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Document 62010CC0070
Opinion of Mr Advocate General Cruz Villalón delivered on 14 April 2011. # Scarlet Extended SA v Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs SCRL (SABAM). # Reference for a preliminary ruling: Cour d'appel de Bruxelles - Belgium. # Information society - Copyright - Internet - ‘Peer-to-peer’ software - Internet service providers - Installation of a system for filtering electronic communications in order to prevent file sharing which infringes copyright - No general obligation to monitor information transmitted. # Case C-70/10.
Conclusions de l'avocat général Cruz Villalón présentées le 14 avril 2011.
Scarlet Extended SA contre Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs SCRL (SABAM).
Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Bruxelles - Belgique.
Société de l’information - Droit d’auteur - Internet - Logiciels ‘peer-to-peer’ - Fournisseurs d’accès à Internet - Mise en place d’un système de filtrage des communications électroniques afin d’empêcher l’échange des fichiers portant atteinte aux droits d’auteur - Absence d’obligation générale de surveiller les informations transmises.
Affaire C-70/10.
Conclusions de l'avocat général Cruz Villalón présentées le 14 avril 2011.
Scarlet Extended SA contre Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs SCRL (SABAM).
Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Bruxelles - Belgique.
Société de l’information - Droit d’auteur - Internet - Logiciels ‘peer-to-peer’ - Fournisseurs d’accès à Internet - Mise en place d’un système de filtrage des communications électroniques afin d’empêcher l’échange des fichiers portant atteinte aux droits d’auteur - Absence d’obligation générale de surveiller les informations transmises.
Affaire C-70/10.
Recueil de jurisprudence 2011 -00000
Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2011:255
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PEDRO CRUZ VILLALÓN
présentées le 14 avril 2011 (1)
Affaire C‑70/10
Scarlet Extended SA
contre
Société belge des auteurs compositeurs et éditeurs (Sabam)
en présence de:
Belgian Entertainement Association Video ASBL (BEA Video),
Belgian Entertainement Association Music ASBL (BEA Music),
Internet Service Provider Association ASBL (ISPA),
[demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Bruxelles (Belgique)]
«Société de l’information – Droits de propriété intellectuelle – Directive 2004/48/CE – Droit d’auteur et droits voisins – Directive 2001/29/CE – Téléchargement illégal sur Internet – Échanges de fichiers au moyen de logiciels ‘peer-to-peer’ – Système de filtrage des communications électroniques – Mécanisme de blocage des fichiers échangés en violation de droits de propriété intellectuelle – Droit au respect de la vie privée – Protection des données personnelles – Articles 7 et 8 de la charte – Article 8 de la CEDH – Directive 95/46/CE – Directive 2002/58/CE – Confidentialité des communications – Droit à la liberté d’expression – Article 11 de la charte – Article 10 de la CEDH – Responsabilité des prestataires intermédiaires de services – Obligation générale de surveillance des informations – Directive 2000/31/CE – État de droit – Limitation des droits et libertés ‘prévue par la loi’ – Qualité de la loi – Prééminence du droit»
I – Introduction
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
1. La réglementation relative à la protection de la propriété intellectuelle
a) La directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information
b) La directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle
2. La réglementation relative à la protection des données personnelles
a) La directive 95/46 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données
b) La directive 2002/58 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques
3. La réglementation relative au commerce électronique: la directive 2000/31
B – Le droit national
III – Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles
A – Les faits et la procédure au principal
B – Les questions préjudicielles
C – La procédure devant la Cour
IV – Analyse
A – Observations liminaires
1. La reformulation de la première question: la CEDH et la charte
2. La structure de la réponse
3. Une approche en quatre étapes
B – La mesure sollicitée (injonction de cessation) et le «système» exigé (filtrage et blocage)
1. Le système de filtrage et de blocage
a) Le mécanisme de «filtrage»
b) Le mécanisme de «blocage»
2. Les caractéristiques de la mesure d’injonction
a) «sans limitation dans le temps»: le champ d’application ratione temporis de la mesure
b) «toutes les communications électroniques, tant entrantes que sortantes»: le champ d’application ratione materiae de la mesure
c) «à l’égard de toute sa clientèle»: le champ d’application ratione personae de la mesure
d) «in abstracto et à titre préventif»: la fonction préventive et dissuasive de la mesure sollicitée
e) «à ses frais»: la charge des coûts afférents à l’exécution de la mesure sollicitée
3. Conclusion intermédiaire
C – La qualification de la mesure au regard des directives et des articles 7, 8 et 11 de la charte: une «limitation» au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la charte
1. «interprétées notamment au regard des articles 7 et 8 de la charte»: sur le respect de la vie privée et le droit à la protection des données personnelles
a) La protection des données personnelles (article 8 de la charte)
b) Le secret des communications électroniques (article 7 de la charte)
2. «interprétées notamment au regard de l’article 11 de la charte»: sur la garantie de la liberté d’expression et du droit à l’information
3. Conclusion intermédiaire
D – Sur les conditions de limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la charte et singulièrement la condition tenant à la «qualité de la loi» en particulier (article 52, paragraphe 1, de la charte)
E – «sur la base de la seule disposition légale»: l’examen de la législation nationale au regard de la condition tenant à la «qualité de la loi» (article52, paragraphe 1, de la charte)
V – Conclusion
I – Introduction
1. La présente affaire offre à la Cour l’opportunité de connaître à son tour de la question des atteintes portées au droit d’auteur et aux droits voisins sur Internet, du téléchargement illégal d’œuvres protégées, phénomène communément désigné comme le «piratage» d’œuvres musicales, cinématographiques, audiovisuelles ou encore littéraires, et de s’intéresser à la lutte menée par les titulaires de ces droits ou leurs ayants droit contre ce qui est présenté comme un fléau mondial (2). Elle est, plus précisément, appelée à se prononcer, question inédite, sur la viabilité, du point de vue du droit de l’Union, de certaines mesures techniques de lutte contre le piratage qui, bien que leur fiabilité ne soit pas totalement établie et qu’elles soient en permanence soumises au progrès technologique et à l’évolution des pratiques, sont présentées comme une réponse adéquate possible aux attentats aux droits de propriété intellectuelle quotidiennement perpétrés sur «la toile».
2. Les questions préjudicielles posées à la Cour dans cette affaire appellent une interprétation tant d’un ensemble complexe de dispositions d’actes de droit dérivé que de dispositions du droit primaire, plus précisément de la charte des droit fondamentaux de l’Union européenne (3), au regard de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (4). Il doit cependant être immédiatement indiqué qu’il ne saurait être question d’aborder, dans le cadre des présentes conclusions, l’ensemble des interrogations juridiques et des problèmes techniques (5) que les mesures en cause soulèvent. Prenant appui sur la formulation même des questions posées par la juridiction de renvoi ainsi que sur les termes suivant lesquels elle expose la situation juridique et factuelle de l’affaire au principal, nous allons nous efforcer de lui fournir une réponse utile en nous concentrant sur ses aspects les plus fondamentaux.
3. La Cour est, à cet égard, principalement appelée à indiquer concrètement à la juridiction de renvoi si, du point de vue du droit de l’Union, il est permis à une juridiction nationale d’adopter une mesure telle que celle qui est sollicitée dans l’affaire au principal, ordonnant à un fournisseur d’accès à Internet (6) la mise en place d’un système de filtrage et de blocage des communications électroniques. Or, comme la mesure ainsi sollicitée a une portée tout à fait différente pour ce FAI, d’une part, et pour les utilisateurs des services de ce FAI et plus largement les internautes, d’autre part, il nous faudra tenir compte de cette double perspective, quand bien même la question posée vise tout particulièrement les droits des utilisateurs.
4. Il doit également être précisé d’emblée que la présente affaire se distingue de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Promusicae (7), bien que leur cadre juridique et que leur contexte général présentent d’évidentes similitudes. Si la présente affaire exige, comme dans l’affaire Promusicae, précitée, la conciliation des exigences liées à la protection de différents droits fondamentaux, les deux affaires présentent des différences qui, comme le souligne la juridiction de renvoi elle-même, excluent que les enseignements de l’arrêt Promusicae, notamment le principe de juste équilibre des droits qu’il définit, soient suffisants pour lui permettre de statuer. Dans l’affaire Promusicae, en effet, il était demandé à un FAI de révéler, dans le cadre d’une procédure judiciaire, l’identité et l’adresse physique de personnes identifiées par leur adresse IP (8), la date et l’heure de leur connexion. Était donc en cause une communication, dans un cadre judiciaire, de données connues et identifiées. Dans l’affaire au principal, en revanche, il est exigé d’un fournisseur d’accès à Internet qu’il mette en place un système de filtrage des communications électroniques et de blocage des fichiers électroniques censés porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle. C’est non pas une intervention a posteriori, une fois constatée une atteinte à des droits d’auteur ou à des droits voisins, qui est exigée, mais une intervention a priori, en vue d’éviter une telle atteinte et, plus précisément, afin de mettre en place un système de nature à faire obstacle, de façon préventive, à toute atteinte future à un droit de propriété intellectuelle (9), suivant des modalités qui, comme nous le verrons, sont empreintes de nombreuses incertitudes.
5. Cela précisé, c’est néanmoins dans une perspective de droits fondamentaux, principalement, que l’examen de la situation en cause dans l’affaire au principal va s’imposer assez naturellement.
II – Le cadre juridique
A – Le droit de l’Union
6. La Cour est principalement interrogée sur l’interprétation des directives 2001/29/CE (10) et 2004/48/CE (11), relatives à la protection de la propriété intellectuelle, des directives 95/46/CE (12) et 2002/58/CE (13), relatives à la protection des données personnelles et de la directive 2000/31/CE (14) sur le commerce électronique, qui entretiennent des relations complexes. Eu égard à cette complexité, ne seront reprises, dans la présentation du cadre juridique de l’affaire, que les dispositions indispensables à la compréhension du litige au principal.
1. La réglementation relative à la protection de la propriété intellectuelle
a) La directive 2001/29 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information
7. L’article 8 de la directive 2001/29, intitulé «Sanctions et voies de recours», est ainsi rédigé:
«1. Les États membres prévoient des sanctions et des voies de recours appropriées contre les atteintes aux droits et obligations prévus par la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour en garantir l’application. Ces sanctions sont efficaces, proportionnées et dissuasives.
2. Chaque État membre prend les mesures nécessaires pour faire en sorte que les titulaires de droits dont les intérêts sont lésés par une infraction commise sur son territoire puissent intenter une action en dommages-intérêts et/ou demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue ainsi que, le cas échéant, demander la saisie du matériel concerné par l’infraction ainsi que des dispositifs, produits ou composants visés à l’article 6, paragraphe 2.
3. Les États membres veillent à ce que les titulaires de droits puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin.»
b) La directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle
8. L’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/48 dispose:
«Les États membres veillent à ce que les autorités judiciaires compétentes puissent, à la demande du requérant:
a) rendre à l’encontre du contrevenant supposé une ordonnance de référé visant à prévenir toute atteinte imminente à un droit de propriété intellectuelle, à interdire, à titre provisoire et sous réserve, le cas échéant, du paiement d’une astreinte lorsque la législation nationale le prévoit, que les atteintes présumées à ce droit se poursuivent, ou à subordonner leur poursuite à la constitution de garanties destinées à assurer l’indemnisation du titulaire du droit; une ordonnance de référé peut également être rendue, dans les mêmes conditions, à l’encontre d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle; les injonctions à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin sont couvertes par la directive 2001/29/CE».
9. L’article 11 de la directive 2004/48, intitulé «Injonctions», prévoit:
«Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une décision judiciaire a été prise constatant une atteinte à un droit de propriété intellectuelle, les autorités judiciaires compétentes puissent rendre à l’encontre du contrevenant une injonction visant à interdire la poursuite de cette atteinte. Lorsque la législation nationale le prévoit, le non-respect d’une injonction est, le cas échéant, passible d’une astreinte, destinée à en assurer l’exécution. Les États membres veillent également à ce que les titulaires de droits puissent demander une injonction à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans préjudice de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE.»
2. La réglementation relative à la protection des données personnelles
a) La directive 95/46 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données
10. L’article 13, paragraphe 1, sous g), de la directive 95/46 dispose:
«Les États membres peuvent prendre des mesures législatives visant à limiter la portée des obligations et des droits prévus à l’article 6 paragraphe 1, à l’article 10, à l’article 11 paragraphe 1 et aux articles 12 et 21, lorsqu’une telle limitation constitue une mesure nécessaire pour sauvegarder:
[…]
g) la protection de la personne concernée ou des droits et libertés d’autrui.»
b) La directive 2002/58 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques
11. L’article 5 de la directive 2002/58, consacré à la confidentialité des communications, dispose en son paragraphe 1:
«Les États membres garantissent, par la législation nationale, la confidentialité des communications effectuées au moyen d’un réseau public de communications et de services de communications électroniques accessibles au public, ainsi que la confidentialité des données relatives au trafic y afférentes. En particulier, ils interdisent à toute autre personne que les utilisateurs d’écouter, d’intercepter, de stocker les communications et les données relatives au trafic y afférentes, ou de les soumettre à tout autre moyen d’interception ou de surveillance, sans le consentement des utilisateurs concernés sauf lorsque cette personne y est légalement autorisée, conformément à l’article 15, paragraphe 1. Le présent paragraphe n’empêche pas le stockage technique nécessaire à l’acheminement d’une communication, sans préjudice du principe de confidentialité.»
12. L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58, qui prévoit l’application de certaines dispositions de la directive 95/46/CE, dispose:
«Les États membres peuvent adopter des mesures législatives visant à limiter la portée des droits et des obligations prévus aux articles 5 et 6, à l’article 8, paragraphes 1, 2, 3 et 4, et à l’article 9 de la présente directive lorsqu’une telle limitation constitue une mesure nécessaire, appropriée et proportionnée, au sein d’une société démocratique, pour sauvegarder la sécurité nationale – c’est-à-dire la sûreté de l’État – la défense et la sécurité publique, ou assurer la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d’infractions pénales ou d’utilisations non autorisées du système de communications électroniques, comme le prévoit l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/ 46/CE. À cette fin, les États membres peuvent, entre autres, adopter des mesures législatives prévoyant la conservation de données pendant une durée limitée lorsque cela est justifié par un des motifs énoncés dans le présent paragraphe. Toutes les mesures visées dans le présent paragraphe sont prises dans le respect des principes généraux du droit communautaire, y compris ceux visés à l’article 6, paragraphes 1 et 2, du traité sur l’Union européenne.»
3. La réglementation relative au commerce électronique: la directive 2000/31
13. L’article 15 de la directive 2000/31, qui clôt la section IV consacrée à la responsabilité des prestataires intermédiaires pose le principe de l’absence d’obligation générale en matière de surveillance dans les termes suivants:
«1. Les États membres ne doivent pas imposer aux prestataires, pour la fourniture des services visée aux articles 12, 13 et 14, une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent, ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites.
2. Les États membres peuvent instaurer, pour les prestataires de services de la société de l’information, l’obligation d’informer promptement les autorités publiques compétentes d’activités illicites alléguées qu’exerceraient les destinataires de leurs services ou d’informations illicites alléguées que ces derniers fourniraient ou de communiquer aux autorités compétentes, à leur demande, les informations permettant d’identifier les destinataires de leurs services avec lesquels ils ont conclu un accord d’hébergement.»
