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Document 62011CJ0470

Arrêt de la Cour (quatrième chambre) du 19 juillet 2012.
SIA Garkalns contre Rīgas dome.
Demande de décision préjudicielle, introduite par l’Augstākās tiesas Senāts.
Article 49 CE — Restrictions à la libre prestation de services — Égalité de traitement — Obligation de transparence — Jeux de hasard — Casinos, salles de jeux et salles de bingo — Obligation d’obtenir un accord préalable de la municipalité du lieu d’établissement — Pouvoir d’appréciation — Atteinte substantielle aux intérêts de l’État et des habitants du territoire administratif concerné — Justifications — Proportionnalité.
Affaire C-470/11.

Recueil – Recueil général

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2012:505

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

19 juillet 2012 ( *1 )

«Article 49 CE — Restrictions à la libre prestation de services — Égalité de traitement — Obligation de transparence — Jeux de hasard — Casinos, salles de jeux et salles de bingo — Obligation d’obtenir un accord préalable de la municipalité du lieu d’établissement — Pouvoir d’appréciation — Atteinte substantielle aux intérêts de l’État et des habitants du territoire administratif concerné — Justifications — Proportionnalité»

Dans l’affaire C‑470/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Augstākās tiesas Senāts (Lettonie), par décision du 6 décembre 2010, parvenue à la Cour le 14 septembre 2011, dans la procédure

SIA Garkalns

contre

Rīgas dome,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de J.-C. Bonichot, président de chambre, MM. K. Schiemann, L. Bay Larsen, Mme C. Toader (rapporteur) et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour le gouvernement letton, par M. I. Kalniņš, en qualité d’agent,

pour le gouvernement portugais, par M. L. Inez Fernandes, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. E. Kalniņš et I. Rogalski, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 49 CE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SIA Garkalns (ci-après «Garkalns»), dont le siège social est établi en Lettonie, au Rīgas dome (Conseil de Riga), agissant pour la Rīgas pilsētas pašvaldības (collectivité autonome de la ville de Riga, ci-après la «collectivité autonome»), au sujet du refus opposé par cette dernière d’autoriser l’ouverture par Garkalns d’une salle de jeux de hasard au sein d’un centre commercial à Riga.

Le cadre juridique

Le droit letton

3

L’article 26, paragraphe 1, de la loi sur les jeux de hasard et les loteries (azartspēļu un izložu likums, ci-après la «loi sur les jeux de hasard») prévoit que l’ouverture d’un casino, d’une salle de jeux ou d’une salle de bingo est subordonnée à une autorisation particulière. Celle-ci est délivrée aux sociétés de capitaux titulaires d’une autorisation générale d’organiser des jeux au moyen d’automates, de roulettes, de cartes et de dés, ou des jeux de bingo.

4

Selon l’article 26, paragraphe 2, de la loi sur les jeux de hasard, l’organisateur de jeux de hasard qui souhaite obtenir une autorisation particulière pour l’ouverture d’un casino, d’une salle de jeux ou d’une salle de bingo, soumet à l’inspection des loteries et jeux de hasard (Izložu un azartspēļu uzraudzības inspekcija) une demande à laquelle doivent être joints plusieurs documents, y compris un permis, délivré par la collectivité autonome compétente, d’ouvrir un tel établissement et d’y organiser les jeux de hasard en question.

5

L’article 41, paragraphe 2, de cette loi interdit d’organiser des jeux de hasard:

«1)

dans les administrations publiques;

2)

dans les églises et lieux de culte;

3)

dans les établissements de soins et d’enseignement;

4)

dans les pharmacies, les établissements postaux ou les établissements de crédit;

5)

dans les lieux où des événements publics ont lieu, pendant le déroulement de ces événements, à l’exception de l’organisation de paris;

6)

dans les lieux auxquels a été reconnu le statut de marché selon la procédure établie;

7)

dans les commerces, établissements culturels, gares ferroviaires ou routières, aéroports et ports, à l’exception des salles de jeux ou des salles de paris, pour lesquelles il a été aménagé un espace clos auquel il n’est possible d’accéder que de l’extérieur, par une entrée séparée;

8)

dans les bars et cafés, à l’exception de l’organisation de paris;

9)

dans les cités universitaires, foyers de travailleurs ou lieux similaires;

10)

dans les bâtiments d’habitation, lorsque les accès extérieurs sont communs avec les accès au lieu où des jeux de hasard sont organisés».

