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Document 62016CJ0467

Arrêt de la Cour (deuxième chambre) du 20 décembre 2017.
Brigitte Schlömp contre Landratsamt Schwäbisch Hall.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Amtsgericht Stuttgart.
Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Convention de Lugano II – Litispendance – Notion de “juridiction” – Autorité de conciliation de droit suisse, en charge de la procédure de conciliation préalable à toute procédure au fond.
Affaire C-467/16.

Recueil – Recueil général – Partie «Informations sur les décisions non publiées»

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2017:993

ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

20 décembre 2017 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Convention de Lugano II – Litispendance – Notion de “juridiction” – Autorité de conciliation de droit suisse, en charge de la procédure de conciliation préalable à toute procédure au fond »

Dans l’affaire C‑467/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Stuttgart (tribunal de district de Stuttgart, Allemagne), par décision du 8 août 2016, parvenue à la Cour le 22 août 2016, dans la procédure

Brigitte Schlömp

contre

Landratsamt Schwäbisch Hall,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Rosas, Mmes C. Toader (rapporteur), A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. M. Aleksejev, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 5 juillet 2017,

considérant les observations présentées :

pour Mme Schlömp, par Me D. Adam, Rechtsanwalt,

pour le Landratsamt Schwäbisch Hall, par Me D. Vollmer, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement suisse, par MM. M. Schöll et R. Rodriguez, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. M. Wilderspin ainsi que par Mme M. Heller, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 octobre 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 27 et 30 de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, dont la conclusion a été approuvée au nom de la Communauté par décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008 (JO 2009, L 147, p. 1, ci–après la « convention de Lugano II »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Brigitte Schlömp au Landratsamt Schwäbisch Hall (services administratifs de la circonscription de Schwäbisch Hall, Allemagne, ci–après les « services administratifs ») au sujet d’une demande, introduite par Mme Schlömp, en constatation négative d’une obligation alimentaire (ci-après la « demande en constatation négative »).

Le cadre juridique

La convention de Lugano II

3

Le titre II de la convention de Lugano II, intitulé « Compétence », comprend à la section 2, intitulée « Compétences spéciales », l’article 5, paragraphe 2, aux termes duquel :

« Une personne domiciliée sur le territoire d’un État lié par la présente convention peut être attraite, dans un autre État lié par la présente convention :

[...]

2.

en matière d’obligation alimentaire,

a)

devant le tribunal du lieu où le créancier d’aliments a son domicile ou sa résidence habituelle [...] »

4

La section 9, intitulée « Litispendance et connexité », du titre II de cette convention, comprend les articles 27 à 30 de celle-ci. Aux termes de l’article 27 de ladite convention :

« 1.   Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions de différents États liés par la présente convention, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

2.   Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci. »

5

L’article 30 de la même convention dispose :

« Aux fins de la présente section, une juridiction est réputée saisie :

1.

à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre des mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur ; ou

2.

si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction. »

6

Le titre V, dénommé « Dispositions générales », de la convention de Lugano II, comprend, notamment, l’article 62 de cette convention qui prévoit :

« Aux fins de la présente convention, l’expression “juridiction” inclut toute autorité désignée par un État lié par la présente convention comme étant compétente dans les matières relevant du champ d’application de celle–ci. »

7

Figurant sous le titre VII de la convention de Lugano II, intitulé « Relations avec le règlement (CE) no 44/2001 du Conseil et les autres instruments », l’article 64 de cette convention dispose :

« 1.   La présente convention ne préjuge pas l’application par les États membres de la Communauté européenne du règlement (CE) no 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1)], et de toute modification apportée à celui-ci, de la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Bruxelles le 27 septembre 1968, et du protocole concernant l’interprétation de cette convention par la Cour de justice des Communautés européennes, signé à Luxembourg le 3 juin 1971, tels qu’ils ont été modifiés par les conventions d’adhésion à ladite convention et audit protocole par les États adhérant aux Communautés européennes, ainsi que de l’accord entre la Communauté européenne et le Royaume de Danemark sur la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signé à Bruxelles le 19 octobre 2005.

