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Document 62020CJ0306

Arrêt de la Cour (septième chambre) du 18 novembre 2021.
« Visma Enterprise » SIA contre Konkurences padome.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l’Administratīvā apgabaltiesa.
Renvoi préjudiciel – Concurrence – Ententes – Article 101, paragraphes 1 et 3, TFUE – Accords verticaux – Restriction “par objet” ou “par effet” – Exemption – Enregistrement par le distributeur de la transaction potentielle avec l’utilisateur final – Clause conférant au distributeur une “priorité pour la réalisation de l’opération de vente” pendant six mois à compter de l’enregistrement – Exception – Opposition de l’utilisateur – Compétence de la Cour – Situation purement interne – Législation nationale se conformant aux solutions retenues par le droit de l’Union.
Affaire C-306/20.

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2021:935

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

18 novembre 2021 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Ententes – Article 101, paragraphes 1 et 3, TFUE – Accords verticaux – Restriction “par objet” ou “par effet” – Exemption – Enregistrement par le distributeur de la transaction potentielle avec l’utilisateur final – Clause conférant au distributeur une “priorité pour la réalisation de l’opération de vente” pendant six mois à compter de l’enregistrement – Exception – Opposition de l’utilisateur – Compétence de la Cour – Situation purement interne – Législation nationale se conformant aux solutions retenues par le droit de l’Union »

Dans l’affaire C‑306/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie), par décision du 4 juin 2020, parvenue à la Cour le 9 juillet 2020, dans la procédure

« Visma Enterprise » SIA

contre

Konkurences padome,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de la première chambre, faisant fonction de président de la septième chambre, MM. T. von Danwitz et A. Kumin, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour « Visma Enterprise » SIA , par Mme Z. Norenberga,

pour le Konkurences padome, par M. V. Hitrovs,

pour le gouvernement letton, initialement par Mmes K. Pommere, V. Soņeca et L. Juškeviča, puis par Mme K. Pommere, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, initialement par MM. N. Khan, P. Berghe et I. Naglis, puis par MM. N. Khan et P. Berghe, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 101, paragraphes 1 et 3, TFUE ainsi que de l’article 2 et de l’article 4, sous b), du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO 2010, L 102, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant « Visma Enterprise » SIA (anciennement « FMS Software » SIA et « FMS » SIA) au Konkurences padome (conseil de la concurrence, Lettonie) au sujet de la décision de ce dernier imposant une amende à Visma Enterprise en raison d’une violation du droit de la concurrence letton qu’elle aurait commise.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 2, paragraphe 1, du règlement no 330/2010 dispose :

« Conformément à l’article 101, paragraphe 3, du traité, et sous réserve des dispositions du présent règlement, l’article 101, paragraphe 1, du traité est déclaré inapplicable aux accords verticaux.

[...] »

Le droit letton

4

Aux termes de l’article 11, paragraphe 1, du Konkurences likums (loi sur la concurrence) :

« Sont interdits et nuls dès leur conclusion les accords entre opérateurs ayant pour objet ou pour effet d’entraver, de limiter ou de fausser la concurrence sur le territoire de la Lettonie, y compris les accords relatifs :

1)

à la fixation directe ou indirecte des prix ou des tarifs quelle qu’en soit la forme ou aux dispositions relatives à leur formation ainsi qu’à l’échange d’informations relatives aux prix ou conditions de vente ;

2)

à la limitation ou au contrôle du volume de la production ou des ventes, des marchés, du développement technologique ou des investissements ;

3)

à la répartition des marchés en fonction d’un territoire, des clients, des fournisseurs ou d’autres conditions ;

4)

aux dispositions qui subordonnent la conclusion, la modification ou la résiliation d’une transaction effectuée avec un tiers à l’acceptation par ce tiers d’obligations qui, selon les usages commerciaux, ne s’appliquent pas à la transaction en cause ;

5)

à la participation ou à l’absence de participation à des appels d’offres ou à des adjudications ou à des dispositions portant sur de telles actions (abstentions) à moins que les concurrents aient publiquement annoncé leur offre commune et qu’une telle offre n’ait pas pour objet d’entraver, de restreindre ou de fausser la concurrence ;

6)

à l’application de conditions différentes à des transactions équivalentes avec des tiers, créant pour ces tiers des conditions défavorables en termes de concurrence ; et

7)

à des actes (ou à une abstention) obligeant un autre opérateur à abandonner un marché déterminé ou entravant l’arrivée d’un autre opérateur potentiel sur un marché déterminé. »

5

L’article 11, paragraphe 2, de cette loi admet la validité des accords permettant l’amélioration de la production ou de la vente de biens ou le progrès économique et qui profitent, par conséquent, aux consommateurs, et l’interdiction prévue au paragraphe 1 de cet article ne s’y applique pas pour autant que de tels accords n’imposent pas aux opérateurs concernés des restrictions qui ne sont pas nécessaires pour atteindre les objectifs précités et qu’ils ne permettent pas d’éliminer la concurrence d’une partie substantielle du marché pertinent.

6

L’article 11, paragraphe 4, de ladite loi prévoit que le Ministru kabinets (conseil des ministres, Lettonie) détermine les accords entre les opérateurs qui ne portent pas substantiellement atteinte à la concurrence ainsi que les critères selon lesquels des accords conclus entre les opérateurs ne sont pas soumis aux interdictions visées au paragraphe 1 de cet article.

7

Le Ministru kabineta noteikumi Nr.797 « Noteikumi par atsevišķu vertikālo vienošanos nepakļaušanu Konkurences likuma 11.panta pirmajā daļā noteiktajam vienošanās aizliegumam » (décret no 797 du conseil des ministres, portant « Dispositions relatives à l’exemption de certains accords verticaux de l’interdiction des ententes édictée à l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence »), du 29 septembre 2008 (ci–après le « décret no 797/2008 »), adopté sur le fondement de l’article 11, paragraphe 4, de la loi sur la concurrence, s’applique à certains types d’accords verticaux et prévoit des exemptions à cet égard.

8

Le point 8.2.1 du décret no 797/2008 permet, dans des cas exceptionnels, de restreindre les ventes actives (le comportement des distributeurs dans la recherche active de clients sur un territoire illimité ou s’agissant d’un nombre illimité de clients), mais interdit de restreindre les ventes passives (les cas où le distributeur est approché par un client qui ne relève pas du territoire ou de la clientèle exclusivement réservé audit distributeur).

