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Document 62013CJ0644

Arrêt de la Cour (première chambre) du 26 janvier 2017.
Villeroy & Boch SAS contre Commission européenne.
Pourvoi – Concurrence – Ententes – Marchés belge, allemand, français, italien, néerlandais et autrichien des installations sanitaires pour salles de bains – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen – Coordination des prix et échange d’informations commerciales sensibles – Infraction unique – Preuve – Amendes – Pleine juridiction – Délai raisonnable – Proportionnalité.
Affaire C-644/13 P.

Recueil – Recueil général

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2017:59

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

26 janvier 2017 ( *1 )

«Pourvoi — Concurrence — Ententes — Marchés belge, allemand, français, italien, néerlandais et autrichien des installations sanitaires pour salles de bains — Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen — Coordination des prix et échange d’informations commerciales sensibles — Infraction unique — Preuve — Amendes — Pleine juridiction — Délai raisonnable — Proportionnalité»

Dans l’affaire C‑644/13 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 29 novembre 2013,

Villeroy & Boch SAS, établie à Paris (France), représentée par Me J. Philippe, avocat,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. F. Castillo de la Torre, L. Malferrari et F. Ronkes Agerbeek, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Tizzano, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, Mme M. Berger, MM. E. Levits, S. Rodin (rapporteur) et F. Biltgen, juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 septembre 2015,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 novembre 2015,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, Villeroy & Boch SAS (ci-après « Villeroy & Boch France ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 16 septembre 2013, Villeroy & Boch Austria e.a./Commission (T‑373/10, T‑374/10, T‑382/10 et T‑402/10, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2013:455), en tant que, par cet arrêt, celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision C (2010) 4185 final, de la Commission, du 23 juin 2010, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire COMP/39092 – Installations sanitaires pour salles de bains) (ci-après la « décision litigieuse »), en tant qu’elle la concerne.

Le cadre juridique

Le règlement (CE) no 1/2003

2

Le règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), prévoit, à son article 23, paragraphes 2 et 3 :

« 2.   La Commission peut, par voie de décision, infliger des amendes aux entreprises et associations d’entreprises lorsque, de propos délibéré ou par négligence :

a)

elles commettent une infraction aux dispositions de l’article [101 ou 102 TFUE] [...]

[...]

Pour chaque entreprise et association d’entreprises participant à l’infraction, l’amende n’excède pas 10 % de son chiffre d’affaires total réalisé au cours de l’exercice social précédent.

[...]

3.   Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci. »

Les lignes directrices de 2006

3

Les lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices de 2006 ») indiquent, à leur point 2, que, en ce qui concerne la détermination des amendes, « la Commission doit prendre en considération la durée et la gravité de l’infraction » et que « l’amende infligée ne doit pas excéder les limites indiquées à l’article 23, paragraphe 2, deuxième et troisième alinéas, du règlement (CE) no 1/2003 ».

4

Le point 37 des lignes directrices de 2006 énonce :

« Bien que les présentes Lignes directrices exposent la méthodologie générale pour la fixation d’amendes, les particularités d’une affaire donnée ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif dans une affaire particulière peuvent justifier que la Commission s’écarte de cette méthodologie ou des limites fixées au point 21. »

Les antécédents du litige et la décision litigieuse

5

Les produits concernés par l’entente sont les installations sanitaires pour salles de bains faisant partie de l’un des trois sous-groupes de produits suivants, à savoir les articles de robinetterie, les enceintes de douche et leurs accessoires ainsi que les articles en céramique (ci-après les « trois sous-groupes de produits »).

6

Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 19 de l’arrêt attaqué et peuvent être résumés comme suit.

7

Par la décision litigieuse, la Commission a constaté l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’« accord EEE »), dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains. Cette infraction, à laquelle 17 entreprises auraient participé, se serait déroulée au cours de différentes périodes comprises entre le 16 octobre 1992 et le 9 novembre 2004 et aurait pris la forme d’un ensemble d’accords anticoncurrentiels ou de pratiques concertées sur les territoires belge, allemand, français, italien, néerlandais et autrichien.

8

Plus précisément, la Commission a indiqué, dans la décision litigieuse, que l’infraction constatée consistait, premièrement, en la coordination, par lesdits fabricants d’installations sanitaires pour salles de bains, des hausses de prix annuelles et d’autres éléments de tarification, dans le cadre de réunions régulières au sein d’associations nationales professionnelles, deuxièmement, en la fixation ou en la coordination des prix à l’occasion d’événements spécifiques tels que l’augmentation du coût des matières premières, l’introduction de l’euro ainsi que l’instauration de péages routiers et, troisièmement, en la divulgation et en l’échange d’informations commerciales sensibles. En outre, la Commission a constaté que la fixation des prix dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains suivait un cycle annuel. Dans ce cadre, les fabricants fixaient leurs barèmes de prix, qui restaient généralement en vigueur pendant un an et servaient de base aux relations commerciales avec les grossistes.

