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Document 62015CJ0335

Arrêt de la Cour (huitième chambre) du 14 juillet 2016.
Maria Cristina Elisabetta Ornano contre Ministero della Giustizia, Direzione Generale dei Magistrati del Ministero.
Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Article 119 du traité CE (devenu article 141 CE) – Directive 75/117/CEE – Égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et féminins – Article 1er – Directive 92/85/CEE – Mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail – Article 11, point 2, sous b), et article 11, point 3 – Législation nationale prévoyant pour les magistrats ordinaires une indemnité relative aux charges que ceux-ci supportent dans l’exercice de leur activité professionnelle – Absence de droit à cette indemnité pour une magistrate ordinaire dans le cas d’un congé de maternité obligatoire pris avant le 1er janvier 2005.
Affaire C-335/15.

Recueil – Recueil général

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2016:564

ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

14 juillet 2016 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Politique sociale — Article 119 du traité CE (devenu article 141 CE) — Directive 75/117/CEE — Égalité des rémunérations entre travailleurs masculins et féminins — Article 1er — Directive 92/85/CEE — Mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail — Article 11, point 2, sous b), et article 11, point 3 — Législation nationale prévoyant pour les magistrats ordinaires une indemnité relative aux charges que ceux-ci supportent dans l’exercice de leur activité professionnelle — Absence de droit à cette indemnité pour une magistrate ordinaire dans le cas d’un congé de maternité obligatoire pris avant le 1er janvier 2005»

Dans l’affaire C‑335/15,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), par décision du 13 mai 2015, parvenue à la Cour le 3 juillet 2015, dans la procédure

Maria Cristina Elisabetta Ornano

contre

Ministero della Giustizia, Direzione Generale dei Magistrati del Ministero,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. D. Šváby, président de chambre, MM. J. Malenovský et M. Safjan (rapporteur), juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme G. De Socio, avvocato dello Stato,

pour la Commission européenne, par Mmes C. Cattabriga et A. Szmytkowska, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE), de l’article 120 du traité CE (devenu article 142 CE), de l’article 23 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, de l’article 11 de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE) (JO 1992, L 348, p. 1), ainsi que des articles 2, 14 et 15 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Maria Cristina Elisabetta Ornano au Ministero della Giustizia, Direzione Generale dei Magistrati del Ministero (ministère de la Justice, direction générale des magistrats du ministère, Italie, ci-après le « ministère de la Justice ») au sujet du refus opposé à une magistrate ordinaire de bénéficier, pour ce qui concerne des périodes de congé de maternité obligatoire pris avant le 1er janvier 2005, d’une indemnité relative aux charges que les magistrats ordinaires supportent dans l’exercice de leur activité professionnelle.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 75/117/CEE

3

L’article 1er de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO 1975, L 45, p. 19), énonce :

« Le principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, qui figure à l’article 119 du traité [CEE] et qui est ci-après dénommé “principe de l’égalité des rémunérations”, implique, pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, l’élimination, dans l’ensemble des éléments et conditions de rémunération, de toute discrimination fondée sur le sexe.

En particulier, lorsqu’un système de classification professionnelle est utilisé pour la détermination des rémunérations, ce système doit être basé sur des critères communs aux travailleurs masculins et féminins et établi de manière à exclure les discriminations fondées sur le sexe. »

4

Cette directive a été abrogée par la directive 2006/54, avec effet au 15 août 2009. Toutefois, les faits au principal sont antérieurs à l’abrogation de la directive 75/117.

La directive 76/207/CEE

5

Aux termes des deuxième et troisième considérants de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO 1976, L 39, p. 40) :

« considérant que, en ce qui concerne les rémunérations, le Conseil a adopté le 10 février 1975 la directive [75/117] ;

considérant qu’une action de la Communauté paraît également nécessaire afin de réaliser le principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes tant en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles qu’en ce qui concerne les autres conditions de travail ; que l’égalité de traitement entre les travailleurs masculins et féminins constitue un des objets de la Communauté, dans la mesure où il s’agit notamment de promouvoir l’égalisation dans le progrès des conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre ; que le traité n’a pas prévu les pouvoirs d’action spécifiques requis à cet effet ».