Le litige au principal et les questions préjudicielles

9

Par décision du 9 décembre 2013, concernant l’application de l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence à certaines pratiques de FMS Software, de « RGP » SIA, de « Zemgales IT centrs » SIA, de « PC Konsultants » SIA, de « Guno M » SIA, de « Softserviss » SIA, de« I. R. Finanses » SIA, de FMS, de « FOX » SIA (ci–après la « décision litigieuse »), le conseil de la concurrence a condamné FMS Software et FMS conjointement et solidairement au paiement d’une amende de 45000 lats lettons (LVL) (environ 64000 euros).

10

Dans cette décision, le conseil de la concurrence a constaté que FMS Software, qui détient les droits d’auteur sur les logiciels informatiques de comptabilité Horizon et Horizon Start, avait conclu avec plusieurs distributeurs un accord portant sur la distribution desdits logiciels qui prévoyait un avantage dans le cadre du processus de vente en faveur de certains distributeurs, ce qui a eu pour effet de restreindre le jeu de la concurrence entre ces distributeurs. FMS avait repris l’une des activités économiques de FMS Software dans le cadre de laquelle la violation du droit de la concurrence a été constatée.

11

Après avoir examiné les contrats de collaboration conclus entre FMS Software et ses distributeurs pour la distribution des logiciels de comptabilité Horizon et Horizon Start ainsi qu’une copie du contrat-type de collaboration entre cette société et lesdits distributeurs pour l’année 2011, le conseil de la concurrence a constaté que la clause 4.1 de ce dernier contrat prévoyait que, au début du processus de vente avec l’utilisateur final, le distributeur est tenu d’enregistrer la transaction potentielle dans une base de données créée par FMS Software par l’envoi d’un formulaire électronique type précisant certaines informations sur cet utilisateur. Aux termes de cette clause, le distributeur qui a été le premier à enregistrer la transaction potentielle avec un utilisateur final bénéficie d’une priorité pour la réalisation de l’opération de vente, à moins que cet utilisateur ne s’y oppose. Ladite clause prévoyait, également, que cette priorité est maintenue pendant six mois à compter de l’enregistrement de la transaction potentielle (ci-après l’« accord en cause »).

12

Le conseil de la concurrence a considéré que la création d’une base de données relative aux clients potentiels des distributeurs de FMS Software n’est pas interdite, mais l’avantage résultant de la « priorité pour l’opération de vente », conféré au distributeur ayant enregistré le client potentiel, révèle l’existence d’une régulation des relations entre les distributeurs, de sorte que seul le distributeur qui a été le premier à informer FMS Software peut réaliser, pendant une période déterminée, l’opération de vente avec ce client, à condition que celui-ci ne s’y oppose pas. L’accord en cause viserait à limiter la concurrence entre les distributeurs dans le cadre de la commercialisation des logiciels de comptabilité Horizon et Horizon Start. Étant donné que l’enregistrement concernerait des clients potentiels auxquels le produit en question n’a pas encore été vendu, il serait impossible pour les distributeurs de se faire concurrence pour proposer des logiciels de comptabilité à des conditions plus intéressantes. En effet, cela limiterait le bénéfice que les clients tirent de la concurrence entre les distributeurs, de sorte que l’octroi de l’avantage prévu par l’accord en cause, assimilable à une répartition du marché en fonction de la clientèle, viserait à restreindre le jeu de la concurrence entre les distributeurs de logiciels de comptabilité. Cet accord aurait pour objet de restreindre la concurrence et, par conséquent, il ne serait pas nécessaire d’examiner ni de démontrer qu’il a un effet restrictif sur celle-ci ni de rapporter la preuve de son application ou de son exécution effective.

13

En outre, le conseil de la concurrence a estimé que l’accord en cause n’est pas exempté de l’interdiction prévue à l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence en vertu du point 8.2.1 du décret no 797/2008, car il limiterait la clientèle à laquelle les distributeurs peuvent vendre les logiciels de comptabilité Horizon et Horizon Start.

14

Selon le conseil de la concurrence, l’infraction ainsi constatée a duré plus de cinq ans, et il y a été mis fin à l’initiative de FMS Software. Cette autorité a considéré, en outre, qu’il n’était pas approprié ni nécessaire de tenir pour responsables de cette infraction les autres parties à l’accord en cause, à savoir les distributeurs de FMS Software, aux motifs que ceux-ci n’avaient pas participé activement à sa conclusion et que leur pouvoir de marché respectif à l’égard de cette société était insignifiant.

15

Visma Enterprise a saisi l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie) d’un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, faisant valoir, notamment, que celle-ci est entachée d’erreurs matérielles portant sur l’appréciation de l’accord en cause, sur l’interprétation de son objet ainsi que sur l’interprétation des critères pour apprécier si certains accords verticaux sont exemptés de l’interdiction des ententes prévue à l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence.

16

Selon Visma Enterprise, l’accord en cause n’élimine pas la concurrence entre les distributeurs, puisqu’il n’empêche pas ceux-ci de soumettre leurs offres à un client déjà enregistré. Il n’existerait aucune circonstance extérieure à cet accord susceptible de révéler un but commun des parties de répartir le marché en fonction de la clientèle. En effet, les distributeurs ne seraient pas informés de la réservation des clients.

17

Visma Enterprise a également fait valoir que, pour établir l’existence d’une entente, le conseil de la concurrence aurait dû identifier deux ou plusieurs auteurs de l’infraction. L’exclusion, par cette autorité, de la responsabilité des distributeurs de Visma Enterprise pour l’infraction constatée confirmerait qu’il n’y avait pas d’infraction. En outre, le fait que les distributeurs n’ont pas été actifs lors de la conclusion de l’accord en cause et que leur pouvoir de marché à l’égard de FMS Software était insignifiant ne permettrait pas d’écarter leur responsabilité pour une violation de l’interdiction édictée à l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence. Par ailleurs, il appartiendrait au conseil de la concurrence d’apprécier, dans un premier temps, si les conditions de la collaboration entre FMS Software et ses distributeurs faisaient ou non l’objet d’une exemption et seulement, dans un second temps, si l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence était ou non applicable.

18

Le conseil de la concurrence a soutenu que l’accord en cause vise à répartir les clients entre les distributeurs pendant six mois à compter de l’enregistrement et à éliminer la concurrence entre ceux-ci. Il tendrait, par son objet, à restreindre le jeu de la concurrence, étant donné, notamment, que Visma Enterprise n’aurait invoqué aucun motif justifiant la nécessité de limiter le droit d’un distributeur de proposer ses services à un client réservé par un autre distributeur.

