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Document 62020CC0179

Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 9 septembre 2021.
Fondul Proprietatea SA contre Guvernul României e.a.
Demande de décision préjudicielle, introduite par la Curtea de Apel Bucureşti.
Renvoi préjudiciel – Marché intérieur de l’électricité – Directive 2009/72/CE – Article 15, paragraphe 4 – Appel prioritaire – Sécurité d’approvisionnement – Article 32, paragraphe 1 – Libre accès des tiers – Accès garanti aux réseaux de transport – Directive 2009/28/CE – Article 16, paragraphe 2 – Accès garanti – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Article 108, paragraphe 3, TFUE – Aides d’État.
Affaire C-179/20.

Recueil – Recueil général – Partie «Informations sur les décisions non publiées» ; Recueil – Recueil général

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2021:731

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 9 septembre 2021 ( 1 )

Affaire C‑179/20

Fondul Proprietatea SA

contre

Guvernul României,

SC Complexul Energetic Hunedoara SA, en liquidation,

Compania Naţională de Transport al Energiei Electrice “Transelectrica” SA,

SC Complexul Energetic Oltenia SA,

en présence de

Ministerul Economiei, Energiei şi Mediului de Afaceri

[demande de décision préjudicielle formée par la Curtea de Apel Bucureşti [(cour d’appel de Bucarest, Roumanie)]

« Renvoi préjudiciel – Règles communes pour le marché intérieur de l’électricité – Libre accès des tiers aux réseaux – Obligations de service public – Sécurité d’approvisionnement – Directive 2009/72/CE – Accès garanti aux réseaux électriques – Directive 2009/28/CE »

1.

Un État membre peut-il accorder un accès garanti aux réseaux de transport et de distribution à certaines installations de production d’électricité qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables ?

2.

C’est cette question qui, parmi celles faisant l’objet de la demande préjudicielle introduite par la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), fera l’objet, à la demande de la Cour, des présentes conclusions.

3.

Dans son arrêt à intervenir, la Cour aura, notamment, l’opportunité de se prononcer sur la portée de l’obligation pour les États membres d’accorder aux installations de production qui utilisent des sources d’énergie renouvelables un accès garanti aux réseaux ainsi que sur l’incidence de l’octroi d’un accès garanti à certaines installations de production qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables sur l’accès aux réseaux des installations de production qui n’en bénéficient pas.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La directive 2009/28/CE

4.

Le considérant 60 de la directive 2009/28/CE ( 2 ) énonce :

« Un accès prioritaire et un accès garanti pour l’électricité provenant de sources d’énergie renouvelables sont importants pour intégrer les sources d’énergie renouvelables dans le marché intérieur de l’électricité, conformément à l’article 11, paragraphe 2, et approfondir l’article 11, paragraphe 3, de la directive 2003/54/CE[ ( 3 )]. Les exigences relatives au maintien de la fiabilité et de la sécurité du réseau et à l’appel peuvent différer en fonction des caractéristiques du réseau national et de son bon fonctionnement. L’accès prioritaire au réseau donne aux producteurs connectés d’électricité provenant de sources d’énergie renouvelables l’assurance qu’ils seront en mesure de vendre et de transporter l’électricité issue de sources d’énergie renouvelables conformément aux règles de raccordement à tout moment lorsque la source devient disponible. Lorsque l’électricité issue de sources d’énergie renouvelables est intégrée dans le marché au comptant, l’accès garanti assure que toute l’électricité vendue et bénéficiant d’une aide a accès au réseau, ce qui permet d’utiliser une quantité maximale d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables provenant d’installations raccordées au réseau. Toutefois, cela n’oblige pas les États membres à soutenir ou à rendre obligatoire l’achat d’énergie produite à partir de sources renouvelables. Dans d’autres systèmes, un prix fixe est défini pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, en général en liaison avec une obligation d’achat pour l’opérateur du réseau. Dans ce cas, l’accès prioritaire a déjà été donné. »

5.

L’article 16, intitulé « Accès aux réseaux et gestion des réseaux », paragraphe 2, de cette directive dispose :

« Sous réserve des exigences relatives au maintien de la fiabilité et de la sécurité du réseau, reposant sur des critères transparents et non discriminatoires définis par les autorités nationales compétentes :

[...]

b)

les États membres prévoient, en outre, soit un accès prioritaire, soit un accès garanti au réseau pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables ;

c)

les États membres font en sorte que, lorsqu’ils appellent les installations de production d’électricité, les gestionnaires de réseau de transport donnent la priorité à celles qui utilisent des sources d’énergie renouvelables, dans la mesure où la gestion en toute sécurité du réseau national d’électricité le permet et sur la base de critères transparents et non discriminatoires. [...] »

2. La directive 2009/72/CE

6.

L’article 3, intitulé « Obligations de service public et protection des consommateurs », paragraphes 2 et 14, de la directive 2009/72/CE ( 4 ) dispose :

« 2.   En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de son article 86, les États membres peuvent imposer aux entreprises du secteur de l’électricité, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l’environnement, y compris l’efficacité énergétique, l’énergie produite à partir de sources d’énergie renouvelables et la protection du climat. Ces obligations sont clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises d’électricité de la Communauté un égal accès aux consommateurs nationaux. En matière de sécurité d’approvisionnement, d’efficacité énergétique/gestion de la demande et pour atteindre les objectifs environnementaux et les objectifs concernant l’énergie produite à partir de sources d’énergie renouvelables, visés au présent paragraphe, les États membres peuvent mettre en œuvre une planification à long terme, en tenant compte du fait que des tiers pourraient vouloir accéder au réseau.

[...]

14.   Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer les dispositions des articles 7, 8, 32 et/ou 34 si leur application risque d’entraver l’accomplissement, en droit ou en fait, des obligations imposées aux entreprises d’électricité dans l’intérêt économique général et pour autant que le développement des échanges n’en soit pas affecté dans une mesure qui serait contraire aux intérêts de la Communauté. Les intérêts de la Communauté comprennent, entre autres, la concurrence en ce qui concerne les clients éligibles conformément à la présente directive et à l’article 86 du traité. »

7.

L’article 15, intitulé « Appel et ajustement », de la directive 2009/72 énonce :

« 1.   Sans préjudice de la fourniture d’électricité sur la base d’obligations contractuelles, y compris celles qui découlent du cahier des charges de l’appel d’offres, le gestionnaire de réseau de transport, lorsqu’il assure cette fonction, est responsable de l’appel des installations de production situées dans sa zone et de la détermination de l’utilisation des interconnexions avec les autres réseaux.

2.   L’appel des installations de production et l’utilisation des interconnexions sont faits sur la base de critères qui sont approuvés par les autorités de régulation nationales si elles sont compétentes en la matière, et qui doivent être objectifs, publiés et appliqués de manière non discriminatoire, afin d’assurer un bon fonctionnement du marché intérieur de l’électricité. Ces critères tiennent compte de l’ordre de préséance économique de l’électricité provenant des installations de production disponibles ou de transferts par interconnexion, ainsi que des contraintes techniques pesant sur le réseau.

3.   Un État membre impose aux gestionnaires de réseau de se conformer à l’article 16 de la directive 2009/28/CE, lorsqu’ils appellent les installations de production qui utilisent des sources d’énergie renouvelables. Il peut également exiger des gestionnaires de réseau, lorsqu’ils appellent les installations de production, qu’ils donnent la priorité à celles qui produisent de la chaleur et de l’électricité combinées.

