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Document 62013CC0133

Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 2 octobre 2014.
Staatssecretaris van Economische Zaken et Staatssecretaris van Financiën contre Q.
Demande de décision préjudicielle: Raad van State - Pays-Bas.
Renvoi préjudiciel - Libre circulation des capitaux - Législation fiscale - Droits de donation - Exonération s’agissant d’un ‘domaine rural’ - Non-exonération s’agissant d’un domaine situé sur le territoire d’un autre État membre.
Affaire C-133/13.

Recueil – Recueil général

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2014:2255

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 2 octobre 2014 ( 1 )

Affaire C‑133/13

Staatssecretaris van Economische Zaken

et

Staatssecretaris van Financiën

contre

Q

[demande de décision préjudicielle

formée par le Raad van State (Pays‑Bas)]

«Législation fiscale — Liberté des mouvements de capitaux (article 63, paragraphe 1, TFUE) — Droits de donation nationaux — Exonération des ‘domaines ruraux’ sis sur le territoire national — Préservation du patrimoine naturel et culturel national — Efficacité des contrôles fiscaux — Coopération administrative entre États membres dans le domaine fiscal — Champ d’application des directives 2010/24/UE et 2011/16/UE — Notion d’«enquête administrative» visée à l’article 5, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2010/24 et à l’article 3, point 7, de la directive 2011/16 — Limites de l’obligation d’enquêter»

I – Introduction

1.

L’imposition éventuelle par les États membres de la transmission d’un patrimoine par voie de succession ou de donation peut, le cas échéant, être à ce point élevée que le bénéficiaire doive en vendre une partie pour pouvoir acquitter les droits dus. Pour certains patrimoines, les États membres font machine arrière face à ces conséquences et accordent des dégrèvements pour que le patrimoine transmis soit recueilli dans son intégralité.

2.

Tel est le cas en l’espèce où le Royaume des Pays-Bas veut préserver l’intégrité de certains biens fonciers alors que leur transmission est passible de droits. Si un bien foncier est un «site naturel», les droits peuvent être réduits de moitié voire même totalement si le nouveau propriétaire le préserve à long terme. Le Royaume des Pays-Bas ne considère toutefois que ses propres sites naturels. Si un résident néerlandais soumis aux droits de donation transmet un bien sis à l’étranger, aucun dégrèvement n’est accordé.

3.

Il appartient à présent à la Cour de préciser si un tel régime est conforme aux libertés fondamentales. Elle ne devra pas seulement examiner à ce titre la conformité d’un incitant fiscal limité à des objectifs strictement nationaux. Il existe à cet égard certains parallèles avec l’affaire pendante C‑87/13 dans laquelle nous venons de présenter des conclusions ( 2 ). La présente affaire soulève en outre des questions juridiques touchant aux limites de l’assistance administrative des États membres au cas où les biens sis à l’étranger doivent eux aussi bénéficier des incitants. Aux fins de l’avantage fiscal, il faudra en effet vérifier la préservation à long terme du site naturel que renferme le bien foncier.

II – Cadre juridique

A – Droit de l’Union

4.

L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2010/24/UE du Conseil, du 16 mars 2010, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures ( 3 ) (ci-après la «directive 2010/24 sur le recouvrement»), définit son champ d’application comme suit:

«La présente directive s’applique aux créances afférentes:

a)

à l’ensemble des taxes, impôts et droits quels qu’ils soient, perçus par un État membre […]»

5.

L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2010/24 sur le recouvrement permet d’adresser une «demande d’informations»:

«À la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise fournit toute information vraisemblablement pertinente pour le recouvrement, par l’autorité requérante, de ses créances au sens de l’article 2.

En vue de la communication de ces informations, l’autorité requise fait effectuer toute enquête administrative nécessaire à l’obtention de ces dernières.»

6.

En plus de la directive 2010/24 sur le recouvrement, une autre directive vise également l’assistance administrative entre États membres en matière fiscale, à savoir la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE ( 4 ) (ci-après la «directive 2011/16 sur la coopération»). Son article 1er, paragraphe 1, en définit l’«objet»:

«La présente directive établit les règles et procédures selon lesquelles les États membres coopèrent entre eux aux fins d’échanger les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne des États membres relative aux taxes et impôts visés à l’article 2.»

7.

Le «champ d’application» de la directive 2011/16 sur la coopération ressort de son article 2:

«1.   La présente directive s’applique à tous les types de taxes et impôts prélevés par un État membre […].

2.   Nonobstant le paragraphe 1, la présente directive ne s’applique pas à la taxe sur la valeur ajoutée et aux droits de douane, ni aux droits d’accises couverts par d’autres textes de législation de l’Union relatifs à la coopération administrative entre États membres. La présente directive ne s’applique pas non plus aux cotisations sociales obligatoires […].

[…]»

8.

L’article 5 de la directive 2011/16 sur la coopération met en place une assistance administrative entre les États membres:

«À la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise communique à l’autorité requérante les informations visées à l’article 1er, paragraphe 1, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives.»

9.

L’article 3, point 7, de la directive 2011/16 sur la coopération définit aux fins de la directive l’expression «enquête administrative» comme étant «l’ensemble des contrôles, vérifications et actions réalisés par les États membres dans l’exercice de leurs responsabilités en vue d’assurer la bonne application de la législation fiscale».

B – Législation néerlandaise

10.

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, point 2, de la loi néerlandaise sur les droits de succession (Successiewet), de 1956, le Royaume des Pays-Bas prélève des droits de donation «sur la valeur de tout ce qui est recueilli par voie de donation d’une personne résidant aux Pays-Bas au moment de la donation».

11.

L’article 7, paragraphe 1, première phrase, de la loi néerlandaise sur la protection des sites naturels (Natuurschoonwet), de 1928 (ci‑après la «Nsw»), prévoit l’avantage fiscal suivant:

«Si une succession ou une donation visée par la Successiewet 1956 inclut un bien foncier classé comme domaine rural […], la différence entre les droits de donation ou de succession dus au titre de l’avis d’imposition et les droits théoriquement dus sur la moitié de la valeur vénale qui devrait être attribuée au bien foncier, à la date à laquelle il a été recueilli, s’il était grevé de la charge de le conserver intact pendant 25 ans et de ne pas abattre plus de bois de futaie que nécessaire ou usuel dans une gestion normale des forêts, ne sera pas mise en recouvrement. […]»

12.

