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Document 62014CJ0501

    Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 19 octobre 2016.
    EL-EM-2001 Ltd contre Nemzeti Adó- és Vámhivatal Dél-alföldi Regionális Vám- és Pénzügyőri Főigazgatósága.
    Demande de décision préjudicielle, introduite par le Szegedi közigazgatási és munkaügyi bíróság.
    Renvoi préjudiciel – Transports par route – Règlement (CE) no 561/2006 – Article 10, paragraphe 3 – Articles 18 et 19 – Amende infligée au conducteur – Mesures nécessaires à l’exécution de la sanction, prises à l’encontre de l’entreprise de transport – Immobilisation du véhicule.
    Affaire C-501/14.

    Recueil – Recueil général

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2016:777

    ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

    19 octobre 2016 ( *1 )

    «Renvoi préjudiciel — Transports par route — Règlement (CE) no 561/2006 — Article 10, paragraphe 3 — Articles 18 et 19 — Amende infligée au conducteur — Mesures nécessaires à l’exécution de la sanction, prises à l’encontre de l’entreprise de transport — Immobilisation du véhicule»

    Dans l’affaire C‑501/14,

    ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Szegedi közigazgatási és munkaügyi bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged, Hongrie), par décision du 28 octobre 2014, parvenue à la Cour le 10 novembre 2014, dans la procédure

    EL-EM-2001 Ltd

    contre

    Nemzeti Adó- és Vámhivatal Dél-alföldi Regionális Vám- és Pénzügyőri Főigazgatósága,

    LA COUR (cinquième chambre),

    composée de M. J. L. da Cruz Vilaça, président de chambre, Mme M. Berger (rapporteur), MM. A. Borg Barthet, E. Levits et F. Biltgen, juges,

    avocat général : M. Y. Bot,

    greffier : M. I. Illéssy, administrateur,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 29 octobre 2015,

    considérant les observations présentées :

    pour EL-EM-2001 Ltd, par Me D. M. Irinkov, ügyvéd,

    pour la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Dél-alföldi Regionális Vám- és Pénzügyőri Főigazgatósága, par Mme M. Daniné Égető et M. B. Gyenge, jogtanácsosok,

    pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Fehér et G. Szima, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement estonien, par Mme K. Kraavi-Käerdi, en qualité d’agent,

    pour l’Irlande, par M. A. Joyce et Mme L. Williams, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement suédois, par Mme A. Falk et M. E. Karlsson, en qualité d’agents,

    pour la Commission européenne, par Mme J. Hottiaux et M. L. Havas, en qualité d’agents,

    pour le gouvernement norvégien, par Mmes T. Skjeie et B. Stankovic, en qualité d’agents,

    vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

    rend le présent

    Arrêt

    1

    La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, du règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil (JO 2006, L 102, p. 1).

    2

    Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EL‑EM‑2001 Ltd à la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Dél-alföldi Regionális Vám- és Pénzügyőri Főigazgatósága (direction générale des douanes et des finances de la région de Dél-Alföld, Hongrie) au sujet de l’immobilisation d’un véhicule poids lourd, dont EL‑EM‑2001 est propriétaire et qui est exploité par cette dernière, afin de garantir le paiement d’une amende infligée au conducteur de ce véhicule, lequel était alors employé par cette société.

    Le cadre juridique

    Le droit de l’Union

    Le règlement no 3821/85

    3

    L’article 15, paragraphe 7, sous a), du règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route (JO 1985, L 370, p. 8), tel que modifié par le règlement no 561/2006 (ci‑après le « règlement no 3821/85 »), dispose :

    « Lorsque le conducteur conduit un véhicule équipé d’un appareil de contrôle conforme à l’annexe I, il doit être en mesure de présenter, à toute demande d’un agent de contrôle :

    i)

    les feuilles d’enregistrement de la semaine en cours et celles qu’il a utilisées au cours des quinze jours précédents ;

    ii)

    la carte de conducteur s’il est titulaire d’une telle carte ; et

    iii)

    toute information recueillie manuellement et toute sortie imprimée pendant la semaine en cours et pendant les quinze jours précédents, tels que prévus par le présent règlement et par le règlement […] no 561/2006.

    Toutefois, après le 1er janvier 2008, les durées visées aux points i) et iii) couvrent la journée en cours et les vingt‑huit jours précédents.