6

L’article 42, paragraphe 3, de ladite loi précise que, s’il est envisagé d’organiser des jeux de hasard dans des lieux qui ne sont pas visés par les restrictions figurant à l’article 41, paragraphe 2, de cette même loi, le conseil de la collectivité autonome compétente se prononce au cas par cas et examine si l’organisation de jeux de hasard dans le lieu envisagé ne porte pas «atteinte de manière substantielle aux intérêts de l’État et des habitants du territoire administratif concerné».

Les faits au principal et la question préjudicielle

7

Garkalns a sollicité auprès de la collectivité autonome l’autorisation d’ouvrir une salle de jeux de hasard au sein d’un centre commercial situé sur le territoire de la ville de Riga. Par décision du 12 octobre 2006, le Rīgas dome a refusé de lui délivrer cette autorisation, estimant qu’une telle ouverture nuirait substantiellement aux intérêts des habitants de la collectivité.

8

Garkalns a introduit un recours devant l’administratīvā rajona tiesa (tribunal administratif de district). Par jugement du 29 octobre 2008, cette juridiction a rejeté le recours.

9

Par arrêt du 13 avril 2010, l’appel interjeté contre ce jugement devant l’Administratīvā apgabaltiesa [cour administrative régionale (juridiction d’appel administrative)] a été également rejeté.

10

Cette dernière juridiction a en effet considéré que l’organisation de jeux de hasard à l’endroit envisagé était non seulement de nature à nuire aux intérêts des habitants du quartier, ainsi qu’à ceux d’autres quartiers, le centre commercial, très fréquenté, étant situé à proximité d’une artère principale. Ainsi, l’implantation envisagée se situerait, d’une part, à proximité immédiate d’un complexe résidentiel et, d’autre part, à une distance de 500 mètres environ d’un établissement d’enseignement secondaire. Selon cette juridiction, le refus opposé par la collectivité autonome était dès lors motivé par le souci d’éviter que le public ne soit tenté de privilégier la participation à des jeux de hasard par rapport à d’autres possibilités pour occuper son temps libre.

11

Garkalns a introduit un pourvoi en cassation devant la juridiction de renvoi contre l’arrêt rendu par l’Administratīvā apgabaltiesa. Elle soutient, entre autres, que cette dernière juridiction a mal interprété l’article 42, paragraphe 3, de la loi sur les jeux de hasard.

12

À l’appui de son pourvoi, Garkalns, en se référant à l’arrêt de la Cour du 3 juin 2010, Sporting Exchange (C-203/08, Rec. p. I-4695, points 50 et 51), fait notamment valoir que, si un État membre peut imposer un niveau de protection nécessaire dans le secteur des jeux de hasard, la marge d’appréciation dont il dispose ne doit cependant pas porter atteinte à la libre prestation de services. Le régime d’autorisation des jeux de hasard devrait ainsi être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance.

13

Le Rīgas dome conclut au rejet du pourvoi et fait observer que la décision contestée est conforme à la pratique de la collectivité autonome qui consiste à ne pas délivrer d’autorisation afin de réduire le nombre d’établissements de jeux de hasard à Riga.

14

La juridiction de renvoi est d’avis que le texte imprécis de l’article 42, paragraphe 3, de la loi sur les jeux de hasard est susceptible de violer le principe de l’égalité de traitement et l’obligation de transparence qui en découle, mais se demande si une telle disposition légale n’est pas nécessaire afin de reconnaître aux autorités locales une certaine latitude dans l’application du régime relatif à l’organisation des jeux de hasard ainsi que dans la planification du développement territorial et social de la collectivité autonome, ce qui ne serait pas possible si des critères plus rigides étaient inscrits dans la loi.

15

C’est dans ces conditions que l’Augstākās tiesas Senāts a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«Convient-il d’interpréter l’article 49 CE et l’obligation de transparence qui lui est liée en ce sens qu’est compatible avec les restrictions admissibles à la libre prestation des services l’utilisation, dans une loi annoncée publiquement et préalablement, d’une notion juridique indéterminée telle que ‘l’atteinte substantielle aux intérêts de l’État et des habitants du territoire administratif concerné’, notion à laquelle, dans chaque cas d’application, il convient de donner un contenu concret au moyen de lignes directrices d’interprétation, mais qui permet en même temps une certaine souplesse dans l’évaluation de l’atteinte à la liberté?»

