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Document 62017CJ0008

Arrêt de la Cour (septième chambre) du 12 avril 2018.
Biosafe - Indústria de Reciclagens SA contre Flexipiso - Pavimentos SA.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Supremo Tribunal de Justiça.
Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 63, 167, 168, 178 à 180, 182 et 219 – Principe de neutralité fiscale – Droit à déduction de la TVA – Délai prévu par la législation nationale pour exercer ce droit – Déduction d’un complément de TVA payé à l’État et ayant fait l’objet de documents rectifiant les factures initiales à la suite d’un redressement fiscal – Date à laquelle le délai commence à courir.
Affaire C-8/17.

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2018:249

ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

12 avril 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Articles 63, 167, 168, 178 à 180, 182 et 219 – Principe de neutralité fiscale – Droit à déduction de la TVA – Délai prévu par la législation nationale pour exercer ce droit – Déduction d’un complément de TVA payé à l’État et ayant fait l’objet de documents rectifiant les factures initiales à la suite d’un redressement fiscal – Date à laquelle le délai commence à courir »

Dans l’affaire C‑8/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Supremo Tribunal de Justiça (Cour suprême, Portugal), par décision du 2 janvier 2017, parvenue à la Cour le 9 janvier 2017, dans la procédure

Biosafe – Indústria de Reciclagens SA

contre

Flexipiso – Pavimentos SA,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, Mme C. Toader et M. E. Jarašiūnas (rapporteur), juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Biosafe – Indústria de Reciclagens SA, par Mes M. Torres et A. G. Schwalbach, advogados,

pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes, M. Figueiredo et R. Campos Laires, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mmes L. Lozano Palacios et M. Afonso, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 30 novembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 63, 167, 168, 178 à 180, 182 et 219 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), ainsi que du principe de neutralité fiscale.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Biosafe – Indústria de Reciclagens SA (ci-après « Biosafe ») à Flexipiso – Pavimentos SA (ci-après « Flexipiso ») au sujet du refus de cette dernière de rembourser à Biosafe un complément de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) dont celle-ci s’est acquittée à la suite d’un redressement fiscal.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 63 de la directive TVA prévoit :

« Le fait générateur de la taxe intervient et la taxe devient exigible au moment où la livraison de biens ou la prestation de services est effectuée. »

4

Le titre X de cette directive, relatif aux déductions, comprend un chapitre 1, intitulé « Naissance et étendue du droit à déduction », qui est composé des articles 167 à 172 de celle-ci. Cet article 167 dispose :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »

5

L’article 168 de ladite directive énonce :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a)

la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[...] »

6

Le chapitre 4 de ce titre X, intitulé « Modalités d’exercice du droit à déduction », comporte les articles 178 à 183 de la directive TVA. Aux termes de l’article 178 de cette dernière :

« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :

a)

pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238, 239 et 240 ;

[...] »

7

L’article 179 de cette directive prévoit :

« La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période.

[...] »

8

L’article 180 de ladite directive dispose :

« Les États membres peuvent autoriser un assujetti à procéder à une déduction qui n’a pas été effectuée conformément aux articles 178 et 179. »

9

Aux termes de l’article 182 de cette même directive, « [l]es États membres déterminent les conditions et modalités d’application des articles 180 et 181 ».

10

L’article 219 de la directive TVA est libellé ainsi :

« Est assimilé à une facture tout document ou message qui modifie la facture initiale et y fait référence de façon spécifique et non équivoque. »

Le droit portugais

11

Le Código do Imposto sobre o Valor Acrescentado (code de la taxe sur la valeur ajoutée), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « CIVA »), dispose, à son article 7, intitulé « Fait générateur et exigibilité de la taxe » :

« 1.   Sous réserve des dispositions des paragraphes suivants, la taxe est due et devient exigible :

a)

en cas de livraisons de biens, au moment où les biens sont placés à la disposition de l’acquéreur.

[...] »

12

L’article 8 de ce code est libellé ainsi :

« 1.   Sous réserve des dispositions de l’article précédent, lorsque la livraison de biens ou la prestation de services entraîne l’émission d’une facture ou d’un document équivalent, aux termes de l’article 29, la taxe devient exigible :

a)

si le délai d’émission de la facture ou du document équivalent est respecté, au moment de son émission.