4.   Un État membre peut, pour des raisons de sécurité d’approvisionnement, ordonner que les installations de production utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire soient appelées en priorité, dans une limite de 15 % de la quantité totale d’énergie primaire nécessaire pour produire l’électricité consommée dans l’État membre concerné au cours d’une année civile.

[...] »

8.

L’article 32, intitulé « Accès des tiers », de la directive 2009/72 prévoit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que soit mis en place, pour tous les clients éligibles, un système d’accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution. Ce système, fondé sur des tarifs publiés, doit être appliqué objectivement et sans discrimination entre les utilisateurs du réseau. Les États membres veillent à ce que ces tarifs, ou les méthodes de calcul de ceux‑ci, soient approuvés avant leur entrée en vigueur conformément à l’article 37, et à ce que ces tarifs et les méthodes de calcul, lorsque seules les méthodes de calcul sont approuvées, soient publiés avant leur entrée en vigueur.

2.   Le gestionnaire d’un réseau de transport ou de distribution peut refuser l’accès s’il ne dispose pas de la capacité nécessaire. Le refus doit être dûment motivé et justifié, eu égard, en particulier, à l’article 3, et reposer sur des critères objectifs et techniquement et économiquement fondés. [...] »

B.   Le droit roumain

9.

La Roumanie, afin de transposer la directive 2009/72, a adopté une série d’actes dont la Legea energiei electrice și a gazelor naturale nr. 123/2012 (loi no 123/2012 sur l’électricité et les gaz naturels), du 10 juillet 2012 (Monitorul Oficial al României, n 485 du 16 juillet 2012) (ci‑après la « loi no 123/2012 ») et, en application de cette loi, la Hotărârea Guvernului nr. 138/2013 privind adoptarea unor măsuri pentru siguranța alimentării cu energie electrică (décision du gouvernement no 138/2013 portant adoption de mesures pour la sécurité de l’approvisionnement en électricité), du 3 avril 2013 (Monitorul Oficial al României, no 196 du 8 avril 2013) (ci‑après la « décision no 138/2013 »).

10.

La loi no 123/2012, d’abord, disposait, à son article 5, paragraphe 3, intitulé « Programme énergétique »:

« Par décision du gouvernement, pour des raisons liées à la sécurité de l’approvisionnement en électricité, un accès garanti aux réseaux électriques peut être accordé pour l’électricité produite par des centrales électriques qui utilisent du combustible intérieur, dans la limite d’une quantité annuelle d’énergie primaire de 15 % de la quantité totale de combustible équivalent nécessaire pour produire l’électricité afférente à la consommation brute finale du pays. »

11.

La décision no 138/2013 prévoyait, ensuite, à son article 1er :

« Est accordé un accès garanti aux réseaux électriques pour l’électricité produite par la centrale thermoélectrique de Mintia appartenant à la Societatea Comercială Complexul Energetic Hunedoara SA, ce qui lui assure le fonctionnement continu à une puissance électrique moyenne d’au moins 200 MW. »

12.

Dans le même sens, l’article 2 de cette décision disposait :

« Est accordé un accès garanti aux réseaux électriques pour l’électricité produite par la Societatea Comercială Complexul Energetic Oltenia SA, ce qui lui assure le fonctionnement continu à une puissance électrique moyenne d’au moins 500 MW. »

13.

L’article 3 de la décision no 138/2013 énonçait :

« La Compania Națională de Transport al Energiei Electrice « Transelectrica » SA, en qualité de gestionnaire de réseau de transport, est tenue de garantir l’appel prioritaire de l’électricité produite par les centrales thermoélectriques visées aux articles 1 et 2 dans les conditions prévues par la réglementation adoptée par l’Autoritatea Națională de Reglementare în Domeniul Energiei [(ANRE), l’autorité nationale de régulation dans le domaine de l’énergie]. »

14.

L’article 4 de la décision no 138/2013 prévoyait :

« Afin de maintenir le niveau de sécurité du système électrique national, Societatea Comercială Complexul Energetic Hunedoara SA a l’obligation de fournir des services auxiliaires au gestionnaire de réseau de transport d’une puissance électrique valant au moins 400 MW, conformément à la réglementation adoptée par l’[ANRE]. »

15.

Dans le même sens, l’article 5 de ladite décision disposait :

« Afin de maintenir le niveau de sécurité du système électrique national, [Societatea Comercială Complexul Energetic Oltenia SA a l’obligation de fournir des services auxiliaires au gestionnaire de réseau de transport d’une puissance électrique valant au moins 600 MW, conformément à la réglementation adoptée par l’[ANRE]. »

16.

La décision no 138/2013 prévoyait à son article 6 que les « mesures prévues dans la présente décision s’appliquent du 15 avril 2013 au 1er juillet 2015 ».

17.

Par la décision du gouvernement no 941/2014, le délai imparti pour appliquer les mesures prévues aux articles 1er, 3 et 4 de la décision no 138/2013 à la société Complexul Energetic Hunedoara SA avait été prolongé jusqu’au 31 décembre 2017.

II. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

18.

SC Complexul Energetic Hunedoara et SC Complexul Energetic Oltenia sont deux sociétés productrices d’électricité qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables. Le droit roumain, que je viens d’exposer, institue à leur égard trois mesures qui peuvent être synthétisées comme suit :

un appel prioritaire par Transelectrica ( 5 ) de l’électricité produite par la centrale thermoélectrique de Mintia appartenant à SC Complexul Energetic Hunedoara et de celle produite par SC Complexul Energetic Oltenia (article 3 de la décision no 138/2013) ( 6 ) ;

un accès garanti aux réseaux de transport et de distribution pour l’électricité produite par ces centrales thermoélectriques leur assurant respectivement un fonctionnement continu à une puissance électrique moyenne d’au moins 200 MW et 500 MW (article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 et articles 1 et 2 de la décision no 138/2013 ; ci‑après la « mesure en cause ») ;

l’obligation pour SC Complexul Energetic Hunedoara et pour SC Complexul Energetic Oltenia de fournir à Transelectrica des services auxiliaires respectivement d’une puissance électrique d’au moins 400 MW et 600 MW (articles 4 et 5 de la décision no 138/2013).

19.

Fondul Proprietatea SA, actionnaire d’une société productrice d’électricité utilisant des sources d’énergie renouvelables, Hidroelectrica SA, s’estime lésée par l’adoption de ces mesures par la Roumanie en ce qu’elles constituent, selon elle, une aide d’État bénéficiant à SC Complexul Energetic Hunedoara et à SC Complexul Energetic Oltenia, qu’elle considère comme deux de ses concurrentes.

20.

Afin de protéger ses intérêts, Fondul Proprietatea a donc introduit un recours en annulation à l’encontre de la décision no 138/2013 devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest). Par arrêt en date du 10 mars 2015, celle‑ci a rejeté son recours.

21.

La requérante s’est alors pourvue en cassation devant l’Înalta Curte de Casație și Justiție ‑ Secția de Contencios Administrativ și Fiscal (Haute Cour de cassation et de justice – chambre du contentieux administratif et fiscal, Roumanie). Par arrêt en date du 22 mai 2018, cette dernière a cassé partiellement l’arrêt attaqué au motif que la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) n’avait pas examiné l’ensemble des motifs d’illégalité soulevés par la requérante. Par voie de conséquence, l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a renvoyé les parties devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) afin qu’elle examine l’ensemble desdits motifs.

22.

