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Document 62015CJ0201

    Arrêt de la Cour (grande chambre) du 21 décembre 2016.
    Anonymi Geniki Etairia Tsimenton Iraklis (AGET Iraklis) contre Ypourgos Ergasias, Koinonikis Asfalisis kai Koinonikis Allilengyis.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Symvoulio tis Epikrateias.
    Renvoi préjudiciel – Directive 98/59/CE – Rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 16 – Liberté d’entreprise – Réglementation nationale conférant à une autorité administrative le pouvoir de s’opposer à des licenciements collectifs après évaluation des conditions du marché du travail, de la situation de l’entreprise et de l’intérêt de l’économie nationale – Crise économique aiguë – Taux de chômage national particulièrement élevé.
    Affaire C-201/15.

    Recueil – Recueil général

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2016:972

    ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

    21 décembre 2016 ( *1 )

    «Renvoi préjudiciel — Directive 98/59/CE — Rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs — Article 49 TFUE — Liberté d’établissement — Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne — Article 16 — Liberté d’entreprise — Réglementation nationale conférant à une autorité administrative le pouvoir de s’opposer à des licenciements collectifs après évaluation des conditions du marché du travail, de la situation de l’entreprise et de l’intérêt de l’économie nationale — Crise économique aiguë — Taux de chômage national particulièrement élevé»

    Dans l’affaire C‑201/15,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), par décision du 7 avril 2015, parvenue à la Cour le 29 avril 2015, dans la procédure

    Anonymi Geniki Etairia Tsimenton Iraklis (AGET Iraklis)

    contre

    Ypourgos Ergasias, Koinonikis Asfalisis kai Koinonikis Allilengyis,

    en présence de :

    Enosi Ergazomenon Tsimenton Chalkidas,

    LA COUR (grande chambre),

    composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. T. von Danwitz, J. L. da Cruz Vilaça, E. Juhász, Mmes M. Berger, A. Prechal (rapporteur) et M. Vilaras, présidents de chambre, MM. A. Rosas, A. Borg Barthet, D. Šváby et E. Jarašiūnas, juges,

    avocat général : M. N. Wahl,

    greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 avril 2016,

    considérant les observations présentées :

    pour Anonymi Geniki Etairia Tsimenton Iraklis (AGET Iraklis), par Mes C. Theodorou, A. Vagias, C. Synodinos, S. Staes Polet, A. Papastavrou, dikigoroi, ainsi que par Me F. Montag, Rechtsanwalt, et Me F. Hoseinian, avocat,

    pour Enosi Ergazomenon Tsimenton Chalkidas, par Me E. Tzovla, dikigoros,

    pour le gouvernement hellénique, par M. K. Georgiadis et Mme A. Dimitrakopoulou, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par M. M. Kellerbauer et Mme H. Tserepa-Lacombe, en qualité d’agents,

    pour l’Autorité de surveillance AELE, par M. C. Zatschler et Mme M. Moustakali, en qualité d’agents,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 9 juin 2016,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs (JO 1998, L 225, p. 16), et des articles 49 et 63 TFUE.

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Anonymi Geniki Etairia Tsimenton Iraklis (AGET Iraklis) à l’Ypourgos Ergasias, Koinonikis Asfalisis kai Koinonikis Allilengyis (ministre du Travail, de la Sécurité sociale et de la Solidarité sociale, ci-après le « ministre ») au sujet d’une décision par laquelle ce dernier a décidé de ne pas autoriser AGET Iraklis à procéder à un licenciement collectif.

    Le cadre juridique

    La directive 98/59

    3

    Les considérants 1 à 4 et 7 de la directive 98/59 sont libellés comme suit :

    « (1)

    considérant que, dans un souci de clarté et de rationalité, il convient de procéder à la codification de la directive 75/129/CEE du Conseil du 17 février 1975 concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs [JO 1975, L 48, p. 29] ;

    (2)

    considérant qu’il importe de renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs en tenant compte de la nécessité d’un développement économique et social équilibré dans la Communauté ;

    (3)

    considérant que, malgré une évolution convergente, des différences subsistent entre les dispositions en vigueur dans les États membres en ce qui concerne les modalités et la procédure des licenciements collectifs ainsi que les mesures susceptibles d’atténuer les conséquences de ces licenciements pour les travailleurs ;

    (4)

    considérant que ces différences peuvent avoir une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur ;

    [...]

    (7)

    considérant qu’il est par conséquent nécessaire de promouvoir ce rapprochement dans le progrès au sens de l’article 117 du traité ».

    4

    Intitulée « Information et consultation », la section II de la directive 98/59 est constituée de l’article 2 de celle-ci, disposition aux termes de laquelle :

    « 1.   Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord.

    2.   Les consultations portent au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés.

    [...]

    3.   Afin de permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives, l’employeur est tenu, en temps utile au cours des consultations :

    a)

    de leur fournir tous renseignements utiles et

    b)

    de leur communiquer, en tout cas, par écrit :

    i)

    les motifs du projet de licenciement ;

    ii)

    le nombre et les catégories des travailleurs à licencier ;

    iii)

    le nombre et les catégories des travailleurs habituellement employés ;

    iv)

    la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements ;

    v)

    les critères envisagés pour le choix des travailleurs à licencier dans la mesure où les législations et/ou pratiques nationales en attribuent la compétence à l’employeur ;

    vi)

    la méthode de calcul envisagée pour toute indemnité éventuelle de licenciement autre que celle découlant des législations et/ou pratiques nationales.

    L’employeur est tenu de transmettre à l’autorité publique compétente au moins une copie des éléments de la communication écrite prévus au premier alinéa, points b) i) à v).

    [...] »

    5

    Intitulée « Procédure de licenciement collectif », la section III de la directive 98/59 se compose des articles 3 et 4 de celle-ci.

    6

    L’article 3 de cette directive dispose :

    « 1.   L’employeur est tenu de notifier par écrit tout projet de licenciement collectif à l’autorité publique compétente.

    [...]

    La notification doit contenir tous renseignements utiles concernant le projet de licenciement collectif et les consultations des représentants des travailleurs prévues à l’article 2, notamment les motifs de licenciement, le nombre des travailleurs à licencier, le nombre des travailleurs habituellement employés et la période au cours de laquelle il est envisagé d’effectuer les licenciements.

    2.   L’employeur est tenu de transmettre aux représentants des travailleurs copie de la notification prévue au paragraphe 1.

    Les représentants des travailleurs peuvent adresser leurs observations éventuelles à l’autorité publique compétente. »

    7

    L’article 4, paragraphes 1 à 3, de la directive 98/59 prévoit :

    « 1.   Les licenciements collectifs dont le projet a été notifié à l’autorité publique compétente prennent effet au plus tôt trente jours après la notification prévue à l’article 3, paragraphe 1, sans préjudice des dispositions régissant les droits individuels en matière de délai de préavis.

    Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de réduire le délai visé au premier alinéa.

    2.   L’autorité publique compétente met à profit le délai visé au paragraphe 1 pour chercher des solutions aux problèmes posés par les licenciements collectifs envisagés.

    3.   Dans la mesure où le délai initial prévu au paragraphe 1 est inférieur à soixante jours, les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente la faculté de prolonger le délai initial jusqu’à soixante jours après la notification lorsque les problèmes posés par les licenciements collectifs envisagés risquent de ne pas trouver de solution dans le délai initial.

    Les États membres peuvent accorder à l’autorité publique compétente des facultés de prolongation plus larges.

