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Document 62016CJ0664

    Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 21 novembre 2018.
    Lucreţiu Hadrian Vădan contre Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Soluţionare a Contestaţiilor et Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Braşov – Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Alba.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par la Curtea de Apel Alba Iulia.
    Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Articles 167, 168, 178 et 273 – Étendue du droit à la déduction – Absence de factures – Recours à une expertise judiciaire – Charge de la preuve du droit à déduction – Principes de neutralité fiscale et de proportionnalité.
    Affaire C-664/16.

    Recueil – Recueil général – Partie «Informations sur les décisions non publiées»

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2018:933

    ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

    21 novembre 2018 ( *1 )

    « Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Directive 2006/112/CE – Articles 167, 168, 178 et 273 – Étendue du droit à la déduction – Absence de factures – Recours à une expertise judiciaire – Charge de la preuve du droit à déduction – Principes de neutralité fiscale et de proportionnalité »

    Dans l’affaire C‑664/16,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia, Roumanie), par décision du 10 novembre 2016, parvenue à la Cour le 21 décembre 2016, dans la procédure

    Lucreţiu Hadrian Vădan

    contre

    Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală de Soluţionare a Contestaţiilor,

    Direcţia Generală Regională a Finanţelor Publice Braşov – Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Alba,

    LA COUR (quatrième chambre),

    composée de M. T. von Danwitz, président de la septième chambre, faisant fonction de président de la quatrième chambre, Mme K. Jürimäe, MM. C. Lycourgos, E. Juhász (rapporteur) et C. Vajda, juges,

    avocat général : M. E. Tanchev,

    greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 janvier 2018,

    considérant les observations présentées :

    pour M. Vădan, par Mes M. Bejenaru-Dragoş, C. D. Cubleşan, C. A. Păun, T. V. Căpuşan, D. Feldrihan et D. F. Pascu, avocats,

    pour le gouvernement roumain, par M. C.-R. Canţăr ainsi que par Mmes O.‑C. Ichim, E. Gane et C. M. Florescu, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par MM. R. Lyal et G.-D. Balan ainsi que par Mme L. Lozano Palacios, en qualité d’agents,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 mai 2018,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci‑après la « directive TVA »), en particulier de ses articles 167, 168, 178 et 273, ainsi que sur les principes de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de proportionnalité.

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Lucrețiu Hadrian Vădan à l’Agenția Națională de Administrare Fiscală – Direcția Generală de Soluționare a Contestațiilor (agence nationale de l’administration fiscale – direction générale du traitement des réclamations, Roumanie) et à la Direcția Generală Regională a Finanțelor Publice Brașov – Administraţia Judeţeană a Finanţelor Publice Alba (direction générale régionale des finances publiques de Brașov – administration des finances publiques du département Alba, Roumanie) au sujet du refus opposé au requérant au principal d’exercer son droit à déduction de la TVA pour les biens et les services qu’il a utilisés pour ses propres opérations, dès lors qu’il n’a pas été en mesure de produire les factures relatives à ces biens et à ces services.

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    3

    Le titre X de la directive TVA, intitulé « Déductions », comporte un chapitre 1, intitulé « Naissance et étendue du droit à déduction », qui comprend les articles 167 à 172 de celle-ci. Ledit article 167 dispose :

    « Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

    4

    Aux termes de l’article 168 de cette directive :

    « Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

    a)

    la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

    [...] »

    5

    Le chapitre 4 de ce titre X, intitulé « Modalités d’exercice du droit à déduction », est composé des articles 178 à 183 de la directive TVA. Ledit article 178 prévoit :

    « Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

    a)

    pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240 ;

    [...] »

    6

    L’article 179 de cette directive dispose :

    « La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période.

    Toutefois, les États membres peuvent obliger les assujettis qui effectuent des opérations occasionnelles visées à l’article 12 à n’exercer le droit à déduction qu’au moment de la livraison. »

    7

    Le titre XI de ladite directive, intitulé « Obligations des assujettis et de certaines personnes non assujetties », comporte un chapitre 2, intitulé « Identification », composé des articles 213 à 216 de celle-ci. Ledit article 213, paragraphe 1, dispose :

    « Tout assujetti déclare le commencement, le changement et la cessation de son activité en qualité d’assujetti.