19

Par arrêt du 8 mai 2015, l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) a fait partiellement droit au recours de Visma Enterprise et a annulé la partie de la décision litigieuse relative à la condamnation solidaire au paiement de l’amende. Cette juridiction a enjoint au conseil de la concurrence d’adopter un nouvel acte administratif ayant pour objet d’infliger une amende à FMS Software et d’exclure du calcul de l’amende le chiffre d’affaires net de FMS au titre du dernier exercice social qui précède l’adoption de la décision litigieuse. Le recours a été rejeté pour le surplus.

20

Visma Enterprise et le conseil de la concurrence ont formé chacun un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

21

Par arrêt du 16 juin 2017, le Senāta Administratīvo lietu departaments (Cour suprême, département des affaires administratives, Lettonie) a annulé l’arrêt de l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) du 8 mai 2015 et a renvoyé l’affaire en question devant cette juridiction pour qu’elle statue à nouveau.

22

Les parties au litige au principal ont déposé des mémoires supplémentaires.

23

Visma Enterprise a fait valoir, notamment, que la priorité accordée au distributeur qui a été le premier à présenter sa demande consiste en l’apport du soutien de Visma Enterprise dans l’élaboration de l’offre et des solutions techniques. Cet accord ne contiendrait aucune promesse de la part de Visma Enterprise, selon laquelle l’enregistrement garantirait que les autres distributeurs ne feront pas d’offre à un client donné ou que Visma Enterprise ne consultera pas d’autres distributeurs au sujet d’un client particulier. De même, l’accord ne prévoirait aucune mesure de coercition ou de sanction. Visma Enterprise n’empêcherait nullement les autres distributeurs de mener des opérations de vente avec des clients auxquels l’un des distributeurs de Visma Enterprise a déjà fourni des services. Les distributeurs seraient traités sur la base du principe « premier arrivé, premier servi », ce qui garantirait une égalité de traitement. Par ailleurs, la collaboration avec un distributeur particulier ne priverait pas le client de la possibilité d’acquérir une licence de logiciel de comptabilité pour une période ultérieure auprès d’un autre distributeur. Ni Visma Enterprise ni les distributeurs n’empêcheraient le client de changer de distributeur. Le client pourrait également conclure un contrat avec un distributeur qui n’est pas le premier à l’avoir enregistré, ce qui exclurait la possibilité de partage de marché.

24

L’accord en cause encouragerait les distributeurs à être actifs dans le cadre de la distribution des logiciels de comptabilité, en menant activement leurs opérations de vente en concurrence les uns avec les autres. Il serait rendu nécessaire par les spécificités du secteur et du produit en question et par la particularité que le système de distribution implique l’action simultanée de plusieurs distributeurs exerçant une fonction équivalente sur le marché. Le système d’enregistrement viserait à garantir que la livraison du produit au client et les services qui lui sont fournis soient efficaces et de qualité ainsi qu’à assurer le contrôle du travail des distributeurs, dès lors que ceux-ci ne seraient pas, à eux seuls, en mesure d’appréhender les spécificités des services fournis aux clients.

25

Ainsi, l’enregistrement, en garantissant que Visma Enterprise soit informée en temps utile et en lui permettant de combler des lacunes dans les connaissances du distributeur, viserait à éviter que soit porté atteinte à la réputation du produit ou que le client reçoive une impression trompeuse sur le logiciel et ses fonctionnalités. La fourniture d’un service de qualité par un distributeur compétent permettrait d’économiser les ressources de Visma Enterprise.

26

L’objectif de l’accord en cause serait donc d’encourager l’activité des distributeurs qui sollicitent des transactions auprès de Visma Enterprise, afin que celle-ci soit en mesure, compte tenu des revenus escomptés ainsi que du secteur d’activité et des intérêts des clients potentiels, de planifier ses recettes, d’identifier la clientèle potentielle, de décider des investissements dans le développement de son produit ainsi que d’accorder au client une remise du fabricant à la demande du distributeur. Cet accord poursuivrait donc un objectif légitime en ce qu’il permettrait d’organiser la collaboration avec le distributeur, à évaluer la conformité du produit aux besoins de l’acheteur, à instaurer des modalités de collaboration équitables avec les distributeurs et à utiliser les ressources de manière rationnelle.

27

Le conseil de la concurrence a répondu que Visma Enterprise opère une répartition coordonnée des clients entre les distributeurs. Il n’y aurait pas d’explication rationnelle et économiquement justifiée du lancement du processus d’enregistrement avant même que le client potentiel n’ait confirmé son souhait de commencer à utiliser le logiciel développé par Visma Enterprise. L’appréciation de l’identification des clients potentiels et de l’investissement nécessaire au développement du produit ne pourrait avoir lieu que lorsque l’utilisateur final a accepté de commencer l’utilisation du logiciel commercialisé.

28

Visma Enterprise ne contrôlerait pas les activités et les compétences des distributeurs dans le cadre de la revente du logiciel. Elle vérifierait les connaissances des distributeurs avant de démarrer une collaboration avec eux et organiserait régulièrement des séminaires pour les distributeurs afin de compléter leurs connaissances et de développer leurs compétences. Les termes « à moins que l’utilisateur final ne s’y oppose », figurant dans l’accord en cause, importeraient peu pour l’appréciation du niveau de preuve en matière d’effets restrictifs de concurrence. L’appréciation du comportement probable d’un client reviendrait à rechercher si la clause litigieuse a effectivement été mise en œuvre. Or, il ne conviendrait pas de tenir compte de la mise en œuvre de cette clause, sauf à vouloir faire dépendre l’existence d’une restriction à la concurrence de l’expression de la volonté d’un tiers.

29

Le conseil de la concurrence a soutenu, en outre, que la mise en œuvre de l’accord en cause n’instaurait ni un système de distribution exclusive ni un système de distribution sélective. Il n’y aurait donc pas lieu d’apprécier l’existence d’éventuelles restrictions des ventes passives.

30

Par un arrêt du 13 septembre 2018, l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) a rejeté le recours en déclarant la décision litigieuse légale et fondée. Après avoir apprécié l’importance de l’insertion dans l’accord en cause des termes « à moins que l’utilisateur final ne s’y oppose », cette juridiction a écarté leur importance, au motif qu’ils avaient un caractère formel et que le consommateur final n’avait pas connaissance de l’accord de répartition de la clientèle. Selon ladite juridiction, la constatation d’une entente ne saurait dépendre du comportement des clients, sauf dans le cas des accords horizontaux, où l’existence d’une entente ne pourrait être constatée que si les clients achètent des produits au prix collusoire concerné.

