soit ne signent pas l’offre de service support de France Télécom soit sont « à bout de souffle ».

212    WIN savait aussi que l’impossibilité de suivre ses tarifs de détail sans subir de pertes retenait AOL d’entrer sur le marché du haut débit. En effet, un courrier électronique de France Télécom au directeur du marketing stratégique de WIN du 29 juin 2001 comporte en pièce jointe une intervention du président directeur général d’AOL France ainsi libellée (note en bas de page nº 321 de la décision) :

« Du temps où notre actionnaire était Cégétel, nous avions lancé une offre avec Monaco Telecom et disposions de 500 abonnés. Nous ne l’avons pas lancée en France car l’offre de revente ADSL de France Télécom ne nous permet pas aujourd’hui de gagner de l’argent. Techniquement, nous sommes prêts, mais nous n’avons pas vocation à perdre de l’argent. »

213    Il ressort également d’un document intitulé « Analyse de note – Télécoms – Un point sur la réglementation de l’internet en France », du 20 juillet 2001, que WIN avait analysé en détail les avantages dont elle bénéficiait en sa qualité de premier acteur du marché (considérant 280 et note en bas de page nº 322 de la décision). Ce document mettait en évidence qu’un concurrent disposant d’un trafic moindre que celui de WIN bénéficierait de marges sur les coûts de réseau inférieures de plusieurs points à celles prévues pour WIN.

214    Il résulte de ce qui précède que l’affichage par WIN en 2001, et au début de l’année 2002, d’objectifs commerciaux assez ambitieux, qu’une entreprise non dominante pouvait avoir des difficultés à atteindre dans les conditions de rentabilité défavorables du moment, avait pour effet de décourager les entreprises rivales. Cela procédait de l’objectif d’éviction de la concurrence poursuivi par l’entreprise.

215    Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, force est de constater que la Commission a fourni des indices sérieux et concordants de l’existence d’un plan de prédation pendant toute la période d’infraction. La logique à laquelle obéit cette stratégie ressort clairement d’une note de la direction stratégique de WIN datée de décembre 2001, selon laquelle :

« Le haut débit et le marché de l’ADSL obéiront encore pour quelques années à une logique de conquête, l’objectif stratégique étant de gagner une position dominante en part de marché, la phase de rentabilité n’intervenant que plus tard. »

216    Conformément à l’arrêt AKZO/Commission, point 100 supra, et aux arrêts du 6 octobre 1994 et du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, point 130 supra, la Commission a donc établi les deux éléments que requiert la preuve d’une pratique de prix prédateurs inférieurs aux coûts complets par une entreprise dominante.

217    Les arguments avancés par WIN sur les économies d’échelle et les effets d’apprentissage qui justifieraient en l’espèce la tarification en dessous des coûts ne sont pas de nature à remettre en cause la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal. En effet, l’entreprise qui pratique des prix prédateurs peut bénéficier d’économies d’échelle et d’effets d’apprentissage en raison d’une production accrue précisément grâce à cette pratique. Les économies d’échelle et les effets d’apprentissage obtenus ne sauraient donc exonérer l’entreprise de sa responsabilité au regard de l’article 82 CE.

218    Il s’ensuit que le grief tiré de l’absence de plan de prédation ne saurait être accueilli.

  Sur la récupération des pertes

–       Arguments des parties

219    WIN avance que la récupération des pertes est un élément à part entière du test de prédation dont la Commission doit apporter la preuve. Elle estime que, si l’entreprise en position dominante ne peut raisonnablement espérer, en particulier parce que l’entrée sur le marché considéré est aisée, réduire la concurrence à long terme afin de récupérer ses pertes, il n’est pas rationnel pour elle de s’engager dans une politique de prix prédateurs. Dans cette hypothèse, la politique de prix bas menée par l’entreprise trouverait nécessairement son explication en dehors d’une stratégie de prédation.

220    Selon WIN, cette position est partagée par l’ensemble de la doctrine économique et juridique ainsi que par de nombreuses juridictions et autorités de concurrence, parmi lesquelles figurent celles des États‑Unis mais aussi de plusieurs États membres de l’Union européenne. La jurisprudence communautaire elle-même n’aurait jamais exclu qu’une telle démonstration doive être faite.

221    Or, les conditions de concurrence sur le marché de l’accès à Internet à haut débit seraient totalement différentes de celles dont le Tribunal et la Cour ont eu à connaître dans les précédentes affaires de prédation. En effet, les barrières à l’entrée de ce marché seraient faibles, la croissance serait forte, la situation concurrentielle ne serait pas figée et les nouveaux entrants actuels et potentiels seraient nombreux. La Commission commettrait donc une grave erreur de droit en soutenant que la démonstration de la récupération des pertes n’est pas nécessaire.