B – Le droit national
14. L’article 87, paragraphe 1, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins (15), telle que modifiée par la loi du 10 mai 2007 assurant la transposition de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 et de l’article 11 de la directive 2004/48, dispose:
«Le président du tribunal de première instance et le président du tribunal de commerce […] constatent l’existence et ordonnent la cessation de toute atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin.
Ils peuvent également rendre une injonction de cessation à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin.»
III – Les faits à l’origine du litige au principal et les questions préjudicielles
A – Les faits et la procédure au principal
15. Par exploit du 24 juin 2004, la Société belge des auteurs compositeurs et éditeurs (Sabam) a, dans le cadre de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, saisi le président du tribunal de première instance de Bruxelles, statuant en référé, d’une demande en cessation dirigée contre Scarlet Extended SA, un FAI (16).
16. La Sabam faisait valoir que, en sa qualité de FAI, Scarlet était idéalement placée pour prendre des mesures en vue de faire cesser les atteintes au droit d’auteur commises par ses clients, les internautes qui téléchargent illégalement des œuvres reprises dans son catalogue au moyen de logiciels «peer-to-peer» sans acquitter de droits, pratique dont Scarlet profite dans la mesure où elles sont susceptibles d’augmenter son volume de trafic et, partant, la demande de ses services.
17. La Sabam demandait, tout d’abord, que soit constatée l’existence d’atteintes au droit d’auteur sur les œuvres musicales appartenant à son répertoire, et en particulier au droit de reproduction et au droit de communication au public, lesquelles résulteraient de l’échange non autorisé, par l’intermédiaire des services fournis par Scarlet, de fichiers électroniques musicaux réalisé au moyen de logiciels «peer-to-peer».
18. La Sabam demandait, ensuite, que Scarlet soit condamnée à faire cesser sous peine d’astreinte ces atteintes, en rendant impossible ou en paralysant toute forme d’envoi ou de réception par ses clients, au moyen de logiciels «peer-to-peer», de fichiers reprenant une œuvre musicale sans l’autorisation des ayants droit.
19. La Sabam exigeait, enfin, de Scarlet la communication, dans les huit jours de la signification du jugement à intervenir sous peine d’astreinte, du descriptif des mesures adoptées, la publication d’un texte sur la page d’accueil de son site Internet ainsi que la publication dudit jugement dans deux quotidiens et un hebdomadaire de son choix.
20. Par jugement du 26 novembre 2004, le président du tribunal a constaté l’existence des atteintes au droit d’auteur dénoncées. Toutefois, avant de statuer sur la demande de cessation, il a désigné un expert aux fins d’examiner si les solutions techniques proposées par la Sabam étaient techniquement réalisables, si elles permettaient de filtrer uniquement les échanges illicites de fichiers électroniques et s’il existait d’autres dispositifs susceptibles de contrôler l’usage de logiciels «peer-to-peer» et de déterminer le coût des dispositifs ainsi envisagés.
21. L’expert désigné a déposé son rapport le 29 janvier 2007, dont les conclusions, reproduites dans la décision de renvoi, se lisent comme suit:
«1. Un réseau peer-to-peer est un moyen transparent de partage de contenu, indépendant, décentralisé et muni de fonctions de recherche et de téléchargement avancées;
2. À l’exception de la solution proposée par Audible Magic, toutes les solutions tentent d’empêcher l’utilisation des réseaux peer-to-peer, indépendamment du contenu qui y est véhiculé;
3. Par ailleurs, la pérennité des solutions de filtrage d’application peer-to-peer est loin d’être assurée sur le moyen terme (2-3 ans) de par l’utilisation grandissante du cryptage dans ce type d’application;
4. La solution proposée par la société Audible Magic est donc la seule à tenter de répondre à la problématique de manière spécifique. Cette solution, essentiellement destinée au monde éducatif, n’est cependant pas intrinsèquement dimensionnée pour répondre au volume de trafic d’un FAI. Le recours à cette technique dans le contexte FAI induit de ce fait un coût d’acquisition et d’exploitation élevé pour compenser ce sous-dimensionnement;
5. Ce coût est à mettre en regard avec la période pendant laquelle cette solution sera efficace, le cryptage mentionné ci-dessus rendant cette solution également inefficace dans le cadre du filtrage en transit;
6. Le recours aux méthodes d’investigations internes, entreprises par l’intérieur d’un réseau peer-to-peer sont plus complexes à mettre en œuvre, mais fournissent de meilleurs résultats. Ces méthodes ne visent en effet a priori que la partie répréhensible des échanges et sont capables de tenir compte du contexte dans lequel ces échanges se font;
7. Ces méthodes ne sont par ailleurs pas ou nettement moins sensibles au cryptage et constituent selon nous la meilleure voie d’investissement sur le moyen et le long terme pour garantir le respect des droits d’auteur tout en respectant les droits de tous.»
22. Sur la base de ce rapport de l’expert, le président du tribunal de première instance de Bruxelles a, le 29 juin 2007, rendu un second jugement par lequel il a condamné Scarlet à faire cesser les atteintes au droit d’auteur constatées dans le jugement du 26 novembre 2004 en rendant impossible toute forme d’envoi ou de réception par ses clients, au moyen d’un logiciel «peer-to-peer», de fichiers électroniques reprenant une œuvre musicale du répertoire de la Sabam sous peine d’une astreinte de 2 500 € par jour dans l’hypothèse où Scarlet ne respecterait pas le jugement, après l’expiration d’un délai de six mois.
23. Scarlet a interjeté appel de ce jugement devant la cour d’appel de Bruxelles le 6 septembre 2007.
24. Scarlet a, par ailleurs, saisi le président du tribunal de première instance de Bruxelles, par exploit du 7 décembre 2007, d’une demande de suppression ou, à tout le moins, de suspension de l’astreinte décidée à son encontre. Scarlet faisait valoir qu’elle se trouvait dans l’impossibilité matérielle ou temporelle de se conformer à l’ordre de cessation, dans la mesure où le système Audible Magic ne fonctionnait pas et qu’il n’était pas établi qu’il était techniquement faisable pour un fournisseur d’accès à Internet de réaliser un filtrage ou un blocage efficace du trafic «peer-to-peer».
25. Le président du tribunal de première instance de Bruxelles a rejeté cette demande par décision du 22 octobre 2008, en considérant que l’effet dévolutif de l’appel s’opposait à ce que les parties plaident à nouveau la cause devant lui. Reconnaissant que la solution Audible Magic n’avait pu être mise à exécution avec succès, il a toutefois constaté que Scarlet n’avait pas expérimenté d’autres solutions de filtrage ou de blocage et que, partant, elle n’avait pas établi que l’ordre de cessation ne pouvait pas être respecté. Il a néanmoins suspendu l’astreinte jusqu’au 31 octobre 2008, afin de permettre à Scarlet d’explorer d’autres voies.
B – Les questions préjudicielles
26. C’est dans ces circonstances que la Cour d’appel de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Les directives 2001/29 et 2004/48, lues en combinaison avec les directives 95/46, 2000/31 et 2002/58, interprétées notamment au regard des articles 8 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, permettent-elles aux États membres d’autoriser un juge national, saisi dans le cadre d’une procédure au fond et sur la base de la seule disposition légale prévoyant que ‘[le juge national peut] également rendre une injonction de cessation à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin’, à ordonner à un Fournisseur d’Accès à l’Internet (en abrégé FAI) de mettre en place, à l’égard de toute sa clientèle, in abstracto et à titre préventif, aux frais exclusifs de ce FAI et sans limitation dans le temps, un système de filtrage de toutes les communications électroniques, tant entrantes que sortantes, transitant par ses services, notamment par l’emploi de logiciels peer-to-peer, en vue d’identifier sur son réseau la circulation de fichiers électroniques contenant une œuvre musicale, cinématographique ou audio-visuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits et ensuite de bloquer le transfert de ceux-ci, soit au niveau de la requête soit à l’occasion de l’envoi?
2) En cas de réponse positive à la [première] question, ces directives imposent-elles au juge national, appelé à statuer sur une demande d’injonction à l’égard d’un intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur, d’appliquer le principe de proportionnalité lorsqu’il est amené à se prononcer sur l’efficacité et l’effet dissuasif de la mesure demandée?»
C – La procédure devant la Cour
27. Scarlet, la Sabam conjointement avec la Belgian Entertainement Association Video (BEA Video) et la Belgian Entertainement Association Video (BEA Music), de même que Internet Service Provider Association (ISPA) ainsi que le Royaume de Belgique, la République tchèque, le Royaume des Pays-Bas, la République de Pologne, la République de Finlande et la Commission européenne ont présenté des observations écrites.
28. La Cour a entendu les représentants de Scarlet, de la Sabam, d’ISPA, ainsi que les agents du Royaume de Belgique, de la République tchèque, de la République italienne, du Royaume des Pays-Bas, de la République de Pologne et l’agent de la Commission européenne à l’audience qui s’est tenue le 13 janvier 2011.
IV – Analyse
A – Observations liminaires
1. La reformulation de la première question: la CEDH et la charte
29. La juridiction de renvoi indique que sa première question préjudicielle porte sur l’interprétation de plusieurs dispositions du droit dérivé de l’Union «au regard des articles 8 et 10 de la CEDH». Ce faisant, elle peut assurément s’appuyer sur l’article 6, paragraphe 3, TUE, en vertu duquel «[l]es droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la [CEDH] […] font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux». Des observations liminaires s’imposent à cet égard cependant, lesquelles nous conduiront à une reformulation ponctuelle de la question.
30. Tout d’abord, ce même article 6 TUE commence par préciser, dans son paragraphe 1, premier alinéa, que la charte «a la même valeur juridique que les traités», ainsi que la Cour n’a pas manqué de le souligner dans les derniers développements de sa jurisprudence (17). Les droits, libertés et principes énoncés dans la charte ayant ainsi, par eux-mêmes, une valeur juridique, qui plus est de premier rang, le recours auxdits principes généraux n’est, pour autant que les premiers puissent s’identifier aux seconds, plus aussi nécessaire. C’est là un premier élément militant en faveur d’un examen de la question au regard des dispositions de la charte plutôt que par rapport à celles de la CEDH, ceteris paribus (18).
31. Ensuite, l’article 52, paragraphe 3, de la charte prévoit que, «[d]ans la mesure où [elle] contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention», étant précisé que «[c]ette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue» (19). Or, dans les circonstances de l’affaire au principal, les droits garantis à l’article 8 de la CEDH «correspondent», au sens de l’article 52, paragraphe 3, de la charte, à ceux garantis aux articles 7 («respect de la vie privée et familiale») et 8 («protection des données à caractère personnel») de la charte, de même que les droits garantis à l’article 10 de la CEDH «correspondent» à ceux garantis à l’article 11 de la charte («liberté d’expression et d’information»), nonobstant les différences concernant les formulations employées et les notions utilisées, respectivement (20).
32. Enfin, il importe d’indiquer que les dispositions de la CEDH autorisant sous conditions des mesures restrictives des droits et libertés ainsi garantis, en l’occurrence ses articles 8, paragraphe 2, et 10, paragraphe 2, trouvent également correspondance, avec une formulation légèrement différente, dans une disposition transversale de la charte, commune à l’ensemble des droits et libertés qu’elle garantit, à savoir le paragraphe 1 de son article 52, intitulé «Portée et interprétation des droits et des principes».
33. Cette dernière disposition soumet «[t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés» à une série de conditions. Le terme «limitation» lui-même correspondrait à son tour aux termes «ingérence», utilisé à l’article 8 de la CEDH, et «restriction», employé à l’article 10 de la CEDH, dispositions qui énumèrent diverses conditions qui correspondraient également, dans une large mesure, aux conditions posées à l’article 52, paragraphe 1, de la charte et dont l’interprétation donnée par la Cour européenne des droits de l’homme devra être prise en compte par la Cour (21). Dans la mesure, pourtant, où ces conditions comporteraient des différences, il nous paraît clair qu’il faudra donner aux dispositions de la charte une interprétation autonome (22).
34. En conséquence, et avec les réserves ci-dessus exprimées, nous proposons de modifier la question de la juridiction de renvoi de telle sorte que la mention des articles 8 et 10 de la CEDH soit remplacée par une référence aux «articles 7, 8 et 11 de la charte, en combinaison avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, tels qu’interprétés, pour autant que nécessaire, à la lumière des articles 8 et 10 de la CEDH».
2. La structure de la réponse
35. Scarlet et ISPA, ainsi que les gouvernements belge, tchèque, italien, néerlandais, polonais et finlandais estiment, d’une manière générale, au terme d’une analyse substantielle des dispositions pertinentes mais moyennant des divergences dans l’approche du problème, que le droit de l’Union s’oppose à l’adoption d’une mesure telle que celle qui est sollicitée. La Commission considère pour sa part que, si les directives en cause ne s’opposent pas par elles-mêmes à la mise en place d’un système de filtrage et de blocage tel celui exigé, les modalités concrètes de sa mise en œuvre ne sont, en revanche, pas conformes au principe de proportionnalité. Elle estime ainsi, en substance, que c’est en fin de compte la juridiction nationale de première instance qui a méconnu les exigences découlant du principe de proportionnalité, les dispositions légales nationales n’encourant, par elles-mêmes, aucun reproche.
36. Certes, il doit être rappelé, à cet égard, que l’article 52, paragraphe 1, de la charte exige que toute limitation des droits et libertés soit opérée, entre autres conditions, dans le respect du principe de proportionnalité. Le respect du principe de proportionnalité s’impose sans aucun doute dès lors que la question d’une limitation, au sens de cette disposition, se pose, c’est-à-dire non seulement au stade de l’application in concreto de celle-ci par le juge, ce qui est précisément l’objet de la seconde question, mais également, au préalable, au stade de sa définition in abstracto, de sa formulation par le législateur. C’est sur cet aspect du problème que l’argumentation de la Commission pèche à notre avis par défaut.
37. En tout état de cause, il ne fait guère de doute que, si la «loi» doit elle-même être soumise à un contrôle de proportionnalité, ce dernier ne peut intervenir qu’après la constatation, le cas échéant, de l’«existence» même de ladite loi. Il n’est, à cet égard, pas fortuit que la première des conditions de toute limitation à l’exercice des droits et libertés reconnus par la charte fixées par son article 52, paragraphe 1, est qu’elle soit «prévue par la loi». Or, il se trouve que, en nous interrogeant sur la question de savoir si la mesure en cause peut être adoptée «sur la base de la seule disposition légale» qu’elle cite, la juridiction de renvoi nous invite, en tout premier lieu, à examiner le respect de cette condition première. Cet aspect de la question est, à notre avis, incontournable et se pose de façon préalable à toute autre (23). En l’absence de «loi» au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la charte, il n’y aurait, en effet, pas lieu d’examiner successivement les conditions auxquelles toute limitation à l’exercice des droits et libertés reconnus par la charte est subordonnée et notamment la condition de proportionnalité. Si la Cour n’a que rarement eu l’occasion de s’interroger sur cette condition (24), elle est toutefois commune aux articles 8 et 10 de la CEDH et a de longue date donné lieu à une riche jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, raison pour laquelle il nous faudra avoir particulièrement recours à cette jurisprudence en vue de donner une réponse complète et surtout utile à la juridiction de renvoi.