9

Villeroy & Boch France ainsi que les autres requérantes en première instance, Villeroy & Boch Austria GmbH (ci-après « Villeroy & Boch Autriche »), Villeroy & Boch AG (ci-après « Villeroy & Boch ») et Villeroy & Boch Belgium SA (ci-après « Villeroy & Boch Belgique »), opèrent dans le secteur des équipements sanitaires pour salles de bains. Villeroy & Boch détient l’intégralité du capital de Villeroy & Boch Autriche, de Villeroy & Boch France, de Villeroy & Boch Belgique, d’Ucosan BV et de ses filiales ainsi que de Villeroy & Boch SARL.

10

Le 15 juillet 2004, Masco Corp. et ses filiales, parmi lesquelles Hansgrohe AG, qui fabrique des articles de robinetterie, et Hüppe GmbH, qui fabrique des enceintes de douche, ont informé la Commission de l’existence d’une entente dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains et ont demandé à bénéficier de l’immunité d’amendes au titre de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2002, C 45, p. 3, ci-après la « communication de 2002 sur la coopération ») ou, à défaut, d’une réduction du montant des amendes susceptibles d’être prononcées contre elles. Le 2 mars 2005, la Commission a adopté une décision conditionnelle d’immunité d’amendes au profit de Masco, conformément au paragraphe 8, sous a), et au paragraphe 15 de cette communication.

11

Les 9 et 10 novembre 2004, la Commission a procédé à des inspections inopinées dans les locaux de plusieurs sociétés et associations nationales professionnelles opérant dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains.

12

Les 15 et 19 novembre 2004, Grohe Beteiligungs GmbH et ses filiales ainsi qu’American Standard Inc. (ci-après « Ideal Standard ») ont, respectivement, sollicité l’immunité d’amendes au titre de la communication de 2002 sur la coopération ou, à défaut, la réduction de leur montant.

13

Ayant adressé, au cours de la période allant du 15 novembre 2005 au 16 mai 2006, des demandes de renseignements à plusieurs sociétés et associations opérant dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains, y compris aux requérantes en première instance, la Commission a, le 26 mars 2007, adopté une communication des griefs, laquelle a été notifiée à celles-ci.

14

Les 17 et 19 janvier 2006, Roca SARL ainsi que Hansa Metallwerke AG et ses filiales ont également respectivement demandé à bénéficier de l’immunité d’amendes au titre de la communication de 2002 sur la coopération ou, à défaut, de la réduction de leur montant. Le 20 janvier 2006, Aloys F. Dornbracht GmbH & Co. KG Armaturenfabrik a présenté une demande similaire.

15

À la suite d’une audition, tenue du 12 au 14 novembre 2007, à laquelle les requérantes en première instance ont participé, de l’envoi le 9 juillet 2009 d’une lettre d’exposé des faits attirant l’attention de celles-ci sur certaines preuves sur lesquelles la Commission envisageait de se fonder dans le cadre de l’adoption d’une décision finale et de demandes d’informations supplémentaires adressées par la suite notamment auxdites requérantes, la Commission a, le 23 juin 2010, adopté la décision litigieuse. Par cette décision, elle a considéré que les pratiques décrites au point 8 du présent arrêt faisaient partie d’un plan global visant à restreindre la concurrence entre les destinataires de ladite décision et présentaient les caractéristiques d’une infraction unique et continue, dont le champ d’application couvrait les trois sous-groupes de produits et s’étendait aux territoires belge, allemand, français, italien, néerlandais et autrichien. À cet égard, elle a notamment souligné le fait que lesdites pratiques avaient été conformes à un modèle récurrent qui s’était avéré être le même dans les six États membres couverts par son enquête. Elle a également relevé l’existence d’associations nationales professionnelles concernant l’ensemble des trois sous-groupes de produits, qu’elle a nommées « organismes de coordination », d’associations nationales professionnelles comprenant des membres dont l’activité avait trait à au moins deux des trois sous-groupes de produits, qu’elle a nommées « associations multi-produits », ainsi que d’associations spécialisées comprenant des membres dont l’activité portait sur l’un des trois sous-groupes de produits. Enfin, elle a constaté la présence d’un groupe central d’entreprises ayant participé à l’entente dans différents États membres et dans le cadre d’organismes de coordination et d’associations multi-produits.

16

Selon la Commission, les requérantes en première instance ont participé à l’infraction en cause en tant que membres des associations suivantes, à savoir l’IndustrieForum Sanitär, qui a remplacé à partir de l’année 2001 le Freundeskreis der deutschen Sanitärindustrie, l’Arbeitskreis Baden und Duschen, qui a remplacé à partir de l’année 2003 l’Arbeitskreis Duschabtrennungen et le Fachverband Sanitär-Keramische Industrie en Allemagne, l’Arbeitskreis Sanitärindustrie en Autriche, le Vitreous China-group en Belgique, la Sanitair Fabrikanten Platform aux Pays-Bas et l’Association française des industries de céramique sanitaire (AFICS) en France. S’agissant de l’infraction commise aux Pays-Bas, la Commission a constaté en substance, au considérant 1179 de la décision litigieuse, que les entreprises y ayant participé ne pouvaient se voir infliger une amende à ce titre pour cause de prescription.