À l’occasion de l’examen du renvoi du recours en annulation, la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest), invitée en ce sens par la requérante, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Article 107 et article 108, paragraphe 3, TFUE : l’adoption par l’État roumain d’une réglementation qui prévoit en faveur de deux sociétés à capital majoritairement d’État :

a)

l’appel prioritaire et l’obligation pour le gestionnaire de réseau de transport d’acheter des services auxiliaires à ces sociétés et

b)

un accès garanti aux réseaux électriques pour l’électricité produite par ces deux sociétés de sorte à assurer le fonctionnement continu de celles‑ci

représente-t-elle une aide d’État au sens de l’article 107 TFUE, en d’autres termes une mesure financée par l’État ou au moyen de ressources d’État, ayant un caractère sélectif et qui peut affecter les échanges commerciaux entre les États membres ? En cas de réponse affirmative, cette aide d’État devait-elle être notifiée conformément à l’article 108, paragraphe 3, TFUE ?

2)

Article 15, paragraphe 4, de la directive [2009/72] : le fait que l’État roumain accorde un droit d’accès garanti au réseau électrique à deux sociétés à capital majoritairement d’État, de sorte à assurer le fonctionnement continu de celles‑ci, est-il conforme aux dispositions de l’article 15, paragraphe 4, de [cette directive] ? »

III. La procédure devant la Cour

23.

Ces questions ont fait l’objet d’observations écrites de la part de Fondul Proprietatea, de SC Complexul Energetic Oltenia et de la Commission européenne.

24.

Fondul Proprietatea et la Commission ont été entendues en leurs plaidoiries lors de l’audience du 2 juin 2021.

IV. Analyse

25.

Ainsi que cela a été illustré ci-dessus, les présentes conclusions porteront uniquement, conformément à la demande de la Cour, sur la seconde question.

A.   Observations liminaires sur les notions d’« appel prioritaire » et d’« accès garanti »

26.

Eu égard à l’absence de définition des notions d’« appel prioritaire » et d’« accès garanti » par les dispositions des directives 2009/28 et 2009/72, leur présentation me paraît nécessaire.

1. Sur la notion d’« appel prioritaire »

27.

Comme le prévoit l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2009/72, il revient au gestionnaire du réseau de transport de procéder à l’appel des installations de production. À cet égard, l’appel peut se définir, ainsi que la Cour l’a fait dans l’arrêt ENEL, comme « l’opération par laquelle le gestionnaire de réseau “appelle” les installations de production disposant d’une réserve de capacité appropriée et situées dans sa zone, en fonction des exigences de la demande, en vue d’assurer, à chaque instant, l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité sur le réseau, et ainsi garantir la continuité de la fourniture d’électricité » ( 7 ).

28.

Aux termes de l’article 15, paragraphe 2, de la directive 2009/72, la détermination des installations de production appelées à cette occasion se fait en application de critères qui doivent être objectifs, publiés et appliqués de manière non discriminatoire et qui tiennent compte en particulier de celui de l’ordre de préséance économique. À cet égard, ce critère se définit comme « le classement des sources d’approvisionnement en électricité selon des critères économiques » ( 8 ). Concrètement, les installations de production sont appelées en principe en commençant par l’offre de vente la plus basse et en poursuivant par ordre croissant jusqu’à ce que toute la demande soit satisfaite ( 9 ).

29.

Le législateur a toutefois adapté l’appel tel que je viens de l’exposer par l’introduction de la notion d’« appel prioritaire ». L’appel prioritaire consiste pour le gestionnaire du réseau de transport à appeler les installations de production sur la base de critères autres que celui de l’ordre de préséance économique. En effet, postérieurement à l’adoption de la directive 2009/72, le législateur a défini l’appel prioritaire comme, « dans le modèle d’appel décentralisé, l’appel des centrales électriques sur la base de critères autres que la préséance économique des offres et, dans le modèle d’appel centralisé, l’appel des centrales électriques sur la base de critères autres que la préséance économique des offres et les contraintes de réseau, en appelant en priorité certaines technologies de production » ( 10 ). En l’occurrence, la directive 2009/72 prévoit un appel prioritaire pour deux catégories d’installation de production.

30.

En premier lieu, les États membres sont tenus d’appeler en priorité les installations de production qui utilisent des sources d’énergie renouvelables en application de l’article 16, paragraphe 2, sous c), de la directive 2009/28, auquel l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2009/72 renvoie ( 11 ). Cet appel prioritaire, qui se fonde sur des raisons de protection de l’environnement ( 12 ), se veut être un mécanisme de soutien à ces installations ( 13 ).

31.

En second lieu, les États membres peuvent appeler en priorité les installations de production utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire en application de l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72 ( 14 ). Cet appel prioritaire, qui se fonde sur des raisons de sécurité d’approvisionnement, est toutefois limité à « 15 % de la quantité totale d’énergie primaire nécessaire pour produire l’électricité consommée dans l’État membre concerné au cours d’une année civile ».

2. Sur la notion d’« accès garanti »

32.

L’article 16, paragraphe 2, sous b) de la directive 2009/28, intitulé « Accès aux réseaux et gestion des réseaux », impose aux États membres d’accorder « soit un accès prioritaire, soit un accès garanti au réseau pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables » ( 15 ).

33.

Cette disposition ne définit toutefois pas la notion d’« accès garanti » et ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée. Par voie de conséquence, cette notion doit trouver, aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de celle‑ci, mais également du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation dont elle fait partie ( 16 ).

34.

À cet égard, le considérant 60 de la directive 2009/28 expose la fonction de l’accès garanti, les effets auxquels conduit sa mise en œuvre et l’objectif poursuivi. Selon ce considérant, l’accès garanti a pour fonction d’assurer « que toute l’électricité vendue et bénéficiant d’une aide a accès au réseau ». Eu égard à sa fonction, la mise en œuvre de l’accès garanti a nécessairement pour effet « d’utiliser une quantité maximale d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables provenant d’installations raccordées au réseau ». Enfin, l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union a consisté à « intégrer les sources d’énergie renouvelables dans le marché intérieur de l’électricité » et à approfondir l’appel prioritaire accordé aux installations de production qui utilisent des sources d’énergie renouvelables.

35.

En définitive, la rareté des matériaux permettant l’appréhension de la notion d’« accès garanti » n’aide indéniablement pas à sa compréhension. Toutefois, sans qu’il soit nécessaire pour l’examen de la question préjudicielle de définir plus avant cette notion, je considère que l’accès garanti, tel qu’il est exposé au considérant 60 de la directive 2009/28, est un mécanisme qui assure aux installations de production qui utilisent des sources d’énergie renouvelables l’accès aux réseaux afin d’acheminer l’électricité vendue.

B.   Reformulation de la seconde question préjudicielle

36.

Il est constant que la Roumanie, en adoptant l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 et les articles 1 et 2 de la décision no 138/2013, a accordé un accès garanti aux réseaux à des installations de production qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables.

37.

Le libellé de l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 peut toutefois conduire à une sorte de quiproquo entre accès garanti et appel prioritaire dès lors que cette disposition subordonne l’octroi d’un accès garanti au respect de conditions relevant de l’appel prioritaire tel que visé à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72. En effet, aux termes de l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012, l’accès garanti aux réseaux ne pouvait être accordé qu’à « des centrales électriques qui utilisent du combustible intérieur, dans la limite d’une quantité annuelle d’énergie primaire de 15 % de la quantité totale de combustible équivalent nécessaire pour produire l’électricité afférente à la consommation brute finale du pays » ( 17 ).

38.

D’ailleurs, le gouvernement roumain a soutenu devant la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) que l’objet de l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 avait été de transposer l’appel prioritaire tel que prévu à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72. Il me semble que cette circonstance a conduit la juridiction de renvoi à se référer à l’article 15, paragraphe 4, de cette directive lorsqu’elle a formulé sa seconde question portant sur la compatibilité avec le droit de l’Union de l’accès garanti tel que prévu à l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012.

