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Document 62013CJ0690

Arrêt de la Cour (neuvième chambre) du 16 avril 2015.
Trapeza Eurobank Ergasias AE contre Agrotiki Trapeza tis Ellados AE (ATE) et Pavlos Sidiropoulos.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Monomeles Efeteio Thrakis.
Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Notion – Article 87, paragraphe 1, CE – Privilèges accordés à un établissement bancaire – Société exerçant des obligations de service public – Aides existantes et aides nouvelles – Article 88, paragraphe 3, CE – Pouvoirs du juge national.
Affaire C-690/13.

Recueil – Recueil général

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2015:235

ARRÊT DE LA COUR (neuvième chambre)

16 avril 2015 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Aides d’État — Notion — Article 87, paragraphe 1, CE — Privilèges accordés à un établissement bancaire — Société exerçant des obligations de service public — Aides existantes et aides nouvelles — Article 88, paragraphe 3, CE — Pouvoirs du juge national»

Dans l’affaire C‑690/13,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Monomeles Efeteio Thrakis (Grèce), par décision du 18 novembre 2013, parvenue à la Cour le 27 décembre 2013, dans la procédure

Trapeza Eurobank Ergasias AE

contre

Agrotiki Trapeza tis Ellados AE (ATE),

Pavlos Sidiropoulos,

LA COUR (neuvième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, président de chambre, M. J. Malenovský (rapporteur), et Mme A. Prechal, juges,

avocat général: M. N. Wahl,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour Trapeza Eurobank Ergasias AE, par Mes A. Mitsibouna et E. Katsigianni, dikigoroi,

pour Agrotiki Trapeza tis Ellados AE (ATE), par Mes E. Bourtzalas et M. Fefes, dikigoroi,

pour le gouvernement grec, par Mmes G. Skiani et M. Germani, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. L. Flynn et I. Zervas, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, dernière phrase, CE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Trapeza Eurobank Ergasias AE (ci-après «Eurobank») à Agrotiki Trapeza tis Ellados AE (ATE) (ci-après «ATE») et à M. Sidiropoulos au sujet de la validité de l’inscription d’une hypothèque par ATE sur le bien immobilier appartenant à M. Sidiropoulos.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

L’article 1er du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1), prévoit à ses points b), c) et f):

«Aux fins du présent règlement, on entend par:

b)

‘aide existante’:

i)

[…] toute aide existant avant l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné, c’est-à-dire les régimes d’aides et aides individuelles mis à exécution avant et toujours applicables après ladite entrée en vigueur;

[…]

iv)

toute aide réputée existante conformément à l’article 15;

[…]

c)

‘aide nouvelle’: toute aide […] qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante;

[…]

f)

‘aide illégale’: une aide nouvelle mise à exécution en violation de l’article [88 CE]».

4

L’article 3 de ce règlement énonce:

«Toute aide devant être notifiée en vertu de l’article 2, paragraphe 1, n’est mise à exécution que si la Commission a pris, ou est réputée avoir pris, une décision l’autorisant.»

5

L’article 15 dudit règlement est libellé comme suit:

«1.   Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans.

2.   Le délai de prescription commence le jour où l’aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d’aide individuelle ou dans le cadre d’un régime d’aide. […]

3.   Toute aide à l’égard de laquelle le délai de prescription a expiré est réputée être une aide existante.»

6

L’article 4 du règlement (CE) no 794/2004 de la Commission, du 21 avril 2004, concernant la mise en œuvre du règlement no 659/1999 (JO L 140, p. 1), énonce, à son paragraphe 1:

«[…] on entend par modification d’une aide existante tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché commun. […]»

Le droit grec

7

ATE a été instituée par la loi 4332/1929 (FEK A’ 283 du 16 août 1929). L’article 1er, paragraphe 1, de cette loi dispose:

«Il est fondé un organisme bancaire indépendant d’utilité publique ayant son siège à Athènes et portant la dénomination ‘[ATE]’, ayant pour objet l’exercice de l’activité de crédit agricole sous toutes ses formes, le renforcement de l’organisation en coopératives et l’amélioration des conditions de réalisation des travaux agricoles au sens large et des transactions connexes.»