2.   Toutefois, la présente convention s’applique en tout état de cause :

a)

en matière de compétence, lorsque le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État où s’applique la présente convention, à l’exclusion des instruments visés au paragraphe 1, ou lorsque les articles 22 ou 23 de la présente convention confèrent une compétence aux tribunaux d’un tel État ;

b)

en matière de litispendance ou de connexité telles que prévues aux articles 27 et 28 de la présente convention, lorsque les demandes sont formées dans un État où s’applique la présente convention, à l’exclusion des instruments visés au paragraphe 1, et dans un État où s’appliquent la présente convention ainsi que l’un des instruments visés au paragraphe 1 ;

[...] »

La réglementation de l’Union

Le règlement no 44/2001

8

La section 9, intitulée « Litispendance et connexité », du chapitre II du règlement no 44/2001 comprend les articles 27 à 30 de ce règlement. Aux termes de l’article 27 dudit règlement :

« 1.   Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

2.   Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci. »

9

Selon l’article 30 du même règlement :

« Aux fins de la présente section, une juridiction est réputée saisie :

1)

à la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur, ou

2)

si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, à la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures qu’il était tenu de prendre pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction. »

Le règlement (UE) no 1215/2012

10

Le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), qui a abrogé le règlement no 44/2001, est, à l’exception de certaines de ses dispositions, applicable à partir du 10 janvier 2015.

11

L’article 29, paragraphes 1 et 2, et l’article 32 de ce règlement reprennent, en substance, les dispositions des articles 27 et 30 du règlement no 44/2001.

Le règlement (CE) no 4/2009

12

Aux termes de l’article 3 du règlement (CE) no 4/2009 du Conseil, du 18 décembre 2008, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions et la coopération en matière d’obligations alimentaires (JO 2009, L 7, p. 1) :

« Sont compétentes pour statuer en matière d’obligations alimentaires dans les États membres :

a)

la juridiction du lieu où le défendeur a sa résidence habituelle, ou

b)

la juridiction du lieu où le créancier a sa résidence habituelle, ou

[...] »

13

Aux termes de l’article 68, paragraphe 1, de ce règlement :

« Sous réserve de l’article 75, paragraphe 2, le présent règlement modifie le règlement (CE) no 44/2001 en remplaçant les dispositions dudit règlement applicables en matière d’obligations alimentaires. »

Le droit suisse

Le code de procédure civile

14

Le code de procédure civile (ci-après le « CPC ») prévoit, à l’article 62, intitulé « Début de la litispendance », qui relève du titre 4, intitulé « Litispendance et désistement d’action », de la partie 1 de ce code :

« 1   L’instance est introduite par le dépôt de la requête de conciliation, de la demande ou de la requête en justice, ou de la requête commune en divorce.

[...] »

15

La procédure de conciliation est régie par les articles 197 à 212 du titre 1 de la partie 2 du CPC. Selon l’article 197 du CPC, intitulé « Principe » :

« La procédure au fond est précédée d’une tentative de conciliation devant une autorité de conciliation. »

16

L’article 198 du CPC énumère les exceptions au titre desquelles la procédure de conciliation n’a pas lieu.

17

Le chapitre 2, intitulé « Procédure de conciliation », du titre 1 de la partie 2 du CPC comprend les articles 202 à 207. L’article 202 du CPC, intitulé « Introduction », prévoit :

« 1   La procédure est introduite par la requête de conciliation. [...]

2   La requête de conciliation contient la désignation de la partie adverse, les conclusions et la description de l’objet du litige.

3   L’autorité de conciliation notifie sans retard la requête à la partie adverse et cite simultanément les parties à l’audience.

[...] »

18

Le chapitre 3, intitulé « Conciliation et autorisation de procéder », du titre 1 de la partie 2 du CPC comprend les articles 208 et 209. Aux termes de l’article 208 du CPC, intitulé « Conciliation » :

« 1   Lorsque la tentative de conciliation aboutit, l’autorité de conciliation consigne une transaction, un acquiescement ou un désistement d’action inconditionnel au procès-verbal, qui est ensuite soumis à la signature des parties. Chaque partie reçoit une copie du procès-verbal.

2   La transaction, l’acquiescement ou le désistement d’action ont les effets d’une décision entrée en force. »

19

Selon l’article 209 du CPC, intitulé « Autorisation de procéder » :

« 1   Lorsque la tentative de conciliation n’aboutit pas, l’autorité de conciliation consigne l’échec au procès-verbal et délivre l’autorisation de procéder :

[...]

b.

au demandeur [...]