17

À l’article 1er de la décision litigieuse, la Commission a énuméré les entreprises sanctionnées pour une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE à compter du 1er janvier 1994, en raison de leur participation à une entente dans le secteur des installations sanitaires pour salles de bains en Belgique, en Allemagne, en France, en Italie, aux Pays-Bas et en Autriche pour des périodes variables entre le 16 octobre 1992 et le 9 novembre 2004. S’agissant des requérantes en première instance, la Commission a sanctionné, à l’article 1er, paragraphe 1, de ladite décision, Villeroy & Boch pour sa participation à ladite infraction unique du 28 septembre 1994 au 9 novembre 2004 et ses filiales Villeroy & Boch Belgique, Villeroy & Boch France et Villeroy & Boch Autriche pour des périodes allant du 12 octobre 1994 au plus tôt au 9 novembre 2004.

18

À l’article 2, paragraphe 8, de la décision litigieuse, la Commission a infligé des amendes, premièrement, à Villeroy & Boch, de 54436347 euros, deuxièmement, solidairement à Villeroy & Boch et à Villeroy & Boch Autriche, de 6083604 euros, troisièmement, solidairement à Villeroy & Boch et à Villeroy & Boch Belgique, de 2942608 euros et, quatrièmement, solidairement à Villeroy & Boch et à Villeroy & Boch France, de 8068441 euros. Le montant total des amendes infligées aux requérantes en première instance s’élevait donc à 71531000 euros.

19

Aux fins du calcul de ces amendes, la Commission s’est fondée sur les lignes directrices de 2006.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

20

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 9 septembre 2010, la requérante a introduit un recours dans l’affaire T‑382/10 tendant à l’annulation de la décision litigieuse dans la mesure où elle la concerne ou, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.

21

Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante a soulevé une violation de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE du fait de la reconnaissance d’une infraction unique, continue et complexe, un défaut de motivation, une absence de preuves de l’existence d’une infraction en France, une absence de base juridique autorisant une condamnation solidaire des requérantes en première instance au paiement d’amendes, un calcul erroné de l’amende infligée du fait notamment de l’inclusion de ventes non liées à l’infraction dans le calcul du montant de l’amende et de l’absence de réduction de cette amende malgré la durée excessive de la procédure administrative et, enfin, une violation de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 du fait d’une amende disproportionnée.

22

À titre subsidiaire, la requérante a présenté des conclusions en réduction du montant de l’amende infligée.

23

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours dans son ensemble.

Les conclusions des parties

24

La requérante demande à la Cour :

d’annuler dans son intégralité l’arrêt attaqué, dans la mesure où, par cet arrêt, le Tribunal a rejeté son recours ;

à titre subsidiaire, d’annuler partiellement l’arrêt attaqué ;

à titre plus subsidiaire, de réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée ;

à titre très subsidiaire, d’annuler l’arrêt attaqué et de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il statue, et

de condamner la Commission aux dépens.

25

La Commission demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi dans son ensemble comme étant en partie irrecevable et en partie manifestement non fondé et

de condamner la requérante aux dépens.

Sur le pourvoi

26

Au soutien de son pourvoi, la requérante soulève quatre moyens. Le premier moyen est tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’appréciation des preuves s’agissant des infractions prétendument commises en France. Le deuxième moyen est tiré d’une erreur de droit commise par celui-ci dans la constatation d’une infraction complexe et continue. Le troisième moyen est tiré du fait que le Tribunal n’aurait pas exercé sa compétence de pleine juridiction s’agissant de l’amende infligée à la requérante. Le quatrième moyen est tiré d’une violation du principe de proportionnalité.

Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit dans l’appréciation des preuves s’agissant des infractions prétendument commises en France

Argumentation des parties

27

Par son premier moyen, la requérante fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis des erreurs de droit, dès lors que l’appréciation que celui-ci a faite au sujet des déclarations d’Ideal Standard, de Roca ainsi que de Duravit AG, concernant l’ensemble des faits commis en France, ne correspond pas à celle qu’il a faite des mêmes éléments de preuve dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Keramag Keramische Werke e.a./Commission (T‑379/10 et T‑381/10, non publié, EU:T:2013:457), qui concerne également la décision litigieuse. Par conséquent, le Tribunal aurait enfreint le principe d’égalité de traitement et le principe in dubio pro reo.

28

En effet, aux points 287 à 290 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait estimé que les déclarations d’Ideal Standard et celles de Roca avaient permis d’établir la participation de la requérante à trois réunions de l’AFICS organisées pendant l’année 2004, au cours desquelles des discussions illicites auraient eu lieu. À cet égard, le Tribunal aurait, en substance, rappelé que le témoignage d’une entreprise ayant demandé la clémence ne peut servir de preuve en vertu du principe testis unus, testis nullus (un seul témoin, pas de témoin) à moins qu’un tel témoignage ne soit étayé par celui d’autres participants à l’entente. Toutefois, tel est, selon le Tribunal, le cas dans la présente affaire puisque le témoignage fourni dans le cadre de la demande de clémence d’Ideal Standard a été confirmé par la déclaration de Roca.

29

Or, selon la requérante, l’appréciation des preuves ainsi effectuée par le Tribunal est manifestement contraire à celle faite de ces mêmes éléments de preuve dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Keramag Keramische Werke e.a./Commission (T‑379/10 et T‑381/10, non publié, EU:T:2013:457, points 118 à 120), qui concerne également la décision litigieuse.