39.

Or, pour répondre à la question portant en substance sur la possibilité pour un État membre d’accorder un accès garanti aux réseaux à certaines installations de production d’électricité qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables, l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72 ne me paraît pas central. En effet, cette disposition de la directive n’a trait qu’à l’appel prioritaire, sous conditions, de certaines installations de production utilisant des sources combustibles indigènes d’énergie primaire.

40.

À l’inverse, j’observe que l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28 est la seule disposition traitant de l’accès garanti. Toutefois, comme relevé par la juridiction de renvoi, l’obligation pour les États membres d’accorder un accès garanti aux réseaux ne vise que la seule électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables (ci‑après l’« électricité verte »). Il me paraît donc nécessaire de déterminer si cet article réserve un tel accès à la seule électricité verte.

41.

Par ailleurs, il me semble que l’accès garanti aux réseaux, tel que prévu à l’article 16, paragraphe 2, sous b) de la directive 2009/28, adapte, en partie et pour la seule électricité verte, les règles d’accès des tiers aux réseaux contenues à l’article 32 de la directive 2009/72.

42.

En effet, l’article 32 de la directive 2009/72, et plus particulièrement son paragraphe 1, institue le principe du libre accès des tiers aux réseaux, principe qui a pour corollaire l’interdiction faite aux États membres de prévoir des règles d’accès aux réseaux discriminatoires entre les utilisateurs. Or, l’accès garanti, étant un mécanisme qui assure aux installations de production qui en bénéficient l’accès aux réseaux afin d’acheminer l’électricité vendue, a une incidence certaine sur l’accès à ces mêmes réseaux des installations de production qui n’en bénéficient pas. En raison de cette incidence, il me paraît nécessaire d’examiner l’accès garanti tel que prévu par le droit roumain au regard de l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72.

43.

Dans le prolongement de cet examen, il me semble également nécessaire de vérifier si l’article 3, paragraphes 2 et 14, de la directive 2009/72 s’oppose à l’accès garanti tel que prévu par le droit roumain. Il ressort en effet de la décision de renvoi que l’octroi de l’accès garanti a été justifié devant la juridiction de renvoi par la nécessité d’assurer la sécurité d’approvisionnement en électricité. Une telle justification, lorsqu’elle a été soutenue devant la Cour, a été invariablement examinée par celle‑ci au regard de l’article 3, paragraphes 2 et 14, de la directive 2009/72 qui permet aux États membres de restreindre, sous certaines conditions, le libre accès des tiers aux réseaux visé à l’article 32, paragraphe 1, de cette même directive lorsque l’application de cette disposition risque d’entraver l’accomplissement par des entreprises du secteur de l’électricité de leurs obligations de service public.

44.

Dans ces conditions, il me paraît nécessaire, dans le but de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile à la solution du litige, de procéder à une reformulation de la seconde question telle qu’elle a été déférée à la Cour ( 18 ).

45.

Je suggère donc la reformulation de la seconde question en ces termes :

« Les dispositions de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28, ainsi que de l’article 3, paragraphes 2 et 14, et de l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72 doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause en l’espèce qui accorde un accès garanti aux réseaux de transport et de distribution à certaines installations de production d’électricité qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables afin de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité ? »

C.   Examen de la question préjudicielle reformulée

46.

Comme exposé ci-dessus, je tâcherai de déterminer, dans un premier temps, si l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28 réserve l’accès garanti aux réseaux à la seule électricité verte. Dans un second temps, j’examinerai la limitation à laquelle conduit l’accès garanti tel que prévu par le droit roumain sur le principe du libre accès des tiers aux réseaux visé à l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72 ainsi que son éventuelle justification au regard de l’article 3, paragraphes 2 et 14, de cette même directive.

1. Sur la compatibilité d’un accès garanti aux réseaux pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie non renouvelables avec l’accès garanti institué par la directive 2009/28

47.

Aux termes de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28, « les États membres prévoient, en outre, soit un accès prioritaire, soit un accès garanti au réseau pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables ». Afin de déterminer si le législateur de l’Union, en retenant le libellé de cette disposition, a entendu réserver l’accès garanti aux réseaux à la seule électricité verte, je procéderai à son interprétation littérale et téléologique ( 19 ). Cette analyse me paraît devoir conduire à la compatibilité, sous conditions, de l’octroi d’un accès garanti à certaines installations de production qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables avec la directive 2009/28.

a) Sur l’interprétation littérale

48.

L’interprétation littérale de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28 ne me permet pas de conclure à l’interdiction pour les États membres d’accorder un accès garanti aux réseaux à certaines installations de production qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables.

49.

En effet, dans la version en langue française, l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28 indique que « les États membres prévoient, en outre, soit un accès prioritaire, soit un accès garanti au réseau pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables ». Dans la version en langue anglaise, cette même disposition prévoit que les « Member States shall also provide for either priority access or guaranteed access to the grid-system of electricity produced from renewable energy sources ». Enfin, la version en langue estonienne de cette disposition énonce que les États membres « sätestavad ka taastuvatest energiaallikatest toodetud elektrienergia kas eelistatud või tagatud juurdepääsu võrgusüsteemile ».

50.

Ainsi, si pour chacune de ces versions linguistiques une obligation est énoncée, celle‑ci consiste pour les États membres à accorder à l’électricité verte un accès prioritaire ou garanti aux réseaux sans aller jusqu’à réserver de tels accès à cette seule électricité. Autrement dit, aucune de ces versions examinées de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28 ne me permet de conclure que le législateur de l’Union a interdit aux États membres d’accorder un accès garanti aux réseaux à d’autres installations de production que celles qui utilisent des sources d’énergie renouvelables.

b) Sur l’interprétation téléologique

51.

Pour les besoins de l’interprétation téléologique de la disposition en cause, il m’est nécessaire de relever que les réseaux de transport et de distribution disposent d’une capacité d’acheminement intrinsèquement limitée. Ainsi, ces réseaux ne peuvent pas forcément acheminer toute l’électricité produite ou pouvant être produite par les installations qui en relèvent ( 20 ).

52.

S’agissant maintenant de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28, il ressort du considérant 60 de cette directive que l’accès garanti aux réseaux vise en particulier à intégrer les sources d’énergie renouvelables dans le marché intérieur de l’électricité par l’utilisation d’une quantité maximale d’électricité verte. Je déduis donc que les gestionnaires de réseaux allouent aux installations de production qui bénéficient d’un accès garanti une capacité d’acheminement correspondant à la quantité d’électricité verte pouvant être utilisée.

53.

Ainsi, de la capacité intrinsèquement limitée des réseaux de transport et de distribution, d’une part, et de l’allocation de capacité à laquelle l’accès garanti conduit, d’autre part, je considère que l’octroi d’un accès garanti aux réseaux à l’électricité produite à partir de sources d’énergie non renouvelables peut, dans certaines circonstances seulement, conduire à ce que l’accès octroyé à l’électricité verte ne soit pas assuré ( 21 ).

54.

Toutefois, ces circonstances ne doivent pas, il me semble, conduire à une interprétation consistant à considérer que l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28 interdit, dans tous les cas, l’octroi d’un accès garanti aux réseaux à certaines installations de production qui n’utilisent pas des sources d’énergie renouvelables.

55.

En effet, considérer que l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28 interdit l’octroi d’un accès garanti aux réseaux aux installations de production qui n’utilisent pas des sources d’énergie renouvelables n’est pas nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par cette disposition qui consiste à intégrer les sources d’énergie renouvelables dans le marché intérieur de l’électricité par l’utilisation d’une quantité maximale d’électricité verte.