    [...] »

    8

    Le chapitre 3 de ce titre XI, relatif à la facturation, est composé des articles 217 à 240 de la directive TVA. L’article 220 de celle-ci prévoit :

    « Tout assujetti doit s’assurer qu’une facture est émise, par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, dans les cas suivants :

    1)

    pour les livraisons de biens ou les prestations de services qu’il effectue pour un autre assujetti ou pour une personne morale non assujettie ;

    [...] »

    9

    Aux termes de l’article 226 de cette directive :

    « Sans préjudice des dispositions particulières prévues par la présente directive, seules les mentions suivantes doivent figurer obligatoirement, aux fins de la TVA, sur les factures émises en application des dispositions des articles 220 et 221 :

    1)

    la date d’émission de la facture ;

    2)

    un numéro séquentiel, basé sur une ou plusieurs séries, qui identifie la facture de façon unique ;

    3)

    le numéro d’identification TVA, visé à l’article 214, sous lequel l’assujetti a effectué la livraison de biens ou la prestation de services ;

    4)

    le numéro d’identification TVA de l’acquéreur ou du preneur, visé à l’article 214, sous lequel il a reçu une livraison de biens ou une prestation de services pour laquelle il est redevable de la taxe ou une livraison de biens visée à l’article 138 ;

    5)

    le nom complet et l’adresse de l’assujetti et de l’acquéreur ou du preneur ;

    6)

    la quantité et la nature des biens livrés ou l’étendue et la nature des services rendus ;

    7)

    la date à laquelle est effectuée, ou achevée, la livraison de biens ou la prestation de services ou la date à laquelle est versé l’acompte visé à l’article 220, points 4) et 5), dans la mesure où une telle date est déterminée et différente de la date d’émission de la facture ;

    8)

    la base d’imposition pour chaque taux ou exonération, le prix unitaire hors TVA, ainsi que les escomptes, rabais ou ristournes éventuels s’ils ne sont pas compris dans le prix unitaire ;

    9)

    le taux de TVA appliqué ;

    10)

    le montant de TVA à payer, sauf lorsqu’est appliqué un régime particulier pour lequel la présente directive exclut une telle mention ;

    [...] »

    10

    Le chapitre 4 dudit titre XI, intitulé « Comptabilité », comprend les articles 241 à 249 de ladite directive. L’article 242 de celle-ci dispose :

    « Tout assujetti doit tenir une comptabilité suffisamment détaillée pour permettre l’application de la TVA et son contrôle par l’administration fiscale. »

    11

    Aux termes de l’article 244 de la directive TVA :

    « Tout assujetti doit veiller à ce que soient stockées des copies des factures émises par lui-même, par l’acquéreur ou le preneur ou, en son nom et pour son compte, par un tiers, ainsi que toutes les factures qu’il a reçues. »

    12

    L’article 250 de cette directive, qui figure au chapitre 5 du même titre XI, relatif aux déclarations, prévoit, à son paragraphe 1 :

    « Tout assujetti doit déposer une déclaration de TVA dans laquelle figurent toutes les données nécessaires pour constater le montant de la taxe exigible et celui des déductions à opérer, y compris, et dans la mesure où cela est nécessaire pour la constatation de l’assiette, le montant global des opérations relatives à cette taxe et à ces déductions ainsi que le montant des opérations exonérées. »

    13

    Au chapitre 7 du titre XI de ladite directive, l’article 273 de celle-ci dispose :

    « Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

    La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3. »

    Le droit roumain

    14

    L’article 127 de la Legea nr. 571/2003 privind Codul fiscal (loi no 571/2003 établissant le code des impôts, Monitorul Oficial al României, partie I, no 927, du 23 décembre 2003, ci-après le « code des impôts ») prévoit :

    « (1)   Est considéré comme assujetti quiconque exerce, d’une façon indépendante et quel qu’en soit le lieu, une activité économique relevant du paragraphe 2, quel que soit le but ou le résultat de cette activité.