30

De même, la requérante estime que le Tribunal a apprécié la valeur probante de la déclaration faite par Duravit de manière contradictoire dans ce dernier arrêt et dans l’arrêt attaqué. En effet, dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Keramag Keramische Werke e.a./Commission (T‑379/10 et T‑381/10, non publié, EU:T:2013:457, points 115 et 116), le Tribunal aurait constaté que cette déclaration n’avait pas été communiquée aux requérantes dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt au cours de la procédure administrative et, par conséquent, devait être considérée comme leur étant inopposable. En revanche, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait accepté de tenir compte de cette même déclaration. Ainsi, au point 293 de cet arrêt, le Tribunal aurait indiqué que, si la décision litigieuse « ne s’appuie pas » sur ladite déclaration, il n’en demeure pas moins que cette déclaration a confirmé celle d’Ideal Standard quant à la teneur des discussions illicites qui se sont « probablement » tenues le 25 février 2004.

31

En outre, la requérante soutient que le Tribunal, en retenant à sa charge la déclaration faite par Duravit, dont il savait pourtant qu’elle lui était inopposable et que la Commission n’avait pas elle-même retenue dans la décision litigieuse, a modifié la motivation de cette décision et a violé l’article 263 et l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.

32

Dès lors qu’aucun autre élément de preuve n’a été invoqué s’agissant de l’infraction pouvant prétendument être imputée à la requérante en France, la condamnation de celle-ci serait fondée sur les erreurs de droit mentionnées ci-dessus, s’agissant des faits commis en France.

33

La Commission convient que les appréciations auxquelles le Tribunal s’est livré dans l’arrêt attaqué entrent en contradiction avec celles faites dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Keramag Keramische Werke e.a./Commission (T‑379/10 et T‑381/10, non publié, EU:T:2013:457), mais elle fait valoir que l’erreur réside dans ce dernier arrêt. Cette institution souligne que la requérante n’invoque pas d’erreur de droit dans l’appréciation des preuves, mais invoque seulement l’inégalité de traitement de faits identiques. En outre, la Commission réfute l’existence d’une violation du principe de la présomption d’innocence. Enfin, elle ne conteste pas que la déclaration de Duravit ne puisse pas être utilisée comme preuve, mais souligne que l’arrêt attaqué n’est pas manifestement fondé sur cette déclaration.

Appréciation de la Cour

34

Afin de répondre au premier moyen, il y a lieu de rappeler que l’appréciation par le Tribunal de la force probante d’un document ne peut, en principe, être soumise au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 256 TFUE et de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est, dès lors, seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve, sous réserve du cas de la dénaturation de ces faits et de ces éléments (voir, notamment, arrêt du 2 octobre 2003, Salzgitter/Commission,C‑182/99 P, EU:C:2003:526, point 43 et jurisprudence citée), laquelle n’a pas été invoquée en l’espèce.

35

En revanche, conformément à une jurisprudence constante, la question de savoir si la motivation d’un arrêt du Tribunal est contradictoire ou suffisante est une question de droit pouvant, en tant que telle, être invoquée dans le cadre d’un pourvoi (voir, notamment, arrêt du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission,C‑105/04 P, EU:C:2006:592, point 71 et jurisprudence citée).

36

En l’occurrence, le Tribunal a, au point 287 de l’arrêt attaqué, constaté que la Commission s’est appuyée sur les déclarations d’Ideal Standard et de Roca pour établir la participation de la requérante aux réunions de l’AFICS en 2004. Au point 289 dudit arrêt, le Tribunal a souligné que, s’il ressort de la jurisprudence que la déclaration d’un bénéficiaire d’une réduction totale ou partielle d’amendes qui est contestée par une partie doit être corroborée, rien ne s’oppose à ce qu’une telle corroboration puisse résulter du témoignage d’une autre entreprise ayant participé à l’entente, quand bien même cette dernière aurait également bénéficié d’une réduction d’amendes. Après avoir examiné la valeur probante de la déclaration faite par Roca, le Tribunal a, au point 290 du même arrêt, considéré qu’il y a lieu de constater que la déclaration d’Ideal Standard, telle que corroborée par celle de Roca, établit à suffisance de droit la tenue des discussions illicites en cause.

37

Or, la requérante soutient que cette motivation est contradictoire avec celle retenue dans l’arrêt du 16 septembre 2013, Keramag Keramische Werke e.a./Commission (T‑379/10 et T‑381/10, non publié, EU:T:2013:457).

38

Toutefois, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’obligation pour le Tribunal de motiver ses arrêts ne saurait en principe s’étendre jusqu’à imposer qu’il justifie la solution retenue dans une affaire par rapport à celle retenue dans une autre affaire dont il a été saisi, quand bien même elle concernerait la même décision (voir arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 66 ainsi que jurisprudence citée).

39

Partant, l’argument de la requérante tiré d’une motivation contradictoire entre l’arrêt attaqué et l’arrêt du 16 septembre 2013, Keramag Keramische Werke e.a./Commission (T‑379/10 et T‑381/10, non publié, EU:T:2013:457), doit être rejeté.