222    Par ailleurs, selon WIN, la Commission a commis une autre erreur manifeste d’appréciation doublée d’une erreur de droit, en estimant avoir rapporté la preuve d’une possibilité de récupération des pertes.

223    La Commission affirme que la démonstration d’une récupération des pertes n’est pas un préalable à la constatation de prix prédateurs contraires à l’article 82 CE. Elle estime que la jurisprudence est claire à cet égard. À titre subsidiaire, la Commission relève que la récupération des pertes est en l’espèce rendue plausible par la structure du marché et par les perspectives de revenus qui lui sont associées.

–       Appréciation du Tribunal

224    Dans l’arrêt AKZO/Commission, point 100 supra (points 71 et 72), la Cour a consacré l’existence de deux méthodes d’analyse différentes lorsqu’il s’agit de vérifier si une entreprise a pratiqué des prix prédateurs. En premier lieu, les prix inférieurs à la moyenne des coûts variables doivent toujours être considérés comme abusifs. Dans ce cas, une finalité économique autre que l’élimination d’un concurrent n’est pas concevable, car chaque unité produite et vendue entraîne une perte pour l’entreprise. En second lieu, les prix inférieurs à la moyenne des coûts totaux, mais supérieurs à la moyenne des coûts variables ne doivent être considérés comme abusifs que lorsqu’un plan d’élimination peut être démontré (arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, point 130 supra, point 41).

225    Dans son arrêt du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, point 130 supra (points 42 et 43), la Cour a constaté que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal avait suivi le même raisonnement, raisonnement qu’elle a avalisé. La Cour a expliqué que :

« 42  Pour les ventes de cartons non aseptiques en Italie entre 1976 et 1981, [le Tribunal] a constaté que les prix étaient largement inférieurs à la moyenne des coûts variables. La preuve de l’intention d’éliminer les concurrents n’était donc pas nécessaire. En 1982, les prix de ces cartons se situaient entre la moyenne des coûts variables et la moyenne des coûts totaux. C’est la raison pour laquelle, au point 151 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est efforcé, sans d’ailleurs être critiqué à cet égard par la requérante, d’établir que Tetra Pak avait l’intention d’éliminer un concurrent.

43       C’est également à juste titre que le Tribunal a, aux points 189 à 191 de l’arrêt attaqué, suivi exactement le même raisonnement quant aux ventes de machines non aseptiques au Royaume-Uni entre 1981 et 1984. »

226    S’agissant de la récupération des pertes, la Cour a ajouté, au point 44 de l’arrêt précité :

« [D]ans les circonstances de la présente espèce, il ne serait pas opportun d’exiger en outre, à titre de preuve supplémentaire, qu’il soit démontré que Tetra Pak avait une chance réelle de récupérer ses pertes. En effet, une pratique de prix prédatoires doit pouvoir être sanctionnée dès qu’il y a risque d’élimination des concurrents. Or, un tel risque a été constaté en l’espèce par le Tribunal aux points 151 et 191 de l’arrêt attaqué. L’objet recherché, qui est de préserver une concurrence non faussée, ne permet pas d’attendre qu’une telle stratégie aboutisse à l’élimination effective des concurrents. »

227    En suivant la jurisprudence communautaire, la Commission pouvait donc considérer comme abusifs les prix inférieurs à la moyenne des coûts variables. Dans ce cas, le caractère éliminatoire d’une telle pratique de prix est présumé (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, point 130 supra, point 148). En ce qui concerne les coûts complets, la Commission devait apporter en plus la preuve que la pratique de prix prédateurs de WIN s’inscrivait dans le cadre d’un plan visant à « préempter » le marché. Dans les deux hypothèses, il n’était pas nécessaire d’établir, à titre de preuve supplémentaire, que WIN avait une chance réelle de récupérer ses pertes.

228    C’est dès lors à bon droit que la Commission a considéré que la démonstration d’une récupération des pertes n’était pas un préalable à la constatation d’une pratique de prix prédateurs.

229    En revanche, selon les arrêts du 6 octobre 1994 et du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, point 130 supra, et AKZO/Commission, point 100 supra, il convient de vérifier, dans le cas des prix inférieurs aux coûts complets mais supérieurs aux coûts variables, s’ils s’inscrivent dans le cadre d’un plan d’élimination de la concurrence. Or, au point 215 ci-dessus, le Tribunal est parvenu à la conclusion que la Commission a fourni des indices sérieux et concordants de l’existence d’un plan de prédation pendant toute la période d’infraction.