8

Afin de compenser les risques élevés de l’octroi d’un crédit agricole, les articles 12 et 13, paragraphe 1, de ladite loi, ont conféré à ATE des privilèges spéciaux (ci-après les «privilèges en cause au principal»), à savoir notamment:

le droit d’inscrire une hypothèque sur des immeubles de ses débiteurs, agriculteurs ou autres personnes exerçant une activité annexe, sans qu’elle ait à conclure un contrat d’hypothèque avec ceux-ci;

le droit de diligenter un recouvrement forcé par un simple document sous seing privé, tel qu’un document de crédit, qui constitue, à lui seul, un titre exécutoire, et

l’exonération de tout frais et droit lors de l’inscription d’une telle hypothèque ainsi que d’un tel recouvrement forcé.

9

En 1987, l’objet d’ATE a été étendu à l’exercice de toute activité bancaire.

10

L’article 26, paragraphes 1 et 4, de la loi 1914/1990 (FEK A’ 178 du 17 décembre 1990) énonce:

«[ATE] est transformée en une société anonyme à compter de la publication au bulletin des sociétés anonymes du journal officiel du gouvernement – conformément aux dispositions en vigueur relatives aux sociétés anonymes – de ses nouveaux statuts, lesquels seront rédigés par elle conformément aux dispositions relatives aux banques constituées sous la forme de sociétés anonymes dans les six mois qui suivent la publication de la présente loi et seront approuvés par décision conjointe des ministres des Finances et de l’Agriculture.

[…]

Toutes les dispositions spéciales relatives à [ATE] et se référant notamment à ses privilèges, matériels et procéduraux, à ses exonérations, fiscales et autres, à ses titres de créance, au nantissement de ses créances et, de façon générale, à sa personne en tant que porteuse de droits et d’obligations, sont maintenues en vigueur et s’appliquent, sans modification […]»

Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

11

ATE et M. Sidiropoulos ont conclu un contrat de prêt en 2001 et un contrat d’ouverture de crédit en 2003, pour faire face aux besoins de l’exploitation agricole de ce dernier. Afin de garantir ses créances, ATE a, à la suite de la conclusion de ces contrats, inscrit une hypothèque sur la parcelle agricole de son débiteur.

12

Eurobank, une banque constituée sous la forme d’une société anonyme, était également créancière de M. Sidiropoulos. À ce titre, Eurobank a présenté devant l’Eirinodikeio Dramas (juge de paix de Dráma) une demande d’injonction de payer, à laquelle il a été fait droit.

13

Sur le fondement de cette injonction de payer, Eurobank a engagé une procédure de recouvrement forcé sur la parcelle agricole de M. Sidiropoulos. Dans le cadre de cette procédure, d’autres créanciers se sont manifestés, au nombre desquels figurait ATE, qui a obtenu, grâce à son hypothèque, le rang de créancier privilégié. Le prix de vente de la parcelle étant d’un montant inférieur à la totalité des créances détenues par ATE, Eurobank n’a pas été inscrite sur la liste des créanciers privilégiés et, partant, n’a pas obtenu le remboursement de ses prêts.

14

Eurobank a contesté devant le Monomeles Protodikeio Dramas (tribunal de grande instance à juge unique de Dráma) le rang attribué à ATE sur la liste des créanciers, en soutenant que l’hypothèque inscrite par ATE était contraire à l’article 87 CE et qu’elle devait, en conséquence, être déclarée nulle. Cette juridiction a rejeté le recours.