Sur la question préjudicielle

Sur la recevabilité

16

Le gouvernement letton conteste la recevabilité de la demande de décision préjudicielle au motif que tous les éléments du litige au principal se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre. Selon ce gouvernement, en l’absence d’élément transfrontalier, la question posée est hypothétique et ne présente aucun lien avec le droit de l’Union.

17

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 10 mars 2009, Hartlauer, C-169/07, Rec. p. I-1721, point 24).

18

Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir, notamment, arrêt du 1er juin 2010, Blanco Pérez et Chao Gómez, C-570/07 et C-571/07, Rec. p. I-4629, point 36).

19

Or, tel n’est pas le cas en ce qui concerne la présente procédure. En effet, la décision de renvoi décrit, de manière suffisante, le cadre juridique et factuel du litige au principal et les indications fournies par la juridiction de renvoi permettent de déterminer la portée de la question posée.

20

En l’occurrence, il est constant que Garkalns est une entreprise lettone, créée en Lettonie, et que tous les éléments du litige au principal sont circonscrits à l’intérieur de ce seul État membre. Cependant, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, la réponse de cette dernière peut être utile à la juridiction de renvoi même dans de telles circonstances, notamment dans l’hypothèse où son droit national lui imposerait de faire bénéficier un ressortissant national des mêmes droits que ceux qu’un ressortissant d’un autre État membre tirerait du droit de l’Union dans la même situation (voir, en ce sens, arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez, précité, point 39, ainsi que arrêt du 10 mai 2012, Duomo Gpa e.a., C‑357/10 à C‑359/10, point 28).

21

En outre, si une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, qui est indistinctement applicable aux ressortissants lettons et aux ressortissants des autres États membres, n’est, en règle générale, susceptible de relever des dispositions relatives aux libertés fondamentales garanties par le traité FUE que dans la mesure où elle s’applique à des situations ayant un lien avec les échanges entre les États membres, il ne saurait nullement être exclu que des exploitants établis dans des États membres autres que la République de Lettonie aient été ou soient intéressés à ouvrir des salles de jeux de hasard sur le territoire letton (voir, en ce sens, arrêt Blanco Pérez et Chao Gómez, précité, point 40 et jurisprudence citée).

22

Dans ces conditions, la demande de décision préjudicielle doit être considérée comme recevable.

Sur l’identification des dispositions du droit de l’Union appelant une interprétation

23

Le gouvernement letton a émis des doutes quant à la pertinence de la référence que comporte la question préjudicielle à l’article 49 CE, soutenant que seul l’article 43 CE a vocation à s’appliquer à une situation telle que celle en cause dans l’affaire au principal.

24

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, les activités consistant à permettre aux utilisateurs de participer, contre rémunération, à un jeu d’argent constituent des activités de services au sens de l’article 49 CE (arrêt du 8 septembre 2010, Stoß e.a., C-316/07, C-358/07 à C-360/07, C-409/07 et C-410/07, Rec. p. I-8069, point 56 ainsi que jurisprudence citée).

25

Dès lors, des prestations telles que celles en cause au principal peuvent relever du champ d’application de l’article 49 CE, sauf si l’article 43 CE est applicable.

26

En ce qui concerne la délimitation des champs d’application respectifs des principes de la libre prestation de services et de la liberté d’établissement, il importe de déterminer si l’opérateur économique est établi ou non dans l’État membre dans lequel il offre le service en question (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard, C-55/94, Rec. p. I-4165, point 22). Lorsqu’il est établi dans l’État membre dans lequel il offre ce service, il entre dans le champ d’application de la liberté d’établissement, tel que défini à l’article 43 CE. Lorsque, en revanche, l’opérateur économique n’est pas établi dans l’État membre de destination, il est un prestataire transfrontalier relevant du principe de la libre prestation de services prévu à l’article 49 CE (voir arrêt Duomo Gpa e.a., précité, point 30 et jurisprudence citée).

27

Dans ce contexte, la notion d’établissement implique que l’opérateur offre ses services, de manière stable et continue, à partir d’un établissement dans l’État membre de destination. En revanche, sont des «prestations de services», au sens de l’article 49 CE, toutes les prestations qui ne sont pas offertes, de manière stable et continue, à partir d’un établissement dans l’État membre de destination (voir arrêt Duomo Gpa e.a., précité, point 31 et jurisprudence citée).

