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Document 62020CJ0122

    Arrêt de la Cour (septième chambre) du 6 mai 2021.
    Bruno Gollnisch contre Parlement européen.
    Pourvoi – Droit institutionnel – Réglementation concernant les frais et indemnités des députés au Parlement européen – Modification du régime de pension complémentaire volontaire – Notion de “décision individuelle prise à l’égard d’un député au Parlement” – Article 72 des mesures d’application du statut des députés au Parlement – Article 263, sixième alinéa, TFUE – Délai de recours.
    Affaire C-122/20 P.

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2021:370

    ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

    6 mai 2021 (*)

    « Pourvoi – Droit institutionnel – Réglementation concernant les frais et indemnités des députés au Parlement européen – Modification du régime de pension complémentaire volontaire – Notion de “décision individuelle prise à l’égard d’un député au Parlement” – Article 72 des mesures d’application du statut des députés au Parlement – Article 263, sixième alinéa, TFUE – Délai de recours »

    Dans l’affaire C‑122/20 P,

    ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 21 février 2020,

    Bruno Gollnisch, demeurant à Villiers-le-Mahieu (France), représenté par Me B. Bonnefoy-Claudet, avocat,

    partie requérante,

    l’autre partie à la procédure étant :

    Parlement européen, représenté par Mmes M. Ecker et Z. Nagy, en qualité d’agents,

    partie défenderesse en première instance,

    LA COUR (septième chambre),

    composée de M. A. Kumin (rapporteur), président de chambre, M. P. G. Xuereb et Mme I. Ziemele, juges,

    avocat général : M. P. Pikamäe,

    greffier : M. A. Calot Escobar,

    vu la procédure écrite,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

    rend le présent

    Arrêt

    1        Par son pourvoi, M. Bruno Gollnisch demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 10 décembre 2019, Gollnisch/Parlement (T‑319/19, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2019:861), par laquelle celui-ci a rejeté comme étant irrecevable son recours tendant à l’annulation de la décision du bureau du Parlement européen du 10 décembre 2018 modifiant les mesures d’application du statut des députés au Parlement européen (JO 2018, C 466, p. 8, ci-après la « décision litigieuse »), de la lettre du président du Parlement du 26 mars 2019 rejetant son recours gracieux formé contre cette décision (ci-après la « lettre du 26 mars 2019 »), ainsi que de tous les actes pris en conséquence.

     Le cadre juridique

    2        La décision du bureau du Parlement des 19 mai et 9 juillet 2008, portant mesures d’application du statut des députés au Parlement européen (JO 2009, C 159, p. 1), telle que modifiée par la décision litigieuse (ci-après les « mesures d’application »), prévoit, à son article 72, intitulé « Réclamation » :

    « 1.      Un député qui estime que les présentes mesures d’application n’ont pas été correctement appliquées à son égard par le service compétent peut adresser une réclamation écrite au secrétaire général.

    La décision prise par le secrétaire général quant à la réclamation précise les motifs sur lesquels elle est fondée.

    2.      En cas de désaccord avec la décision du secrétaire général, le député peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ladite décision, demander que la question soit renvoyée aux questeurs, qui prennent une décision après consultation du secrétaire général.

    3.      En cas de désaccord avec la décision adoptée par les questeurs, une partie à la procédure de réclamation peut, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision des questeurs, demander que la question soit renvoyée au Bureau, qui prend une décision finale.

    4.      Le présent article s’applique également aux ayants droit du député, ainsi qu’aux anciens députés et à leurs ayants droit. »

     Les antécédents du litige

    3        Les antécédents du litige figurent aux points 1 à 10 de l’ordonnance attaquée et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la manière suivante.

    4        Le 12 juin 1990, le bureau du Parlement a adopté la réglementation concernant le régime de pension complémentaire volontaire des députés au Parlement (ci-après la « réglementation du 12 juin 1990 »), figurant à l’annexe VII de la réglementation concernant les frais et indemnités des députés au Parlement. La réglementation du 12 juin 1990 avait pour objectif d’instaurer un régime de pension provisoire pour ces députés dans l’attente de l’adoption d’un statut unique applicable à ces derniers.