La deuxième phrase de cette même disposition ajoute que la valeur vénale retenue au paragraphe 1 sera réduite à zéro si le domaine rural est ouvert au public. Aucun droit de donation n’est alors prélevé.

13.

L’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la Nsw entend par «domaine rural»«un bien foncier sis aux Pays-Bas, constitué en tout ou partie de zones naturelles, de bois ou autres bois de futaie, y compris un bien foncier comportant une maison de campagne ou un autre bâtiment intégré au caractère du domaine rural, dans la mesure où la conservation de ce bien foncier dans son aspect caractéristique est souhaitable pour la préservation du site naturel».

14.

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 2, de la Nsw, un arrêté d’exécution précisera les conditions que doit remplir un bien foncier pour être classé comme domaine rural. L’article 2, paragraphe 1, de cet arrêté d’exécution (Rangschikkingsbesluit Natuurschoonwet), de 1928, impose quatre conditions: le domaine rural doit avoir une superficie de cinq hectares au moins, les terrains et zones d’eau du domaine rural doivent être d’un seul tenant, 30 % au moins de la superficie du domaine rural doivent être couverts de bois ou d’espaces naturels, l’usage du domaine rural ne peut pas porter atteinte au site naturel. L’article 1er, point 1, de l’arrêté d’exécution définit notamment plus avant les bois et autres espaces naturels.

15.

Aux termes de l’article 2 de la Nsw, un propriétaire peut demander au ministre compétent de classer son bien foncier comme domaine rural au sens de la loi.

III – Litige au principal

16.

Le litige au principal concerne la demande de la partie en cause, Q, de classer comme «domaine rural» au sens de la Nsw un bien foncier dont elle est propriétaire au Royaume-Uni. La demande s’explique par son intention d’en faire donation à son fils qui réside au Royaume-Uni. Q résidant en revanche aux Pays‑Bas, cette donation est passible des droits de donation néerlandais.

17.

L’administration néerlandaise a rejeté la demande au seul motif que la propriété ne se trouve pas aux Pays-Bas comme le requiert la Nsw. C’est contre cette décision que Q a introduit un recours.

IV – Procédure devant la Cour

18.

Le Raad van State (Pays-Bas), saisi en appel dans l’intervalle, a adressé à la Cour le 13 mars 2013 les questions préjudicielles suivantes au titre de l’article 267 TFUE:

«1)

L’intérêt à la préservation des sites naturels nationaux et du patrimoine culturel et historique, au sens de la Natuurschoonwet 1928, constitue-t-il une raison impérieuse d’intérêt général justifiant une réglementation par laquelle l’application d’une exonération de l’impôt sur les donations (avantage fiscal) est réservée aux domaines ruraux sis aux Pays-Bas?

2)

a)

Dans le cadre d’une enquête visant à déterminer si un bien immobilier sis dans un autre État membre peut être qualifié de domaine rural au sens de la Natuurschoonwet 1928, les autorités d’un État membre peuvent-elles, pour obtenir l’assistance des autorités de l’État membre dans lequel le bien immobilier est situé, invoquer la directive 2010/24 du Conseil, du 16 mars 2010, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures, lorsque le classement comme domaine rural sur le fondement de la loi précitée a pour effet d’ouvrir droit à une exemption du recouvrement de l’impôt sur les donations dû à la date de la donation du bien immobilier en question?

b)

En cas de réponse affirmative à la deuxième question, sous a), la notion d’‘enquête administrative’ figurant à l’article 3, point 7, de la directive 2011/16 doit-elle être interprétée comme pouvant englober une enquête sur place?

c)

En cas de réponse affirmative à la deuxième question, sous b), la notion d’‘enquête administrative’ figurant à l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2010/24 peut‑elle être précisée en s’appuyant sur la définition de la notion d’‘enquête administrative’ figurant à l’article 3, point 7, de la directive 2011/16?

3)

S’il y a lieu de répondre par la négative à la deuxième question, sous a), b) ou c), le principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, pris en combinaison avec l’article 167, paragraphe 2, TFUE, doit-il être interprété en ce sens qu’il implique que, lorsqu’un État membre demande l’assistance d’un autre État membre dans le cadre d’une enquête visant à savoir si un bien immobilier sis dans cet autre État peut être qualifié de domaine rural au sens d’une loi ayant pour but la préservation et la protection des sites naturels nationaux et du patrimoine historique et culturel d’un pays, l’État membre requis est tenu de fournir cette assistance?

4)

Une restriction à la libre circulation des capitaux peut-elle être justifiée par la nécessité de garantir l’efficacité des contrôles fiscaux si cette efficacité ne semble pouvoir être compromise que par la circonstance que les autorités nationales sont contraintes de se rendre, pendant la période de 25 ans visée à l’article 7, paragraphe 1, de la Natuurschoonwet 1928, dans un autre État membre pour y effectuer les contrôles nécessaires?»

19.

La présente affaire a été jointe dans un premier temps à l’affaire C‑87/13 aux fins de la procédure et de l’arrêt. Dans les affaires jointes, Q, X (partie à la procédure au principal dans l’affaire C‑87/13), la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays‑Bas, le Royaume-Uni de Grande Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que la Commission européenne ont présenté des observations écrites au mois de juillet 2013. Les affaires ont ensuite été disjointes.

20.

Q, la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, le Royaume des Pays-Bas et la Commission ont participé à l’audience de plaidoiries du 21 mai 2014.

V – Appréciation juridique

21.

Par ses questions, le juge de renvoi souhaite savoir en substance si un régime d’exonération fiscale comme celui de l’espèce est compatible avec la liberté des mouvements de capitaux visée à l’article 63, paragraphe 1, TFUE. Les questions que le juge de renvoi pose en interprétation des directives relatives à la coopération entre les administrations fiscales des États membres pourront également être abordées dans l’examen de l’atteinte éventuelle à cette liberté fondamentale.

A – Restriction

22.

L’exonération partielle ou totale des droits de donation, en cause ici, restreint la liberté des mouvements de capitaux visée à l’article 63, paragraphe 1, TFUE.

23.

