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Document 62016CC0295

Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 29 juin 2017.
Europamur Alimentación SA contre Dirección General de Comercio y Protección del Consumidor de la Comunidad Autónoma de la Región de Murcia.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Juzgado de lo Contencioso-Administrativo n° 4 de Murcia.
Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 2005/29/CE – Pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs – Champ d’application de cette directive – Vente d’un grossiste à des détaillants – Compétence de la Cour – Législation nationale prévoyant une interdiction générale des ventes à perte – Exceptions fondées sur des critères non prévus par ladite directive.
Affaire C-295/16.

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2017:506

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 29 juin 2017 ( 1 )

Affaire C‑295/16

Europamur Alimentación SA

contre

Dirección General de Comercio y Protección del Consumidor de la Comunidad Autónoma de la Región de Murcia

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Contencioso‑Administrativo no 4 de Murcia (tribunal administratif au niveau provincial no 4 de Murcie, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Protection des consommateurs – Directive 2005/29/CE – Pratiques commerciales déloyales des entreprises vis‑à‑vis des consommateurs – Ventes d’un grossiste à des détaillants – Compétence de la Cour – Législation nationale interdisant de façon générale les ventes à perte – Exceptions fondées sur des critères non prévus dans la directive 2005/29/CE »

I. Introduction

1.

La demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Contencioso‑Administrativo no 4 de Murcia (tribunal administratif au niveau provincial no 4 de Murcie, Espagne) porte sur l’interprétation de la directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis‑à‑vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») ( 2 ).

2.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige relatif à la sanction administrative ayant été infligée à un professionnel pratiquant le commerce de gros, en raison d’une infraction à l’interdiction de vendre à perte qui est prévue, sauf dans deux hypothèses spécifiques, par la législation espagnole relative au commerce de détail.

3.

Dès lors que la pratique commerciale faisant l’objet de ce litige concerne non pas directement des consommateurs, mais un grossiste et des détaillants, et qu’elle ne relève donc pas du champ d’application de la directive 2005/29, il conviendra d’examiner, plus particulièrement, si la Cour peut néanmoins se prononcer sur les questions préjudicielles.

4.

Dans le cas où la Cour se déclarerait compétente, comme je le préconise, il m’apparaît que la réponse aux questions posées découle de façon claire de sa jurisprudence selon laquelle la directive 2005/29 s’oppose aux réglementations d’États membres qui prohibent de façon générale des pratiques commerciales déloyales telles que les ventes à perte, et ce même si des exceptions sont prévues par ces réglementations, dans la mesure où celles‑ci ne respectent pas les conditions d’interdiction définies par ladite directive.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

5.

Aux termes des considérants 6, 8 et 17 de la directive 2005/29 :

« (6)

La présente directive a [...] pour objet de rapprocher les législations des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales, y compris la publicité déloyale, portant atteinte directement aux intérêts économiques des consommateurs et, par conséquent, indirectement aux intérêts économiques des concurrents légitimes. [...] Elle ne couvre ni n’affecte les législations nationales relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte uniquement aux intérêts économiques de concurrents ou qui concernent une transaction entre professionnels ; pour tenir pleinement compte du principe de subsidiarité, les États membres conserveront, s’ils le souhaitent, la faculté de réglementer les pratiques visées, conformément à la législation communautaire. [...]

[...]

(8)

La présente directive protège expressément les intérêts économiques des consommateurs contre les pratiques commerciales déloyales des entreprises à leur égard. Dès lors, elle protège aussi indirectement les entreprises légitimes contre les concurrents qui ne suivent pas les règles du jeu fixées par la présente directive, garantissant ainsi une concurrence loyale dans le secteur d’activité qu’elle coordonne. [...]

[...]

(17)

Afin d’apporter une plus grande sécurité juridique, il est souhaitable d’identifier les pratiques commerciales qui sont, en toutes circonstances, déloyales. L’annexe I contient donc la liste complète de toutes ces pratiques. Il s’agit des seules pratiques commerciales qui peuvent être considérées comme déloyales sans une évaluation au cas par cas au titre des dispositions des articles 5 à 9. Cette liste ne peut être modifiée que par une révision de la directive. »

6.

Selon son article 1er, l’objectif de cette directive est « de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en rapprochant les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte aux intérêts économiques des consommateurs ».

7.

L’article 2, sous d), de la directive 2005/29 définit les « pratiques commerciales des entreprises vis‑à‑vis des consommateurs », au sens de celle‑ci, comme étant « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y compris la publicité et le marketing, de la part d’un professionnel, en relation directe avec la promotion, la vente ou la fourniture d’un produit aux consommateurs ».

8.

L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que celle‑ci « s’applique aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis‑à‑vis des consommateurs, telles que définies à l’article 5, avant, pendant et après une transaction commerciale portant sur un produit ».

9.

Son article 4, intitulé « Marché intérieur », exige que « [l]es États membres ne restreignent ni la libre prestation de services, ni la libre circulation des marchandises pour des raisons relevant du domaine dans lequel la présente directive vise au rapprochement des dispositions en vigueur ».

10.

L’article 5 de la directive 2005/29, intitulé « Interdiction des pratiques commerciales déloyales », est libellé comme suit :

« 1.   Les pratiques commerciales déloyales sont interdites.

2.   Une pratique commerciale est déloyale si :

a)

elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle,

et

b)

elle altère ou est susceptible d’altérer de manière substantielle le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse, ou du membre moyen du groupe lorsqu’une pratique commerciale est ciblée vers un groupe particulier de consommateurs.

[...]

4.   En particulier, sont déloyales les pratiques commerciales qui sont :

a)

trompeuses au sens des articles 6 et 7,

ou

b)

agressives au sens des articles 8 et 9.

5.   L’annexe I contient la liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances. Cette liste unique s’applique dans tous les États membres et ne peut être modifiée qu’au travers d’une révision de la présente directive. »

B. Le droit espagnol

1.   La législation relative au commerce de détail

11.

Aux termes de l’exposé des motifs de la Ley 7/1996 de Ordenación del Comercio Minorista (loi 7/1996, portant réglementation du commerce de détail), du 15 janvier 1996 ( 3 ) (ci‑après la « LOCM »), cette loi vise, notamment, « à corriger les déséquilibres entre les grandes et les petites entreprises commerciales, et, surtout, à assurer une concurrence libre et loyale. Il est superflu de réitérer que les effets les plus immédiats et tangibles d’une situation de concurrence libre et loyale se concrétisent par une amélioration continue des prix et de la qualité ainsi que des autres caractéristiques de l’offre et du service au public, ce qui représente, en définitive, l’action la plus efficace en faveur des consommateurs ».