230    Il y a dès lors lieu de rejeter l’ensemble des moyens avancés au soutien de la demande d’annulation de la décision.

II –  Sur les conclusions subsidiaires tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende

231    À titre subsidiaire, WIN conteste le montant de l’amende qui lui a été infligée et demande la suppression ou une réduction très substantielle de cette sanction. Elle invoque à l’appui de ces conclusions la violation des principes de personnalité et de légalité des peines, l’absence d’effets des pratiques en cause, la fixation erronée de la durée de l’infraction et la violation du principe de proportionnalité.

A –  Violation des principes de personnalité et de légalité des peines

1.     Sur la violation du principe de personnalité des peines

a)     Arguments des parties

232    Selon WIN, la Commission a violé le principe de personnalité des peines en se fondant sur des comportements de France Télécom pour la sanctionner. D’une part, la Commission aurait admis que c’est l’intervention de France Télécom qui a mis fin à l’infraction. D’autre part, la Commission aurait pris en compte le comportement de France Télécom pour apprécier le caractère intentionnel de l’infraction prétendument commise par WIN.

233    La Commission rejette ce moyen en renvoyant essentiellement à sa réponse au même moyen avancé par WIN dans le cadre de ses conclusions principales. La Commission ajoute que l’intention d’exclusion de WIN est abondamment étayée par des documents internes de l’entreprise, les références occasionnelles à France Télécom n’étant nullement déterminantes.

b)     Appréciation du Tribunal

234    Ce moyen coïncide en grande partie avec celui invoqué à titre principal par WIN dans le cadre de ses conclusions en annulation. Il y a donc lieu de renvoyer aux points 66 à 71 ci‑dessus.

235    Par ailleurs, fixer la fin de l’infraction de WIN à la date de la baisse des tarifs pratiquée par France Télécom ne revient pas à se fonder sur le comportement de cette dernière pour sanctionner WIN. L’infraction en cause est très clairement imputée à WIN et non à France Télécom. WIN aurait pu faire cesser l’infraction elle-même avant l’intervention de France Télécom et sans cette intervention. Le fait que la fin de l’infraction ne résulte pas d’un comportement de WIN n’enlève rien à son infraction. L’infraction est directement liée au niveau des coûts. Comme certains de ces coûts procèdent directement des prix fixés par des entreprises fournisseuses, la fin de l’infraction peut logiquement résulter dans certains cas du comportement de ces entreprises.

236    Il y a donc lieu de rejeter cet argument tiré de la violation du principe de personnalité des peines.

2.     Sur le moyen tiré de la violation du principe de légalité des peines

a)     Arguments des parties

237    Selon WIN, la décision l’a sanctionnée sur la base de deux règles juridiques nouvelles. D’une part, sur la question de l’alignement, il y aurait un revirement total de la Commission par rapport à sa pratique décisionnelle antérieure. D’autre part, la Commission aurait retenu un test de prédation inédit et imprévisible.

238    Il n’y aurait pas de précédent en matière de prix prédateurs sur un marché émergent. La Commission appliquerait pour la première fois la méthode de calcul qu’elle a retenue en l’espèce en la définissant au cours de la procédure. Selon la méthode adoptée par plusieurs autorités nationales de concurrence, WIN estime qu’elle pouvait légitimement considérer que ses prix n’étaient pas prédateurs.

239    La Commission allègue, pour sa part, que l’article 82 CE et l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 constituent les seules bases juridiques de l’imposition de l’amende dans la présente affaire et que ces dispositions ne sont en rien nouvelles. Elle invoque la jurisprudence constante selon laquelle sa pratique décisionnelle antérieure ne sert pas en elle-même de cadre juridique à l’imposition d’amendes en matière de concurrence.

240    Elle ajoute à titre surabondant que, dans la jurisprudence, une pratique de prix prédateurs a déjà été qualifiée d’infraction à l’article 82 CE.

b)     Appréciation du Tribunal

241    WIN ne saurait prétendre que le comportement sanctionné ne constituait pas une infraction au moment où il a été commis. En effet, toute exploitation abusive par une entreprise de sa position dominante sur le marché commun ou sur une partie substantielle de celui-ci relève de l’article 82 CE.