[...] »

13

L’article 19 du CIVA, intitulé « Droit à déduction », prévoit, à son paragraphe 2 :

« Le droit à déduction de la taxe a lieu uniquement lorsque la taxe figure sur les documents suivants, établis au nom de l’assujetti et qui sont en sa possession :

a)

les factures et documents équivalents émis sous forme légale.

[...] »

14

Aux termes de l’article 22, paragraphe 1, du CIVA :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible, en vertu des articles 7 et 8, et est effectué par soustraction, sur le montant total de la taxe due en vertu des opérations imposables de l’assujetti, au cours d’une période de déclaration, du montant de la taxe déductible, exigible pendant cette même période. »

15

L’article 29, paragraphe 7, du CIVA dispose :

« La facture ou un document équivalent doivent être également émis lorsque la valeur imposable d’une opération ou la taxe y afférente sont modifiées pour toute cause, y compris l’inexactitude. »

16

L’article 36, paragraphe 1, du CIVA prévoit que la facture ou un document équivalent mentionnés à l’article 29 de ce code doivent être émis au plus tard le cinquième jour ouvrable qui suit la date à laquelle la taxe devient exigible aux termes de l’article 7 de celui-ci. Cependant, en cas de paiement concernant une livraison de biens ou une prestation de services qui n’a pas encore été effectuée, la date d’émission d’une pièce justificative coïncidera toujours avec la perception dudit montant.

17

Aux termes de l’article 37, paragraphe 1, du CIVA :

« Le montant de la taxe acquittée doit être ajouté à la valeur de la facture ou d’un document équivalent, pour être réclamé aux acquéreurs des biens ou aux utilisateurs des services. »

18

L’article 79, paragraphe 1, du CIVA dispose :

« L’acquéreur des biens ou des services imposables qui est un assujetti parmi ceux mentionnés à l’article 2, paragraphe 1, sous a), agissant en cette qualité, et non exonéré, est solidairement responsable avec le fournisseur pour le paiement de la taxe, lorsque la facture ou un document équivalent, dont l’émission est obligatoire en vertu de l’article 29, n’a pas été émise, contient une indication inexacte concernant le nom ou l’adresse des intervenants, la nature ou la quantité des biens livrés ou des services fournis, le prix ou le montant de la taxe due. »

19

Aux termes de l’article 98, paragraphe 2, du CIVA :

« Sans préjudice de dispositions particulières, le droit à déduction ou au remboursement de la taxe acquittée en excès ne peut être exercé qu’au cours des 4 années après la naissance du droit à déduction ou du paiement en excès de la taxe, respectivement. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

20

Au cours de la période comprise entre le mois de février 2008 et le mois de mai 2010, Biosafe a vendu à Flexipiso, assujettie à la TVA, du granulat de caoutchouc fabriqué à partir de pneus recyclés, pour un montant total de 664538,77 euros, en appliquant un taux réduit de TVA de 5 %.

21

À l’issue d’un contrôle fiscal effectué au cours de l’année 2011 et portant sur les exercices 2008 à 2010, l’administration fiscale portugaise a considéré que le taux normal de TVA de 21 % aurait dû être appliqué et a procédé à des redressements de TVA s’élevant à la somme totale de 100906,50 euros.

22

Biosafe s’est acquittée de cette somme et en a demandé le remboursement à Flexipiso en adressant à celle-ci des notes de débit. Flexipiso a refusé de payer ce complément de TVA au motif, notamment, qu’elle ne pouvait pas procéder à sa déduction, le délai de quatre ans prévu à l’article 98, paragraphe 2, du CIVA ayant expiré pour les opérations effectuées jusqu’au 24 octobre 2008 avant la réception des notes de débit intervenue le 24 octobre 2012, et qu’il ne lui appartenait pas de supporter les conséquences d’une erreur dont Biosafe était la seule responsable.