12.

L’article 14 de la LOCM, intitulé « Interdiction de la vente à perte », prévoit à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Sans préjudice des dispositions de l’article précédent, [qui pose un principe de liberté des prix,] il est interdit de proposer ou de réaliser des ventes à perte, en dehors des hypothèses régies par les chapitres IV [relatif aux ventes en soldes] et V [relatif aux ventes en liquidation] du titre II de la présente loi, sauf si le vendeur vise à aligner ses prix sur ceux d’un ou de plusieurs concurrents qui sont en mesure de porter considérablement atteinte à ses ventes, ou s’il s’agit d’articles périssables dont la date de péremption est proche.

En toute hypothèse, les dispositions de la loi sur la concurrence déloyale s’appliquent.

2.   Aux fins du paragraphe précédent, une vente est réputée à perte lorsque le prix de vente d’un produit est inférieur à son prix d’achat tel qu’il résulte de la facture, après déduction proportionnelle des réductions qui figurent sur la facture, à son prix de remplacement s’il est inférieur, ou au coût effectif de production, si l’article a été fabriqué par le commerçant, majorés de la part d’impôt indirect qui s’applique à l’opération. »

13.

Cette interdiction de la vente à perte s’applique également « aux entités, quelle que soit leur nature juridique, qui pratiquent le commerce de gros », en vertu de la sixième disposition additionnelle de la LOCM, qui a été insérée dans cette loi en 1999 ( 4 ).

14.

La LOCM a été mise en œuvre par la communauté autonome de la région de Murcie au moyen d’une loi régionale adoptée en 2006 ( 5 ). L’article 54 de celle‑ci prévoit que les infractions graves sont sanctionnées par une amende de 3001 à 15000 euros. Pour déterminer l’existence d’une « infraction grave », ladite loi renvoie à la LOCM, dont l’article 65, paragraphe 1, sous c), qualifie ainsi les ventes à perte. Les facteurs à prendre en compte pour calculer le montant de la sanction sont énoncés à l’article 55 de cette loi régionale, lequel mentionne, notamment, la gravité du préjudice « porté aux intérêts des consommateurs ».

2.   La législation relative à la concurrence déloyale

15.

Aux termes du préambule de la Ley 3/1991 de Competencia Desleal (loi 3/1991, sur la concurrence déloyale), du 10 janvier 1991 ( 6 ) (ci‑après la « LCD ») :

« [La présente] loi obéit à la nécessité d’adapter le régime de la concurrence aux valeurs qui ont abouti à notre Constitution économique. La Constitution espagnole de 1978 articule notre système économique autour du principe de la liberté d’entreprise et, par conséquent, sur le plan institutionnel, autour du principe de la liberté de la concurrence. Il en découle, pour le législateur ordinaire, l’obligation d’établir les mécanismes nécessaires pour empêcher que ce principe puisse être faussé par des pratiques déloyales, susceptibles, le cas échéant, de perturber le fonctionnement concurrentiel du marché.

Cette exigence constitutionnelle est complétée et renforcée par celle qui découle du principe de la protection des consommateurs, en leur qualité de partie faible dans les rapports caractéristiques du marché, principe qui est formulé à l’article 51 de la Constitution.

Ce nouvel aspect du problème, en général méconnu jusque–là dans la tradition juridique espagnole de la concurrence déloyale, a constitué une incitation supplémentaire, de la plus haute importance, pour l’adoption de la nouvelle législation ».

16.

L’article 17 de la LCD, intitulé « Vente à perte », énonce :

« 1.   Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, la fixation des prix est libre.

2.   Toutefois, la vente à perte ou réalisée en dessous du coût d’achat est réputée déloyale dans les cas suivants :

a)

Lorsqu’elle risque d’induire en erreur les consommateurs quant au niveau des prix d’autres produits ou services du même établissement.

b)

Lorsqu’elle a pour effet de ternir l’image d’un autre produit ou établissement.

c)

Lorsqu’elle fait partie d’une stratégie visant à évincer un concurrent ou un groupe de concurrents du marché. »

3.   La loi 29/2009

17.

La directive 2005/29 a été transposée en droit espagnol par la Ley 29/2009 por la que se modifica el régimen legal de la competencia desleal y de la publicidad para la mejora de la protección de los consumidores y usuarios (loi 29/2009, portant modification du régime légal de la concurrence déloyale et de la publicité pour l’amélioration de la protection des consommateurs et des usagers), du 30 décembre 2009 ( 7 ) (ci‑après la « loi 29/2009 »).

18.

Cette loi a modifié, entre autres instruments, la LOCM et la LCD. Les dispositions susmentionnées de ces dernières ( 8 ) sont restées inchangées.

19.

La juridiction de renvoi relève que la loi 29/2009 a ajouté un troisième paragraphe à l’article 18 de la LOCM, aux termes duquel la promotion des ventes « est réputée déloyale lorsque sont réunies les conditions prévues à l’article 5 de la [LCD]» ( 9 ).

20.

Elle souligne aussi que la loi 29/2009 a modifié l’article 4 de la LCD de sorte que celui–ci énonce les critères permettant de qualifier une pratique commerciale de « déloyale » tels qu’ils sont définis à l’article 5 de la directive 2005/29. Elle ajoute que les nouveaux libellés des articles 5 et 7 de la LCD reproduisent ceux, respectivement, de l’article 6 (intitulé « Actions trompeuses ») et de l’article 7 (intitulé « Omissions trompeuses ») de cette directive ( 10 ).

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

21.

Europamur Alimentación SA (ci‑après « Europamur ») est un grossiste vendant des produits ménagers et alimentaires à des supermarchés ainsi qu’à des commerces de proximité. Étant affiliée à une centrale d’achats, Europamur peut proposer aux petits commerçants que sont ses clients des produits à des prix compétitifs, qui leur permettent de faire face à la concurrence des grandes surfaces et des grandes chaînes de distribution.

22.

Par décision du 23 février 2015, la Dirección General de Comercio y Protección del Consumidor de la Comunidad Autónoma de la Región de Murcia (direction générale du commerce et de la protection des consommateurs de la communauté autonome de la région de Murcie, Espagne), anciennement dénommée « Dirección General de Consumo, Comercio y Artesanía de la Comunidad Autónoma de la Región de Murcia » (direction générale de la consommation, du commerce et de l’artisanat de la communauté autonome de la région de Murcie, ci‑après l’« administration régionale »), a infligé une amende de 3001 euros à Europamur pour avoir enfreint l’interdiction résultant de l’article 14 de la LOCM, en ayant vendu à perte certains des produits qu’elle commercialise.