15

Eurobank a interjeté appel de cette décision devant le Monomeles Efeteio Thrakis (cour d’appel de Thrace statuant en formation à juge unique) qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

a)

Les privilèges matériels et procéduraux conférés à [ATE] par les dispositions des articles 12 et 13, paragraphe 1, de la loi 4332/1929, [lu conjointement avec] l’article 26, paragraphe 1, de la loi 1914/1990, entrent-ils dans le champ d’application de l’article [87, paragraphe 1, CE]?

b)

Cette restriction demeure-t-elle applicable, même s’il est considéré que [ATE] continue à exercer, conformément à ses statuts, une activité ‘d’utilité publique’?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question, sous a) et b), la République hellénique aurait-elle dû suivre la procédure prévue par la disposition de l’article [88, paragraphe 3, CE] pour que ces privilèges demeurent en vigueur?

3)

La juridiction de céans est-elle tenue d’écarter l’application des dispositions des articles 12 et 13, paragraphe 1, de la loi 4332/1929 au litige pendant devant elle, en tant que ces dispositions seraient contraires aux articles [87, paragraphe 1, CE] et [88, paragraphe 3, CE]?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question, sous a)

16

Par sa première question, sous a), la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 87, paragraphe 1, CE doit être interprété en ce sens que relèvent de son champ d’application des privilèges conférés à une banque, tels que le droit d’inscrire unilatéralement une hypothèque sur des immeubles appartenant à des agriculteurs ou à d’autres personnes exerçant une activité connexe à l’activité agricole, le droit de diligenter un recouvrement forcé par un simple document sous seing privé et l’exonération des frais et des droits lors des inscriptions de cette hypothèque et de ce recouvrement forcé.

17

Il ressort d’une jurisprudence constante que, pour qu’une mesure puisse, en qualité d’aide d’État, relever de l’article 87, paragraphe 1, CE, premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres, troisièmement, elle doit accorder un avantage à son bénéficiaire et, quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence, étant entendu que toutes ces conditions doivent être remplies de manière cumulative (voir, notamment, arrêt Commission/Deutsche Post, C‑399/08 P, EU:C:2010:481, points 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée).

18

S’agissant, tout d’abord, de la condition relative à une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État, il convient de rappeler que seuls les avantages accordés directement ou indirectement au moyen de ressources d’État ou constituant une charge supplémentaire pour l’État sont à considérer comme des aides au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. En effet, il résulte des termes mêmes de cette disposition et des règles de procédure instaurées à l’article 88 CE que les avantages accordés par d’autres moyens que des ressources d’État ne relèvent pas du champ d’application des dispositions en cause (arrêt Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a., C‑399/10 P et C‑401/10 P, EU:C:2013:175, point 99 ainsi que jurisprudence citée).

19

Conformément à une jurisprudence constante, il importe de vérifier, aux fins d’établir si l’avantage accordé au bénéficiaire grève le budget de l’État, s’il existe un lien suffisamment direct entre, d’une part, cet avantage et, d’autre part, une diminution du budget étatique, voire un risque économique suffisamment concret de charges le grevant (arrêt Bouygues et Bouygues Télécom/Commission e.a. et Commission/France e.a., C‑399/10 P et C‑401/10 P, EU:C:2013:175, point 109).

20

S’agissant, ensuite, de la condition selon laquelle l’intervention en cause doit s’analyser comme l’octroi d’un avantage consenti à son bénéficiaire, il convient de rappeler que sont considérées comme des aides les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui doivent être considérées comme un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché (arrêt Ministerio de Defensa et Navantia, C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 21 ainsi que jurisprudence citée).

21

Ainsi, sont notamment considérées comme des aides les interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui, normalement, grèvent le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (arrêt Ministerio de Defensa et Navantia, C‑522/13, EU:C:2014:2262, point 22).

22

Il convient, également, de rappeler que l’article 87 CE interdit les aides «favorisant certaines entreprises ou certaines productions», c’est-à-dire les aides sélectives (arrêt P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 17). C’est ainsi que des avantages résultant d’une mesure générale applicable sans distinction à tous les opérateurs économiques ne constituent pas des aides d’État au sens de cet article (voir, en ce sens, arrêt Italie/Commission, C‑66/02, EU:C:2005:768, point 99).