56.

Par ailleurs, une telle interprétation contient une sorte de radicalité qui ne me paraît pas compatible avec l’importante marge de manœuvre dont les États membres disposent dans ce domaine. En effet, la Cour considère que le législateur de l’Union, à l’occasion de l’adoption de la directive 2009/28, n’a pas entendu opérer une harmonisation exhaustive des régimes nationaux de soutien à la production d’énergie verte ( 22 ). Cette interprétation est d’ailleurs cohérente avec le constat plus général de la Cour selon lequel « la réglementation de l’Union, dans le domaine de l’environnement, n’envisage pas une harmonisation complète » ( 23 ). Partant, je considère que les États membres conservent une importante marge de manœuvre lorsqu’ils mettent en œuvre cet instrument ( 24 ).

57.

Pour l’ensemble de ces raisons, je considère, à l’instar de la Commission, que l’octroi par un État membre d’un accès garanti aux réseaux à des installations de production qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables me paraît compatible avec l’obligation édictée à l’article 16, paragraphe 2, sous b) de la directive 2009/28 aussi longtemps que l’accès garanti accordé à l’électricité verte est assuré. Il reviendra à la juridiction de renvoi de vérifier que l’électricité verte a effectivement disposé d’un accès garanti aux réseaux tel que prévu à l’article 16, paragraphe 2, sous b), de cette directive ( 25 ).

2. Sur la compatibilité d’un accès garanti aux réseaux pour certaines installations de production avec les règles d’accès instituées par la directive 2009/72

58.

À l’occasion de l’examen de la compatibilité de mesures nationales avec les règles d’accès des tiers aux réseaux prévues par les directives concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité ( 26 ), la Cour a élaboré un cadre d’analyse singulier résultant de l’articulation des dispositions régissant cet accès, cadre que j’expose puis me propose de suivre.

59.

Visé à l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72, le principe du libre accès des tiers aux réseaux a été qualifié par la Cour de « mesure essentielle » pour parvenir à l’achèvement du marché intérieur de l’électricité ( 27 ). L’importance de ce principe l’a ainsi conduite à considérer que toute limitation apportée par un État membre n’est autorisée que dans les seuls cas où la directive 2009/72 prévoit des exceptions ou des dérogations ( 28 ).

60.

S’agissant de telles exceptions ou dérogations, la Cour examine l’article 3, paragraphes 2 et 14, de la directive 2009/72 en ce qu’il permet aux États membres de restreindre, sous certaines conditions, le libre accès des tiers aux réseaux visé à l’article 32, paragraphe 1, de cette directive si l’application de cette disposition risque d’entraver l’accomplissement par des entreprises d’électricité, dont font partie les installations de production, de leurs obligations de service public, celles‑ci pouvant porter sur la sécurité d’approvisionnement ( 29 ).

61.

Parallèlement, l’examen de la compatibilité de mesures nationales avec l’article 32, paragraphe 1, l’article 3, paragraphes 2 et 14, de la directive 2009/72 nécessitant pour chacun d’eux un contrôle de proportionnalité, la Cour procédera à un tel contrôle en fin d’examen afin, me semble-t-il, d’éviter toute redondance inutile ( 30 ).

a) Sur l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72

62.

Le principe du libre accès des tiers aux réseaux a été formulé, bien que de manière embryonnaire, dès l’adoption de la directive 96/92 ( 31 ). Par la suite, ce principe, systématiquement repris, sera étoffé par les directives concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité ultérieures ( 32 ).

63.

L’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72 prévoit notamment « que soit mis en place, pour tous les clients éligibles, un système d’accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution ». À cet égard, la Cour considère, de manière constante, que ce droit constitue « l’une des mesures essentielles que les États membres sont tenus de mettre en œuvre pour parvenir à l’achèvement du marché intérieur de l’électricité » ( 33 ).

64.

Par ailleurs, ce principe interdit aux États membres d’organiser l’accès des tiers aux réseaux d’une manière discriminatoire. En effet, l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72 prévoit que le système d’accès en question « doit être appliqué objectivement et sans discrimination entre les utilisateurs du réseau » ( 34 ). La Cour a rapproché l’interdiction faite aux États membres de discriminer les tiers de celle énoncée, de manière plus générale, à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive ( 35 ), disposition selon laquelle les États membres s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations des entreprises d’électricité.

65.

Elle en déduit que ces dispositions « sont des expressions particulières du principe général d’égalité » ( 36 ), principe qui impose « que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié » ( 37 ).

66.

Il convient donc de s’interroger à propos de l’existence d’une différence de traitement dans l’affaire qui nous occupe.

67.

En l’espèce, l’accès aux réseaux a été garanti à hauteur d’au moins 700 MW, en vertu de l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 et des articles 1 et 2 de la décision no 138/2013, à SC Complexul Energetic Hunedoara et à SC Complexul Energetic Oltenia. Cette seule constatation permet de conclure en une différence de traitement au détriment des producteurs d’électricité ayant eu accès aux réseaux en question et qui ont utilisé des sources d’énergie non renouvelables.

68.

Contrairement à ce que soutient la Commission, je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’affiner plus avant les catégories d’installations de production affectées par la différence de traitement que je viens d’identifier. Tout d’abord, si la mesure en cause avait visé l’ensemble des installations de production d’électricité utilisant des combustibles indigènes, j’aurais tout autant constaté une différence de traitement dès lors que la combustibilité de la source d’énergie et son origine géographique ne sont pas des critères de différenciation reconnus par l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72, cette disposition n’en reconnaissant d’ailleurs aucun. Ensuite, la détermination de l’existence d’autres installations de production en mesure de fournir les mêmes services que ceux accomplis par les installations de production visées par la mesure en cause doit être effectuée, comme je l’expose par la suite, dans le cadre de l’examen de l’article 3, paragraphes 2 et 14, de la directive 2009/72.

69.

En tout état de cause, la seule identification de cette différence de traitement n’est pas suffisante pour qualifier la mesure en question de discriminatoire dès lors qu’elle poursuit un objectif légitime ( 38 ).

70.

S’agissant de la justification éventuelle d’une telle différence de traitement, il y a lieu de relever que l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 justifie l’octroi d’un accès garanti à l’électricité produite par des centrales électriques qui utilisent du combustible intérieur pour des raisons liées à la sécurité de l’approvisionnement en électricité. D’ailleurs, il ressort de la lecture de la décision de renvoi que cette justification a été avancée par les parties soutenant la conformité avec le droit de l’Union de l’accès garanti tel que prévu par le droit roumain.

71.

Or j’estime que la légitimité de l’objectif poursuivi par la mesure en cause, à savoir la sécurité d’approvisionnement en électricité de la Roumanie, ne fait aucun doute.

72.

À cet égard, je rappelle que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72 permet l’imposition par les États membres d’obligations de service public portant sur la sécurité d’approvisionnement aux installations de production électrique ( 39 ). En outre, s’agissant des dispositions du TFUE, et plus particulièrement de son article 36, je relève que la Cour a déjà indiqué que la protection de la sécurité d’approvisionnement énergétique est susceptible de relever des raisons de sécurité publique ( 40 ).

73.

Néanmoins, la seule invocation d’un objectif légitime ne suffit pas à écarter la qualification de « discriminatoire » d’une différence de traitement. En effet, encore faut-il que l’objectif en question soit susceptible de justifier la différence de traitement susmentionnée, « c’est‑à‑dire, en substance, si celle‑ci est fondée sur un critère objectif et raisonnable et proportionnée au but poursuivi » ( 41 ).

