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Document 62016CJ0367

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 23 janvier 2018.
Dawid Piotrowski.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le hof van beroep te Brussel.
Renvoi préjudiciel – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Procédures de remise entre États membres – Motifs de non-exécution obligatoire – Article 3, point 3 – Mineurs – Exigence de vérification de l’âge minimal pour être tenu pénalement responsable ou appréciation au cas par cas des conditions supplémentaires prévues par le droit de l’État membre d’exécution pour pouvoir concrètement poursuivre ou condamner un mineur.
Affaire C-367/16.

Recueil – Recueil général – Partie «Informations sur les décisions non publiées»

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2018:27

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

23 janvier 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération policière et judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Procédures de remise entre États membres – Motifs de non-exécution obligatoire – Article 3, point 3 – Mineurs – Exigence de vérification de l’âge minimal pour être tenu pénalement responsable ou appréciation au cas par cas des conditions supplémentaires prévues par le droit de l’État membre d’exécution pour pouvoir concrètement poursuivre ou condamner un mineur »

Dans l’affaire C‑367/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le hof van beroep te Brussel (cour d’appel de Bruxelles, Belgique), par décision du 23 juin 2016, parvenue à la Cour le 5 juillet 2016, dans la procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de

Dawid Piotrowski,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano (rapporteur), vice‑président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič, L. Bay Larsen, J. Malenovský, E. Levits, C. G. Fernlund et C. Vajda, présidents de chambre, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, Mme C. Toader, MM. S. Rodin, F. Biltgen et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : M. M.‑A. Gaudissart, greffier adjoint,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 13 juin 2017,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement belge, par Mmes C. Pochet, L. Van den Broeck, C. Van Lul et N. Cloosen, en qualité d’agents,

pour l’Irlande, par M. A. Joyce et Mme J. Quaney, en qualité d’agents, assistés de M. J. Fitzgerald, BL,

pour le gouvernement français, par MM. D. Colas et R. Coesme, en qualité d’agents,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. L. Ventrella, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna et Mme J. Sawicka, en qualité d’agents,

pour le gouvernement roumain, par Mmes R. Mangu, M. Chicu et E. Gane, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. R. Troosters et Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 septembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre de la procédure d’exécution, en Belgique, d’un mandat d’arrêt européen émis le 17 juillet 2014 par le Sąd Okręgowy w Białymstoku (tribunal régional de Bialystok, Pologne) à l’encontre de M. Dawid Piotrowski.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Les considérants 5 à 7 de la décision-cadre 2002/584 énoncent :

« (5)

L’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à supprimer l’extradition entre États membres et à la remplacer par un système de remise entre autorités judiciaires. Par ailleurs, l’instauration d’un nouveau système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées, aux fins d’exécution des jugements ou de poursuites, en matière pénale permet de supprimer la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d’extradition actuelles. Aux relations de coopération classiques qui ont prévalu jusqu’ici entre États membres, il convient de substituer un système de libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale, tant pré-sentencielles que définitives, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

(6)

Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire.

(7)

Comme l’objectif de remplacer le système d’extradition multilatéral fondé sur la convention européenne d’extradition du 13 décembre 1957 ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres agissant unilatéralement et peut donc, en raison de sa dimension et de ses effets, être mieux réalisé au niveau de l’Union, le Conseil peut adopter des mesures, conformément au principe de subsidiarité tel que visé à l’article 2 du traité sur l'Union européenne et à l’article 5 du traité instituant la Communauté européenne. Conformément au principe de proportionnalité, tel que prévu par ce dernier article, la présente décision-cadre n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. »

4

L’article 3 de ladite décision-cadre est libellé comme suit :

« L’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution (ci-après dénommée “autorité judiciaire d’exécution”) refuse l’exécution du mandat d’arrêt européen dans les cas suivants :

[...]

3)

si la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen ne peut, en raison de son âge, être tenue pénalement responsable des faits à l’origine de ce mandat selon le droit de l’État membre d’exécution. »

5

L’article 15 de la décision-cadre 2002/584 prévoit :

« 1.   L’autorité judiciaire d’exécution décide, dans les délais et aux conditions définis dans la présente décision-cadre, la remise de la personne.

2.   Si l’autorité judiciaire d’exécution estime que les informations communiquées par l’État membre d’émission sont insuffisantes pour lui permettre de décider la remise, elle demande la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires, en particulier en relation avec les articles 3 à 5 et 8, et peut fixer une date limite pour leur réception, en tenant compte de la nécessité de respecter les délais fixés à l’article 17.