Premièrement, le régime fiscal d’une donation relève des dispositions du traité visant la liberté des mouvements de capitaux à partir du moment où l’un de ses éléments constitutifs déborde des frontières d’un État membre ( 5 ). Tel est le cas en l’espèce dès lors que le bien foncier visé par la donation envisagée se trouve non pas aux Pays‑Bas mais au Royaume-Uni.

24.

Deuxièmement, il y aura restriction aux libres mouvements des capitaux lorsque la donation d’un bien foncier sis à l’étranger est passible d’un surcroît de droits par rapport à celle d’un bien foncier sis dans le pays. La Cour l’a déjà considéré comme tel pour les transmissions à cause de mort ( 6 ) et cette jurisprudence est transposable aux donations entre vifs ( 7 ). En l’espèce, le bien foncier de Q n’a pas été classé comme «domaine rural» et ne peut de ce fait pas bénéficier de l’exonération des droits de donation au seul motif qu’il n’est pas sis aux Pays‑Bas.

25.

Selon une jurisprudence constante, en dépit de la dérogation de l’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE, visant la fiscalité nationale, toute restriction ne sera conforme aux libres mouvements des capitaux que si la différence de traitement concerne nécessairement des situations qui ne sont pas objectivement comparables (voir ci-après, sous B) ou est justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général (voir ci-après, sous C) ( 8 ).

B – Situations objectivement comparables

26.

La question qui se pose ainsi tout d’abord est de savoir si la situation d’un contribuable qui fait une donation passible de droits d’un «domaine rural» sis aux Pays-Bas et la situation d’un contribuable qui fait une donation passible de droits d’un bien foncier sis dans un autre État membre mais qui répond au reste à la définition d’un «domaine rural» sont objectivement comparables entre elles.

27.

Selon une jurisprudence constante, la comparabilité des situations doit être examinée en tenant compte de l’objectif poursuivi par les dispositions nationales en cause ( 9 ). D’après les indications données par la juridiction de renvoi, l’objectif du présent régime d’exonération fiscale est de préserver à la fois les sites naturels nationaux et le patrimoine culturel et historique aux Pays-Bas.

28.

Il ne découle toutefois pas de cet objectif limité au propre pays que les situations à considérer en l’espèce ne puissent pas être objectivement comparables. Ainsi que nous l’avons en effet déjà exposé plus avant ailleurs, l’objectif d’une disposition accordant un avantage fiscal ne peut pas être défini de manière purement nationale pour l’examen de la comparabilité objective des situations ( 10 ).

29.

Il s’ensuit que les situations évoquées sont objectivement comparables si le bien foncier sis dans un autre État membre répond aux conditions de la législation néerlandaise pour être classé comme site naturel et patrimoine culturel et historique si ce n’est qu’il ne se trouve pas dans le pays. Tel est le cas en l’espèce puisque Q s’est vu refuser le classement de son bien foncier uniquement parce qu’il ne se trouve pas aux Pays-Bas.

C – Justification

30.

Il reste à examiner si un régime d’exonération fiscale tel le régime néerlandais est justifié par une raison impérieuse d’intérêt général.

1. Préservation du patrimoine naturel et culturel national

31.

L’on a soutenu dans la procédure que la préservation du patrimoine naturel et culturel national constitue une justification de cet ordre.

32.

Il ne fait tout d’abord aucun doute que le Royaume des Pays-Bas peut favoriser son patrimoine naturel et culturel. Cet objectif serait néanmoins également atteint si l’avantage fiscal était étendu à des terrains sis à l’étranger. Le Royaume des Pays-Bas ne pourrait pas valablement opposer à cette extension de l’avantage fiscal les pertes de recettes fiscales qu’elle entraînerait. Selon une jurisprudence constante en effet, la nécessité de prévenir la réduction de recettes fiscales ne figure pas parmi les raisons impérieuses d’intérêt général susceptibles de justifier une restriction à une liberté instituée par le traité ( 11 ).

33.

Le régime néerlandais ne peut dès lors être justifié que si les États membres sont autorisés à accorder des avantages fiscaux limités dans un cas comme celui-ci aux seuls biens fonciers sis dans le pays.

a) Limites de la définition de l’objectif d’une promotion

34.

La jurisprudence n’a pas encore précisé les conditions dans lesquelles les États membres peuvent donner à une incitation fiscale un objectif limité au pays même.

35.

La Cour a certes déjà rendu un ensemble d’arrêts sur des régimes fiscaux d’États membres qui prévoyaient une restriction de l’incitation fiscale à des activités ou à des objets propres au pays même. Néanmoins, dans la plupart de ces cas, l’objectif qui présidait au régime n’était pas limité au pays. Dans ces cas, la Cour n’a toutefois pas admis que l’incitation fiscale soit limitée au pays pour la seule raison que l’objectif poursuivi par cette incitation est tout aussi bien atteint avec des opérateurs étrangers. C’est ainsi que dans l’arrêt Petersen elle n’a pas décelé pourquoi la politique allemande de développement pouvait être promue uniquement par des entreprises allemandes ( 12 ). Dans l’arrêt concernant la subvention allemande à la propriété immobilière, elle a considéré que l’objectif de satisfaire la demande de logement est tout aussi bien atteint en promouvant aussi l’acquisition à l’étranger d’habitations destinées à un usage propre ( 13 ). Dans l’arrêt Persche, la Cour de justice a déterminé qu’un État membre ne peut pas interdire la déduction de dons à des organismes étrangers lorsque ces organismes poursuivent des objectifs identiques à ceux des organismes du pays ( 14 ).

36.

En l’espèce, l’objectif de l’incitation fiscale est de préserver le patrimoine naturel et culturel national. Un avantage fiscal portant sur des domaines sis à l’étranger ne servirait pas cet objectif car il soutiendrait le patrimoine naturel et culturel d’un autre État membre. La Cour doit dès lors décider ici si l’objectif qui préside à l’avantage fiscal, qui est clairement limité au pays, constitue une cause de justification.

37.

La jurisprudence a réaffirmé à plusieurs reprises à cet égard que les États membres peuvent en principe déterminer eux-mêmes les intérêts de la collectivité qu’ils veulent promouvoir par la fiscalité ( 15 ).

38.

