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Document 62012CJ0385

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 5 février 2014.
Hervis Sport- és Divatkereskedelmi Kft. contre Nemzeti Adó- és Vámhivatal Közép-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága.
Demande de décision préjudicielle, introduite par le Székesfehérvári Törvényszék.
Renvoi préjudiciel – Impôts directs – Liberté d’établissement – Législation fiscale nationale instaurant un impôt exceptionnel sur le chiffre d’affaires du commerce de détail en magasin – Chaînes de magasins de la grande distribution – Existence d’un effet discriminatoire – Discrimination indirecte.
Affaire C‑385/12.

Recueil – Recueil général

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2014:47

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

5 février 2014 ( *1 )

«Renvoi préjudiciel — Impôts directs — Liberté d’établissement — Législation fiscale nationale instaurant un impôt exceptionnel sur le chiffre d’affaires du commerce de détail en magasin — Chaînes de magasins de la grande distribution — Existence d’un effet discriminatoire — Discrimination indirecte»

Dans l’affaire C‑385/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Székesfehérvári Törvényszék (Hongrie), par décision du 26 juillet 2012, parvenue à la Cour le 13 août 2012, dans la procédure

Hervis Sport- és Divatkereskedelmi Kft.

contre

Nemzeti Adó- és Vámhivatal Közép-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, M. K. Lenaerts, vice‑président, MM. A. Tizzano, L. Bay Larsen, T. von Danwitz, E. Juhász, M. Safjan, J. L. da Cruz Vilaça, présidents de chambre, MM. A. Rosas, A. Ó. Caoimh, J.‑C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev et Mme C. Toader, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 juin 2013,

considérant les observations présentées:

pour Hervis Sport- és Divatkereskedelmi Kft., par Mes L. Darázs et A. Dezső, ügyvédek,

pour la Nemzeti Adó- és Vámhivatal Közép-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága, par Mme Z. Horváthné Ádám,

pour le gouvernement hongrois, par M. M. Z. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,

pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer et M. F. Koppensteiner, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme K. Talabér-Ritz et M. W. Mölls, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 septembre 2013,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18, 26, 49, 54 à 56, 63, 65 et 110 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Hervis Sport-és ivatkereskedelmi Kft. (ci-après «Hervis») à la Nemzeti Adó-és Vámhivatal Közép-dunántúli Regionális Adó Főigazgatósága (direction régionale principale des impôts de Közép-Dunántúl, relevant de l’administration nationale des impôts et des douanes), au sujet du paiement de l’impôt spécial sur le chiffre d’affaires de certains secteurs du commerce de détail en magasin instauré par la Hongrie pour les années 2010 à 2012.

Le cadre juridique

3

Le préambule de la loi no XCIV de 2010 relative à l’impôt spécial grevant certains secteurs (egyes ágazatokat terhelő különadóról szóló 2010. évi XCIV. törvény, ci‑après la «loi relative à l’impôt spécial») dispose:

«Dans le cadre du redressement de l’équilibre budgétaire, le Parlement institue la loi ci-après, relative à l’instauration d’un impôt spécial à la charge des contribuables dont la capacité à contribuer aux charges publiques est supérieure à l’obligation fiscale générale.»

4

L’article 1er de cette loi, consacré aux «Dispositions explicatives», dispose:

«Aux fins de la présente loi, on entend par:

1.

activité de commerce de détail en magasin: conformément au système de classification uniforme des activités économiques, en vigueur le 1er janvier 2009, les activités classées dans le secteur no 45.1, hors commerce de gros de véhicules et de remorques, dans les secteurs no 45.32, 45.40, hors réparation et commerce de gros de motocyclettes, ainsi que dans les secteurs no 47.1 à 47.9, c’est-à-dire toutes les activités commerciales dans le cadre desquelles l’acheteur peut également être une personne physique non considérée comme un entrepreneur.

[...]

5.

chiffre d’affaires net: dans le cas d’un assujetti soumis à la loi comptable, le chiffre d’affaires net provenant de la vente au sens de la loi comptable; dans le cas d’un assujetti soumis à l’impôt simplifié des entrepreneurs et ne relevant pas de la loi comptable, le chiffre d’affaires hors [taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] au sens de la loi relative au régime d’imposition; dans le cas d’un assujetti soumis à la loi sur l’impôt sur le revenu des particuliers, les recettes hors TVA au sens de la loi sur l’impôt sur le revenu. […]

6.

entrepreneur: l’entrepreneur au sens de la loi sur les impôts locaux.»