    L’employeur doit être informé de la prolongation et de ses motifs avant l’expiration du délai initial prévu au paragraphe 1. »

    8

    Figurant dans la section IV de la directive 98/59, intitulée « Dispositions finales », l’article 5 de celle-ci énonce :

    « La présente directive ne porte pas atteinte à la faculté des États membres d’appliquer ou d’introduire des dispositions législatives, réglementaires ou administratives plus favorables aux travailleurs ou de permettre ou de favoriser l’application de dispositions conventionnelles plus favorables aux travailleurs. »

    Le droit grec

    9

    Intitulé « Obligation d’information et de consultation incombant à l’employeur », l’article 3 du Nomos no 1387/1983 Elenchos Omadikon apolyseon kai alles diataxeis (loi no 1387/1983 portant contrôle des licenciements collectifs et autres dispositions), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « loi no 1387/1983 »), prévoit :

    « 1.   Avant tout licenciement collectif, l’employeur doit consulter les représentants des travailleurs pour examiner la possibilité d’éviter ou d’atténuer les licenciements et leurs conséquences néfastes.

    2.   L’employeur doit :

    a)

    fournir aux représentants des travailleurs toutes les informations utiles et

    b)

    leur communiquer par écrit :

    aa)

    les raisons du projet de licenciement ;

    bb)

    le nombre et les catégories des travailleurs menacés ;

    cc)

    le nombre et les catégories de personnes habituellement employées ;

    dd)

    la période au cours de laquelle il est prévu de procéder à des licenciements ;

    ee)

    les critères de choix des travailleurs qui seront licenciés.

    [...]

    3.   Des copies de ces documents sont présentées par l’employeur au préfet et à l’inspection du travail. Si l’entreprise ou l’exploitation a des établissements dans plusieurs départements, les documents en question sont remis au [ministre] et à l’inspection du travail du lieu de l’exploitation ou de l’établissement où les licenciements, ou la plupart d’entre eux, sont projetés. »

    10

    Intitulé « Procédure de licenciement collectif », l’article 5 de la loi no 1387/1983 dispose :

    « 1.   La durée des consultations entre les travailleurs et l’employeur est de 20 jours à partir de l’invitation à participer à des consultations adressée par l’employeur aux représentants des travailleurs [...] Le résultat des consultations est porté dans un compte rendu qui doit être signé par les deux parties et qui est soumis par l’employeur au préfet ou au [ministre], conformément aux dispositions de l’article 3, paragraphe 3.

    2.   Si les parties sont tombées d’accord, les licenciements collectifs sont effectués conformément à la teneur de l’accord [...]

    3.   S’il n’y a pas d’accord entre les parties, le préfet ou le [ministre], par décision motivée prise dans un délai de 10 jours à partir de la date de présentation du compte rendu précité et après avoir examiné le dossier et évalué les conditions du marché du travail, la situation de l’entreprise ainsi que l’intérêt de l’économie nationale, peuvent soit prolonger les consultations de 20 jours supplémentaires, sur demande de l’une des parties intéressées, soit ne pas autoriser la réalisation de tout ou partie des licenciements prévus. Avant l’adoption de cette décision, le préfet ou le [ministre] peuvent demander l’avis de la commission du ministère du Travail qui siège dans chaque préfecture ou du Conseil supérieur du travail respectivement. Ces organes consultatifs, le préfet ou le [ministre] peuvent convoquer et entendre tant les représentants des travailleurs au sens de l’article 4 et l’employeur concerné que les personnes qui ont des connaissances particulières sur des questions techniques pertinentes.

    4.   L’employeur peut procéder à des licenciements collectifs dans la limite de ce qui est prévu par la décision du préfet ou du [ministre]. S’il ne prend pas de telles décisions dans les délais prévus, les licenciements collectifs sont effectués dans la mesure consentie par l’employeur lors des consultations. »

    11

    L’article 6, paragraphe 1, de la loi no 1387/1983 dispose que « les licenciements collectifs effectués en violation de la présente loi sont nuls ».

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    12

    AGET Iraklis, dont le principal actionnaire est le groupe multinational français, Lafarge, produit du ciment dans trois usines situées, respectivement, à Agria Volou, à Aliveri et à Chalkida (Grèce).

    13

    Durant la période s’étant écoulée entre le mois de novembre 2011 et le mois de décembre 2012, AGET Iraklis a, à diverses reprises, invité les travailleurs de son usine de Chalkida à des réunions afin d’envisager des adaptations des activités au sein de cette usine eu égard à une chute de la demande de ciment, tout en évitant des licenciements collectifs.

    14

    Invoquant, notamment, une contraction des activités de construction dans la région de l’Attique (Grèce) et l’existence de capacités de production excédentaires ainsi que la nécessité de préserver la viabilité de l’entreprise et les conditions du développement des activités du groupe tant sur le marché grec qu’à l’étranger, le conseil d’administration d’AGET Iraklis a, par décision du 25 mars 2013, approuvé un plan de restructuration prévoyant l’arrêt définitif de l’usine de Chalkida, qui occupait alors 236 travailleurs, ainsi qu’un recentrage de la production dans les deux autres usines moyennant un accroissement de la productivité de celles-ci.

    15

    Par courriers des 26 mars et 1er avril 2013, AGET Iraklis a invité l’Enosi Ergazomenon Tsimenton Chalkidas (syndicat représentant les travailleurs de l’usine de Chalkida, ci-après le « syndicat ») à des rencontres devant se tenir, respectivement, le 29 mars et le 4 avril 2013, à des fins de communication d’informations sur les motifs ayant conduit à l’adoption du plan susmentionné et sur les modalités des licenciements envisagés ainsi que de consultation quant aux possibilités d’éviter ou de réduire ces licenciements et leurs conséquences néfastes.

    16

    Le syndicat n’ayant donné suite à aucune de ces deux invitations, AGET Iraklis a, le 16 avril 2013, soumis au ministre une demande d’approbation du projet de licenciement collectif en cause.

    17

    La direction de l’emploi du ministère du Travail a établi un rapport prenant en compte les conditions du marché du travail, la situation de l’entreprise et l’intérêt de l’économie nationale et recommandant le rejet de cette demande en raison de l’absence de plan d’intégration des travailleurs concernés dans d’autres usines appartenant à AGET Iraklis et de ce que les statistiques de l’Office hellénique de l’emploi révélaient un taux de chômage de plus en plus élevé.

    18

    Dans son avis rendu à la demande du ministre, le Conseil supérieur du Travail s’est, après avoir entendu AGET Iraklis et le syndicat, prononcé en défaveur de l’autorisation du projet de licenciement collectif en cause, en considérant que la motivation de ce dernier était insuffisante, dans la mesure, en particulier, où le caractère nécessaire des licenciements envisagés n’avait pas été étayé par des éléments de preuve concrets et circonstanciés et où les arguments invoqués par AGET Iraklis apparaissaient trop vagues.

    19

    Se fondant sur ledit avis, le ministre a, le 26 avril 2013, décidé de ne pas autoriser ce projet de licenciement collectif.

    20

    À l’appui du recours tendant à l’annulation de cette décision qu’elle a introduit devant le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), AGET Iraklis soutient, notamment, que l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 1387/1983, sur la base duquel a été adoptée ladite décision, viole tant la directive 98/59 que les articles 49 et 63 TFUE, lus en combinaison avec l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

    21

    Ladite juridiction est d’avis que, bien qu’un régime d’autorisation administrative tel que celui qu’institue ladite disposition nationale ne soit pas prévu par la directive 98/59, une telle mesure pourrait, dès lors qu’elle est plus favorable aux travailleurs que ne le sont celles que prévoit cette directive, trouver un fondement dans l’article 5 de cette dernière.

    22

    À supposer que tel soit le cas, cette même juridiction éprouve, toutefois, des doutes quant au point de savoir s’il est compatible avec les objectifs et l’effet utile de la directive 98/59 de faire dépendre la délivrance d’une telle autorisation de critères tels que les conditions du marché du travail et l’intérêt de l’économie nationale, dans la mesure où de tels critères, même s’ils sont rattachables aux objectifs légitimes d’intérêt général que sont la lutte contre le chômage et le développement économique national, seraient susceptibles de conduire, tout à la fois, à des divergences entre les États membres, à un remplacement des procédures d’information et de consultation prévues par cette directive par une procédure d’autorisation et à une restriction disproportionnée de la liberté d’entreprendre de l’employeur.

