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Document 62018CO0619(01)
Order of the President of the Court of 15 November 2018.#European Commission v Republic of Poland.#Expedited procedure.#Case C-619/18.
Ordonnance du président de la Cour du 15 novembre 2018.
Commission européenne contre République de Pologne.
Procédure accélérée.
Affaire C-619/18.
Ordonnance du président de la Cour du 15 novembre 2018.
Commission européenne contre République de Pologne.
Procédure accélérée.
Affaire C-619/18.
Recueil – Recueil général – Partie «Informations sur les décisions non publiées»
Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2018:910
ORDONNANCE DU PRÉSIDENT DE LA COUR
15 novembre 2018 ( *1 )
« Procédure accélérée »
Dans l’affaire C‑619/18,
ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 2 octobre 2018,
Commission européenne, représentée par Mme K. Banks ainsi que par MM. H. Krämer et S. L. Kaleda, en qualité d’agents,
partie requérante,
contre
République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
LE PRÉSIDENT DE LA COUR,
la juge rapporteure, Mme A. Prechal, et l’avocat général, M. E. Tanchev, entendus,
rend la présente
Ordonnance
1 |
Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, d’une part, en abaissant l’âge de départ à la retraite des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême, Pologne) et en appliquant cette modification aux juges nommés à cette juridiction avant le 3 avril 2018 et, d’autre part, en accordant au président de la République de Pologne le pouvoir discrétionnaire de prolonger la fonction judiciaire active des juges de cette juridiction, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des dispositions combinées de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. |
2 |
Le 20 décembre 2017, le président de la République de Pologne a signé l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 5), laquelle est entrée en vigueur le 3 avril 2018. Cette loi a fait l’objet de plusieurs modifications successives. |
3 |
En vertu de l’article 37 de la loi sur la Cour suprême, l’âge de départ à la retraite des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) a été abaissé à 65 ans. L’abaissement de l’âge de départ à la retraite s’applique à tous les juges de cette juridiction, y compris à ceux qui y ont été nommés avant l’entrée en vigueur de cette loi. |
4 |
La prolongation de la fonction judiciaire active des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) au-delà de l’âge de 65 ans est soumise à la présentation, par ces juges, d’une déclaration indiquant leur souhait de continuer à exercer leurs fonctions et d’un certificat attestant que leur état de santé leur permet de siéger, ainsi qu’à l’autorisation du président de la République de Pologne. L’article 37 de la loi sur la Cour suprême régit cette prolongation. |
5 |
En vertu de l’article 111, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême, les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) qui ont atteint l’âge de 65 ans à la date de l’entrée en vigueur de cette loi ou au plus tard le 3 juillet 2018 partent à la retraite le 4 juillet 2018, sauf s’ils ont présenté, jusqu’au 3 mai 2018 inclus, la déclaration et le certificat mentionnés au point précédent, et si le président de la République de Pologne a autorisé la prolongation de leur fonction au service de cette juridiction. L’article 5 de l’ustawa o zmianie ustawy – Prawo o ustroju sądów powszechnych, ustawy o Sądzie Najwyższym oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur l’organisation des juridictions de droit commun, de la loi sur la Cour suprême et de certaines autres lois), du 10 mai 2018 (Dz. U. de 2018, position 1045), contient des dispositions autonomes régissant la procédure de prolongation de la fonction judiciaire active des juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) ayant atteint l’âge de la retraite au plus tard le 3 juillet 2018. |
6 |
Conformément à l’article 111, paragraphe 1a, de la loi sur la Cour suprême, les juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) qui atteindront l’âge de 65 ans entre le 4 juillet 2018 et le 3 avril 2019 partiront à la retraite le 3 avril 2019, sauf s’ils déposent, avant le 3 avril 2019, la déclaration ainsi que le certificat mentionnés au point 4 de la présente ordonnance, et si le président de la République de Pologne autorise la prolongation de leur fonction au service de cette juridiction. |