40

S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le Tribunal ne pouvait retenir à sa charge la déclaration faite par Duravit, force est de constater qu’il procède d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, la mention de cette déclaration, au point 293 de l’arrêt attaqué, a uniquement pour objet de répondre à un argument des requérantes en première instance invoquant ladite déclaration et visant à mettre en doute la véracité des déclarations d’Ideal Standard et de Roca. Ainsi, le Tribunal n’a pas retenu la déclaration de Duravit comme élément à charge à l’égard de la requérante, comme cela est confirmé par le point 295 dudit arrêt, dans lequel le Tribunal a constaté que les déclarations d’Ideal Standard et de Roca suffisent à établir l’existence d’une infraction à l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

41

Eu égard aux considérations qui précèdent, le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

Sur le deuxième moyen, relatif à l’existence d’une infraction unique et continue

Argumentation des parties

42

Par son deuxième moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en regroupant artificiellement des actes qui étaient indépendants et en constatant l’existence d’une infraction complexe et continue.

43

À cet égard, la requérante allègue, en premier lieu, que le Tribunal, en se fondant sur le concept d’infraction unique, complexe et continue, a méconnu l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE. En effet, cette notion serait dépourvue de toute base juridique en droit de l’Union. En outre, la requérante soutient que l’arrêt attaqué est entaché d’une insuffisance de motivation dans la mesure où le Tribunal n’a pas répondu à ses arguments sur ce point.

44

En deuxième lieu, la requérante estime, à titre subsidiaire, que les conditions de la reconnaissance d’une infraction unique n’étaient pas réunies en l’espèce dans la mesure où la Commission n’a pas défini le marché pertinent et où l’existence d’un rapport de complémentarité entre les différents agissements reprochés n’a pas été établie.

45

En troisième lieu, la requérante soutient, à titre subsidiaire, que, en raison de l’existence d’annulations partielles de la décision litigieuse en ce qui concerne certains États membres dans les arrêts du 16 septembre 2013, Wabco Europe e.a./Commission (T‑380/10, EU:T:2013:449), du 16 septembre 2013, Keramag Keramische Werke e.a./Commission (T‑379/10 et T‑381/10, non publié, EU:T:2013:457), ainsi que du 16 septembre 2013, Duravit e.a./Commission (T‑364/10, non publié, EU:T:2013:477), et du fait que certaines entreprises peuvent ne pas avoir eu connaissance de l’ensemble de l’infraction, il ne pourrait y avoir une infraction globale telle que définie dans cette décision.

46

Selon la Commission, le deuxième moyen doit être rejeté.

Appréciation de la Cour

47

Selon une jurisprudence constante, une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux-mêmes et pris isolément, une violation de ladite disposition. Ainsi, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence dans le marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 156 ainsi que jurisprudence citée).

48

Une entreprise ayant participé à une telle infraction unique et complexe par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée ayant un objet anticoncurrentiel au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut ainsi être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction. Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait eu connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 157 ainsi que jurisprudence citée).

49

Ainsi, une entreprise peut avoir directement participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, auquel cas la Commission est en droit de lui imputer la responsabilité de l’ensemble de ces comportements et, partant, de cette infraction dans son ensemble. Une entreprise peut également n’avoir directement participé qu’à une partie des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, mais avoir eu connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. Dans un tel cas, la Commission est également en droit d’imputer à cette entreprise la responsabilité de l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant une telle infraction et, par la suite, de celle‑ci dans son ensemble (voir arrêt du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 158 ainsi que jurisprudence citée).

50

Par ailleurs, aux fins de qualifier différents agissements d’infraction unique et continue, il n’y a pas lieu de vérifier s’ils présentent un lien de complémentarité, en ce sens que chacun d’entre eux est destiné à faire face à une ou à plusieurs conséquences du jeu normal de la concurrence, et contribuent, par une interaction, à la réalisation de l’ensemble des effets anticoncurrentiels voulus par leurs auteurs, dans le cadre d’un plan global visant un objectif unique. En revanche, la condition tenant à la notion d’objectif unique implique qu’il doit être vérifié s’il n’existe pas d’éléments caractérisant les différents comportements faisant partie de l’infraction qui soient susceptibles d’indiquer que les comportements matériellement mis en œuvre par d’autres entreprises participantes ne partagent pas le même objet ou le même effet anticoncurrentiel et ne s’inscrivent par conséquent pas dans un « plan d’ensemble » en raison de leur objet identique faussant le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, points 247 et 248).

51

En outre, il ne saurait être déduit de la jurisprudence de la Cour que l’article 101, paragraphe 1, TFUE concerne uniquement soit les entreprises actives sur le marché concerné par les restrictions de la concurrence, ou encore sur des marchés situés en amont ou en aval ou qui sont voisins dudit marché, soit les entreprises qui limitent leur autonomie de comportement sur un marché donné en vertu d’un accord ou d’une pratique concertée. En effet, il découle d’une jurisprudence bien établie de la Cour que le texte de l’article 101, paragraphe 1, TFUE se réfère de façon générale à tous les accords et à toutes les pratiques concertées qui, dans des rapports, soit horizontaux, soit verticaux faussent la concurrence dans le marché intérieur, indépendamment du marché sur lequel les parties sont actives, tout comme du fait que seul le comportement commercial de l’une d’entre elles soit concerné par les termes des arrangements en cause (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, AC‑Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717 points 34 et 35 ainsi que jurisprudence citée).