3.   L’autorité judiciaire d’émission peut, à tout moment, transmettre toutes les informations additionnelles utiles à l’autorité judiciaire d’exécution. »

6

La directive (UE) 2016/800 du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2016, relative à la mise en place de garanties procédurales en faveur des enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 132, p. 1), énonce, à son considérant 8 :

« Lorsque des enfants sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale ou font l’objet d’une procédure relative au mandat d’arrêt européen en vertu de la décision-cadre 2002/584/JAI [...] (ci-après dénommés “personnes dont la remise est demandée”), les États membres devraient veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit toujours une considération primordiale, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après dénommée [la] “[C]harte”). »

7

L’article 1er de cette directive dispose :

« La présente directive établit des règles minimales communes concernant certains droits accordés aux enfants qui :

a)

sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales ; ou

b)

font l’objet d’une procédure relative au mandat d’arrêt européen en vertu de la décision-cadre 2002/584/JAI [...] »

8

Aux termes de l’article 3, point 1, de ladite directive, on entend par « enfant » toute personne âgée de moins de 18 ans.

9

L’article 17 de la directive 2016/800, intitulé « Procédures relatives au mandat d’arrêt européen », prévoit :

« Les États membres veillent à ce que les droits prévus aux articles 4, 5, 6, 8, 10 à 15 et 18 s’appliquent mutatis mutandis à l’égard d’enfants qui sont des personnes dont la remise est demandée, dès leur arrestation en vertu des procédures relatives au mandat d’arrêt européen dans l’État membre d’exécution. »

Le droit belge

10

L’article 4, 3°, de la wet betreffende het Europees aanhoudingsbevel (loi relative au mandat d’arrêt européen), du 19 décembre 2003 (Belgisch Staatsblad,22 décembre 2003, p. 60075, ci-après la « loi relative au mandat d’arrêt européen »), énonce que « [l]’exécution d’un mandat d’arrêt européen est refusée [...] si la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen ne peut encore être, en vertu du droit belge, tenue pénalement responsable des faits à l’origine du mandat d’arrêt européen en raison de son âge ».

11

L’article 36 de la wet betreffende de jeugdbescherming, het ten laste nemen van minderjarigen die een als misdrijf omschreven feit hebben gepleegd en het herstel van de door dit feit veroorzaakte schade (loi relative à la protection de la jeunesse, à la prise en charge des mineurs ayant commis un fait qualifié d’infraction et à la réparation du dommage causé par ce fait), du 8 avril 1965 (Belgisch Staatsblad,15 avril 1965, p. 4014), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative à la protection de la jeunesse »), est libellé comme suit :

« Le jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) connaît :

[...]

des réquisitions du ministère public à l’égard des personnes poursuivies du chef d’un fait qualifié d’infraction, commis avant l’âge de 18 ans accomplis.

[...] »

12

L’article 57bis de cette loi prévoit :

« § 1.   Si la personne déférée au jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) en raison d’un fait qualifié d’infraction était âgée de 16 ans ou plus au moment de ce fait et que le jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) estime inadéquate une mesure de garde, de préservation ou d’éducation, il peut, par décision motivée, se dessaisir et renvoyer l’affaire au ministère public aux fins de poursuite devant, soit, si la personne concernée est soupçonnée d’avoir commis un délit ou crime correctionnalisable, une chambre spécifique au sein du jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) qui applique le droit pénal commun et la procédure pénale commune, s’il y a lieu, soit, si la personne concernée est soupçonnée d’avoir commis un crime non correctionnalisable, une cour d’assises composée conformément aux dispositions de l’article 119, alinéa 2, du code judiciaire, s’il y a lieu. Le jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) ne peut toutefois se dessaisir que si en outre l’une des conditions suivantes est remplie :

la personne concernée a déjà fait l’objet d’une ou de plusieurs mesures visées à l’article 37, § 2, § 2bis ou § 2ter ou d’une offre restauratrice telle que visée aux articles 37bis à 37quinquies ;

il s’agit d’un fait visé aux articles 373, 375, 393 à 397, 400, 401, 417 ter, 417 quater, 471 à 475 du code pénal ou de la tentative de commettre un fait visé aux articles 393 à 397 du code pénal.

La motivation porte sur la personnalité de la personne concernée et de son entourage et sur le degré de maturité de la personne concernée.

La présente disposition peut être appliquée même lorsque l’intéressé a atteint l’âge de 18 ans au moment du jugement. Il est dans ce cas assimilé à un mineur pour l’application du présent chapitre.

§ 2.   Sans préjudice de l’article 36bis, le jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) ne peut se dessaisir d’une affaire en application du présent article qu’après avoir fait procéder à l’étude sociale et à l’examen médico-psychologique prévus à l’article 50, deuxième alinéa.

L’examen médico-psychologique a pour but d’évaluer la situation en fonction de la personnalité de la personne concernée et de son entourage, ainsi que du degré de maturité de la personne concernée. La nature, la fréquence et la gravité des faits qui lui sont reprochés, sont prises en considération dans la mesure où elles sont pertinentes pour l’évaluation de sa personnalité. Le Roi fixe les modalités selon lesquelles l’examen médico-psychologique doit avoir lieu.