23

S’agissant, enfin, des conditions relatives à l’incidence sur les échanges entre les États membres et au risque de distorsion de la concurrence, il convient de rappeler que, aux fins de la qualification d’une mesure nationale d’aide d’État, il y a lieu non pas d’établir une incidence réelle de l’aide en cause sur les échanges entre les États membres et une distorsion effective de la concurrence, mais seulement d’examiner si cette aide est susceptible d’affecter ces échanges et de fausser la concurrence (arrêt Libert e.a., C‑197/11 et C‑203/11, EU:C:2013:288, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

24

En particulier, lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à celle d’autres entreprises concurrentes dans les échanges intra-européens, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide (arrêt Libert e.a., C‑197/11 et C‑203/11, EU:C:2013:288, point 77 et jurisprudence citée).

25

Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que l’entreprise bénéficiaire participe elle‑même aux échanges intra-européens. En effet, lorsqu’un État membre octroie une aide à une entreprise, l’activité intérieure peut s’en trouver maintenue ou augmentée, avec cette conséquence que les chances des entreprises établies dans d’autres États membres de pénétrer le marché de cet État membre en sont diminuées. En outre, un renforcement d’une entreprise qui, jusqu’alors, ne participait pas à des échanges intra-européens peut la placer dans une situation lui permettant de pénétrer le marché d’un autre État membre (arrêt Cassa di Risparmio di Firenze e.a., C‑222/04, EU:C:2006:8, point 143 ainsi que jurisprudence citée).

26

Aux fins de la réponse à la question posée, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, au regard de la jurisprudence évoquée aux points précédents du présent arrêt, des privilèges détenus par une société, tels que ceux en cause au principal, remplissent l’ensemble des quatre conditions requises par l’article 87, paragraphe 1, CE, pour qu’ils puissent être considérés comme une aide d’État au sens de cette disposition, tout en tenant compte des éléments d’interprétation suivants.

27

S’agissant des privilèges dont bénéficie ATE, en vertu de la loi 4332/1929, il ne saurait être exclu qu’ils puissent relever de l’article 87, paragraphe 1, CE.

28

En effet, tout d’abord, ces privilèges, en raison notamment de l’exonération des frais prévue par ladite loi, sont susceptibles de priver les caisses de l’État membre de certaines rentrées de liquidités et, partant, de diminuer le budget de celui-ci. Ensuite, une telle exonération peut alléger les charges qui normalement grèvent le budget d’une banque, lui conférant ainsi un avantage économique sur ses concurrentes. En effet, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour que les autres banques bénéficient d’une telle exonération, ce qui indiquerait que cette mesure présente un caractère sélectif. Enfin, il ne saurait être exclu que ladite exonération, en lien avec les autres privilèges octroyés par la loi 4332/1929, ait pour effet de renforcer la position d’ATE par rapport aux banques concurrentes actives dans les échanges intra-européens et qu’elle soit de nature à rendre plus difficile la pénétration du marché de l’État membre par des banques établies dans les autres États membres.

29

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question, sous a), que l’article 87, paragraphe 1, CE doit être interprété en ce sens que sont susceptibles de relever de son champ d’application des privilèges, tels que ceux en cause au principal, en vertu desquels une banque dispose du droit d’inscrire unilatéralement une hypothèque sur des immeubles appartenant à des agriculteurs ou à d’autres personnes exerçant une activité connexe à l’activité agricole, du droit de diligenter un recouvrement forcé par un simple document sous seing privé ainsi que du droit d’être exonérée du paiement des frais et des droits liés à cette inscription. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi d’apprécier si tel est le cas dans l’affaire au principal.

Sur la première question, sous b)

30

Par sa première question, sous b), la juridiction de renvoi demande quelle est l’incidence, à l’égard de la réponse à apporter à la première question, sous a), du fait que des privilèges, tels que ceux en cause au principal, conférés par la législation nationale à une banque indépendante d’utilité publique, lors de la création de celle-ci, en considération des activités de crédit agricole et des tâches spécifiques dont elle était chargée, sont toujours en vigueur et ce, même après que les fonctions de cette banque ont été élargies à l’exercice de toute activité bancaire et que ladite banque est devenue une société anonyme.