    5        Ce statut a été adopté par la décision 2005/684/CE, Euratom du Parlement européen, du 28 septembre 2005, portant adoption du statut des députés au Parlement européen (JO 2005, L 262, p. 1), et est entré en vigueur le 14 juillet 2009. Ledit statut prévoit des mesures transitoires applicables au régime de pension complémentaire.

    6        Par décision des 19 mai et 9 juillet 2008, le bureau du Parlement a adopté les mesures d’application. En vertu de leur article 73, ces mesures d’application sont entrées en vigueur le jour de l’entrée en vigueur du statut des députés, à savoir le 14 juillet 2009. L’article 76 desdites mesures d’application établit le régime de pension complémentaire volontaire.

    7        Les 9 mars et 1er avril 2009, à la suite de la constatation d’une détérioration de la situation financière du fonds de pension complémentaire volontaire, le bureau du Parlement a adopté des mesures destinées à remédier à cette situation et a modifié la réglementation du 12 juin 1990.

    8        Le 10 décembre 2018, considérant que, au vu des comptes du fonds de pension complémentaire volontaire, il était nécessaire de prendre « un certain nombre de mesures inévitables sur le plan économique afin d’améliorer la viabilité du fonds de pension complémentaire volontaire, de remédier au problème croissant de liquidité et de réduire le déficit actuariel ainsi que les conséquences négatives pour le contribuable européen », le bureau du Parlement a adopté la décision litigieuse.

    9        Il résulte de l’article 1er, point 7, de cette décision, applicable depuis le 1er janvier 2019, que l’âge de la retraite pour les bénéficiaires du régime de pension complémentaire volontaire a été relevé de 63 à 65 ans et qu’un prélèvement spécial de 5 % du montant nominal de la pension a été instauré sur tous les paiements de pension pour les pensions établies à partir de cette date.

    10      Le 27 février 2019, le requérant, qui était à l’époque membre du Parlement, a adressé au président de cette institution, aux membres du bureau de ladite institution et aux questeurs de la même institution, un courrier intitulé « Recours contre la décision relative au fonds de pension », dans lequel il contestait la décision litigieuse. Il a demandé que cette décision soit rapportée et que toutes les mesures nécessaires soient prises pour assurer sur le compte du Parlement le service des pensions promises aux députés. Il a indiqué que ce courrier était constitutif d’un recours gracieux, susceptible de prolonger les délais d’un éventuel recours contentieux.

    11      Par la lettre du 26 mars 2019, le président du Parlement a indiqué au requérant qu’il ne pouvait répondre favorablement aux demandes de ce dernier figurant dans le courrier du 27 février 2019. Il a précisé que le bureau du Parlement était l’organe compétent pour modifier les mesures d’application et que les modifications prévues dans la décision litigieuse avaient été adoptées pour améliorer la viabilité du fonds de pension complémentaire volontaire. Il a ajouté que cette décision avait été communiquée aux membres du Parlement le 17 décembre 2018, qu’elle avait été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 28 décembre 2018 et qu’elle était applicable depuis le 1er janvier 2019. Il a également indiqué qu’une réclamation visant ladite décision fondée sur l’article 72 des mesures d’application devait être considérée comme irrecevable, dès lors qu’aucune décision individuelle concernant un membre du Parlement n’était en cause.

     La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

    12      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 mai 2019, le requérant a introduit un recours tendant, essentiellement, à l’annulation de la décision litigieuse et de la lettre du 26 mars 2019.

    13      Par acte séparé, le Parlement a soulevé une exception d’irrecevabilité, conformément à l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal. Le Tribunal a décidé de statuer sur cette exception d’irrecevabilité sans engager le débat au fond.

    14      En ce qui concerne, en premier lieu, la recevabilité du recours de première instance en tant qu’il était dirigé contre la décision litigieuse, le Tribunal a, au point 21 de l’ordonnance attaquée, indiqué que, par son argumentation, le requérant soutenait que le courrier du 27 février 2019 avait déclenché une procédure précontentieuse contre cette décision, laquelle, à l’instar de la réclamation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 février 2018, LL/Parlement (C‑326/16 P, EU:C:2018:83), fondée sur l’article 72, paragraphe 1, des mesures d’application, aurait « conservé » le délai de recours contentieux en l’espèce.