Toutefois,

le jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) peut se dessaisir d’une affaire sans disposer du rapport de l’examen médico-psychologique, lorsqu’il constate que l’intéressé se soustrait à cet examen ou refuse de s’y soumettre ;

le jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) peut se dessaisir d’une affaire sans devoir faire procéder à une étude sociale et sans devoir demander un examen médico-psychologique, lorsqu’une mesure a déjà été prise par jugement à l’égard d’une personne de moins de 18 ans en raison d’un ou de plusieurs faits visés aux articles 323, 373 à 378, 392 à 394, 401 et 468 à 476 du code pénal, commis après l’âge de 16 ans, et que cette personne est à nouveau poursuivie pour un ou plusieurs de ces faits commis postérieurement à la première condamnation. Les pièces de la procédure antérieure sont jointes à celles de la nouvelle procédure ;

le jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) statue dans les mêmes conditions sur la demande de dessaisissement à l’égard d’une personne de moins de 18 ans qui a commis un fait qualifié de crime punissable d’une peine supérieure à la réclusion de 20 ans, commis après l’âge de 16 ans et qui n’est poursuivi qu’après qu’il a atteint l’âge de 18 ans.

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13

M. Piotrowski est un ressortissant polonais, né le 11 août 1993 à Lapy (Pologne).

14

Le 17 juillet 2014, le Sąd Okręgowy w Białymstoku (tribunal régional de Bialystok) a émis un mandat d’arrêt européen à l’encontre de M. Piotrowski, en vue de sa remise aux autorités polonaises aux fins de l’exécution des peines prononcées par deux jugements rendus par ce tribunal. Le premier jugement, rendu le 15 septembre 2011, a condamné l’intéressé à une peine privative de liberté, d’une durée de six mois, pour le vol d’une bicyclette. Le second jugement, prononcé le 10 septembre 2012, a condamné l’intéressé à une peine privative de liberté, d’une durée de deux ans et six mois, pour avoir donné de fausses informations relatives à un attentat grave.

15

Par ordonnance du 6 juin 2016, l’onderzoeksrechter van de Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg te Brussel (juge d’instruction du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique) a placé en détention M. Piotrowski, en vue de sa remise à l’État membre d’émission, la République de Pologne, aux fins de l’exécution du jugement du 10 septembre 2012.

16

Dans cette ordonnance, ce juge a, en revanche, estimé que, eu égard à l’article 4, 3°, de la loi relative au mandat d’arrêt européen, celui émis par le Sąd Okręgowy w Białymstoku (tribunal régional de Bialystok) ne pouvait pas être exécuté en tant qu’il concerne le jugement du 15 septembre 2011, dès lors que l’intéressé avait 17 ans lorsqu’il a commis l’infraction reprochée et que, en l’occurrence, les conditions prévues en Belgique pour poursuivre une personne mineure qui a atteint l’âge de 16 ans au moment des faits n’étaient pas remplies.

17

Le 7 juin 2016, le procureur des Konings (procureur du Roi, Belgique) a interjeté appel de ladite ordonnance, en tant qu’elle porte refus partiel d’exécution du mandat d’arrêt européen en cause, devant le hof van beroep te Brussel (cour d’appel de Bruxelles, Belgique).

18

À cet égard, le procureur des Konings (procureur du Roi) fait valoir que, en vertu de la loi relative à la protection de la jeunesse, si l’âge de la majorité pénale a été fixé à 18 ans, un mineur de plus de 16 ans peut néanmoins être tenu pénalement responsable lorsqu’il a commis des infractions routières, ou si le jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) se dessaisit à son égard dans les cas visés et selon les conditions prévues par cette loi. Dans ce contexte, aux fins de l’application du motif de refus énoncé à l’article 4, 3°, de la loi relative au mandat d’arrêt européen, il serait suffisant de procéder à une appréciation in abstracto du critère de l’âge à partir duquel le mineur concerné peut être tenu pénalement responsable. Il ne serait donc pas nécessaire d’effectuer une appréciation in concreto des conditions supplémentaires devant être remplies, conformément au droit belge, pour engager d’éventuelles poursuites pénales à l’encontre d’un tel mineur.

19

À la suite de cet appel, le dossier relatif à l’exécution du mandat d’arrêt européen en question a été scindé en deux parties.

20

Le 21 juin 2016, analysant la partie de ce mandat d’arrêt relative au jugement du 10 septembre 2012, le raadkamer van de Nederlandstalige rechtbank van eerste aanleg te Brussel (chambre du conseil du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles, Belgique) a réservé une suite favorable à la remise de M. Piotrowski à la République de Pologne, aux fins de l’exécution de ce jugement.

21

En revanche, dans le cadre de la procédure d’appel concernant l’exécution du jugement du 15 septembre 2011, le hof van beroep te Brussel (cour d’appel de Bruxelles) constate, à l’instar du procureur des Konings (procureur du Roi), que, en droit belge, au-delà des cas de commission des infractions routières, la responsabilité pénale d’un mineur de plus de 16 ans ne peut être engagée que si le jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) se dessaisit à son égard et renvoie l’affaire au ministère public aux fins de poursuites soit devant une chambre spécifique au sein de ce tribunal, soit devant une cour d’assises, selon l’infraction commise.