    (2)   Au sens du présent titre, les activités économiques comprennent les activités de producteur, de commerçant ou de prestataire de services, y compris les activités extractives, agricoles et celles des professions libérales ou assimilées. Est en particulier considérée comme activité économique l’exploitation d’un bien corporel ou incorporel en vue d’en tirer des recettes ayant un caractère de permanence.

    [...] »

    15

    L’article 145 de ce code dispose :

    « 1)   Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe devient exigible.

    2)   Tout assujetti a le droit de déduire la taxe afférente aux achats si ces derniers sont utilisés pour les besoins des opérations suivantes :

    a)

    les opérations taxées ;

    [...] »

    16

    Aux termes de l’article 146 dudit code :

    « 1)   Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

    a)

    pour la taxe due ou payée, relative aux biens qui ont été ou doivent lui être livrés, ou aux services qui ont été ou doivent être fournis à son profit par un assujetti, détenir une facture émise conformément aux dispositions de l’article 155 ;

    [...] »

    17

    Le point 46 du Hotărârea Guvernului nr. 44/2004 pentru aprobarea Normelor metodologice de aplicare a Legii 571/2003 privind Codul fiscal (décision du gouvernement no 44/2004 approuvant les normes méthodologiques d’application de la loi no 571/2003 portant code des impôts, Monitorul Oficial al României, partie I, no 112, du 6 février 2004) prévoyait, à la date du 1er janvier 2007, à son titre VI :

    « (1)

    La déduction de la taxe ne peut être justifiée qu’au moyen de l’exemplaire original des documents prévus à l’article 146, paragraphe 1, du code des impôts ou au moyen d’autres documents contenant au moins les informations prévues à l’article 155, paragraphe 5, du code des impôts, à l’exception des factures simplifiées prévues au point 78. En cas de perte, de vol ou de destruction de l’exemplaire original du document justificatif, le bénéficiaire doit demander au fournisseur/prestataire l’émission d’un duplicata de la facture sur lequel il est mentionné qu’il remplace la facture initiale.

    [...] »

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    18

    M. Vădan, un ressortissant roumain, a entrepris un projet de construction d’un ensemble résidentiel de 16 immeubles de logements unifamiliaux et collectifs, composé de 90 appartements, qui a été achevé entre le 6 juin 2006 et le 8 septembre 2008. Il détenait, en outre, à cette période, plusieurs terrains qui avaient fait l’objet d’une approbation administrative pour accueillir des constructions de logements unifamiliaux.

    19

    M. Vădan a effectué 29 transactions immobilières au cours de l’année 2006 et 70 transactions immobilières au cours des années 2007 à 2009. Il a également vendu des terrains constructibles entre l’année 2008 et l’année 2009. Le montant total de ces opérations s’est élevé à la somme de 19234596 lei roumains (RON) (environ 4104163 euros).

    20

    Dans la mesure où le chiffre d’affaires du requérant au principal avait dépassé, dès le mois de juin 2006, le plafond légal d’exonération de la TVA, les autorités fiscales ont estimé qu’il avait la qualité d’assujetti à la TVA et qu’il devait, en conséquence, s’identifier en tant que tel à compter du 1er août 2006.

    21

    En l’absence de tout enregistrement à la TVA et de dépôt de déclaration de taxe auprès des autorités fiscales, la Direcția Generală a Finanțelor Publice Alba (direction générale des finances publiques d’Alba, Roumanie) a mis à la charge de M. Vădan, par l’avis d’imposition no 59/28.01.2011, un montant de 3071069 RON (environ 655286 euros) au titre de la TVA due pour la période comprise entre le 1er août 2006 et le 31 décembre 2009, ainsi qu’un montant de 2476864 RON (environ 528498 euros) au titre des majorations et de 460660 RON (98292 euros) correspondant aux pénalités de retard. Le montant global mis en recouvrement s’élève à 6008593 RON (environ 1282077 euros).

    22

    M. Vădan a contesté le montant de ce redressement devant les autorités administratives, lesquelles ont, par décision du 19 août 2011, partiellement fait droit à ses demandes, en portant le montant global du redressement à la somme de 5735741 RON (1223858 euros), dont 2909546 RON (620821 euros) au titre de la TVA, 2389763 RON (509913 euros) au titre des majorations de retard et 436432 RON (93123 euros) au titre des pénalités de retard.