    15      Aux points 23 et 27 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a jugé que cet article 72 n’était pas applicable à la décision litigieuse. Selon le Tribunal, ledit article 72 prévoit une procédure de réclamation contre des décisions individuelles prises à l’égard d’un député au Parlement par le service compétent de cette institution. À cet égard, au point 25 de cette ordonnance, le Tribunal a considéré que la décision litigieuse constituait non pas une décision prise à l’égard du requérant, mais un acte de portée générale, qui, premièrement, s’applique à des situations déterminées objectivement, deuxièmement, produit des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite et, troisièmement, exige des mesures d’exécution.

    16      En outre, au point 26 de ladite ordonnance, le Tribunal a considéré que, même si la décision litigieuse précise elle-même que toute pension qui n’est pas encore exigible au 1er janvier 2019 est fixée et versée, sous réserve que le député au Parlement concerné ait atteint l’âge de 65 ans, et qu’elle fait l’objet d’un prélèvement spécial de 5 % du montant nominal de cette pension, il n’en demeure pas moins que cette décision ne prévoit rien quant à l’octroi en tant que tel de la retraite complémentaire volontaire et quant au montant exact de cette dernière. Les députés au Parlement qui souhaitent bénéficier d’une pension au titre du régime de pension complémentaire volontaire introduisent une demande d’octroi auprès du service compétent de cette institution. Cette demande doit être accompagnée des pièces justificatives requises, faire l’objet d’une vérification par le service compétent de ladite institution, lequel établit alors le droit du demandeur à une telle pension par l’adoption d’une décision individuelle. Les conséquences spécifiques et concrètes de la décision litigieuse à l’égard des députés concernés se matérialisent par des actes individuels, émanant du service compétent de la même institution, comportant pour chaque député concerné la vérification de la réunion des conditions requises et l’application d’un calcul propre à chaque situation.

    17      Au point 28 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a jugé que, dans la mesure où la procédure de réclamation, prévue à l’article 72 des mesures d’application, n’est pas applicable en présence d’un acte tel que la décision litigieuse, le courrier du 27 février 2019 ne pouvait constituer un recours administratif ou une réclamation fondée sur cet article 72 permettant de prolonger le délai de recours contentieux contre cette décision. De même, selon le Tribunal, la lettre du 26 mars 2019 ne constitue pas une décision prise dans le cadre d’une procédure précontentieuse.

    18      Au point 29 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal en a conclu que, en l’absence d’une autre disposition applicable prévoyant les conditions d’un recours administratif ou d’une réclamation, le délai du recours contentieux prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE devait être respecté en l’espèce et a commencé à courir à compter de la publication de la décision litigieuse, sans que le courrier du 27 février 2019 et la lettre du 26 mars 2019 puissent être considérés comme « conservant » ce délai de recours contentieux.

    19      À cet égard, au point 30 de cette ordonnance, le Tribunal a rappelé que la décision litigieuse, adoptée le 10 décembre 2018, avait été publiée le 28 décembre 2018. Partant, au point 31 de ladite ordonnance, le Tribunal a jugé que, en ce qui concerne cette décision, le délai de recours contentieux avait expiré le 22 mars 2019. Au point 32 de la même ordonnance, le Tribunal en a déduit que, en ce qui concerne ladite décision, le recours, introduit le 24 mai 2019, devait être rejeté comme étant irrecevable pour tardiveté.

    20      En ce qui concerne, en second lieu, la recevabilité du recours en tant qu’il était dirigé contre la lettre du 26 mars 2019, le Tribunal a, aux points 34 et 35 de l’ordonnance attaquée, rappelé la jurisprudence constante selon laquelle ne constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation, au sens de l’article 263 TFUE, que les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci. En outre, pour déterminer si un acte produit de tels effets, il y a lieu d’examiner à la fois le contenu de celui-ci et le contexte dans lequel il a été adopté.

    21      S’agissant du contexte dans lequel la lettre du 26 mars 2019 a été émise, le Tribunal a rappelé, au point 36 de cette ordonnance, que cette lettre ne constituait pas une décision prise dans le cadre d’une procédure précontentieuse, dès lors que l’article 72 des mesures d’application n’était pas applicable en l’espèce.