6

La directive 76/207 a été abrogée par la directive 2006/54, avec effet au 15 août 2009. Toutefois, les faits au principal sont antérieurs à l’abrogation de la directive 76/207.

La directive 92/85

7

Aux termes des neuvième et seizième à dix-huitième considérants de la directive 92/85 :

« considérant que la protection de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, allaitantes ou accouchées ne doit pas défavoriser les femmes sur le marché du travail et ne doit pas porter atteinte aux directives en matière d’égalité de traitement entre hommes et femmes ;

[…]

considérant que les mesures d’organisation du travail visant la protection de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, n’auraient pas d’effet utile si elles n’étaient pas assorties du maintien des droits liés au contrat de travail, y compris le maintien d’une rémunération et/ou le bénéfice d’une prestation adéquate ;

considérant, par ailleurs, que les dispositions concernant le congé de maternité seraient également sans effet utile si elles n’étaient pas accompagnées du maintien des droits liés au contrat de travail et du maintien d’une rémunération et/ou du bénéfice d’une prestation adéquate ;

considérant que la notion de prestation adéquate en cas de congé de maternité doit être considérée comme un point technique de référence en vue de fixer le niveau de protection minimale et ne devrait en aucun cas être interprétée comme impliquant une analogie de la grossesse à la maladie ».

8

L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)

travailleuse enceinte” : toute travailleuse enceinte qui informe l’employeur de son état, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ;

b)

travailleuse accouchée” : toute travailleuse accouchée au sens des législations et/ou pratiques nationales, qui informe l’employeur de son état, conformément à ces législations et/ou pratiques ;

c)

travailleuse allaitante” : toute travailleuse allaitante au sens des législations et/ou pratiques nationales, qui informe l’employeur de son état, conformément à ces législations et/ou pratiques. »

9

L’article 8 de ladite directive, intitulé « Congé de maternité », prévoit :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les travailleuses au sens de l’article 2 bénéficient d’un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

2.   Le congé de maternité visé au paragraphe 1 doit inclure un congé de maternité obligatoire d’au moins deux semaines, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales. »

10

L’article 11, points 1 à 3, de cette même directive, intitulé « Droits liés au contrat de travail », dispose :

« En vue de garantir aux travailleuses, au sens de l’article 2, l’exercice des droits de protection de leur sécurité et de leur santé reconnus dans le présent article, il est prévu que :

1)

dans les cas visés aux articles 5, 6 et 7, les droits liés au contrat de travail, y compris le maintien d’une rémunération et/ou le bénéfice d’une prestation adéquate des travailleuses au sens de l’article 2 doivent être assurés, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ;

2)

dans le cas visé à l’article 8, doivent être assurés :

a)

les droits liés au contrat de travail des travailleuses au sens de l’article 2, autres que ceux visés au point b) ;

b)

le maintien d’une rémunération et/ou le bénéfice d’une prestation adéquate des travailleuses au sens de l’article 2 ;

3)

la prestation visée au point 2 b) est jugée adéquate lorsqu’elle assure des revenus au moins équivalents à ceux que recevrait la travailleuse concernée dans le cas d’une interruption de ses activités pour des raisons liées à son état de santé, dans la limite d’un plafond éventuel déterminé par les législations nationales ».

Le droit italien

11

L’article 3, premier alinéa, de la legge n. 27, provvidenze per il personale di magistratura (loi no 27, relative aux prestations en faveur du personnel de la magistrature), du 19 février 1981 (GURI no 52, du 21 février 1981, ci-après la « loi no 27/81 »), prévoit le versement d’une indemnité judiciaire spéciale en faveur des magistrats ordinaires italiens, relative aux charges que ceux-ci supportent dans l’exercice de leur activité professionnelle (ci-après l’« indemnité judiciaire spéciale »).