    […] »

    Le règlement no 561/2006

    4

    Aux termes des considérants 17, 26 et 27 du règlement no 561/2006 :

    « (17)

    Le présent règlement vise à améliorer les conditions sociales pour les travailleurs auxquels il s’applique, ainsi qu’à améliorer la sécurité routière en général. Il vise à atteindre cet objectif principalement au moyen des dispositions relatives au temps de conduite maximum par jour, par semaine et par période de deux semaines consécutives, de la disposition obligeant un conducteur à prendre un temps de repos hebdomadaire normal au moins une fois sur une période de deux semaines consécutives, et des dispositions qui prévoient qu’en aucun cas un temps de repos journalier ne peut être inférieur à une période ininterrompue de neuf heures. Cet ensemble de dispositions garantissant un repos adéquat, et compte tenu également de l’expérience acquise ces dernières années en matière d’application des règles, un système de compensation pour les temps de repos journaliers réduits n’est plus nécessaire.

    […]

    (26)

    Les États membres devraient établir des règles concernant les sanctions frappant les infractions au présent règlement et veiller à ce qu’elles soient appliquées. Ces sanctions doivent avoir un caractère effectif, proportionné, dissuasif et non discriminatoire. L’immobilisation possible du véhicule en cas d’infraction grave devrait également figurer dans l’échelle commune des mesures que les États membres peuvent appliquer. Les dispositions du présent règlement relatives aux sanctions ou aux procédures n’affectent pas les règles nationales concernant la charge de la preuve.

    (27)

    Il est souhaitable, pour assurer une application claire et effective, d’établir des dispositions uniformes sur la responsabilité des entreprises de transport et des conducteurs pour les infractions au présent règlement. Cette responsabilité peut, selon le cas, aboutir à des sanctions pénales, civiles ou administratives dans les États membres. »

    5

    L’article 1er du règlement no 561/2006 prévoit :

    « Le présent règlement fixe les règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route afin d’harmoniser les conditions de concurrence entre les modes de transport terrestre, en particulier en ce qui concerne le secteur routier, et d’améliorer des conditions de travail et la sécurité routière. Le présent règlement vise également à promouvoir de meilleures pratiques de contrôle et d’application des règles par les États membres et de meilleures méthodes de travail dans le secteur du transport routier. »

    6

    L’article 10, paragraphes 1 à 3, de ce règlement dispose :

    « 1.   Il est interdit aux entreprises de transport de rémunérer les conducteurs qu’elles emploient ou qui sont mis à leur disposition en fonction de la distance parcourue et/ou du volume des marchandises transportées, même par l’octroi de primes ou de majorations de salaire si une telle rémunération est de nature à compromettre la sécurité routière et/ou à encourager les infractions au présent règlement.

    2.   Les entreprises de transport organisent le travail des conducteurs visés au paragraphe 1 de manière qu’ils puissent se conformer au règlement […] no 3821/85 et au chapitre II du présent règlement. Les entreprises de transport donnent des instructions appropriées à leurs conducteurs et effectuent des contrôles réguliers pour veiller à ce que le règlement […] no 3821/85 et le chapitre II du présent règlement soient respectés.

    3.   Une entreprise de transport est tenue pour responsable des infractions commises par des conducteurs de l’entreprise, même si l’infraction a été commise sur le territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers.

    Sans préjudice du droit des États membres de tenir les entreprises de transport pour pleinement responsables, les États membres peuvent lier cette responsabilité au non-respect par l’entreprise des paragraphes 1 et 2. Les États membres peuvent prendre en considération tout élément de preuve établissant que l’entreprise de transport ne peut pas raisonnablement être tenue pour responsable de l’infraction commise. »

    7

    L’article 18 du règlement no 561/2006 énonce :

    « Les États membres adoptent les mesures nécessaires à l’application du présent règlement. »

    8

    L’article 19 de ce règlement prévoit :

    « 1.   Les États membres établissent des règles concernant les sanctions pour infraction au présent règlement et au règlement […] no 3821/85 et prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’elles soient appliquées. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires. Aucune infraction au présent règlement ou au règlement […] no 3821/85 ne donne lieu à plus d’une sanction ou plus d’une procédure. Les États membres notifient à la Commission ces mesures ainsi que le régime des sanctions au plus tard à la date visée à l’article 29, second alinéa. La Commission informe les États membres en conséquence.