    22      En outre, au point 37 de ladite ordonnance, le Tribunal a relevé que cette lettre ne produisait aucun effet juridique obligatoire de nature à affecter les intérêts du requérant. Ainsi, il s’agirait d’une simple information qui, tout au plus, confirme que le bureau du Parlement était l’organe compétent pour modifier les mesures d’application et que les modifications figurant dans la décision litigieuse, applicable depuis le 1er janvier 2019, avaient été adoptées pour améliorer la viabilité du fonds de pension complémentaire volontaire. Il ressortirait également de ladite lettre qu’une réclamation fondée sur l’article 72 des mesures d’application visant cette décision devrait être considérée comme irrecevable, dès lors qu’aucune décision individuelle concernant un membre du Parlement n’était en cause.

    23      Eu égard à ce qui précède, le Tribunal a jugé, au point 38 de l’ordonnance attaquée, que la lettre du 26 mars 2019 n’était pas susceptible, en tant que telle, de produire des effets de droit modifiant de façon caractérisée la situation juridique du requérant. Il ne s’agirait par conséquent pas d’un acte attaquable, au sens de l’article 263 TFUE. Au point 39 de cette ordonnance, le Tribunal en a conclu que, en tant qu’il concernait cette lettre, le recours devait également être rejeté comme étant irrecevable.

     Les conclusions des parties

    24      Le requérant demande à la Cour :

    –        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

    –        d’annuler la décision litigieuse et de lui adjuger ses conclusions de première instance, si elle considère que le litige est en état d’être jugé, ou de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue à nouveau ;

    –        de lui octroyer la somme de 5 000 euros au titre des frais de procédure exposés pour le pourvoi, et

    –        de condamner le Parlement aux dépens.

    25      Le Parlement demande à la Cour :

    –        de rejeter comme étant irrecevable la demande de renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;

    –        de rejeter comme étant irrecevable la demande d’octroyer au requérant la somme de 5 000 euros au titre des frais de procédure exposés pour le pourvoi ;

    –        pour le surplus, de déclarer le pourvoi comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé et, en tout état de cause, comme étant non fondé, et

    –        de condamner le requérant aux dépens afférents au pourvoi.

     Sur le pourvoi

    26      À l’appui de son pourvoi, le requérant invoque un moyen unique, tiré, en substance, de ce que le Tribunal aurait jugé, à tort, que la décision litigieuse constituait non pas une décision individuelle, mais un acte de portée générale ne pouvant être contesté dans le cadre de la procédure précontentieuse visée à l’article 72 des mesures d’application, de telle sorte que, lorsque le requérant a déposé la requête introductive d’instance auprès du greffe du Tribunal, le délai de recours contentieux avait expiré.

     Argumentation des parties

    27      En premier lieu, le requérant soutient que, aux points 22 à 27 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal mentionne l’article 72 des mesures d’application comme base juridique de la réclamation formée par la lettre du 27 février 2019, alors qu’il n’aurait, à aucun moment, prétendu, dans ses écritures, s’être fondé « sur cette seule disposition ».

    28      En deuxième lieu, le requérant fait valoir que, par sa lettre du 27 février 2019, il a formé une réclamation contre une décision le concernant individuellement. Partant, il pouvait se prévaloir de la jurisprudence issue de l’arrêt du 21 février 2018, LL/Parlement (C‑326/16 P, EU:C:2018:83).

    29      À cet égard, premièrement, le requérant soutient que, eu égard aux critères appliqués par la Cour dans son arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17), il devait être considéré comme étant individuellement concerné par la décision litigieuse. Ainsi, cette décision viserait, certes, à s’appliquer, selon les termes des dispositions contestées, aux « anciens députés ou [aux] bénéficiaires [...] de la réglementation [concernant les frais et les indemnités des députés au Parlement] ». Néanmoins, le requérant relève qu’il est individualisé par ces dispositions d’une manière analogue à celle dont un destinataire le serait. Partant, en suivant l’argumentation du Parlement selon laquelle la situation du requérant n’était pas suffisamment caractérisée pour rendre sa requête recevable, le Tribunal aurait commis une « erreur de droit comme de fait ».