23.

L’administration régionale a motivé cette décision, notamment, par diverses considérations relatives à la protection des consommateurs ( 11 ). En outre, lorsqu’elle a fixé le montant de la sanction, l’administration régionale a pris en compte le critère du « grave préjudice porté aux intérêts des consommateurs » énoncé à l’article 55 de la loi régionale 11/2006. Elle n’a, en revanche, pas précisé dans quelle mesure le comportement d’Europamur avait nui in concreto aux intérêts des consommateurs, étant donné que, selon l’interprétation dominante de l’article 14 de la LOCM, la vente à perte serait en elle‑même susceptible de porter préjudice aux consommateurs et aux clients.

24.

Europamur a introduit un recours contre ladite décision en alléguant, entre autres motifs, qu’il était nécessaire que les petits commerçants puissent aligner leurs prix sur ceux de leurs concurrents, que le régime de la preuve résultant de l’article 17 de la LCD aurait dû être respecté à son égard et que le comportement sanctionné ne portait aucun préjudice aux consommateurs. Elle a aussi argué que la sanction infligée était contraire au droit de l’Union, car la directive 2005/29 aurait été insuffisamment transposée dans l’ordre juridique interne par la loi 29/2009, en ce qu’elle n’a pas modifié le libellé de l’article 14 de la LOCM.

25.

En défense, l’administration régionale a soutenu, notamment, que le régime de sanctions de la LOCM, qui a été prévu spécialement pour défendre les intérêts des consommateurs, est indépendant par rapport à la LCD, qui vise plutôt les rapports des opérateurs économiques entre eux, de telle sorte que l’interdiction fixée par l’article 14 de la LOCM pourrait s’appliquer sans que les circonstances prévues à l’article 17 de la LCD soient réunies. Elle a ajouté qu’il n’existait pas de conflit entre la législation nationale et la législation de l’Union.

26.

Dans ce contexte, par décision du 27 avril 2016, parvenue à la Cour le 25 mai 2016, le Juzgado de lo Contencioso‑Administrativo no 4 de Murcia (tribunal administratif au niveau provincial no 4 de Murcie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Faut‑il interpréter la directive [2005/29] en ce sens qu’elle fait obstacle à une disposition nationale telle que l’article 14 de la [LOCM], qui un caractère plus strict que la directive en cause, étant donné qu’il interdit automatiquement la vente à perte, y compris aux grossistes, en ce qu’il considère cette pratique comme une infraction administrative et qu’il la sanctionne en conséquence, compte tenu du fait que la loi espagnole vise non seulement à régir le marché, mais aussi à protéger les intérêts des consommateurs ?

2)

Faut‑il interpréter la directive [2005/29] en ce sens qu’elle fait obstacle audit article 14 de la [LOCM], y compris si cette disposition nationale permet d’écarter l’interdiction générale de vendre à perte dans les cas où i) le contrevenant démontre que la vente à perte avait pour finalité d’aligner ses prix sur ceux d’un ou plusieurs concurrents en mesure de porter considérablement atteinte à ses ventes ou ii) les produits concernés sont des articles périssables dont la date d’expiration est proche ? »

27.

Des observations écrites ont été déposées par Europamur et par la Commission européenne. Lors de l’audience du 6 avril 2017, Europamur, le gouvernement espagnol et la Commission ont présenté leurs observations orales.

IV. Analyse

A. Sur la teneur de la réglementation nationale en cause au principal

28.

Dans la motivation de sa décision de renvoi, le Juzgado de lo Contencioso‑Administrativo no 4 de Murcia (tribunal administratif au niveau provincial no 4 de Murcie) indique que la LOCM vise à protéger les consommateurs, y compris lorsque, comme dans le litige au principal, les ventes interviennent entre un grossiste et des petits commerçants, dès lors que de telles opérations entre professionnels ont des répercussions sur les consommateurs. En effet, le consommateur bénéficierait, dans ses achats auprès d’un petit commerçant, du regroupement de commandes réalisé par l’intermédiaire du grossiste, sans lequel le détaillant ne serait pas compétitif par rapport aux chaînes et aux grandes surfaces qui détiennent une capacité d’achat nettement supérieure.

29.

Ce tribunal n’indique pas les raisons précises pour lesquelles l’article 14 de la LOCM, qui interdit la vente à perte, a été rendu applicable aussi aux entités pratiquant le commerce de gros, en vertu de la sixième disposition additionnelle insérée dans la LOCM par la loi 55/1999, et, à ma connaissance, l’exposé des motifs de cette dernière ne donne aucune indication à ce sujet. La décision de renvoi mentionne simplement que « la protection des consommateurs visée par la [LOCM] est justifiée dans la mesure où la vente à perte du grossiste affecte le consommateur et a une influence sur son comportement à l’égard du produit ou du bien de consommation en question ».

30.

Il expose que l’article 14 de la LOCM prohibe la vente à perte en soi, sans exiger que l’administration sanctionnatrice prouve que la pratique du contrevenant a nui aux intérêts des consommateurs au sens de l’article 5 de la directive 2005/29, mais que ladite disposition nationale autorise cependant l’intéressé à légitimer ses agissements par deux motifs spécifiques, à savoir soit l’objectif d’aligner ses prix sur ceux de concurrents portant atteinte à ses ventes de façon significative, soit le caractère périssable des produits vendus à perte.

31.

La requérante au principal soutient qu’une telle inversion de la charge de la preuve, dont il résulte qu’il incombe au supposé contrevenant d’établir la loyauté des agissements reprochés, n’est pas conforme à la directive 2005/29, étant donné que la vente à perte ne figure pas dans la liste des pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances qui est dressée à l’annexe I de cette directive.

32.

À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que même si le professionnel mis en cause démontrait que la vente à perte concernée ne remplit aucun des critères du caractère déloyal d’une pratique commerciale qui sont prévus par la directive 2005/29 ( 12 ), cette vente resterait néanmoins interdite par l’article 14 de la LOCM et serait donc sanctionnée, à moins que le commerçant puisse établir l’existence de l’une des deux causes de justification énoncées à ce dernier.

33.