5

Aux termes de l’article 2 de la loi relative à l’impôt spécial:

«Sont soumis à l’impôt:

a)

le commerce de détail en magasin,

b)

les activités de télécommunications, ainsi que

c)

la fourniture d’énergie.»

6

L’article 3 de cette loi définit les assujettis comme suit:

«(1)   Les assujettis sont les personnes morales, les autres organisations au sens du code général des impôts et les travailleurs indépendants exerçant une activité soumise à l’impôt au sens de l’article 2.

(2)   Sont également soumis à l’impôt les organisations et les particuliers non-résidents, pour les activités soumises à l’impôt, visées à l’article 2, dès lors qu’ils les exercent sur le marché intérieur par l’intermédiaire de filiales.»

7

Aux termes de l’article 4 de ladite loi:

«(1)   La base imposable est le chiffre d’affaires net des assujettis résultant des activités visées à l’article 2, durant l’exercice fiscal.

(2)   Dans le cas d’une activité visée à l’article 2, sous a), la base imposable comprend le chiffre d’affaires provenant de la prestation fournie, dans le cadre de la commercialisation de marchandises achetées, par le fournisseur des marchandises achetées en vue d’une vente au détail (le fabricant ou le distributeur de la marchandise), ainsi que le montant des recettes issues de la remise accordée par ce fournisseur.»

8

L’article 5 de la même loi, qui fixe le taux de ce prélèvement, dispose:

«Le taux applicable:

a)

aux activités visées à l’article 2, sous a), est de 0 % pour la tranche de la base imposable jusqu’à 500 millions de [forints hongrois (HUF)], de 0,1 % pour la tranche supérieure à 500 millions de HUF mais inférieure à 30 milliards de HUF, de 0,4 % pour la tranche supérieure à 30 milliards de HUF mais inférieure à 100 milliards de HUF, et de 2,5 % pour la tranche supérieure à 100 milliards de HUF.

[...]»

9

L’article 6 de la loi relative à l’impôt spécial, qui comporte des dispositions visant à éviter la double imposition, est rédigé comme suit:

«Si l’activité de l’assujetti visée à l’article 2, sous c), est également imposable en vertu de l’article 2, sous a) et/ou b), l’assujetti ne devra acquitter, pour l’activité visée à l’article 2, sous a) ou b), que le montant le plus élevé parmi ceux calculés avec les taux définis à l’article 5, sous a) et c), ou à l’article 5, sous b) et c).»

10

L’article 7 de cette loi définit les conditions dans lesquelles cette taxe s’applique aux entreprises dites liées:

«(1)   L’impôt des assujettis qualifiés d’entreprise liée au sens de la loi [no LXXXI de 1996] relative à l’impôt sur les sociétés et les dividendes [ci-après la «loi no LXXXI de 1996»] doit être déterminé en totalisant les chiffres d’affaires nets provenant des activités visées à l’article 2, sous a) et b), exercées par des assujettis entretenant des relations d’entreprise liée, et le montant obtenu en appliquant le taux défini à l’article 5 à ce total doit être divisé entre les assujettis proportionnellement à leurs chiffres d’affaires nets respectifs provenant des activités visées à l’article 2, sous a) et b), par rapport au chiffre d’affaires net total provenant des activités visées à l’article 2, sous a) et b), réalisé par tous les assujettis liés.»

11

L’article 4 de la loi no LXXXI de 1996, auquel renvoie l’article 7 de la loi relative à l’impôt spécial, définit les entreprises liées comme suit:

«Aux fins de la présente loi,

[...]

23.

une entreprise liée est constituée par:

a)

l’assujetti et l’entreprise dans laquelle l’assujetti dispose directement ou indirectement d’une influence majoritaire, en conformité avec les dispositions du code civil;

b)

l’assujetti et l’entreprise qui dispose directement ou indirectement d’une influence majoritaire sur l’assujetti, en conformité avec les dispositions du code civil;

c)

l’assujetti et toute autre entreprise lorsqu’un tiers dispose directement ou indirectement d’une influence majoritaire dans les deux entreprises, en conformité avec les dispositions du code civil, étant entendu que les parents proches disposant d’une influence majoritaire sur l’assujetti et sur l’autre entreprise doivent être considérés comme des tiers;

d)

l’entrepreneur étranger et son établissement hongrois, les établissements de l’entrepreneur étranger, ainsi que l’établissement hongrois de l’entrepreneur étranger et toute entreprise entretenant avec l’entrepreneur étranger l’une des relations définies aux points a) à c);

e)

l’assujetti et son établissement étranger, ainsi que l’établissement étranger de l’assujetti et toute entreprise entretenant avec l’assujetti l’une des relations définies aux points a) à c).»