12

Jusqu’au 31 décembre 2004, les magistrates ordinaires en congé de maternité obligatoire étaient privées du bénéfice de cette indemnité. À cet égard, l’article 3, premier alinéa, de la loi no 27/81 (ci-après la « version initiale de l’article 3, premier alinéa, de la loi no 27/81 ») énonçait :

« Jusqu’à l’adoption d’un nouveau régime relatif à la rémunération du personnel prévue à la loi no 97 du 2 avril 1979, est instituée en faveur des magistrats ordinaires, relative aux charges que ceux-ci supportent dans l’exercice de leur activité, à partir du 1er juillet 1980, une indemnité spéciale n’ouvrant pas droit à pension, de 4400000 lires par an, à verser par mensualités à l’exclusion des périodes de congé extraordinaire, de congé spécial pour tout motif, de congé obligatoire ou facultatif prévus aux articles 4 et 7 de la loi no 1204 du 30 décembre 1971 et de suspension du service pour tout motif. »

13

Cette disposition a été modifiée par l’article 1er, paragraphe 325, de la legge n. 311, Disposizioni per la formazione del bilancio annuale e pluriennale dello Stato (legge finanziaria 2005) [loi no 311, portant dispositions pour la formation du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances 2005)], du 30 décembre 2004 (supplément ordinaire à la GURI no 306, du 31 décembre 2004), lequel a étendu le droit à l’indemnité judiciaire spéciale au cas du congé de maternité obligatoire des magistrats ordinaires (ci-après la « version modifiée de l’article 3, premier alinéa, de la loi no 27/81 »). Cette dernière version est entrée en vigueur le 1er janvier 2005.

Le litige au principal et la question préjudicielle

14

Le 23 février 2007, Mme Ornano, juge au Tribunale di Cagliari (tribunal de Cagliari, Italie), a demandé au ministère de la Justice le paiement, notamment, de l’indemnité judiciaire spéciale en ce qui concerne deux périodes de congé de maternité obligatoire dont elle avait bénéficié au cours des années 1997/1998 et 2000/2001.

15

Par une décision du 30 mars 2007, le ministère de la Justice a rejeté la demande de Mme Ornano, au motif que ces deux périodes de congé de maternité étaient antérieures à la date d’entrée en vigueur de la version modifiée de l’article 3, premier alinéa, de la loi no 27/81, à savoir le 1er janvier 2005, et que cette modification n’avait pas un caractère rétroactif.

16

Le 30 juillet 2007, Mme Ornano a contesté cette décision en introduisant un recours extraordinaire auprès du Presidente della Repubblica (président de la République, Italie). Dans le cadre d’un tel recours, la juridiction compétente est le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie).

17

Dans le cadre de ce recours, Mme Ornano a fait valoir que la version modifiée de l’article 3, premier alinéa, de la loi no 27/81 s’appliquait aux situations nées avant la date d’entrée en vigueur de cette disposition et pour lesquelles, comme en l’espèce, la prescription n’était pas encore acquise.

18

Le 9 octobre 2007, le ministère de la Justice a exclu l’application rétroactive de la version modifiée de l’article 3, premier alinéa, de la loi no 27/81. Il a relevé que le Consiglio di Stato (Conseil d’État) avait soulevé la question de la constitutionnalité de cette version modifiée et que, à plusieurs reprises, et notamment dans une ordonnance du 13 avril 2007, la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) a considéré que cette disposition n’était pas contraire à la Constitution italienne.