3. Une approche en quatre étapes
38. La cour d’appel de Bruxelles formule son renvoi préjudiciel sous la forme de deux questions, dont la seconde, relative au respect par les juridictions nationales du principe de proportionnalité, n’est soumise qu’à titre subsidiaire, en l’espèce pour le cas où la Cour répondrait positivement à la première. Qu’il nous soit permis d’avancer que, dans la mesure où nous allons estimer qu’il convient d’apporter une réponse négative à la première question, il n’y aura pas lieu d’examiner la seconde (25).
39. Cela dit, la formulation même de la première question préjudicielle, remarquablement riche et précise, nous permettra de développer notre raisonnement en nous appuyant directement sur les différents éléments qu’elle comporte. À cet effet, nous nous proposons de présenter notre raisonnement en quatre étapes.
40. En tout premier lieu, il nous faudra nous pencher en détail sur la nature et les caractéristiques de la mesure qu’il est demandé à la juridiction de renvoi d’adopter, ou plus exactement de confirmer ou d’infirmer en appel, en l’occurrence l’installation d’un système de filtrage et de blocage, en distinguant les caractères de la mesure sollicitée, c’est-à-dire de l’injonction de cessation elle-même, et ceux de son contenu. L’analyse de cette mesure devrait déjà nous permettre de fournir une réponse de principe à la question posée, à tout le moins du point de vue des droits et des intérêts de Scarlet. Cependant, comme il nous est principalement demandé d’apporter une réponse à la question posée du point de vue des droits fondamentaux des utilisateurs des services de Scarlet et plus largement des internautes, notre examen devra se poursuivre de manière plus détaillée dans cette perspective.
41. Sur la base de cette analyse, il sera donc, en deuxième lieu, possible d’examiner la mesure sollicitée au regard des différentes directives évoquées et, tout particulièrement, des dispositions pertinentes de la charte telles qu’interprétées, le cas échéant, à la lumière des dispositions correspondantes de la CEDH mentionnées par la juridiction de renvoi. L’analyse approfondie de la mesure en cause doit, en effet, nous permettre d’envisager la mesure dans la perspective des limitations aux droits et libertés prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la charte.
42. Cette mesure se révélant, ainsi qu’il sera constaté, comme une «limitation» à l’exercice des droits et libertés reconnus par la charte au sens de l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, il conviendra d’examiner, en troisième lieu, à quelles conditions elle serait admissible, l’attention étant principalement portée sur l’exigence d’être «prévue par la loi». Il ne devrait, en effet, pas être nécessaire, eu égard aux termes de la question préjudicielle et afin de lui apporter une réponse utile, de confronter la mesure aux autres conditions prévues à cette disposition.
43. C’est à la lumière de ces développements que sera, en troisième et dernier lieu, examinée la question de savoir si, du point de vue des utilisateurs des services de Scarlet et plus largement des internautes, une mesure telle que celle qui est sollicitée est susceptible d’être adoptée sur le fondement des seules dispositions légales du droit national évoquées par la juridiction de renvoi.
B – La mesure sollicitée (injonction de cessation) et le «système» exigé (filtrage et blocage)
44. Pour ce qui est de cet aspect, la juridiction de renvoi nous interroge, en substance, sur la question de savoir s’il est loisible à une juridiction d’un État membre d’«ordonner à un [FAI] de mettre en place, à l’égard de toute sa clientèle, in abstracto et à titre préventif, [à ses] frais exclusifs […] et sans limitation dans le temps, un système de filtrage de toutes les communications électroniques, tant entrantes que sortantes, transitant par ses services, notamment par l’emploi de logiciels [«peer-to-peer»], en vue d’identifier sur son réseau la circulation de fichiers électroniques contenant une œuvre musicale, cinématographique ou audio-visuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits et ensuite de bloquer le transfert de ceux-ci, soit au niveau de la requête soit à l’occasion de l’envoi», et tout cela sous la forme d’une injonction de cessation.
45. C’est en nous appuyant sur les termes et expressions utilisés dans cette partie de la question que nous examinerons les caractéristiques tant du système de filtrage et de blocage lui-même que de la mesure d’injonction sollicitée.
1. Le système de filtrage et de blocage
46. Le «système» à mettre en place est double. Il doit garantir, en premier lieu, le filtrage de toutes les communications de données transitant par le réseau de Scarlet, en vue de détecter ou si l’on préfère, d’isoler, celles qui impliquent une atteinte au droit d’auteur (26). À partir de ce filtrage, le système doit garantir, en second lieu, le blocage des communications qui impliquent effectivement une atteinte au droit d’auteur, que ce soit «au niveau de la requête» ou que ce soit «à l’occasion de l’envoi» (27). Dans la mesure où l’efficacité du système de filtrage est une condition d’efficacité du mécanisme de blocage, ces deux opérations, bien qu’étroitement liées, s’avèrent d’une nature très différente et ont donc des implications différentes.
a) Le mécanisme de «filtrage»
47. La juridiction de renvoi nous indique que la mesure sollicitée imposerait à Scarlet, tout d’abord, la mise en place, à l’égard de l’ensemble de sa clientèle, d’un système de filtrage de l’ensemble des communications électroniques, tant entrantes que sortantes, transitant par ses services, et notamment les communications «peer-to-peer». Elle précise que l’objectif poursuivi par ce filtrage est «d’identifier […] la circulation de fichiers électroniques contenant une œuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle sur laquelle [la Sabam] prétend détenir des droits».
48. L’objet du contrôle est défini précisément comme devant permettre de filtrer les communications électroniques transitant par les services de Scarlet, entrantes et sortantes. Ce filtrage doit lui-même permettre d’identifier les «fichiers électroniques» envoyés et reçus par les abonnés aux services de Scarlet qui sont supposés porter atteinte à un droit d’auteur ou à des droits voisins. Le contrôle à mettre en place, qui comporte ainsi une phase de filtrage et une phase d’identification, est donc essentiellement défini par les résultats qu’il doit produire, en relation avec l’objectif de blocage des fichiers détectés comme portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle. Il doit également pouvoir s’adapter aux évolutions technologiques. Il doit, pour être efficace, être à la fois systématique, universel et évolutif (28).
49. Il faut dire que ni la juridiction de renvoi ni la Sabam ne fournissent la moindre indication sur les modalités concrètes suivant lesquelles ce contrôle peut ou doit être opéré, ni en ce qui concerne les techniques de filtrage ni en ce qui concerne les procédés d’identification des fichiers censés avoir été piratés (29). La Cour ne dispose, en particulier, d’aucune précision ni sur l’intensité ni sur la profondeur du contrôle à opérer.
50. S’il doit, à cet égard, être rappelé qu’il appartient non pas à la Cour, mais seulement à la juridiction de renvoi, s’il échet, d’examiner les aspects techniques de cette question (30), il importe néanmoins de préciser que la nature du filtrage à opérer n’est, à l’évidence, pas dénuée d’incidence sur le plan juridique (31).
b) Le mécanisme de «blocage»
51. La juridiction de renvoi indique que le mécanisme de blocage doit pouvoir entrer en action soit «à l’occasion de l’envoi», soit «au niveau de la requête», mais ne fournit aucune précision complémentaire sur le modus operandi d’un tel mécanisme. La Sabam insiste sur l’idée que le mécanisme à déployer se définit essentiellement par sa finalité, son aptitude «à rendre impossible toute forme, au moyen d’un logiciel «peer-to-peer», d’envoi ou de réception par ses clients de fichiers électroniques reprenant une œuvre musicale du répertoire de la Sabam». Elle précise qu’il s’agit d’empêcher la transmission de certaines informations par la délivrance de messages dits «time out», indiquant l’impossibilité de procéder à la transmission.
52. Il est, en réalité (32), impossible de décrire le mode de fonctionnement concret, le modus operandi, du système de filtrage et du mécanisme de blocage que la mesure sollicitée imposerait de mettre en place. La portée du filtrage exigé, c’est-à-dire à la fois les personnes concernées par les contrôles, les communications affectées par les contrôles et l’intensité du contrôle à opérer, est à la fois très générale et en partie indéterminée. Par voie de conséquence, ni son impact concret sur les échanges de données ni son coût économique global, en particulier le coût d’installation et les coûts de maintenance, ne peuvent être déterminés a priori.
2. Les caractéristiques de la mesure d’injonction
53. La nature et les principales caractéristiques du système de filtrage et de blocage exigé, telles que décrites, ont un impact direct sur la nature même de la mesure demandée à la juridiction. La portée très générale du système à déployer fait que les champs d’application ratione personae et ratione materiae de la mesure sollicitée sous forme d’injonction sont eux-mêmes forcément de caractère général, tout comme l’est son champ d’application ratione temporis ainsi que le précise la juridiction de renvoi.
54. La mesure sollicitée présente également d’autres caractéristiques qu’il est important de mettre en exergue. Elle imposerait à Scarlet, à titre préventif, une obligation de résultat sous peine d’astreinte, d’une part, et elle mettrait à sa charge les coûts de mise en place du système de filtrage et de blocage, d’autre part. Cette mesure se définit donc également par son objectif principal, qui est de déléguer aux FAI la responsabilité juridique et économique de la lutte contre le téléchargement illégal d’œuvres piratées sur Internet. Voyons-les de plus près.
a) «sans limitation dans le temps»: le champ d’application ratione temporis de la mesure
55. La juridiction de renvoi nous précise que la mesure est sollicitée «sans limitation dans le temps». Pour sa part, la Sabam a confirmé dans ses écritures que l’injonction sollicitée ne devait pas faire l’objet d’une limitation dans le temps, autre que celle qui est inhérente à la durée du droit d’auteur elle-même. Elle insiste également sur la dimension évolutive de la mesure, qui doit être adaptée à l’évolution technologique et doit donc pouvoir faire l’objet d’adaptation.
56. La mesure sollicitée imposerait ainsi à Scarlet et, comme on le verra, plus largement aux FAI en général, une obligation à la fois permanente et perpétuelle de rechercher, de tester, de mettre en place et de mettre à jour un système de filtrage et de blocage exclusivement défini suivant l’efficacité de ses résultats au regard de l’objectif de protection des droits de propriété intellectuelle poursuivi.
b) «toutes les communications électroniques, tant entrantes que sortantes»: le champ d’application ratione materiae de la mesure
57. Les communications soumises à filtrage et le cas échéant à blocage ne font, comme nous l’avons vu, l’objet d’aucune spécification. Il n’est pas possible de déterminer si les contrôles doivent affecter toutes les communications ou seulement celles qui interviennent par l’entremise d’un logiciel «peer-to-peer», mais il apparaît, néanmoins, que le contrôle à mettre en place doit, pour produire des résultats efficaces, être à la fois systématique et universel.
58. Par voie de conséquence, la mesure sollicitée, présentée comme une simple injonction adressée à un FAI dans le cadre d’une procédure civile tendant à la constatation et à la sanction d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle ainsi qu’à la réparation des dommages en résultant, tend, en réalité, à la mise en place permanente et perpétuelle d’un système systématique et universel de filtrage de l’ensemble des communications électroniques transitant par les services dudit FAI.
c) «à l’égard de toute sa clientèle»: le champ d’application ratione personae de la mesure
59. Le système à mettre en place a vocation, c’est là une conséquence directe du contrôle de l’universalité du filtrage des communications, à appréhender les comportements de tous les utilisateurs des services du FAI en question, et non pas seulement des abonnés de celui-ci. Comme la Sabam l’a précisé dans ses écritures, il importe peu que la communication ait pour origine ou pour destination un client du FAI. Le système doit, pour être efficace, fonctionner, suivant les termes mêmes de la question préjudicielle, sans que les personnes censées se trouver à l’origine des atteintes commises au droit d’auteur aient été préalablement individualisées et indépendamment de toute relation contractuelle entre lesdites personnes et le FAI.
60. Le système à mettre en place doit pouvoir bloquer l’envoi par tout internaute abonné à Scarlet à tout autre internaute, qu’il soit abonné ou pas de Scarlet, de tout fichier censé porter atteinte à un droit dont la Sabam assure la gestion, la collecte et la défense. Mais il doit également pouvoir bloquer la réception par tout internaute abonné de Scarlet de tout fichier portant atteinte au droit d’auteur en provenance de tout autre internaute qu’il soit abonné de Scarlet ou pas. Le système doit permettre le blocage de tout fichier dont le contenu relève du répertoire de la Sabam sans que l’atteinte au droit d’auteur ait été préalablement et spécifiquement individualisée.
61. Une autre dimension de la très grande portée de la mesure sollicitée doit, par ailleurs, être impérativement mise en exergue. S’il est clair que le litige au principal n’oppose ici que la Sabam à Scarlet, il ressort toutefois de l’ordonnance de renvoi comme des écritures des différents intervenants que la portée du litige dépasse nécessairement les intérêts des parties au principal. La solution du litige à intervenir au principal a indéniablement vocation à être étendue et généralisée non seulement à l’ensemble des FAI mais aussi et plus largement à d’autres acteurs importants d’Internet (33), non seulement dans l’État membre à l’origine des questions préjudicielles, mais également à l’ensemble des États membres, voire au-delà (34). Ce que la juridiction de renvoi demande à la Cour, en effet, c’est, comme nous l’avons déjà souligné, de lui indiquer si le droit de l’Union s’oppose à ce que lui soit reconnu le pouvoir d’adopter une mesure comme celle qui est sollicitée et, plus largement, s’il s’oppose à ce que les titulaires des droits puissent intensifier leur lutte contre le téléchargement illégal en multipliant les demandes de cette nature dans tous les États membres et au-delà (35).
62. Par voie de conséquence, la mesure sollicitée, présentée comme une injonction adressée à une personne morale identifiée lui imposant la mise en place d’un système de filtrage et de blocage, est en réalité appelée à affecter durablement un nombre indéterminé de personnes morales ou physiques, de FAI ou d’internautes, de prestataires de services de la société de l’information et d’utilisateurs desdits services.
d) «in abstracto et à titre préventif»: la fonction préventive et dissuasive de la mesure sollicitée
63. La juridiction de renvoi prend soin d’indiquer qu’elle est appelée à imposer à Scarlet la mesure sollicitée «in abstracto» et «à titre préventif», sans toutefois préciser ce qu’elle entend exactement par là. L’on peut toutefois supposer que la mesure sollicitée n’a pas pour objet d’imposer à un FAI une obligation de faire fondée sur la constatation, in concreto, par une juridiction, dans le cadre d’une action civile, d’une atteinte effective, ou encore d’un risque d’atteinte imminente, à un droit d’auteur ou à des droits voisins. Cette dernière est ainsi conçue comme une mesure à la fois préventive et dissuasive (36).
e) «à ses frais»: la charge des coûts afférents à l’exécution de la mesure sollicitée
64. La juridiction de renvoi précise, enfin, que les frais de mise en place du système de filtrage et de blocage sollicité doivent être supportés par le fournisseur. De ce point de vue, la mesure en cause a pour effet de reporter sur Scarlet la charge, certainement non négligeable, des coûts inhérents à l’engagement des procédures civiles que doivent normalement engager les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins ou leurs ayants droit en vue d’obtenir la constatation, la sanction et le cas échéant la réparation des atteintes auxdits droits.