31

Visma Enterprise a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.

32

Par arrêt du 26 novembre 2019, le Senāta Administratīvo lietu departaments (Cour suprême, département des affaires administratives) a annulé l’arrêt de l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) du 13 septembre 2018.

33

Le Senāta Administratīvo lietu departaments (Cour suprême, département des affaires administratives) a considéré que l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) n’a pas procédé à une appréciation correcte du contexte juridique et économique de l’accord en cause. La nature, la portée et les limites de cet accord apparaîtraient dans les modalités de sa mise en œuvre, envisagées par les parties à l’entente, et cela engloberait également la manière dont les éventuelles objections des clients seront perçues et affecteront la marge de manœuvre du vendeur. En outre, il importerait peu que le client ait connaissance de l’existence de la stipulation lui permettant de s’opposer à la priorité du distributeur qui a été le premier à l’enregistrer ou du contenu de l’accord en cause de manière générale.

34

En revanche, ce qui importerait, serait de savoir comment les distributeurs devraient agir dans le cadre du processus de vente si de telles objections étaient reçues. Ce point pourrait être clarifié compte tenu à la fois du libellé de cet accord et de sa mise en œuvre. La nécessité d’apprécier cette stipulation comme reflétant le contenu de l’accord en cause ne pourrait pas être assimilée à la preuve de sa mise en œuvre effective comme condition préalable à la constatation d’une infraction. Il serait nécessaire d’apprécier le contenu de l’accord à la fois à la lumière de son libellé et des preuves, apportées par les parties à la procédure, qui sont susceptibles d’indiquer la véritable nature de l’accord.

35

La juridiction de renvoi fait observer qu’il est constant, dans l’affaire au principal, que l’accord en cause n’est pas de nature à affecter les échanges entre les États membres. Partant, le présent litige devrait être résolu par l’application du droit letton, à savoir la loi sur la concurrence et le décret no 797/2008.

36

Cependant, notamment dans l’arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a. (C‑32/11, EU:C:2013:160), la Cour se serait déjà déclarée compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits se situaient en dehors du champ d’application direct du droit de l’Union, mais dans lesquelles ces dispositions avaient été rendues applicables par la législation nationale, laquelle se conformait, pour les solutions apportées à des situations purement internes, à celles retenues par le droit de l’Union. En effet, dans de tels cas, il existerait un intérêt certain de l’Union européenne à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions ou les notions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme, quelles que soient les conditions dans lesquelles elles sont appelées à s’appliquer.

37

Par ailleurs, il résulterait de la jurisprudence du Senāta Administratīvo lietu departaments (Cour suprême, département des affaires administratives) que, en ce qui concerne les effets probables des accords sur la concurrence, l’article 101, paragraphe 1, TFUE et l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence établissent le même cadre juridique. Cela signifierait que l’application de l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence ne devrait pas être différente de celle de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Il serait essentiel d’éviter que soient admis en Lettonie des critères d’appréciation différents de ceux prévus par le droit de l’Union pour constater l’existence d’accords verticaux interdits. La sécurité juridique que procurerait une pratique institutionnelle et juridictionnelle prévisible serait conforme aux principes généraux du droit aussi bien de la République de Lettonie que de l’Union.

38

En outre, une approche fondamentalement différente quant à la définition des infractions au droit de la concurrence pourrait être source de différences entre les États membres susceptibles d’entraver le fonctionnement du marché intérieur.

39

Dans l’affaire au principal, il importerait de déterminer si, dans le cas d’un accord qui prévoit que le distributeur qui a été le premier à enregistrer la transaction se voit accorder, pendant six mois à compter de l’enregistrement, la priorité pour la réalisation du processus de vente avec l’utilisateur final concerné, à moins que ce dernier ne s’y oppose, la nature de l’accord suffit à elle seule pour conclure qu’il s’agit d’un accord ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché.

40

Dans ces conditions, l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Selon une interprétation correcte du traité FUE, l’accord entre un fabricant et plusieurs distributeurs en cause dans la présente affaire [en vertu duquel le distributeur qui a été le premier à enregistrer une transaction potentielle bénéficie d’une priorité pour la réalisation du processus de vente avec l’utilisateur final concerné pendant six mois à compter de cet enregistrement, à moins que l’utilisateur final ne s’y oppose] peut-il être considéré comme un accord entre entreprises ayant pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE] ?

2)

L’accord entre un fabricant et plusieurs distributeurs en cause dans la présente affaire, interprété conformément aux dispositions du traité [FUE], contient-il des éléments indiquant qu’un tel accord n’est pas exempté de l’interdiction générale des ententes ?

3)

L’accord entre un fabricant et plusieurs distributeurs en cause dans la présente affaire, interprété conformément aux dispositions du traité [FUE], peut-il être considéré comme constituant une exception ? L’exception permettant la conclusion d’accords verticaux qui restreignent les ventes actives sur un territoire ou à une clientèle que le fournisseur s’est exclusivement réservés ou qu’il a alloués à un autre acheteur, lorsque cette restriction ne limite pas les ventes réalisées par les clients de l’acheteur et que la part de marché du fournisseur ne dépasse pas 30 %, s’applique-t-elle uniquement aux systèmes de distribution exclusive ?

4)

L’accord entre un fabricant et plusieurs distributeurs en cause dans la présente affaire, interprété conformément aux dispositions du traité [FUE], peut-il être considéré comme un élément constitutif de l’infraction uniquement sur la base du comportement illégal d’un seul opérateur économique ? Les circonstances de la présente affaire, interprétées conformément aux dispositions du traité [FUE], permettent-elles d’établir qu’un seul opérateur a pris part à l’entente ?

5)

Les circonstances de la présente affaire, interprétées conformément aux dispositions du traité [FUE], permettent elles d’établir l’existence d’une restriction (distorsion) de concurrence au sein du système de distribution, d’un avantage au profit de [Visma Enterprise] ou d’un effet négatif sur la concurrence ?

6)

Les circonstances de la présente affaire, interprétées conformément aux dispositions du traité [FUE], si la part de marché du réseau de distribution ne dépasse pas 30 % ([Visma Enterprise] est un producteur, de sorte que sa part de marché inclut également les volumes de vente de ses distributeurs), permettent-elles d’établir l’existence d’effets négatifs sur la concurrence au sein du système de distribution et/ou en dehors de ce système, et cet accord est-il soumis à l’interdiction des ententes ?