74.

Toutefois, eu égard au cadre d’analyse précédemment rappelé, je réserve mes développements sur le respect du principe de proportionnalité à un stade ultérieur de mes conclusions.

b) Sur l’article 3, paragraphes 2 et 14, de la directive 2009/72

75.

Comme précédemment rappelé, la marge de manœuvre laissée aux États membres pour prendre les mesures nécessaires afin que soit mis en place un système d’accès des tiers ne les autorise pas à écarter le principe du libre accès aux réseaux visé à l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72 hormis les cas dans lesquels cette directive prévoit des exceptions ou des dérogations ( 42 ).

76.

Ainsi, l’article 3, paragraphe 14, de la directive 2009/72 permet aux États membres de ne pas appliquer les dispositions de l’article 32 de cette directive « si cette application risque d’entraver l’accomplissement des obligations imposées aux entreprises d’électricité dans l’intérêt économique général et pour autant que le développement des échanges n’en soit pas affecté dans une mesure qui serait contraire à l’intérêt de la Communauté ».

77.

Dans le prolongement de cette disposition, l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72 prévoit que, en tenant pleinement compte de l’article 86 CE (devenu article 106 TFUE), les États membres peuvent imposer aux installations de production d’électricité des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité d’approvisionnement ( 43 ).

78.

Ces obligations doivent alors être entendues comme « des mesures d’intervention publique dans le fonctionnement de ce marché, qui imposent à des entreprises du secteur de l’électricité, aux fins de la poursuite d’un intérêt économique général, d’agir sur ledit marché sur la base de critères imposés par les autorités publiques » ( 44 ).

79.

Toutefois, les obligations de service public pouvant être imposées par un État membre aux entreprises d’électricité sont encadrées. En effet, l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72 prévoit que ces mêmes obligations doivent être « clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables et garantissent aux entreprises d’électricité de la Communauté un égal accès aux consommateurs nationaux ».

80.

Afin de tenir compte de l’article 106 TFUE, la Cour a considéré qu’il résulte des termes mêmes de cette disposition que les obligations de service public que l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2009/72 permet d’imposer aux entreprises doivent respecter le principe de proportionnalité ( 45 ).

81.

Je déduis de l’ensemble de ces dispositions que les États membres peuvent imposer aux installations de production des obligations de service public portant sur la sécurité d’approvisionnement quand bien même l’accomplissement de ces obligations entraverait le libre accès des tiers aux réseaux.

82.

Cette possibilité laissée aux États membres n’est cependant pas sans limite puisque les mesures nationales, devant être adoptées dans l’intérêt économique général, ne peuvent en aucun cas affecter le développement des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt de l’Union. Les obligations que ces mesures comportent doivent en outre être clairement définies, transparentes, non discriminatoires et vérifiables. Surtout, les obligations de service public doivent garantir aux installations de production de l’Union un égal accès aux consommateurs nationaux. Enfin, ces mêmes obligations sont tenues au respect du principe de proportionnalité.

83.

Bien qu’il revienne à la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest) de vérifier que, dans le cas d’espèce, la mesure en cause impose effectivement des obligations de service public, d’une part, et respecte l’ensemble des exigences précédemment énoncées, d’autre part, la Cour pourra lui apporter toutes précisions nécessaires à sa vérification.

84.

Par ailleurs, je relève avec un certain étonnement que les parties qui soutiennent la conformité avec le droit de l’Union de la mesure en cause se réfèrent à la sécurité d’approvisionnement sans qu’aucune d’entre elles invoque le bénéfice de l’article 3 de la directive 2009/72 et, par voie de conséquence, expose les raisons les amenant à considérer que l’accès garanti tel que prévu par le droit roumain répond aux exigences énoncées par cette disposition.

85.

S’agissant de l’existence d’obligations de service public imposées aux installations de production en cause, je ne crois pas que l’accès garanti, tel que prévu par le droit roumain, relève de telles obligations. En effet, l’accès garanti aux réseaux ne limite pas la liberté d’agir des installations de production qui en bénéficient sur le marché de l’électricité. Bien au contraire, celles qui se voient octroyer un tel accès bénéficient d’un avantage économique certain en ce qu’elles ont l’assurance d’acheminer l’électricité vendue.

86.

En outre, la procédure suivie par le gouvernement roumain ainsi que les raisons l’ayant conduit à désigner les installations de production en cause m’échappent. Concernant, par exemple, le caractère discriminatoire de la mesure en cause, il reviendra à la juridiction de renvoi de déterminer s’il existait d’autres installations de production en mesure d’accomplir les mêmes obligations de service public que celles désignées par la décision no 138/2013 ( 46 ).

87.

S’agissant de l’exigence selon laquelle les obligations de service public doivent garantir aux entreprises d’électricité de l’Union un égal accès aux consommateurs nationaux, l’accès garanti est, comme précédemment exposé, un mécanisme qui assure aux installations de production qui en bénéficient l’accès aux réseaux afin d’acheminer l’électricité vendue.

88.

De la capacité intrinsèquement limitée des réseaux de transport et de distribution, d’une part, et de l’allocation de capacité à laquelle conduit l’accès garanti, d’autre part, je déduis que la capacité ainsi allouée réduit d’autant celle pouvant être affectée à l’acheminement de l’électricité produite par les installations qui ne bénéficient pas d’un tel accès. Ces installations se trouvent alors dans l’impossibilité d’honorer, en totalité ou en partie, les transactions passées. Autrement dit, si la capacité insuffisante des réseaux n’a pas pour cause l’accès garanti accordé, un tel accès en aggrave l’importance pour les installations qui n’en bénéficient pas.

89.

À cet égard, je relève qu’en l’espèce l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 et les articles 1 et 2 de la décision no 138/2013 ont garanti l’accès aux réseaux d’électricité aux installations de production à hauteur d’au moins 700 MW.

90.

Dès lors, la mesure en cause a empêché, à tout le moins potentiellement et pour partie, les installations de production qui n’en bénéficient pas d’honorer les transactions passées et, de ce fait, a été de nature à affecter l’égal accès des producteurs d’électricité de l’Union aux consommateurs nationaux.

91.

Ces observations, si la Cour venait à les partager, devraient conduire au constat d’incompatibilité de la mesure en cause avec l’article 3, paragraphes 2 et 14, et l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72. Cependant, si tel n’était pas le cas, les développements ci‑après poursuivent l’examen de la compatibilité de la mesure en cause avec les dispositions pertinentes.

92.

S’agissant de la prise en compte de l’article 106 TFUE, la Cour a jugé que la mesure nationale imposant des obligations de service public doit respecter le principe de proportionnalité et, de ce fait, « être susceptible de garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit atteint » ( 47 ).

c) Sur le respect du principe de proportionnalité

93.

Au dire du Ministerul Economiei, Energiei și Mediului de Afaceri (ministère de l’Économie, de l’Énergie et du Milieu des affaires, Roumanie) devant la juridiction de renvoi, la mesure en cause a été adoptée, avec l’appel prioritaire et l’obligation de fournir des services auxiliaires, pour constituer des capacités de production, constitution rendue nécessaire pour plusieurs raisons, mais qui toutes menaçaient la sécurité d’approvisionnement en électricité de la Roumanie.

94.

En effet, il se serait agi de constituer des capacités de production utilisant des sources d’énergie non renouvelables afin, en premier lieu, d’être en mesure de satisfaire la demande au cours des pics de consommation, en deuxième lieu, de disposer d’installations pouvant se substituer à celles utilisant des sources d’énergie renouvelables en cas d’indisponibilité de la source et, en troisième et dernier lieu, de répondre à l’augmentation attendue des échanges transfrontaliers dans le cadre de la réalisation du projet 4M MC ( 48 ).