31

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, ne constituent pas une aide, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, les mesures considérées comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, de telle sorte que ces entreprises ne profitent pas, en réalité, d’un avantage financier et que ladite intervention n’a donc pas pour effet de mettre ces entreprises dans une position concurrentielle plus favorable par rapport aux entreprises concurrentes (arrêt Fallimento Traghetti del Mediterraneo, C‑140/09, EU:C:2010:335, point 35 et jurisprudence citée).

32

La Cour a en outre précisé que, pour que, dans un cas concret, une telle compensation puisse échapper à la qualification d’aide d’État, un certain nombre de conditions doivent être réunies (arrêt Fallimento Traghetti del Mediterraneo, C‑140/09, EU:C:2010:335, point 36).

33

Premièrement, l’entreprise bénéficiaire d’une telle compensation doit effectivement être chargée de l’exécution d’obligations de service public et ces obligations doivent être clairement définies. Deuxièmement, les paramètres sur la base desquels est calculée la compensation doivent être préalablement établis de manière objective et transparente, afin d’éviter qu’elle ne comporte un avantage économique susceptible de favoriser l’entreprise bénéficiaire par rapport à des entreprises concurrentes. Troisièmement, la compensation ne saurait dépasser ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations. Quatrièmement, ladite compensation doit être déterminée sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement dotée de moyens nécessaires afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations (arrêt Fallimento Traghetti del Mediterraneo, C‑140/09, EU:C:2010:335, points 37 à 40 et jurisprudence citée).

34

Il appartient, dès lors, à la juridiction de renvoi de vérifier, à la lumière de la jurisprudence citée aux points précédents du présent arrêt, si, notamment, à la suite de l’élargissement de l’activité et des modifications statutaires d’ATE, les privilèges en cause au principal constituent une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par cette banque pour exécuter des obligations de service public.

35

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question, sous b), que la réponse à la première question, sous a), est susceptible d’être affectée par le fait que des privilèges, tels que ceux en cause au principal, conférés par la législation nationale à une banque indépendante d’utilité publique, lors de la création de celle-ci, en considération des activités de crédit agricole et des tâches spécifiques dont elle était chargée, sont toujours en vigueur après que les fonctions de cette banque ont été élargies à l’exercice de toute activité bancaire et que ladite banque est devenue une société anonyme. Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si, au regard de toutes les circonstances de fait et de droit pertinentes, les quatre conditions cumulatives permettant, en vertu de la jurisprudence de la Cour, de considérer que lesdits privilèges constituent une compensation représentant la contrepartie de prestations effectuées par cette banque pour exécuter des obligations de service public, et qu’ils échappent de la sorte à la qualification d’aide d’État, sont remplies.

Sur la deuxième question

36

Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 87, paragraphe 1, CE doit être interprété en ce sens que, lorsque des privilèges, tels que ceux en cause au principal, relèvent du champ d’application de cette disposition, l’État membre qui les a instaurés est tenu de suivre la procédure de contrôle préalable prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE.

37

À cet égard, il convient de rappeler, d’emblée, que l’article 88 CE institue des procédures distinctes selon que les aides sont existantes ou nouvelles. Alors que les aides nouvelles doivent, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, être notifiées préalablement à la Commission et ne peuvent être mises à exécution avant que la procédure n’ait abouti à une décision finale, les aides existantes peuvent, conformément à l’article 88, paragraphe 1, CE, être régulièrement exécutées tant que la Commission n’a pas constaté leur incompatibilité (arrêt Kremikovtzi, C‑262/11, EU:C:2012:760, point 49 et jurisprudence citée). Ainsi, l’article 88, paragraphe 3, CE ne confère pas aux juridictions nationales la compétence d’interdire l’exécution d’une aide existante (arrêt P, C‑6/12, EU:C:2013:525, point 41).

38

Il y a lieu, dès lors, d’examiner si les privilèges, tels que ceux en cause au principal, sont susceptibles ou non de constituer une aide existante.