    2.   Tout État membre permet aux autorités compétentes d’infliger une sanction à une entreprise et/ou à un conducteur pour une infraction au présent règlement constatée sur son territoire et n’ayant pas déjà donné lieu à sanction, même si l’infraction a été commise sur le territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers.

    À titre d’exception, lorsqu’est constatée une infraction :

    qui n’a pas été commise sur le territoire de l’État membre concerné, et

    qui a été commise par une entreprise établie ou par un conducteur dont le lieu d’emploi se trouve dans un autre État membre ou un pays tiers,

    un État membre peut, jusqu’au 1er janvier 2009, au lieu d’imposer une sanction, notifier les faits constitutifs de l’infraction à l’autorité compétente de l’État membre ou du pays tiers dans lequel l’entreprise est établie ou dans lequel le conducteur a son lieu d’emploi.

    3.   Lorsqu’un État membre ouvre une procédure ou inflige une sanction pour une infraction donnée, il en fournit la preuve par écrit en bonne et due forme au conducteur.

    4.   Les États membres veillent à ce qu’un système de sanctions proportionné, qui peut inclure des sanctions financières, soit mis en place en cas d’infraction au présent règlement ou au règlement […] no 3821/85 par des entreprises ou des expéditeurs associés, chargeurs, tour-opérateurs, commissionnaires de transport, sous-traitants et agences employant des conducteurs qui leur sont associés. »

    9

    L’article 21 du règlement no 561/2006 énonce :

    « Afin de répondre aux cas où un État membre estime qu’une infraction au présent règlement a été commise, qui est manifestement de nature à compromettre la sécurité routière, il peut habiliter l’autorité compétente à faire immobiliser le véhicule concerné jusqu’à ce qu’on ait remédié à la cause de l’infraction. Les États membres peuvent obliger le conducteur à observer un temps de repos journalier. Le cas échéant, les États membres peuvent également procéder au retrait, à la suspension ou à la restriction de la licence de l’entreprise, si ladite entreprise est établie dans l’État membre en question, ou procéder au retrait, à la suspension ou à la restriction du permis de conduire d’un conducteur. La Commission élabore en conformité avec la procédure visée à l’article 24, paragraphe 2, des lignes directrices visant à promouvoir une application harmonisée des dispositions du présent article. »

    Le droit hongrois

    10

    L’article 20 de la közúti közlekedésről szóló 1988. évi I. törvény (loi no I de 1988 relative à la circulation routière, ci-après la « loi relative à la circulation routière ») énonce :

    « (1)   Est passible d’une amende toute personne enfreignant les dispositions prévues par la présente loi, ainsi que par des règles de droit spécifiques et des actes de droit communautaire, concernant

    […]

    d)

    l’utilisation de l’appareil de contrôle et du disque de tachygraphe dans le domaine des transports par route, ainsi que des cartes nécessaires aux tachygraphes numériques,

    […]

    (7)   En cas de contrôle intervenant dans le cadre de la circulation routière, il est possible, conformément aux conditions relatives aux mesures conservatoires prévues dans la loi portant dispositions générales relatives à la procédure et aux prestations administratives, d’immobiliser le véhicule – sous réserve du respect des dispositions relatives à l’interception d’envois de marchandises dangereuses, de denrées alimentaires rapidement périssables et d’animaux vivants – au cours de la procédure administrative ou bien jusqu’au paiement de l’amende ou de la sûreté garantissant une créance pécuniaire, sans qu’il soit nécessaire de rendre de décision spécifique en ce sens. Le véhicule ne peut notamment pas être immobilisé dans les cas où

    a)

    le siège, le domicile ou le lieu de résidence habituel du débiteur (ou des débiteurs) de l’amende est situé sur le territoire de la Hongrie et où le débiteur dispose d’un numéro fiscal ou d’un code d’identification fiscale attribué par l’administration fiscale de l’État, ou

    b)

    un organisme financier se porte garant ou caution du respect de l’obligation de paiement de l’amende ou bien cette obligation est prise en charge par une entreprise disposant d’un numéro fiscal et enregistrée sur le territoire national, à condition que le débiteur de l’amende prouve ce fait de manière satisfaisante durant la procédure.