La Cour a de surcroît admis en principe qu’un régime de soutien d’un État membre puisse avoir un objectif national pour autant que le domaine soutenu ne soit pas harmonisé par le droit de l’Union ( 16 ). Selon une jurisprudence constante, la volonté d’un État membre de vérifier l’existence d’un certain lien de rattachement entre la société de l’État membre concerné et le bénéficiaire d’une prestation est également susceptible de constituer une considération objective d’intérêt général ( 17 ). Elle a ainsi admis également que l’extension des bénéficiaires puisse devenir une charge déraisonnable qui pourrait avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide ( 18 ). Il doit en aller de même d’une incitation qui vise non pas une personne ayant un rattachement avec la société de l’État membre en question, mais un bien faisant partie de cette société, comme en l’espèce le patrimoine naturel et culturel. Il n’existe en outre aucune différence pertinente selon qu’un État membre verse directement une aide ou l’accorde, comme en l’espèce, sous la forme d’un avantage fiscal, c’est-à-dire en renonçant à des recettes fiscales.

39.

Néanmoins, le droit de l’Union ne peut pas laisser les États membres totalement libres de définir les objectifs à promouvoir, ainsi que nous l’avons déjà indiqué dans l’affaire C‑87/13 ( 19 ). Un objectif pourrait en effet être défini de manière ouvertement protectionniste, par exemple, lorsqu’une incitation fiscale entend uniquement avantager les propres ressortissants et nuire ainsi gravement au marché intérieur.

40.

C’est à ce titre que dans les objectifs nationaux visés par une incitation, il faut dès lors distinguer ceux qui sont admissibles en droit de l’Union et ceux qui ne le sont pas. Dans l’arrêt Tankreederei I, la Cour a donné sur ce point des premières indications en faisant une distinction selon que l’incitation est liée à un «objectif social» ( 20 ). Dans l’arrêt Laboratoires Fournier, elle a indiqué en outre qu’un objectif visé par une incitation, défini de manière purement nationale, n’était pas admissible en ce qu’il heurtait directement les objectifs de la politique communautaire en la matière inscrits dans le traité ( 21 ).

41.

À notre sens, il faut donc dans chaque cas particulier mettre en balance l’objectif à caractère national que l’État membre vise dans son régime d’avantage fiscal et les effets qu’il a sur les objectifs de l’Union européenne fixés dans les traités, en particulier sur la liberté fondamentale qui s’en trouve restreinte. Cela vaut en tout cas lorsque l’objectif poursuivi par l’État membre participe, à tout le moins dans sa forme générale, des objectifs de l’Union. Dans la mesure où la liberté fondamentale ne s’en trouve pas affectée de manière disproportionnée, l’on permet ainsi à l’État membre de promouvoir avec les moyens dont il dispose un objectif qui présente un lien avec sa société d’où proviennent également les fonds destinés à cette promotion. De surcroît, l’on court le risque de voir un État membre ne pas destiner ses fonds à la promotion d’un objectif de l’Union pour la seule raison que le droit de l’Union ne lui autorise qu’une promotion dans toute l’Union.

b) Importance de l’objectif de la promotion

42.

Une telle mise en balance donne généralement un résultat clair lorsque l’objectif poursuivi par l’État membre est précisément pris en compte par les traités dans sa limitation nationale comme c’est le cas de la préservation du patrimoine culturel national. C’est la raison pour laquelle, dans le contexte de l’affaire C‑87/13, nous avons déjà exposé que la préservation du patrimoine culturel national est une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier une restriction de la liberté d’établissement ( 22 ). Nous n’avons aucune raison de voir les choses autrement sur le terrain de la liberté des mouvements de capitaux qui fait ici l’objet d’une restriction. Pour autant que l’avantage fiscal qui nous occupe ait pour objectif la préservation du patrimoine culturel national, il est ainsi justifié.

43.

Il en va de même de la préservation du patrimoine naturel lorsqu’il doit être rangé dans le patrimoine culturel en tant qu’annexe à un bâtiment ou comme un quasi-bâtiment. L’on songe ici aux bâtiments qui appartiennent au patrimoine culturel national et forment un tout avec la nature environnante ou à la nature domestiquée, par exemple, un jardin baroque, qui doit être assimilée à un bâtiment.

44.

La question qui se pose toutefois est de savoir si en outre la préservation du patrimoine naturel peut servir à justifier une restriction des libres mouvements de capitaux. Cela concerne les cas dans lesquels un avantage fiscal est accordé pour l’objet prioritaire de la protection visée à l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la Nsw, à savoir le «bien foncier constitué en tout ou partie de zones naturelles, de bois ou autres bois de futaie», sans que ce bien foncier abrite dans le même temps un patrimoine culturel national. Contrairement au patrimoine culturel, l’on ne trouve dans le traité aucune disposition permettant de dire que le patrimoine naturel doive lui aussi être spécialement protégé dans sa physionomie nationale.

45.

Différentes parties à la procédure ont toutefois invoqué à juste titre la jurisprudence constante de la Cour qui admet de manière générale la protection de l’environnement comme cause de justification ( 23 ). Même si cette jurisprudence se concentre à ce jour sur la protection de l’environnement contre les pollutions ou sur l’utilisation respectueuse des ressources naturelles, il reste que l’article 191, paragraphe 1, premier tiret, TFUE définit de manière tout à fait générale l’objectif de l’Union de préservation et de protection de l’environnement. La protection du patrimoine naturel en fait aussi partie ( 24 ) et la préservation de zones naturelles cohérentes existantes y contribue aussi. L’avantage fiscal en cause ici promeut la conservation de zones naturelles dans leur intégrité en réduisant, moyennant des obligations de protection de l’environnement, les droits de succession ou de donation dus en cas de transmission en sorte qu’il est aussi moins probable qu’elles soient morcelées par des cessions partielles qui compromettent la pérennité d’un site naturel.

46.

Le régime en cause poursuit de ce fait aussi, à l’endroit de la préservation du patrimoine naturel, un objectif reconnu par les traités même si c’est seulement en termes généraux.

c) Intensité de l’atteinte au marché intérieur

47.

C’est en particulier l’intensité de l’atteinte portée au marché intérieur, ici aux libres mouvements de capitaux, qui déterminera si un État membre est habilité à poursuivre un objectif qui n’est énoncé qu’en termes généraux dans les traités, comme l’est en l’espèce la préservation du patrimoine naturel. Cette atteinte ne m’apparaît toutefois pas en l’espèce d’une gravité suffisante pour interdire à l’État membre de limiter son incitation fiscale au patrimoine naturel national.