65. L’impact économique direct de la mesure en cause (37), qui n’a fait et ne peut, en réalité (38), faire l’objet d’une quelconque évaluation est en outre aggravé par les astreintes susceptibles d’accompagner la mesure sollicitée, et en particulier celle appelée à sanctionner les délais de mise en place du système de filtrage et de blocage.
3. Conclusion intermédiaire
66. Il ressort des développements qui précèdent que la mesure sollicitée, en imposant à un FAI la mise en place d’un système de filtrage et de blocage tel que celui ci-dessus décrit, apparaît en réalité comme une «obligation» nouvelle de caractère général ayant vocation à être étendue, à terme, de manière permanente à tous les FAI. Elle ne présente pas, en elle-même, les caractéristiques de concrétude et d’individualisation qui sont normalement attendues de toute riposte ou réaction à une conduite supposée spécifique et déterminée. Il est, en réaction à des violations plus ou moins individualisées de droits de propriété intellectuelle, demandé à la juridiction de renvoi d’adopter une mesure qui, répétons-le, de par sa nature même, ne peut être que générale à tous égards, personnel, spatial et temporel.
67. Qu’il nous soit permis d’indiquer ici que, de ce point de vue et si la question de la juridiction de renvoi ne devait être abordée que dans la perspective des droits et intérêts de Scarlet, il pourrait, en application du principe de légalité dans son sens le plus général, être répondu par la négative à celle-ci. En effet, comme la Cour l’a souligné dans son arrêt Hoechst/Commission, précité (39), «les interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée de toute personne, qu’elle soit physique ou morale, doivent avoir un fondement légal et être justifiées par les raisons prévues par la loi». Cette exigence de protection, reconnue comme un principe général du droit de l’Union, est le corollaire des principes de légalité et de sécurité juridique, qui eux-mêmes découlent de l’idée d’État de droit (40). La Cour a, ainsi, itérativement jugé que le principe de sécurité juridique exigeait qu’une réglementation imposant des charges aux contribuables (41), entraînant des conséquences défavorables aux particuliers (42), ou encore imposant des mesures restrictives ayant une importante incidence sur les droits et les libertés des personnes désignées (43) soit claire et précise, afin que les intéressés puissent connaître sans ambiguïté leurs droits et obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (44). Or, comme nous aurons l’occasion de le montrer de manière détaillée ci-dessous (45), en nous concentrant sur la perspective des utilisateurs des services de Scarlet et plus largement des internautes, la disposition légale nationale sur le fondement de laquelle l’obligation imposée à Scarlet peut être adoptée ne répond pas, entre autres, à ces exigences.
68. Par ailleurs, et suivant une approche notamment défendue à juste titre par la Commission, il apparaît assez clairement que, entre la violation des droits de propriété intellectuelle dénoncée et la mesure sollicitée, le rapport de proportionnalité fait défaut. Mais tel n’est pas, à notre avis, la question qui est posée à titre principal. La question qui se pose est celle de savoir si cette nouvelle «obligation» de mise en place d’un système de filtrage et de blocage présentant les caractéristiques ci-dessus décrites peut, eu égard à son impact sur les droits fondamentaux des utilisateurs des services desdits FAI, à savoir les internautes, être imposée aux FAI, sous la forme d’une injonction et sur un fondement légal qui doit encore faire l’objet de notre examen.
C – La qualification de la mesure au regard des directives et des articles 7, 8 et 11 de la charte: une «limitation» au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la charte
69. La question préjudicielle porte sur l’interprétation par la Cour des «directives 2001/29 et 2004/48, lues en combinaison avec les directives 95/46, 2001/31 et 2002/58, interprétées notamment au regard des articles [7, 8, 11 et l’article 52, paragraphe 1, de la charte]». Il s’agit, en substance, de déterminer si, eu égard à la législation nationale existante, cet ensemble normatif, composé de droit originaire et dérivé de l’Union, ouvre aux juridictions des États membres la possibilité d’accorder par voie d’injonction une mesure telle que celle décrite ci-dessus. C’est, pourtant, à la lumière du droit primaire que l’affaire au principal doit être primordialement examinée, et le droit dérivé interprété, les droits et libertés garantis par les 7, 8 et 11 de la charte étant directement concernés, comme nous allons le voir, par la mesure en question. Cette affirmation appelle quelques observations préliminaires.
70. Il importe de rappeler ici que les directives citées dans la question constituent le cadre juridique dans lequel l’adoption de la mesure sollicitée est supposée s’inscrire (46), les uns estimant qu’elles autorisent ou ne font pas obstacle à cette adoption, les autres estimant au contraire qu’elles ne permettent pas voire s’opposent à cette adoption (47). Ces directives font référence, de manière plus ou moins explicite, aux droits fondamentaux garantis par la CEDH et désormais par la charte (48). Dans son arrêt Promusicae, la Cour a jugé qu’il appartenait aux États membres de veiller, dans la transposition et l’application de ces directives, à maintenir un juste équilibre entre les droits fondamentaux qu’elles contribuent à garantir.
71. Les articles 7, 8 et 11 de la charte garantissent respectivement, comme l’on sait, le droit au respect de la vie privée et familiale, le droit à la protection des données personnelles et la liberté d’expression et d’information. Il n’est guère nécessaire de souligner que d’autres droits fondamentaux sont en cause dans la présente affaire, et en particulier le droit de propriété, garanti par l’article 17, paragraphe 1, de la charte, et, plus spécifiquement, le droit au respect de la propriété intellectuelle, garanti par l’article 17, paragraphe 2, de la charte, dont la violation du fait du téléchargement illégal sur Internet prend des proportions massives, qui sont évidemment au cœur du litige au principal. Toutefois, au regard de la mesure sollicitée et du système de filtrage et de blocage exigé ainsi que des termes de la question posée, ce sont principalement les droits garantis par les articles 7, 8 et 11 de la charte qui font question, le droit de propriété n’étant concerné que secondairement, pour autant que la mise en place du système doit l’être aux frais exclusifs du FAI (49).
72. C’est dans ces termes qu’il convient maintenant de nous interroger sur la question de savoir si la mesure sollicitée peut être qualifiée de «limitation» des droits et libertés au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la charte, tel que lu à la lumière des articles 8, paragraphe 2, et 10, paragraphe 2, de la CEDH. Si ladite mesure devait, en tant que telle, être qualifiée de limitation (50), il faudrait alors s’assurer qu’elle répond aux différentes conditions posées par ces dispositions.
1. «interprétées notamment au regard des articles 7 et 8 de la charte»: sur le respect de la vie privée et le droit à la protection des données personnelles
73. Il convient d’examiner successivement la mesure sollicitée en tant que possible limitation au droit à la protection des données personnelles, d’une part, et au droit au respect du secret des communications, d’autre part. D’une manière générale, comme la Commission l’a parfois constaté (51), la possibilité de rester anonyme est essentielle si l’on veut préserver les droits fondamentaux à la vie privée dans le cyberespace. Cependant, s’il apparaît clairement que les directives 95/46 et 2002/58 doivent être interprétées au regard des articles 7 et 8 de la charte (52), lus le cas échéant à la lumière de l’article 8 de la CEDH (53), le lien unissant le droit à la protection des données personnelles (article 8 de la charte) et le déploiement du système de filtrage et de blocage sollicité est lui beaucoup moins clair (54).
a) La protection des données personnelles (article 8 de la charte)
74. Il y a une certaine difficulté à évaluer concrètement l’incidence d’un système de filtrage et de blocage sur le droit à la protection des données personnelles. Une première difficulté consiste à identifier les données personnelles en cause, ces dernières n’étant, hormis en ce qui concerne les «adresses IP» (55) pas clairement identifiées. La neutralité technologique revendiquée par la Sabam implique, en effet, qu’il n’est pas possible, a priori, de déterminer si le système à mettre en place implique un traitement de données personnelles. Il n’est, a fortiori, pas possible de déterminer s’il implique la collecte et la résolution d’adresses IP.
75. Une seconde difficulté consiste à déterminer si les adresses IP constituent des données personnelles. La Cour n’a eu, jusqu’à présent, à connaître que de cas dans lesquels des données nominatives liées aux adresses IP étaient en cause (56). Elle n’a, en revanche, jamais encore eu l’occasion d’examiner si une adresse IP pouvait être considérée, en tant que telle, comme une donnée personnelle (57).
76. Pour sa part, le contrôleur européen de la protection des données a eu l’occasion d’indiquer (58) que «la surveillance des comportements des internautes et la collecte de leur adresse IP équivalent à une interférence dans leur droit au respect de la vie privée et de leurs correspondances» (59). Le Groupe de protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel, institué par la directive 95/46 (60) considère également que les adresses IP constituent sans l’ombre d’un doute des données à caractère personnel au sens de l’article 2, point a), de ladite directive (61).
77. Ces prises de positions correspondent à la réalité juridique découlant de l’article 5 de la directive 2006/24/CE (62), qui oblige les fournisseurs d’accès à Internet, notamment, à conserver, à des fins de recherche, de détection et de poursuite d’infractions graves, un certain nombre de données. Sont plus précisément visées, d’une part, les «données nécessaires pour retrouver et identifier la source d’une communication», dont les nom et adresse de l’abonné ou de l’utilisateur inscrit à qui une adresse IP est attribuée, et, d’autre part, les données nécessaires pour déterminer «la date et l’heure de l’ouverture et de la fermeture de la session du service d’accès à Internet dans un fuseau horaire déterminé, ainsi que l’adresse IP […], qu’elle soit dynamique ou statique, attribuée à une communication par le fournisseur d’accès à l’internet».
78. Dans cette perspective, une adresse IP peut être qualifiée de donnée à caractère personnel dans la mesure où elle peut permettre l’identification d’une personne, par référence à un numéro d’identification où à tout autre élément qui lui soit propre (63).
79. La question qui se pose est, dès lors, moins celle de savoir quel est le statut juridique des adresses IP que de déterminer dans quelles conditions et à quelles fins elles peuvent être collectées, dans quelles conditions il peut être procédé à leur résolution et au traitement des données personnelles qui en résulte, ou encore à quelles conditions il peut être exigé de procéder à leur collecte et à leur résolution (64).
80. Ce qu’il importe ici de retenir c’est qu’un système de filtrage et de blocage tel que celui qui est exigé est, nonobstant les incertitudes d’ordre technologique évoquées ci-dessus, incontestablement susceptible d’affecter le droit à la protection des données personnelles (65) à un degré suffisant pour permettre sa qualification comme limitation au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la charte.
b) Le secret des communications électroniques (article 7 de la charte)
81. Le déploiement d’un système de filtrage des communications électroniques tel que celui exigé n’est pas non plus sans conséquences sur le droit au respect de la correspondance et, plus largement, sur le droit au secret des communications garanti par l’article 7 de la charte (66) tel qu’interprété à la lumière de l’article 8 de la CEDH et de la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme.
82. La Cour européenne des droits de l’homme n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la compatibilité avec la CEDH de mesures spécifiques de contrôle des communications électroniques ni a fortiori d’un système de filtrage et de blocage tel que celui exigé. Il peut toutefois être considéré que, eu égard à la jurisprudence relative aux écoutes téléphoniques (67), de telles mesures constitueraient des ingérences au sens de l’article 8 de la CEDH. Elle a, du reste, eu l’occasion de juger que la collecte et la conservation, à l’insu d’une personne, de données à caractère personnel se rapportant à l’usage qu’elle faisait du téléphone, du courrier électronique et d’Internet constituaient une «ingérence» dans l’exercice du droit de l’intéressée au respect de sa vie privée et de sa correspondance, au sens de l’article 8 de la CEDH (68).
83. Pour sa part, l’article 5 de la directive 2002/58 (69) définit et garantit le secret des communications effectuées au moyen d’un réseau public de communications ou de services de communications électroniques accessible au public ainsi que la confidentialité des données relatives au trafic y afférentes. Cette disposition impose en particulier aux États membres l’obligation d’interdire toute surveillance ou toute interception de ces communications, en dehors des cas légalement prévus conformément à l’article 15 de ladite directive. Cette dernière disposition permet aux États membres de prendre des mesures législatives visant à limiter la portée du droit au secret des communications, lorsque cette limitation constitue une mesure nécessaire pour assurer, notamment, la prévention, la recherche, la détection et la poursuite d’infractions pénales. Les mesures susceptibles d’être adoptées à cet égard doivent, en tout état de cause, l’être «dans le respect des principes généraux du droit communautaire, y compris ceux visés à l’article 6, paragraphes 1 et 2, du traité sur l’Union européenne».
2. «interprétées notamment au regard de l’article 11 de la charte»: sur la garantie de la liberté d’expression et du droit à l’information
84. L’article 11 de la charte, qui garantit non seulement le droit de communiquer des informations mais aussi celui d’en recevoir (70), a évidemment vocation à s’appliquer à Internet (71). Comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a souligné, «grâce à leur accessibilité ainsi qu’à leur capacité à conserver et à diffuser de grandes quantités de données, les sites Internet contribuent grandement à améliorer l’accès du public à l’actualité et, de manière générale, à faciliter la communication de l’information» (72).
85. Il ne fait guère de doute, comme l’a souligné Scarlet, que la mise en place d’un système de filtrage et de blocage tel que celui qui est sollicité, et tout particulièrement le mécanisme de blocage, susceptible d’impliquer un contrôle de l’ensemble des communications électroniques transitant par ses services constitue, par nature, une «restriction», au sens de l’article 10 de la CEDH, à la liberté de communication consacrée par l’article 11, paragraphe 1, de la charte (73), quelles que puissent être les modalités techniques suivant lesquelles le contrôle des communications est concrètement réalisé, quelles que puissent être l’étendue et la profondeur du contrôle opéré et quelles que puissent être l’efficacité et la fiabilité du contrôle effectivement opéré, points sujets à discussion, comme nous l’avons souligné ci-dessus.
86. Ainsi que Scarlet l’a fait valoir, un système combiné de filtrage et de blocage affectera inévitablement les échanges licites de contenus, aura donc des répercussions sur le contenu des droits garantis par l’article 11 de la charte, ne serait-ce que parce que le caractère licite ou pas d’une communication déterminée, qui dépend de l’étendue du droit d’auteur en cause, varie d’un pays à l’autre et échappe donc à la technique. Pour autant que l’on puisse en juger, aucun système de filtrage et de blocage ne semble en mesure de garantir, d’une manière qui soit compatible avec les exigences des articles 11 et 52, paragraphe 1, de la charte, le blocage des seuls échanges spécifiquement identifiables comme illicites.
3. Conclusion intermédiaire
87. Il ressort des développements qui précèdent que la mesure sollicitée, en ce qu’elle impose la mise en place d’un système de filtrage et de blocage des communications électroniques tel que celui décrit ci-dessus, est susceptible d’affecter négativement la jouissance des droits et libertés protégés par la charte tels qu’analysés ci-dessus, et doit donc être qualifiée, par rapport aux utilisateurs des services de Scarlet et, plus largement, des utilisateurs d’Internet, de «limitation» au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la charte (74). Or, les limitations à l’exercice des droits fondamentaux des utilisateurs que comporterait la mise en place d’un tel système de filtrage et de blocage ne sont admissibles que pour autant qu’elles répondent à un certain nombre de conditions qu’il nous incombe maintenant d’examiner.