    30      Deuxièmement, selon le requérant, conformément à l’arrêt du 3 avril 2003, BaByliss/Commission (T‑114/02, EU:T:2003:100), le fait, pour une personne concernée par un acte de portée générale, de présenter, auprès de l’autorité qui en est l’auteure, des objections à l’égard de cet acte ayant la même nature que celles présentées devant le Tribunal constitue un élément à prendre en compte dans l’appréciation de l’individualisation de cette personne par ledit acte. Or, la lettre du 27 février 2019 aurait constitué une telle objection.

    31      Troisièmement, il résulterait de l’arrêt du 4 février 2016, GFKL Financial Services/Commission (T‑620/11, EU:T:2016:59), d’une part, que le fait de s’être trouvé en possession de droits acquis individualise les sujets auxquels s’applique la mesure relative aux droits concernés. D’autre part, le fait pour un requérant d’avoir été identifiable à la date d’adoption de l’acte contesté, de telle sorte que ce dernier ait été pris en tenant compte de la qualité de ce requérant, caractériserait individuellement l’intéressé. Or, tel serait le cas en l’espèce.

    32      Quatrièmement, le requérant fait valoir que le bureau du Parlement a pris en compte la situation particulière des députés au Parlement affiliés au régime de pension complémentaire volontaire, notamment leur nombre, leur âge et leur réaction probable, pour fixer les nouveaux seuils qu’il a instaurés, ainsi que la proportionnalité et les conséquences psychologiques, politiques et juridiques de ces seuils.

    33      Cinquièmement, le requérant ajoute qu’exiger une « individualisation absolue » d’un requérant comme condition de recevabilité d’un recours contre une décision administrative serait « contraire au bon sens, à l’état de droit, et aux garanties que l’institution judiciaire doit aux citoyens ». En effet, il suffirait alors que la décision concernée viole les droits ou les intérêts légitimes d’un nombre suffisant de personnes pour que, d’une part, cette décision soit « inattaquable » et, d’autre part, l’administration soit assurée d’une « totale impunité ».

    34      En tout état de cause, le requérant relève qu’il se réserve le droit d’attaquer les décisions ayant fixé à son égard ses droits à la retraite à la date où il a fait valoir ces droits.

    35      En troisième lieu, le requérant fait valoir que, étant donné que la lettre du 26 mars 2019 a clos la procédure précontentieuse et que la requête introductive d’instance a été déposée auprès du greffe du Tribunal le 24 mai 2019, il a introduit son recours dans le délai de deux mois visé à l’article 263, sixième alinéa, TFUE.

    36      À cet égard, le requérant soutient que le Tribunal a considéré à tort, au point 36 de l’ordonnance attaquée, que la lettre du 26 mars 2019 ne constituait pas une décision prise dans le cadre d’une procédure précontentieuse.

    37      En outre, le motif du Tribunal, invoqué au point 37 de l’ordonnance attaquée, selon lequel « aucune conséquence juridique obligatoire de nature à affecter les intérêts [du requérant] ne découle du contenu de la lettre du 26 mars 2019 », qui « tout au plus, confirme que le bureau du Parlement était l’organe compétent pour modifier les mesures d’application », serait erroné, dès lors que la lettre du 27 février 2019 était adressée au président, aux vice-présidents et aux questeurs du Parlement, tous membres du bureau de cette institution et, par conséquent, tous à même, précisément, de revenir sur les modifications des mesures d’application qu’eux-mêmes avaient adoptées.

    38      Selon le Parlement, à titre principal, en premier lieu, l’argumentation du requérant selon laquelle ce dernier serait individuellement concerné par la décision litigieuse est irrecevable dans la mesure où, dans sa requête en première instance, le requérant n’aurait pas fait valoir cette argumentation. Ainsi, ce dernier chercherait à donner une portée différente au moyen qu’il avait soulevé en première instance et, partant, à modifier l’objet du litige porté devant le Tribunal en méconnaissance de l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

    39      En second lieu, le Parlement soutient que ladite argumentation est  « incohérente », de telle sorte qu’elle est entachée d’un manque de clarté et qu’elle doit, par conséquent, être écartée comme étant irrecevable.