19

Par lettre du 13 avril 2015, le ministère de la Justice a transmis au Consiglio di Stato (Conseil d’État) une ordonnance de la Corte costituzionale (Cour constitutionnelle) du 14 mai 2008, dans laquelle celle-ci avait déclaré comme étant manifestement non fondée la question de la conformité avec la Constitution italienne de la version initiale de l’article 3, premier alinéa, de la loi no 27/81 en ce que celle-ci excluait le droit à l’indemnité judiciaire spéciale pendant un congé de maternité obligatoire. À cet égard, cette dernière juridiction a jugé que la version modifiée de l’article 3, premier alinéa, de la loi no 27/81 ne pouvait s’appliquer à des périodes antérieures à l’entrée en vigueur de cette version.

20

Selon le Consiglio di Stato (Conseil d’État), la question demeure de savoir si la version initiale de l’article 3, premier alinéa, de la loi no 27/81 est compatible avec le droit de l’Union dans ses différentes dispositions destinées à protéger la maternité et à assurer la non-discrimination entre les sexes, notamment en ce qui concerne la rémunération des travailleurs.

21

À cet égard, la juridiction de renvoi relève que la jurisprudence de la Cour vise à garantir que la maternité ne place pas les travailleuses concernées dans une situation moins favorable que leurs collègues masculins dans le cadre de la relation de travail.

22

Elle ajoute que, toujours selon la jurisprudence de la Cour, pour ce qui concerne spécifiquement la rémunération, la travailleuse en congé de maternité, même si elle ne peut prétendre au maintien de l’intégralité de sa rémunération, doit conserver non seulement son salaire de base mais aussi le droit aux primes qui se rattachent à son statut professionnel.

23

Or, en l’occurrence, l’indemnité judiciaire spéciale aurait été implicitement reconnue par le législateur italien comme étant un « élément non éventuel » de la rémunération des magistrats ordinaires et, en tout état de cause, comme étant indépendante du placement en congé obligatoire, tel qu’énoncé par la loi no 311, du 30 décembre 2004, portant dispositions pour la formation du budget annuel et pluriannuel de l’État (loi de finances 2005), qui a accordé le droit à cette indemnité pour les périodes de service passées en congé de maternité obligatoire.

24

Dans ces conditions, le Consiglio di Stato (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 11, premier alinéa, point 1, point 2, sous b), et point 3, et les deux derniers considérants de la directive 92/85, ainsi que [l’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE), l’article 120 du traité CE (devenu article 142 CE)], en ce que celui-ci dispose que “[l]es États membres s’attachent à maintenir l’équivalence existante des régimes de congés payés”, les dispositions combinées des articles 2, paragraphe 2, sous c), et 14, paragraphe 1, sous c), ainsi que l’article 15 et les considérants 23 et 24 de la directive 2006/54, et, enfin, l’article 23 de la charte des droits fondamentaux s’opposent-ils à une législation nationale qui, en vertu de la version initiale de l’article 3, premier alinéa, de la loi no 27/81, ne permet pas d’accorder l’indemnité qu’elle prévoit pour les périodes de congé de maternité obligatoire antérieures au 1er janvier 2005 ? »

25

Par décision du président de la Cour du 12 août 2015, la demande de la juridiction de renvoi visant à soumettre le présent renvoi préjudiciel à la procédure accélérée prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour a été rejetée.

Sur la question

26

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le droit de l’Union doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, selon laquelle, dans le cas d’une période de congé de maternité obligatoire antérieure au 1er janvier 2005, une magistrate ordinaire est exclue du bénéfice d’une indemnité relative aux charges que les magistrats ordinaires supportent dans l’exercice de leur activité professionnelle.

27

À titre liminaire, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, les faits du litige au principal se sont déroulés au cours des années 1997/1998 et 2000/2001, pendant lesquelles Mme Ornano a bénéficié de congés de maternité obligatoires. Dans ces conditions, il y a lieu d’examiner la question posée au regard des dispositions du droit de l’Union en vigueur à ces périodes, notamment la directive 92/85, l’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE) et la directive 75/117.