Enfin, cette juridiction relève que l’article 14 de la LOCM, qui n’a pas été modifié lors de la transposition de la directive 2005/29, « maintient une référence ambiguë au fait que “[e]n toute hypothèse, les dispositions de la [LCD] s’appliquent” », bien que le régime d’interdiction des ventes à perte prévu à l’article 17 de la LCD soit opposé à celui résultant de la LOCM ( 13 ).

B. Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

34.

Eu égard au cadre tant factuel que réglementaire du litige au principal, le gouvernement espagnol et la Commission ont émis des objections concernant l’applicabilité de la directive 2005/29 dans un tel contexte.

35.

J’indique, d’emblée, que la présente demande de décision préjudicielle, qui présente un aspect inédit lié à une combinaison particulière de règles nationales ( 14 ), est selon moi recevable, au vu des indications fournies par la juridiction de renvoi dont il ressort que l’interprétation sollicitée lui sera nécessaire pour trancher ce litige, même si celui‑ci porte sur des ventes à perte entre des professionnels, lesquelles ne relèvent donc pas du champ d’application de cette directive, compte tenu du fait qu’en vertu des dispositions pertinentes du droit espagnol, une telle situation est assimilée aux ventes d’un professionnel à un consommateur, lesquelles relèvent dudit champ d’application.

36.

À cet égard, je note, en premier lieu, qu’il est constant que la Cour a itérativement jugé que des actions de ventes à perte, telles que celles en cause au principal, constituent des « pratiques commerciales » au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2005/29 et sont, dès lors, soumises aux prescriptions édictées par cette dernière ( 15 ).

37.

En deuxième lieu, nonobstant l’avis contraire émis par le gouvernement espagnol lors de l’audience, je considère que les dispositions nationales applicables au litige au principal, et en particulier celles de l’article 14 de la LOCM, apparaissent bien avoir pour finalité la protection des consommateurs, de sorte que ces dispositions sont susceptibles d’être couvertes par le champ d’application de la directive 2005/29, conformément à la jurisprudence de la Cour en la matière ( 16 ).

38.

En effet, comme l’indique la juridiction de renvoi, il ressort de l’exposé des motifs de la LOCM que cette loi vise explicitement, entre autres objectifs, à assurer la protection des consommateurs ( 17 ). Une jurisprudence espagnole majoritaire semble confirmer ce but s’agissant, plus particulièrement, de l’article 14 de la LOCM, relatif à l’interdiction des ventes à perte, qui est visé dans les questions préjudicielles ( 18 ). De surcroît, la décision administrative qui fait l’objet du litige au principal a été expressément fondée sur cette même finalité ( 19 ).

39.

À supposer même que, comme l’a soutenu le gouvernement espagnol lors de l’audience, la protection des consommateurs n’ait pas constitué le principal but visé par le législateur espagnol lors de l’adoption de la LOCM, une telle considération est, à mon avis, indifférente pour déterminer si une disposition nationale relève ou non du champ d’application de la directive 2005/29. La Cour a d’ailleurs jugé que, dès lors que cet instrument procède à une harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis‑à‑vis des consommateurs, un gouvernement ne saurait valablement affirmer qu’une disposition nationale échappe audit champ d’application en ce que celle‑ci viserait essentiellement des objectifs autres que la protection des consommateurs ( 20 ). Elle a aussi déjà admis qu’une législation nationale puisse avoir des répercussions sur les relations entre opérateurs économiques, tout en ayant pour finalité de protéger les consommateurs, et ainsi relever de la directive 2005/29 ( 21 ). Tel m’apparaît être également le cas dans la présente affaire.

40.

En tout état de cause, il incombe à la juridiction de renvoi, et non à la Cour, de déterminer la teneur et les finalités des dispositions de droit national applicables au litige au principal ( 22 ), de sorte que la Cour est liée par le point de vue exprimé à cet égard par les juges nationaux, et non par les observations présentées devant elle ( 23 ).

41.

Cependant, en troisième lieu, j’estime que les considérations qui précèdent ne sont pas suffisantes pour que la Cour puisse se déclarer compétente pour répondre aux questions posées dans la présente affaire ( 24 ), compte tenu du fait que la pratique commerciale en cause au principal présente la particularité de concerner non pas directement des ventes à des consommateurs, mais des ventes d’un grossiste à des détaillants, qui eux‑mêmes revendent aux consommateurs.

42.

Or, à l’instar du gouvernement espagnol et de la Commission, je constate que le champ d’application de la directive 2005/29 est limité aux pratiques commerciales déloyales d’entreprises qui portent directement atteinte aux intérêts économiques des consommateurs, comme l’indiquent tant l’intitulé de cette directive que plusieurs de ses dispositions ( 25 ). Elle n’est donc pas applicable en tant que telle à des pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte « uniquement » aux intérêts économiques de concurrents ou qui, comme dans le présent litige au principal, concernent une transaction entre professionnels ( 26 ).

43.

Toutefois, conformément à une jurisprudence constante, la Cour peut se déclarer compétente pour répondre aux questions préjudicielles qui lui sont posées même lorsque les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est demandée ne trouvent pas à s’appliquer aux faits du litige au principal, dans le cas où lesdites dispositions ont été rendues applicables de manière directe et inconditionnelle par le droit national. En effet, lorsqu’une législation nationale se conforme, pour les solutions qu’elle apporte à des situations ne relevant pas du champ d’application de l’acte de l’Union concerné, à celles retenues par ledit acte, il existe un intérêt certain de l’Union à ce que, pour éviter des divergences d’interprétation futures, les dispositions reprises de cet acte reçoivent une interprétation uniforme. La Cour est, dès lors, appelée à vérifier s’il existe des indications suffisamment précises pour pouvoir établir ce renvoi au droit de l’Union, au regard des informations fournies à ce sujet par la demande de décision préjudicielle ( 27 ).

44.

Il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, même si la législation transposant une directive en droit national n’a pas repris textuellement les dispositions du droit de l’Union faisant l’objet des questions préjudicielles, la Cour peut être compétente pour statuer à titre préjudiciel, lorsque la décision de renvoi admet que toute interprétation donnée par la Cour de ces dispositions serait contraignante pour la résolution de l’affaire au principal par la juridiction de renvoi ( 28 ).

45.