    40      Ainsi, premièrement, si le requérant reproche au Tribunal d’avoir fait référence à l’article 72 des mesures d’application comme base juridique de la réclamation qu’il a formée, il conviendrait de rappeler que le requérant lui-même avait fondé son argumentation, dans sa requête en première instance, sur la jurisprudence issue de l’arrêt du 21 février 2018, LL/Parlement (C‑326/16 P, EU:C:2018:83). Or, ainsi que le Tribunal l’aurait relevé au point 20 de l’ordonnance attaquée, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, était en cause une réclamation fondée sur l’article 72 des mesures d’application. En outre, dans sa requête en première instance, le requérant n’aurait pas précisé sur quelle autre base juridique que cet article 72 il aurait pu fonder son recours gracieux.

    41      Deuxièmement, le Parlement fait valoir que le requérant ne fait pas clairement la distinction entre, d’un côté, la notion de « décision individuelle pouvant faire l’objet d’une réclamation au titre de l’article 72 des mesures d’application » et, de l’autre, la notion d’« actes adressés à des personnes spécifiques, mais qui peuvent concerner une autre personne individuellement aux termes de l’article 263 TFUE ». Ainsi, pour démontrer qu’il était individuellement concerné par la décision litigieuse et que, dès lors, son recours gracieux aurait dû être regardé par le Tribunal comme ayant pour effet de prolonger le délai de recours, le requérant se réfère à des exemples tirés de la jurisprudence en matière de recevabilité des requêtes, au sens de l’article 263 TFUE.

    42      À titre subsidiaire, le Parlement fait valoir que l’argumentation du requérant selon laquelle il serait individuellement concerné par la décision litigieuse devrait être écartée comme étant non fondée.

     Appréciation de la Cour

     Sur la recevabilité

    43      En ce qui concerne  l’irrecevabilité opposée par le Parlement, il convient de rappeler que la Cour a itérativement jugé qu’un requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant elle, des moyens nés de la décision du Tribunal attaquée elle-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (arrêt du 26 février 2020, SEAE/Alba Aguilera e.a., C‑427/18 P, EU:C:2020:109, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

    44      Le Tribunal ayant, dans l’ordonnance attaquée, jugé que la décision litigieuse ne constituait pas une décision individuelle, le requérant est, dès lors, recevable à soulever devant la Cour un moyen visant à critiquer la solution ainsi retenue par le premier juge, indépendamment de la circonstance qu’il n’avait pas, lui-même, développé devant celui-ci l’argumentation selon laquelle la décision litigieuse devait être qualifiée de décision le concernant individuellement (voir, par analogie, arrêt du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, C‑176/06 P, non publié, EU:C:2007:730, point 17).

    45      Concernant l’argumentation du Parlement tirée d’un manque de clarté du moyen unique de pourvoi, il y a lieu de rappeler qu’il résulte de l’article 256 TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169 du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt ou de l’ordonnance dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (arrêt du 9 décembre 2020, Groupe Canal +/Commission, C‑132/19 P, EU:C:2020:1007, point 18 et jurisprudence citée).

    46      Or, en l’espèce, le moyen unique de pourvoi satisfait à ces exigences. De surcroît, l’argumentation développée par le requérant dans le cadre de ce moyen n’est ni « incohérente », ni même difficilement compréhensible. Cette argumentation permet, par conséquent, à la Cour d’exercer la mission qui lui incombe et d’effectuer son contrôle de la légalité de l’ordonnance attaquée.

    47      Il résulte des considérations qui précèdent que le moyen unique de pourvoi est recevable.

     Sur le fond

    48      À titre liminaire, il convient de relever que le requérant ne reproche pas au Tribunal d’avoir considéré, au point 24 de l’ordonnance attaquée, que l’article 72 des mesures d’application prévoit une procédure de réclamation contre les seules décisions individuelles prises à l’égard d’un député au Parlement par le service compétent de cette institution. Partant, seules font l’objet du pourvoi l’erreur prétendument commise par le Tribunal en ayant considéré que le requérant avait souhaité se fonder exclusivement sur l’article 72 des mesures d’application et la prétendue qualification juridique erronée de la décision litigieuse d’« acte de portée générale », effectuée par le Tribunal aux points 25 et 26 de l’ordonnance attaquée, ainsi que les conséquences juridiques qui s’y rattachent concernant le délai de recours contentieux prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE.