242    Il est en outre de jurisprudence constante que l’énumération des pratiques abusives, contenue dans l’article 82 CE, n’épuise pas les modes d’exploitation abusive de position dominante interdits par le traité (arrêts de la Cour du 21 février 1973, Europemballage et Continental Can/Commission, 6/72, Rec. p. 215, point 26, et du 16 mars 2000, Compagnie maritime belge transports e.a./Commission, C‑395/96 P et C‑396/96 P, Rec. p. I‑1365, point 112).

243    Par ailleurs, une pratique de prix prédateurs a déjà été qualifiée d’infraction à l’article 82 CE. Elle a été sanctionnée par la Commission et a donné lieu à l’arrêt AKZO/Commission, point 100 supra, et aux arrêts du 6 octobre 1994 et du 14 novembre 1996, Tetra Pak/Commission, point 130 supra, qui ont appliqué un test de prédation fondé sur la distinction des coûts variables et des coûts complets, tel que celui retenu en l’espèce.

244    Toutefois, la Commission a en l’espèce adapté ce test en étalant, de façon favorable à WIN, les coûts d’acquisition de la clientèle afin de tenir compte des caractéristiques du marché en cause.

245    À cet égard, force est de constater que l’application de la méthode employée dans ces affaires aurait en tout état de cause pu permettre à WIN de prévoir qu’elle encourait éventuellement une condamnation au titre de l’article 82 CE. WIN ne saurait invoquer le fait qu’elle n’a pas pu prévoir un aménagement de cette méthode, qui lui était favorable.

246    Il ne ressort pas davantage de la pratique décisionnelle de la Commission ni de la jurisprudence que WIN pouvait légitimement s’attendre à la reconnaissance, dans les circonstances du cas d’espèce, d’un droit de s’aligner sur les prix de ses concurrents (voir points 176 à 187 ci‑dessus) ni à l’application de la méthode des cash-flows actualisés (voir points 153 et 156 ci‑dessus) et à la prise en compte des marges postérieures à la fin de l’infraction (voir point 152 ci‑dessus). Le marché n’était par ailleurs plus en phase de démarrage pendant la période considérée (voir point 106 ci‑dessus).

247    WIN a toutefois invoqué la décision 2001/354/CE de la Commission, du 20 mars 2001, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (affaire COMP/35.141 − Deutsche Post AG) (JO L 125, p. 27, considérant 47), dans laquelle la Commission n’a pas exigé d’amende pour la non‑couverture des coûts incrémentaux, car il n’y avait jusqu’alors pas de réponse établie à la question de savoir quel standard de couverture des coûts devait s’appliquer aux services exposés à la concurrence d’une entreprise multiproduits ou multiservices qui bénéficierait d’un domaine réservé.

248    Dans cette affaire, le plaignant avait fait valoir que Deutsche Post AG utilisait les recettes tirées de ses activités rentables d’envoi de courrier constituant son domaine réservé pour financer des ventes à perte dans le secteur des services de transport de colis commerciaux en vue d’évincer ses concurrents dans ce secteur. Dans sa décision, la Commission a sanctionné l’octroi de rabais de fidélité par Deutsche Post et l’a condamnée à ce titre à une amende de 24 millions d’euros. Toutefois, l’amende prononcée ne portait pas sur le transport de colis à des prix inférieurs aux coûts incrémentaux.

249    Il y a lieu de relever que la situation de Deutsche Post présentait, dans cette affaire, des caractéristiques très particulières. L’entreprise exerçait des activités relevant, selon le cas, du monopole fondé sur sa mission d’intérêt général ou de la concurrence. Cette affaire posait ainsi le problème de la définition du standard de couverture des coûts pour une entreprise bénéficiant d’un domaine réservé et susceptible d’utiliser les bénéfices réalisés dans ce domaine réservé pour couvrir ses pertes dans un autre secteur ouvert à la concurrence. Dans pareil contexte, l’entreprise pouvait connaître une incertitude quant aux règles applicables. Or la situation de WIN, qui n’opérait que sur le marché concurrentiel, ne saurait être comparée à celle de Deutsche Post et est à cet égard plutôt à rapprocher de celle d’AKZO et de Tetra Pak.