    23

    M. Vădan a formé un recours devant la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia, Roumanie) tendant à l’annulation dudit avis et de la décision du 19 août 2011.

    24

    À cet égard, il a fait valoir qu’il ne lui incombait ni de s’identifier en tant qu’assujetti à la TVA ni de tenir un quelconque registre, dans la mesure où il avait procédé au paiement de cette taxe lors des acquisitions qu’il avait effectuées et qu’il n’avait jamais perçu de TVA auprès de ses acquéreurs.

    25

    La Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) a, par l’arrêt no 42/2013, rejeté l’ensemble des prétentions du requérant au principal.

    26

    Par un arrêt du 3 décembre 2014, l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice, Roumanie) a, au motif que la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) avait, de manière erronée, refusé d’appliquer le droit à déduction de la TVA de l’assujetti, cassé l’arrêt prononcé par cette juridiction et lui a renvoyé l’affaire pour réexamen.

    27

    À cet effet, l’Înalta Curte de Casație și Justiție (Haute Cour de cassation et de justice) a estimé que la juridiction d’appel, après avoir relevé que M. Vădan bénéficiait d’un droit à déduction du fait de son identification d’office à la TVA, avait, à tort, considéré que celui-ci ne pouvait se prévaloir de certains documents, en l’occurrence les conclusions de deux expertises, au motif qu’il n’avait pas produit les exemplaires originaux des documents concernant les achats de biens et de services afférents aux constructions vendues, alors même qu’il avait précisé dans sa requête devant cette juridiction qu’il n’était pas en mesure de produire ces documents.

    28

    Elle a également reproché à la juridiction d’appel de s’être abstenue d’apprécier si le montant du droit à déduction de la TVA pouvait être déterminé à l’aide d’autres documents que des originaux de facture, ce « afin de rendre effectif le principe de la réalité de l’opération économique effectuée et de l’évitement d’un formalisme excessif ». À cet égard, elle a souligné que les documents relatifs aux services fournis et aux travaux exécutés par le ou les constructeurs des immeubles en question seraient également pertinents.

    29

    La Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) relève que, à la suite de l’arrêt rendu sur pourvoi, M. Vădan a produit aux débats une lettre du 15 février 2008, communiquée à la Camera Notarilor Publici București (chambre des notaires publics de Bucarest, Roumanie), par laquelle l’agence nationale de l’administration fiscale a interprété les dispositions du code des impôts comme étant applicables aux personnes physiques non identifiées à la TVA qui, à compter du 1er janvier 2008, ont effectué des cessions de constructions neuves, de parties de celles-ci ou de terrains constructibles. À cet égard, M. Vădan allègue que, entre l’année 2006 et l’année 2008, aucune personne physique n’a pu s’identifier en tant qu’assujettie à la TVA et que, de plus, il n’existait aucune obligation d’émettre des factures, l’absence de factures étant compensée par la production de tickets de caisse, devenus aujourd’hui illisibles du fait de la mauvaise qualité de l’encre utilisée.

    30

    Dans sa décision de renvoi, la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) indique que la question dont elle est saisie porte sur le point de savoir si un promoteur immobilier, qui, sans avoir effectué des démarches préalables auprès de l’autorité fiscale compétente, ne s’est pas identifié comme assujetti à la TVA, alors même qu’il en avait l’obligation, et qui n’a pas tenu de comptabilité, est en droit de bénéficier de déductions de TVA, correspondant aux fonds investis dans la construction de bâtiments vendus, dans des circonstances où, à défaut de pouvoir produire des factures fiscales, les autres documents produits sont illisibles et, par conséquent, insuffisants pour déterminer l’existence et l’étendue d’un droit à déduction.

    31

    En se référant à l’arrêt de la Cour du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean (C‑183/14, EU:C:2015:454), elle s’interroge sur le point de savoir si l’application du principe de neutralité de la TVA est de nature à permettre l’exercice d’un droit à déduction lorsque, dans des circonstances comme celles de l’affaire au principal, dans lesquelles, notamment, l’émission de factures destinées aux personnes physiques n’étaient à l’époque pas obligatoire, l’assujetti est dans l’incapacité de produire des factures et si le principe de proportionnalité s’oppose à une mesure ayant pour effet de restreindre le droit à déduction de la TVA dans ces circonstances.