Le litige au principal et la question préjudicielle

12

Hervis exploite en Hongrie des magasins d’articles de sport à l’enseigne «Hervis Sport». Ses concurrents directs sont les chaînes de magasins «Décathlon», «Intersport» et «SPG Sporcikk».

13

Hervis est une personne morale, filiale de SPAR Österreichische Warenhandels AG (ci‑après «SPAR»). Hervis, en application de l’article 7 de la loi relative à l’impôt spécial, définissant les «entreprises liées» au sens de ladite loi, fait partie du groupe SPAR. À ce titre, Hervis est redevable d’une fraction, au prorata de son chiffre d’affaires propre, de l’impôt spécial dû par l’ensemble des entreprises appartenant à ce groupe en raison de leur chiffre d’affaires global réalisé en Hongrie.

14

Du fait de l’application du barème, fortement progressif, de l’impôt spécial au chiffre d’affaires global de cet ensemble, Hervis a fait l’objet d’un taux moyen d’imposition nettement supérieur à celui qui aurait correspondu à la base constituée du seul chiffre d’affaires de ses propres magasins. Or, d’après Hervis, c’est sur cette dernière base que serait calculé l’impôt dû par les chaînes de magasins hongroises qui lui font concurrence, dès lors qu’elles seraient pour la plupart structurées en points de ventes franchisés, dotés de la personnalité morale et n’appartenant pas à un groupe.

15

Hervis en a déduit qu’un tel système, dès lors qu’il aboutissait à taxer plus lourdement les personnes morales assujetties à l’impôt spécial liées, au sens de la loi no LXXXI de 1996, à des sociétés non résidentes, méconnaissait les articles 18, 49 à 55, 65 et 110 TFUE, et était constitutif d’une aide d’État prohibée. L’administration fiscale ayant rejeté sa réclamation tendant à la décharge de l’impôt spécial pour l’année 2010, Hervis a demandé au Székesfehérvári Törvényszék (tribunal de Székesfehérvár), statuant en matière administrative, de constater que les dispositions de la loi relative à l’impôt spécial sont contraires au droit de l’Union.

16

C’est dans ce contexte que le Székesfehérvári Törvényszék a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Le fait qu’un contribuable exerçant une activité de commerce de détail en magasin doive acquitter un impôt spécial sur le montant de son chiffre d’affaires annuel net excédant 500 millions de HUF est‑il compatible avec les dispositions relatives au principe général de non‑discrimination (articles 18 [TFUE] et 26 TFUE), au principe de liberté d’établissement (article 49 TFUE), au principe d’égalité de traitement (article 54 TFUE), au principe d’égalité en ce qui concerne la participation financière au capital des sociétés au sens de l’article 54 [TFUE] (article 55 TFUE), au principe de libre prestation de services (article 56 TFUE), au principe de libre circulation des capitaux (articles 63 [TFUE] et 65 TFUE) et au principe d’égalité en ce qui concerne l’imposition des entreprises (article 110 TFUE)?»

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

17

Le gouvernement hongrois soutient que la demande de décision préjudicielle présentée par le Székesfehérvári Törvényszék manque de précision. Elle n’exposerait, en effet, pas à suffisance les raisons précises qui ont conduit la juridiction de renvoi à considérer que la solution du litige requérait une interprétation des dispositions du traité FUE visées dans la décision de renvoi.

18

Toutefois, les éléments fournis par la décision de renvoi présentent un rapport manifeste avec l’objet du litige au principal et permettent, ainsi qu’il ressort des points 12 à 15 du présent arrêt, de déterminer la portée de la question préjudicielle et le contexte dans lequel celle-ci est posée. En outre, la décision de renvoi, qui résume l’argumentation de la partie requérante au principal quant à l’interprétation du droit de l’Union, et exprime des doutes quant à la rectitude de cette interprétation, indique à suffisance les raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à estimer qu’une interprétation du droit de l’Union était nécessaire pour rendre son jugement.

19

Par suite, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme recevable.

Sur la question préjudicielle

Observations liminaires

20

La question préjudicielle se référant à la fois aux dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement, à la libre prestation de services et à la libre circulation des capitaux, il convient d’abord de déterminer la liberté en cause dans le litige au principal.

21

À cet égard, il résulte d’une jurisprudence bien établie qu’il y a lieu de prendre en considération l’objet de la législation en cause (arrêt du 13 novembre 2012, Test Claimants in the FII Group Litigation, C‑35/11, point 90 et jurisprudence citée).

22

Relève du champ d’application de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, une législation nationale qui a vocation à s’appliquer aux seules participations permettant d’exercer une influence certaine sur les décisions d’une société et de déterminer les activités de celle-ci (voir arrêt Test Claimants in the FII Group Litigation, précité, point 91, et la jurisprudence citée).