Sur la directive 92/85

28

En l’occurrence, Mme Ornano ayant bénéficié de deux congés de maternité obligatoires, il convient d’interpréter l’article 11, point 2, sous b), ainsi que l’article 11, point 3, de la directive 92/85, relatifs au congé de maternité, sans qu’il soit besoin de se référer au point 1 de ce même article 11, également mentionné par la juridiction de renvoi. En effet, ce dernier point, qui vise les articles 5 à 7 de cette directive, concerne les travailleuses enceintes ainsi que les travailleuses allaitantes et donc des situations différentes de celle en cause au principal.

29

À cet égard, l’article 11, point 2, sous b), de ladite directive prévoit que, dans le cas d’un congé de maternité, doit être assuré le maintien d’une rémunération et/ou le bénéfice d’une prestation adéquate des travailleuses. L’article 11, point 3, de cette même directive précise que la prestation visée audit point 2, sous b), est jugée adéquate lorsqu’elle assure des revenus au moins équivalents à ceux que recevrait la travailleuse concernée dans le cas d’une interruption de ses activités pour des raisons liées à son état de santé, dans la limite d’un plafond éventuel déterminé par les législations nationales.

30

La notion de « rémunération » figurant à l’article 11 de la directive 92/85 englobe, à l’instar de la définition énoncée à l’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE), les avantages que l’employeur paie directement ou indirectement pendant le congé de maternité en raison de l’emploi de la travailleuse. En revanche, la notion de « prestation » à laquelle se réfère également ledit article 11 comprend tout revenu que la travailleuse perçoit pendant son congé de maternité et qui ne lui est pas versé par son employeur au titre de la relation de travail (voir, en ce sens, arrêts du 27 octobre 1998, Boyle e.a., C‑411/96, EU:C:1998:506, point 31, ainsi que du 1er juillet 2010, Parviainen, C‑471/08, EU:C:2010:391, point 35).

31

Selon une jurisprudence constante de la Cour, les travailleuses ne peuvent toutefois utilement invoquer le bénéfice des dispositions de l’article 11, points 2 et 3, de la directive 92/85 pour revendiquer le maintien, pendant leur congé de maternité, de leur rémunération intégrale comme si elles occupaient effectivement, comme les autres travailleurs, leur poste de travail (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1996, Gillespie e.a., C‑342/93, EU:C:1996:46, point 20 ; du 30 mars 2004, Alabaster, C‑147/02, EU:C:2004:192, point 46, ainsi que du 1er juillet 2010, Gassmayr, C‑194/08, EU:C:2010:386, point 82).

32

Il convient ainsi de distinguer la notion de « rémunération » figurant à l’article 11, points 2 et 3, de la directive 92/85 de la notion de « rémunération intégrale » perçue lorsque la travailleuse occupe effectivement son poste de travail et qui, en l’occurrence, comprend l’indemnité judiciaire spéciale, laquelle est relative aux charges que les magistrats ordinaires supportent dans l’exercice de leur activité professionnelle.

33

À cet égard, ainsi qu’il ressort de la directive 92/85 et de la jurisprudence de la Cour, le législateur de l’Union a souhaité garantir que la travailleuse bénéficie, pendant son congé de maternité, d’un revenu d’un montant au moins équivalent à celui de la prestation prévue par les législations nationales en matière de sécurité sociale en cas d’interruption de ses activités pour des raisons de santé (voir, en ce sens, arrêts du 27 octobre 1998, Boyle e.a., C‑411/96, EU:C:1998:506, point 32 ; du 1er juillet 2010, Gassmayr, C‑194/08, EU:C:2010:386, point 83, ainsi que du 13 février 2014, TSN et YTN, C‑512/11 et C‑513/11, EU:C:2014:73, point 36).

34

Lorsqu’une travailleuse est absente du travail parce qu’elle bénéficie d’un congé de maternité, la protection minimale exigée par l’article 11, points 2 et 3, de ladite directive n’implique donc pas le maintien intégral de la rémunération de l’intéressée (arrêt du 1er juillet 2010, Gassmayr, C‑194/08, EU:C:2010:386, point 86).