250    Par ailleurs, il convient de relever que, si elle ne fixe pas d’amende pour cette raison, la décision 2001/354 constate bien, dans son article 2, une infraction à l’article 82 CE commise par Deutsche Post en proposant d’assurer le transport de colis pour le secteur de la vente par correspondance à des prix inférieurs aux coûts incrémentaux. Cette décision ayant été rendue le 20 mars 2001 et ayant été publiée au Journal officiel le 5 mai 2001, WIN devait donc savoir à l’époque de l’infraction litigieuse – mars 2001 à octobre 2002 – que de tels agissements constituaient une infraction. On relèvera aussi que, dans le cadre de la présente affaire, c’est WIN elle-même qui a contesté le recours aux coûts incrémentaux et s’est félicitée, dans sa réponse à la communication des griefs complémentaire, que la Commission ait abandonné cette méthode. WIN ne saurait donc à présent reprocher à la Commission ce changement.

251    Enfin, en tout état de cause, à supposer que, même si la pratique de prix prédateurs n’est pas une infraction nouvelle, il faille tenir compte des caractéristiques propres du marché de l’accès à Internet à haut débit, la décision de la Commission de ne pas imposer une amende dans une décision antérieure en raison de la nature relativement nouvelle des infractions constatées n’octroierait pas une immunité aux entreprises commettant des infractions qui n’ont pas été sanctionnées antérieurement par la Commission. En effet, c’est dans le cadre particulier de chaque affaire que la Commission, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation, décide de l’opportunité d’infliger une amende afin de sanctionner l’infraction constatée et de préserver l’efficacité du droit de la concurrence (arrêt du Tribunal du 22 octobre 1997, SCK et FNK/Commission, T‑213/95 et T‑18/96, Rec. p. II‑1739, point 239).

252    En conséquence, la Commission n’a en l’espèce pas violé le principe de légalité des peines.

B –  Absence d’effets des pratiques en cause

1.     Arguments des parties

253    Selon WIN, la Commission n’a pas été en mesure de rapporter la preuve d’un quelconque effet des prétendues pratiques de WIN sur le marché. Le montant de l’amende qui lui a été infligée devrait donc, à ce titre également, être réduit.

254    Quant à sa part de marché, WIN fait valoir que la Commission affirme elle-même dans sa décision qu’elle se maintiendra autour de 50 % alors qu’elle s’élevait à 72 % en octobre 2002, date de la cessation de l’infraction, soit une diminution d’un tiers en neuf mois seulement. Cela suffirait à démontrer que les structures du marché n’ont pas été durablement affectées par ses prétendues pratiques anticoncurrentielles.

255    De plus, même au cours de la période litigieuse, la concurrence aurait été très vive sur le marché de l’accès à Internet. Il aurait existé en septembre 2002 plus de 70 offres destinées aux consommateurs. De nouveaux FAI seraient entrés sur le marché, tandis que les prix des offres auraient baissé sous l’impulsion des concurrents. Le développement des concurrents n’aurait pas été entravé et la disparition de la société Mangoosta ne serait pas imputable à WIN.

256    WIN considère à cet égard que l’affirmation de la Commission selon laquelle les prétendues pratiques de WIN auraient profondément affecté la structure du marché constitue une simple présomption qui n’est étayée par aucun fait concret démontrant les difficultés effectives des concurrents de WIN.

257    La Commission conteste les données fournies par WIN en faisant valoir qu’elles concernent alternativement l’ensemble de l’activité de fourniture d’accès à Internet, haut débit et bas débit confondus, ou le segment de la fourniture d’accès à Internet à haut débit ADSL, en fonction de ce qui est le plus favorable aux thèses de WIN.

258    La Commission affirme qu’une comparaison de l’augmentation des ventes des différents acteurs sur le marché au cours de l’année 2001 jusqu’à l’automne 2002 indique clairement que la stratégie de WIN lui a permis de contenir la concurrence et de renforcer sa position. Il n’y aurait, par exemple, pas eu de nouvelles entrées significatives sur le marché pendant la période litigieuse.

2.     Appréciation du Tribunal

259    Conformément aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3), l’évaluation du caractère de gravité de l’infraction doit prendre en considération la nature propre de l’infraction, son impact concret sur le marché et l’étendue du marché géographique concerné.

260    Or WIN a contesté que l’infraction en cause ait eu un impact sur le marché. Différents éléments témoignent toutefois du contraire.

261    En premier lieu, la part de WIN sur le marché du haut débit a d’abord augmenté de 50 à 72 % (considérant 400 et tableau 8 de la décision) entre le début de l’infraction et le mois d’août 2002, même si, selon les données fournies par WIN dans sa réponse aux questions écrites posées par le Tribunal, elle a ensuite baissé pour atteindre 63,6 % en octobre 2002. Par ailleurs, il convient de souligner que le concurrent le plus proche de WIN détenait une part de marché de 8 %, les autres concurrents se situant tous en dessous de 2,5 % (considérant 376 de la décision). Il ressort du tableau 9 de la décision, qui n’a pas été contesté par WIN, que sur toute la période WIN a creusé son écart avec son premier concurrent de manière prononcée.