52

Eu égard à cette jurisprudence, il y a lieu, premièrement, de rejeter les arguments de la requérante selon lesquels la notion juridique d’infraction unique, complexe et continue serait incompatible avec l’article 101 TFUE et l’article 53 de l’accord EEE.

53

Deuxièmement, il convient de constater que, contrairement à ce que la requérante soutient, le Tribunal a, en rappelant ladite jurisprudence aux points 32 à 34, 41, 42 et 46 à 48 de l’arrêt attaqué, motivé cet arrêt à suffisance de droit.

54

Troisièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel les conditions de la reconnaissance d’une infraction unique ne seraient pas réunies en l’espèce dans la mesure où la Commission n’aurait pas défini le marché pertinent, il y a lieu de constater, comme le Tribunal l’a à juste titre relevé au point 54 de l’arrêt attaqué et comme la requérante l’admet, que la circonstance que les marchés de produits et géographiques couverts par l’infraction soient distincts ne fait en tout état de cause pas obstacle au constat d’infraction unique. Partant, cet argument est en tout état de cause inopérant.

55

Quatrièmement, le Tribunal n’a, aux points 63 à 71 de l’arrêt attaqué, pas commis d’erreur de droit en considérant que la Commission pouvait en l’espèce conclure à l’existence d’un objectif unique tendant à établir une infraction unique. En effet, il a, sur la base des constatations factuelles effectuées aux points 66, 69 et 71 de l’arrêt attaqué, établi, à suffisance de droit, que les différents comportements reprochés visaient un même but, à savoir, pour tous les fabricants d’installations sanitaires pour salles de bains, de coordonner leur comportement vis-à-vis des grossistes. À cet égard, il convient de souligner que, contrairement à ce que la requérante soutient, la notion d’objectif commun a, ainsi qu’il ressort desdits points 66, 69 et 71, été déterminée non pas par une référence générale à l’existence d’une distorsion de la concurrence sur les marchés concernés par l’infraction, mais par référence à différents éléments objectifs, tels que le rôle central joué par les grossistes dans le circuit de distribution, les caractéristiques de ce circuit, l’existence d’organismes de coordination et d’associations multi-produits, la similitude de mise en œuvre des arrangements collusoires et les chevauchements matériels, géographiques et temporels entre les pratiques concernées.

56

Dans ces conditions, sans qu’il soit nécessaire d’établir un lien de complémentarité entre les pratiques reprochées, une infraction unique et continue étant susceptible d’être imputée à des entreprises non concurrentes et ne nécessitant pas une définition systématique des marchés pertinents, et en considérant que la requérante est, d’une part, responsable de sa participation directe à l’infraction reprochée et, d’autre part, responsable de sa participation indirecte à cette infraction, dans la mesure où elle a eu connaissance de l’ensemble des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente en cause dans la poursuite des mêmes objectifs ou pour avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir estimé que la Commission n’a commis aucune erreur en concluant à l’existence d’une infraction unique et continue en l’espèce.

57

Enfin, en ce qui concerne l’argumentation relative aux annulations partielles prononcées par des arrêts du Tribunal portant sur la même infraction que celle faisant l’objet de la présente affaire, il convient de rappeler que l’appréciation des preuves concernant les divers marchés nationaux relève de la compétence exclusive du Tribunal. Pour autant que cette argumentation viserait à remettre en cause l’existence d’une infraction unique, complexe et continue, il convient de souligner que le fait que le Tribunal a partiellement annulé la décision litigieuse en tant qu’elle concerne la preuve de la participation à l’infraction en cause de certaines des entreprises concernées sur certains marchés géographiques pour des périodes données ne suffit pas à remettre en cause le constat du Tribunal concernant l’existence d’un plan d’ensemble couvrant les trois sous-groupes de produits et les six États membres concernés et d’un objet identique faussant le jeu de la concurrence.

58

Par conséquent, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen comme étant en partie inopérant et en partie non fondé.

Sur les troisième et quatrième moyens, relatifs au contrôle de pleine juridiction et à la proportionnalité de l’amende

Argumentation des parties

59

Par son troisième moyen, la requérante reproche au Tribunal de n’avoir pas exercé sa compétence de pleine juridiction s’agissant des amendes fixées par la Commission.

60

La requérante allègue qu’il résulte de l’article 261 TFUE, de l’article 263, deuxième et quatrième alinéas, TFUE, de l’article 264, premier alinéa, TFUE, de l’article 31 du règlement no 1/2003, de l’article 6, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne que le Tribunal et la Cour sont tenus d’exercer effectivement leur compétence de pleine juridiction.

61

Or, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait uniquement exercé un contrôle de la légalité sur la fixation du montant de l’amende, contrairement aux conclusions de la requérante.