    (7a)   Dans la mesure où le contrôle révèle que l’une des règles énumérées au paragraphe 1, sous c), e) et h), a été enfreinte et où cette infraction représente un risque pour la sécurité routière, l’autorité compétente peut immobiliser le véhicule jusqu’à la disparition du risque pour la sécurité routière, conformément aux conditions relatives aux mesures conservatoires prévues dans la loi portant dispositions générales relatives à la procédure et aux prestations administratives, sans qu’il soit nécessaire de rendre de décision spécifique en ce sens. »

    11

    L’article 5 du közúti árufuvarozáshoz, személyszállításhoz és a közúti közlekedéshez kapcsolódó egyes rendelkezések megsértése esetén kiszabható bírságok összegéről, valamint a bírságolással összefüggő hatósági feladatokról szóló 156/2009. kormányrendelet (décret gouvernemental no 156/2009, relatif au montant des amendes pouvant être infligées en cas de violation de certaines dispositions relatives au transport routier de marchandises et de personnes et à la circulation routière, ainsi qu’aux tâches de l’autorité publique liées à l’infliction d’une amende), du 29 juillet 2009, prévoit :

    « S’agissant de l’article 20, paragraphe 1, sous d), de la loi [relative à la circulation routière], le montant de l’amende qui a été fixé conformément à l’annexe 4 de ce même décret doit, sauf disposition législative ou réglementaire contraire, être payé par la personne qui enfreint une disposition relative à l’appareil de contrôle et au disque de tachygraphe, ainsi qu’à leur utilisation, prévue :

    […]

    e)

    dans le règlement [no 3821/85].

    […] »

    12

    L’article 143 de la közigazgatási hatósági eljárás és szolgáltatás általános szabályairól szóló 2004. évi CXL. törvény (loi no CXL de 2004 portant dispositions générales relatives à la procédure et aux prestations administratives), intitulé « Mesures conservatoires », prévoit :

    « (1)   Si l’exécution ultérieure de l’obligation qui sert de base à la procédure est en péril, il est possible d’ordonner à titre de mesure conservatoire, avant l’expiration du délai d’exécution et dans les cinq jours à compter de l’apparition de la circonstance qui fonde cette crainte, la constitution d’une sûreté concernant la créance pécuniaire ou la mise sous séquestre d’une chose déterminée.

    (2)   La mesure conservatoire est arrêtée par l’autorité de premier degré et mise en œuvre par l’organe exécutif.

    (3)   La mesure conservatoire doit être retirée si

    a)

    elle avait été prise pour garantir une obligation de paiement et si le montant correspondant à cette obligation a été déposé auprès de l’organe exécutif,

    b)

    elle avait été prise pour garantir l’accomplissement d’un acte et qu’il est prouvé de façon excluant tout doute que tous les actes préparatoires requis ont été entrepris en vue de l’accomplissement volontaire de cet acte, que seul empêche désormais la mesure conservatoire, ou si

    c)

    le motif à l’origine de l’adoption de la mesure conservatoire a disparu pour toute autre raison.

    […] »

    Le litige au principal et les questions préjudicielles

    13

    EL-EM-2001 est une entreprise de transport enregistrée en Bulgarie. Lors d’un transport effectué en Hongrie, l’un des employés de cette entreprise, qui conduisait un véhicule poids lourd dont cette dernière est à la fois propriétaire et exploitante, a fait l’objet d’un contrôle routier. À cette occasion, les autorités compétentes ont constaté une infraction aux dispositions de l’article 15, paragraphe 7, sous a), du règlement no 3821/85.

    14

    Le 25 février 2014, la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Csongrád Megyei Vám- és Pénzügyőri Igazgatósága (direction départementale des douanes et des finances de Csongrád, relevant de l’administration nationale des impôts et des douanes, Hongrie) (ci-après l’« autorité administrative de premier degré ») a, dès lors, infligé une amende administrative d’un montant de 400000 forints hongrois (HUF) (environ1270 euros) au conducteur dudit véhicule. De surcroît, cette autorité a décidé de prendre une mesure conservatoire, afin de garantir l’obligation de paiement de cette amende, et a, à ce titre, ordonné l’immobilisation du même véhicule jusqu’au paiement de ladite amende.