    23

    Par ailleurs, la juridiction de renvoi est d’avis que, compte tenu du caractère transfrontalier de la situation en cause au principal, découlant de la circonstance qu’AGET Iraklis fait partie d’un groupe multinational français, les articles 49 et 63 TFUE ont également vocation à s’appliquer en l’occurrence. À cet égard, une disposition nationale telle que celle en cause au principal serait, en raison de l’importance de la restriction qu’elle comporte à l’endroit de la liberté de gestion des entreprises, de nature à décourager, de manière potentiellement considérable, l’exercice, par les opérateurs établis dans d’autres États membres, des libertés garanties par ces articles. Ladite juridiction relève également que les dispositions de la Charte, et, notamment, l’article 16 de celle-ci consacrant la liberté d’entreprise, ont vocation à être appliquées dans toutes les situations régies par le droit de l’Union.

    24

    La question se poserait toutefois de savoir si, en dépit de cet impact potentiel sur lesdites libertés et sur la liberté d’entreprise, une telle entrave ne pourrait pas, singulièrement en présence d’une crise économique aigüe accompagnée d’un taux de chômage inhabituellement élevé avoisinant, en Grèce, les 27 %, bénéficier de justifications tirées de raisons impérieuses d’intérêt général, en particulier au titre de la politique de l’emploi dans laquelle les États membres conserveraient une large marge d’appréciation.

    25

    C’est dans ces conditions que le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Une disposition nationale telle que l’article 5, paragraphe 3, de la loi no 1387/1983, qui subordonne la mise en œuvre de licenciements collectifs dans une entreprise à une autorisation que l’administration délivre sur la base de critères tenant a) aux conditions régnant sur le marché du travail, b) à la situation de l’entreprise et c) à l’intérêt de l’économie nationale, est-elle compatible, en particulier, avec les dispositions de la directive 98/59 et, plus généralement, avec les articles 49 et 63 TFUE ?

    2)

    En cas de réponse négative à la première question, une telle disposition nationale est-elle compatible, en particulier, avec les dispositions de la directive 98/59 et, plus généralement, avec les articles 49 et 63 TFUE, lorsqu’existent pour cela de sérieuses raisons sociales telles qu’une crise économique aiguë et un taux de chômage particulièrement élevé ? »

    Sur les questions préjudicielles

    Sur la première question

    26

    Par sa première question, la juridiction de renvoi vise à savoir, en substance, si les dispositions de la directive 98/59 et/ou celles des articles 49 et 63 TFUE doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un employeur ne peut, en l’absence d’accord avec les représentants des travailleurs sur un projet de licenciement collectif, procéder à un tel licenciement qu’à la condition que l’autorité publique nationale compétente à laquelle doit être notifié ce projet n’adopte pas, dans le délai prévu par ladite réglementation et après examen du dossier et évaluation des conditions du marché du travail, de la situation de l’entreprise ainsi que de l’intérêt de l’économie nationale, une décision motivée de ne pas autoriser la réalisation de tout ou partie des licenciements envisagés.

    Sur la directive 98/59

    27

    Il ressort du considérant 2 de la directive 98/59 que celle-ci vise à renforcer la protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs. Selon les considérants 3 et 7 de cette directive, ce sont notamment des différences subsistant entre les dispositions en vigueur dans les États membres en ce qui concerne les mesures susceptibles d’atténuer les conséquences des licenciements collectifs qui doivent faire l’objet d’un rapprochement des législations (voir, notamment, arrêt du 12 octobre 2004, Commission/Portugal,C‑55/02, EU:C:2004:605, point 52).

    28

    S’agissant de l’objectif principal de la directive 98/59, à savoir faire précéder les licenciements collectifs d’une consultation des représentants des travailleurs et de l’information de l’autorité publique compétente, il convient de rappeler que, d’une part, aux termes de l’article 2, paragraphe 2, de cette directive, les consultations portent sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement visant notamment l’aide au reclassement ou à la reconversion des travailleurs licenciés. D’autre part, selon l’article 2, paragraphe 3, et l’article 3, paragraphe 1, de ladite directive, l’employeur doit notifier à l’autorité publique tout projet de licenciement collectif et lui transmettre les éléments et les renseignements mentionnés à ces dispositions (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2009, Rodríguez Mayor e.a.,C‑323/08, EU:C:2009:770, points 43 et 44).

    29

    La directive 98/59 de même que, auparavant, la directive 75/129, à laquelle elle s’est substituée, n’assurent, de la sorte, qu’une harmonisation partielle des règles de protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs, à savoir la procédure à suivre lors de tels licenciements (voir, en ce sens, arrêt du 10 décembre 2009, Rodríguez Mayor e.a.,C‑323/08, EU:C:2009:770, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

    30

    C’est ainsi que ni la directive 98/59 ni, auparavant, la directive 75/129 ne portent atteinte à la liberté de l’employeur de procéder ou de ne pas procéder à des licenciements collectifs (voir, à propos de la directive 75/129, arrêts du 12 février 1985, Dansk Metalarbejderforbund et Specialarbejderforbundet i Danmark, 284/83, EU:C:1985:61, point 10, ainsi que du 7 septembre 2006, Agorastoudis e.a.,C‑187/05 à C‑190/05, EU:C:2006:535, point 35).

    31

    Lesdites directives ne précisent notamment pas les circonstances dans lesquelles l’employeur doit envisager des licenciements collectifs et ne touchent en rien à sa liberté de jugement quant à savoir si et quand il doit former un projet de licenciement collectif (voir, à propos de la directive 75/129, arrêt du 12 février 1985, Dansk Metalarbejderforbund et Specialarbejderforbundet i Danmark, 284/83, EU:C:1985:61, point 15).

    32

    Si, en harmonisant ainsi les règles applicables aux licenciements collectifs, le législateur de l’Union a entendu, tout à la fois, assurer une protection comparable des droits des travailleurs dans les différents États membres et rapprocher les charges qu’entraînent ces règles de protection pour les entreprises de l’Union européenne (voir, notamment, arrêt du 9 juillet 2015, Balkaya,C‑229/14, EU:C:2015:455, point 32 et jurisprudence citée), il n’en ressort pas moins de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’article 5 de la directive 98/59 que celle-ci vise, à cet égard, à instaurer une protection minimale relative à l’information et à la consultation des travailleurs en cas de licenciements collectifs et que les États membres restent libres d’adopter des mesures nationales plus favorables auxdits travailleurs (voir, notamment, arrêt du 18 janvier 2007, Confédération générale du travail e.a.,C‑385/05, EU:C:2007:37, point 44).

    33

    Il découle de tout ce qui précède que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 30 de ses conclusions, les conditions de fond auxquelles se trouve, le cas échéant, soumise la possibilité pour l’employeur de procéder ou non à des licenciements collectifs ne relèvent pas, en principe, de l’application de la directive 98/59 et demeurent, en conséquence, du ressort des États membres.

    34

    Il s’ensuit, de même, que ladite directive ne saurait, en principe, être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à un régime national conférant à une autorité publique le pouvoir d’empêcher de tels licenciements par une décision motivée adoptée après un examen du dossier et la prise en compte de critères de fond prédéterminés.

    35

    Il convient, toutefois, de préciser, à cet égard, qu’il en irait, par exception, autrement, dans l’hypothèse où un tel régime national aurait, eu égard à ses modalités plus précises ou à la manière dont il est concrètement mis en œuvre par l’autorité publique compétente, pour effet de priver les dispositions des articles 2 à 4 de la directive 98/59 de leur effet utile.