48.

L’article 65, paragraphe 1, sous a), TFUE prévoit tout d’abord que les contribuables dont les capitaux sont investis dans des lieux différents peuvent en principe aussi être soumis à des régimes différents. Même si cette dérogation est nettement nuancée au paragraphe 3 de cette même disposition et en particulier par la jurisprudence ( 25 ), l’on peut néanmoins en déduire que la libre circulation des capitaux aura un poids plus faible que les autres libertés fondamentales dans sa mise en balance avec un objectif visé par l’incitation fiscale d’un État membre.

49.

Ensuite, le présent avantage fiscal a pour objet un bien foncier. L’incitation fiscale doit influer sur son état. Or, un bien foncier sis à l’étranger relève en principe de la compétence de l’État membre dans le territoire duquel il se trouve. Si l’avantage fiscal néerlandais était étendu en l’espèce à un bien foncier britannique, il pourrait entrer en conflit avec les objectifs de la politique de protection de la nature du Royaume-Uni. Un avantage fiscal assorti de conditions peut produire des effets analogues à des obligations et interdictions établies par un État membre. Le Royaume des Pays-Bas n’en a toutefois pas la compétence à l’égard d’un bien foncier sis au Royaume-Uni.

50.

La Commission a objecté ici que le Royaume des Pays-Bas déborde déjà de sa compétence territoriale en prélevant des droits sur la transmission d’un bien foncier sis à l’étranger et que l’avantage fiscal doit dès lors lui aussi être accordé sans considérer la compétence territoriale. Nous ne pouvons toutefois pas la suivre. En imposant la transmission de patrimoine d’un résident, l’État membre se borne à en appréhender la capacité financière contributive envers la société dans laquelle il vit et ne déborde pas dès lors de sa compétence territoriale lorsque la capacité financière contributive du résident est également constituée de biens fonciers qu’il possède à l’étranger.

51.

Les effets sur la liberté des mouvements de capitaux nous semblent enfin très limités en l’espèce. Le marché intérieur se trouve finalement affecté en ce que la limitation de l’incitation aux biens fonciers sis dans le pays réduira l’attrait comme placement que les biens fonciers sis à l’étranger peuvent présenter aux résidents. Premièrement, cette incitation ne concerne qu’une partie relativement mineure des biens fonciers susceptibles de répondre aux conditions d’un «domaine rural». Deuxièmement, dans la multitude des considérations que fera un investisseur qui envisage un placement dans un bien foncier, le montant des droits éventuels de donation ne jouera d’ordinaire qu’un rôle secondaire.

d) Conclusion

52.

En conclusion, la présente restriction des libres mouvements de capitaux liée à l’avantage fiscal propre aux droits de donation est ainsi justifiée par les objectifs poursuivis par le régime de préservation du patrimoine national tant naturel que culturel.

2. Efficacité des contrôles fiscaux

53.

Nous allons examiner de surcroît si les besoins de contrôles fiscaux peuvent également justifier la présente restriction. C’est l’objet en particulier de la quatrième question préjudicielle. Néanmoins la deuxième question préjudicielle, a), b) et c) ainsi que la troisième question, consacrées aux possibilités d’assistance administrative entre États membres, sont également posées à ce titre. La question qui se pose avant tout est de savoir si le contrôle administratif du respect des conditions du présent avantage fiscal serait suffisamment garanti pour un bien foncier sis à l’étranger.

54.

Selon une jurisprudence constante, les libertés fondamentales peuvent être restreintes pour des raisons d’«efficacité des contrôles fiscaux» ( 26 ). Un État membre doit en effet être en mesure de calculer exactement la dette fiscale d’un contribuable ( 27 ). Ce calcul peut poser des difficultés pour les postes qui doivent être vérifiés dans un autre État membre.

55.

Toujours selon une jurisprudence constante, cette cause de justification ne peut toutefois pas jouer lorsqu’un État membre peut réaliser les contrôles nécessaires à l’étranger soit en sollicitant l’assistance administrative d’autres États membres ( 28 ), soit en se servant de données et documents du contribuable ( 29 ). Dans ce cas, un État membre doit aussi accepter que le contrôle est plus difficile à réaliser dans un autre État membre que dans le pays ( 30 ). Ce n’est que si les sources d’information en question sont inaccessibles pour vérifier des postes à l’étranger qu’un État membre peut alors invoquer la cause de justification de l’«efficacité des contrôles fiscaux» ( 31 ).

56.

D’après les indications du juge de renvoi, la décision administrative d’admettre ou non qu’un bien foncier remplit les conditions pour être classé comme «domaine rural» au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la Nsw requiert des vérifications sur place. Il en ira de même pour vérifier ultérieurement si le bien foncier répond toujours aux conditions de l’avantage fiscal pendant la période de 25 ans.

57.

C’est la raison pour laquelle le contrôle fiscal ne peut se faire en l’espèce sur la base de données fournies par le contribuable même. La question qui se pose néanmoins est de savoir si les contrôles requis sur le lieu même du bien foncier pourraient être réalisés par les autorités d’autres États membres par la voie de l’assistance administrative.

a) Sur la directive applicable

58.

C’est dans ce contexte que le juge de renvoi souhaite tout d’abord savoir, par sa deuxième question, sous a), si les autorités néerlandaises peuvent bénéficier au titre de la directive 2010/24 sur le recouvrement d’une assistance administrative de la part des autorités de l’État membre dans lequel est sis le bien foncier.

59.

La directive 2010/24 sur le recouvrement n’offre toutefois pas de possibilités d’assistance administrative pour la décision en cause dans le litige au principal d’admettre ou non qu’un bien foncier remplisse les conditions d’un classement comme «domaine rural» au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous a), de la Nsw. Aux termes de son article 2, paragraphe 1, elle ne joue en effet que pour les créances déjà nées. Aucun droit de donation n’est déjà dû en l’espèce.

60.

Les autorités néerlandaises peuvent néanmoins en principe se rabattre à cet effet sur la directive 2011/16 sur la coopération.

61.

Aux termes de son article 2, paragraphe 1, cette directive s’applique à tous les types de taxes et impôts. Les droits de donation ne figurent pas parmi les prélèvements que l’article 2, paragraphe 2, exclut de son champ d’application.

62.