[...]

3   Le demandeur est en droit de porter l’action devant le tribunal dans un délai de trois mois à compter de la délivrance de l’autorisation de procéder.

[...] »

20

Sous l’intitulé « Proposition de jugement et décision », le chapitre 4 du titre 1 de la partie 2 du CPC comprend les articles 210 à 212. L’article 210 du CPC, intitulé « Proposition de jugement », prévoit :

« 1   L’autorité de conciliation peut soumettre aux parties une proposition de jugement :

[...]

c.

dans les autres litiges patrimoniaux dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 5000 francs [suisses (CHF) (environ 4350 euros)].

[...] »

21

L’article 211 du CPC, intitulé « Effets », énonce :

« 1   La proposition de jugement est acceptée et déploie les effets d’une décision entrée en force lorsqu’aucune des parties ne s’y oppose dans un délai de 20 jours à compter du jour où elle a été communiquée par écrit aux parties. L’opposition ne doit pas être motivée.

2   Après la réception de l’opposition, l’autorité de conciliation délivre l’autorisation de procéder :

[...] »

22

Selon l’article 212 du CPC, intitulé « Décision », « [l]’autorité de conciliation peut, sur requête du demandeur, statuer au fond dans les litiges patrimoniaux dont la valeur litigieuse ne dépasse pas 2000 [CHF (environ 1740 euros)] » et « [l]a procédure est orale. »

La loi fédérale sur le droit international privé

23

La loi fédérale sur le droit international privé, dans sa version applicable au litige au principal, prévoit, à son article 9, intitulé « Litispendance », qui relève de la section 2, intitulée « Compétence » :

« 1   Lorsqu’une action ayant le même objet est déjà pendante entre les mêmes parties à l’étranger, le tribunal suisse suspend la cause s’il est à prévoir que la juridiction étrangère rendra, dans un délai convenable, une décision pouvant être reconnue en Suisse.

2   Pour déterminer quand une action a été introduite en Suisse, la date du premier acte nécessaire pour introduire l’instance est décisive. La citation en conciliation suffit.

3   Le tribunal suisse se dessaisit dès qu’une décision étrangère pouvant être reconnue en Suisse lui est présentée. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

24

Mme Schlömp, domiciliée en Suisse, est la fille par le sang de Mme H. S. qui, en raison de son état de dépendance, est placée dans un hospice en Allemagne et perçoit des prestations d’assistance sociale complémentaires versées par les services administratifs.

25

Selon le droit allemand, les prestations accordées par les pouvoirs publics sont transférées à l’organisme prestataire, qui est en droit de demander, par une action récursoire, le remboursement de la part des enfants par le sang ayant une faculté contributive suffisante.

26

Le 16 octobre 2015, les services administratifs ont introduit une requête de conciliation devant le Friedensrichteramt des Kreises Reiat, Kanton Schaffhausen (juge de paix du district de Reiat, canton de Schaffhouse, Suisse), ce dernier agissant en qualité d’autorité de conciliation, et ont réclamé à Mme Schlömp le versement d’un montant minimal de 5000 euros, sous réserve de la possibilité de modifier ce montant après la communication des renseignements demandés à celle-ci.

27

La tentative de conciliation n’ayant pas abouti, le Friedensrichteramt des Kreises Reiat (juge de paix du district de Reiat) a délivré, le 25 janvier 2016, une « autorisation de procéder », laquelle a été notifiée aux services administratifs le 26 janvier 2016.

28

Le 11 mai 2016, le Kantonsgericht Schaffhausen (tribunal cantonal de Schaffhouse, Suisse) a été saisi, par les services administratifs, d’un recours dirigé contre Mme Schlömp, visant au paiement, à titre de pension alimentaire, du montant minimal mentionné au point 26 du présent arrêt, sous réserve de l’augmentation de ce montant en fonction d’éventuels renseignements supplémentaires concernant la capacité contributive de cette dernière.

29

Après l’introduction de la requête de conciliation mais avant la saisine du Kantonsgericht Schaffhausen (tribunal cantonal de Schaffhouse), Mme Schlömp a saisi, sur le fondement de l’article 3, sous a) ou b), du règlement no 4/2009, l’Amtsgericht (Familiengericht) Schwäbisch Hall (juge aux affaires familiales du tribunal de district de Schwäbisch Hall, Allemagne), par mémoire du 19 février 2016, reçu par ce juge le 22 février 2016, de la demande en constatation négative.