    36

    En effet, ainsi que l’a itérativement jugé la Cour, s’il est vrai que la directive 98/59 n’assure qu’une harmonisation partielle des règles de protection des travailleurs en cas de licenciements collectifs, il n’en demeure pas moins que le caractère limité d’une telle harmonisation ne saurait avoir pour conséquence de priver d’effet utile les dispositions de cette directive (voir, en ce sens, s’agissant de la directive 75/129, arrêt du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni,C‑383/92, EU:C:1994:234, point 25, et, s’agissant de la directive 98/59, arrêt du 16 juillet 2009, Mono Car Styling,C‑12/08, EU:C:2009:466, point 35).

    37

    Partant, un État membre ne saurait, notamment, adopter une mesure nationale qui, bien que de nature à garantir à un niveau renforcé la protection des droits des travailleurs contre les licenciements collectifs aurait, cependant, pour conséquence de priver les articles 2 à 4 de ladite directive de leur effet utile.

    38

    Il en irait ainsi en présence d’une réglementation nationale soumettant les licenciements collectifs à l’assentiment préalable d’une autorité publique si, en raison, par exemple, des critères au regard desquels ladite autorité est appelée à se prononcer ou de la manière dont celle-ci interprète et applique concrètement ceux-ci, toute possibilité effective pour l’employeur de procéder à de tels licenciements collectifs se trouvait, en pratique, exclue.

    39

    En effet, ainsi que l’a déjà relevé la Cour, l’article 2 de la directive 98/59 impose une obligation de négociation (arrêt du 27 janvier 2005, Junk,C‑188/03, EU:C:2005:59, point 43). Il ressort des termes de cette disposition que les consultations à mener doivent avoir lieu en vue d’aboutir à un accord, porter au moins sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements collectifs envisagés ainsi que sur les possibilités d’en atténuer les conséquences par le recours à des mesures sociales d’accompagnement et permettre aux représentants des travailleurs de formuler des propositions constructives sur la base d’une série d’informations devant être mises à leur disposition par l’employeur.

    40

    Pour leur part, les articles 3 et 4 de la directive 98/59 prévoient que les projets de licenciements collectifs doivent être notifiés à l’autorité publique compétente et que de tels licenciements ne peuvent prendre effet qu’au terme d’un certain délai que cette autorité doit mettre à profit pour chercher des solutions aux problèmes posés par les licenciements collectifs ainsi envisagés.

    41

    De telles dispositions, qui, ainsi qu’il a été rappelé aux points 27 et 32 du présent arrêt, visent notamment à renforcer la protection des travailleurs tout en rapprochant les charges qu’entraînent ces règles de protection pour les entreprises, reposent manifestement sur le présupposé selon lequel des licenciements collectifs doivent, une fois épuisées les procédures instituées par ces dispositions, et ce y compris dans l’hypothèse où les consultations n’ont pas permis d’aboutir à un accord, à tout le moins demeurer envisageables, fût-ce à la condition qu’il soit par ailleurs satisfait à certaines exigences objectives qui seraient, le cas échéant, fixées par la réglementation nationale applicable.

    42

    À cet égard, AGET Iraklis a notamment soutenu devant la Cour que l’autorité publique compétente s’est systématiquement opposée aux projets de licenciement collectif lui ayant été notifiés, ce qui a notamment eu pour conséquence que les représentants des travailleurs s’abstiennent le plus souvent, ainsi que ce fut le cas dans le contexte de l’affaire au principal, de participer à des consultations aux fins de tenter de trouver un accord sur les possibilités d’éviter ou de réduire les licenciements envisagés et d’en atténuer les conséquences.

    43

    C’est, toutefois, à la juridiction de renvoi, qui dispose seule des informations utiles à cet égard, qu’il appartiendra, s’il y a lieu, de vérifier si, en raison des trois critères d’évaluation rappelés au point 26 du présent arrêt au regard desquels l’autorité publique compétente est appelée à se prononcer sur les projets de licenciements collectifs qui lui ont été notifiés et de la manière dont cette autorité applique concrètement lesdits critères, la réglementation en cause au principal a pour conséquence que toute possibilité effective pour l’employeur de procéder à des licenciements collectifs se trouve, en pratique, exclue, de telle sorte que les dispositions de la directive 98/59 se seraient trouvées privées d’effet utile.

    44

    Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première branche de la première question que la directive 98/59 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un employeur ne peut, en l’absence d’accord avec les représentants des travailleurs sur un projet de licenciement collectif, procéder à un tel licenciement qu’à la condition que l’autorité publique nationale compétente à laquelle doit être notifié ce projet n’adopte pas, dans le délai prévu par ladite réglementation et après examen du dossier et évaluation des conditions du marché du travail, de la situation de l’entreprise ainsi que de l’intérêt de l’économie nationale, une décision motivée de ne pas autoriser la réalisation de tout ou partie des licenciements envisagés. Il en va, toutefois, différemment s’il s’avère, ce qu’il appartient, le cas échéant, à la juridiction de renvoi de vérifier, que, eu égard aux trois critères d’évaluation auxquels renvoie cette réglementation et à l’application concrète qu’en fait ladite autorité publique sous le contrôle des juridictions compétentes, ladite réglementation a pour conséquence de priver les dispositions de cette directive de leur effet utile.

    Sur les articles 49 et 63 TFUE

    – Sur l’applicabilité de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, et/ou de l’article 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux, et sur l’existence d’une restriction de l’une et/ou de l’autre de ces libertés

    45

    La liberté d’établissement que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants des États membres et qui comporte pour eux l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants, comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (voir, notamment, arrêt du 13 décembre 2005, Marks & Spencer, C‑446/03, EU:C:2005:763, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

    46

    Relève ainsi notamment de la liberté d’établissement la situation dans laquelle une société établie dans un État membre crée une filiale dans un autre État membre. Il en va de même, aux termes d’une jurisprudence constante, lorsqu’une telle société ou un ressortissant d’un État membre acquiert, dans le capital d’une société établie dans un autre État membre, une participation lui permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de cette société et d’en déterminer les activités (voir, en ce sens, arrêts du 21 octobre 2010, Idryma Typou,C‑81/09, EU:C:2010:622, point 47 et jurisprudence citée, ainsi que du 8 novembre 2012, Commission/Grèce,C‑244/11, EU:C:2012:694, point 21 et jurisprudence citée).

    47

    Tel est le cas dans le cadre de l’affaire au principal, dès lors que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, le groupe multinational Lafarge, dont le siège est en France, détient dans AGET Iraklis des participations qui en font l’actionnaire principal de cette dernière et qu’AGET Iraklis a précisé, à cet égard, lors de l’audience, en réponse à une question de la Cour, que lesdites participations s’élevaient, à l’époque à laquelle a été formé le projet de licenciement litigieux, à 89 % de son capital.

    48

    Il est de jurisprudence constante que la notion de « restriction » au sens de l’article 49 TFUE porte, notamment, sur les mesures qui, même applicables sans discrimination tenant à la nationalité, sont susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice de la liberté d’établissement (voir, notamment, arrêts du 21 avril 2005, Commission/Grèce,C‑140/03, EU:C:2005:242, point 27, et du 21 octobre 2010, Idryma Typou,C‑81/09, EU:C:2010:622, point 54).

    49

    Ladite notion couvre ainsi notamment les mesures prises par un État membre qui, quoique indistinctement applicables, affectent l’accès au marché pour les entreprises d’autres États membres et entravent ainsi le commerce intracommunautaire (voir, notamment, arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie,C‑518/06, EU:C:2009:270, point 64 et jurisprudence citée).

    50

    S’agissant de l’accès au marché d’un État membre devant ainsi se trouver garanti, il convient de rappeler que, aux termes d’une jurisprudence constante, l’objectif de la liberté d’établissement garantie à l’article 49 TFUE est de permettre à un ressortissant d’un État membre ou à une personne morale établie dans celui-ci de créer un établissement secondaire dans un autre État membre pour y exercer ses activités et de favoriser ainsi l’interpénétration économique et sociale à l’intérieur de l’Union dans le domaine des activités non salariées. La liberté d’établissement entend, à cette fin, permettre à un tel ressortissant ou à une telle personne morale de l’Union de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d’un État membre autre que son État membre d’origine et d’en tirer profit en exerçant de manière effective dans l’État membre d’accueil une activité économique au moyen d’une installation stable et pour une durée indéterminée (voir, notamment, arrêt du 23 février 2016, Commission/Hongrie,C‑179/14, EU:C:2016:108, point 148 et jurisprudence citée).