Dans la présente affaire, je considère qu’il existe un intérêt réel à ce que la Cour procède à une interprétation des dispositions de la directive 2005/29, compte tenu du fait qu’il ressort d’indications suffisamment précises, émanant de la juridiction de renvoi, que les dispositions de ladite directive ont été rendues applicables – bien que ce soit d’une manière erronée selon moi ( 29 ) – par le droit national à des situations, telles que celle en cause dans le litige au principal, qui ne relèvent pas du champ d’application de cette directive ( 30 ).

46.

Certes, il ressort de l’ordonnance de renvoi que les dispositions nationales ayant été appliquées par la décision attaquée dans le litige au principal – à savoir l’article 14 de la LOCM, qui interdit la vente à perte dans le commerce de détail, et la sixième disposition additionnelle de la LOCM, qui étend cette interdiction aux grossistes – n’ont pas été modifiées, sans motifs explicites, par la loi 29/2009 ayant transposé la directive 2005/29 dans l’ordre juridique espagnol ( 31 ).

47.

Cependant, d’autres dispositions de la LOCM ont été amendées par la loi 29/2009, ce dont il s’infère que le législateur national a sciemment décidé de conserver le libellé dudit article 14 et de ladite sixième disposition additionnelle, lors de cette transposition, très probablement parce qu’il a estimé que ces derniers étaient conformes à la directive 2005/29. À mon sens, le choix de conserver des dispositions nationales constitue un acte de transposition d’une directive, au même titre que des modifications substantielles, telles qu’une reformulation ou une suppression de dispositions de droit interne.

48.

En outre, j’observe que la sanction contestée a été fondée sur l’article 14 de la LOCM, expressément visé dans les questions préjudicielles, et que si le litige au principal portait sur des ventes non pas entre un grossiste et des détaillants, mais directement entre un professionnel et des consommateurs, il ne ferait aucun doute que la Cour est compétente pour répondre à ces questions. C’est uniquement en raison de l’extension du champ d’application dudit article 14 à des ventes entre professionnels, en vertu de la sixième disposition additionnelle de la LOCM, qu’une incertitude existe dans la présente affaire. Or, il ressort de la décision de renvoi que les implications de l’interprétation de la directive 2005/29 ici sollicitée sont juridiquement les mêmes dans les deux cas de figure, en ce que si la Cour jugeait que ladite directive s’oppose à des normes nationales telles que celles prévues à l’article 14 de la LOCM, cela aurait pour conséquence directe que la décision attaquée et donc l’amende infligée ne sont pas bien fondées en vertu du droit espagnol.

49.

Par ailleurs, la juridiction de renvoi souligne que l’article 14 de la LOCM contient, à son paragraphe 1, second alinéa, une référence expresse aux dispositions de la LCD ( 32 ), de même que, notamment, l’article 18, paragraphe 3, de la LOCM tel que modifié par la loi 29/2009 ( 33 ). Or, cette dernière loi a reformulé plusieurs articles de la LCD, en particulier, pour incorporer dans celle‑ci les critères permettant de qualifier une pratique commerciale de « déloyale » au sens de la directive 2005/29 ( 34 ) et la requérante au principal soutient, précisément, que ces critères auraient dû être respectés par l’administration régionale compétente ( 35 ).

50.

Dans ce contexte spécifique, la juridiction de renvoi considère que « la question [se pose, en l’espèce, de] savoir si la directive 2005/29 [doit être interprétée en ce sens qu’elle] fait obstacle à une interprétation de l’article 14 de la LOCM[, dominante dans la jurisprudence espagnole,] en vertu de laquelle la vente à perte elle‑même est interdite et peut être sanctionnée, sans qu’il soit nécessaire de constater l’existence concrète d’omissions trompeuses ou de pratiques commerciales agressives ou en général déloyales », alors que « la directive [2005/29] ne fait pas figurer la vente à perte parmi les pratiques commerciales réputées déloyales en toutes circonstances» ( 36 ).

51.

Il convient donc, selon moi, que les dispositions de la directive 2005/29 qui ont été, à tout le moins en partie, reprises dans les normes pertinentes du droit espagnol reçoivent une interprétation uniforme par la Cour, afin d’éviter le risque d’interprétations divergentes à ce sujet et étant donné que la réponse aux questions posées semble déterminante pour la solution du litige au principal.

52.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, je suis d’avis que la demande de décision préjudicielle est recevable et que la Cour doit se déclarer compétente pour répondre aux questions qui lui sont soumises dans la présente affaire.

C. Sur l’admissibilité d’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal au regard de la directive 2005/29

53.

Par ses deux questions préjudicielles, qu’il convient selon moi d’analyser conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2005/29 s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit d’une façon générale les ventes à perte, y compris dans les transactions entre grossistes et détaillants, sauf dans les cas où soit le contrevenant prouve que la vente à perte avait pour finalité d’aligner ses prix sur ceux d’un ou de plusieurs concurrents en mesure de porter considérablement atteinte à ses ventes, soit les produits concernés sont des articles périssables dont la date d’expiration est proche.

54.

À ce sujet, mes observations seront relativement succinctes, car il résulte, à mes yeux, de façon claire de la jurisprudence de la Cour en la matière qu’il y a lieu de donner une réponse affirmative aux questions posées.

55.

En effet, la Cour a déjà dit pour droit que la directive 2005/29 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à toute disposition nationale qui prohibe de manière générale d’offrir à la vente ou de vendre des biens à perte, sans qu’il soit nécessaire de déterminer – au regard du contexte factuel de chaque espèce – si l’opération commerciale en cause présente un caractère « déloyal » à la lumière des critères énoncés aux articles 5 à 9 de cette directive et sans reconnaître aux juridictions compétentes une marge d’appréciation à cet égard, pour autant que cette disposition poursuit des finalités tenant à la protection des consommateurs ( 37 ).

56.

Sur ce dernier point, je rappellerai simplement que, dans la présente affaire, la juridiction de renvoi considère, à la différence du gouvernement espagnol en ses observations orales, que la LOCM a pour finalité, notamment, la protection des consommateurs, ce qui m’apparaît effectivement ressortir de l’exposé des motifs de cette loi ( 38 ).

57.

Pour statuer comme indiqué ci‑dessus, la Cour a, tout d’abord, rappelé que, dès lors que la directive 2005/29 procède à une harmonisation complète des règles relatives aux pratiques commerciales déloyales des entreprises à l’égard des consommateurs, les États membres ne peuvent pas adopter, comme le prévoit expressément l’article 4 de celle‑ci, des mesures plus restrictives que celles définies par cette directive, même aux fins d’assurer un degré plus élevé de protection des consommateurs ( 39 ).