    49      En ce qui concerne, en premier lieu, l’argumentation du requérant visant le fait que le Tribunal a considéré, à tort, que sa réclamation, en l’occurrence la lettre du 27 février 2019, était fondée sur l’article 72 des mesures d’application, alors qu’il n’aurait à aucun moment prétendu s’être fondé « sur cette seule disposition », il suffit de relever, premièrement, qu’il ressort de cette formule qu’il ne conteste pas que sa réclamation était fondée sur cette disposition, deuxièmement, ainsi que l’a relevé le Tribunal aux points 20 et 21 de cette ordonnance, que le requérant lui-même avait fondé son argumentation, dans sa requête en première instance, sur la jurisprudence issue de l’arrêt du 21 février 2018, LL/Parlement (C‑326/16 P, EU:C:2018:83), et, troisièmement, qu’il n’a pas précisé sur quelle autre base juridique supplémentaire cette réclamation aurait pu être fondée.

    50      Par conséquent, le Tribunal a pu, à bon droit, se limiter à examiner l’applicabilité de l’article 72 des mesures d’application.

    51      En ce qui concerne, en deuxième lieu, la prétendue qualification juridique erronée de la décision litigieuse, premièrement, il est constant que le requérant n’est pas le destinataire de cette décision.

    52      Deuxièmement, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être individuellement concernés, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une telle décision le serait (voir, notamment, arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, EU:C:1963:17, p. 223, ainsi que du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 93).

    53      Or, la décision litigieuse se limite à prévoir, de manière générale, que toute pension qui n’est pas encore exigible au 1er janvier 2019 est fixée et versée, sous réserve que le député au Parlement concerné ait atteint l’âge de 65 ans, et que cette pension fait l’objet d’un prélèvement spécial de 5 % de son montant nominal.

    54      Ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 25 de l’ordonnance attaquée, la décision litigieuse constitue, par conséquent, non pas une décision prise à l’égard du requérant, mais un acte de portée générale, qui s’applique à des situations déterminées objectivement et qui produit des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite.

    55      S’agissant de l’argumentation du requérant selon laquelle le bureau du Parlement aurait, à la date d’adoption de la décision litigieuse, pris en compte la situation particulière des députés concernés, notamment leur nombre, leur âge et leur réaction probable, pour fixer les nouveaux seuils qu’il a instaurés, de telle sorte que le requérant aurait été identifiable à cette date, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence bien établie que la possibilité de déterminer, avec plus ou moins de précision, le nombre ou même l’identité des sujets de droit auxquels s’applique une mesure n’implique nullement que ces sujets doivent être considérés comme étant concernés individuellement par cette mesure, dès lors que cette application est effectuée en vertu d’une situation objective de droit ou de fait définie par l’acte en cause (arrêt du 19 décembre 2013, Telefónica/Commission, C‑274/12 P, EU:C:2013:852, point 47 et jurisprudence citée).

    56      Dans ces conditions, l’argumentation du requérant visant à démontrer qu’il est individuellement concerné par la décision litigieuse, au sens des arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission (25/62, EU:C:1963:17), du 3 avril 2003, BaByliss/Commission (T‑114/02, EU:T:2003:100), et du 4 février 2016, GFKL Financial Services/Commission (T‑620/11, EU:T:2016:59), afin de contester cette décision dans le cadre de la procédure précontentieuse prévue à l’article 72 des mesures d’application, ne saurait prospérer.

    57      Il en résulte que, aux points 23 et 27 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a pu juger, sans commettre d’erreur de droit, que, en présence d’un acte tel que la décision litigieuse, la procédure de réclamation, prévue à l’article 72 des mesures d’application, n’était pas applicable.

    58      En troisième lieu, le requérant reproche au Tribunal d’avoir adopté une solution qui serait « contraire au bon sens, à l’état de droit, et aux garanties que l’institution judiciaire doit aux citoyens », dans la mesure où cette solution exigerait une « individualisation accrue » d’un requérant comme condition de recevabilité d’un recours contre une décision administrative.