62

Par ailleurs, la requérante estime que, en l’espèce, le Tribunal aurait dû réduire le montant de l’amende, compte tenu de la gravité de l’infraction qui ne concernerait qu’un nombre limité d’États membres. À cet égard, il ne serait pas possible de comprendre pour quelles raisons la Commission a sanctionné les agissements reprochés en l’espèce plus sévèrement que des ententes de même nature couvrant l’ensemble du territoire de l’Espace économique européen. En outre, le Tribunal aurait dû accorder à la requérante une réduction du montant de l’amende au titre de la durée excessive de la procédure administrative.

63

Par son quatrième moyen, la requérante allègue un manquement au principe de proportionnalité consacré à l’article 49, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. À cet égard, la requérante souligne que le Tribunal aurait dû, afin de déterminer la gravité de l’infraction, prendre en considération le marché concerné, les chiffres d’affaires réalisés, la durée et la nature de l’infraction ainsi que les effets concrets ou potentiels de l’infraction sur les marchés affectés, ce qu’il n’a pas fait.

64

Le Tribunal aurait également dû s’assurer que le montant de l’amende infligée par la décision litigieuse était proportionné dans l’absolu, ce qui ne serait pas le cas lorsque le chiffre d’affaires couvert par l’infraction est de 34,34 millions d’euros et que le montant total des amendes est de 8068441 euros.

65

Partant, la requérante demande à la Cour de rectifier ces omissions illicites du Tribunal et de réduire elle-même le montant de l’amende infligée.

66

La Commission conclut au rejet des troisième et quatrième moyens.

Appréciation de la Cour

67

Selon la jurisprudence constante, le contrôle de légalité instauré à l’article 263 TFUE implique que le juge de l’Union exerce un contrôle, tant de droit que de fait, de la décision attaquée au regard des arguments invoqués par la partie requérante et qu’il ait le pouvoir d’apprécier les preuves, d’annuler cette décision et de modifier le montant des amendes (voir arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission, C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

68

Le contrôle de légalité est complété par la compétence de pleine juridiction reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE. Cette compétence habilite le juge, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée (voir arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission,C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 63 et jurisprudence citée).

69

Afin de satisfaire aux exigences d’un contrôle de pleine juridiction au sens de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en ce qui concerne l’amende, le juge de l’Union est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction (voir arrêt du 18 décembre 2014, Commission/Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin, C‑434/13 P, EU:C:2014:2456, point 75 ainsi que jurisprudence citée).

70

Or, l’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaut cependant pas à un contrôle d’office et la procédure est contradictoire. C’est à la partie requérante qu’il appartient, en principe, de soulever les moyens à l’encontre de la décision attaquée et d’apporter des éléments de preuve à l’appui de ces moyens (voir arrêt du 18 décembre 2014, Commission/Parker Hannifin Manufacturing et Parker-Hannifin, C‑434/13 P, EU:C:2014:2456, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

71

À cet égard, il convient de souligner que l’absence de contrôle d’office de l’ensemble de la décision attaquée ne viole pas le principe de protection juridictionnelle effective. Il n’est en effet pas indispensable au respect de ce principe que le Tribunal, certes tenu de répondre aux moyens soulevés et d’exercer un contrôle tant de droit que de fait, soit tenu de procéder d’office à une nouvelle instruction complète du dossier (voir arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission,C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 66).

72

Par ailleurs, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, le Tribunal est seul compétent pour contrôler la façon dont la Commission a apprécié, dans chaque cas particulier, la gravité des comportements illicites. Dans le cadre du pourvoi, le contrôle de la Cour a pour objet, d’une part, d’examiner dans quelle mesure le Tribunal a pris en considération, d’une manière juridiquement correcte tous les facteurs essentiels pour apprécier la gravité d’un comportement considéré à la lumière de l’article 101 TFUE et de l’article 23 du règlement no 1/2003 et, d’autre part, de vérifier si le Tribunal a répondu à suffisance de droit à l’ensemble des arguments invoqués au soutien de la demande de réduction du montant de l’amende. La gravité des infractions au droit de la concurrence de l’Union doit être établie en fonction d’un grand nombre d’éléments, tels que, notamment, la portée dissuasive des amendes, les circonstances particulières de l’affaire et son contexte, y compris le comportement de chacune des entreprises, le rôle joué par chacune d’elles dans l’établissement de l’entente, le profit qu’elles ont pu en tirer, leur taille et la valeur des marchandises concernées ainsi que le risque que des infractions de ce type représentent pour les objectifs de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, points 95, 99 et 100).

73

En outre, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit de l’Union. Ainsi, ce n’est que dans la mesure où la Cour estimerait que le niveau de la sanction est non seulement inapproprié, mais également excessif, au point d’être disproportionné, qu’il y aurait lieu de constater une erreur de droit commise par le Tribunal, en raison du caractère inapproprié du montant d’une amende (voir, notamment, arrêt du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission, C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

74

C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner les troisième et quatrième moyens.

75

Or, il ressort clairement de ladite jurisprudence que, en premier lieu, le contrôle de pleine juridiction concerne uniquement la sanction infligée et non pas l’intégralité de la décision attaquée et, en second lieu, ni la compétence de pleine juridiction ni le contrôle de légalité n’équivalent au contrôle d’office et, dès lors, ceux-ci n’exigeaient pas que le Tribunal procède d’office à une nouvelle instruction complète du dossier, indépendamment des griefs formulés par la partie requérante.