22

En vertu de l’article 57bis, paragraphe 1, de la loi relative à la protection de la jeunesse, le jeugdrechtbank (tribunal de la jeunesse) ne peut, toutefois, se dessaisir que si l’une des conditions suivantes est remplie, à savoir si la personne concernée a déjà fait l’objet d’une ou de plusieurs mesures de garde, de préservation ou d’éducation, ou d’une offre restauratrice de médiation et de concertation, ou encore s’il s’agit de la commission ou de la tentative de commettre l’un des faits graves visés par les articles du code pénal expressément indiqués. En outre, cette même disposition prévoit que la motivation de la décision de dessaisissement prise par ce tribunal porte sur la personnalité de la personne concernée et de son entourage, ainsi que sur le degré de maturité de cette personne. Conformément à l’article 57bis, paragraphe 2, de cette loi, ledit tribunal ne peut, en principe, se dessaisir qu’après avoir fait procéder à une étude sociale et à un examen médico-psychologique de ladite personne.

23

Dans ce contexte législatif, le hof van beroep te Brussel (cour d’appel de Bruxelles) relève que la jurisprudence du Hof van Cassatie (Cour de cassation, Belgique) n’est pas univoque quant à l’interprétation de l’article 4, 3°, de la loi relative au mandat d’arrêt européen.

24

En effet, s’agissant de l’application du motif de refus énoncé par cette disposition, par un arrêt du 6 février 2013, la deuxième chambre, section francophone, du Hof van Cassatie (Cour de cassation) a jugé, en substance, que, dans la mesure où la procédure de dessaisissement n’est pas applicable à une personne poursuivie par les autorités d’un État membre autre que le Royaume de Belgique, la remise d’une personne mineure en exécution d’un mandat d’arrêt européen nécessite une appréciation in concreto des conditions nécessaires pour poursuivre ou condamner cette personne en Belgique, en tant qu’État membre d’exécution. En revanche, par un arrêt du 11 juin 2013, le Hof van Cassatie (Cour de cassation), statuant en assemblée plénière, a estimé, en substance, que le principe de reconnaissance mutuelle implique que le juge de l’État membre d’exécution ne puisse pas subordonner à une décision de dessaisissement spécifique la remise d’une personne mineure visée par un mandat d’arrêt européen, ce juge devant se limiter, aux fins d’une telle remise éventuelle, à effectuer une simple appréciation in abstracto du critère de l’âge de la responsabilité pénale de cette personne mineure.

25

Eu égard à cette incertitude jurisprudentielle et au fait que le motif de refus visé à l’article 4, 3°, de la loi relative au mandat d’arrêt européen constitue la transposition du motif de non-exécution obligatoire prévu à l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584, le hof van beroep te Brussel (cour d’appel de Bruxelles) a estimé nécessaire de demander à la Cour des précisions quant à la portée de cette disposition du droit de l’Union, afin d’assurer une interprétation du droit belge conforme au texte et à la finalité de celle-ci.

26

Dans ces conditions, le hof van beroep te Brussel (cour d’appel de Bruxelles) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Faut-il interpréter l’article 3, point 3, de la décision-cadre [2002/584] en ce sens que seule peut être autorisée la remise de personnes considérées comme majeures en droit de l’État membre d’exécution ou bien la disposition précitée permet-elle également à l’État membre d’exécution d’autoriser la remise de mineurs qui, sur le fondement des règles nationales, peuvent être tenus pénalement responsables à partir d’un âge déterminé (le cas échéant moyennant le respect d’un certain nombre de conditions) ?

2)

Dans l’hypothèse où l’article 3, point 3, de la décision-cadre [2002/584] n’interdirait pas la remise de mineurs, faut-il alors interpréter cette disposition :

a)

en ce sens que l’existence, en droit national, d’une possibilité (théorique) de sanctionner pénalement les mineurs à partir d’un âge déterminé est un critère suffisant pour autoriser la remise (en d’autres termes, qu’il suffit d’une appréciation in abstracto sur le fondement du critère de l’âge à partir duquel une personne peut être tenue pénalement responsable, sans devoir tenir compte d’éventuelles conditions supplémentaires) ? Ou

b)

en ce sens que ni le principe de la reconnaissance mutuelle consacré à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre [2002/584], ni l’article 3, point 3, de cette décision-cadre ne s’opposent à ce que l’État membre d’exécution procède à une appréciation in concreto au cas par cas, permettant d’exiger, s’agissant de la personne recherchée dans le cadre de la remise, le respect des mêmes conditions de responsabilité pénale que celles applicables aux nationaux de l’État membre d’exécution, en tenant compte de leur âge au moment des faits et de la nature de l’infraction reprochée, voire d’interventions judiciaires antérieures dans l’État membre d’émission ayant abouti à une mesure de nature éducative, quand bien même ces conditions n’existeraient pas dans l’État membre d’émission ?

3)

Si l’État membre d’exécution peut procéder à une appréciation in concreto, ne convient-il pas alors, pour éviter l’impunité, d’opérer une distinction entre une remise pour l’exercice de poursuites pénales et une remise à des fins d’exécution d’une peine ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

27

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution doit refuser la remise de toute personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen qui est considérée comme mineure en vertu du droit de l’État membre d’exécution, ou uniquement celle des personnes mineures qui, selon ce droit, n’ont pas l’âge requis pour être tenues pénalement responsables des faits à l’origine d’un mandat émis à l’encontre de celles-ci.