35

Par ailleurs, la directive 92/85, qui contient des prescriptions minimales, n’exclut nullement la faculté pour les États membres de garantir une protection plus élevée auxdites travailleuses, en maintenant ou en établissant des mesures de protection plus favorables aux travailleuses à condition que celles-ci soient compatibles avec les dispositions du droit de l’Union. Aucune disposition de cette directive n’empêche donc les États membres ou, le cas échéant, les partenaires sociaux de prévoir le maintien de tous les éléments de la rémunération auxquels la travailleuse enceinte avait droit avant sa grossesse et son congé de maternité (arrêts du 1er juillet 2010, Gassmayr, C‑194/08, EU:C:2010:386, point 88, ainsi que du 13 février 2014, TSN et YTN, C‑512/11 et C‑513/11, EU:C:2014:73, point 37).

36

Par conséquent, il résulte de l’article 11, point 2, sous b), et de l’article 11, point 3, de la directive 92/85 que, dans l’hypothèse où l’État membre concerné n’a pas prévu le maintien de tous les éléments de la rémunération auxquels une magistrate ordinaire avait droit avant son congé de maternité, l’employeur de cette travailleuse, dans le cas d’une période de congé de maternité obligatoire antérieure au 1er janvier 2005, n’est pas tenu de lui verser une indemnité relative aux charges que les magistrats ordinaires supportent dans l’exercice de leur activité professionnelle, à la condition que ladite travailleuse ait bénéficié pendant cette période d’un revenu d’un montant au moins équivalent à celui de la prestation prévue par la législation nationale en matière de sécurité sociale qu’elle aurait reçue dans le cas d’une interruption de ses activités professionnelles pour des raisons de santé, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur l’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE) et la directive 75/117

37

À titre liminaire, il convient de relever que, pendant les périodes des congés de maternité de Mme Ornano, était en vigueur l’article 119 du traité CE, devenu, à compter du 1er mai 1999, l’article 141 CE.

38

Ainsi qu’il a été énoncé au point 30 du présent arrêt, étant fondés sur la relation de travail, les avantages que l’employeur paie, en vertu des dispositions législatives ou en raison d’un contrat de travail, à une travailleuse pendant son congé de maternité constituent une rémunération au sens de l’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE) et de l’article 1er de la directive 75/117 (arrêts du 13 février 1996, Gillespie e.a., C‑342/93, EU:C:1996:46, point 14, ainsi que du 27 octobre 1998, Boyle e.a., C‑411/96, EU:C:1998:506, point 38).

39

Toutefois, selon une jurisprudence constante de la Cour, une discrimination consiste dans l’application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l’application de la même règle à des situations différentes (arrêt du 13 février 1996, Gillespie e.a., C‑342/93, EU:C:1996:46, point 16 et jurisprudence citée). Or, les femmes qui bénéficient d’un congé de maternité prévu par la législation nationale se trouvent dans une situation spécifique qui exige qu’une protection spéciale leur soit accordée, mais qui ne peut pas être assimilée à celle d’un homme ni à celle d’une femme qui occupe effectivement son poste de travail (arrêt du 13 février 1996, Gillespie e.a., C‑342/93, EU:C:1996:46, point 17).

40

Dès lors, le principe de l’égalité des rémunérations entre les hommes et les femmes, posé par l’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE) et précisé par la directive 75/117, n’impose pas l’obligation de maintenir la rémunération intégrale des travailleuses pendant leur congé de maternité ni n’établit de critères spécifiques en vue de déterminer le montant des prestations qui leur sont versées pendant cette période, sous réserve que celui-ci ne soit pas fixé à un niveau tel qu’il mette en danger l’objectif du congé de maternité. Cependant, dans la mesure où le calcul de ces prestations est fondé sur un salaire perçu par la travailleuse avant le début du congé de maternité, leur montant devra intégrer, à partir de leur entrée en vigueur, les augmentations de salaire intervenues entre le début de la période couverte par les salaires de référence et la fin du congé de maternité (arrêt du 13 février 1996, Gillespie e.a., C‑342/93, EU:C:1996:46, point 25).