95.

S’agissant de l’examen de la proportionnalité, il convient de vérifier, en premier lieu, si la mesure est apte à atteindre l’objectif visant à constituer des capacités de production. À cet égard, je me suis interrogé sur la raison pour laquelle tant la décision no 138/2013 que la décision de renvoi indiquent que l’accès garanti tel que prévu par le droit roumain a assuré un « fonctionnement continu » aux installations de production qui en ont bénéficié. À mon sens, l’accès garanti est en effet incapable d’assurer à lui seul le fonctionnement continu d’une installation de production dès lors qu’il ne constitue qu’une garantie d’accès aux réseaux. Il me semble plus exact de considérer, pour les raisons exposées ci‑après, que le fonctionnement continu des installations de SC Complexul Energetic Hunedoara et de SC Complexul Energetic Oltenia a résulté de la conjonction de l’appel prioritaire et de l’accès garanti, tel que prévus par le droit roumain ( 49 ).

96.

Tout d’abord, l’appel prioritaire a permis l’appel des installations de SC Complexul Energetic Hunedoara et de SC Complexul Energetic Oltenia par Transelectrica sans considération par définition pour l’ordre de préséance économique. Ensuite, l’accès garanti a assuré à ces installations que l’électricité produite et appelée prioritairement aurait accès aux réseaux quand bien même leurs capacités ne l’auraient probablement pas permis.

97.

À cet égard, je relève que la valeur de l’accès garanti est fonction de la capacité des réseaux de transport et de distribution. Ainsi, l’assurance apportée par l’accès garanti a d’autant plus de valeur pour les installations de production qui en bénéficient que les réseaux de transport et de distribution souffrent structurellement de capacités insuffisantes. À l’inverse, un accès garanti aux réseaux perd de son sens dès lors que la capacité de ces derniers est supérieure à la quantité d’électricité injectée.

98.

Assurant pour une part le fonctionnement continu des installations de production qui en bénéficient, je ne doute pas de l’aptitude de l’accès garanti à participer à la constitution de capacités de production permettant de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité d’un État membre tel que la Roumanie ( 50 ).

99.

En second lieu, il convient de se pencher sur la question de savoir si la mesure en cause peut être considérée comme étant nécessaire pour atteindre l’objectif visant à constituer des capacités de production. À cet égard, il reviendra à la juridiction de renvoi de vérifier si l’absence d’accès garanti risquait d’entraver l’accomplissement, par les installations de production qui en bénéficiaient, de leurs obligations de service public, d’une part, et de rechercher si l’accomplissement de ces obligations ne pouvait pas être réalisé par d’autres moyens qui n’auraient pas porté atteinte au droit d’accès aux réseaux, d’autre part ( 51 ).

100.

Concernant le risque pour les installations de production d’être entravées lors de l’accomplissement de leurs obligations de service public si elles étaient privées de la mesure en cause, il me semble que la juridiction de renvoi pourrait s’interroger sur la capacité des réseaux de transport et de distribution et, plus particulièrement, sur leurs caractères structurellement suffisants ou insuffisants.

101.

Concernant l’existence d’autres moyens ne portant pas atteinte au droit d’accès aux réseaux et permettant l’accomplissement des obligations de service public, la Cour pourra utilement rappeler sa jurisprudence selon laquelle « s’il est vrai qu’il incombe à l’État membre invoquant l’article 90, paragraphe 2, de démontrer que les conditions prévues par cette disposition sont réunies, cette charge de la preuve ne saurait aller jusqu’à exiger de cet État membre, lorsqu’il expose de façon circonstanciée les raisons pour lesquelles, en cas de suppression des mesures incriminées, l’accomplissement des missions d’intérêt économique général dans des conditions économiquement acceptables serait, à ses yeux, mis en cause, d’aller encore plus loin pour démontrer, de manière positive, qu’aucune autre mesure imaginable, par définition hypothétique, ne puisse permettre d’assurer l’accomplissement desdites missions dans les mêmes conditions » ( 52 ).

102.

En conclusion, j’estime qu’il convient de répondre à la seconde question préjudicielle qu’un État membre peut accorder un accès garanti aux réseaux à certaines installations de production d’électricité qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables afin de garantir sa sécurité d’approvisionnement à la condition que, d’une part, l’accès aux réseaux pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables, accordé en application de l’article 16, paragraphe 2, sous b) de la directive 2009/28, ait été assuré et que, d’autre part, les exigences visées à l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72 et, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi identifierait des obligations de service public imposées à ces mêmes installations de production d’électricité, à l’article 3, paragraphes 2 et 14, de cette directive aient été respectées et pour autant que cette réglementation n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’objectif qu’elle poursuit soit atteint.

V. Conclusion

103.

À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la seconde question préjudicielle posée par la Curtea de Apel București (cour d’appel de Bucarest, Roumanie), telle que reformulée :

L’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE, l’article 3, paragraphes 2 et 14, et l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale telle que celle de l’espèce qui accorde un accès garanti aux réseaux de transport et de distribution à certaines installations de production d’électricité qui utilisent des sources d’énergie non renouvelables afin de garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité à condition que l’accès aux réseaux pour l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables accordé en application de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28 ait été assuré, que les exigences visées à l’article 32, paragraphe 1, de la directive 2009/72 et, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi identifierait des obligations de service public imposées à ces mêmes installations de production d’électricité, à l’article 3, paragraphes 2 et 14, de cette directive aient été respectées et pour autant que cette réglementation n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour que l’objectif qu’elle poursuit soit atteint. Il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si, dans l’affaire en cause au principal, cette condition est remplie.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE (JO 2009, L 140, p. 16).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 96/92/CE (JO 2003, L 176, p. 37).

( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55).

( 5 ) Transelectrica est, en Roumanie, le gestionnaire du réseau de transport d’électricité.

( 6 ) Il me semble que l’article 3 de la décision no 138/2013 ne fixe aucune limite à la quantité d’électricité appelée en priorité par Transelectrica en ce que la limite de 15 % fixée à l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 123/2012 ne vise que le mécanisme de l’accès garanti. Il est toutefois possible que la quantité d’électricité ayant été produite par les installations de production visées à l’article 3 de la décision no 138/2013 et ayant bénéficié d’un appel prioritaire n’ait pas dépassé la limite de 15 % visée à l’article 15, paragraphe 4, de la directive 2009/72.

( 7 ) Arrêt du 21 décembre 2011, ENEL (C 242/10, EU:C:2011:861, point 11).

( 8 ) Article 2 de la directive 2009/72.

( 9 ) Voir arrêt du 21 décembre 2011, ENEL (C‑242/10, EU:C:2011:861, point 87).

( 10 ) Article 2, point 20, du règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, sur le marché intérieur de l’électricité (JO 2019, L 158, p. 54).

( 11 ) L’appel prioritaire en faveur des installations de production qui utilisent des sources d’énergie renouvelables était déjà prévu par les directives précédant la directive 2009/72 [article 8, paragraphe 3, de la directive 96/92/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 décembre 1996, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité (JO 1997, L 27, p. 20), devenu article 11, paragraphe 3, de la directive 2003/54]. Par ailleurs, cet appel est aussi au bénéfice des installations de production qui produisent de la chaleur et de l’électricité combinées (article 15, paragraphe 3, de la directive 2009/72).

( 12 ) Voir considérant 28 de la directive 96/92.