7)

Conformément à l’article 101, paragraphe 3, TFUE et à l’article 2 du règlement no°330/2010, [lu en combinaison] avec son article 4, sous b),

l’exemption s’applique-t-elle à un système de distribution dans lequel i) le distributeur (revendeur) choisit lui-même le client potentiel avec lequel il collaborera ; ii) le fournisseur n’a pas préalablement identifié, sur la base de critères objectifs, clairement connus et vérifiables, un groupe spécifique de clients auxquels chaque distributeur fournira ses services ; iii) le fournisseur, à la demande du distributeur (revendeur), fait une réservation de clients potentiels pour ce distributeur ; iv) les autres distributeurs ne connaissent pas ou ne sont pas informés à l’avance de la réservation du client potentiel ; dans lequel v) le seul critère pour réserver un client potentiel et, partant, pour déterminer le système de distribution exclusive en faveur d’un distributeur particulier est la demande de ce distributeur et non la décision du fournisseur ; ou dans lequel vi) la réservation demeure en vigueur pendant 6 (six) mois à compter de l’enregistrement de la transaction potentielle (après quoi la distribution cesse d’être exclusive) ;

peut-on constater que les ventes passives ne sont pas limitées lorsque l’accord entre le fournisseur et le distributeur comporte une clause prévoyant que l’acheteur (utilisateur final) peut s’opposer à sa réservation, mais que cet acheteur n’a pas été informé de la clause en question ? Le comportement de l’acheteur (utilisateur final) peut-il influencer (justifier) les termes de l’accord conclu entre le fournisseur et le distributeur ? »

Sur la compétence de la Cour

41

La juridiction de renvoi relève que l’accord en cause concerne une situation purement interne et n’a pas d’incidence sur le commerce entre les États membres. Par conséquent, selon cette juridiction, le litige devrait être résolu par l’application du droit letton. Toutefois, ladite juridiction précise que, selon la jurisprudence de la Cour suprême lettonne, l’article 101, paragraphe 1, TFUE et l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence établissent le même cadre juridique en ce qui concerne les effets probables des accords sur la concurrence et l’application de ces deux dispositions ne devrait pas être différente. Selon la juridiction de renvoi, il est essentiel d’éviter que soient admis en Lettonie des critères pour constater l’existence d’accords verticaux interdits différents de ceux prévus par les règles de concurrence de l’Union.

42

Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, points 34 et 35, ainsi que du 10 décembre 2020, J & S Service, C‑620/19, EU:C:2020:1011, point 31 et jurisprudence citée).

43

Toutefois, il est également de jurisprudence constante qu’il appartient à la Cour d’examiner les conditions dans lesquelles elle est saisie par le juge national en vue de vérifier sa propre compétence (arrêt du 10 décembre 2020, J & S Service, C‑620/19, EU:C:2020:1011, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

44

À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour s’est, à maintes reprises, déclarée compétente pour statuer sur les demandes de décision préjudicielle portant sur des dispositions du droit de l’Union dans des situations dans lesquelles les faits au principal se situaient en dehors du champ d’application directe de ce droit, pour autant que lesdites dispositions avaient été rendues applicables par la législation nationale, laquelle se conformait, pour les solutions apportées à des situations purement internes, à celles retenues par le droit de l’Union (arrêt du 21 juillet 2016, VM Remonts e.a., C‑542/14, EU:C:2016:578, point 17 ainsi que jurisprudence citée).

45

Une telle compétence est justifiée par l’intérêt manifeste, pour l’ordre juridique de l’Union à ce que, afin d’éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises du droit de l’Union reçoivent une interprétation uniforme (voir, en ce sens, arrêts du 18 octobre 1990, Dzodzi, C‑297/88 et C‑197/89, EU:C:1990:360, point 37, ainsi que du 10 décembre 2020, J & S Service, C‑620/19, EU:C:2020:1011, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

46

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi, en substance, que l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence prévoit un cadre juridique identique à celui prévu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et que ledit article 11, paragraphe 1, reçoit la même interprétation que l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

47

Par ailleurs, cette circonstance a déjà amené la Cour à se déclarer compétente pour statuer sur des demandes de décision préjudicielle portant sur l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE dans des situations purement internes n’ayant pas d’incidence sur le commerce entre les États membres dans lesquelles était d’application l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, points 11 à 14, ainsi que du 21 juillet 2016, VM Remonts e.a., C‑542/14, EU:C:2016:578, points 16 à 19).

48

Dans ces conditions, il y a lieu de conclure que la Cour est compétente pour répondre aux questions posées en tant qu’elles portent sur l’interprétation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ainsi que de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, dont le contenu essentiel est reproduit à l’article 11, paragraphe 2, de la loi sur la concurrence.

49

En revanche, la compétence de la Cour, en vertu de la jurisprudence rappelée au point 44 du présent arrêt, pour répondre aux questions posées en tant qu’elles portent sur l’interprétation du règlement no 330/2010 n’est pas établie. En effet, il ressort de l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement que celui-ci a pour objet de fixer les conditions dans lesquelles l’article 101, paragraphe 1, TFUE est déclaré, conformément à l’article 101, paragraphe 3, TFUE, inapplicable aux accords verticaux. Or, il ne ressort pas de la décision de renvoi que la législation lettone a rendu applicables les solutions retenues par le règlement no 330/2010 à des situations telles que celle en cause au principal, qui ne relèvent pas du champ d’application de l’article 101 TFUE et, partant, du champ d’application dudit règlement.

Sur les questions préjudicielles

Sur les première, cinquième et sixième questions

50

Par ses première, cinquième et sixième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un accord conclu entre un fournisseur et un distributeur en vertu duquel le distributeur qui a été le premier à enregistrer la transaction potentielle avec l’utilisateur final bénéficie, pendant six mois à compter de l’enregistrement de cette transaction, d’une « priorité pour la réalisation de l’opération de vente », à moins que cet utilisateur ne s’y oppose, peut être qualifié d’« accord ayant pour objet » ou « pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de cette disposition.

51

À cet égard, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, lequel est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le rôle de cette dernière est limité à l’interprétation des dispositions du droit de l’Union sur lesquelles elle est interrogée, en l’occurrence sur l’article 101, paragraphe 1, TFUE. Ainsi, il appartient non pas à la Cour, mais à la juridiction de renvoi d’apprécier en définitive si, compte tenu de l’ensemble des éléments pertinents caractérisant la situation au principal et du contexte économique et juridique dans lequel celle-ci s’insère, l’accord en cause a pour objet de restreindre la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160 ; point 29, ainsi que du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 59).