30

Par décision du 7 mars 2016, ce juge s’est déclaré territorialement incompétent pour connaître de l’affaire et a renvoyé celle-ci devant la juridiction de renvoi, l’Amtsgericht Stuttgart (tribunal de district de Stuttgart), laquelle a été saisie de l’affaire le 21 mars 2016.

31

Après signification aux services administratifs, le 26 avril 2016, de la demande en constatation négative, ces services ont soulevé, le 17 mai 2016, une exception de litispendance au motif qu’une procédure était pendante en Suisse, ce qui devait conduire la juridiction de renvoi à surseoir à statuer, conformément à l’article 27, paragraphe 1, de la convention de Lugano II. Mme Schlömp a conclu au rejet de cette exception, estimant que l’autorité de conciliation n’était pas une « juridiction », de sorte que les dispositions de l’article 27, paragraphe 1, de la convention de Lugano II n’étaient pas applicables.

32

En se fondant sur la jurisprudence de la Cour, notamment sur les arrêts du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik (144/86, EU:C:1987:528), et du 6 décembre 1994, Tatry (C‑406/92, EU:C:1994:400), la juridiction de renvoi considère que l’action en paiement, assortie d’une demande de renseignements, intentée en Suisse par les services administratifs ainsi que la demande en constatation négative introduite en Allemagne tirent toutes deux leur origine de la question de savoir si une obligation alimentaire pèse, en vertu d’une subrogation légale, sur Mme Schlömp.

33

La juridiction de renvoi constate qu’il ressort des dispositions du CPC, notamment de son article 62, paragraphe 1, lu en combinaison avec son article 202, paragraphe 1, que, en droit suisse, sous réserve de certaines exceptions qui ne sont pas applicables en l’occurrence, l’instance est obligatoirement introduite par le dépôt d’une requête de conciliation. Par conséquent, cette juridiction estime que la procédure de conciliation et la procédure judiciaire ultérieure forment une seule et même unité procédurale.

34

La juridiction de renvoi se demande néanmoins si l’autorité de conciliation, devant laquelle est introduite la requête de conciliation, peut être qualifiée de « juridiction » au sens des articles 27 et 30 de la convention de Lugano II.

35

C’est dans ces conditions que l’Amtsgericht Stuttgart (tribunal de district de Stuttgart) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Une autorité de conciliation de droit suisse relève-t-elle également de la notion de “juridiction” dans le cadre de l’application des articles 27 et 30 de la convention de Lugano [II] ? »

Sur la question préjudicielle

36

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 27 et 30 de la convention de Lugano II doivent être interprétés en ce sens que, en cas de litispendance, la date à laquelle a été engagée une procédure obligatoire de conciliation devant une autorité de conciliation de droit suisse constitue la date à laquelle une « juridiction » est réputée saisie.

Sur l’applicabilité de la convention de Lugano II

37

La convention de Lugano II est entrée en vigueur entre l’Union européenne et la Confédération suisse le 1er janvier 2011 (JO 2011, L 138, p. 1). Conformément à l’article 5, paragraphe 2, de cette convention, les litiges en matière d’obligations alimentaires relèvent, en principe, du champ d’application de celle-ci.

38

À titre liminaire, il y a lieu d’examiner si, à la lumière de l’article 64 de la convention de Lugano II qui régit les relations de cette convention avec le règlement no 44/2001, la convention de Lugano II est susceptible de s’appliquer au litige au principal.

39

Selon l’article 64, paragraphe 1, de la convention de Lugano II, cette dernière ne préjuge pas, notamment, de l’application par les États membres du règlement no 44/2001 et de toute modification apportée à celui-ci. Toutefois, ainsi qu’il ressort de l’article 64, paragraphe 2, sous b), de cette convention, celle-ci s’applique, en tout état de cause, en matière de litispendance lorsque les demandes sont formées dans un État où s’applique ladite convention, à l’exclusion des instruments visés au paragraphe 1 du même article 64 – tel que la Confédération suisse –, et dans un État où s’appliquent cette convention ainsi que l’un des instruments visés audit paragraphe 1 – tel que la République fédérale d’Allemagne.