23

Or, le litige au principal se rapporte au taux d’imposition prétendument discriminatoire subi au titre de l’impôt spécial par des «assujettis qualifiés d’entreprise liée» au sens de la loi no LXXXI de 1996. L’article 4 de ladite loi se réfère, aux fins de la définition de cette dernière notion, à la détention par une société d’une participation permettant d’exercer directement ou indirectement une influence majoritaire dans une autre société.

24

Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle se rapporte à l’interprétation des dispositions du traité relatives à la liberté d’établissement. Il n’y a donc pas lieu de procéder à une interprétation des articles 56 TFUE, 63 TFUE et 65 TFUE relatifs à la libre prestation de services et à la libre circulation des capitaux.

25

Il convient, ensuite, de rappeler que l’article 18 TFUE n’a vocation à s’appliquer de manière autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination. Or, le principe de non-discrimination a été mis en œuvre, dans le domaine du droit d’établissement, par l’article 49 TFUE (arrêt du 11 mars 2010, Attanasio Group, C-384/08, Rec. p. I-2055, point 37 et jurisprudence citée).

26

Dès lors, il n’y a pas lieu non plus de procéder à une interprétation de l’article 18 TFUE, ni par ailleurs de l’article 26 TFUE.

27

Enfin, dès lors qu’il n’apparaît pas que l’impôt spécial frappe plus lourdement les produits provenant d’autres États membres que les produits nationaux, l’interprétation de l’article 110 TFUE est dépourvue de pertinence dans le cadre du litige au principal.

28

Il résulte de ce qui précède que la question posée doit être considérée comme portant sur le point de savoir si les articles 49 TFUE et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation relative à un impôt sur le chiffre d’affaires telle que celle en cause au principal.

Sur l’interprétation des articles 49 TFUE et 54 TFUE

29

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 49 et 54 TFUE s’opposent à une législation relative à un impôt sur le chiffre d’affaires telle que celle en cause au principal, dès lors que ledit impôt a des effets potentiellement discriminatoires à l’égard des personnes morales assujetties qui constituent, au sein d’un groupe, des «entreprises liées», au sens de cette législation, à une société ayant son siège dans un autre État membre.

30

Selon une jurisprudence constante, les règles d’égalité de traitement prohibent non seulement les discriminations ostensibles fondées sur le siège des sociétés, mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, par analogie, notamment, arrêts du 14 février 1995, Schumacker, C-279/93, Rec. p. I-225, point 26; du 22 mars 2007, Talotta, C-383/05, Rec. p. I-2555, point 17, et du 18 mars 2010, Gielen, C-440/08, Rec. p. I-2323, point 37).

31

La législation en cause au principal pose, notamment, un critère de distinction entre, d’une part, les assujettis à l’impôt spécial qui sont liés, au sens de la législation nationale applicable, à d’autres sociétés au sein d’un groupe et, d’autre part, les assujettis qui ne font pas partie d’un groupe de sociétés.

32

Ce critère de distinction n’établit aucune discrimination directe, dès lors que l’impôt spécial sur le commerce de détail en magasin est levé dans des conditions identiques pour toutes les sociétés exerçant cette activité en Hongrie.

33

Toutefois, ce critère a pour effet de défavoriser les personnes morales qui sont liées à d’autres sociétés au sein d’un groupe par rapport aux personnes morales qui ne font pas partie d’un tel groupe de sociétés.

34

Ceci s’explique par la combinaison de deux caractéristiques de l’impôt spécial.

35

D’une part, le taux dudit impôt est très fortement progressif en fonction du chiffre d’affaires, notamment dans sa tranche supérieure. Il est ainsi de 0,1 % entre 500 millions et 30 milliards de HUF, de 0,4 % entre 30 et 100 milliards de HUF et de 2,5 % au-delà de 100 milliards de HUF.

36

D’autre part, ce barème s’applique à une assiette qui comprend, pour les assujettis appartenant à un groupe de sociétés, le chiffre d’affaires consolidé de l’ensemble des assujettis «liés» du groupe (avant répartition de l’impôt total au prorata du chiffre d’affaires de chaque assujetti), alors qu’elle se limite au chiffre d’affaires de l’assujetti pris isolément pour les personnes morales telles que les franchisés indépendants. Cela signifie que les assujettis appartenant à un groupe de sociétés sont taxés sur la base d’un chiffre d’affaires fictif.