52

Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, sur la base des éléments du dossier dont elle dispose, apporter des précisions visant à guider la juridiction de renvoi dans son interprétation afin que cette dernière puisse trancher le litige (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

53

En vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous les accords conclus entre les entreprises, toutes les décisions d’associations d’entreprises et toutes les pratiques concertées, susceptibles d’affecter le commerce entre les États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.

54

Pour relever de cette interdiction, un accord doit avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser de manière sensible la concurrence dans le marché intérieur [voir, en ce sens, arrêts du 13 décembre 2012, Expedia, C‑226/11, EU:C:2012:795, points 16, 17 et 20 ainsi que jurisprudence citée, et du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 31].

55

Selon une jurisprudence constante de la Cour depuis l’arrêt du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38), le caractère alternatif de cette condition, marqué par la conjonction « ou », conduit d’abord à la nécessité de considérer l’objet même de l’accord (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

56

Il en découle que cette disposition, telle qu’interprétée par la Cour, procède à une distinction nette entre la notion de « restriction par objet » et celle de « restriction par effet », chacune étant soumise à un régime probatoire différent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 63].

57

En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que certains types de coordination entre entreprises révèlent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiés de « restriction par objet », de sorte que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire. Cette jurisprudence tient à la circonstance que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu de la concurrence (arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 35 ainsi que jurisprudence citée).

58

Ainsi, s’agissant des accords qualifiés de « restrictions par objet », il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence en vue de les qualifier de « restriction de concurrence », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où l’expérience montre que de tels accords entraînent des réductions de la production et des hausses de prix, aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des consommateurs [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 64 ainsi que jurisprudence citée]. Pour avoir un objet anticoncurrentiel, il suffit donc que l’accord soit concrètement apte à empêcher, à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 38).

59

Le critère juridique essentiel pour déterminer si un accord comporte une restriction de concurrence « par objet » réside donc dans la constatation qu’un tel accord présente, en lui-même, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour considérer qu’il n’y a pas lieu d’en rechercher les effets (arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

60

En outre, la notion de « restriction de concurrence par objet » doit être interprétée de manière restrictive. En effet, cette notion ne peut être appliquée qu’à certains types de coordination entre des entreprises révélant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

61

Cela étant, la circonstance qu’un accord constitue un accord vertical n’exclut pas la possibilité que celui-ci comporte une restriction de la concurrence « par objet ». En effet, si les accords verticaux sont, par leur nature, souvent moins nuisibles à l’égard de la concurrence que les accords horizontaux, ils peuvent, toutefois, dans certaines circonstances, également comporter un potentiel restrictif particulièrement élevé (voir, en ce sens, arrêts du 14 mars 2013, Allianz Hungária Biztosító e.a., C‑32/11, EU:C:2013:160, point 43, ainsi que du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C‑345/14, EU:C:2015:784, point 21).

62

Afin d’apprécier si un accord entre des entreprises ou une décision d’association d’entreprises présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être considéré comme une restriction de concurrence « par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il convient de s’attacher à la teneur de ses dispositions, aux objectifs qu’il vise à atteindre ainsi qu’au contexte économique et juridique dans lequel il s’insère. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu également de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés en question (arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

63

Le fait qu’une mesure soit considérée comme poursuivant un objectif légitime n’exclut pas que, eu égard à l’existence d’un autre objectif poursuivi par celle-ci et devant être regardé, quant à lui, comme illégitime, compte tenu également de la teneur des dispositions de cette mesure et du contexte dans lequel elle s’inscrit, ladite mesure puisse être considérée comme ayant un objet restrictif de la concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

64

S’agissant, tout d’abord, de la teneur de l’accord en cause, il ressort de la décision de renvoi que la clause 4.1 du contrat-type de collaboration conclu entre Visma Enterprise et ses distributeurs prévoit que le distributeur qui a été le premier à enregistrer la transaction potentielle avec l’utilisateur final bénéficie, pendant six mois à compter de l’enregistrement de la transaction potentielle, d’une « priorité pour la réalisation de l’opération de vente », à moins que cet utilisateur ne s’y oppose.

65

Il convient de relever, à cet égard, qu’il ne ressort pas du libellé de ladite clause, tel que reproduit dans la décision de renvoi, en quoi consiste cette priorité. Le conseil de la concurrence a considéré, dans la décision litigieuse que seul le distributeur qui a été le premier à enregistrer le client potentiel peut réaliser l’opération de vente avec celui-ci, ce que Visma Enterprise a contesté.

66

Comme l’a soulevé la Commission européenne dans ses observations écrites soumises à la Cour, la même clause n’apparaît pas, à elle seule, interdire expressément aux distributeurs de Visma Enterprise de s’adresser activement à un client potentiel ou de répondre aux demandes de ce client. Il incombe donc à la juridiction de renvoi de déterminer la teneur exacte de l’accord en cause.

67

Ensuite, il importe de relever que les parties au litige au principal sont également en désaccord sur l’objectif de cet accord, Visma Enterprise ayant fait valoir que celui-ci vise à organiser la collaboration avec les distributeurs, à évaluer la conformité du produit aux besoins de l’acheteur, à instaurer des modalités de collaboration équitables avec les distributeurs et à utiliser les ressources de manière rationnelle.

68

Conformément à la jurisprudence rappelée au point 51 du présent arrêt, il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier les objectifs poursuivis par l’accord en cause.

69

À cet égard, il convient de rappeler que, bien que l’intention des parties ne constitue pas un élément nécessaire pour déterminer le caractère restrictif d’un accord entre des entreprises, rien n’interdit aux autorités de la concurrence ou aux juridictions nationales et de l’Union d’en tenir compte (arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

70

Enfin, il incombe à la juridiction de renvoi d’examiner le contexte économique et juridique dans lequel s’insère l’accord en cause.

71

Dans l’hypothèse où cet accord ne pourrait être qualifié de « restriction par objet », la juridiction de renvoi serait amenée à en examiner les effets et, pour pouvoir le qualifier de « restriction de concurrence », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, elle devrait constater la réunion des éléments établissant que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de manière sensible (voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

72

À cet effet, il y a lieu de prendre en considération le cadre concret dans lequel l’accord s’insère, notamment le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, la nature des biens ou des services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du marché ou des marchés en question [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 116 ainsi que jurisprudence citée].