7 |
Quant aux juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême) qui y ont été nommés avant le 3 avril 2018 et qui atteindront l’âge de 65 ans après le 3 avril 2019, l’article 37, paragraphe 1, de la loi sur la Cour suprême prévoit que la prolongation de la fonction judiciaire active de ces juges au-delà de l’âge de 65 ans est soumise au régime général, qui requiert la présentation d’une déclaration et d’un certificat ainsi que l’autorisation du président de la République de Pologne, tels que mentionnés au point 4 de la présente ordonnance. |
8 |
Ainsi qu’il ressort du dossier soumis à la Cour, conformément aux dispositions nationales litigieuses, lorsqu’il prend sa décision sur la prolongation de la fonction judiciaire active de juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), le président de la République de Pologne n’est lié par aucun critère et sa décision ne fait pas l’objet d’un contrôle juridictionnel. |
9 |
Enfin, il ressort également de ce dossier que la loi sur la Cour suprême habilite le président de la République de Pologne à décider librement, jusqu’au 3 avril 2019, d’augmenter le nombre de juges au Sąd Najwyższy (Cour suprême). |
10 |
Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le 2 octobre 2018, la Commission a également introduit une demande en référé en vue de l’octroi de mesures provisoires au titre de l’article 279 TFUE ainsi que de l’article 160, paragraphes 2 et 7, du règlement de procédure de la Cour, dans l’attente de l’arrêt de la Cour statuant sur le fond. |
11 |
Par ordonnance du 19 octobre 2018, la vice-présidente de la Cour a, en vertu de l’article 160, paragraphe 7, du règlement de procédure, et avant même que la République de Pologne ait présenté ses observations de la demande en référé, ordonné à cette dernière, immédiatement et jusqu’au prononcé de l’ordonnance qui mettra fin à ladite procédure de référé :
|
12 |
Par acte séparé, déposé au greffe de la Cour le 2 octobre 2018, la Commission a, en vertu de l’article 133, paragraphe 1, du règlement de procédure, également demandé à cette dernière de soumettre la présente affaire à une procédure accélérée. |
13 |
L’article 133, paragraphe 1, du règlement de procédure énonce que, à la demande soit de la partie requérante, soit de la partie défenderesse, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, l’autre partie, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre une affaire à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions de ce règlement. |
14 |
Interrogée, conformément à ladite disposition, par le président de la Cour, la République de Pologne a indiqué qu’elle était opposée à ce que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée. |
15 |
À l’appui de sa demande, la Commission fait valoir que les griefs qu’elle formule dans son recours sont tirés d’une violation des garanties permettant d’assurer l’indépendance de l’instance judiciaire suprême d’un État membre et que les doutes de nature systémique que traduisent ces griefs sont propres à engendrer une insécurité juridique et à entraver le bon fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union, de telle sorte qu’il y a lieu de statuer rapidement sur le litige afin de limiter autant que faire se peut cette période d’incertitude. |
16 |
D’une part, en effet, et eu égard à leurs fonctions spécifiques et à l’autorité s’attachant à leurs décisions dans l’ordre juridique national, ainsi qu’à l’obligation particulière pesant sur elles au titre de l’article 267, troisième alinéa, TFUE, les juridictions suprêmes nationales joueraient un rôle central dans le cadre du système d’application du droit de l’Union. Or, des doutes quant au respect des garanties d’indépendance concernant de telles juridictions seraient de nature à les empêcher de jouer pleinement ce rôle. D’autre part, ces mêmes doutes seraient également susceptibles de porter atteinte à la confiance mutuelle entre les États membres et leurs juridictions respectives, requise pour que puisse fonctionner le principe de reconnaissance mutuelle, lequel jouerait un rôle essentiel en ce qui concerne de nombreux actes du droit de l’Union relatifs à l’espace de liberté, de sécurité et de justice. |