Nous ne pouvons pas nous rallier à la conception de la République fédérale d’Allemagne voulant que la directive 2011/16 sur la coopération ne trouve toutefois pas à s’appliquer aux procédures administratives menées en amont de l’imposition. L’acte contesté dans la procédure au principal, déterminant si un bien foncier peut être classé comme domaine rural au sens de la Nsw, est à l’évidence un acte administratif général auquel sont liés différents effets juridiques. D’après les indications du juge de renvoi, cette détermination a néanmoins aussi pour effet d’accorder en cas de donation un avantage fiscal dans les droits de donation. Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2011/16 sur la coopération, son champ d’application est large et englobe toutes les informations «vraisemblablement pertinentes» pour l’administration et l’application de la législation interne des États membres relative aux taxes et impôts. Si le classement, qui a un caractère obligatoire dans l’ordre juridique national, peut donc avoir des effets sur le calcul de droits relevant du champ d’application de la directive 2011/16 sur la coopération, les informations intéressant ce classement sont aussi vraisemblablement pertinentes pour l’imposition.

63.

Néanmoins les autorités ne peuvent toutefois pas se rabattre sur la directive 2011/16 sur la coopération pour vérifier ultérieurement le respect des conditions de l’avantage fiscal de l’article 7, paragraphe 1, première phrase, de la Nsw. Le Royaume des Pays-Bas a indiqué à juste titre que la directive 2010/24 sur le recouvrement s’applique à cet égard. D’après la réglementation néerlandaise en effet, seule une partie des droits calculés à taux plein n’est pas perçue à certaines conditions. Ainsi que la Cour l’a déjà donné à entendre dans l’arrêt National Grid Indus, la directive 2010/24 sur le recouvrement constitue la base juridique de l’assistance administrative en matière de droits déjà calculés dont la perception est cependant liée à d’autres conditions ( 32 ).

64.

Il s’ensuit qu’aux fins du contrôle fiscal en l’espèce, les autorités néerlandaises peuvent en principe recourir tout d’abord à la directive 2011/16 sur la coopération et ensuite à la directive 2010/24 sur le recouvrement.

b) Sur l’étendue des enquêtes administratives de l’État membre requis

65.

Le juge de renvoi veut savoir en outre par sa deuxième question, sous b) et c), si les autorités administratives de l’État membre requis seraient tenues de réaliser les vérifications requises du bien foncier sur place. Comme, en l’espèce, tant la directive 2011/16 sur la coopération que, par après, la directive 2010/124 sur le recouvrement s’appliqueraient, il convient d’examiner séparément les obligations qui en résultent pour l’État membre requis.

i) La directive 2011/16 sur la coopération

66.

Aux termes de l’article 5 de la directive 2011/16 sur la coopération, l’autorité de l’État membre requis communique les informations dont elle dispose ou «qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives». La notion d’«enquête administrative» est définie à l’article 3, point 7, de la directive. Dans cette définition, elle comprend «l’ensemble des contrôles, vérifications et actions réalisés par les États membres dans l’exercice de leurs responsabilités en vue d’assurer la bonne application de la législation fiscale».

67.

Cette définition large inclut bien entendu aussi les vérifications sur place. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2011/16 sur la coopération va dans le même sens en disposant que l’autorité requise effectue «toute enquête administrative nécessaire à l’obtention des informations». À titre complémentaire la Commission s’est référée à bon droit à l’article 11, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) et b), de la directive d’où il ressort que des enquêtes administratives peuvent être réalisées en dehors du ressort administratif dans l’ensemble du territoire de l’État membre requis. Cela répond à la deuxième question, sous b).

68.

Le Royaume des Pays-Bas a toutefois soutenu que les vérifications du bien foncier sur place devraient aussi se faire à l’improviste pour pouvoir vérifier que le domaine rural est bien ouvert au public conformément à l’article 7, paragraphe 1, deuxième phrase, de la Nsw. Sur ce point toutefois, le Royaume‑Uni soutient que ses services ne sont pas tenus de réaliser des vérifications sans avertissement, au titre des articles 17, paragraphe 2, et 6, paragraphe 3, de la directive 2011/16 sur la coopération. Au Royaume-Uni en effet, les règles de procédure imposent d’avertir le propriétaire de toute vérification de son bien foncier sur place.

69.

Aux termes de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2011/16 sur la coopération, l’État membre requis n’est pas tenu «de procéder à des enquêtes […] dès lors que la réalisation de telles enquêtes […] aux propres fins de cet État membre serait contraire à sa législation». L’article 6, paragraphe 3, de la directive 2011/16 sur la coopération ajoute que pour procéder à l’enquête administrative demandée, l’autorité requise «suit les mêmes procédures que si elle agissait de sa propre initiative».

70.

La Cour de justice a déjà déterminé à l’égard de la disposition devancière de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2011/16 sur la coopération que, en tant que disposition dérogatoire, elle fait l’objet d’une interprétation stricte et que, en vertu du principe de coopération loyale (actuellement article 4, paragraphe 3, TFUE), les États membres sont tenus de pratiquer effectivement l’échange d’informations, instauré par la directive ( 33 ). Deux choses découlent de cette jurisprudence pour la présente affaire. Premièrement, nous admettons à ce titre l’idée défendue par la République fédérale d’Allemagne et le Royaume-Uni que le principe de la coopération loyale se trouve précisé par les présentes directives consacrées à l’assistance administrative entre États membres et doit être respecté dans le cadre de leur application mais n’établit pas en lui-même dans l’assistance administrative des obligations qui iraient à l’encontre de ces dispositions. Cela répond donc à la troisième question préjudicielle.

71.

Deuxièmement, dans une interprétation restrictive de l’article 17, paragraphe 2, de la directive 2011/16 sur la coopération, rien ne nous semble à présent permettre au Royaume-Uni de refuser de vérifier sans avertissement l’ouverture d’un bien foncier au public. Il s’agit là en effet d’une information publique que l’on peut recueillir sans devoir exercer aucune prérogative de la puissance publique. Les règles de procédure invoquées par le Royaume-Uni au cours de la procédure semblent en revanche concerner la vérification de biens fonciers qui ne sont pas ouverts au public.

72.