D – Sur les conditions de limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la charte et singulièrement la condition tenant à la «qualité de la loi» en particulier (article 52, paragraphe 1, de la charte)
88. La charte énonce, dans des termes connus, les conditions auxquelles toute limitation de l’exercice des droits et libertés qu’elle reconnaît est subordonnée, tout comme la CEDH définit les conditions auxquelles, notamment, toute ingérence dans le droit à la vie privée ou toute restriction à la liberté d’expression peut être considérée comme légitime.
89. L’article 52 de la charte fait ainsi référence au «besoin de protection des droits et libertés d’autrui» ainsi qu’à la nécessité pour toute mesure de cette nature de poursuivre des «objectifs d’intérêt général» et d’être conforme au principe de proportionnalité. Si la défense des droits de propriété intellectuelle constitue assurément un objectif d’intérêt général, ce dont témoigne les directives 2001/29 et 2004/48, le système de filtrage et de blocage sollicité trouve cependant, dans les circonstances de l’affaire au principal, sa principale justification dans la nécessité de protéger les «droits et libertés d’autrui». Le «besoin de protection des droits» des titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins est au cœur de la présente affaire, il est la cause essentielle de la procédure civile engagée par la Sabam contre Scarlet.
90. Il importe, en effet, de souligner ici, avec insistance, que le droit de propriété est désormais consacré par l’article 17 de la charte, dont le paragraphe 2, il importe de ne point l’oublier, précise explicitement que la «propriété intellectuelle est protégée». L’on rappellera également que la Cour avait, antérieurement, consacré le droit de propriété comme un droit fondamental faisant partie des principes généraux du droit (75) et reconnu que les droits d’auteurs faisaient partie du droit de propriété (76). Les directives 2001/29 et 2004/48 (77) ont elles-mêmes pour objet de garantir un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, selon une jurisprudence itérative de la Commission et de la Cour européennes des droits de l’homme, la propriété intellectuelle bénéficie, en tant que telle, sans conteste de la protection de l’article 1er du protocole n° 1 à la CEDH (78).
91. La Cour a, enfin, indiqué que la raison d’être fondamentale du droit d’auteur est de conférer au créateur d’œuvres inventives et originales le droit exclusif d’exploiter ces œuvres (79). Le droit d’auteur et les droits voisins présentent ainsi un caractère économique en ce qu’ils comportent, notamment, la faculté d’exploiter commercialement la mise en circulation de l’œuvre protégée, sous la forme, notamment de licences accordées moyennant le paiement de redevances (80).
92. Nous sommes donc assurément en présence d’un «besoin de protection d’un droit» au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la charte qui pourrait légitimer la «limitation» d’autres droits et libertés au sens de cette même disposition.
93. Cela étant précisé, il doit être indiqué qu’il ne nous sera pas nécessaire de procéder à l’examen détaillé de l’ensemble des conditions d’admissibilité des limitations aux droits et libertés reconnus par la charte en vue de fournir à la juridiction de renvoi une réponse utile à sa question. Cette dernière, en effet, nous interroge très spécifiquement sur la question de savoir si la limitation à l’exercice des droits et libertés que, suivant ce que nous venons d’exposer, constituerait le déploiement du système de filtrage et de blocage exigé peut intervenir «sur la base de la seule disposition légale» nationale que constitue l’article 87, paragraphe 1, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, qu’elle cite, du reste, intégralement. Cet aspect de la question préjudicielle appelle, de façon prioritaire, l’examen de la première condition définie à l’article 52, paragraphe 1, de la charte, celle d’être «prévue par la loi», qui est littéralement commune tant à cette dernière disposition qu’aux articles 8, paragraphe 2, et 10, paragraphe 2, de la CEDH, examen qui sera mené à la lumière des décisions pertinentes de la Cour européenne des droits de l’homme interprétant ces deux dernières dispositions qui, comme nous l’avons déjà souligné, forment avec le temps un corpus jurisprudentiel particulièrement riche de nature à nous permettre de dégager les contours de cette condition.
94. La Cour européenne des droits de l’homme a itérativement jugé que les dispositions de la CEDH subordonnant l’ingérence dans l’exercice d’un droit ou la restriction à l’exercice d’une liberté qu’elle garantit à la condition qu’elle soit «prévue par la loi» (81) impliquaient non seulement que la mesure repose sur une base légale en tant que telle, ait «une base en droit interne», mais imposaient en outre des exigences tenant, pour reprendre l’expression qu’elle a consacrée, à «la qualité de la loi en question» (82). Cette «loi» doit, en effet, être «suffisamment accessible et prévisible, c’est-à-dire formulée avec assez de précision pour permettre au justiciable – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de régler sa conduite», de «prévoir ses conséquences pour lui» (83), «de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé» (84).
95. La «loi» doit donc être suffisamment claire (85) et prévisible quant au sens et à la nature des mesures applicables (86), définir avec une netteté suffisante l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’ingérence dans l’exercice des droits garantis par la CEDH (87). Une loi qui confère un pouvoir d’appréciation ne se heurte pas en soi à cette exigence, à condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir se trouvent définies avec une netteté suffisante, eu égard au but légitime en jeu, pour fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire (88). Une loi conférant un pouvoir d’appréciation doit ainsi en fixer la portée (89).
96. Une limitation ne serait par conséquent admissible que si elle reposait sur une base légale en droit interne, base légale qui doit être accessible, claire, prévisible (90), conditions qui toutes découlent de l’idée de prééminence du droit (91). C’est de cette exigence de prééminence du droit que découlerait (92) la nécessité de l’accessibilité et de la prévisibilité de la loi pour la personne concernée (93).
97. La condition selon laquelle toute limitation doit être «prévue par la loi» implique donc, d’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, que l’action des titulaires de l’autorité publique s’inscrive dans les limites définies par avance par les règles de droit, ce qui «impose certaines exigences auxquelles doivent répondre tant les règles de droit elles-mêmes que les procédures destinées à en imposer le respect effectif» (94).
98. La Cour européenne des droits de l’homme a également jugé que la portée de la notion de prévisibilité et d’accessibilité de la loi dépendait dans une large mesure du contenu du texte en cause, du domaine qu’il couvre ainsi que du nombre et de la qualité de ses destinataires (95). La prévisibilité de la loi ne s’oppose pas à ce que la personne concernée soit amenée à recourir à des conseils éclairés pour évaluer, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d’un acte déterminé (96). Il en va spécialement ainsi des professionnels, habitués à devoir faire preuve d’une grande prudence dans l’exercice de leur métier.
99. Enfin, la Cour européenne des droits de l’homme a eu l’occasion de préciser qu’il convenait d’entendre le terme «loi» dans son acception «matérielle», et non seulement dans son acception formelle, en ce sens qu’elle peut inclure tant le «droit écrit» que le «droit non écrit» ou encore le «droit élaboré» par les juges (97). De ce point de vue, il peut notamment être nécessaire de prendre en compte, le cas échéant, la jurisprudence. «Une jurisprudence constante» publiée, donc accessible, et suivie par les juridictions inférieures est à même dans certaines circonstances de compléter une disposition législative et de la clarifier au point de la rendre prévisible (98).
100. En conclusion, la charte comme la CEDH admettent la possibilité d’une limitation à l’exercice des droits et libertés, d’une ingérence dans l’exercice des droits ou d’une restriction dans l’exercice des libertés, qu’elles garantissent à la condition, notamment, qu’elles soient «prévues par la loi». La Cour européenne des droits de l’homme, en se fondant principalement sur le principe de la prééminence du droit consacré par le préambule de la CEDH, a construit à partir de cette expression, et à travers la notion de «qualité de la loi» essentiellement (99), une véritable doctrine, selon laquelle toute limitation, ingérence ou restriction doit avoir préalablement fait l’objet d’une prévision légale, tout au moins au sens matériel du terme, qui soit suffisamment précise au regard de l’objectif qu’elle poursuit c’est-à-dire conforme à des exigences minimales. Cette jurisprudence doit être prise en considération par la Cour dans l’interprétation de la portée des dispositions correspondantes de la charte.
E – «sur la base de la seule disposition légale»: l’examen de la législation nationale au regard de la condition tenant à la «qualité de la loi» (article52, paragraphe 1, de la charte)
101. Arrivés à ce stade de notre examen, il ne reste qu’à répondre à la question de savoir si la base légale que la juridiction de renvoi a identifiée dans l’ordonnancement juridique de l’État membre est, du point de vue des utilisateurs des services des FAI et plus largement des internautes, effectivement de nature à constituer la «loi» requise par la charte, au sens de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme examinée ci-dessus, adaptée le cas échéant aux spécificités de l’ordre juridique de l’Union.
102. Commençons par rappeler la teneur littérale de la disposition légale nationale en cause, en l’occurrence l’article 87, paragraphe 1, second alinéa, de la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins, que la juridiction de renvoi a pris grand soin de reproduire in extenso dans sa question préjudicielle même: «[le président du tribunal de première instance et le président du tribunal de commerce] peuvent également rendre une injonction de cessation à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin».
103. Cela précisé, il ne fait pas de doute que le droit belge comporte «une» base légale pour l’adoption, dans le cadre d’une action civile engagée en vue d’obtenir la constatation, la sanction et la réparation d’une atteinte au droit d’auteur ou aux droits voisins, d’une injonction de cessation dirigée, comme dans l’affaire au principal, contre un FAI tel que Scarlet dans l’objectif de garantir la cessation effective de ladite atteinte. Le problème soulevé par la question de la juridiction de renvoi n’est toutefois pas celui de savoir si la juridiction belge compétente peut, d’une manière générale, adopter une injonction de cessation dans un tel contexte et dans un tel objectif, mais si elle peut, au regard des exigences découlant de la «qualité de la loi» au sens de la CEDH et, désormais, de la charte, ordonner une mesure de la nature de celle qui est sollicitée en l’espèce sur le fondement de ce pouvoir d’injonction.
104. Dans cette perspective, il nous faut, de prime abord, reprendre notre réflexion initiale sur les caractères et, en fin de compte, sur la «nature» de la mesure sollicitée.
105. Ainsi que nous l’avons vu ci-dessus, dans la perspective de Scarlet et des FAI, l’obligation de mettre en place, à leurs seuls frais, un système de filtrage et de blocage tel que celui en cause est si caractérisée voire singulière, d’une part, et «nouvelle» voire inattendue, d’autre part, qu’elle ne saurait être admise qu’à la condition d’être prévue de façon expresse, préalable, claire et précise, dans une «loi» au sens de la charte. Or, il peut difficilement, être considéré que, en adoptant la mesure sollicitée sur le fondement de la disposition nationale en cause, la juridiction nationale compétente se tiendrait dans les limites expressément, préalablement, clairement et précisément définies par la «loi», en particulier si l’on tient compte des dispositions de l’article 15 de la directive 2000/31 (100). Du point de vue de Scarlet, l’adoption par une juridiction belge d’une mesure de cette nature était difficilement prévisible (101) et, eu égard à ses conséquences économiques potentielles, confinerait même à l’arbitraire.
106. Dans la perspective des utilisateurs des services de Scarlet et plus largement des internautes, le système de filtrage exigé a vocation, indépendamment des modalités de son fonctionnement concret, à s’appliquer de façon systématique et universelle, permanente et perpétuelle, mais sa mise en place n’est assortie d’aucune garantie spécifique, en ce qui concerne notamment la protection des données personnelles et la confidentialité des communications. Par ailleurs, le mécanisme de blocage est, indépendamment des modalités de son fonctionnement concret également, appelé à entrer en action sans que ne soit expressément prévue la possibilité pour les personnes affectées, c’est-à-dire les internautes de s’opposer au blocage d’un fichier déterminé ou d’en contester le bien-fondé.
107. Il peut difficilement en être autrement dès lors que la loi nationale en cause n’a nullement pour objectif d’autoriser les juridictions nationales compétentes à adopter une mesure de filtrage de toutes les communications électroniques des abonnés des FAI exerçant leur activité sur le territoire de l’État membre en cause.
108. La conclusion qui s’impose est donc que la disposition en cause du droit national ne peut, au regard des articles 7, 8 et 11 de la charte et en particulier des exigences tenant à la «qualité de la loi» et, plus largement des exigences de la prééminence du droit, être considérée comme une base légale suffisante pour adopter une mesure d’injonction imposant un système de filtrage et de blocage comme celui exigé dans l’affaire au principal.
109. Du reste, du point de vue de la notion «matérielle» de la «loi», il doit également être constaté qu’il n’a aucunement été fait état de l’existence d’une jurisprudence abondante des juridictions belges, qui aurait répété et affiné l’interprétation et l’application de la disposition en cause du droit national, en conformité avec le droit de l’Union et le droit de la CEDH, dans le sens de la mesure sollicitée et ainsi permis de conclure au respect de l’exigence de prévisibilité de la loi (102).
110. Il n’est, eu égard au constat effectué ci-dessus, pas nécessaire d’examiner l’incidence du droit de l’Union (103) sur la «qualité» de la base légale nationale. L’avocat général Kokott a souligné, à cet égard, dans ses conclusions dans l’affaire Promusicae, précitée (104), que «c’est au législateur communautaire qu’il appartient en tout premier lieu d’établir un équilibre entre les positions concernées en matière de droits fondamentaux» et que «les États membres sont néanmoins, eux aussi, tenus d’en tenir compte lorsqu’ils épuisent leur compétence réglementaire résiduelle dans le cadre de la transposition de directives».
111. Est ainsi soulevée la question, particulièrement délicate, de la «responsabilité» respective de l’Union et des États membres, au regard des exigences de prééminence du droit ci-dessus examinées, dans une situation dans laquelle des directives, ensemble avec les mesures nationales de transposition, font l’objet d’une application emportant «limitation» d’un droit garanti ou d’une liberté reconnue par la charte. Toutefois, les termes de la question posée par la juridiction de renvoi, qui vise expressément les dispositions de la législation nationale censées transposer les directives 2001/29 et 2004/48 sur la protection de la propriété intellectuelle, nous permet, étant préalablement constaté qu’aucune des directives en cause n’impose la mise en place d’un système de filtrage et de blocage comme celui exigé dans l’affaire au principal, de laisser provisoirement cette question de côté.
112. Enfin, l’idée selon laquelle les directives en cause, et en particulier la directive 2000/31, devraient fait l’objet d’une interprétation actualisée, tenant compte de l’évolution de la technologie et des usages d’Internet doit, dans ce contexte, être rejetée. Si, à l’évidence, l’exigence de prévisibilité n’implique pas une certitude absolue, comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a itérativement jugé (105), l’approche défendant l’interprétation «vivante» des textes ne saurait pallier le défaut de toute base légale nationale mentionnant de façon explicite un système de filtrage et de blocage des communications électroniques. Une interprétation du droit de l’Union, et tout particulièrement de l’article 15 de la directive 2000/31, comme permettant ou comme ne s’opposant pas à l’adoption d’une mesure comme celle qui est sollicitée ne serait pas conforme aux exigences de la «qualité de la loi» et contreviendrait aux principes de sécurité juridique (106) et de protection de la confiance légitime.