28

Il ressort également de la jurisprudence de la Cour qu’aucune disposition du traité CE ne permet de déterminer, de manière abstraite, la durée ou la fréquence à partir de laquelle la fourniture d’un service ou d’un certain type de service ne peut plus être considérée comme une prestation de services, de sorte que la notion de «service» au sens dudit traité peut recouvrir des services de nature très différente, y compris des services dont la prestation s’étend sur une période prolongée, voire sur plusieurs années (voir arrêt Duomo Gpa e.a., précité, point 32 et jurisprudence citée).

29

Il résulte de ce qui précède qu’une disposition telle que celle en cause au principal est, en principe, susceptible de relever du champ d’application tant de l’article 43 CE que de l’article 49 CE.

30

En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre d’une procédure visée à l’article 267 TFUE, lequel est fondé sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, toute appréciation des faits de la cause au principal relève de la compétence du juge national (arrêt Stoß e.a., précité, point 62 et jurisprudence citée).

31

C’est ainsi à la juridiction de renvoi qu’il appartiendra de déterminer, au vu des circonstances propres de l’affaire dont elle est saisie, si la situation en cause au principal relève de l’article 43 CE ou de l’article 49 CE.

32

Étant donné que la juridiction de renvoi a formulé la question préjudicielle sur la base de l’article 49 CE, il y a lieu de l’examiner au regard de cet article.

Sur le fond

33

Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, qui confie aux autorités locales un large pouvoir d’appréciation en leur permettant de refuser une autorisation d’ouverture d’un casino, d’une salle de jeux ou d’une salle de bingo, sur le fondement d’une «atteinte substantielle aux intérêts de l’État et des habitants du territoire administratif concerné».

34

À titre liminaire, il convient de rappeler qu’une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui interdit l’exercice d’activités dans le secteur des jeux de hasard en l’absence d’une autorisation préalable des autorités administratives, constitue une restriction à la libre prestation des services garantie par l’article 49 CE (voir en ce sens, notamment, arrêt du 6 mars 2007, Placanica e.a., C-338/04, C-359/04 et C-360/04, Rec. p. I-1891, point 42).

35

En l’occurrence, il convient toutefois d’apprécier si une telle restriction peut être admise au titre des mesures dérogatoires, pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique, expressément prévues aux articles 45 CE et 46 CE, applicables en la matière en vertu de l’article 55 CE, ou justifiée, conformément à la jurisprudence de la Cour, par des raisons impérieuses d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2009, Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, C-42/07, Rec. p. I-7633, point 55, ainsi que ordonnance du 28 octobre 2010, Bejan, C‑102/10, point 44).

36

À cet égard, la Cour a itérativement jugé que la réglementation des jeux de hasard fait partie des domaines dans lesquels des divergences considérables d’ordre moral, religieux et culturel existent entre les États membres. En l’absence d’une harmonisation en la matière, il appartient à chaque État membre d’apprécier, dans ces domaines, selon sa propre échelle de valeurs, les exigences que comporte la protection des intérêts concernés (arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, point 57 ainsi que jurisprudence citée).

37

Toutefois, les restrictions imposées par les États membres doivent satisfaire aux conditions qui ressortent de la jurisprudence de la Cour en ce qui concerne leur proportionnalité et doivent être appliquées de manière non discriminatoire. Ainsi, une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêt Liga Portuguesa de Futebol Profissional et Bwin International, précité, points 59 à 61 ainsi que jurisprudence citée).

38

Comme la Cour l’a déjà jugé, dans ce domaine particulier, les autorités nationales bénéficient d’un pouvoir d’appréciation suffisant pour déterminer les exigences que comporte la protection du consommateur et de l’ordre social et, pour autant que les conditions établies par sa jurisprudence sont par ailleurs respectées, il appartient à chaque État membre d’apprécier si, dans le contexte des buts légitimes qu’il poursuit, il est nécessaire d’interdire totalement ou partiellement des activités relevant des jeux et paris, ou seulement de les restreindre et de prévoir à cet effet des modalités de contrôle plus ou moins strictes (voir, en ce sens, arrêts Stoß e.a., précité, point 76, ainsi que du 8 septembre 2010, Carmen Media Group, C-46/08, Rec. p. I-8149, point 46).