262    En deuxième lieu, un concurrent, la société Mangoosta, a disparu du marché (considérant 400 de la décision). Certes, WIN estime que la faillite de Mangoosta n’est due qu’à une politique stratégique particulièrement risquée et en aucun cas à la tarification de WIN. Toutefois, il convient de relever que, en ayant lancé ses produits à un prix légèrement supérieur à ceux de WIN, Mangoosta faisait de telles pertes qu’elle a finalement relevé ses prix de 20 % au mois de mars 2001, ce qui n’a pas empêché sa mise en redressement judiciaire le 2 août 2001 (considérant 384 de la décision). La disparition d’un concurrent très marginal pratiquant des tarifs inférieurs à ses coûts mais légèrement supérieurs aux prix de WIN constitue, pour le moins, en l’espèce un élément témoignant de la difficulté à pénétrer le marché.

263    En troisième lieu, pendant la période visée, une forte dégradation des parts de marché des câblo-opérateurs concurrents a été enregistrée (tableau 14 de la décision) tandis que les concurrents sur le segment de l’ADSL étaient maintenus à des niveaux de pénétration très faibles. WIN ne conteste pas la dégradation des parts de marché des câblo-opérateurs, tout en estimant qu’elle n’est pas due à sa politique tarifaire mais au développement de l’ADSL au détriment du câble. Il convient néanmoins de souligner que, en septembre 2001, WIN estimait que les câblo-opérateurs étaient les seuls véritables concurrents sur le marché de l’accès à Internet à haut débit (note en bas de page nº 444 de la décision) et que l’ADSL constituait un « marché fin 2001 dominé par [elle] mais peu actif dans l’ensemble ».

264    En quatrième lieu, les pratiques de WIN ont eu un effet dissuasif sur l’entrée ou le développement des concurrents. Plusieurs d’entre eux ont en effet confirmé qu’il leur était impossible de s’aligner sur les prix de WIN, compte tenu des coûts supportés, sans enregistrer de pertes (voir considérant 379 et note en bas de page nº 451 de la décision). Les nouvelles entrées ont du reste été marginales. WIN a évoqué les cas des sociétés Dixinet et Net pratique. Toutefois, fin août 2002, Dixinet n’avait que dix abonnés à ses services ADSL et de téléphonie, tandis que Net pratique, qui n’a lancé son service qu’à l’été 2002, c’est-à-dire à la fin de l’infraction, ne comptait que 1 400 abonnés six mois plus tard.

265    À cet égard, l’argument de WIN, qui attribue la lenteur de la progression de certains concurrents à un choix stratégique et à la volonté de se concentrer sur le bas débit au détriment de l’ADSL considéré comme non porteur, ne saurait convaincre. S’il est vrai que certains concurrents ont pu à l’origine douter du développement du haut débit, il ne saurait être présumé qu’ils ont persisté dans cette opinion face à la croissance importante de ce marché. L’action de la société T‑Online, fournisseur d’accès à Internet sous la marque Club Internet, devant les autorités françaises de la concurrence laisse plutôt présumer le contraire. De même, la déclaration du président directeur général d’AOL France, citée au point 212 ci-dessus, donne à penser que la raison de l’absence de cette entreprise sur le marché du haut débit était à l’époque liée aux pertes qu’elle y aurait subies en raison de l’offre élevée de WIN et non à sa volonté de se cantonner au bas débit.

266    Concernant l’argument de WIN selon lequel les consommateurs n’ont pas été lésés par ses pratiques de prix, mais en ont, au contraire, été les bénéficiaires, il convient de rappeler que la Cour a affirmé que l’article 82 CE ne vise pas seulement les pratiques susceptibles de causer un préjudice immédiat aux consommateurs, mais également celles qui leur causent un préjudice en portant atteinte à une structure de concurrence effective (arrêt Europemballage et Continental Can/Commission, point 242 supra, point 26).