    59      À cet égard, il convient de relever, ainsi que l’a énoncé le Tribunal au point 26 de l’ordonnance attaquée, que la décision litigieuse ne prévoit rien quant à l’octroi en tant que tel de la retraite complémentaire volontaire ni quant au montant exact de cette dernière. En effet, les députés au Parlement qui souhaitent bénéficier d’une pension au titre du régime de pension complémentaire volontaire doivent introduire une demande auprès du service compétent de cette institution. Cette demande doit être accompagnée des pièces justificatives requises, faire l’objet d’une vérification par le service compétent de ladite institution, lequel établit alors le droit du demandeur à une telle pension par l’adoption d’une décision individuelle. Partant, les conséquences spécifiques et concrètes de la décision litigieuse à l’égard des députés au Parlement concernés se matérialisent par des actes individuels, émanant du service compétent de la même institution, comportant pour chacun de ces députés la vérification de la réunion des conditions requises et l’application d’un calcul propre à chaque situation.

    60      Il s’ensuit que le requérant peut contester devant le Tribunal, par l’introduction d’un recours contentieux sur le fondement de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, l’acte individuel qui lui a été adressé, à la suite de sa demande de bénéficier d’une pension supplémentaire volontaire, et qui constitue une mise en œuvre de la décision litigieuse dans son cas individuel.

    61      En outre, en application de l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union européenne, et nonobstant l’expiration du délai prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant  le juge de l’Union l’inapplicabilité de cet acte. Cet article 277 constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie au litige le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’une décision qui lui est adressée, la validité des actes de portée générale qui forment la base d’une telle décision (arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, points 66 et 67 ainsi que jurisprudence citée).

    62      C’est ainsi que, à l’occasion de recours en annulation intentés contre des décisions individuelles, la Cour a admis que peuvent valablement faire l’objet d’une exception d’illégalité les dispositions d’un acte de portée générale qui constituent la base de ces décisions (arrêt du 8 septembre 2020, Commission et Conseil/Carreras Sequeros e.a., C‑119/19 P et C‑126/19 P, EU:C:2020:676, point 69 ainsi que jurisprudence citée).

    63      Il s’ensuit que, à l’occasion d’un recours éventuel intenté contre l’acte individuel le concernant, visé au point 60 du présent arrêt, le requérant aurait la possibilité de soulever une exception d’illégalité à l’égard de la décision litigieuse.

    64      Il résulte de ce qui précède que le droit à une protection juridictionnelle effective n’est pas compromis par la conclusion du Tribunal, figurant aux points 27 et 31 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle, en présence d’un acte tel que la décision litigieuse, la procédure de réclamation prévue à l’article 72 des mesures d’application n’est pas applicable, de telle sorte que, en ce qui concerne cette décision, le délai de recours contentieux avait expiré.

    65      Le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en qualifiant la décision litigieuse d’acte de portée générale qui ne relève pas du champ d’application de l’article 72 des mesures d’application. Partant, c’est à bon droit que le Tribunal a pu considérer, au point 28 de l’ordonnance attaquée, que la lettre du 27 février 2019 ne saurait constituer un recours administratif ou une réclamation fondée sur l’article 72, paragraphe 1, des mesures d’application, lequel permet de prolonger le délai de recours contentieux contre cette décision.

    66      Il en découle que le requérant ne peut non plus reprocher au Tribunal d’avoir considéré, aux points 28 et 36 de l’ordonnance attaquée, que la lettre du 26 mars 2019 ne constitue pas une décision prise dans le cadre d’une procédure précontentieuse. Par conséquent, l’argumentation du requérant selon laquelle cette dernière lettre aurait clos la procédure précontentieuse, de telle sorte qu’il aurait introduit un recours devant le Tribunal dans le délai prévu à l’article 263 TFUE, doit également être écartée comme étant non fondée.

    67      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen unique de pourvoi doit être écarté comme étant non fondé et que, par conséquent, le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble.

     Sur les dépens

    68      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. M. Gollnisch ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents au pourvoi, conformément aux conclusions du Parlement.

    Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :

    1)      Le pourvoi est rejeté.

    2)      M. Bruno Gollnisch est condamné aux dépens.

    Kumin

    Xuereb

    Ziemele

    Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 mai 2021.

    Le greffier

    Le président de la VIIème chambre

    A. Calot Escobar

     

    A. Kumin


    *      Langue de procédure : le français.

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