37

Hervis, le gouvernement autrichien et la Commission européenne soutiennent que les articles 49 TFUE et 54 TFUE s’opposent à une telle différence de traitement, qui reposerait de jure sur le critère de différenciation, apparemment objectif, du niveau du chiffre d’affaires, mais défavoriserait de facto les filiales de sociétés mères ayant leur siège dans d’autres États membres, compte tenu de la structure du commerce de détail sur le marché hongrois, et notamment du fait que les magasins de la grande distribution appartenant à de telles sociétés sont généralement exploités, comme c’est le cas d’Hervis, sous la forme de filiales.

38

Il doit être relevé que, à l’égard d’une règle fiscale telle que celle en cause au principal, ayant pour objet la taxation du chiffre d’affaires, la situation d’un assujetti à l’impôt appartenant à un groupe de sociétés est comparable à celle d’un assujetti à l’impôt n’appartenant pas à un tel groupe. En particulier, tant les personnes morales actives sur le marché de la vente de détail en magasin dans l’État membre concerné et appartenant à un groupe de sociétés que celles qui n’appartiennent pas à un tel groupe sont assujetties à l’impôt spécial, et leurs chiffres d’affaires sont indépendants de ceux d’autres assujettis.

39

Dans ces conditions, s’il est établi que, sur le marché de la vente de détail en magasin dans l’État membre concerné, les assujettis appartenant à un groupe de sociétés et relevant de la plus haute tranche de l’impôt spécial sont, dans la plupart des cas, «liés», au sens de la législation nationale, à des sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres, l’application du barème fortement progressif de l’impôt spécial à une assiette consolidée de chiffre d’affaires risque de jouer, en particulier, au détriment des assujettis «liés» à des sociétés ayant leur siège dans un autre État membre.

40

Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si cette condition est remplie au regard du contexte global dans lequel la législation nationale déploie ses effets.

41

Si tel est le cas, une législation telle que celle en cause au principal, bien qu’elle n’établisse pas de distinction formelle selon le siège des sociétés, introduit une discrimination indirecte fondée sur le siège des sociétés au sens des articles 49 et 54 TFUE (voir, en ce sens, arrêt Gielen, précité, point 48).

42

Or, il résulte d’une jurisprudence constante qu’une telle restriction ne saurait être admise que si elle se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. Encore faut-il, dans cette hypothèse, qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif en cause et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (arrêt du 29 novembre 2011, National Grid Indus, C-371/10, Rec. p. I-12273, point 42 et jurisprudence citée).

43

À cet égard, le gouvernement hongrois n’a invoqué, ni dans ses observations écrites, ni lors de l’audience, de motif d’intérêt général permettant de justifier, le cas échéant, un système tel que celui en cause au principal.

44

Il convient, en tout état de cause, de rappeler que ne pourraient être valablement invoqués, au soutien d’un tel système, ni la protection de l’économie du pays (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2000, Verkooijen, C-35/98, Rec. p. I-4071, points 47 et 48), ni le rétablissement de l’équilibre budgétaire par l’accroissement de recette fiscales (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2002, X et Y, C-436/00, Rec. p. I-10829, point 50).

45

Dans ces conditions, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 49 TFUE et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre relative à un impôt sur le chiffre d’affaires du commerce de détail en magasin, qui oblige les assujettis qui constituent, au sein d’un groupe de sociétés, des «entreprises liées», au sens de cette législation, à additionner leurs chiffres d’affaires en vue de l’application d’un taux très progressif, et ensuite à répartir le montant d’impôt ainsi obtenu entre elles au prorata de leurs chiffres d’affaires réels, dès lors – ce qu’il appartient au juge de renvoi de vérifier – que les assujettis appartenant à un groupe de sociétés et relevant de la plus haute tranche de l’impôt spécial sont «liés», dans la plupart des cas, à des sociétés ayant leur siège dans un autre État membre.

Sur les dépens

46

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

Les articles 49 TFUE et 54 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation d’un État membre relative à un impôt sur le chiffre d’affaires du commerce de détail en magasin qui oblige les assujettis qui constituent, au sein d’un groupe de sociétés, des «entreprises liées», au sens de cette législation, à additionner leurs chiffres d’affaires en vue de l’application d’un taux très progressif, et ensuite à répartir le montant d’impôt ainsi obtenu entre elles au prorata de leurs chiffres d’affaires réels, dès lors – ce qu’il appartient au juge de renvoi de vérifier – que les assujettis appartenant à un groupe de sociétés et relevant de la plus haute tranche de l’impôt spécial sont «liés», dans la plupart des cas, à des sociétés ayant leur siège dans un autre État membre.

 

Signatures


( *1 )   Langue de procédure: le hongrois.

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