73

Conformément à la jurisprudence constante, les effets restrictifs de concurrence peuvent être tant réels que potentiels, mais, en tout état de cause, doivent être suffisamment sensibles [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 117 ainsi que jurisprudence citée].

74

Aux fins de l’appréciation des effets d’un accord au regard de l’article 101 TFUE, il convient d’examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se produirait à défaut de l’accord en cause [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 118 ainsi que jurisprudence citée].

75

À cet effet, il y a lieu de prendre en considération, notamment, la nature et la quantité limitée ou non des produits faisant l’objet de l’accord, la position et l’importance des parties sur le marché des produits concernés, le caractère isolé de cet accord ou, au contraire, la place de celui-ci dans un ensemble d’accords. À cet égard, l’existence de contrats similaires, sans nécessairement être déterminante, est une circonstance qui, avec d’autres, peut constituer un contexte économique et juridique dans lequel ledit accord doit être apprécié (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 1980, L’Oréal, 31/80, EU:C:1980:289, point 19).

76

L’établissement du scenario contrefactuel a pour but d’établir les possibilités réalistes de comportement des acteurs économiques en l’absence de l’accord concerné et de déterminer ainsi le jeu probable du marché ainsi que la structure de celui-ci en l’absence de cet accord [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 120].

77

Il appartient à la juridiction nationale, sur la base de toutes les données pertinentes, de déterminer si l’accord en cause remplit, en fait, les conditions pour tomber sous l’interdiction de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (arrêt du 11 décembre 1980, L’Oréal, 31/80, EU:C:1980:289, point 20).

78

Par ailleurs, comme l’a fait valoir, en substance, la Commission, les accords verticaux sont, en principe, susceptibles d’être moins nuisibles pour la concurrence que les accords horizontaux. Ainsi, une restriction de la concurrence entre les distributeurs d’une même marque (intra-brand competition) n’est, en principe, problématique que lorsque la concurrence effective entre des marques différentes sur le marché en cause (inter-brand competition) est affaiblie (voir, par analogie, arrêt du 25 octobre 1977, Metro SB-Großmärkte/Commission, 26/76, EU:C:1977:167, point 22).

79

Il résulte des considérations qui précèdent qu’il incombera à la juridiction de renvoi de déterminer, notamment, les caractéristiques du marché en cause et la position des parties sur celui-ci.

80

À cet égard, il ressort du libellé des questions préjudicielles que la part de marché de Visma Enterprise ne dépasse pas 30 %. Cette circonstance devrait, ensemble avec d’autres éléments, être prise en compte afin de déterminer la structure du marché en cause, y compris la position de Visma Enterprise sur celui-ci, ce qui peut relever du contexte économique dans lequel l’accord en cause doit être apprécié.

81

La juridiction de renvoi devra, ensuite, examiner les effets sur la concurrence de la « réservation » du client potentiel par un distributeur au regard, notamment, de la circonstance, qui apparaît, eu égard au libellé des questions préjudicielles, être établie, que les distributeurs ne sont pas informés à l’avance de la « réservation » du client potentiel et que le client final n’est pas informé de la possibilité de s’opposer à cette réservation ainsi qu’au regard de la durée de celle-ci.

82

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux première, cinquième et sixième questions que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un accord conclu entre un fournisseur et un distributeur en vertu duquel le distributeur qui a été le premier à enregistrer la transaction potentielle avec l’utilisateur final bénéficie, pendant six mois à compter de l’enregistrement de cette transaction, d’une « priorité pour la réalisation de l’opération de vente », à moins que cet utilisateur ne s’y oppose, ne saurait être qualifié d’« accord ayant pour objet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de cette disposition, à moins que cet accord, eu égard à ses termes, à ses objectifs et à son contexte, puisse être considéré comme présentant le degré de nocivité suffisant à l’égard de la concurrence pour être ainsi qualifié. Dans l’hypothèse où un tel accord ne constituerait pas une restriction de la concurrence « par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la juridiction nationale doit examiner si, à la lumière de toutes les circonstances pertinentes de l’affaire au principal, à savoir, notamment, le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, la nature des biens ou des services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et la structure du marché en question, cet accord pourrait être considéré comme restreignant la concurrence d’une manière suffisamment sensible en raison de ses effets réels ou potentiels.

Sur les deuxième, troisième et septième questions

83

Par ses deuxième, troisième et septième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un accord conclu entre un fournisseur et un distributeur en vertu duquel le distributeur qui a été le premier à enregistrer la transaction potentielle avec l’utilisateur final bénéficie, pendant six mois à compter de l’enregistrement de cette transaction, d’une « priorité pour la réalisation de l’opération de vente », à moins que cet utilisateur ne s’y oppose, est susceptible, dans l’hypothèse où il constituerait un accord ayant « pour objet » ou « pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de bénéficier d’une exemption au titre du paragraphe 3 de cet article.

84

À cet égard, il y a lieu de rappeler que tout accord qui s’avère être contraire aux dispositions de l’article 101, paragraphe 1, TFUE ne peut faire l’objet d’une exemption au titre du paragraphe 3 de cet article que s’il satisfait aux conditions cumulatives y figurant, y compris la condition de contribuer à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 230 ainsi que jurisprudence citée).

85

Il est également de jurisprudence constante que l’amélioration, au sens de la première condition prévue à l’article 101, paragraphe 3, TFUE, ne saurait être identifiée à tout avantage que les partenaires retirent de l’accord en cause quant à leur activité de production ou de distribution. Cette amélioration doit, notamment, présenter des avantages objectifs sensibles, de nature à compenser les inconvénients que comporte cet accord sur le plan de la concurrence (arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 234 ainsi que jurisprudence citée).

86

L’examen d’un accord, afin de déterminer si ce dernier contribue à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique et si ledit accord engendre des avantages objectifs sensibles, doit être entrepris au vu des arguments de fait et des éléments de preuve fournis par les entreprises (arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 235 ainsi que jurisprudence citée).

87

Un tel examen peut nécessiter de prendre en compte les caractères et les éventuelles spécificités du secteur concerné par l’accord en cause, si ces caractères et ces spécificités sont décisifs sur le résultat de l’examen. Par ailleurs, au regard de l’article 101, paragraphe 3, TFUE, c’est le caractère favorable de l’incidence sur l’ensemble des consommateurs dans les marchés pertinents qui doit être pris en considération (arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 236 ainsi que jurisprudence citée).