    15

    Dans le cadre d’un recours introduit par EL-EM-2001, l’autorité administrative de second degré a confirmé la décision ordonnant cette mesure conservatoire.

    16

    EL-EM-2001 a introduit un recours tendant à l’annulation de cette décision devant le Szegedi közigazgatási és munkaügyi bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged, Hongrie).

    17

    EL-EM-2001 a soutenu, à cet égard, qu’elle n’était pas visée par la procédure administrative ayant abouti à la décision attaquée et qu’elle n’était pas partie à la procédure. Elle s’est fondée sur le fait que, dès lors que l’infraction avait été commise par le conducteur du véhicule concerné et que seul celui-ci avait été condamné à une amende par l’autorité administrative de premier degré, elle-même, en tant qu’employeur de ce conducteur, ne pouvait faire l’objet d’une mesure conservatoire telle que l’immobilisation du véhicule qu’elle exploitait. Elle a souligné qu’aucune règle de droit n’autorisait une telle immobilisation d’un bien appartenant à un tiers n’étant pas partie à la procédure administrative et n’ayant pas commis l’infraction.

    18

    L’administration a demandé le rejet du recours d’EL-EM-2001 en faisant notamment valoir que cette dernière avait la qualité de partie dans le cadre de la procédure administrative et qu’elle avait d’ailleurs exercé son droit de recours contre la décision ordonnant l’immobilisation du véhicule concerné. En effet, dès lors qu’une amende a été infligée, quelle que soit la personne redevable de celle-ci, la législation hongroise permettrait à l’autorité administrative, dans le cas où le conducteur ou l’exploitant du véhicule s’est vu infliger une amende administrative, d’ordonner l’immobilisation du véhicule utilisé lors du constat de l’infraction.

    19

    Dans ces conditions, le Szegedi közigazgatási és munkaügyi bíróság (tribunal administratif et du travail de Szeged) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

    « 1)

    Faut-il interpréter l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 561/2006 en ce sens qu’une mesure nécessaire pour veiller à l’application d’une sanction établie et prononcée par un État membre en cas d’infraction peut être appliquée uniquement à la personne qui a commis l’infraction ?

    En d’autres termes : compte tenu de l’article 18 du règlement no 561/2006, faut-il considérer qu’est contraire à l’obligation de l’État membre prévue à l’article 19, paragraphe 1, première phrase, de ce même règlement, une réglementation nationale en vertu de laquelle une mesure nécessaire pour veiller à l’application d’une sanction établie et prononcée par un État membre est appliquée à une personne (physique ou morale) dont il n’a pas été établi, au cours de la procédure administrative, qu’elle ait commis l’infraction ?

    2)

    En cas de réponse négative à la première question, faut-il interpréter l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 561/2006 en ce sens qu’une mesure appliquée à un tiers (personne physique ou morale) en raison d’une infraction commise par une autre personne, alors qu’il n’a pas été établi que ce tiers ait commis l’infraction, constitue, indépendamment du nom qui lui est donné, une sanction prononcée à l’encontre de ce tiers ?

    3)

    En cas de réponse affirmative à la deuxième question, une réglementation nationale qui, aux fins de l’application d’une sanction prononcée en raison d’une infraction commise par le conducteur du véhicule, permet d’appliquer à une autre personne (physique ou morale) une sanction – au sens matériel du terme, nonobstant la dénomination de “mesure” – est-elle contraire à l’interdiction de la double appréciation prévue à l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 561/2006 ? »

    Sur les questions préjudicielles

    Sur la première question

    20

    Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 561/2006 s’oppose à une réglementation nationale autorisant, à titre de mesure conservatoire, l’immobilisation d’un véhicule appartenant à une entreprise de transport, dans une situation dans laquelle, d’une part, le conducteur, employé par cette entreprise, conduisait ce véhicule en violation des dispositions du règlement no 3821/85 et, d’autre part, l’autorité nationale n’a pas engagé la responsabilité de ladite entreprise.

    21

    À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes du considérant 17 et de l’article 1er du règlement no 561/2006, ce dernier vise, notamment, à améliorer les conditions sociales pour les travailleurs auxquels il s’applique, ainsi qu’à améliorer la sécurité routière en général.