58.

La Cour a, ensuite, souligné que l’article 5 de ladite directive énonce les critères permettant de déterminer les circonstances dans lesquelles une pratique commerciale doit être considérée comme étant déloyale et, partant, interdite. Elle a ajouté que la directive 2005/29 établit, à son annexe I, une liste exhaustive de 31 pratiques commerciales qui, conformément au paragraphe 5 dudit article 5, sont réputées déloyales « en toutes circonstances », ce dont il résulte, comme le précise son considérant 17 ( 40 ), que seules lesdites pratiques sont susceptibles d’être qualifiées de déloyales sans faire l’objet d’une évaluation au cas par cas au titre des dispositions des articles 5 à 9 de cette directive ( 41 ).

59.

Enfin, elle a relevé que des pratiques consistant à offrir à la vente ou à vendre des biens à perte ne figurent pas à l’annexe I de la directive 2005/29 et que, dès lors, elles ne sauraient être interdites « en toutes circonstances », mais pourraient l’être seulement à l’issue d’une analyse spécifique permettant d’en établir le caractère déloyal ( 42 ).

60.

À l’instar d’Europamur et de la Commission, j’estime que ce raisonnement et la conclusion en découlant sont parfaitement transposables dans la présente affaire. S’agissant de la disposition nationale en cause au principal, à savoir l’article 14 de la LOCM, il ressort de la décision de renvoi que celui‑ci a pour effet de prohiber d’une manière générale les ventes à perte, sans qu’il soit nécessaire –pour l’autorité chargée de sanctionner les contrevenants – d’établir le caractère « déloyal » de l’opération commerciale ciblée au regard des critères énoncés aux articles 5 à 9 de la directive 2005/29 ( 43 ). Or, une telle interdiction est contraire aux exigences de cette directive, selon la jurisprudence de la Cour susmentionnée ( 44 ).

61.

En ce qui concerne l’incidence éventuelle des exceptions à cette interdiction qui sont prévues par la disposition nationale litigieuse, incidence envisagée au titre de la seconde question préjudicielle ( 45 ), il suffit de constater que les deux motifs de dérogation figurant à l’article 14 in fine de la LOCM ( 46 ), dont les autorités compétentes et les juridictions espagnoles peuvent tenir compte pour dispenser de sanction l’auteur d’une vente à perte qui s’en prévaut, sont fondés sur des critères qui ne figurent pas parmi ceux prévus auxdits articles 5 à 9 ( 47 ), alors même que la directive 2005/29 procède à une harmonisation exhaustive en la matière ( 48 ).

62.

De surcroît, j’estime que l’inversion de la charge de la preuve qui est induite par cette disposition nationale ( 49 ) n’est pas conforme au régime instauré par la directive 2005/29, laquelle identifie une série de pratiques commerciales pouvant en toutes circonstances être réputées « déloyales » et fixe les conditions à réunir pour que les autorités compétentes puissent qualifier ainsi et sanctionner des pratiques ne relevant pas de cette liste ( 50 ).

63.

En effet, comme cela est souligné par la Commission, la Cour a déjà jugé que les exceptions spécifiques, permettant d’échapper à l’interdiction générale d’une pratique, qui sont prévues par la législation d’un État membre « ne sauraient, du fait de leur nature limitée et prédéfinie, se substituer à l’analyse, devant être nécessairement menée au regard du contexte factuel de chaque espèce, du caractère “déloyal” d’une pratique commerciale à la lumière des critères énoncés aux articles 5 à 9 de la directive [2005/29], lorsqu’il s’agit [...] d’une pratique non visée à l’annexe I de celle‑ci» ( 51 ).

64.

Dans le même esprit, la Cour a déclaré inconciliable avec le régime instauré par la directive 2005/29 une réglementation nationale en vertu de laquelle ce n’était que postérieurement à l’interdiction prévue pour le non–respect de l’obligation d’obtenir une autorisation préalable que la pratique commerciale en question était soumise à l’examen de son caractère déloyal, au motif que cette pratique se trouvait ainsi, en raison de sa nature et en particulier du facteur du temps y inhérent, privée de tout sens économique pour le professionnel ( 52 ). Ainsi, il est impératif que l’examen in concreto du caractère déloyal d’une pratique précède le recours à une sanction éventuelle, sauf dans les cas expressément visés à l’annexe I de ladite directive.

65.

Par conséquent, je suis d’avis que la directive 2005/29 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale comme celle en cause au principal.

V. Conclusion

66.

Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Juzgado de lo Contencioso‑Administrativo no 4 de Murcia (tribunal administratif au niveau provincial no 4 de Murcie, Espagne) de la manière suivante :

La directive 2005/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis‑à‑vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales »), doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une législation nationale, telle que celle en cause au principal, qui interdit de façon générale de proposer ou de réaliser des ventes à perte et qui prévoit des motifs de dérogation à ce principe fondés sur des critères ne figurant pas dans cette directive.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2005, L 149, p. 22.

( 3 ) BOE no 15, du 17 janvier 1996, p. 1243.

( 4 ) Disposition ajoutée dans la LOCM par l’article 56, paragraphe 1, point 8, de la Ley 55/1999 de Medidas fiscales, administrativas y del orden social (loi 55/1999, établissant des mesures fiscales, administratives et d’ordre social), du 29 décembre 1999 (BOE no 312, du 30 décembre 1999, p. 46095), ci‑après la « loi 55/1999 ».

( 5 ) Ley 11/2006 Sobre régimen del comercio minorista de la región de Murcia (loi 11/2006, régissant le commerce de détail de la région de Murcie), du 22 décembre 2006 (BORM no 2, du 3 janvier 2007, p. 141), ci‑après la « loi régionale 11/2006 ».

( 6 ) BOE no 10, du 11 janvier 1991, p. 959.

( 7 ) BOE no 315, du 31 décembre 2009, p. 112039.

( 8 ) Voir points 11 à 16 des présentes conclusions.

( 9 ) Voir article 4 de la loi 29/2009. Je note que celui‑ci opère également un renvoi à des dispositions de la LCD dans l’article 22 (relatif à la vente à multiniveaux), dans l’article 23 (relatif à l’interdiction des ventes en pyramide) et dans l’article 32 (relatif aux ventes avec cadeau ou prime) de la LOCM, tels que modifiés.

( 10 ) Voir article 1er de la loi 29/2009.