39

Selon l’article 1er, sous b), du règlement no 659/1999, une aide peut être qualifiée d’existante, soit lorsqu’elle a été accordée avant l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné, qu’elle demeure applicable après cette date et qu’elle n’a pas été modifiée postérieurement, soit lorsqu’elle a été accordée après l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné, mais que le délai de prescription de dix ans, prévu à l’article 15, paragraphe 3, dudit règlement, a expiré.

40

Il appartient de ce fait à la juridiction de renvoi de vérifier, premièrement, si, eu égard, notamment, aux éléments précédemment rappelés dans le cadre de l’examen de la première question, les privilèges en cause, tels que conférés à ATE lors de sa création en 1929, répondaient à la qualification d’aides d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, de telle sorte que ceux-ci, institués antérieurement à l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné, doivent être considérés comme des aides existantes.

41

Si tel est le cas, ladite juridiction devra vérifier, deuxièmement, si, compte tenu des modifications apportées à ATE en 1987 et en 1990, et notamment de l’élargissement de l’activité de cette dernière, il peut être considéré que les privilèges initialement accordés ont été modifiés du fait de leur extension à d’autres activités de crédit que celles initialement couvertes. Si tel s’avère être le cas, l’État membre était alors en principe tenu de suivre la procédure de contrôle préalable prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE. À défaut, en revanche, ladite procédure n’avait pas à être suivie.

42

Par ailleurs, si la juridiction de renvoi devait arriver à la conclusion que les privilèges en cause ne constituaient pas, à la date où ils ont été octroyés à ATE, des aides d’État, mais qu’ils le sont devenus à la suite de l’élargissement de l’activité et des modifications statutaires d’ATE, postérieurement à l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné, les privilèges en cause au principal ne sauraient, en principe, être considérés comme des aides existantes.

43

Cela étant, ils pourraient pourtant être considérés comme des aides existantes lorsque, ainsi qu’il a été rappelé au point 39 du présent arrêt, le délai de prescription, prévu à l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 659/1999, a expiré. Dans un tel cas, l’État membre ne serait pas tenu de suivre la procédure de contrôle préalable prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE.

44

Dans le cas inverse où ce délai de prescription courrait toujours, les privilèges en cause constitueraient une aide nouvelle et l’État membre concerné serait contraint, ainsi qu’il ressort du point 37 du présent arrêt, de suivre la procédure de contrôle préalable prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE.

45

Par conséquent, dans les hypothèses visées aux points 41 et 42 du présent arrêt, il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier si, dans les circonstances de l’affaire au principal, ledit délai de prescription a ou non expiré.

46

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la deuxième question que l’article 87, paragraphe 1, CE doit être interprété en ce sens que, lorsque des privilèges, tels que ceux en cause au principal, relèvent du champ d’application de cette disposition, l’État membre qui les a instaurés est tenu de suivre la procédure de contrôle préalable prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE à la condition que ces privilèges soient devenus une aide nouvelle postérieurement à l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné et que le délai de prescription, prévu à l’article 15, paragraphe 3, du règlement no 659/1999, n’ait pas expiré, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la troisième question

47

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, CE doivent être interprétés en ce sens que, lorsque des privilèges, tels que ceux en cause au principal, sont incompatibles avec ces dispositions, cette juridiction est tenue d’écarter l’application des dispositions nationales les instituant.

48

À cet égard, il convient de préciser qu’une réponse à cette question ne peut être utile à la juridiction de renvoi que dans l’hypothèse où il s’agirait d’une aide d’État nouvelle, au sens de l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999.

49

En effet, ainsi qu’il ressort du point 37 du présent arrêt, seules les aides nouvelles sont soumises à la procédure de contrôle préalable de l’article 88, paragraphe 3, CE.

50

Or, il résulte de l’article 88, paragraphe 3, CE et de l’article 3 du règlement no 659/1999 qu’une aide nouvelle ne peut être mise à exécution avant que la Commission n’ait pris une décision l’autorisant.