113. Qu’il me soit permis d’ajouter quelques considérations finales. La charte, tout comme la CEDH, en exigeant que toute «limitation» (ou «ingérence» ou «restriction») des droits et libertés soit «prévue par la loi», renvoie, de façon très spécifique, à la fonction de la loi, du droit à proprement parler, en tant que source de tranquillitas publica et cela dans le domaine extrêmement sensible qui nous occupe. Or, la charte non seulement veut que la loi «préexiste» à toute limitation des droits et libertés, mais veut, en outre, que cette limitation respecte son «contenu essentiel», ce qui appelle de façon pratiquement incontournable l’intervention du législateur dans la définition de la frontière entre la limitation du droit et le territoire en principe intangible de ce contenu essentiel. De même, la charte exige que tout limitation de l’exercice des droits et libertés qu’elle reconnaît respecte le principe de proportionnalité, réponde au principe de nécessité et poursuive effectivement des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou réponde au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. À l’égard de toutes ces conditions, c’est l’existence même de cette «loi» qui, à nouveau, fait défaut à notre avis, «loi» entendue comme droit «délibéré», c’est-à-dire démocratiquement légitimé. Seule, en effet, une loi au sens parlementaire du terme aurait pu permettre d’avancer dans l’examen des autres conditions que pose l’article 52, paragraphe 1, de la charte. Il pourrait, à cet égard, être avancé que l’article 52, paragraphe 1, de la charte incorpore une exigence implicite de loi «délibérée», en correspondance avec l’intensité du débat public. C’est toutefois l’exigence explicite de loi, en tant que «droit préalable», qui est ici en cause. Et ayant constaté que cette dernière faisait défaut en l’espèce, il peut être donné réponse à la première question posée par la juridiction de renvoi.
114. En conclusion, nous proposons à la Cour de répondre par la négative à la première question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Bruxelles et, par voie de conséquence, de déclarer qu’il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question, posée à titre subsidiaire.
V – Conclusion
115. En conclusion, nous proposons à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Bruxelles dans les termes suivants:
«Les directives 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, et 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, en combinaison avec les directives 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, 2002/58/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques, et 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), interprétées à la lumière des articles 7, 8, 11 et 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en considération des articles 8 et 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à l’adoption par une juridiction nationale, sur la base de la seule disposition légale prévoyant que ‘[les juridictions compétentes] peuvent également rendre une injonction de cessation à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte au droit d’auteur ou à un droit voisin’, d’une mesure ordonnant ‘à un [fournisseur d’accès à Internet] de mettre en place, à l’égard de toute sa clientèle, in abstracto et à titre préventif, aux frais exclusifs de ce [dernier] et sans limitation dans le temps, un système de filtrage de toutes les communications électroniques, tant entrantes que sortantes, transitant par ses services, notamment par l’emploi de logiciels peer-to-peer, en vue d’identifier sur son réseau la circulation de fichiers électroniques contenant une œuvre musicale, cinématographique ou audio-visuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits et ensuite de bloquer le transfert de ceux-ci, soit au niveau de la requête soit à l’occasion de l’envoi’».
1 – Langue originale: le français.
2 – Il ne paraît guère nécessaire de souligner que le problème du piratage sur Internet est planétaire, qu’il a donné lieu à des réponses diversifiées suivant les pays, le plus souvent judiciaires [que cela soit contre les utilisateurs d’Internet eux-mêmes ou contre les prestataires de service, fournisseurs d’accès Internet, fournisseurs d’hébergement, éditeurs de logiciels «peer-to-peer» ou de services [voir, notamment, affaires Napster (A&M Records v Napster, 239 F.3d 1004, 9th Cir. 201) et Grokster (Metro-Goldwyn-Mayer Studios v Grokster, 125 S. Ct. 2764, 2005) aux États-unis, affaire Kazaa en Australie (Kazaa [2005] F. C. A. 1242) ou encore affaire PirateBay en Suède (Svea hovrätt), 26 novembre 2010 (Affaire n° B 4041-09)], parfois législatives [par exemple, en France, la loi dite Hadopi, du nom de la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet qu’elle institue (loi n° 2009-669, du 12 juin 2009, favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet, JORF n°135 du 13 juin 2009, p. 9666); en Espagne, Disposición final cuadragésima tercera de la Ley 2/2011, de 4 de marzo, de Economía Sostenible (BOE du 5 mars 2011, p. 25033)], parfois sui generis [voir, par exemple, Joint Memorandum of Understanding on an approach to reduce unlawful file sharing signé en 2008 entre les principaux fournisseurs d’accès Internet du Royaume-Uni et les représentants des industries de la création], abondamment commentées et dont il n’est évidemment pas possible de rendre compte ici, même succinctement, et que le débat qu’il soulève est lui-même mondial et particulièrement controversé; pour un aperçu de l’approche française du problème, voir, notamment, Derieux, E., et Granchet, A., La lutte contre le téléchargement illégal, Lois DADVSI et HADOPI, Lamy Axe Droit, 2010; pour un aperçu de l’approche défendue par la Commission, voir son premier rapport sur l’application de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur, du 21 novembre 2003 [COM(2003) 702 Final, point 4.7]; son rapport sur l’application de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, du 22 décembre 2010 [COM(2010) 779 Final, point 3.3] ainsi que sa communication du 16 juillet 2008, «Une stratégie dans le domaine des droits de propriété industrielle pour l’Europe» [COM(2008) 465 Final, point 5.3]. L’on consultera également, parmi les travaux menés dans le cadre du Conseil de l’Europe, la recommandation CM/Rec(2008)6 du Comité des ministres aux États membres, du 26 mars 2008, sur les mesures visant à promouvoir le respect de la liberté d’expression et d’information au regard des filtres Internet et les lignes directrices visant à aider les fournisseurs de services Internet, de juillet 2008; voir également le rapport de l’OCDE présenté le 13 décembre 2005 au Working Party on the Information Economy, Digital Broadband Content: Music, DSTI/ICCP/IE(2004)12/FINAL.
3 – Ci-après la «charte».
4 – Ci-après la «CEDH».
5 – Ainsi, sur le plan juridique, la qualification juridique des actes de contrefaçon en cause et l’incidence des exceptions pour copie privée ne seront pas examinées; sur le plan technique, ni les techniques de téléchargement illégal ni les moyens possibles d’y faire obstacle ne peuvent être examinés. D’une manière plus générale, l’on se reportera à cet égard à l’abondante doctrine que l’appréhension juridique du phénomène suscite.
6 – Ci-après le «FAI».
7 – Arrêt du 29 janvier 2008, C‑275/06, Rec. p. I‑271, conclusions de l’avocat général Kokott du 18 juillet 2007.
8 – Une adresse IP est une adresse unique que les dispositifs communiquant conformément au «protocole Internet» utilisent afin de s’identifier et de communiquer entre eux sur un réseau informatique; voir, en particulier, Jon Postel ed., Internet Protocol, RFC 791, septembre 1981, http://www.faqs.org/rfcs/rfc791.html. Voir également conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Promusicae, précitée, points 30 et 31.
9 – À vrai dire, si, comme nous le verrons, il est exigé du FAI en question qu’il mette en place un dispositif «préventif» de lutte contre les infractions aux droits de propriété intellectuelle, il doit néanmoins être souligné qu’il est, en l’espèce, destinataire d’une injonction adoptée en réaction à des infractions constatées aux droits de propriété intellectuelle dans le cadre d’une procédure civile.
10 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO L 167, p. 10).
11 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle (JO L 157, p. 45, et – rectificatifs – JO 2004, L 195, p. 16, et JO 2007, L 204, p. 27).
12 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (JO L 281, p. 31).
13 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 12 juillet 2002, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques (JO L 201, p. 37).
14 – Directive du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique») (JO L 178, p. 1).
15 – Moniteur belge du 27 juillet 1994, p. 19297
16 – Ci-après «Scarlet».
17 – Voir, notamment, pour les plus récents, arrêts du 14 octobre 2010, Fuß (C-243/09, point 66); du 9 novembre 2010, Volker und Markus Schecke et Eifert (C-92/09 et C-93/09, points 45 et suiv.), ainsi que B et D (C-57/09 et C-101/09, point 78); du 12 novembre 2010, Asparuhov Estov (C-339/10, point 12); du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C-145/09, point 52); du 22 décembre 2010, DEB Deutsche Energiehandels-und Beratungsgesellschaft, point 30; Sayn-Wittgenstein (C-208/09, point 52); Gavieiro Gavieiro et Iglesias Torres (C-444/09 et C-456/09, point 75), ainsi que Aguirre Zarraga (C-491/10 PPU), et du 1er mars 2011, Association Belge des Consommateurs Test-Achats e.a. (C-236/09, point 16).
18– Voir également en ce sens les Conclusions de l'avocat général Bot du 5avril 2011 dans l'affaire C-108/10, Scattolon.
19 – Voir arrêts du 5 octobre 2010, McB. (C‑400/10 PPU, non encore publié au Recueil, point 53), et DEB Deutsche Energiehandels-und Beratungsgesellschaft, précité (point 35).
20– Voir également, à cet égard, les explications élaborées en vue de guider l’interprétation de la charte visées à l’article 52, paragraphe 7, et en particulier les explications ad article 7, article 8, article 11 et article 52 de la charte.
21 – Comme la Cour l’a rappelé au point 35 de l’arrêt DEB Deutsche Energiehandels-und Beratungsgesellschaft, précité, «le sens et la portée des droits garantis sont déterminés non seulement par le texte de la CEDH, mais aussi, notamment, par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme», conformément aux explications élaborées en vue de guider l’interprétation de la charte visées à l’article 52, paragraphe 7, de celle-ci.
22 – Voir, à cet égard, nos conclusions du 1er mars 2011 dans l’affaire Samba Diouf, pendante devant la Cour (C-69/10, point 42).
23 – Tel était, précisément, le sens de la question que nous avons pris soin de poser en détail lors de l’audience aux différents intervenants.
24 – Pour de simples «mentions» de la condition, voir notamment arrêts du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, Rec. p. 2859, point 19); du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission (85/87, Rec. p. 3137, points 30 et suiv.); du 26 juin 1997, Familiapress (C‑368/95, Rec. 1997 p. I‑3689, point 26); du 11 juillet 2002, Carpenter (C‑60/00, Rec. p. I‑6279, point 42); et du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission (C‑407/08 P, non encore publié au Recueil, point 91); pour un «contrôle» de la condition, voir arrêt Volker und Markus Schecke et Eifert, précité (point 66). Voir également conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Promusicae, précitée (point 53).
25 – Dans la suite des développements il sera, dès lors, simplement fait référence à la question préjudicielle au singulier.
26 – Ci-après le «système de filtrage».
27 – Ci-après le «mécanisme de blocage».
28 – Dans ses écritures, la Sabam souligne, toutefois, que la mesure sollicitée ne vise que les communications «peer-to-peer». L’expression «peer-to-peer» (pair-à-pair) désigne une méthode de communication suivant laquelle des ordinateurs, connectés en réseau en ligne directe, échangent, par l’intermédiaire de logiciels utilisant des protocoles spécifiques, des informations, qui peuvent être des fichiers (le «file sharing» visé par la présente affaire), mais aussi, par exemple, des services de téléphonie comme Skype. L’on peut, à titre d’illustration citer les protocoles et logiciels de «file sharing» suivants: BitTorrent (Azureus, BitComet, Shareaza, MlDonkey…), eDonkey (eDonkey2000, MlDonkey), FastTrack (Kazaa, Grokster, iMesh, MlDonkey), Gnutella (BearShare, Shareaza, Casbos, LimeWire, MlDonkey…), Gnutella2 (Shareaza, Trustyfiles, Kiwi Alpha, FileScope, MlDonkey…), OpenNap (Napster, Lopster, Teknap, MlDonkey); pour une présentation plus détaillée du «peer-to-peer», voir, notamment, Stevens, R., Peer-to-Peer (P2P) Resource Sharing, juillet 2010 (sur le site de l’université d’Oxford, Information and Communications Technology <http://www.ict.ox.ac.uk/oxford/rules/p2p.xml>). La Sabam précise que la mesure vise «à rendre impossible toute forme, au moyen d’un logiciel «peer-to-peer», d’envoi ou de réception […] de fichiers électroniques reprenant une œuvre musicale du répertoire de la Sabam». C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de déterminer ce qu’il en est exactement, et notamment si le système doit également s’adapter aux modes, alternatifs au «peer-to-peer», d’échange de fichiers tel que le «streaming» (flux de données) et le «direct download» (téléchargement direct, via, par exemple, RapidShare, MegaUpload). La Cour, tenue par les termes de la question préjudicielle qui lui est posée et les motifs de la décision de renvoi doit partir du principe que le système de filtrage et de blocage exigé vise «notamment», et donc non exclusivement, les communications réalisées au moyen de logiciels «peer-to-peer».
29 – C’est une conséquence inéluctable du principe de «neutralité technologique» défendu par la Sabam, en vertu duquel la mesure sollicitée n’impose à Scarlet l’adoption d’aucune technologie particulière.
30 – Avec toute la prudence qui s’impose à qui n’est point un homme de l’art, il semble que la mise en place d’un système de filtrage et de blocage puisse reposer sur plusieurs mécanismes de détection. L’on peut distinguer: 1) la détection du protocole de communication utilisé: chaque protocole «peer-to-peer» possédant ses propres mécanismes pour gérer le réseau et coordonner la distribution du trafic, il est possible de mettre en place des filtres qui cherchent dans chaque paquet IP l’empreinte propre à chaque protocole (la signature). Il est ensuite possible, une fois la signature connue, soit de bloquer, ou encore de considérablement ralentir à des fins dissuasives, toutes les communications utilisant ce protocole, soit d’exploiter les possibilités de contrôle approfondi du contenu des fichiers pour ne bloquer que ceux qui sont identifiés comme portant atteinte à un droit; 2) la détection du contenu des fichiers échangés: ce type de système peut soit détecter un tatouage informatique préalablement placé dans un fichier, soit comparer l’empreinte informatique d’un fichier avec les empreintes préalablement établies des œuvres. Le système CopySense d’Audible Magic qui est évoqué dans la décision de renvoi est un système de ce type; 3) la détection du comportement des acteurs de la communication litigieuse: détection des ports de communications, détection de l’ouverture par un ordinateur serveur/client de plusieurs connections à plusieurs autres clients; détection des requêtes de recherche/transfert de fichiers voire détection du cryptage de l’échange comme indice de tentative de contournement des mesures de détection. Pour un aperçu des différentes techniques envisageables, comparer, par exemple le rapport Kahn-Brugidou du 9 mars 2005 et le rapport Olivennes sur le développement et la protection des œuvres culturelles sur les nouveaux réseaux du 23 novembre 2007, qui a inspiré la loi Hadopi.
31 – Nonobstant le principe de neutralité technologique défendu par la Sabam, le choix du système à mettre en place n’est pas non plus neutre sur le plan technologique. Il peut, par exemple, être raisonnablement considéré qu’un système de filtrage par contenu de toutes les communications aura vraisemblablement un impact plus important sur le réseau de communication qu’un filtrage des seuls fichiers échangés suivant un protocole dont la signature est identifiée.
32 – C’est là une conséquence directe de l’idée de neutralité technologique défendue par la Sabam.