17 |
Pour sa part, le gouvernement polonais est d’avis qu’accéder à la demande de procédure accélérée de la Commission aurait pour effet de restreindre indûment ses droits de la défense. En effet, tout d’abord, l’affaire soulevant d’importantes questions de principe et appelant en outre des objections sur le plan de la recevabilité, il serait difficilement concevable que l’État défendeur puisse présenter tous les arguments requis à ces divers égards dans un seul et unique mémoire et que la procédure ne donne pas lieu à une réplique et à une duplique. En outre, il importerait également que d’éventuelles parties intervenantes soient à même de présenter des observations sur de telles questions de principe. Enfin, la Commission aurait tardé à saisir la Cour et ce retard ne saurait à présent être compensé par une telle restriction des droits procéduraux de l’État défendeur. |
18 |
Quant aux prétendues menaces que feraient courir pour l’indépendance du Sąd Najwyższy (Cour suprême) les dispositions nationales litigieuses, la Commission n’aurait présenté aucun élément concret susceptible d’en étayer la réalité ou d’en préciser l’ampleur ni établi en quoi le bon fonctionnement de l’ordre juridique de l’Union pourrait se trouver compromis en l’absence de procédure accélérée. Les mesures contestées par la Commission seraient seulement de nature à entraîner le départ à la retraite d’un nombre limité de juges du Sąd Najwyższy (Cour suprême), ce qui ne serait de nature à affecter ni le fonctionnement et l’activité juridictionnelle de cette juridiction, ni la possibilité pour cette dernière d’interroger la Cour sur la base de l’article 267 TFUE, ni la sécurité des rapports juridiques fondés sur les décisions qui seront rendues par les juges n’ayant pas atteint l’âge de la retraite, ni, enfin, l’aptitude du Sąd Najwyższy (Cour suprême) à agir dans le contexte de la coopération judiciaire entre les États membres, coopération dans laquelle ladite juridiction ne serait en outre, et à la différence des juridictions ordinaires, que peu appelée à intervenir. |
19 |
En premier lieu, en ce qui concerne le point de savoir si la présente affaire revêt une nature propre à exiger son traitement dans de brefs délais en vertu de l’article 133, paragraphe 1, du règlement de procédure, il convient de rappeler que, par le présent recours, la Commission soutient que les récentes modifications législatives afférentes à l’abaissement de l’âge auquel les membres du Sąd Najwyższy (Cour suprême) partent à la retraite et aux conditions dans lesquelles lesdits juges peuvent, le cas échéant, au-delà de cet âge, être autorisés à continuer à exercer leurs fonctions violent les dispositions du droit primaire de l’Union mentionnées au point 1 de la présente ordonnance. |
20 |
En particulier, le présent recours en constatation de manquement a été introduit en raison des doutes éprouvés par la Commission quant à l’aptitude même du Sąd Najwyższy (Cour suprême), à la suite de ces modifications législatives, à continuer à statuer dans le respect du droit fondamental de tout justiciable à accéder à un tribunal indépendant, tel que consacré à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux. |
21 |
Or, il importe de rappeler que l’exigence d’indépendance des juges relève du contenu essentiel du droit fondamental à un procès équitable, lequel revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment, de la valeur de l’État de droit [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 48]. |
22 |
En outre, les incertitudes entourant ainsi les dispositions nationales litigieuses sont également susceptibles d’avoir un impact sur le fonctionnement du système de coopération judiciaire qu’incarne le mécanisme de renvoi préjudiciel prévu à l’article 267 TFUE, clef de voute du système juridictionnel de l’Union européenne, auquel l’indépendance des juridictions nationales, et notamment celle des juridictions statuant en dernier ressort, est essentielle [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 176 ; arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses, C‑64/16, EU:C:2018:117, point 43, et ordonnance du président de la Cour du 26 septembre 2018, Zakład Ubezpieczeń Społecznych, C‑522/18, non publiée, EU:C:2018:786, point 15]. |
23 |