40

Le règlement no 44/2001 a été abrogé par le règlement no 1215/2012, ce dernier étant, à l’exception de certaines de ses dispositions, applicable à partir du 10 janvier 2015.

41

Ainsi qu’il ressort de l’article 68, paragraphe 1, du règlement no 4/2009, ce règlement modifie le règlement no 44/2001 en remplaçant les dispositions de ce dernier applicables en matière d’obligations alimentaires. Sous réserve des dispositions transitoires du règlement no 4/2009, les États membres doivent, en matière d’obligations alimentaires, appliquer les dispositions de ce règlement sur la compétence, la reconnaissance, la force exécutoire et l’exécution des décisions ainsi que sur l’aide judicaire, à la place de celles du règlement no 44/2001. Parmi les dispositions du règlement no 4/2009 portant sur la compétence, figure l’article 3, sous a), de celui-ci.

42

Dans la mesure où l’article 64, paragraphe 1, de la convention de Lugano II fait référence à toute modification apportée au règlement no 44/2001, cette référence doit être comprise comme incluant les règlements nos 4/2009 et 1215/2012.

43

Par conséquent, conformément à l’article 64, paragraphe 2, de la convention de Lugano II, celle-ci est applicable au litige au principal.

Sur le fond

44

Ainsi qu’il résulte des termes de l’article 27, paragraphe 1, de la convention de Lugano II, une situation de litispendance est constituée dès lors que des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions de différents États.

45

L’article 30 de la convention de Lugano II définit la date à laquelle une juridiction est réputée saisie aux fins de l’application de la section 9 du titre II de cette convention comme étant soit la date à laquelle l’acte introductif d’instance ou un acte équivalent est déposé auprès de la juridiction à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures nécessaires pour que l’acte soit notifié ou signifié au défendeur, soit, si l’acte doit être notifié ou signifié avant d’être déposé auprès de la juridiction, la date à laquelle il est reçu par l’autorité chargée de la notification ou de la signification, à condition que le demandeur n’ait pas négligé par la suite de prendre les mesures nécessaires pour que l’acte soit déposé auprès de la juridiction.

46

Tout d’abord, il convient de relever que ces dispositions de la convention de Lugano II sont rédigées en des termes quasi identiques aux articles correspondants des règlements nos 44/2001 et 1215/2012.

47

Ainsi qu’il a été également relevé par M. l’avocat général au point 27 de ses conclusions, l’objectif d’une interprétation uniforme des dispositions équivalentes de la convention de Lugano II et du règlement no 44/2001 ainsi que de toute modification apportée à celui-ci ressort notamment du dernier considérant du protocole no 2 sur l’interprétation uniforme de la convention et sur le comité permanent (JO 2007, L 339, p. 27) ainsi que de l’article 1er de ce protocole, selon lesquels les juridictions appelées à appliquer et à interpréter cette convention sont tenues de veiller à une interprétation convergente des dispositions équivalentes desdits instruments.

48

La Cour a également relevé l’identité d’objets et de libellés entre le règlement no 44/2001 et les dispositions de la convention de Lugano II permettant de garantir la cohérence entre les deux régimes juridiques [voir, en ce sens, avis 1/03 (Nouvelle convention de Lugano), du 7 février 2006, EU:C:2006:81, points 152 et 153].

49

Ensuite, eu égard au parallélisme qui existe entre les mécanismes pour résoudre les cas de litispendance instaurés par la convention de Lugano II et les règlements nos 44/2001 et 1215/2012 et vu l’objectif d’une interprétation uniforme, tel qu’énoncé au point 47 du présent arrêt, il y a lieu de considérer que l’article 27 de la convention de Lugano II revêt un caractère objectif et automatique et se fonde sur l’ordre chronologique dans lequel les juridictions en cause ont été saisies (voir, par analogie, arrêt du 4 mai 2017, HanseYachts, C‑29/16, EU:C:2017:343, point 28 et jurisprudence citée).

50

Dans ce contexte, ainsi qu’il a été également relevé par M. l’avocat général au point 41 de ses conclusions, l’article 30 de la convention de Lugano II définit de manière uniforme et autonome la date à laquelle une juridiction est réputée saisie aux fins de l’application de la section 9 du titre II de cette convention, en particulier de l’article 27 de celle-ci, afin de réduire le risque que des procédures parallèles se déroulent dans différents États contractants.