33 – La Cour a d’ailleurs été saisie d’une question préjudicielle identique dans le cadre d’un autre litige opposant la Sabam à Netlog, une plateforme de réseau social; voir affaire Sabam (C-360/10), pendante devant la Cour (JO C 288, 23 octobre 2010, p. 18).
34 – Les décisions des juridictions belges dans cette affaire ont, en effet, eu un retentissement considérable au-delà des frontières de l’Europe, ainsi qu’une rapide recherche sur Internet permet de le constater.
35 – Il n’est guère nécessaire d’insister sur les avantages considérables que présenteraient, pour les titulaires de droits ou leurs ayants droit et en particulier les sociétés de gestion collective des droits engagées dans la lutte contre le téléchargement illégal, la généralisation de la mise en place de systèmes de filtrage et de blocage, à supposer qu’ils puissent être effectivement efficaces, sur les plans procédural et patrimonial pour commencer, par rapport à une stratégie consistant à requérir par voie judiciaire le concours des FAI en vue de détecter et de recenser les auteurs d’infractions pour ensuite engager à leur encontre des poursuites.
36 – La Sabam précise, à cet égard, qu’elle entend non pas mettre en cause Scarlet en tant qu’auteur ou responsable des atteintes portées à la propriété intellectuelle, mais la dissuader de fournir ses services à des tiers dans la mesure où ceux-ci les utilisent pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin. Il importe néanmoins de rappeler à cet égard que Scarlet a, en première instance, fait l’objet d’une injonction en cessation assortie d’une astreinte, qui font l’objet de l’appel en cause au principal, et que la Sabam demande la confirmation des décisions des premiers juges ainsi que la traduction et la publication de la décision à intervenir sur son site ainsi que dans plusieurs journaux.
37 – L’expert sollicité par le président du tribunal de première instance de Bruxelles insiste sur cet aspect de la question. Voir points 4 et 5 des conclusions de son rapport du 29 janvier 2007, citées dans la décision de renvoi et reproduites au point 21 ci-dessus.
38 – Encore une fois, le principe de la neutralité technologique défendu par la Sabam implique qu’il est impossible ex ante, d’évaluer les coûts globaux de la mise en place d’un tel système de filtrage et de blocage, qu’il s’agisse des coûts liés à la recherche et au test du système lui-même, des coûts d’investissement (les boîtiers de filtrage, les routeurs…), des coûts d’ingénierie et de gestion du projet ou encore des coûts récurrents de maintenance et de suivi opérationnel.
39 – Point 19.
40 – Il est à peine utile de rappeler que l’Union est, au terme de l’article 2 TUE, fondée sur les valeurs de, notamment, l’État de droit, et que la Cour avait de longue date consacré dans sa jurisprudence l’idée de «Communauté de droit»; voir notamment arrêts 23 avril 1986, Les Verts/Parlement (294/83, Rec. p. 1339, point 23), et du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission (C‑402/05 P et C‑415/05 P, Rec. p. I‑6351, point 281). Sur ces questions et avec toutes les réserves qui doivent accompagner l’usage des concepts nationaux en droit de l’Union, voir, notamment, Calliess, C., et Ruffert, M., EUV/EGV, Das Verfassungsrecht der Europäischen Union mit Europäischer Grundrechtcharta, Kommentar, Beck, 2007, p. 62; Schwarze, J., Droit administratif européen, Bruylant, 2009, p. 219 et suivantes; Azoulai, L., «Le principe de légalité», in Auby, J.-B., et Dutheil de la Rochère, J., Droit administratif européen, Bruylant, 2007, p.394, spécialement p. 399; Simon, D., «La Communauté de droit», in Sudre, F., et Labayle, H., Réalité et perspectives du droit communautaire des droits fondamentaux, Bruylant, 2000, p. 85, spécialement p. 117 et suiv.
41 – Voir arrêts du 9 juillet 1981, Gondrand et Garancini (169/80, Rec. p. 1931, point 17); du 22 février 1989, Commission/France et Royaume-Uni (92/87 et 93/87, Rec. p. 405, point 22); du 13 février 1996, Van Es Douane Agenten (C‑143/93, Rec. p. I‑431, point 27); du 17 juillet 1997, National Farmers’ Union e.a. (C‑354/95, Rec. p. I‑4559, point 57); du 16 octobre 1997, Banque Indosuez e.a. (C‑177/96, Rec. p. I‑5659, point 27); du 23 septembre 2003, BGL (C‑78/01, Rec. p. I‑9543, point 71), et du 20 novembre 1997, Wiener SI (C‑338/95, Rec. p. I‑6495, point 19).
42 – Voir, notamment, arrêts du 7 juin 2005, VEMW e.a. (C‑17/03, Rec. p. I‑4983, point 80); du 14 janvier 2010, Stadt Papenburg (C‑226/08, non encore publié au Recueil, point 45); du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a. (C‑550/07 P, non encore publié au Recueil, point 100), et du 2 décembre 2010, Jakubowska (C‑225/09, non encore publié au Recueil, point 42).
43 – Arrêt du 29 avril 2010, M e.a. (C‑340/08, non encore publié au Recueil, point 65).
44 – Voir également arrêts du 30 janvier 1985, Commission/Danemark (143/83, Rec. p. 427, point 10); du 21 juin 1988, Commission/Italie (257/86, Rec. p. 3249, point 12); du 16 juin 1993, France/Commission (C‑325/91, Rec. p. I‑3283, point 26); du 1er octobre 2009, Commission/Conseil (C‑370/07, Rec. p. I‑8917, point 39); du 11 novembre 2010, Grootes (C‑152/09, non encore publié au Recueil, point 43), et du 22 décembre 2010, Gowan Comércio (C‑77/09, non encore publié au Recueil, point 47). Sur l’exigence de clarté et de précision des mesures de transposition des directives, voir notamment arrêts du 20 octobre 2005, Commission/Royaume-Uni (C‑6/04, Rec. p. I‑9017, point 21); du 10 mai 2007, Commission/Autriche (C‑508/04, Rec. p. I‑3787, point 73), et du 3 mars 2011, Commission/Irlande (C‑50/09, non encore publié au Recueil, point 46).
45 – Voir ci-dessous, sous E, points 101 et suiv.
46 – À titre indicatif, l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29 et l’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/48 imposent aux États membres une double obligation d’instituer des mécanismes judiciaires de nature à prévenir et à sanctionner les atteintes aux droits de propriété intellectuelle. L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 impose aux États membres une double obligation de ne pas faire: ils doivent s’abstenir d’imposer aux «prestataires» une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. Les directives 95/46 et 2002/58 garantissent, par leur objet même, le droit à la protection des données personnelles. L’article 4 de la directive 2006/24 prévoit que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les données conservées conformément à cette directive ne soient transmises qu’aux autorités nationales compétentes, dans des cas précis et conformément au droit interne.
47 – Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Promusicae, précitée, qui examine en détail les rapports qu’entretiennent les différentes directives.
48 – Voir, en particulier, premier, deuxième, dixième et trente-septième considérants de la directive 95/46/CE, troisième, onzième et vingt-quatrième considérants de la directive 2002/58, neuvième considérant de la directive 2000/31 et neuvième et vingt-cinquième considérants ainsi que article 4 de la directive 2006/24.
49 – Dans la mesure où le système de filtrage et de blocage doit être déployé aux frais exclusifs du FAI, ladite mesure pourrait également apparaître comme une «privation» du droit de propriété au sens de l’article 17 de la charte, tel qu’interprété à la lumière de l’article 1er du protocole n° 1 à la CEDH et de la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme. Cet aspect de la question ne sera, toutefois, pas examiné dans les présentes conclusions.
50 – Ou encore d’«ingérence» au sens de l’article 8 de la CEDH ou de «restriction» au sens de l’article 10 de la CEDH. Sur ces notions, voir notamment Ganshof van der Meersch, W. J., Réflexions sur les restrictions à l’exercice des droits de l’homme dans la jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg, Völkerrecht als Rechtsordnung – Internationale Gerichtsbarkeit – Menschenrechte, Festschrift für H. Mosler, Springer, 1983, p. 263; Kiss, C.-A., «Les clauses de limitation et de dérogation dans la CEDH», in Turp, D., et Beaudoin, G., Perspectives canadiennes et européennes des droits de la personne, Yvon Blais, 1986, p. 119; Duarte, B., Les restrictions aux droits de l’homme garantis par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les Conventions américaine et européenne des droits de l’homme, thèse, université de Lille II, 2005; Viljanen, J., The European Court of Human Rights as a Developer of the General Doctrines of Human Rights Law. A Study of the Limitation Clauses of the European Convention on Human Rights, thèse, université de Tampere, 2003; Loucaides, L. G., «Restrictions or limitations on the Rights guaranteed by the European Convention on Human Rights», in The Finnish Yearbook of International Law, vol. 3, p. 334.
51 – Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et au Comité des Régions – Créer une société de l’information plus sûre en renforçant la sécurité des infrastructures de l’information et en luttant contre la cybercriminalité – eEurope 2002 [COM(2000) 890 final, spécialement p. 23].
52 – Voir à cet égard, en particulier, arrêts du 20 mai 2003, Rundfunk (C-465/00, C-138/01 et C-139/01, Rec. p. I-4989, point 68); du 16 décembre 2008, Satakunnan Markkinapörssi et Satamedia (C‑73/07, Rec. p. I‑9831), ainsi que Volker und Markus Schecke et Eifert, précité (points 56 et suiv.). Voir, également, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Promusicae, précitée (points 51 et suiv.).
53 – Voir, en particulier, dixième considérant de la directive 95/46, premier, deuxième, septième, dixième, onzième et vingt-quatrième considérants ainsi que article 1er, paragraphe 1, de la directive 2002/58.
54 – Scarlet et ISPA, de même que les gouvernements belge, tchèque et néerlandais font valoir, en substance, que la mise en place d’un tel système de filtrage et de blocage conduirait les FAI à réaliser des traitements de données à caractère personnel en méconnaissance des dispositions des directives 95/46 et 2002/58. La Sabam, les gouvernements polonais et finlandais ainsi que la Commission estiment, en revanche, que la mise en place d’un tel système n’est pas contraire aux directives 95/46 et 2002/58. Pour un examen des interdictions de traitement prévues par ces directives, voir en particulier conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Promusicae, précitée (points 64 et suiv.).
55 – Scarlet et ISPA estiment que l’adresse IP propre à chaque utilisateur d’Internet constitue une donnée à caractère personnel dans la mesure où, précisément, elle permet d’identifier les internautes. Partant, la collecte et la résolution des adresses IP des internautes, indispensables à l’identification de ces derniers et donc au fonctionnement d’un tel système, constitueraient un traitement de données à caractère personnel que les directives ne permettraient pas.
56 – Arrêt Promusicae, précité point 45; Ordonnance du 19 février 2009, LSG-Gesellschaft zur Wahrnehmung von Leistungsschutzrechten, C-557/07, Rec. p. I-1227.
57 – Il peut être observé que la question se pose indirectement dans l’affaire C-461/10, Bonnier Audio e.a., pendante devant la Cour (JO 2010, C 317, p. 24), dans le cadre de laquelle la Cour est, en substance, interrogée sur la question de savoir si la directive 2006/24 modifiant la directive 2002/58 s’oppose à l’application d’une disposition de droit national, instituée sur la base de l’article 8 de la directive 2004/48, qui, aux fins d’identification d’un abonné, permet d’enjoindre à un FAI de communiquer au titulaire d’un droit d’auteur ou à son ayant droit une adresse IP qui aurait servi à l’atteinte audit droit.
58 – Avis du Contrôleur européen de la protection des données du 22 février 2010 sur les négociations en cours au sein de l’Union européenne pour un accord commercial anti-contrefaçon (ACAC) (JO 2010, C 147, p. 1, point 24); avis du Contrôleur européen de la protection des données du 10 mai 2010 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l’exploitation et aux abus sexuels concernant des enfants et à la pédopornographie, abrogeant la décision-cadre 2004/68/JAI (JO 2010, C 323, p. 6, point 11).
59 – Il se réfère, à cet égard, à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, décision Weber et Saravia c. Allemagne du 29 juin 2006, requête n° 54934/00, Rec. 2006-XI et arrêt Liberty et autres c. Royaume-Uni du 1er juillet 2008, requête n° 58243. Il doit cependant être observé que ces deux affaires concernent non pas spécifiquement la collecte d’adresses IP sur Internet, mais la surveillance des télécommunications.
60 – Dit «groupe de travail ‘article 29’».
61 – Voir, en particulier, avis 4/2007, du 20 juin 2007, sur le concept de données à caractère personnel, WP 136, disponible à l’adresse <http://ec.europa.eu/justice/policies/privacy/>. Voir également, plus largement, la recommandation n° 3/97, du 3 décembre 1997, L’anonymat sur l’Internet, WP 6, et le document de travail intitulé «Le respect de la vie privée sur Internet – Une approche européenne intégrée sur la protection des données en ligne», adopté le 21 novembre 2000, WP 37, spécialement p. 22.
62 – Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 sur la conservation de données générées ou traitées dans le cadre de la fourniture de services de communications électroniques accessibles au public ou de réseaux publics de communications, et modifiant la directive 2002/58/CE (JO L 105, p. 54).
63 – Telle est, par exemple, l’approche suivie par la Commission nationale de l’informatique et des libertés en France; voir délibération n° 2007-334, du 8 novembre 2007. Sur ces questions voir, par exemple, González Pascual, M., «La Directiva de retención de datos ante el Tribunal Constitucional Federal alemán. La convergencia de jurisprudencias en la Europa de los Derechos: un fin no siempre deseable», REDE, 2010, n° 36, p. 591.
64 – Sur la portée de l’interdiction de stockage et de communication des données de trafic au sens de la directive 2002/58 et ses exceptions, l’on se reportera aux conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Promusicae, précitée, points 64 et suiv.
65 – L’article 11 de la directive 2006/24 a notamment ajouté un paragraphe 1 bis à l’article 15 de la directive 2002/58, aux termes duquel l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2002/58 ne s’applique pas aux données dont la conservation est spécifiquement exigée par la directive 2006/24. L’article 4 de la directive 2006/24 dispose, en l’occurrence, que «les États membres prennent les mesures nécessaires pour veiller à ce que les données conservées conformément à la présente directive ne soient transmises qu’aux autorités nationales compétentes, dans des cas précis et conformément au droit interne. La procédure à suivre et les conditions à remplir pour avoir accès aux données conservées dans le respect des exigences de nécessité et de proportionnalité sont arrêtées par chaque État membre dans son droit interne, sous réserve des dispositions du droit de l’Union européenne ou du droit international public applicables en la matière, en particulier la CEDH telle qu’interprétée par la Cour européenne des droits de l’homme».
66 – Scarlet, soutenue par ISPA, fait valoir que la mise en place d’un tel système porterait atteinte aux dispositions de la directive 2002/58 relatives au secret des communications électroniques, en se référant, à cet égard, au vingt-sixième considérant et à l’article 5 de ladite directive.