S’il devait néanmoins apparaître, dans la mise en œuvre de l’assistance administrative, que les autorités du Royaume-Uni devaient effectivement se trouver empêchées par une interdiction de leurs règles de procédure de vérifier sans avertissement l’ouverture d’un bien foncier au public, les autorités néerlandaises pourraient alors encore effectuer à suffisance les contrôles nécessaires de l’ouverture du bien foncier au public sur la base de vérifications sur place dont le propriétaire aurait été averti et de preuves supplémentaires telles que des témoignages.

ii) La directive 2010/24 sur le recouvrement

73.

Dans la mesure où des vérifications permanentes du bien foncier sont nécessaires dans les 25 années qui suivent le classement d’un bien foncier comme «domaine rural» et le calcul des droits de donation, les autorités néerlandaises peuvent se rabattre sur une demande d’informations au titre de l’article 5 de la directive 2010/24 sur le recouvrement.

74.

Les «enquêtes administratives» que l’autorité requise mène au titre de l’article 5, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2010/24 sur le recouvrement pour obtenir les informations incluent également des vérifications sur place. La directive ne se limite en effet pas à certains devoirs d’enquête. Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, deuxième alinéa, il s’agira plutôt de toutes les enquêtes «nécessaires» à l’obtention des informations. La directive 2010/24 sur le recouvrement montre en plus, à son article 7, paragraphe 1, sous a) et b), que les enquêtes peuvent être menées tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du ressort administratif dans l’ensemble du territoire de l’État membre requis. Cela répond à la deuxième question préjudicielle, sous c).

75.

À l’égard de l’article 5, paragraphe 2, sous a), de la directive 2010/24 sur le recouvrement, qui rejette toute obligation de l’autorité requise de transmettre des informations «qu’elle ne serait pas en mesure d’obtenir pour le recouvrement de créances similaires nées dans l’État membre requis», le Royaume-Uni n’a tiré de ses règles de procédure aucune objection dans la présente procédure. Au reste, les développements que nous avons consacrés plus haut aux limites du devoir d’enquête dans le contexte de la directive 2011/16 sur la coopération valent ici aussi ( 34 ).

76.

Enfin, nous ne pouvons pas nous rallier à la conception de la République fédérale d’Allemagne voulant que l’on ne puisse pas exiger de l’État requis qu’il fasse les vérifications permanentes nécessaires au présent avantage fiscal compte tenu des frais qui y sont liés. Il peut certes y avoir des cas exceptionnels dans lesquels la collecte d’informations est disproportionnée pour l’État membre requis. Néanmoins de vastes enquêtes peuvent en principe être sollicitées car la coopération des administrations fiscales des États membres se fait dans la réciprocité. De plus, contrairement à l’article 54, paragraphe 1, sous a), du règlement (UE) no 904/2010 du Conseil, du 7 octobre 2010, concernant la coopération administrative et la lutte contre la fraude dans le domaine de la taxe sur la valeur ajoutée ( 35 ), la directive 2010/24 sur le recouvrement ne prévoit pas de limite générale à l’obligation d’assistance administrative en cas de lourdes charges administratives disproportionnées. Compte tenu du principe de coopération loyale inscrit à l’article 4, paragraphe 3, TUE, l’État membre requérant ne peut toutefois pas exiger de l’État membre requis des vérifications plus fréquentes ou plus intensives que celles qu’il ferait lui-même.

c) Conclusion

77.

La présente restriction à la liberté des mouvements de capitaux n’est dès lors pas justifiée par le besoin de contrôles fiscaux efficaces car les autorités néerlandaises peuvent réaliser les vérifications nécessaires en adressant une demande d’informations au titre de l’article 5 de la directive 2011/16 sur la coopération ou de l’article 5 de la directive 2010/24 sur le recouvrement. Il n’y a dès lors pas lieu de répondre à la quatrième question qui concerne la réalisation de vérifications propres des autorités néerlandaises à l’étranger.

3. Préservation de la cohérence fiscale

78.

Il convient enfin d’examiner la justification tirée de la préservation de la cohérence fiscale que certaines parties ont soulevée en considérant que l’avantage fiscal est censé compenser les contraintes pesant sur le propriétaire au titre de son obligation de conserver intact un bien foncier sis aux Pays‑Bas et des restrictions apportées à son usage.

79.

Selon une jurisprudence constante, la nécessité de préserver la cohérence d’un régime fiscal peut justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité. Toutefois, il faut que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé ( 36 ). Le caractère direct de ce lien doit être apprécié au regard de l’objectif de la réglementation en cause ( 37 ).

80.

Indépendamment de la question de savoir si cette cause de justification peut aussi prendre en compte des contraintes étrangères à la fiscalité, nous ne parvenons pas à déceler dans les indications données par le juge de renvoi en quoi le classement comme «domaine rural» d’un bien foncier sis dans un autre État membre ne devrait pas également comporter des obligations de conserver intact le bien et des restrictions dans son usage pour bénéficier de l’avantage fiscal en cause ici. Au reste, le juge de renvoi a indiqué que le but de cet avantage fiscal est de préserver le patrimoine naturel et culturel national et non pas de compenser des contraintes pesant sur le propriétaire, qui ne seraient pas directement liées aux conditions de l’avantage fiscal.

81.

La présente restriction des libres mouvements de capitaux ne peut dès lors pas être justifiée par la préservation de la cohérence fiscale.

D – Conclusion

82.

En conclusion, il convient toutefois de constater que l’avantage fiscal que les droits de donation néerlandais réservent aux «domaines ruraux» sis aux Pays‑Bas restreint certes la libre circulation des capitaux mais que cette restriction est justifiée par des raisons tenant à la préservation du patrimoine naturel et culturel national.

VI – Conclusion

83.

Par ces motifs, nous proposons à la Cour de répondre aux questions préjudicielles du Raad van State comme suit:

1)

Une réglementation nationale telle celle en cause ici, qui limite l’exonération de droits de donation aux domaines ruraux sis aux Pays‑Bas, n’enfreint pas la liberté des mouvements de capitaux inscrite à l’article 63, paragraphe 1, TFUE si elle a pour but de préserver le patrimoine naturel et culturel national.

2)

Les «enquêtes administratives» visées à l’article 3, point 7, de la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE, et à l’article 5, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2010/24/UE, du Conseil, du 16 mars 2010, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures, incluent des vérifications d’un bien foncier sur place.


( 1 ) Langue originale: l’allemand.

( 2 ) Affaire X (EU:C:2014:2164).