51

Il s’ensuit qu’une aide nouvelle mise à exécution en méconnaissance des obligations découlant de l’article 88, paragraphe 3, CE est illégale. Une telle interprétation est par ailleurs confirmée par l’article 1er, sous f), du règlement no 659/1999 (arrêt Residex Capital IV, C‑275/10, EU:C:2011:814, point 28).

52

Par ailleurs, selon une jurisprudence constante, il appartient aux juridictions nationales d’en tirer toutes les conséquences, conformément à leur droit national, tant en ce qui concerne la validité des actes comportant mise à exécution des mesures d’aide que le recouvrement des soutiens financiers accordés au mépris de cette disposition (arrêt Xunta de Galicia, C‑71/04, EU:C:2005:493, point 49).

53

Il s’ensuit que, si l’État membre concerné a méconnu l’article 88, paragraphe 3, CE, la juridiction de renvoi est tenue d’écarter l’application des dispositions nationales instituant les privilèges illégaux.

54

À la lumière de ces considérations, il y a lieu de répondre à la troisième question que les articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, CE doivent être interprétés en ce sens que, si la juridiction de renvoi estime que les privilèges en cause constituent, au regard de la réponse à la deuxième question, des aides d’État nouvelles, elle est tenue d’écarter l’application des dispositions nationales instituant de tels privilèges en raison de leur incompatibilité avec ces dispositions du traité.

Sur les dépens

55

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) dit pour droit:

 

1)

L’article 87, paragraphe 1, CE doit être interprété en ce sens que sont susceptibles de relever de son champ d’application des privilèges, tels que ceux en cause au principal, en vertu desquels une banque dispose du droit d’inscrire unilatéralement une hypothèque sur des immeubles appartenant à des agriculteurs ou à d’autres personnes exerçant une activité connexe à l’activité agricole, du droit de diligenter un recouvrement forcé par un simple document sous seing privé ainsi que du droit d’être exonérée du paiement des frais et des droits liés à cette inscription. Il appartient toutefois à la juridiction de renvoi d’apprécier si tel est le cas dans l’affaire au principal.

 

2)

La réponse à la première question, sous a), est susceptible d’être affectée par le fait que des privilèges, tels que ceux en cause au principal, conférés par la législation nationale à une banque indépendante d’utilité publique, lors de la création de celle-ci, en considération des activités de crédit agricole et des tâches spécifiques dont elle était chargée, sont toujours en vigueur après que les fonctions de cette banque ont été élargies à l’exercice de toute activité bancaire et que ladite banque est devenue une société anonyme. Il appartient à la juridiction de renvoi d’examiner si, au regard de toutes les circonstances de fait et de droit pertinentes, les quatre conditions cumulatives permettant, en vertu de la jurisprudence de la Cour, de considérer que lesdits privilèges constituent une compensation représentant la contrepartie de prestations effectuées par cette banque pour exécuter des obligations de service public, et qu’ils échappent de la sorte à la qualification d’aide d’État, sont remplies.

 

3)

L’article 87, paragraphe 1, CE doit être interprété en ce sens que, lorsque des privilèges, tels que ceux en cause au principal, relèvent du champ d’application de cette disposition, l’État membre qui les a instaurés est tenu de suivre la procédure de contrôle préalable prévue à l’article 88, paragraphe 3, CE à la condition que ces privilèges soient devenus une aide nouvelle postérieurement à l’entrée en vigueur du traité dans l’État membre concerné et que le délai de prescription, prévu à l’article 15, paragraphe 3, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE], n’ait pas expiré, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

4)

Les articles 87, paragraphe 1, CE et 88, paragraphe 3, CE doivent être interprétés en ce sens que, si la juridiction de renvoi estime que les privilèges en cause constituent, au regard de la réponse à la deuxième question, des aides d’État nouvelles, elle est tenue d’écarter l’application des dispositions nationales instituant de tels privilèges en raison de leur incompatibilité avec ces dispositions du traité.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le grec.

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