    22

    En vertu du considérant 27 du règlement no 561/2006, il est souhaitable, pour assurer une application claire et effective des règles relatives aux temps de conduite et de repos, d’établir des dispositions uniformes sur la responsabilité des entreprises de transport et des conducteurs pour les infractions à ce règlement, responsabilité qui peut aboutir à des sanctions pénales, civiles ou administratives dans les États membres.

    23

    À cet égard, l’article 18 du règlement no 561/2006 prévoit que les États membres adoptent les mesures nécessaires à l’application de ce même règlement.

    24

    Par conséquent, l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 561/2006 impose aux États membres d’établir « des règles concernant les sanctions pour infraction [à ce] règlement et au règlement […] no 3821/85 » et de prendre « toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’elles soient appliquées ».

    25

    Il résulte de ces dispositions que l’objectif poursuivi par le règlement no 561/2006 n’est pas l’harmonisation des sanctions, ce règlement laissant au contraire les États membres libres quant aux mesures à arrêter et aux sanctions nécessaires à son application (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2012, Urbán, C‑210/10, EU:C:2012:64, point 22).

    26

    Dans ce contexte, il convient de relever que l’article 10, paragraphe 3, du règlement no 561/2006 habilite explicitement les États membres à tenir les entreprises de transport « pour pleinement responsables » des infractions commises par les conducteurs qu’elles emploient.

    27

    De même, l’article 19, paragraphe 2, du règlement no 561/2006 dispose que tout État membre permet aux autorités compétentes d’infliger une sanction à une entreprise et/ou à un conducteur pour une infraction à ce règlement constatée sur son territoire et n’ayant pas déjà donné lieu à sanction.

    28

    Il ressort de cette disposition que le règlement no 561/2006 soumet tant les entreprises de transport que les conducteurs à des obligations déterminées et tient les premières et les seconds pour responsables des infractions à leurs obligations respectives (arrêt du 9 juin 2016, Eurospeed, C‑287/14, EU:C:2016:420, point 32).

    29

    Il ressort également sans équivoque du libellé du considérant 27 dudit règlement que les États membres sont autorisés à prévoir un régime de responsabilité des conducteurs pour les infractions audit règlement et qu’ils disposent, en ce qui concerne la nature des sanctions applicables, d’une marge d’appréciation (arrêt du 9 juin 2016, Eurospeed, C‑287/14, EU:C:2016:420, point 34).

    30

    Dans la mesure où, d’une part, les États membres sont tenus, en application de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 561/2006, d’établir des règles concernant les sanctions pour infraction à ce règlement, de sorte que ces sanctions soient effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires, et où, d’autre part, ledit règlement n’exclut pas la responsabilité des conducteurs, il en résulte que ces États peuvent prévoir des dispositions permettant d’infliger des sanctions aux conducteurs, exclusivement ou non (arrêt du 9 juin 2016, Eurospeed, C‑287/14, EU:C:2016:420, point 35).

    31

    En outre, la Cour a jugé qu’un régime de responsabilité objective est de nature à inciter l’employeur à organiser le travail de ses employés de manière à assurer le respect du règlement no 561/2006 et que la sécurité routière revêt un intérêt général pouvant justifier l’infliction d’une amende à l’employeur pour les infractions commises par son employé et un système de responsabilité pénale objective (arrêt du 10 juillet 1990, Hansen, C‑326/88, EU:C:1990:291, point 19).

    32

    Enfin, il convient de rappeler que, selon le considérant 26 du règlement no 561/2006, l’immobilisation possible du véhicule en cas d’infraction grave devrait également figurer dans l’échelle commune des mesures que les États membres peuvent appliquer.

    33

    L’article 21 du règlement no 561/2006 prévoit, dans ce contexte, que les États membres peuvent, dans le cas d’une infraction manifestement de nature à compromettre la sécurité routière, habiliter l’autorité compétente à faire immobiliser le véhicule concerné jusqu’à ce qu’il ait été remédié à la cause de l’infraction. Les États membres peuvent obliger le conducteur à observer un temps de repos journalier ou, le cas échéant, également procéder au retrait, à la suspension ou à la restriction de la licence de l’entreprise, si ladite entreprise est établie dans l’État membre en question, ou procéder au retrait, à la suspension ou à la restriction du permis de conduire d’un conducteur.