28

À cet égard, il convient de rappeler que l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584 oblige l’autorité judiciaire d’exécution à refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen si la personne qui fait l’objet de celui-ci ne peut, en raison de son âge, être tenue « pénalement responsable des faits à l’origine de ce mandat selon le droit de l’État membre d’exécution ».

29

Il ressort ainsi des termes de l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584 que le motif de non-exécution prévu par cette disposition ne vise pas les personnes mineures en général, mais se réfère uniquement à celles qui n’ont pas atteint l’âge requis, en vertu du droit de l’État membre d’exécution, pour être tenues pénalement responsables des faits à l’origine d’un mandat émis à l’encontre de celles-ci.

30

Le législateur de l’Union a donc entendu exclure de la remise non pas l’ensemble des personnes mineures, mais les seules personnes qui, en raison de leur âge, ne peuvent faire l’objet d’aucune poursuite ou condamnation pénale dans l’État membre d’exécution pour les faits concernés, laissant à ce même État membre, en l’absence d’harmonisation en la matière, la compétence pour déterminer l’âge minimal à partir duquel une personne remplit les conditions pour être tenue pénalement responsable de tels faits.

31

Il s’ensuit que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 32 de ses conclusions, l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété, eu égard à son libellé, en ce sens qu’il ne permet pas, en principe, aux autorités judiciaires d’exécution de refuser la remise des personnes mineures, visées par un mandat d’arrêt européen, qui ont atteint l’âge minimal à partir duquel elles peuvent être considérées comme pénalement responsables, en vertu du droit de l’État membre d’exécution, des faits à l’origine d’un mandat émis à l’encontre de celles-ci.

32

Ainsi que l’a également relevé M. l’avocat général au point 29 de ses conclusions, les travaux préparatoires de cette disposition tendent à soutenir une telle interprétation.

33

En effet, à la suite de la proposition de la Commission de décision-cadre du Conseil relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres [COM(2001) 522 final] (JO 2001, C 332E, p. 305), le Parlement européen, dans son rapport du 14 novembre 2001 contenant le projet de résolution législative indiquant les amendements à cette proposition (A 5-0397/2001), a suggéré d’introduire à l’article 30 bis un motif de refus facultatif d’exécuter un mandat d’arrêt européen à l’égard d’une personne qui est considérée n’avoir pas atteint « l’âge de la responsabilité pénale » en vertu du droit de l’État membre d’exécution.

34

Il apparaît ainsi que, moyennant un tel amendement, sur le fondement duquel a été finalement inséré dans la décision-cadre 2002/584 le motif de non-exécution obligatoire prévu à l’article 3, point 3, de celle-ci, le Parlement entendait introduire une exception spécifique à la mise en œuvre du système du mandat d’arrêt européen visant à permettre d’exclure de la remise non pas, en général, toutes les personnes mineures, mais seulement les personnes qui, en raison de leur âge, ne peuvent être soumises à aucune procédure ni à aucune condamnation pénale, en vertu du droit de l’État membre d’exécution, pour les faits à l’origine d’un mandat émis à l’encontre de celles-ci.

35

L’interprétation de l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584 figurant au point 31 du présent arrêt est, enfin, également corroborée par le contexte normatif dans lequel s’inscrit à présent cette décision-cadre.

36

En effet, il importe de constater à cet égard que, afin notamment de promouvoir le respect des droits fondamentaux des mineurs garantis par la Charte et par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, la directive 2016/800 établit, ainsi qu’il résulte de son article 1er, sous b), des règles minimales communes relatives notamment à la protection des droits procéduraux des enfants, à savoir des personnes âgées de moins de 18 ans, qui font l’objet d’une procédure relative au mandat d’arrêt européen en vertu de la décision-cadre 2002/584. En particulier, l’article 17 de cette directive dispose que plusieurs droits reconnus aux enfants qui sont des suspects ou des personnes poursuivies dans le cadre des procédures pénales nationales doivent s’appliquer, mutatis mutandis, à l’égard des enfants visés par un tel mandat d’arrêt, dès leur arrestation dans l’État membre d’exécution.

37

Ces dispositions de la directive 2016/800 confirment que le droit de l’Union et, en particulier, la décision-cadre 2002/584 n’interdisent pas, en principe, aux autorités judiciaires d’exécution de procéder à la remise de mineurs ayant atteint l’âge de la responsabilité pénale dans l’État membre d’exécution. Cette directive oblige néanmoins de telles autorités à assurer à ceux-ci, lors de la mise en œuvre de cette décision-cadre, le respect de certains droits procéduraux spécifiques garantis dans le cadre des procédures pénales nationales, afin de veiller, ainsi que l’énonce le considérant 8 de ladite directive, à ce que l’intérêt supérieur des enfants faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen soit toujours une considération primordiale, conformément à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte.