23

À la suite de ce refus, Biosafe a introduit un recours aux fins d’obtenir la condamnation de Flexipiso au remboursement de la somme dont elle s’est acquittée, majorée des intérêts de retard. Ce recours a été rejeté par les juridictions de première instance et d’appel qui ont considéré que, bien qu’il existe une obligation de répercussion de la TVA, l’acquéreur de biens ne saurait se voir imposer le paiement de cette taxe que si les factures ou les documents équivalents ont été émis à temps pour lui permettre de procéder à la déduction de celle-ci. Elles ont estimé que, en ce qui concerne les notes de débit reçues par Flexipiso plus de quatre ans après l’émission des factures initiales, Biosafe ne pouvait répercuter la TVA afférente à celles-là sur Flexipiso dans la mesure où cette dernière n’avait plus le droit de procéder à la déduction de la TVA et où il était certain que l’erreur concernant le taux applicable était imputable à Biosafe.

24

Biosafe s’est alors pourvue en cassation devant la juridiction de renvoi, le Supremo Tribunal de Justiça (Cour suprême, Portugal). Ce dernier indique qu’il existe un doute quant à la question de savoir si les articles 63, 167, 168, 178 à 180 et 182 de la directive TVA ainsi que le principe de neutralité fiscale s’opposent à une législation nationale dont il résulte que, dans des circonstances telles que celles au principal, le délai au cours duquel l’acquéreur peut procéder à la déduction du complément de TVA commence à courir à compter de la date d’émission des factures initiales et non à partir de l’émission ou de la réception des documents rectificatifs. Il existe également un doute, selon lui, sur le point de savoir si l’acquéreur, dans de telles circonstances, peut refuser le paiement du complément de TVA en raison de l’impossibilité de procéder à sa déduction.

25

C’est dans ces circonstances que le Supremo Tribunal de Justiça (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La directive [TVA] et, en particulier, ses articles 63, 167, 168, 178 à 180, 182 et 219 ainsi que le principe de neutralité fiscale s’opposent-ils à une législation nationale dont il résulte que, lorsque le fournisseur des biens, assujetti à la TVA, a été soumis à un contrôle fiscal ayant pour conséquence que le taux de TVA effectivement appliqué à une transaction était inférieur à celui qui aurait dû être appliqué, qu’il a payé à l’État le complément de taxe et que, par la suite, il souhaite obtenir son paiement par l’acquéreur, lui aussi assujetti à la TVA, le délai au cours duquel ce dernier peut procéder à la déduction de ce complément de taxe commence à courir à compter de la date de l’émission des factures initiales et non à partir de l’émission ou de la réception des documents rectificatifs ?

2)

Dans la négative, cette directive et, en particulier, ces dispositions ainsi que le principe de neutralité fiscale s’opposent-ils à une législation nationale dont il résulte que l’acquéreur des biens ayant reçu les documents rectificatifs des factures initiales, qui ont été émis à la suite du contrôle fiscal et du paiement à l’État du complément de taxe, et qui étaient destinés à obtenir le paiement de ce complément de taxe, lorsque ledit délai pour l’exercice du droit à déduction était déjà écoulé, peut légitimement refuser d’effectuer ce paiement, en considérant que l’impossibilité de procéder à la déduction du complément de taxe justifie le refus de la répercussion de celle-ci ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

26

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 63, 167, 168, 178 à 180, 182 et 219 de la directive TVA ainsi que le principe de neutralité fiscale doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, dans des circonstances telles que celles en cause au principal dans lesquelles, à la suite d’un redressement fiscal, un complément de TVA a été payé à l’État et a fait l’objet de documents rectifiant les factures initiales plusieurs années après la livraison des biens en cause, le bénéfice du droit à déduction de la TVA est refusé au motif que le délai prévu par ladite réglementation pour l’exercice de ce droit aurait commencé à courir à compter de la date d’émission desdites factures initiales et aurait expiré.

27

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le droit des assujettis de déduire de la TVA dont ils sont redevables la TVA due ou acquittée pour les biens acquis et les services reçus par eux en amont constitue un principe fondamental du système commun de la TVA mis en place par la législation de l’Union (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 37 et jurisprudence citée).

28

Le régime des déductions vise à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques. Le système commun de la TVA garantit, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 38 et jurisprudence citée).

29

Ainsi que la Cour l’a itérativement souligné, le droit à déduction prévu aux articles 167 et suivants de la directive TVA fait partie intégrante du mécanisme de la TVA et ne peut, en principe, être limité. En particulier, ce droit s’exerce immédiatement pour la totalité des taxes ayant grevé les opérations effectuées en amont (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 39 et jurisprudence citée).