    32

    Si ces principes devaient être interprétés en ce sens qu’ils permettent à un assujetti de pouvoir bénéficier de la déduction de TVA, sans que pour autant cet assujetti soit en mesure de produire des factures à cet effet, la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) s’interroge sur le point de savoir s’il est possible d’accorder un tel droit par une estimation indirecte, en l’occurrence, par une expertise judiciaire qu’elle ordonnerait, en donnant à l’expert pour mission d’évaluer le montant de la TVA déductible, sur le fondement de la quantité des travaux effectués ou de la main-d’œuvre employée par ledit assujetti nécessaires à la construction des bâtiments qu’il a vendus.

    33

    Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la Curtea de Apel Alba Iulia (cour d’appel d’Alba Iulia) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    La [directive TVA] en général et ses articles 167, 168, 178, 179 et 273 en particulier ainsi que les principes de proportionnalité et de neutralité peuvent–ils être interprétés en ce sens qu’ils permettent à un assujetti qui remplit les conditions de fond pour déduire la TVA de bénéficier de son droit à déduction, lorsque, dans un contexte spécifique tel que celui de l’affaire pendante, ledit assujetti n’est pas en mesure d’apporter la preuve des sommes payées en amont pour des livraisons de biens et des prestations de services en présentant des factures fiscales ?

    2)

    En cas de réponse affirmative à la première question, la directive [TVA] ainsi que les principes de proportionnalité et de neutralité peuvent-ils être interprétés en ce sens qu’une modalité d’estimation indirecte (par expertise judiciaire) effectuée par un expert indépendant sur le fondement de la quantité de travaux/main-d’œuvre résultant de l’expertise relative aux bâtiments peut constituer une mesure recevable et appropriée pour déterminer l’étendue du droit à déduction, lorsque les livraisons de biens (matériaux de construction) et les prestations de services (main-d’œuvre nécessaire pour construire les bâtiments) proviennent de personnes assujetties à la TVA ? »

    Sur les questions préjudicielles

    34

    Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la Cour est compétente pour interpréter le droit de l’Union uniquement pour ce qui concerne l’application de celui-ci dans un nouvel État membre à partir de la date d’adhésion de ce dernier à l’Union européenne (ordonnance du 11 mai 2017, Exmitiani, C‑286/16, non publiée, EU:C:2017:368, point 12).

    35

    Ainsi, dans l’affaire au principal, la Cour n’est compétente pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi que dans la mesure où elles concernent des opérations soumises à la TVA réalisées à compter du 1er janvier 2007, date d’adhésion de la Roumanie à l’Union.

    36

    Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA, en particulier ses articles 167 et 168, son article 178, sous a), et son article 179, ainsi que les principes de neutralité de la TVA et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un assujetti qui n’est pas en mesure de rapporter la preuve du montant de la TVA qu’il a payée en amont, par la production de factures ou de tout autre document, peut bénéficier d’un droit à déduction de la TVA sur la seule base d’une estimation résultant d’une expertise ordonnée par une juridiction nationale.

    37

    En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, le droit à déduction de la TVA constitue un principe fondamental du système commun de TVA, qui ne peut, en principe, être limité, et s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont par l’assujetti (arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean, C‑183/14, EU:C:2015:454, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

    38

    Ce régime vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de TVA garantit, par conséquent, la parfaite neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition qu’elles soient elles-mêmes soumises à la TVA (arrêt du 9 juillet 2015, Salomie et Oltean, C‑183/14, EU:C:2015:454, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

    39

    En vertu de l’article 167 de la directive TVA, le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. Les conditions matérielles requises pour la naissance de ce droit sont énumérées à l’article 168, sous a), de cette directive. Ainsi, pour pouvoir bénéficier dudit droit, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un assujetti au sens de ladite directive et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder le droit à déduction soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens soient livrés ou ces services soient rendus par un autre assujetti (arrêt du 15 septembre 2016, Senatex, C‑518/14, EU:C:2016:691, point 28 et jurisprudence citée).