38

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution doit uniquement refuser la remise des personnes mineures faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen qui, selon le droit de l’État membre d’exécution, n’ont pas l’âge requis pour être tenues pénalement responsables des faits à l’origine d’un mandat émis à l’encontre de celles-ci.

Sur la deuxième question

39

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que, pour décider de la remise d’une personne mineure faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution doit seulement vérifier si la personne concernée a atteint l’âge minimal pour être tenue pénalement responsable, dans l’État membre d’exécution, des faits à l’origine d’un tel mandat, ou en ce sens que cette autorité peut également apprécier si les conditions supplémentaires relatives à une évaluation personnalisée, auxquelles le droit de cet État membre subordonne concrètement la poursuite ou la condamnation d’une personne mineure, sont réunies en l’espèce.

40

À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (voir, notamment, arrêts du 11 janvier 2017, Grundza, C‑289/15, EU:C:2017:4, point 32, et du 25 janvier 2017, Vilkas, C‑640/15, EU:C:2017:39, point 30).

41

S’agissant du libellé de l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584, il y a lieu de relever que celui-ci est formulé en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution doit refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen si la personne visée « ne peut, en raison de son âge, être tenue pénalement responsable », selon le droit de l’État membre d’exécution, « des faits à l’origine de ce mandat ».

42

Il ressort ainsi des termes de cette disposition que, pour refuser la remise d’une personne mineure visée par un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution doit uniquement s’assurer que cette personne n’a pas atteint l’âge minimal permettant d’être pénalement poursuivie ou condamnée en vertu du droit de l’État membre d’exécution, pour les mêmes faits que ceux qui sont à la base du mandat d’arrêt européen.

43

L’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584 ne prévoit donc pas la possibilité que l’autorité judiciaire d’exécution prenne également en compte, aux fins de décider de la remise de la personne concernée, les conditions supplémentaires relatives à une évaluation personnalisée, auxquelles le droit de son État membre subordonne concrètement la poursuite ou la condamnation éventuelle d’une personne mineure, telles que celles visées en l’occurrence à l’article 57bis, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à la protection de la jeunesse. Il appartient à l’autorité judiciaire d’émission d’appliquer les règles spécifiques relatives à la répression pénale des faits commis par des mineurs dans son État membre.

44

Dans ces conditions, en l’absence de toute référence explicite en ce sens, le libellé de l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584 ne permet pas de soutenir une interprétation selon laquelle l’autorité judiciaire d’exécution devrait refuser la remise d’une personne mineure visée par un mandat d’arrêt européen sur le fondement d’une appréciation de la situation particulière de cette personne et des faits à l’origine du mandat émis à l’encontre de celle-ci, à la lumière des conditions supplémentaires relatives à une évaluation personnalisée, auxquelles est subordonnée concrètement la responsabilité pénale d’une personne mineure, pour de tels faits, dans l’État membre d’exécution.

45

Cette conclusion est confortée, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 55 de ses conclusions, par le contexte et l’économie générale dans lesquels s’inscrit cette disposition, ainsi que par les objectifs poursuivis par la décision-cadre 2002/584.

46

S’agissant du contexte et de l’économie générale de l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584, il importe de rappeler que, ainsi que cela ressort en particulier de son article 1er, paragraphes 1 et 2, de même que de ses considérants 5 et 7, cette décision-cadre a pour objet de remplacer le système d’extradition multilatéral fondé sur la convention européenne d’extradition, du 13 décembre 1957, par un système de remise entre autorités judiciaires des personnes condamnées ou soupçonnées aux fins de l’exécution de jugements ou de poursuites, ce dernier système étant fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle (arrêts du 16 novembre 2010, Mantello, C‑261/09, EU:C:2010:683, point 35 ; du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 75, ainsi que du 10 novembre 2016, Kovalkovas, C‑477/16 PPU, EU:C:2016:861, point 25).

47

Ainsi, dans le domaine régi par la décision-cadre 2002/584, le principe de reconnaissance mutuelle, qui constitue, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 6 de celle-ci, la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, trouve son application à l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision-cadre, conformément auquel les États membres sont en principe tenus de donner suite à un mandat d’arrêt européen (arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 79 ainsi que jurisprudence citée).

48

Il s’ensuit que les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent, en principe, refuser d’exécuter un tel mandat que dans les cas de non-exécution obligatoire, prévus à l’article 3 de la décision-cadre 2002/584, ou ceux de non-exécution facultative, prévus aux articles 4 et 4 bis de cette décision-cadre. Par conséquent, alors que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe, le refus d’exécution d’un tel mandat est conçu comme une exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte (voir, en ce sens, arrêts du 29 juin 2017, Popławski, C‑579/15, EU:C:2017:503, point 19, ainsi que du 10 août 2017, Tupikas, C‑270/17 PPU, EU:C:2017:628, points 50 et 51).