88

Il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi que Visma Enterprise a soutenu que l’accord en cause a pour effet, notamment, d’améliorer la distribution de son produit, de fournir un produit de meilleure qualité ainsi que de réaliser des économies.

89

Dans ces conditions, il incombe à cette juridiction d’apprécier si cet accord contribue à améliorer la production ou la distribution des produits en cause au principal et s’il satisfait aux autres conditions qui figurent à l’article 101, paragraphe 3, TFUE.

90

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux deuxième, troisième et septième questions que l’article 101, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un accord conclu entre un fournisseur et un distributeur en vertu duquel le distributeur qui a été le premier à enregistrer la transaction potentielle avec l’utilisateur final bénéficie, pendant six mois à compter de l’enregistrement de cette transaction, d’une « priorité pour la réalisation de l’opération de vente », à moins que cet utilisateur ne s’y oppose, dans l’hypothèse où il constituerait un accord ayant « pour objet » ou « pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ne peut faire l’objet d’une exemption au titre du paragraphe 3 de cet article que s’il satisfait aux conditions cumulatives y figurant.

Sur la quatrième question

91

Il ressort de la décision de renvoi que l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale) a posé la quatrième question dans le contexte du grief que Visma Enterprise avait dirigé contre la partie de la décision litigieuse dans laquelle le conseil de la concurrence a considéré qu’il n’était pas approprié ni nécessaire de tenir pour responsables de l’infraction constatée les distributeurs de FMS Software. Par ce grief, Visma Enterprise avait fait valoir, en substance, que, dans la mesure où l’article 11, paragraphe 1, de la loi sur la concurrence, qui reprend l’essence de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, vise les accords entre les entreprises, le conseil de la concurrence ne pouvait pas sanctionner une seule partie à l’accord en cause, sauf à reconnaître qu’il n’y avait pas d’infraction à ces dispositions.

92

Dès lors, il convient de comprendre la quatrième question en ce sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que l’existence d’un accord enfreignant cette disposition est exclue lorsque l’autorité chargée de la mise en œuvre de ladite disposition a procédé à une appréciation différentiée concernant l’imputation de la responsabilité de l’infraction.

93

À cet égard, ainsi qu’il a été rappelé, au point 53 du présent arrêt, en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous les accords conclus entre les entreprises, toutes les décisions d’associations d’entreprises et toutes les pratiques concertées, qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre les États membres et qui ont pour objet ou pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l’intérieur du marché intérieur.

94

Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, pour qu’il y ait « accord », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il suffit que les entreprises en cause aient exprimé leur volonté commune de se comporter sur le marché d’une manière déterminée (arrêt du 14 janvier 2021, Kilpailu- ja kuluttajavirasto, C‑450/19, EU:C:2021:10, point 21 et jurisprudence citée).

95

La constatation d’une infraction à l’article 101 TFUE doit ainsi être fondée sur une appréciation au regard des conditions énoncées par cette disposition.

96

Il s’ensuit que la question de l’existence d’un accord interdit en vertu de l’article 101, paragraphe 1, TFUE est, en principe, différente de celle de l’imputation de la responsabilité de l’infraction et de l’imposition d’une sanction à une partie à cet accord, quand bien même certains éléments factuels pourraient s’avérer pertinents dans l’appréciation de ces deux problématiques.

97

En effet, la première question a trait aux conditions d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE tandis que la seconde question se rapporte aux conséquences d’une violation de cette disposition, cette dernière question n’entrant, en principe, en ligne de compte que lorsqu’une infraction à ladite disposition est constatée au préalable.

98

Dès lors, pour autant que l’existence d’un accord enfreignant l’article 101, paragraphe 1, TFUE soit établie conformément aux critères énoncés par cette disposition, l’appréciation de l’autorité chargée de la mise en œuvre de celle-ci concernant l’imputation de la responsabilité de l’infraction aux parties à cet accord ne saurait, en principe, avoir une incidence sur la constatation de cette infraction.

99

La question portant sur les conditions d’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE est, en outre, distincte de celle de savoir si une autorité chargée de la mise en œuvre de cette disposition peut n’imputer la responsabilité d’une infraction à cette disposition qu’à une seule partie d’un accord constituant cette infraction, laquelle n’est pas posée dans l’affaire au principal.

100

Dans ces conditions, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que l’existence d’un accord interdit par cette disposition ne saurait être exclue pour la seule raison que l’autorité chargée de la mise en œuvre de ladite disposition a procédé à une appréciation différentiée concernant l’imputation aux parties à cet accord de la responsabilité de l’infraction.

Sur les dépens

101

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un accord conclu entre un fournisseur et un distributeur en vertu duquel le distributeur qui a été le premier à enregistrer la transaction potentielle avec l’utilisateur final bénéficie, pendant six mois à compter de l’enregistrement de cette transaction, d’une « priorité pour la réalisation de l’opération de vente », à moins que cet utilisateur ne s’y oppose, ne saurait être qualifié d’« accord ayant pour objet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de cette disposition, à moins que cet accord, eu égard à ses termes, à ses objectifs et à son contexte, puisse être considéré comme présentant le degré de nocivité suffisant à l’égard de la concurrence pour être ainsi qualifié.

Dans l’hypothèse où un tel accord ne constituerait pas une restriction de la concurrence « par objet », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la juridiction nationale doit examiner si, à la lumière de toutes les circonstances pertinentes de l’affaire au principal, à savoir, notamment, le contexte économique et juridique dans lequel opèrent les entreprises concernées, la nature des biens ou des services affectés, ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et la structure du marché en question, cet accord pourrait être considéré comme restreignant la concurrence d’une manière suffisamment sensible en raison de ses effets réels ou potentiels.

 

2)

L’article 101, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un accord conclu entre un fournisseur et un distributeur en vertu duquel le distributeur qui a été le premier à enregistrer la transaction potentielle avec l’utilisateur final bénéficie, pendant six mois à compter de l’enregistrement de cette transaction, d’une « priorité pour la réalisation de l’opération de vente », à moins que cet utilisateur ne s’y oppose, dans l’hypothèse où il constituerait un accord ayant « pour objet » ou « pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ne peut faire l’objet d’une exemption au titre du paragraphe 3 de cet article que s’il satisfait aux conditions cumulatives y figurant.

 

3)

L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens que l’existence d’un accord interdit par cette disposition ne saurait être exclue pour la seule raison que l’autorité chargée de la mise en œuvre de ladite disposition a procédé à une appréciation différentiée concernant l’imputation aux parties à cet accord de la responsabilité de l’infraction.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le letton.

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