30

Le droit à déduction de la TVA est néanmoins subordonné au respect d’exigences ou de conditions tant matérielles que formelles (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 40 et jurisprudence citée).

31

S’agissant des exigences ou des conditions matérielles, il ressort de l’article 168, sous a), de la directive TVA que, pour pouvoir bénéficier dudit droit, il faut, d’une part, que l’intéressé soit un « assujetti », au sens de ladite directive, et, d’autre part, que les biens ou les services invoqués pour fonder le droit à déduction de la TVA soient utilisés en aval par l’assujetti pour les besoins de ses propres opérations taxées et que, en amont, ces biens soient livrés ou ces services soient rendus par un autre assujetti (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 41 et jurisprudence citée).

32

Quant aux modalités d’exercice du droit à déduction de la TVA, qui s’assimilent à des exigences ou à des conditions de nature formelle, l’article 178, sous a), de la directive TVA prévoit que l’assujetti doit détenir une facture établie conformément aux articles 220 à 236 et aux articles 238 à 240 de celle-ci (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 42 et jurisprudence citée).

33

Il résulte de ce qui précède que, bien que, en vertu de l’article 167 de la directive TVA, le droit à déduction de la TVA prenne naissance à la date à laquelle la taxe devient exigible, l’exercice dudit droit n’est en principe possible, conformément à l’article 178 de cette directive, qu’à partir du moment où l’assujetti est en possession d’une facture (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 43 et jurisprudence citée).

34

Selon l’article 167 et l’article 179, premier alinéa, de la directive TVA, le droit à déduction de la TVA s’exerce, en principe, au cours de la même période que celle pendant laquelle il a pris naissance, à savoir au moment où la taxe devient exigible.

35

Néanmoins, en vertu des articles 180 et 182 de cette directive, un assujetti peut être autorisé à procéder à la déduction de la TVA même s’il n’a pas exercé son droit au cours de la période pendant laquelle ce droit a pris naissance, sous réserve, cependant, du respect des conditions et des modalités fixées par les réglementations nationales (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 45 et jurisprudence citée).

36

Toutefois, la possibilité d’exercer le droit à déduction de la TVA sans limitation dans le temps irait à l’encontre du principe de sécurité juridique, qui exige que la situation fiscale de l’assujetti, eu égard à ses droits et obligations vis-à-vis de l’administration fiscale, ne soit pas indéfiniment susceptible d’être remise en cause (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 46 et jurisprudence citée).

37

La Cour a ainsi déjà jugé qu’un délai de forclusion dont l’échéance a pour conséquence de sanctionner le contribuable insuffisamment diligent, qui a omis de réclamer la déduction de la TVA en amont, en lui faisant perdre le droit à déduction de la TVA, ne saurait être considéré comme incompatible avec le régime établi par la directive TVA pour autant, d’une part, que ce délai s’applique de la même manière aux droits analogues en matière fiscale fondés sur le droit interne et à ceux fondés sur le droit de l’Union (principe d’équivalence) et, d’autre part, qu’il ne rend pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à déduction de la TVA (principe d’effectivité) (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 47 et jurisprudence citée).

38

De plus, en vertu de l’article 273 de la directive TVA, les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude. La lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est, en effet, un objectif reconnu et encouragé par cette directive. Toutefois, les mesures que les États membres ont la faculté d’adopter en vertu de l’article 273 de celle-ci ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre de tels objectifs. Elles ne peuvent, dès lors, être utilisées de manière telle qu’elles remettraient systématiquement en cause le droit à déduction de la TVA et, partant, la neutralité de la TVA (arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 48 et jurisprudence citée).

39

Le refus du droit à déduction constituant une exception à l’application du principe fondamental que constitue ce droit, il incombe aux autorités fiscales compétentes d’établir à suffisance de droit que les éléments objectifs établissant l’existence d’une fraude ou d’un abus sont réunis. Il appartient ensuite aux juridictions nationales de vérifier si les autorités fiscales concernées ont établi l’existence de tels éléments objectifs (arrêt du 28 juillet 2016, Astone, C‑332/15, EU:C:2016:614, point 52 et jurisprudence citée).