    34

    Il résulte de ce qui précède que, compte tenu de l’objectif poursuivi, consistant à faire respecter, tant par les conducteurs que par les entreprises de transport, les obligations leur incombant en application des règlements nos 3821/85 et 561/2006, l’adoption d’une mesure conservatoire, telle que l’immobilisation d’un véhicule visant l’entreprise de transport pour une infraction commise par son conducteur, afin de garantir l’exécution d’une sanction prononcée en raison de cette infraction, est, en soi, compatible avec le droit de l’Union.

    35

    Toutefois, il convient de rappeler que l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 561/2006 impose aux États membres d’établir des règles concernant les sanctions pour infraction à ce règlement et au règlement no 3821/85 qui soient « effectives, proportionnées, dissuasives et non discriminatoires ».

    36

    Cependant, ledit règlement ne comporte pas de règles plus précises en ce qui concerne l’établissement desdites sanctions nationales et n’établit, notamment, aucun critère explicite pour l’appréciation du caractère proportionné de telles sanctions (arrêt du 9 février 2012, Urbán, C‑210/10, EU:C:2012:64, point 22).

    37

    Selon une jurisprudence constante, en l’absence d’harmonisation de la législation de l’Union dans le domaine des sanctions applicables en cas d’inobservation des conditions prévues par un régime institué par cette législation, les États membres sont compétents pour choisir les sanctions qui leur semblent appropriées. Ils sont toutefois tenus d’exercer leur compétence dans le respect du droit de l’Union et de ses principes généraux, et, par conséquent, dans le respect du principe de proportionnalité (voir arrêt du 9 février 2012, Urbán, C‑210/10, EU:C:2012:64, point 23 et jurisprudence citée).

    38

    Doivent également satisfaire à ces exigences les autres mesures étroitement liées aux sanctions qui, telle l’immobilisation d’un véhicule, garantissent leur efficacité.

    39

    Ainsi, en l’occurrence, la mesure conservatoire permise par la législation nationale en cause au principal ne doit pas excéder les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par cette législation, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux objectifs visés (voir, en ce sens, arrêt du 9 février 2012, Urbán, C‑210/10, EU:C:2012:64, points 24 et 53 ainsi que jurisprudence citée).

    40

    La Cour a jugé, dans ce contexte, que la rigueur des sanctions doit être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif, tout en respectant le principe général de proportionnalité (arrêt du 27 mars 2014, LCL Le Crédit Lyonnais, C‑565/12, EU:C:2014:190, point 45).

    41

    Par ailleurs, la Cour a jugé que le principe de proportionnalité s’impose aux États membres non seulement en ce qui concerne la détermination des éléments constitutifs d’une infraction et la détermination des règles relatives à l’intensité des amendes, mais également en ce qui concerne l’appréciation des éléments pouvant entrer en ligne de compte pour la fixation de l’amende (arrêt du 9 février 2012, Urbán, C‑210/10, EU:C:2012:64, point 54).

    42

    Dans ce contexte, il est constant que la mesure conservatoire d’immobilisation en cause au principal a été arrêtée dans le cadre d’une procédure administrative menée exclusivement contre le conducteur dont la responsabilité a été engagée. La législation hongroise prévoit à cet égard, à l’article 20, paragraphe 7, de la loi relative à la circulation routière, lu en combinaison avec l’article 143 de la loi no CXL de 2004 portant dispositions générales relatives à la procédure et aux prestations administratives, que, en cas de contrôle intervenant dans le cadre de la circulation routière, il est possible d’immobiliser le véhicule – sous réserve du respect des dispositions relatives à l’interception d’envois de marchandises dangereuses, de denrées alimentaires rapidement périssables et d’animaux vivants – au cours de la procédure administrative ou encore jusqu’au paiement de l’amende ou de la sûreté garantissant une créance pécuniaire, lorsque l’autorité compétente considère que l’exécution ultérieure de l’obligation qui sert de base à la procédure est en péril, sans qu’il soit nécessaire de rendre de décision spécifique en ce sens.