    51

    La notion d’établissement suppose, par conséquent, une implantation réelle de la société concernée dans cet État et l’exercice d’une activité économique effective dans celui-ci (voir, notamment, arrêt du 12 juillet 2012, VALE,C‑378/10, EU:C:2012:440, point 34 et jurisprudence citée).

    52

    L’exercice effectif de la liberté d’établissement implique ainsi, notamment, en tant que complément nécessaire à celle-ci, que la filiale, l’agence ou la succursale créée par une personne morale établie dans un autre État membre puisse, le cas échéant, et si l’activité qu’elle entend déployer dans l’État membre d’accueil le requiert, engager des travailleurs dans cet État membre (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 1986, Segers,79/85, EU:C:1986:308, point 15).

    53

    Un tel exercice implique, en principe, également, la liberté de déterminer la nature et l’ampleur de l’activité économique qui sera déployée dans l’État membre d’accueil et notamment la taille des installations stables et le nombre de travailleurs requis à cette fin, de même que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 65 de ses conclusions, la liberté de réduire, par la suite, le volume de cette activité voire celle de renoncer, le cas échéant, à celle-ci et audit établissement.

    54

    Il y a lieu de souligner, à ces divers égards, que, en vertu de la réglementation en cause au principal, c’est la possibilité même, pour un tel établissement, de procéder à un licenciement collectif qui se trouve en l’occurrence soumise à une exigence d’absence d’opposition de l’autorité publique compétente. Or, la décision de procéder à un licenciement collectif constitue une décision fondamentale dans la vie d’une entreprise (voir, par analogie, à propos de décisions portant sur la dissolution volontaire, la scission ou la fusion, arrêt du 13 mai 2003, Commission/Espagne,C‑463/00, EU:C:2003:272, point 79).

    55

    Force est de constater, à cet égard, qu’une telle réglementation nationale constitue une ingérence importante dans certaines libertés dont jouissent, généralement, les opérateurs économiques (voir, par analogie, arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie,C‑518/06, EU:C:2009:270, point 66). Il en va de la sorte de la liberté de tels opérateurs de contracter avec les travailleurs aux fins de pouvoir mener leurs activités ou encore de celle de mettre fin, pour des raisons qui leur sont propres, à l’activité de leur établissement, ainsi que de leur liberté de jugement quant à savoir si et quand ils doivent former un projet de licenciement collectif, en fonction, notamment, de facteurs tels que la cessation ou la réduction de l’activité de l’entreprise, la baisse de la demande du produit qu’ils fabriquent ou, encore, à la suite d’une réorganisation de l’entreprise indépendante du niveau d’activités de cette dernière (voir, en ce sens, arrêts du 12 février 1985, Dansk Metalarbejderforbund et Specialarbejderforbundet i Danmark, 284/83, EU:C:1985:61, point 15, ainsi que du 8 juin 1994, Commission/Royaume-Uni,C‑383/92, EU:C:1994:234, points 29 et 32).

    56

    Une réglementation nationale telle que celle en cause au principal est ainsi de nature à rendre moins attrayant un accès au marché grec et, en cas d’accès à ce marché, à réduire considérablement, voire à supprimer, les possibilités, pour les opérateurs d’autres États membres ayant ainsi fait le choix de s’installer sur un nouveau marché, de moduler, par la suite, leur activité sur celui-ci ou d’y renoncer, en se séparant, dans ces perspectives, des travailleurs précédemment engagés.

    57

    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer qu’une telle réglementation nationale est susceptible de constituer un obstacle sérieux à l’exercice de la liberté d’établissement en Grèce.

    58

    Quant à l’article 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux, relèvent de cette disposition les investissements directs sous forme de participation à une entreprise par la détention d’actions qui confère la possibilité de participer effectivement à sa gestion et à son contrôle, ainsi que les investissements de portefeuille, c’est-à-dire l’acquisition de titres sur le marché des capitaux effectuée dans la seule intention de réaliser un placement financier sans intention d’influer sur la gestion et le contrôle de l’entreprise (voir arrêt du 21 octobre 2010, Idryma Typou,C‑81/09, EU:C:2010:622, point 48 et jurisprudence citée).

    59

    S’agissant de l’affaire au principal, toutefois, il est constant que la société envisageant en l’occurrence de procéder à des licenciements collectifs est une société dans le capital de laquelle un groupe multinational de sociétés établi dans un autre État membre dispose d’une participation majoritaire lui permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions de ladite société et d’en déterminer les activités et qu’un tel cas de figure relève, ainsi qu’il a été relevé au point 47 du présent arrêt, de la liberté d’établissement. Dans ces conditions, à supposer que la réglementation en cause au principal produise des effets restrictifs sur la libre circulation des capitaux, ceux-ci seraient, dans le cadre d’une telle affaire, la conséquence inéluctable d’une éventuelle entrave à la liberté d’établissement et ne justifieraient pas un examen autonome au regard de l’article 63 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2009, Commission/Italie,C‑326/07, EU:C:2009:193, point 39 et jurisprudence citée, ainsi que du 8 novembre 2012, Commission/Grèce,C‑244/11, EU:C:2012:694, point 30).

    60

    Dès lors, il n’est pas nécessaire d’examiner séparément la réglementation en cause au principal à la lumière des règles du traité FUE relatives à la libre circulation des capitaux.

    – Sur la justification éventuelle

    61

    Il résulte d’une jurisprudence constante qu’une restriction à la liberté d’établissement ne saurait être admise que si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, dans cette hypothèse, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, notamment, arrêts du 29 novembre 2011, National Grid Indus,C‑371/10, EU:C:2011:785, point 42 et jurisprudence citée, ainsi que du 23 février 2016, Commission/Hongrie,C‑179/14, EU:C:2016:108, point 166).

    62

    Ainsi que le rappelle, dans le contexte de la présente affaire, la juridiction de renvoi, il est également de jurisprudence constante que les droits fondamentaux garantis par la Charte ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union et qu’ils doivent, ainsi, notamment être respectés lorsqu’une réglementation nationale entre dans le champ d’application de ce droit (voir, notamment, arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson,C‑617/10, EU:C:2013:105, points 19 à 21).

    63

    Tel est notamment le cas lorsqu’une réglementation nationale est de nature à entraver l’une ou plusieurs des libertés fondamentales garanties par le traité et que l’État membre concerné invoque des raisons impérieuses d’intérêt général pour justifier une telle entrave. En pareille hypothèse, la réglementation nationale concernée ne pourra bénéficier des exceptions ainsi prévues que si elle est conforme aux droits fondamentaux dont la Cour assure le respect (voir arrêts du 18 juin 1991, ERT,C‑260/89, EU:C:1991:254, point 43, ainsi que du 30 avril 2014, Pfleger e.a.,C‑390/12, EU:C:2014:281, point 35).

    64

    En effet, cette obligation de conformité aux droits fondamentaux relève du champ d’application du droit de l’Union, et, en conséquence, de celui de la Charte. L’emploi, par un État membre, d’exceptions prévues par le droit de l’Union pour justifier une entrave à une liberté fondamentale garantie par le traité doit, dès lors, être considéré comme « mettant en œuvre le droit de l’Union », au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêt du 30 avril 2014, Pfleger e.a.,C‑390/12, EU:C:2014:281, point 36).