49

Certes, la Cour a déjà admis que des limitations aux principes de reconnaissance mutuelle et de confiance mutuelle entre États membres puissent être apportées dans des circonstances exceptionnelles. En outre, ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, cette dernière ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux tels qu’ils sont consacrés, notamment, par la Charte (voir, en ce sens, arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, points 82 et 83), et, en l’occurrence, plus particulièrement par l’article 24 de celle-ci, relatif aux droits de l’enfant, dont le respect s’impose aux États membres lors de la mise en œuvre de cette décision‑cadre.

50

Toutefois, s’agissant d’une procédure relative à un mandat d’arrêt européen, la garantie de ces droits relève au premier chef de la responsabilité de l’État membre d’émission, dont il y a lieu de présumer qu’il respecte le droit de l’Union et, en particulier, les droits fondamentaux reconnus par ce dernier [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 191 et jurisprudence citée].

51

Cela étant précisé, il convient de relever, d’une part, que, en tant qu’exception à la règle de principe de l’exécution du mandat d’arrêt européen, le motif de non-exécution obligatoire visé à l’article 3, point 3, de la décision‑cadre 2002/584 ne saurait faire l’objet d’une interprétation permettant à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser de donner suite à un tel mandat sur le fondement d’une analyse non expressément prévue par cette disposition ni par d’autres règles de cette décision-cadre, telle que celle qui consisterait à apprécier si les conditions supplémentaires relatives à une évaluation personnalisée, auxquelles le droit de l’État membre d’exécution subordonne concrètement la poursuite ou la condamnation éventuelle d’une personne mineure, sont satisfaites en l’espèce.

52

D’autre part, il importe de constater qu’une telle appréciation est susceptible de porter sur des éléments qui, comme dans l’affaire au principal, revêtent une nature subjective, tels que la personnalité, l’entourage et le degré de maturité de la personne mineure concernée, ou une nature objective, tels que la récidive et l’existence de mesures de protection de la jeunesse déjà prises, ce qui aboutirait, en réalité, à effectuer un véritable réexamen au fond de l’analyse déjà accomplie dans le cadre de la décision judiciaire adoptée dans l’État membre d’émission, qui est à la base du mandat d’arrêt européen. Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 56 de ses conclusions, un tel réexamen enfreindrait et priverait de tout effet utile le principe de reconnaissance mutuelle, lequel implique qu’il existe une confiance réciproque quant au fait que chacun des États membres accepte l’application du droit pénal en vigueur dans les autres États membres, quand bien même la mise en œuvre de son propre droit national conduirait à une solution différente, et ne permet donc pas à l’autorité judiciaire d’exécution de substituer sa propre appréciation sur la responsabilité pénale de la personne mineure visée par un mandat d’arrêt européen à celle qui a été déjà effectuée, dans l’État membre d’émission, dans le cadre de la décision judiciaire sur laquelle se fonde ce mandat.

53

Une telle possibilité serait, d’ailleurs, également incompatible avec l’objectif de faciliter et d’accélérer la coopération judiciaire poursuivi par la décision-cadre 2002/584 (voir, en ce sens, arrêts du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru, C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 76, ainsi que du 25 janvier 2017, Vilkas, C‑640/15, EU:C:2017:39, point 31).

54

En effet, il est constant que cette décision-cadre a établi un système de remise entre autorités judiciaires simplifié et plus efficace des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale (voir, en ce sens, arrêts du 28 juin 2012, West, C‑192/12 PPU, EU:C:2012:404, point 53, et du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 40), qui permet de supprimer, ainsi qu’il ressort du considérant 5 de ladite décision-cadre, la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d’extradition existantes avant l’adoption de celle-ci (arrêt du 30 mai 2013, F, C‑168/13 PPU, EU:C:2013:358, point 57).

55

Un tel objectif sous-tend notamment le traitement des délais d’adoption des décisions relatives au mandat d’arrêt européen (arrêt du 30 mai 2013, F, C‑168/13 PPU, EU:C:2013:358, point 58), que les États membres sont tenus de respecter (arrêt du 25 janvier 2017, Vilkas, C‑640/15, EU:C:2017:39, point 32 et jurisprudence citée) et dont l’importance est exprimée dans plusieurs dispositions de la décision-cadre 2002/584 (arrêt du 16 juillet 2015, Lanigan, C‑237/15 PPU, EU:C:2015:474, point 29 et jurisprudence citée).

56

S’agissant, en particulier, de l’adoption de la décision sur l’exécution du mandat d’arrêt européen, l’article 17, paragraphe 1, de la décision-cadre 2002/584 prévoit que ce dernier est à traiter et à exécuter d’urgence. Les paragraphes 2 et 3 de cet article fixent des délais précis de, respectivement, 10 ou 60 jours pour prendre la décision définitive sur l’exécution dudit mandat, selon que la personne recherchée consent ou non à sa remise. Ce n’est que dans des cas spécifiques, lorsque le mandat d’arrêt européen ne peut être exécuté dans ces délais, que le paragraphe 4 dudit article permet de les prolonger de 30 jours supplémentaires, en obligeant l’autorité judiciaire d’exécution à informer immédiatement l’autorité judiciaire d’émission en indiquant les raisons de ce retard. En dehors de tels cas spécifiques, seules des circonstances exceptionnelles sont susceptibles de permettre à un État membre, conformément au paragraphe 7 du même article, de ne pas respecter lesdits délais, cet État membre devant également informer Eurojust en précisant les raisons du retard.