S’agissant, en second lieu, de l’allégation de la République de Pologne selon laquelle ses droits de la défense se trouveraient affectés s’il était fait droit à la demande de procédure accélérée, il convient de faire observer d’emblée que, ainsi qu’il ressort de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, en cas d’application d’une telle procédure, la requête et le mémoire en défense ne peuvent être complétés par une réplique et une duplique que si le président de la Cour le juge nécessaire, le juge rapporteur et l’avocat général entendus. |
24 |
Or, force est de relever, à cet égard, que, à supposer que le dépôt d’une réplique ne soit pas autorisé par le président de la Cour, décision qui n’a pas encore été prise, il n’apparaît pas comment, en l’absence d’une telle réplique, et donc d’arguments et de développements complétant ceux figurant dans la requête et auxquels la partie défenderesse a eu tout loisir de répondre dans son mémoire en défense, ladite partie défenderesse pourrait prétendre que ses droits de la défense se trouvent affectés du fait de ne pas être en mesure de déposer une duplique. En outre, il convient de rappeler que les procédures en constatation de manquement devant la Cour sont précédées d’une procédure précontentieuse durant laquelle les parties ont l’occasion d’exposer et d’élaborer l’argumentation qu’elles seront, par la suite, amenées à développer devant la Cour en cas d’engagement d’une procédure devant cette dernière. |
25 |
À la lumière de ce qui précède, une réponse de la Cour intervenant dans de brefs délais est de nature, aux fins de la sécurité juridique, dans l’intérêt tant de l’Union que de l’État membre concerné, à lever les incertitudes portant sur des questions fondamentales de droit de l’Union et ayant notamment trait à l’existence d’éventuelles ingérences dans certains droits fondamentaux que garantit ce dernier ainsi qu’aux incidences que l’interprétation de ce droit est susceptible d’avoir en ce qui concerne la composition même et les conditions de fonctionnement de la juridiction suprême dudit État membre (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 26 septembre 2018, Zakład Ubezpieczeń Społecznych, C‑522/18, non publiée, EU:C:2018:786, point 15). |
26 |
Certes, la Cour reste saisie d’une demande en référé, formulée par la Commission, en vue de l’octroi de mesures provisoires au titre de l’article 279 TFUE et de l’article 160, paragraphe 2, du règlement de procédure. Toutefois, ainsi qu’il a été relevé au point 11 de la présente ordonnance, la vice-présidente de la Cour a, par ordonnance du 19 octobre 2018, intervenue après le dépôt par la République de Pologne de ses observations sur la demande de procédure accélérée, adopté, sur le fondement de l’article 160, paragraphe 7, de ce règlement, les mesures provisoires sollicitées par la Commission, ces mesures produisant leurs effets jusqu’au prononcé de l’ordonnance mettant fin à la procédure de référé. Il y a donc lieu de constater, sans préjudice des décisions qui seront prises à cet égard, que, si la Cour devait maintenir, dans l’ordonnance à venir, les mesures provisoires adoptées dans l’attente de celle-ci, ledit État membre aurait lui-même tout intérêt à ce que la procédure au fond dans la présente affaire soit clôturée dans les meilleurs délais, afin qu’il soit mis fin auxdites mesures et que les questions soulevées par cette affaire soient définitivement tranchées. |
27 |
En tout état de cause, il convient de souligner que l’objet et les conditions de mise en œuvre d’une demande en référé et ceux de la procédure accélérée prévue à l’article 133 de ce règlement ne sont pas identiques (ordonnance du président de la Cour du 11 octobre 2017, Commission/Pologne, C‑441/17, non publiée, EU:C:2017:794, point 15). |
28 |
Or, en l’espèce, il apparaît, sans préjudice des décisions qui seront prises dans l’ordonnance mettant fin à la procédure de référé, que l’application de la procédure accélérée est justifiée par la nature de la présente affaire, pour les motifs énoncés aux points 19 à 25 de la présente ordonnance. |
29 |
En conséquence, il convient de soumettre l’affaire C‑619/18 à la procédure accélérée. |
Par ces motifs, le président de la Cour ordonne : |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure : le polonais.