    65

    Or, ainsi qu’il a été relevé aux points 54 à 57 du présent arrêt, la réglementation en cause au principal constitue une restriction à la liberté d’établissement. Dès lors que, pour justifier cette restriction, sont invoquées, selon les indications de la juridiction de renvoi mentionnées au point 22 du présent arrêt, des raisons impérieuses d’intérêt général, ladite réglementation ne peut bénéficier d’une telle justification que si elle est conforme aux droits fondamentaux.

    66

    En l’occurrence, il y a lieu de constater qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal emporte, ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, une limitation à l’exercice de la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte.

    67

    La Cour a, en effet, déjà jugé que la protection conférée par cette dernière disposition comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre (arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich,C‑283/11, EU:C:2013:28, point 42).

    68

    S’agissant de la liberté contractuelle, la Cour a ainsi jugé, à propos de la négociation de conventions collectives de travail, que l’article 16 de la Charte impliquait notamment qu’une entreprise doit avoir la possibilité de faire valoir efficacement ses intérêts dans un processus contractuel auquel elle participe et de négocier les éléments déterminant l’évolution des conditions de travail de ses employés en vue de sa future activité économique (arrêt du 18 juillet 2013, Alemo-Herron e.a.,C‑426/11, EU:C:2013:521, point 33).

    69

    Il ne saurait ainsi être contesté que la mise en place d’un régime d’encadrement des licenciements collectifs tel que celui en cause au principal est constitutive d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’entreprise et, en particulier, de la liberté contractuelle dont disposent en principe les entreprises, notamment à l’égard des travailleurs qu’elles emploient, puisqu’il est constant que, en vertu de ce régime, l’opposition de l’autorité nationale à certains projets de licenciement collectif peut conduire à empêcher la concrétisation de ceux-ci par l’employeur.

    70

    À cet égard, il convient néanmoins de rappeler que l’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet que des limitations puissent être apportées à l’exercice de droits consacrés par celle-ci pour autant que ces limitations sont prévues par la loi, qu’elles respectent le contenu essentiel desdits droits et libertés et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui (voir, notamment, arrêt du 31 janvier 2013, McDonagh,C‑12/11, EU:C:2013:43, point 61).

    – Sur les raisons impérieuses d’intérêt général

    71

    La réglementation en cause au principal, qui confère à l’autorité nationale compétente, en l’absence d’accord entre l’employeur et les représentants des travailleurs sur un projet de licenciement collectif, le pouvoir de ne pas autoriser le licenciement collectif envisagé, fait état de trois critères que cette autorité est appelée à prendre en compte à l’occasion de l’examen du dossier qui lui est soumis, à savoir, respectivement, les conditions du marché du travail, la situation de l’entreprise et l’intérêt de l’économie nationale. Il en découle, ainsi que le souligne la juridiction de renvoi dans sa décision de renvoi, que les objectifs d’intérêt général en l’occurrence poursuivis par cette réglementation ont trait, tant à la protection des travailleurs et à la lutte contre le chômage qu’à la sauvegarde de l’intérêt de l’économie nationale.

    72

    S’agissant de la sauvegarde de l’intérêt de l’économie nationale, il est de jurisprudence constante que des motifs de nature purement économique, tels que, notamment, la promotion de l’économie nationale ou le bon fonctionnement de celle-ci, ne sauraient servir de justification à des entraves prohibées par le traité (voir en ce sens, notamment, arrêts du 5 juin 1997, SETTG,C‑398/95, EU:C:1997:282, points 22 et 23 ; du 6 juin 2000, Verkooijen,C‑35/98, EU:C:2000:294, points 47 et 48, ainsi que du 4 juin 2002, Commission/Portugal,C‑367/98, EU:C:2002:326, point 52 et jurisprudence citée).

    73

    Figure, en revanche, parmi les raisons impérieuses d’intérêt général reconnues par la Cour, la protection des travailleurs (voir, notamment, arrêts du 23 novembre 1999, Arblade e.a.,C‑369/96 et C‑376/96, EU:C:1999:575, point 36 ; du 13 décembre 2005, SEVIC Systems,C‑411/03, EU:C:2005:762, point 28, ainsi que du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, C‑438/05, EU:C:2007:772, point 77).

    74

    Il en va de même de la promotion de l’emploi et de l’embauche qui, visant notamment à diminuer le chômage, constitue un objectif légitime de politique sociale (voir, en ce sens, arrêts du 11 janvier 2007, ITC,C‑208/05, EU:C:2007:16, points 38 et 39 ; du 18 janvier 2007, Confédération générale du travail e.a.,C‑385/05, EU:C:2007:37, point 28, ainsi que du 13 décembre 2012, Caves Krier Frères,C‑379/11, EU:C:2012:798, point 51).

    75

    La Cour a ainsi notamment déjà admis que des considérations tenant au maintien de l’emploi puissent constituer, dans certaines circonstances et sous certaines conditions, des justifications acceptables d’une réglementation nationale ayant pour effet d’entraver la liberté d’établissement (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2007, Geurts et Vogten, C‑464/05, EU:C:2007:631, point 26).

    76

    Il convient d’ajouter, en ce qui concerne les raisons impérieuses d’intérêt général ainsi rappelées aux points 73 à 75 du présent arrêt, que, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 3, TUE, l’Union établit non seulement un marché intérieur, mais œuvre également pour le développement durable de l’Europe, lequel est notamment fondé sur une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et elle promeut, notamment, la protection sociale (voir, à propos du traité CE, arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, C‑438/05, EU:C:2007:772, point 78).

    77

    L’Union ayant dès lors non seulement une finalité économique, mais également une finalité sociale, les droits résultant des dispositions du traité relatives à libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux doivent être mis en balance avec les objectifs poursuivis par la politique sociale, parmi lesquels figurent, ainsi qu’il ressort de l’article 151, premier alinéa, TFUE, la promotion de l’emploi, l’amélioration des conditions de vie et de travail, permettant leur égalisation dans le progrès, une protection sociale adéquate, le dialogue social, le développement des ressources humaines permettant un niveau d’emploi élevé et durable et la lutte contre les exclusions (voir, en ce sens, à propos des dispositions correspondantes du traité CE, arrêt du 11 décembre 2007, International Transport Workers’ Federation et Finnish Seamen’s Union, C‑438/05, EU:C:2007:772, point 79).

    78

    Dans le même esprit, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 147, paragraphe 1, TFUE, l’Union contribue à la réalisation d’un niveau d’emploi élevé en encourageant la coopération entre les États membres et en soutenant, et, au besoin, en complétant leur action, et ce tout en respectant pleinement les compétences des États membres en la matière. Pour sa part, l’article 147, paragraphe 2, TFUE énonce que l’objectif consistant à atteindre un niveau d’emploi élevé est pris en compte dans la définition et la mise en œuvre des politiques et des actions de l’Union. L’article 9 TFUE, enfin, précise que, dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union prend notamment en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé et à la garantie d’une protection sociale adéquate.

    – Sur la proportionnalité

    79

    Il convient à présent de vérifier si les restrictions à la liberté d’établissement et à la liberté d’entreprendre qu’engendre une réglementation nationale telle que celle en cause au principal est susceptible d’être justifiée par les raisons d’intérêt général identifiées aux points 73 à 75 du présent arrêt, à savoir la protection des travailleurs et de l’emploi.

    80

    Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 61 du présent arrêt, pour qu’il en aille ainsi, il faut que lesdites restrictions soient propres à garantir l’objectif d’intérêt général qu’elles poursuivent et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre.

    81

    À cet égard, il importe également de rappeler que, si, ainsi que l’a itérativement souligné la Cour, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation lors du choix des mesures susceptibles de réaliser les objectifs de leur politique sociale, il demeure, toutefois, que cette marge d’appréciation ne saurait justifier qu’il soit porté atteinte aux droits que les particuliers tirent des dispositions des traités consacrant leurs libertés fondamentales (voir, en ce sens, arrêts du 11 janvier 2007, ITC,C‑208/05, EU:C:2007:16, points 39 et 40 ; du 18 janvier 2007, Confédération générale du travail e.a.,C‑385/05, EU:C:2007:37, points 28 et 29, ainsi que du 13 décembre 2012, Caves Krier Frères,C‑379/11, EU:C:2012:798, points 51 et 52).