51

Enfin, en ce qui concerne les conditions prévues à l’article 27, paragraphe 1, de la convention de Lugano II, relatives à l’identité des parties, de cause et d’objet des demandes formées devant des juridictions de différents États, il convient d’observer qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour relative à l’interprétation de l’article 27 du règlement no 44/2001, transposable à l’interprétation de l’article 27 de la convention de Lugano II, qu’une demande qui tend à faire juger que le défendeur est responsable d’un préjudice a la même cause et le même objet qu’une action en constatation négative de ce défendeur tendant à faire juger qu’il n’est pas responsable dudit préjudice (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, NIPPONKOA Insurance, C‑452/12, EU:C:2013:858, point 42 et jurisprudence citée).

52

En l’occurrence, ainsi que la juridiction de renvoi l’a constaté, une situation de litispendance existe entre l’affaire pendante devant elle et celle dont se trouve saisi le Kantonsgericht Schaffhausen (tribunal cantonal de Schaffhouse) dans la mesure où ces deux affaires tirent toutes deux leur origine de la question de savoir si une obligation alimentaire pèse, en vertu d’une subrogation légale, sur Mme Schlömp.

53

Il ressort du CPC que, en droit suisse, l’instance est introduite par le dépôt de la requête de conciliation, de la demande ou de la requête en justice ou, selon le cas, de la requête commune en divorce. La procédure de conciliation est prévue par la loi, soumise au principe du contradictoire et, en principe, obligatoire. Son inobservation entraîne l’irrecevabilité d’une éventuelle demande subséquente en justice. Cette procédure peut aboutir soit à un jugement contraignant, pour les litiges dont la valeur ne dépasse pas 2000 CHF (environ 1740 euros), soit à une proposition de jugement pouvant acquérir l’autorité de force jugée en l’absence de contestation, pour les litiges dont la valeur ne dépasse pas 5000 CHF (environ 4350 euros), soit à la ratification d’une conciliation ou à la délivrance d’une autorisation de procéder. Dans ce dernier cas, le demandeur est en droit de porter l’action devant le tribunal dans un délai de trois mois à compter de la délivrance de l’autorisation de procéder. Pour sa part, l’article 9 de la loi fédérale sur le droit international privé prévoit que, en cas de litispendance, pour déterminer quand une action a été introduite en Suisse, la date du premier acte nécessaire pour introduire l’instance est décisive, la citation en conciliation étant suffisante.

54

De surcroît, ainsi que l’a relevé le gouvernement suisse dans ses observations orales, les autorités de conciliation, d’une part, sont soumises aux garanties prévues par le CPC en matière de récusation des juges de paix qui composent ces autorités et, d’autre part, exercent leur fonctions en toute autonomie.

55

Il ressort de ces dispositions que, dans l’exercice des fonctions qui leur sont confiées par le CPC, les autorités de conciliation peuvent être qualifiées de « juridiction » au sens de l’article 62 de la convention de Lugano II.

56

En effet, selon le libellé de l’article 62 de la convention de Lugano II, le terme « juridiction » inclut toute autorité désignée par un État lié par cette convention comme étant compétente dans les matières relevant du champ d’application de celle-ci.

57

Ainsi qu’il a été souligné dans le rapport explicatif relatif à ladite convention, élaboré par M. Fausto Pocar et approuvé par le Conseil (JO 2009, C 319, p. 1), la formulation de l’article 62 de la convention de Lugano II consacre une approche fonctionnelle selon laquelle une autorité est qualifiée de juridiction par les fonctions qu’elle exerce plutôt que par la classification formelle à laquelle elle appartient en vertu du droit national.

58

À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 27 et 30 de la convention de Lugano II doivent être interprétés en ce sens que, en cas de litispendance, la date à laquelle a été engagée une procédure obligatoire de conciliation devant une autorité de conciliation de droit suisse constitue la date à laquelle une « juridiction » est réputée saisie.

Sur les dépens

59

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

 

Les articles 27 et 30 de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée le 30 octobre 2007, dont la conclusion a été approuvée au nom de la Communauté par décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008, doivent être interprétés en ce sens que, en cas de litispendance, la date à laquelle a été engagée une procédure obligatoire de conciliation devant une autorité de conciliation de droit suisse constitue la date à laquelle une « juridiction » est réputée saisie.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.

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