( 11 ) Ainsi, cette administration a relevé que les réductions « ne doivent pas porter atteinte à la bonne formation du consentement, au détriment des consommateurs et des clients en ce qui concerne le véritable niveau des prix d’une entreprise ou d’un établissement déterminés ». Elle a également souligné « l’importance sociale de l’infraction, qui touche l’ensemble des commerçants et des consommateurs de la région de Murcie [...] étant donné que les finalités économiques poursuivies par le contrevenant [...] comportent, notamment, celle de créer des offres agissant comme des leurres ou des appâts avec des produits tels que ceux de l’espèce, dans le but d’inciter les consommateurs à acheter des produits ou des services du même établissement ainsi que dans l’intention secrète de dissuader ou d’éliminer des concurrents ».

( 12 ) Plus spécifiquement, le manquement à la diligence professionnelle, l’altération du comportement des consommateurs et la tromperie ou la pratique agressive, conformément à l’article 5, paragraphes 1 et 4, de cette directive.

( 13 ) La juridiction de renvoi expose que, en vertu de l’article 17 de la LCD, sont réputées déloyales non pas toutes les ventes à perte, comme selon l’article 14 de la LOCM, mais uniquement celles qui satisfont aux conditions énoncées audit article 17 (à savoir, induire les consommateurs en erreur, ternir l’image d’un produit ou d’un établissement ou tenter d’évincer les concurrents) et qu’il est donc nécessaire de démontrer le caractère déloyal d’une telle vente pour pouvoir la sanctionner.

( 14 ) En effet, la présente affaire soulève une question de droit nouvelle concernant la recevabilité de la demande, en ce qu’il s’agit de déterminer si la Cour doit répondre à la question de savoir si le droit de l’Union s’oppose à une disposition nationale (à savoir l’article 14 de la LOCM) qui relève de façon certaine du champ d’application de la directive 2005/29, mais qui, par le biais d’une autre disposition nationale (à savoir la sixième disposition additionnelle de la LOCM), est rendue applicable dans un cas de figure non couvert par le champ d’application de ladite directive. À ce sujet, voir points 41 et suiv. des présentes conclusions.

( 15 ) Voir ordonnance du 7 mars 2013, Euronics Belgium (C‑343/12, EU:C:2013:154, points 20 à 22 et jurisprudence citée), où il est relevé que de telles ventes, qui « ont pour objectif d’attirer des consommateurs dans les locaux commerciaux d’un commerçant et d’inciter lesdits consommateurs à procéder à des achats », « s’inscrivent donc dans le cadre de la stratégie commerciale d’un opérateur et visent directement à la promotion et à l’écoulement des ventes de celui–ci ». Dans l’arrêt du 4 mai 2017, Vanderborght (C‑339/15, EU:C:2017:335, point 23), la Cour a rappelé qu’une « formulation particulièrement large » est utilisée audit article 2, sous d), pour définir la notion de « pratiques commerciales ».

( 16 ) Voir, notamment, arrêt du 17 janvier 2013, Köck (C‑206/11, EU:C:2013:14, points 28 à 33), ainsi que ordonnances du 7 mars 2013, Euronics Belgium (C‑343/12, EU:C:2013:154, point 17), et du 8 septembre 2015, Cdiscount (C‑13/15, EU:C:2015:560, point 29).

( 17 ) Après avoir cité un extrait dudit exposé des motifs, la juridiction de renvoi indique que « la LOCM a notamment pour finalité manifeste la protection du consommateur » (souligné par mes soins) et réaffirme cette analyse à la fin de sa première question préjudicielle. Voir aussi points 11 et 28 des présentes conclusions.

( 18 ) Selon la décision de renvoi, une prise de position quasi unanime des Tribunales Superiores de Justicia (Cours supérieures de justice) des communautés autonomes espagnoles indique que c’est « en vue de protéger plus efficacement les consommateurs et les clients dans son champ d’application matériel propre, [que] la [LOCM, et en particulier son article 14,] est bien plus restrictive que la [LCD, et en particulier son article 17,] en ce qui concerne la pratique de la vente à perte ».

( 19 ) Voir point 23 et note en bas de page 11 des présentes conclusions.

( 20 ) Voir arrêt du 9 novembre 2010, Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag (C‑540/08, EU:C:2010:660, points 25 à 28), au sujet des allégations du gouvernement autrichien selon lesquelles la disposition nationale en cause au principal visait essentiellement des objectifs tenant au maintien du pluralisme de la presse.

( 21 ) Voir ordonnance du 7 mars 2013, Euronics Belgium (C‑343/12, EU:C:2013:154, point 18). En ce sens, voir aussi considérant 8 de la directive 2005/29, aux termes duquel celle‑ci protège aussi indirectement les entreprises légitimes contre les concurrents qui ne suivent pas les règles du jeu fixées par cet instrument.

( 22 ) En effet, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation du droit interne d’un État membre, ni de juger si l’interprétation qu’en donne la juridiction de renvoi est correcte (notamment, ordonnance du 30 juin 2011, Wamo, C‑288/10, EU:C:2011:443, points 26 et suiv. ; arrêts du 13 juin 2013, Kostov, C‑62/12, EU:C:2013:391, points 24 et 25 ; du 21 septembre 2016, Etablissements Fr. Colruyt, C‑221/15, EU:C:2016:704, point 15, ainsi que du 4 mai 2017, HanseYachts, C‑29/16, EU:C:2017:343, point 34).

( 23 ) Voir, notamment, arrêts du 8 juin 2016, Hünnebeck (C‑479/14, EU:C:2016:412, point 36), ainsi que du 21 juin 2016, New Valmar (C‑15/15, EU:C:2016:464, point 25).

( 24 ) Voir, par analogie, arrêt du 17 octobre 2013, RLvS (C‑391/12, EU:C:2013:669, points 34 et 35).

( 25 ) Voir, en particulier, considérants 6 à 8, article 1er, article 2, sous d), et article 3, paragraphe 1, de la directive 2005/29.

( 26 ) Voir, notamment, conclusions de l’avocat général Trstenjak dans l’affaire Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag (C‑540/08, EU:C:2010:161, points 43 et suiv.) ; ordonnance du 30 juin 2011, Wamo (C‑288/10, EU:C:2011:443, point 22) ; arrêt du 17 janvier 2013, Köck (C‑206/11, EU:C:2013:14, point 30) ; ainsi que ordonnance du 8 septembre 2015, Cdiscount (C‑13/15, EU:C:2015:560, point 26).