41

Il résulte de cette jurisprudence que le seul fait qu’une magistrate ordinaire ne bénéficie pas de l’indemnité judiciaire spéciale pendant un congé de maternité obligatoire, à la différence de ses collègues masculins en activité, ne constitue pas une discrimination fondée sur le sexe, au sens de l’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE) et de l’article 1er de la directive 75/117.

42

Il convient d’ajouter que, eu égard à la jurisprudence citée au point 40 du présent arrêt, dans le cas où la travailleuse concernée a bénéficié d’un revenu d’un montant au moins équivalent à celui de la prestation prévue par la législation de l’État membre concerné en matière de sécurité sociale qu’elle aurait reçue dans le cas d’une interruption de ses activités pour des raisons de santé, au sens de l’article 11, point 2, sous b), ainsi que de l’article 11, point 3 de la directive 92/85, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, ce revenu ne doit pas être considéré comme étant fixé à un niveau tel qu’il mette en danger l’objectif du congé de maternité.

43

Par ailleurs, dès lors, ainsi qu’il a été rappelé au point 38 du présent arrêt, que les avantages que l’employeur paie pendant un congé de maternité constituent une rémunération au sens de l’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE) et de l’article 1er de la directive 75/117, cette rémunération ne saurait relever de la directive 76/207. En effet, il résulte notamment du deuxième considérant de cette dernière directive qu’elle ne vise pas la rémunération (voir, en ce sens, arrêts du 13 février 1996, Gillespie e.a., C‑342/93, EU:C:1996:46, point 24, ainsi que du 27 octobre 1998, Boyle e.a., C‑411/96, EU:C:1998:506, point 38). Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’examiner la présente affaire au regard de la directive 76/207.

44

Eu égard aux observations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE), l’article 1er de la directive 75/117, l’article 11, point 2, sous b), de la directive 92/85 ainsi que l’article 11, point 3, de cette dernière directive doivent être interprétés en ce sens que, dans l’hypothèse où l’État membre concerné n’a pas prévu le maintien de tous les éléments de la rémunération auxquels une magistrate ordinaire avait droit avant son congé de maternité, ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, selon laquelle, dans le cas d’une période de congé de maternité obligatoire antérieure au 1er janvier 2005, une magistrate ordinaire est exclue du bénéfice d’une indemnité relative aux charges que les magistrats ordinaires supportent dans l’exercice de leur activité professionnelle, à la condition que cette travailleuse ait bénéficié pendant cette période d’un revenu d’un montant au moins équivalent à celui de la prestation prévue par la législation nationale en matière de sécurité sociale qu’elle aurait reçue dans le cas d’une interruption de ses activités pour des raisons de santé, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

Sur les dépens

45

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

 

L’article 119 du traité CE (devenu article 141 CE), l’article 1er de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, l’article 11, point 2, sous b), de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE), ainsi que l’article 11, point 3, de la directive 92/85 doivent être interprétés en ce sens que, dans l’hypothèse où l’État membre concerné n’a pas prévu le maintien de tous les éléments de la rémunération auxquels une magistrate ordinaire avait droit avant son congé de maternité, ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, selon laquelle, dans le cas d’une période de congé de maternité obligatoire antérieure au 1er janvier 2005, une magistrate ordinaire est exclue du bénéfice d’une indemnité relative aux charges que les magistrats ordinaires supportent dans l’exercice de leur activité professionnelle, à la condition que cette travailleuse ait bénéficié pendant cette période d’un revenu d’un montant au moins équivalent à celui de la prestation prévue par la législation nationale en matière de sécurité sociale qu’elle aurait reçue dans le cas d’une interruption de ses activités pour des raisons de santé, ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’italien.

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