39

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, les restrictions aux activités des jeux de hasard peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la protection des consommateurs et la prévention de la fraude et de l’incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu (voir, en ce sens, arrêt Carmen Media Group, précité, point 55 et jurisprudence citée).

40

En l’espèce, il n’est pas contesté que l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause, notamment la protection des intérêts des habitants du voisinage ainsi que des consommateurs potentiels contre les risques liés aux jeux de hasard, est de nature à constituer une raison impérieuse d’intérêt général susceptible de justifier la restriction à la libre prestation de services en cause.

41

Dans ces conditions, il convient de vérifier si la restriction à la libre prestation de services imposée par la réglementation nationale en cause au principal est propre à garantir la réalisation de l’objectif de la protection des consommateurs contre les risques liés aux jeux de hasard et si elle ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif.

42

De plus, afin de respecter le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence qui en découle, un régime d’autorisation des jeux de hasard doit être fondé sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance, de manière à encadrer l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités afin que celui-ci ne soit pas utilisé de manière arbitraire (voir, en ce sens, arrêt Sporting Exchange, précité, point 50).

43

Afin de permettre un contrôle de l’impartialité des procédures d’autorisation, il est par ailleurs nécessaire que les autorités compétentes fondent chacune de leurs décisions sur un raisonnement accessible au public, indiquant de façon précise les raisons pour lesquelles, le cas échéant, une autorisation a été refusée.

44

À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’il incombe aux juridictions nationales de s’assurer, notamment au vu des modalités concrètes d’application de la réglementation restrictive concernée, que celle-ci réponde véritablement au souci de réduire les occasions de jeu et de limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêt Carmen Media Group, précité, point 65 et jurisprudence citée).

45

En l’occurrence, il ne saurait être contesté que, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, en permettant de refuser une autorisation d’ouverture d’une salle de jeux de hasard sur le fondement d’une atteinte substantielle aux intérêts de l’État et des habitants du territoire administratif concerné, la législation nationale en cause au principal confie aux autorités administratives un large pouvoir dans l’appréciation, notamment, de la nature des intérêts qu’elle entend protéger.

46

Un pouvoir d’appréciation, tel que celui en cause au principal, pourrait être justifié si la réglementation nationale elle-même avait pour objet de répondre véritablement au souci de réduire les occasions de jeu et de limiter les activités dans ce domaine, d’une manière cohérente et systématique, ou d’assurer la tranquillité des habitants du voisinage ou encore, de manière générale, l’ordre public en reconnaissant à cet effet aux autorités locales une certaine latitude dans l’application du régime relatif à l’organisation des jeux de hasard.

47

Afin d’apprécier la proportionnalité de la réglementation nationale en cause, il revient donc à la juridiction de renvoi de vérifier notamment que l’État exerce un contrôle strict sur les activités liées aux jeux de hasard, que le refus des autorités locales d’autoriser l’ouverture de nouveaux établissements de ce type poursuit réellement l’objectif de protection des consommateurs allégué et que le critère de l’«atteinte substantielle aux intérêts de l’État et des habitants du territoire administratif concerné» est appliqué de manière non discriminatoire.

48

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la question posée que l’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui confie aux autorités locales un large pouvoir d’appréciation en leur permettant de refuser une autorisation d’ouverture d’un casino, d’une salle de jeux ou d’une salle de bingo, sur le fondement d’une «atteinte substantielle aux intérêts de l’État et des habitants du territoire administratif concerné» pour autant que cette réglementation a véritablement pour objet de réduire les occasions de jeu et de limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique ou d’assurer l’ordre public et pour autant que l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes est exercé d’une façon transparente, permettant un contrôle de l’impartialité des procédures d’autorisation, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

49

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

L’article 49 CE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation d’un État membre, telle que celle en cause au principal, qui confie aux autorités locales un large pouvoir d’appréciation en leur permettant de refuser une autorisation d’ouverture d’un casino, d’une salle de jeux ou d’une salle de bingo, sur le fondement d’une «atteinte substantielle aux intérêts de l’État et des habitants du territoire administratif concerné» pour autant que cette réglementation ait véritablement pour objet de réduire les occasions de jeu et de limiter les activités dans ce domaine d’une manière cohérente et systématique ou d’assurer l’ordre public et pour autant que l’exercice du pouvoir d’appréciation des autorités compétentes est exercé d’une façon transparente, permettant un contrôle de l’impartialité des procédures d’autorisation, ce qu’il revient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le letton.

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