267    Il convient dès lors de rejeter ce moyen tiré de l’absence d’effets des pratiques en cause.

C –  Fixation erronée de la durée de l’infraction

1.     Arguments des parties

268    WIN fait valoir, d’une part, que la fin de l’infraction qui lui est reprochée est due, selon la Commission, à la baisse des tarifs pratiquée par France Télécom le 15 octobre 2002. Or, France Télécom aurait annoncé cette baisse dès le mois d’avril 2002, la mise en œuvre de cette mesure ayant été retardée par le processus d’homologation de l’Autorité de régulation des télécommunications (ART). WIN ne pourrait donc en tout état de cause être rendue responsable de l’infraction au-delà du mois de mars 2002, de sorte que la durée de l’infraction ne pourrait être que de treize mois.

269    D’autre part, la Commission aurait retenu dans sa décision une durée d’infraction supérieure à celle visée dans les communications des griefs. Le Tribunal devrait donc constater que la durée de l’infraction qui pourrait être imputée à WIN est au maximum de 17 mois et réduire l’amende en conséquence.

270    À ce dernier argument, la Commission répond qu’on ne saurait lire les communications des griefs comme ayant énoncé une durée limitative de l’infraction alors que celle‑ci était encore en cours.

271    Quant à l’argument tiré du retard pris par la baisse des tarifs de France Télécom en raison du processus d’homologation de l’ART, la Commission estime que WIN ne saurait s’en prévaloir.

2.     Appréciation du Tribunal

272    En ce qui concerne l’allongement prétendu de la durée de l’infraction par rapport aux communications des griefs, il convient de renvoyer aux points 49 à 52 ci-dessus, dont il résulte que cet argument doit être rejeté.

273    S’agissant de l’annonce faite par France Télécom de la baisse de ses tarifs de gros dès le mois d’avril 2002, il y a lieu de souligner que l’infraction n’a pas pris fin à cette date mais lors de la mise en œuvre effective de cette baisse des tarifs. De manière mécanique, cette baisse des tarifs de France Télécom a engendré une baisse des coûts. Les prix de WIN ont cessé d’être inférieurs à ses coûts complets et l’infraction a pris fin. Sans attendre cette baisse des tarifs de France Télécom, WIN aurait pu à tout moment mettre fin à l’infraction, par exemple en relevant ses tarifs ou en réduisant d’autres postes de coûts. Elle n’a toutefois pris aucune mesure en ce sens.

274    Il en résulte qu’il n’y a pas lieu de réduire le montant de l’amende infligée au vu de la durée de l’infraction alléguée.

D –  Violation du principe de proportionnalité

1.     Arguments des parties

275    WIN conteste, en premier lieu, l’absence de prise en compte, dans la détermination du montant de l’amende, de son attitude de coopération et de transparence. Elle critique, en second lieu, le fait que la Commission n’ait retenu la suppression progressive de l’infraction ni lors de la fixation du montant de base de l’amende ni au titre des circonstances atténuantes. L’ampleur de l’infraction aurait été réduite dès le mois d’août 2001 du fait d’une baisse des tarifs de gros par France Télécom, avant même que cette dernière n’ait été informée de l’enquête de la Commission. France Télécom n’aurait pas cessé de montrer sa volonté permanente de résoudre au plus vite le problème relevé par la Commission.

276    La Commission considère qu’il n’y a pas de circonstances atténuantes ou aggravantes dans le cas d’espèce.

2.     Appréciation du Tribunal

277    S’agissant, en premier lieu, de la coopération alléguée, il est de jurisprudence constante qu’une coopération à l’enquête qui ne dépasse pas ce qui résulte des obligations qui incombent aux entreprises en vertu de l’article 11, paragraphes 4 et 5, du règlement n° 17 ne justifie pas une réduction de l’amende (voir, en ce sens, arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T‑12/89, Rec. p. II‑907, points 341 et 342, et du 14 mai 1998, Weig/Commission, T‑317/94, Rec. p. II‑1235, point 283).

278    Dans le considérant 412 de la décision, la Commission mentionne le fait que WIN a invoqué comme circonstances atténuantes sa transparence et sa pleine coopération dans le déroulement de la présente procédure. La Commission constate cependant « que l’entreprise s’est simplement conformée de manière normale aux obligations d’information de la Commission qui lui incombent en vertu du règlement n° 17 ».

279    Dans sa requête, WIN fait valoir que la Commission n’a pas tenu compte du fait qu’elle a toujours pleinement coopéré à la procédure et a adopté un comportement entièrement transparent. WIN ajoute que c’est d’ailleurs sur son invitation que la Commission a effectué une visite dans ses locaux et pris copie des documents relatifs à ses coûts et à l’élaboration de ses offres commerciales. Ni sa requête ni sa réplique ne contiennent d’autres précisions sur cette coopération.