57

Afin de simplifier et d’accélérer la procédure de remise dans le respect des délais prévus à l’article 17 de la décision-cadre 2002/584, celle-ci prévoit, en annexe, un formulaire spécifique que les autorités judiciaires d’émission doivent remplir en indiquant les informations spécifiquement requises.

58

Selon l’article 8 de la décision-cadre 2002/584, ces informations concernent notamment l’identité et la nationalité de la personne recherchée, l’indication de l’existence d’un jugement exécutoire, d’un mandat d’arrêt ou de toute autre décision judiciaire exécutoire ayant la même force entrant dans le champ d’application des articles 1er et 2 de cette décision-cadre, la nature et la qualification légale de l’infraction, la description des circonstances de la commission de l’infraction, y compris le moment, le lieu et le degré de participation de la personne recherchée à l’infraction, la peine déjà prononcée ou l’échelle de peines prévue pour l’infraction dans l’État membre d’émission ainsi que, dans la mesure du possible, les autres conséquences de l’infraction.

59

Il apparaît ainsi que lesdites informations visent à fournir les renseignements formels minimaux, nécessaires pour permettre aux autorités judiciaires d’exécution de donner rapidement suite au mandat d’arrêt européen, en adoptant d’urgence leur décision sur la remise. Le formulaire prévu à l’annexe de la décision-cadre 2002/584 ne contient aucune information spécifique permettant aux autorités judiciaires d’exécution d’apprécier, le cas échéant, la situation particulière de la personne mineure concernée à la lumière des conditions subjectives ou objectives, telles que celles visées à l’article 57 bis, paragraphes 1 et 2, de la loi relative à la protection de la jeunesse, auxquelles est subordonnée concrètement la possibilité de poursuivre ou de condamner une personne mineure en vertu du droit pénal de leur État membre.

60

Il est vrai, comme le font valoir les gouvernements italien et roumain dans leurs observations écrites, que, si les autorités judiciaires d’exécution estiment que les informations communiquées par l’État membre d’émission sont insuffisantes pour leur permettre d’adopter une décision concernant la remise, elles ont la faculté, prévue à l’article 15, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, de demander la fourniture d’urgence des informations complémentaires nécessaires, afin d’obtenir d’autres éléments de preuve produits devant l’autorité judiciaire d’émission.

61

Toutefois, il convient de constater que cette possibilité demeure une solution de dernier ressort, pour les seuls cas exceptionnels dans lesquels l’autorité judiciaire d’exécution estime ne pas disposer de tous les éléments formels nécessaires aux fins d’adopter d’urgence sa décision sur la remise. Dans ces conditions, la pratique d’un État membre consistant à apprécier la situation particulière d’une personne mineure visée par un mandat d’arrêt européen émis par une autorité d’un autre État membre pourrait contraindre l’autorité judiciaire d’exécution à demander systématiquement des renseignements supplémentaires à l’autorité judiciaire d’émission, afin de pouvoir s’assurer de la réunion des conditions supplémentaires relatives à une évaluation personnalisée permettant concrètement de poursuivre ou de condamner une personne mineure dans l’État membre d’exécution, ce qui aboutirait à priver de tout effet utile l’objectif de simplifier et d’assurer la célérité de la remise.

62

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la deuxième question que l’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que, pour décider de la remise d’une personne mineure faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire d’exécution doit seulement vérifier si la personne concernée a atteint l’âge minimal pour être tenue pénalement responsable, dans l’État membre d’exécution, des faits à l’origine d’un tel mandat, sans devoir tenir compte d’éventuelles conditions supplémentaires relatives à une évaluation personnalisée, auxquelles le droit de cet État membre subordonne concrètement la poursuite ou la condamnation d’une personne mineure pour de tels faits.

Sur la troisième question

63

Compte tenu de la réponse apportée à la deuxième question, il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.

Sur les dépens

64

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doit être interprété en ce sens que l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution doit uniquement refuser la remise des personnes mineures faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen qui, selon le droit de l’État membre d’exécution, n’ont pas l’âge requis pour être tenues pénalement responsables des faits à l’origine d’un mandat émis à l’encontre de celles-ci.

 

2)

L’article 3, point 3, de la décision-cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doit être interprété en ce sens que, pour décider de la remise d’une personne mineure faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution doit seulement vérifier si la personne concernée a atteint l’âge minimal pour être tenue pénalement responsable, dans l’État membre d’exécution, des faits à l’origine d’un tel mandat, sans devoir tenir compte d’éventuelles conditions supplémentaires relatives à une évaluation personnalisée, auxquelles le droit de cet État membre subordonne concrètement la poursuite ou la condamnation d’une personne mineure pour de tels faits.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le néerlandais.

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