    40

    En ce qui concerne les conditions formelles du droit à déduction, il ressort de l’article 178, sous a), de la directive TVA que l’exercice de ce droit est subordonné à la détention d’une facture établie conformément à l’article 226 de cette directive (arrêt du 15 septembre 2016, Senatex, C‑518/14, EU:C:2016:691, point 29 et jurisprudence citée).

    41

    Or, la Cour a jugé que le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de celle-ci en amont soit accordée si les conditions matérielles sont satisfaites, même si certaines conditions formelles ont été omises par les assujettis. Par suite, l’administration fiscale ne saurait refuser le droit à déduction de la TVA au seul motif qu’une facture ne remplit pas les conditions requises par l’article 226, points 6 et 7, de la directive TVA, si elle dispose de toutes les données pour vérifier que les conditions de fond relatives à ce droit sont satisfaites (arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos, C‑516/14, EU:C:2016:690, points 42 ainsi que 43).

    42

    Ainsi, l’application stricte de l’exigence formelle de produire des factures se heurterait aux principes de neutralité et de proportionnalité, en ce qu’elle aurait pour effet d’empêcher de manière disproportionnée l’assujetti de bénéficier de la neutralité fiscale afférente à ses opérations.

    43

    Néanmoins, il incombe à l’assujetti qui demande la déduction de la TVA d’établir qu’il répond aux conditions prévues pour en bénéficier (arrêt du 15 septembre 2016, Barlis 06 – Investimentos Imobiliários e Turísticos, C‑516/14, EU:C:2016:690, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

    44

    Ainsi, l’assujetti est tenu de fournir des preuves objectives que des biens et des services lui ont effectivement été fournis en amont par des assujettis, pour les besoins de ses propres opérations soumises à la TVA, et à l’égard desquels il s’est effectivement acquitté de la TVA.

    45

    Ces preuves peuvent comprendre, notamment, des pièces se trouvant en possession de fournisseurs ou de prestataires auprès desquels l’assujetti a acquis des biens ou des services pour lesquels il a acquitté la TVA. Une estimation résultant d’une expertise ordonnée par une juridiction nationale peut, le cas échéant, compléter lesdites preuves ou renforcer leur crédibilité, mais non pas les remplacer.

    46

    En l’occurrence, il ressort des indications figurant dans la décision de renvoi que, à défaut de pouvoir produire des factures, M. Vădan a soumis d’autres documents qui sont toutefois illisibles et, selon la juridiction de renvoi, insuffisants pour déterminer l’existence et l’étendue d’un droit à déduction.

    47

    En ce qui concerne la preuve par une expertise judiciaire, telle que celles en cause au principal, cette juridiction précise que l’expert aurait pour mission d’évaluer le montant de la TVA déductible sur le fondement de la quantité des travaux effectués ou de la main-d’œuvre employée par ledit assujetti nécessaires à la construction des bâtiments qu’il a vendus. À cet égard, il importe toutefois de constater qu’une telle expertise ne serait pas à même d’établir que M. Vădan a effectivement payé cette taxe pour les opérations effectuées en amont aux fins de la construction de ces bâtiments.

    48

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que la directive TVA, en particulier ses articles 167 et 168, son article 178, sous a), et son article 179, ainsi que les principes de neutralité de la TVA et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un assujetti qui n’est pas en mesure de rapporter la preuve du montant de la TVA qu’il a payée en amont, par la production de factures ou de tout autre document, ne peut bénéficier d’un droit à déduction de la TVA sur la seule base d’une estimation résultant d’une expertise ordonnée par une juridiction nationale.

    Sur les dépens

    49

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

     

    La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, en particulier ses articles 167 et 168, son article 178, sous a), et son article 179, ainsi que les principes de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de proportionnalité doivent être interprétés en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, un assujetti qui n’est pas en mesure de rapporter la preuve du montant de la TVA qu’il a payée en amont, par la production de factures ou de tout autre document, ne peut bénéficier d’un droit à déduction de la TVA sur la seule base d’une estimation résultant d’une expertise ordonnée par une juridiction nationale.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : le roumain.

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