280    Force est de constater que WIN n’a fourni aucun élément de nature à infirmer qu’elle s’est simplement conformée aux obligations qui lui incombaient en vertu du règlement n° 17. WIN n’établit en particulier pas qu’elle ait elle-même invité la Commission dans ses locaux avant l’ouverture de l’enquête. En effet, la Commission affirme, dans son mémoire en défense, que la requérante ne saurait tirer une circonstance atténuante du fait que la Commission se soit contentée de faire ces vérifications sur place sur la base de l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 17 « en prenant rendez-vous avec l’entreprise dans ses locaux ».

281    À titre subsidiaire, même à le supposer avéré, le fait qu’elle ait pu inviter elle-même la Commission à effectuer une visite dans ses locaux sans attendre que cette dernière ordonne des vérifications par voie de décision ne saurait suffire à établir une coopération à ce point étroite qu’elle puisse justifier sa prise en compte au titre des circonstances atténuantes. Il y a lieu de relever que l’article 14 du règlement n° 17 prévoit que, dans l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par l’article 81 CE, la Commission peut procéder à toutes les vérifications nécessaires auprès des entreprises. Ses agents mandatés peuvent notamment accéder à tous locaux et prendre copie des documents professionnels. Les vérifications de la Commission peuvent être effectuées sur simple mandat (article 14, paragraphe 2) ou ordonnées par voie de décision (article 14, paragraphe 3). Le fait que la Commission n’ait pas procédé en l’espèce par voie de décision ne saurait impliquer à lui seul une « collaboration effective de l’entreprise à la procédure », au sens des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA.

282    Quant, en second lieu, aux arguments relatifs à la suppression progressive de l’infraction, il convient de souligner, d’une part, que WIN n’a elle‑même pris aucune mesure en ce sens. Elle ne saurait invoquer à sa décharge les efforts déployés par France Télécom. D’autre part, même si les démarches de cette dernière ont pu avoir une incidence positive sur le marché avant la fin de l’infraction, elles ne sauraient modifier la qualification de l’infraction commise par WIN, en la rendant moins grave. En effet, les prix prédateurs pratiqués par WIN sur le marché en cause constituent une infraction grave aux règles de concurrence. Le fait que l’intensité de certains éléments abusifs a pu varier au cours de la période litigieuse ne saurait modifier cette qualification (voir, en ce sens, arrêt du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, point 195 supra, point 278).

283    Il résulte de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu d’accueillir le moyen tiré par WIN de la violation du principe de proportionnalité, de sorte que les conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende doivent être rejetées.

284    Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient donc de rejeter le recours.

 Sur les dépens

285    Aux termes de l’article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La partie requérante est condamnée aux dépens.


Vilaras

Martins Ribeiro

Dehousse

Šváby

 

       Jürimäe

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 30 janvier 2007.

Le greffier

 

       Le président

E. Coulon

M. VilarasTable des matières

Faits et procédure

Conclusions des parties

En droit

I –  Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision

A –  Sur le moyen tiré de la violation des droits de la défense et des formes substantielles

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

B –  Sur le moyen tiré d’un défaut de motivation

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

C –  Sur le moyen tiré de la violation du principe de la personnalité des peines

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

D –  Sur la violation de l’article 82 CE

1.  Sur la position dominante

a)  Sur la définition erronée du marché

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

b)  Sur l’examen lacunaire de la position dominante

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

2.  Sur l’abus de position dominante

a)  Sur les griefs relatifs au test de couverture des coûts

Sur l’erreur de méthode de calcul du taux de couverture des coûts

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur les erreurs de calcul lors de la mise en œuvre de la méthode retenue

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

b)  Sur les griefs relatifs au test de prédation

Sur la justification tirée d’un droit d’alignement de WIN sur les prix de ses concurrents

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la prétendue absence de plan de prédation et de réduction de la concurrence

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

Sur la récupération des pertes

–  Arguments des parties

–  Appréciation du Tribunal

II –  Sur les conclusions subsidiaires tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende

A –  Violation des principes de personnalité et de légalité des peines

1.  Sur la violation du principe de personnalité des peines

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

2.  Sur le moyen tiré de la violation du principe de légalité des peines

a)  Arguments des parties

b)  Appréciation du Tribunal

B –  Absence d’effets des pratiques en cause

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

C –  Fixation erronée de la durée de l’infraction

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

D –  Violation du principe de proportionnalité

1.  Arguments des parties

2.  Appréciation du Tribunal

Sur les dépens



* Langue de procédure : le français.

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