( 27 ) Voir, notamment, arrêts du 18 octobre 2012, Nolan (C‑583/10, EU:C:2012:638, points 45 et suiv.) ; du 7 novembre 2013, Romeo (C‑313/12, EU:C:2013:718, points 21 et suiv.) ; ordonnance du 12 mai 2016, Sahyouni (C‑281/15, EU:C:2016:343, points 27 et suiv.), ainsi que arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874, points 53 et suiv.).

( 28 ) Voir, en ce sens, arrêt du 7 janvier 2003, BIAO (C‑306/99, EU:C:2003:3, points 90 et suiv.).

( 29 ) Voir points 53 et suiv. des présentes conclusions.

( 30 ) En revanche, lors de l’audience, la Commission a indiqué ne pas avoir trouvé d’indications suffisamment précises pour considérer que le législateur espagnol aurait eu l’intention d’étendre le régime de protection prévu par la directive 2005/29 aux transactions entre professionnels.

( 31 ) Les raisons de l’absence de réforme desdites dispositions ne ressortent pas de la décision de renvoi et il m’apparaît que le préambule de la loi 29/2009 ne contient pas de considérations concernant, en particulier, le régime juridique des ventes à perte. Dans ses observations orales, le gouvernement espagnol a affirmé, sans indiquer aucune source pertinente, que ce serait parce que le législateur aurait estimé que l’article 14 de la LOCM ne relevait pas de la protection des consommateurs qu’il n’a pas modifié cet article lors de la transposition de la directive 2005/29.

( 32 ) Étant observé que, au vu de son préambule, la LCD a aussi pour finalité la protection des consommateurs (voir point 15 des présentes conclusions).

( 33 ) Voir point 19 et note en bas de page 9 ainsi que point 33 des présentes conclusions.

( 34 ) Voir point 20 des présentes conclusions.

( 35 ) Lors de l’audience, Europamur a invoqué que, selon le préambule de la loi 29/2009, celle‑ci avait pour but d’unifier les régimes juridiques applicables en matière de pratiques commerciales déloyales, quel que soit le destinataire – professionnel ou consommateur – du bien concerné, et qu’il convenait donc de faire une lecture combinée des dispositions de la LOCM et de la LCD.

( 36 ) Voir aussi point 32 des présentes conclusions.

( 37 ) Voir ordonnance du 7 mars 2013, Euronics Belgium (C‑343/12, EU:C:2013:154, points 30 et 31).

( 38 ) Voir aussi points 11 et 38 des présentes conclusions.

( 39 ) Voir, notamment, arrêt du 9 novembre 2010, Mediaprint Zeitungs- und Zeitschriftenverlag (C‑540/08, EU:C:2010:660, point 30) ; ordonnance du 7 mars 2013, Euronics Belgium (C‑343/12, EU:C:2013:154, point 24), ainsi que arrêt du 10 juillet 2014, Commission/Belgique (C‑421/12, EU:C:2014:2064, point 61).

( 40 ) Aux termes de ce considérant, le fait de dresser, dans cette annexe, une « liste complète » des « pratiques commerciales qui sont, en toutes circonstances, déloyales » permet « d’apporter une plus grande sécurité juridique ».

( 41 ) Voir arrêts du 23 avril 2009, VTB-VAB et Galatea (C‑261/07 et C‑299/07, EU:C:2009:244, points 56 et suiv.) ; du 17 janvier 2013, Köck (C‑206/11, EU:C:2013:14, points 35 et suiv.) ; ordonnance du 7 mars 2013, Euronics Belgium (C‑343/12, EU:C:2013:154, points 25 à 28) ; arrêt du 3 avril 2014, 4finance (C‑515/12, EU:C:2014:211, points 30 et suiv.), ainsi que ordonnance du 8 septembre 2015, Cdiscount (C‑13/15, EU:C:2015:560, points 38 et suiv.).

( 42 ) Voir ordonnance du 7 mars 2013, Euronics Belgium (C‑343/12, EU:C:2013:154, point 29).

( 43 ) Dans le libellé de sa première question, la juridiction de renvoi met en exergue le caractère automatique de cette prohibition. Voir aussi points 30 à 32 et 50 des présentes conclusions.

( 44 ) Voir points 55 à 59 des présentes conclusions.

( 45 ) La juridiction de renvoi note que de telles causes de dérogation à l’interdiction des ventes à perte n’étaient, au contraire, pas prévues par la législation belge en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’ordonnance du 7 mars 2013, Euronics Belgium (C‑343/12, EU:C:2013:154).

( 46 ) Je rappelle qu’en vertu de cette disposition, un professionnel accusé d’avoir enfreint l’interdiction de vendre à perte peut éviter la sanction qu’il encourt, soit en démontrant que la vente à perte avait pour but d’aligner ses prix sur ceux d’un ou de plusieurs concurrents en mesure de porter considérablement atteinte à ses ventes, soit en invoquant que les produits concernés sont des articles périssables dont la date d’expiration est proche.

( 47 ) En effet, ni la nécessité d’aligner des prix sur ceux de concurrents, ni le caractère périssable des produits concernés par la vente en cause ne sont visés à ces articles de la directive 2005/29.

( 48 ) Sur la nature de l’harmonisation réalisée par cette directive, voir, notamment, conclusions de l’avocat général Trstenjak dans les affaires jointes VTB‑VAB et Galatea (C‑261/07 et C‑299/07, EU:C:2008:581, points 74 et suiv.).

( 49 ) Voir points 30 à 32 des présentes conclusions.

( 50 ) À cet égard, Europamur relève, à juste titre, que la charge probatoire consistant à devoir établir le caractère non déloyal du comportement reproché, à savoir un fait négatif, n’est pas prévue par la directive 2005/29 et constitue une mesure plus restrictive que celles inscrites dans cette dernière, donc contraire à son article 4.

( 51 ) Arrêt du 23 avril 2009, VTB‑VAB et Galatea (C‑261/07 et C‑299/07, EU:C:2009:244, points 64 et suiv.), ainsi que conclusions de l’avocat général Trstenjak dans les affaires jointes VTB‑VAB et Galatea (C‑261/07 et C‑299/07, EU:C:2008:581, points 84 et suiv.). Voir aussi, en ce sens, arrêt du 11 mars 2010, Telekomunikacja Polska (C‑522/08, EU:C:2010:135, points 31 et 33).

( 52 ) Voir arrêt du 17 janvier 2013, Köck (C‑206/11, EU:C:2013:14, points 48 et suiv.).

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