76

En l’espèce, il y a lieu de constater que le Tribunal a exercé, à partir du point 335 de l’arrêt attaqué, un contrôle effectif du montant de l’amende, qu’il a répondu aux différents arguments de la requérante et qu’il a, aux points 397 à 402 de cet arrêt, statué sur les conclusions tendant à la réduction du montant de l’amende, ne se limitant donc pas à contrôler la légalité de ce montant, contrairement à ce que soutient la requérante. À cet égard, le Tribunal a en particulier relevé, au point 384 dudit arrêt, que le coefficient de 15 % au titre des coefficients « gravité de l’infraction » et « montant additionnel » était un minimum au regard de la nature particulièrement grave de l’infraction en cause, puis a estimé, aux points 397 à 401 du même arrêt, qu’aucun des éléments avancés par les requérantes en première instance ne justifiait une réduction du montant de l’amende.

77

Concernant plus particulièrement l’examen de la gravité de l’infraction reprochée, il convient de constater que le Tribunal a rappelé, au point 381 de l’arrêt attaqué, notamment le point 23 des lignes directrices de 2006, qui dispose que « les accords horizontaux de fixation de prix, de répartition de marché et de limitation de production, qui sont généralement secrets, comptent, par leur nature même, parmi les restrictions de concurrence les plus graves. Au titre de la politique de la concurrence, ils doivent être sévèrement sanctionnés. Par conséquent, la proportion des ventes prise en compte pour de telles infractions sera généralement retenue en haut de l’échelle ». Le Tribunal a exposé, au point 383 dudit arrêt, la motivation retenue par la Commission au considérant 1211 de la décision litigieuse, aux termes duquel la coordination horizontale de prix était, en raison de sa nature même, une des restrictions de concurrence les plus nocives et que l’infraction était une infraction unique, continue et complexe couvrant six États membres et touchant les trois sous-groupes de produits, avant de constater, au point 384 de l’arrêt attaqué, la nature particulièrement grave de l’infraction en cause, qui justifiait l’application d’un coefficient de gravité de 15 %, et, au point 385 dudit arrêt, la participation de la requérante « au groupe central d’entreprises » ayant mis en œuvre l’infraction constatée.

78

En ayant ainsi tenu compte de l’ensemble des paramètres pertinents pour apprécier la gravité de l’infraction reprochée, la coordination horizontale des prix et la participation de la requérante à celle-ci étant par ailleurs prouvées, et en ayant répondu aux arguments de la requérante sur ce point, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit et a satisfait à son obligation de contrôle juridictionnel effectif de la décision litigieuse.

79

Concernant l’appréciation de la durée excessive de la procédure administrative, il convient de rappeler que, si la violation du principe du respect du délai raisonnable par la Commission est susceptible de justifier l’annulation d’une décision prise par celle-ci à l’issue d’une procédure administrative fondée sur les articles 101 et 102 TFUE dès lors qu’elle emporte également une violation des droits de la défense de l’entreprise concernée, une telle violation du principe du respect du délai raisonnable, à la supposer établie, n’est pas susceptible de conduire à une réduction du montant de l’amende infligée (voir, notamment, arrêts du 9 juin 2016, CEPSA/Commission,C‑608/13 P, EU:C:2016:414, point 61, et du 9 juin 2016, PROAS/Commission,C‑616/13 P, EU:C:2016:415, point 74 ainsi que jurisprudence citée). Or, en l’occurrence, ainsi que cela ressort du point 62 du présent arrêt, il est constant que, par son argument portant sur l’appréciation incorrecte de la durée excessive de la procédure administrative par le Tribunal, la requérante tend uniquement à obtenir une réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée.

80

Partant, sans égard à son bien-fondé, cet argument doit être rejeté comme étant inopérant.

81

Enfin, s’agissant de la proportionnalité du montant de l’amende infligée en tant que telle, la requérante n’avance aucun argument de nature à démontrer que le niveau de la sanction infligée est inapproprié ou excessif. À cet égard, l’argument selon lequel le montant d’une amende de 8068441 euros serait disproportionné par rapport au chiffre d’affaires couvert par l’entente d’un montant de 34,34 millions d’euros, doit être rejeté. En effet, il est constant que, en l’espèce, le montant de l’amende infligée à Villeroy & Boch et à ses filiales a été réduit de manière à ne pas dépasser 10 % du chiffre d’affaires total de celles-ci réalisé au cours de l’exercice social précédent, conformément à l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003. Or, cette limite garantit déjà que le niveau de cette amende ne soit pas disproportionné par rapport à la taille de l’entreprise, telle que déterminée par son chiffre d’affaires global (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission,C‑189/02 P, C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, points 280 à 282).

82

Par conséquent, les troisième et quatrième moyens doivent être rejetés comme étant en partie inopérants et en partie non fondés.

83

Aucun des moyens invoqués par la requérante n’étant accueilli, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son intégralité.

Sur les dépens

84

Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du même règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête :

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

Villeroy & Boch SAS est condamnée aux dépens.

 

Tizzano

Berger

Levits

Rodin

Biltgen

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 janvier 2017.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président

K. Lenaerts


( *1 ) Langue de procédure : le français.

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