40

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, à la suite d’un contrôle fiscal ayant eu lieu au cours de l’année 2011, l’administration fiscale portugaise a effectué des redressements de TVA concernant des livraisons de biens intervenues entre le mois de février 2008 et le mois de mai 2010 pour lesquelles Biosafe avait appliqué à tort le taux de TVA réduit au lieu du taux normal. Biosafe a alors procédé à une régularisation de la TVA en s’acquittant du complément de TVA et en émettant des notes de débit, qui constituent, selon la juridiction de renvoi, des documents rectificatifs des factures initiales.

41

Le gouvernement portugais estime que Biosafe et Flexipiso ont mis en œuvre, de manière délibérée et répétée, pendant une durée d’au moins deux ans et demi, des pratiques systématiques de fraude et d’évasion fiscale. L’existence de telles pratiques ne saurait en effet être exclue dans une telle situation. Toutefois, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, laquelle est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits relève de la compétence du juge national. La Cour, en particulier, est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (arrêt du 8 mai 2008, Danske Svineproducenter, C‑491/06, EU:C:2008:263, point 23, ainsi que ordonnance du 14 novembre 2013, Krejci Lager & Umschlagbetrieb, C‑469/12, EU:C:2013:788, point 28). Or, en l’espèce, la juridiction de renvoi indique qu’il est certain que l’erreur quant au choix du taux de TVA applicable est imputable à Biosafe.

42

Dans ces circonstances, il apparaît que Flexipiso a été dans l’impossibilité objective d’exercer son droit à déduction avant la régularisation de la TVA effectuée par Biosafe, n’ayant pas disposé auparavant des documents rectificatifs des factures initiales ni su qu’un complément de TVA était dû.

43

En effet, c’est seulement à la suite de cette régularisation que les conditions matérielles et formelles ouvrant droit à déduction de la TVA ont été réunies et que Flexipiso pouvait donc demander à être soulagée du poids de la TVA due ou acquittée conformément à la directive TVA et au principe de neutralité fiscale. Dès lors, Flexipiso n’ayant pas fait preuve d’un manque de diligence avant la réception des notes de débit, et en l’absence d’abus ou de collusion frauduleuse avec Biosafe, un délai qui aurait commencé à courir à compter de la date d’émission des factures initiales et aurait, pour certaines opérations, expiré avant cette régularisation ne pouvait valablement être opposé à l’exercice du droit à déduction de la TVA (voir, en ce sens, arrêt du 21 mars 2018, Volkswagen, C‑533/16, EU:C:2018:204, point 50).

44

En conséquence, il convient de répondre à la première question que les articles 63, 167, 168, 178 à 180, 182 et 219 de la directive TVA ainsi que le principe de neutralité fiscale doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, dans des circonstances telles que celles en cause au principal dans lesquelles, à la suite d’un redressement fiscal, un complément de TVA a été payé à l’État et a fait l’objet de documents rectifiant les factures initiales plusieurs années après la livraison des biens en cause, le bénéfice du droit à déduction de la TVA est refusé au motif que le délai prévu par ladite réglementation pour l’exercice de ce droit aurait commencé à courir à compter de la date d’émission desdites factures initiales et aurait expiré.

Sur la seconde question

45

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, en cas de réponse négative à la première question, l’acquéreur peut, dans des circonstances telles que celles au principal, refuser de régler au fournisseur le complément de TVA dont celui-ci s’est acquitté, au motif qu’il ne peut plus procéder à la déduction de ce complément en raison de l’expiration du délai prévu par la législation nationale pour exercer le droit à déduction.

46

Il résulte de la réponse à la première question qu’un assujetti ne peut, dans de telles circonstances, se voir refuser le droit à déduction du complément de TVA au motif que le délai prévu par la législation nationale pour exercer ce droit aurait expiré. Eu égard à cette réponse, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

47

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

 

Les articles 63, 167, 168, 178 à 180, 182 et 219 de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que le principe de neutralité fiscale doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle, dans des circonstances telles que celles en cause au principal dans lesquelles, à la suite d’un redressement fiscal, un complément de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) a été payé à l’État et a fait l’objet de documents rectifiant les factures initiales plusieurs années après la livraison des biens en cause, le bénéfice du droit à déduction de la TVA est refusé au motif que le délai prévu par ladite réglementation pour l’exercice de ce droit aurait commencé à courir à compter de la date d’émission desdites factures initiales et aurait expiré.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le portugais.

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