( 3 ) JO L 84, p. 1.

( 4 ) JO L 64, p. 1.

( 5 ) Arrêt Mattner (C‑510/08, EU:C:2010:216, point 20).

( 6 ) Arrêt Jäger (C‑256/06, EU:C:2008:20, point 35).

( 7 ) Arrêt Mattner (EU:C:2010:216, points 25 et 26).

( 8 ) Arrêt Welte (C‑181/12, EU:C:2013:662, point 44 et jurisprudence citée).

( 9 ) Arrêts X Holding (C‑337/08, EU:C:2010:89, point 22) et SCA Group Holding e.a. (C‑39/13 à C‑41/13, EU:C:2014:1758, point 28).

( 10 ) Voir point 31 des conclusions que nous avons présentées dans l’affaire X (EU:C:2014:2164).

( 11 ) Arrêt Commission/Autriche (C‑10/10, EU:C:2011:399, point 40 et jurisprudence citée).

( 12 ) Arrêt Petersen (C‑544/11, EU:C:2013:124, point 61).

( 13 ) Arrêt Commission/Allemagne (C‑152/05, EU:C:2008:17, point 28).

( 14 ) Arrêt Persche (EU:C:2009:33, points 47 à 49 et jurisprudence citée).

( 15 ) Arrêts Centro di Musicologia Walter Stauffer (C‑386/04, EU:C:2006:568, point 39); Persche (EU:C:2009:33, point 48) et Tankreederei I (C‑287/10, EU:C:2010:827, point 30).

( 16 ) Arrêt Ålands Vindkraft (C‑573/12, EU:C:2014:2037, point 94).

( 17 ) Arrêts Tas-Hagen et Tas (C‑192/05, EU:C:2006:676, point 34); Gottwald (C‑103/08, EU:C:2009:597, point 32) et Thiele Meneses (C‑220/12, EU:C:2013:683, point 34 et jurisprudence citée).

( 18 ) Arrêt Thiele Meneses (EU:C:2013:683, point 35 et jurisprudence citée).

( 19 ) Voir mes conclusions sous l’arrêt X (EU:C:2014:2164, point 43).

( 20 ) Arrêt Tankreederei I (EU:C:2010:827, points 30 à 33).

( 21 ) Arrêt Laboratoires Fournier (C‑39/04, EU:C:2005:161, point 23).

( 22 ) Voir mes conclusions sous l’arrêt X (EU:C:2014:2164, points 35 à 46).

( 23 ) Voir arrêts ADBHU (240/83, EU:C:1985:59, point 13); Commission/Danemark (302/86, EU:C:1988:421, point 9); Commission/Belgique (C‑2/90, EU:C:1992:310, point 32); Commission/Allemagne (C‑463/01, EU:C:2004:797, point 75); Commission/Autriche (C‑320/03, EU:C:2005:684, point 70); Commission/Autriche (C‑524/07, EU:C:2008:717, point 57) ainsi que Mickelsson et Roos (C‑142/05, EU:C:2009:336, point 32).

( 24 ) Voir quatrième considérant de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO L 206, p. 7), et arrêt Commission/Royaume-Uni (C‑6/04, EU:C:2005:626, point 25).

( 25 ) Voir arrêt Commission/Allemagne (C‑211/13, EU:C:2014:2148, points 45 à 47 et jurisprudence citée).

( 26 ) Voir arrêts Rewe-Zentral, dit «Cassis de Dijon» (120/78, EU:C:1979:42, point 8); A (C‑101/05, EU:C:2007:804, point 55) ainsi que Strojírny Prostějov et ACO Industries Tábor (C‑53/13 et C‑80/13, EU:C:2014:2011, point 55).

( 27 ) Voir en ce sens arrêts Futura Participations et Singer (C‑250/95, EU:C:1997:239, point 31); Établissements Rimbaud (C‑72/09, EU:C:2010:645, point 35) et SIAT (C‑318/10, EU:C:2012:415, point 44).

( 28 ) Voir notamment arrêts Bachmann (C‑204/90, EU:C:1992:35, point 18); Centro di Musicologia Walter Stauffer (EU:C:2006:568, point 50) et Commission/Belgique (C‑296/12, EU:C:2014:24, point 43) à propos de la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs et des taxes sur les primes d’assurance (JO L 336, p. 15).

( 29 ) Voir notamment arrêts Bachmann (EU:C:1992:35, point 20); Danner (C‑136/00, EU:C:2002:558, point 50); Persche (EU:C:2009:33, point 53) et Emerging Markets Series of DFA Investment Trust Company (C‑190/12, EU:C:2014:249, point 81).

( 30 ) Voir en ce sens arrêts Centro di Musicologia Walter Stauffer (EU:C:2006:568, point 48) et Commission/Belgique (C‑383/10, EU:C:2013:364, point 53).

( 31 ) Voir en ce sens arrêts Schmelz (C‑97/09, EU:C:2010:632, point 67) et Commission/Belgique (EU:C:2013:364, points 55 à 60).

( 32 ) Voir arrêt National Grid Indus (C‑371/10, EU:C:2011:785, point 78) au sujet de la directive 2008/55/CE du Conseil, du 26 mai 2008, concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives à certaines cotisations, à certains droits, à certaines taxes et autres mesures (JO L 150, p. 28), qui a été abrogée par la directive 2010/24 sur le recouvrement.

( 33 ) Voir arrêt Établissements Rimbaud (EU:C:2010:645, point 48) à propos de l’article 8 de la directive 77/799/CEE du Conseil, du 19 décembre 1977, concernant l’assistance mutuelle des autorités compétentes des États membres dans le domaine des impôts directs (JO L 336, p. 15).

( 34 ) Voir points 70 à 72 des présentes conclusions.

( 35 ) JO L 268, p. 1.

( 36 ) Voir arrêts Manninen (C‑319/02, EU:C:2004:484, point 42); Papillon (C‑418/07, EU:C:2008:659, points 43 et 44); DI. VI. Finanziaria di Diego della Valle & C. (C‑380/11, EU:C:2012:552, point 46) et Welte (C‑181/12, EU:C:2013:662, point 59).

( 37 ) Voir arrêts Papillon (EU:C:2008:659, points 43) et Argenta Spaarbank (C‑350/11, EU:C:2013:447, point 42).

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