    43

    En outre, il convient de constater que, en vertu de l’article 20, paragraphe 7, de la loi relative à la circulation routière, le véhicule ne peut notamment pas être immobilisé lorsque le siège, le domicile ou le lieu de résidence habituel du débiteur de l’amende est situé sur le territoire hongrois et que le débiteur dispose d’un numéro fiscal ou d’un code d’identification fiscale attribué par l’administration fiscale de l’État, ou lorsqu’un organisme financier se porte garant ou caution du respect de l’obligation de paiement de l’amende infligée, ou encore lorsque cette obligation est prise en charge par une entreprise disposant d’un numéro fiscal et enregistrée sur le territoire national, à condition que le débiteur de l’amende prouve ce fait de manière satisfaisante durant la procédure.

    44

    Il s’ensuit que l’unique but poursuivi par l’immobilisation d’un véhicule consiste à garantir le paiement rapide de l’amende infligée à titre de sanction.

    45

    S’il est vrai qu’une telle mesure conservatoire est, en principe, appropriée et efficace pour atteindre les objectifs d’amélioration des conditions sociales pour les travailleurs et de la sécurité routière, visés par le règlement no 561/2006, l’immobilisation d’un véhicule appartenant à une entreprise de transport dont la responsabilité dans une procédure administrative n’a pas été engagée va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs.

    46

    En effet, il existe, ainsi que l’a relevé la Commission au point 43 de ses observations, des mesures tout aussi efficaces, mais moins restrictives et moins démesurées, au regard du droit de propriété, parmi lesquelles figurent, notamment, la suspension, le retrait ou la restriction du permis de conduire du conducteur jusqu’au paiement de l’amende. Cette mesure permettrait à l’entreprise de transport de désigner un autre conducteur, qui serait à même de conduire le véhicule concerné et cela indépendamment du paiement de l’amende.

    47

    S’agissant de l’exigence d’efficacité et de l’effet dissuasif de la mesure en cause, résultant de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 561/2006, lu en combinaison avec l’article 18 de ce règlement, il convient de relever qu’une mesure répond à ces critères lorsqu’elle incite les acteurs impliqués dans le transport routier à éviter des sanctions et, dans l’hypothèse où une amende a été infligée, à payer cette dernière dans les plus brefs délais. L’effet dissuasif est plus important lorsque le redevable de l’amende est également le propriétaire du véhicule immobilisé. Tel est le cas, notamment, lorsque l’auteur de l’infraction est à la fois le conducteur et le propriétaire du véhicule ou lorsque tant le conducteur que l’entreprise sont sanctionnés pour une infraction.

    48

    Or, dans l’affaire au principal, une amende a été infligée uniquement au conducteur, étant donné que la responsabilité de l’entreprise, qui n’a pas été partie à la procédure administrative, n’a pas été établie ni même mise en cause. Cependant, la mesure conservatoire vise exclusivement cette entreprise, bien que celle-ci n’ait commis aucune infraction. Dans cette situation, la mesure conservatoire que constitue l’immobilisation du véhicule n’est pas réellement dissuasive et efficace à l’égard du conducteur. Une mesure telle que, notamment, le retrait, la suspension ou la restriction du permis de conduire de ce conducteur jusqu’au paiement de l’amende serait, en revanche, dissuasive et efficace, et répondrait aux exigences du principe de proportionnalité.

    49

    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que le règlement no 561/2006 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale autorisant, à titre de mesure conservatoire, l’immobilisation d’un véhicule appartenant à une entreprise de transport, dans une situation dans laquelle, d’une part, le conducteur de ce véhicule, employé par cette entreprise, conduisait celui-ci en violation des dispositions du règlement no 3821/85, et, d’autre part, l’autorité nationale compétente n’a pas engagé la responsabilité de cette entreprise, une telle mesure conservatoire ne répondant pas aux exigences du principe de proportionnalité.

    Sur les deuxième et troisième questions

    50

    Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.

    Sur les dépens

    51

    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

     

    Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

     

    Le règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale autorisant, à titre de mesure conservatoire, l’immobilisation d’un véhicule appartenant à une entreprise de transport, dans une situation dans laquelle, d’une part, le conducteur de ce véhicule, employé par cette entreprise, conduisait celui-ci en violation des dispositions du règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route, et, d’autre part, l’autorité nationale compétente n’a pas engagé la responsabilité de cette entreprise, une telle mesure conservatoire ne répondant pas aux exigences du principe de proportionnalité.

     

    Signatures


    ( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.

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