( 13 ) Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen, Achèvement du marché intérieur de l’énergie [COM(2001) 125 final, p. 25].

( 14 ) L’appel prioritaire en faveur des installations de production qui utilisent des sources combustibles indigènes d’énergie primaire était déjà prévu par les directives précédant la directive 2009/72 (article 8, paragraphe 4, de la directive 96/92, devenu article 11, paragraphe 4, de la directive 2003/54).

( 15 ) La directive 2009/28 a succédé à la directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil, du 27 septembre 2001, relative à la promotion de l’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables sur le marché intérieur de l’électricité (JO 2001, L 283, p. 33). L’article 7, paragraphe 1, de la directive 2001/77, intitulé « Questions relatives au réseau », donnait la possibilité aux États membres de prévoir un accès prioritaire au réseau pour l’électricité produite à partir de sources renouvelables.

( 16 ) Arrêt du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 45 et jurisprudence citée).

( 17 ) Pourtant, la décision no 138/2013 distingue clairement l’accès garanti (articles 1 et 2) de l’appel prioritaire (article 3).

( 18 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2020, T-Systems Magyarország (C‑263/19, EU:C:2020:373, point 45 et jurisprudence citée).

( 19 ) Arrêt du 10 septembre 2014, Ben Alaya (C‑491/13, EU:C:2014:2187, point 22 et jurisprudence citée).

( 20 ) Cette situation est d’ailleurs envisagée à l’article 32, paragraphe 2, de la directive 2009/72, qui prévoit que « le gestionnaire d’un réseau de transport ou de distribution peut refuser l’accès s’il ne dispose pas de la capacité nécessaire ».

( 21 ) Par exemple, si un État membre octroyait un accès garanti à ses réseaux à toutes les installations de production qui y sont raccordées, aucune de ces installations ne pourrait, dans les faits, faire valoir un tel accès. En ce cas donc, l’État membre ayant accordé un tel accès méconnaîtrait ses obligations découlant de l’article 16, paragraphe 2, sous b), de la directive 2009/28.

( 22 ) Arrêts du 1er juillet 2014, Ålands Vindkraft (C‑573/12, EU:C:2014:2037, point 59), et du 4 octobre 2018, L.E.G.O. (C‑242/17, EU:C:2018:804, points 53 et suiv.).

( 23 ) Arrêt du 21 juillet 2011, Azienda Agro-Zootecnica Franchini et Eolica di Altamura (C‑2/10, EU:C:2011:502, point 48 et jurisprudence citée).

( 24 ) Arrêt du 4 octobre 2018, L.E.G.O. (C‑242/17, EU:C:2018:804, point 54).

( 25 ) Il me semble que l’article 16, paragraphe 2, sous b) de la directive 2009/28 a été transposé à l’article 70, sous a), de la loi no 123/2012.

( 26 ) La directive 2009/72 a succédé à la directive 2003/54 qui a elle‑même succédé à la directive 96/92.

( 27 ) Arrêts du 22 mai 2008, citiworks (C‑439/06, EU:C:2008:298, point 44) ; du 29 septembre 2016, Essent Belgium (C‑492/14, EU:C:2016:732, point 76), et du 17 octobre 2019, Elektrorazpredelenie Yug (C‑31/18, EU:C:2019:868, point 41).

( 28 ) Arrêt du 22 mai 2008, citiworks (C‑439/06, EU:C:2008:298, point 55).

( 29 ) Arrêt du 22 mai 2008, citiworks (C‑439/06, EU:C:2008:298, point 58).

( 30 ) Arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium (C‑492/14, EU:C:2016:732, points 86 et 94).

( 31 ) Voir article 16 de la directive 96/92 et jurisprudence relative (arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a., C‑17/03, EU:C:2005:362, points 37 et 46).

( 32 ) Voir article 20 de la directive 2003/54 et article 6 de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (JO 2019, L 158, p. 125).

( 33 ) Arrêts du 22 mai 2008, citiworks (C‑439/06, EU:C:2008:298, point 44) ; du 29 septembre 2016, Essent Belgium (C‑492/14, EU:C:2016:732, point 76), et du 17 octobre 2019, Elektrorazpredelenie Yug (C‑31/18, EU:C:2019:868, point 41).

( 34 ) Hidroelectrica bénéficie du droit à ne pas être discriminée en application de l’article 32 de la directive 2009/72 (à ce sujet, voir arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium, C‑492/14, EU:C:2016:732, points 71 à 75).

( 35 ) Arrêt du 7 juin 2005, VEMW e.a. (C‑17/03, EU:C:2005:362, point 46). Bien que la directive 96/92 était en cause, son article 3, paragraphe 1, est sur ce point identique à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/72.

( 36 ) Arrêts du 7 juin 2005, VEMW e.a. (C‑17/03, EU:C:2005:362, point 47), et du 29 septembre 2016, Essent Belgium (C‑492/14, EU:C:2016:732, point 79).

( 37 ) Arrêt du 28 novembre 2018, Solvay Chimica Italia e.a. (C‑262/17, C‑263/17 et C‑273/17, EU:C:2018:961, point 66).

( 38 ) Arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium (C‑492/14, EU:C:2016:732, point 81).

( 39 ) Voir également considérant 46 de la directive 2009/72.

( 40 ) Arrêt du 17 septembre 2020, Hidroelectrica (C‑648/18, EU:C:2020:723, point 36).

( 41 ) Arrêt du 29 septembre 2016, Essent Belgium (C‑492/14, EU:C:2016:732, point 85).

( 42 ) Arrêt du 22 mai 2008, citiworks (C‑439/06, EU:C:2008:298, point 55).

( 43 ) Arrêts du 21 décembre 2011, ENEL (C‑242/10, EU:C:2011:861, point 38), et du 29 septembre 2016, Essent Belgium (C‑492/14, EU:C:2016:732, point 87).

( 44 ) Arrêt du 19 décembre 2019, Engie Cartagena (C‑523/18, EU:C:2019:1129, point 45).

( 45 ) Arrêt du 21 décembre 2011, ENEL (C‑242/10, EU:C:2011:861, point 42).

( 46 ) Voir arrêts du 21 décembre 2011, ENEL (C‑242/10, EU:C:2011:861, point 86), et du 29 septembre 2016, Essent Belgium (C‑492/14, EU:C:2016:732, point 89).

( 47 ) Arrêt du 21 décembre 2011, ENEL (C‑242/10, EU:C:2011:861, point 55).

( 48 ) « The 4M Market coupling is the day ahead electricity trading platform of the CEE region » (Sterpu, V., The analysis of 4M MC electricity market, Erasmus University Rotterdam, 2018, p. 8, https://thesis.eur.nl/pub/44746/Sterpu-V.-447658-.pdf).

( 49 ) Par ailleurs, à ce premier dispositif constitué de l’appel prioritaire et de l’accès garanti, un second, poursuivant me semble-t-il la même finalité que le premier, a consisté en une obligation pour SC Complexul Energetic Hunedoara et SC Complexul Energetic Oltenia de fournir à Transelectrica des services auxiliaires d’une puissance électrique d’au moins 1000 MW.

( 50 ) Comme évoqué dans les présentes conclusions, le considérant 60 de la directive 2009/28 indique que l’accès garanti « permet d’utiliser une quantité maximale d’électricité produite à partir de sources d’énergie renouvelables provenant d’installations raccordées au réseau ».

( 51 ) Arrêt de la Cour du 22 mai 2008, citiworks (C‑439/06, EU:C:2008:298, point 60).

( 52 ) Arrêt du 23 octobre 1997, Commission/France (C‑159/94, EU:C:1997:501, point 101).

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