    82

    Par ailleurs, et ainsi qu’il a été rappelé au point 70 du présent arrêt, les limitations apportées au libre exercice des droits et libertés fondamentales garantis par la Charte, et en l’occurrence à la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de celle-ci, doivent également respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés.

    83

    À ces divers égards, il convient, en premier lieu, de constater que le simple fait pour un État membre de prévoir, dans sa législation nationale, que les projets de licenciement collectif doivent, préalablement à toute mise en œuvre, être notifiés à une autorité nationale, laquelle se trouve dotée de pouvoirs de contrôle lui permettant, en certaines circonstances, de s’opposer à un tel projet pour des motifs ayant trait à la protection des travailleurs et de l’emploi, ne saurait être tenu pour contraire à la liberté d’établissement garantie par l’article 49 TFUE ni à la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte.

    84

    En effet, d’une part, un mécanisme d’encadrement des licenciements collectifs tel que celui décrit au point précédent ne paraît pas, quant à son principe, de nature à affecter le contenu essentiel de la liberté d’entreprise consacrée à l’article 16 de la Charte.

    85

    Si, ainsi qu’il a été relevé au point 69 du présent arrêt, la mise en place d’un tel régime d’encadrement est constitutive d’une ingérence dans l’exercice de la liberté d’entreprise et, en particulier, de la liberté contractuelle dont disposent les entreprises, notamment à l’égard des travailleurs qu’elles emploient, il convient de rappeler, à cet égard, que, aux termes d’une jurisprudence constante de la Cour, la liberté d’entreprendre n’apparaît pas comme une prérogative absolue, mais doit être prise en considération par rapport à sa fonction dans la société (voir, notamment, arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich,C‑283/11, EU:C:2013:28, point 45 et jurisprudence citée).

    86

    Sur le fondement de cette jurisprudence et eu égard au libellé de l’article 16 de la Charte, qui se distingue de celui des autres libertés fondamentales consacrées au titre II de celle-ci tout en étant proche de celui de certaines dispositions du titre IV de cette même Charte, la liberté d’entreprise peut être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique (arrêt du 22 janvier 2013, Sky Österreich,C‑283/11, EU:C:2013:28, point 46).

    87

    La Cour a, certes, déjà jugé, à propos d’une réglementation nationale en vertu de laquelle certaines entreprises n’avaient aucune possibilité de participer à l’organisme de négociation collective appelé à décider de conventions collectives ni, partant, de faculté de faire valoir efficacement leurs intérêts dans un processus contractuel ou de négocier les éléments déterminant l’évolution des conditions de travail de leurs employés en vue de leur future activité économique, que, en pareil cas, la liberté contractuelle desdites entreprises se trouvait sérieusement réduite au point qu’une telle limitation était susceptible de porter atteinte à la substance même de leur droit à la liberté d’entreprise (arrêt du 18 juillet 2013, Alemo-Herron e.a.,C‑426/11, EU:C:2013:521, points 34 et 35).

    88

    Toutefois, il suffit de relever, en l’occurrence, qu’un régime tel que celui décrit au point 83 du présent arrêt n’a, quant à lui, aucunement pour conséquence d’exclure, de par sa nature même, toute possibilité pour les entreprises de procéder à des licenciements collectifs, dès lors qu’il vise uniquement à encadrer une telle possibilité. Partant, il ne saurait être considéré qu’un tel régime affecte le contenu essentiel de la liberté d’entreprise.

    89

    D’autre part, il y a lieu de rappeler que l’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet que des limitations puissent être apportées à l’exercice de droits consacrés par celle-ci, pour autant, notamment, que, dans le respect du principe de proportionnalité, elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêts général reconnus ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. S’agissant de ces derniers, il convient de noter que l’article 30 de la Charte énonce que tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de l’Union et aux législations et aux pratiques nationales.

    90

    Ainsi, un régime national d’encadrement tel que visé au point 83 du présent arrêt doit tendre, dans ce domaine sensible, à une conciliation et à un juste équilibre entre les intérêts liés à la protection des travailleurs et de l’emploi, notamment contre des licenciements injustifiés et contre les conséquences des licenciements collectifs pour les travailleurs, et, ceux ayant trait à la liberté d’établissement et à la liberté d’entreprendre des opérateurs économiques que consacrent les articles 49 TFUE et 16 de la Charte.

    91

    Les décisions dont il est question en l’occurrence sont des décisions économiques et commerciales pouvant avoir des répercussions sur l’emploi d’un nombre important de travailleurs au sein d’une entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, Akavan Erityisalojen Keskusliitto AEK e.a.,C‑44/08, EU:C:2009:533, point 37).

    92

    Or, eu égard à l’ampleur potentielle desdites répercussions, un mécanisme d’encadrement des licenciements collectifs tel que celui décrit aux points 83 et 90 du présent arrêt peut, en l’absence, singulièrement, de toutes règles du droit de l’Union destinées à prévenir de tels licenciements et qui iraient au-delà des domaines de l’information et de la consultation couverts par la directive 98/59, s’avérer de nature à contribuer à renforcer le niveau de protection effective des travailleurs et de leur emploi, en réglant, quant au fond, la prise de telles décisions économiques et commerciales par les entreprises. Un tel mécanisme est ainsi propre à garantir la réalisation des objectifs d’intérêt général ainsi poursuivis.

    93

    Par ailleurs, eu égard à la marge d’appréciation dont disposent les États membres dans la poursuite de leur politique sociale, ceux-ci sont, en principe, fondés à estimer l’existence d’un tel mécanisme d’encadrement comme étant nécessaire afin de garantir un niveau renforcé de protection des travailleurs et de leur emploi. En particulier, il n’apparaît pas que des mesures de type moins contraignant assureraient la réalisation des objectifs ainsi poursuivis d’une manière aussi efficace que celle qui résulte de la mise en place d’un tel encadrement.

    94

    Ainsi envisagé dans son principe, un tel encadrement des conditions dans lesquelles il peut être procédé à des licenciements collectifs est donc susceptible de satisfaire aux exigences découlant du principe de proportionnalité, et, partant, d’être compatible, sous cet angle, avec les articles 49 TFUE et 16 de la Charte.

    95

    En second lieu, il convient de vérifier si les modalités concrètes caractérisant, en l’occurrence, le régime d’encadrement des licenciements collectifs que prévoit la réglementation en cause au principal, et singulièrement les trois critères dont l’autorité publique compétente est appelée à tenir compte aux fins de décider si elle s’oppose ou non à un licenciement collectif, sont de nature à assurer le respect effectif des exigences rappelées aux points 79 à 82 du présent arrêt.

    96

    À cet égard, il y a lieu d’indiquer, d’emblée, que le critère de l’« intérêt de l’économie nationale » auquel se réfère ladite réglementation ne saurait être admis.

    97

    En effet, une interdiction de procéder à un licenciement collectif qui serait notamment commandée par le souci d’éviter qu’un secteur économique, et donc l’économie du pays, n’en subisse les conséquences négatives, doit être considérée comme poursuivant un objectif de nature économique qui, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 72 du présent arrêt et que l’a rappelé M. l’avocat général au point 66 de ses conclusions, ne peut constituer une raison d’intérêt général justifiant une restriction d’une liberté fondamentale garantie par le traité (voir, par analogie, arrêt du 5 juin 1997, SETTG,C‑398/95, EU:C:1997:282, point 23).

    98

    En revanche, s’agissant des deux autres critères d’appréciation auxquels se réfère la réglementation en cause au principal, à savoir la « situation de l’entreprise » et les « conditions du marché du travail », ceux-ci paraissent, a priori, certes, pouvoir être rattachés aux objectifs légitimes d’intérêt général que sont la protection des travailleurs et de l’emploi.

    99

    Toutefois, il y a lieu de constater que de tels critères sont formulés de manière très générale et imprécise. Or, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, lorsque des pouvoirs d’intervention d’un État membre ou d’une autorité publique, tels que les pouvoirs d’opposition dont se trouve en l’occurrence investi le ministre, ne sont soumis à aucune condition, à l’exception d’une référence à de tels critères formulés de manière générale, sans que soient précisées les circonstances spécifiques et objectives dans lesquelles ces pouvoirs seront exercés, il en résulte une atteinte grave à la liberté concernée qui peut aboutir, s’agissant, comme en l’occurrence, de décisions dont le caractère fondamental dans la vie d’une entreprise a déjà été souligné au point 54 du présent arrêt, à l’exclusion de ladite liberté (voir en ce sens, notamment, arrêts du 4 juin 2002, Commission/France,C‑483/99, EU:C:2002:327, points 50 et 51, ainsi que du 26 mars 2009, Commission/Italie,C‑326/07, EU:C:2009:193, points 51 et 52).

    100

    Même si la réglementation nationale en cause au principal indique que le pouvoir de ne pas autoriser le licenciement collectif dont se trouve en l’occurrence investie l’autorité publique doit s’exercer moyennant une analyse du dossier, en tenant compte de la situation de l’entreprise ainsi que des conditions du marché de l’emploi, et donner lieu à une décision motivée, force est de constater que, en l’absence de précisions sur les circonstances concrètes dans lesquelles le pouvoir en question peut être exercé, les employeurs concernés ne savent pas dans quelles circonstances spécifiques et objectives ce pouvoir peut trouver à s’appliquer, les situations permettant d’exercer ce dernier étant potentiellement nombreuses, indéterminées et indéterminables et laissant à l’autorité concernée une large marge d’appréciation difficilement contrôlable. De tels critères qui ne sont pas précis et ne reposent ainsi pas sur des conditions objectives et contrôlables vont au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les buts indiqués et ne sauraient dès lors satisfaire aux exigences du principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts du 4 juin 2002, Commission/France,C‑483/99, EU:C:2002:327, points 51 et 53 ; du 26 mars 2009, Commission/Italie,C‑326/07, EU:C:2009:193, points 66 et 72, ainsi que du 8 novembre 2012, Commission/Grèce,C‑244/11, EU:C:2012:694, points 74 à 77 et 86).

    101

    Par ailleurs, ainsi qu’il résulte également de la jurisprudence de la Cour, si la circonstance que l’exercice d’un tel pouvoir d’opposition peut être soumis au contrôle du juge national est nécessaire à la protection des entreprises au regard de l’application des règles sur le libre établissement, elle ne saurait toutefois suffire à elle seule à remédier à l’incompatibilité avec ces règles des deux critères d’appréciation susmentionnés (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2009, Commission/Italie,C‑326/07, EU:C:2009:193, points 54 et 72), dès lors, en particulier, que la réglementation concernée ne fournit pas davantage au juge national des critères suffisamment précis pour lui permettre de contrôler l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’autorité administrative (voir, en ce sens, arrêt du 13 mai 2003, Commission/Espagne,C‑463/00, EU:C:2003:272, point 79).

    102

    Il s’ensuit qu’un régime de contrôle et d’opposition tel que celui mis en place par la réglementation en cause au principal méconnaît, à raison de ses modalités concrètes, les exigences rappelées au point 61 du présent arrêt et enfreint, dès lors, l’article 49 TFUE.

    103

    Par identité de motifs, une telle réglementation méconnaît également le principe de proportionnalité prévu à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte et, partant, l’article 16 de celle-ci.

    104

    Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde branche de la première question que l’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans une situation telle que celle en cause au principal, à une réglementation nationale en vertu de laquelle un employeur ne peut, en l’absence d’accord avec les représentants des travailleurs sur un projet de licenciement collectif, procéder à un tel licenciement qu’à la condition que l’autorité publique nationale compétente à laquelle doit être notifié ce projet n’adopte pas, dans le délai prévu par ladite réglementation et après examen du dossier et évaluation des conditions du marché du travail, de la situation de l’entreprise ainsi que de l’intérêt de l’économie nationale, une décision motivée de ne pas autoriser la réalisation de tout ou partie des licenciements envisagés.

    Sur la seconde question

    105

    Par sa seconde question, la juridiction de renvoi souhaite savoir, en substance, si, à supposer qu’il soit répondu à la première question que la directive 98/59 et/ou l’article 49 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, une telle réglementation nationale peut néanmoins être compatible avec ces dispositions pour des raisons sociales sérieuses, dans un contexte caractérisé par une crise économique aiguë et un taux de chômage particulièrement élevé.

    106

    S’agissant, premièrement, de la directive 98/59, il y a lieu de préciser que, à supposer que la juridiction nationale constate, à l’occasion de l’examen dont il est question aux points 43 et 44 du présent arrêt, que la réglementation en cause au principal est de nature à priver les dispositions de cette directive de leur effet utile de telle sorte qu’elle méconnaît cette dernière, la circonstance que le contexte national est caractérisé par une crise économique aiguë et un taux de chômage particulièrement élevé n’autorise assurément pas davantage un État membre à priver d’effet utile les dispositions de ladite directive, cette dernière ne comportant, en effet, aucune clause de sauvegarde à l’effet d’autoriser qu’il soit exceptionnellement dérogé aux dispositions d’harmonisation qu’elle comporte en présence d’un tel contexte national.

    107

    En ce qui concerne, deuxièmement, l’article 49 TFUE, il convient de rappeler que, hormis la possibilité que certaines entraves à la liberté d’établissement résultant de mesures nationales puissent, conformément à la jurisprudence de la Cour et dans les conditions rappelées au point 61 du présent arrêt, se trouver justifiées au regard de certaines raisons impérieuses d’intérêt général, les traités ne prévoient, en revanche, pas qu’il puisse, en dehors desdites hypothèses, être dérogé à cette disposition du droit primaire ou que celle-ci puisse, ainsi que semble le suggérer la juridiction de renvoi par sa seconde question, purement et simplement être écartée, du fait de l’existence d’un contexte national tel que celui mentionné au point 105 du présent arrêt.

    108

    Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que l’existence éventuelle, dans un État membre, d’un contexte caractérisé par une crise économique aiguë et un taux de chômage particulièrement élevé n’est pas de nature à affecter les réponses apportées à la première question.

    Sur les dépens

    109

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

     

    1)

    La directive 98/59/CE du Conseil, du 20 juillet 1998, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives aux licenciements collectifs, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas, en principe, à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle un employeur ne peut, en l’absence d’accord avec les représentants des travailleurs sur un projet de licenciement collectif, procéder à un tel licenciement qu’à la condition que l’autorité publique nationale compétente à laquelle doit être notifié ce projet n’adopte pas, dans le délai prévu par ladite réglementation et après examen du dossier et évaluation des conditions du marché du travail, de la situation de l’entreprise ainsi que de l’intérêt de l’économie nationale, une décision motivée de ne pas autoriser la réalisation de tout ou partie des licenciements envisagés. Il en va, toutefois, différemment s’il s’avère, ce qu’il appartient, le cas échéant, à la juridiction de renvoi de vérifier que, eu égard aux trois critères d’évaluation auxquels renvoie cette réglementation et à l’application concrète qu’en fait ladite autorité publique sous le contrôle des juridictions compétentes, ladite réglementation a pour conséquence de priver les dispositions de cette directive de leur effet utile.

    L’article 49 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose, dans une situation telle que celle en cause au principal, à une réglementation nationale telle que celle visée à la première phrase du premier alinéa du présent point.

     

    2)

    L’existence éventuelle, dans un État membre, d’un contexte caractérisé par une crise économique aiguë et un taux de chômage particulièrement élevé n’est pas de nature à affecter les réponses figurant au point 1 du présent dispositif.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure: le grec.

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