67 – C’est en référence explicite à cette jurisprudence qu’elle a d’ailleurs examiné une mesure de sonorisation d’un appartement. Voir Cour eur. D. H., arrêt Vetter c. France du 31 mai 2005, requête n° 59842/00, point 27, renvoyant expressément à son raisonnement dans les arrêts Huvig c. France du 24 avril 1990, requête n° 11105/84, série A, n° 176-B, et Kruslin c. France du 24 avril 1990, requête n° 11801/85, série A, n° 176-A.
68 – Cour eur. D. H., arrêt Copland c. Royaume-Uni du 3 avril 2007, requête n° 62617/00, § 43 et 44.
69 – Il est à noter que le quinzième considérant de la directive 2000/31 renvoie expressément à l’article 5 de la directive 97/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des télécommunications (JO 1998, L 24, p. 1), qui a été abrogée par la directive 2002/58.
70 – À l’instar de l’article 10 de la CEDH. Voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêt Observer et Guardian c. Royaume-Uni du 26 novembre 1991, requête n° 13585/88, série A, n° 216, § 59, et Guerra et autres c. Italie du 19 février 1998, requête n° 14967/89, Rec. 1998-I, § 53.
71 – Il peut être observé que la Cour européenne des droits de l’homme a également eu l’occasion de prendre en compte la «puissance» d’Internet qui, étant per se accessible à tous produit un effet démultiplicateur de grande envergure, dans son appréciation de la compatibilité d’une «restriction» à la liberté d’expression au regard des exigences de l’article 10, paragraphe 2, de la CEDH. Voir en particulier Cour eur. D. H., arrêts Mouvement Raëlien Suisse c. Suisse du 13 janvier 2011, requête n° 16354/06, § 54 et suiv.; Akdaş c. Turquie du 16 février 2010, requête n° 41056/04, § 28, et Willem c. France du 16 juillet 2009, requête n° 10883/05, § 36 et 38.
72 – Cour eur. D. H., arrêt Times Newspapers Limited c. Royaume-Uni du 10 mai 2009, requêtes n°s 3002/03 et 23676/03, § 27. La Cour juge, en l’occurrence, que la «constitution d’archives sur Internet représentant un aspect essentiel du rôle joué par les sites Internet» relève du champ d’application de l’article 10 de la CEDH.
73 – Il a pu être soutenu que les dispositions du droit de la propriété intellectuelle d’un État membre pouvaient constituer, en soi, une restriction au sens de l’article 10 de la CEDH; voir Danay, R., «Copyright vs. Free Expression: the Case of peer-to-peer File-sharing of Music in the United Kingdom», in Yale Journal of Law & Technology, 2005-2006, vol. 8, n° 2, p. 32.
74 – Ou alternativement d’«ingérence» au sens de l’article 8 de la CEDH et de «restriction» au sens de l’article 10 de la CEDH.
75 – Voir, notamment, arrêt du 12 septembre 2006, Laserdisken (C‑479/04, Rec. p. I‑8089, point 62).
76 – Arrêt Laserdisken, précité (point 65).
77 – Voir, en particulier, troisième et quatrième considérants de la directive 2001/29 ainsi que premier et dixième considérants de la directive 2004/48.
78 – Voir, notamment, Comm. eur. D. H., décisions Smith Kline et French Laboratories Ltd. c. Pays-Bas du 4 octobre 1990, requête n° 12633/87, DR 66, p. 81, et A. D. c. Pays-Bas du 11 janvier 1994, requête n° 21962/93; Cour eur. D. H., arrêts British-American Tobacco Company Ltd c. Pays-Bas du 20 novembre 1995, série A n° 331, § 71-72; Chappel c. Royaume-Uni du 30 mars 1989, requête n° 10461/83, série A, n° 152A, § 59, et Anheuser-Bush Inc. c. Portugal du 11 janvier 2007, requête n° 73049/01, § 71 et 72; décision Melnychuk c. Ukraine, du 5 juillet 2005, requête n° 28743/03, § 3.
79 – Voir arrêt du 17 mai 1988, Warner Brothers et Metronome Video (158/86, Rec. p. 2605, point 13).
80 – Voir arrêts du 20 janvier 1981, Musik-Vertrieb membran et K-tel International (55/80 et 57/80, Rec. p. 147, point 12), et du 20 octobre 1993, Phil Collins e.a. (C‑92/92 et C‑326/92, Rec. p. I‑5145, point 20).
81 – Notamment, van Dijk, P., et al., Theory and practice of the European Convention on Human Rights, 4e éd., Intersentia, 2006, p. 336; Jacobs, F. G., White, R. C. A., and Ovey, C., The European Convention on Human Rights, 5e éd., Oxford University Press, 2010, p. 315; Harris, D. J., O’Boyle, M., et Warbrick, C., Law of the European Convention on Human Rights, 2e éd., Oxford University Press, 2009; Grabenwarter, C., Europäische Menschenrechtskonvention : ein Studienbuch, 3e éd., Helbing & Lichtenhahn, 2008, p. 112; Matscher, F., «Der Gesetzesbegriff der EMRK», in Adamovich und Kobzina, A., Der Rechstaat in der Krise – Festschrift Edwin Loebenstein zum 80. Geburstag, Mainz, 1991, p. 105; Gundel, J., Beschränkungsmöglichkeiten, in Handbuch der Grundrechte, Band. VI/1, Müller, 2010, p. 471; Weiß, R., Das Gesetz im Sinne der europäischen Menschenrechtskonvention, Duncker & Humblot, 1996.
82 – Voir, notamment, Martín-Retortillo Baquer, L., «La calidad de la ley según la jurisprudencia del Tribunal europeo de derechos humanos», in Derecho Privado y Constitución, 2003, n° 17, p. 377; Wachsmann, P., «De la qualité de la loi à la qualité du système juridique», in Libertés, Justice, Tolérance, Mélanges en hommage au doyen Gérard Cohen-Jonathan, Bruylant, Bruxelles, vol. 2, p. 1687.
83 – Cour eur. D. H., arrêt Leander c. Suède du 26 mars 1987, requête n° 9248/81, série A, n° 116, § 50.
84– Cour eur. D. H., arrrêt Margareta et Roger Andersson c. Suède du 25 février 1992, requête n° 12963/87, série A n° 226-A, p. 25, § 75.
85 – Cour eur. D. H., arrêt Tan c. Turquie du 3 juillet 2007, requête n° 9460/03, § 22 à 26; dans cette affaire, la Cour s’est penchée sur la conformité avec le principe de clarté de la loi d’une réglementation sur la correspondance de détenus. Elle a considéré que la réglementation qui octroyait aux directeurs des établissements pénitentiaires, sur décision de la commission disciplinaire, le pouvoir de refuser l’acheminement, de censurer ou de procéder à la destruction de tout courrier considéré comme «gênant», n’indiquait pas avec suffisamment de clarté l’étendue et les modalités du pouvoir d’appréciation des autorités dans le domaine considéré.
86 – Voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêt Kruslin c. France, précité, § 30; décision Coban c. Espagne du 25 septembre 2006, requête n° 17060/02.
87 – Voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêt Sanoma Uitgevers c. Pays-Bas du 14 septembre 2010, requête n° 38224/03, § 81 et 82.
88 – Entre autres, arrêt Margareta et Roger Andersson, précité, § 75.
89 – Cour eur. D. H., arrêt Silver et autres c. Royaume-Uni, du 25 mars 1983, requêtes n° 5947/72, 6205/73, 7052/75, 7061/75, 7107/75, 7113/75 et 7136/75, série A, n° 61, § 88.
90 – Voir, sur à ce sujet point 53 des conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Promusicae, précitée, citant l’arrêt Österreichischer Rundfunk, précité (points 76 et 77).
91 – Pour une formulation ramassée de ces différentes exigences, voir notamment Cour eur. D. H., arrêt Kopp c. Suisse du 25 mai 1998, requête n° 23224/94, Rec. 1998-II, § 55.
92 – Cour eur. D. H., arrêt Valenzuela Contreras c. Espagne du 30 juillet 1998, requête n° 27671/95, Rec. 1998-V, § 46, renvoyant à l’arrêt du 2 août 1984, Malone, requête n° 8691/79, série A, n° 82 et aux arrêts précités Kruslin c. France et Kopp c. Suisse.
93 – Le principe de la prééminence du droit, qui figure dans le préambule de la CEDH, implique que le droit interne offre une certaine protection contre les atteintes arbitraires de la puissance publique aux droits qu’elle garantit. Si ce principe «veut qu’une immixtion des autorités dans les droits d’un individu puisse subir un contrôle efficace» (Cour eur. D. H., arrêt Klass et autres c. Allemagne, du 6 septembre 1978, requête n° 5029/71, série A n° 28, pp. 25-26, § 55; arrêts Malone, précité, § 68; arrêt Silver et autres, précité, § 90) , «implique, entre autres, qu’une ingérence de l’exécutif dans les droits d’un individu soit soumise à un contrôle efficace que doit normalement assurer, au moins en dernier ressort, le pouvoir judiciaire, car il offre les meilleurs garanties d’indépendance, d’impartialité et de procédure régulière» (Cour eur. D. H., arrêt Klass et autres, précité, § 55), il exige aussi, un «degré minimal de protection» que serait méconnu «si le pouvoir d’appréciation accordé à l’exécutif ne connaissait pas de limites» (sur l’article 8 de la CEDH, Outre les arrêts Malone, § 68 et Kruslin c. France, § 30 précités ; Cour eur. D. H., arrêt Rotaru c. Roumanie, du 4 mai 2000, requête n° 28341/95, Rec. 2000-V, § 55; Segerstedt-Wiberg et autres c. Suède, du 6 juin 2006, requête n° 62332/00, Rec. 2006-VII, § 76; Lupsa c. Roumanie, du 8 juin 2006, requête n° 10337/04, Rec. 2006-VII, § 34; décision Weber et Saravia c. Allemagne, du 29 juin 2006, requête n° 54934/00, Rec. 2006-XI, § 94; sur l’article 10 de la CEDH, arrêt Sanoma Uitgevers, précité, § 82) ou encore si le pouvoir d’appréciation accordé à un juge ne connaissait pas de limites (Cour eur. D. H., arrêt Huvig c. France, du 24 avril 1990, requête n° 11105/84, série A, n° 176-B, p. 55, § 29; décision Weber et Saravia c. Allemagne, précitée § 94; arrêt Liberty et autres précité, § 62; arrêt Bykov c. Rusie, du 10 mars 2009, requête n° 4378/02, § 78).
94 – Wachsmann, P., La prééminence du droit, in, Le droit des organisations internationales, Recueil d’études à la mémoire de Jacques Schwob, p. 241, spéc. 263; voir également Wiarda, G., La Convention européenne des droits de l’homme et la prééminence du droit, Rivista di studi politici internazionali, 1984, p. 452; Grabarczyk, K, Les principes généraux dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, PUAM, 2008, spéc. Pp. 194 et ss.; Morin, J.-Y, «La prééminence du droit dans l’ordre juridique européen», in Theory of International Law at the Threshold of the 21st Century. Essays in Honour of Krzysztof Skubiszewski, Kluwer Law International, 1996, p. 643.
95 – Cour eur. D. H., arrêts Groppera Radio et autres c. Suisse, du 28 mars 1990, requête n° 10890/84, série A n° 173, p. 26, § 68; Cantoni c. France, du 15 novembre 1996, requête n° 17862/91, Rec. 1996-V, § 35. Comme elle l’a souligné au sujet d’une mesure de surveillance par GPS des déplacements en public d’une personne, les critères relativement stricts, établis et suivis dans le contexte spécifique de la surveillance des télécommunications, ne sauraient être applicables mutatis mutandis à toutes formes d’ingérence. Voir Cour eur. D. H., arrêt Uzun c. Allemagne, du 2 septembre 2009, requête n° 35623/05, § 66. Dans cette affaire, la Cour a préféré suivre les principes généraux à observer «pour qu’il y ait une protection adéquate contre une ingérence arbitraire dans l’exercice des droits protégés par l’article 8» de la CEDH. En l’occurrence, comme elle le rappelle, «lorsqu’il s’agit de mesures de surveillance secrète par les autorités publiques, l’absence de contrôle public et le risque d’abus de pouvoir impliquent que le droit interne offre une protection contre les ingérences arbitraires dans l’exercice des droits garantis par l’article 8». «La Cour doit se convaincre de l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus. Cette appréciation dépend de l’ensemble des circonstances de la cause, par exemple la nature, l’étendue et la durée des mesures éventuelles, les raisons requises pour les ordonner, les autorités compétentes pour les permettre, exécuter et contrôler, le type de recours fourni par le droit interne».
96 – Entre autres, arrêts Groppera Radio, précité, § 68, et Tolstoy Miloslavsky, précité, § 37.
97 – Voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêts Sunday Times c. Royaume-Uni (n° 1), du 26 avril 1979, requête n° 6538/74, série A n° 30, § 49 ; Tolstoy Miloslavsky c. Royaume-Uni, du 13 juillet 1995, requête n° 18139/91, série A n° 316-B, § 37 ; Sanoma Uitgevers, précité, § 83.
98 – Notamment, Cour eur. D. H., arrêt Müller et autres c. Suisse, du 24 mai 1988, requête n° 10737/84, série A n° 133, § 29.
99– Il faut noter que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a progressivement conféré à la notion de «qualité de la loi» une signification propre, adaptée à la réalisation des fins poursuivies par la CEDH, qui la distingue de notions proches, au contenu souvent plus large, que l’on trouve dans le droit de certains États membres; voir, entre autres Milano, L., Contrôle de constitutionnalité et qualité de la loi, Revue du Droit public, 2006, n° 3, p. 637; La mauvaise qualité de la loi: Vagueness Doctrine at the French Constitutional Council, Hastings Constitutional Law Quarterly, hiver 2010, n° 37, p. 243; Reicherzer, M, Legitimität und Qualität von Gesetzen, Zeitschrift für Gesetzgebung, 2004, p. 121; Wachsmann, P. La qualité de la loi, Mélanges Paul Amselek, p. 809; Montalivet, P. de, «La ‘juridicisation’ de la légistique. À propos de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la Loi», in La confection de la loi, PUF, 2005, p. 99; Moysan, H., «L’accessibilité et l’intelligibilité de la loi. Des objectifs à l’épreuve de la pratique normative», AJDA, 2001, p. 428.
100 – L’article 15, paragraphe 1, de la directive 2000/31 impose aux États membres une double obligation de ne pas faire. Ils doivent s’abstenir d’imposer aux «prestataires» une obligation générale de surveiller les informations qu’ils transmettent ou stockent ou une obligation générale de rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2000/31 impose, en outre, aux États membres de veiller à ce que les prestataires de services de fourniture d’un accès au réseau de communication, et donc notamment les FAI, ne soient pas responsables des informations transmises.
101 – Le trentième considérant de la directive 2009/136/CE du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2009, modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques, la directive 2002/58/CE concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des communications électroniques et le règlement (CE) n° 2006/2004 relatif à la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs, (JO L 337, p. 11–36), précise également que «[l]a directive 2002/22/CE n’exige pas des fournisseurs qu’ils contrôlent les informations transmises par l’intermédiaire de leurs réseaux, ni qu’ils engagent des poursuites judiciaires à l’encontre de leurs clients en raison d’informations transmises, et ne rend pas les fournisseurs responsables de ces informations».
102 – Voir, en particulier, Cour eur. D. H., arrêt Chappel, précité, § 56. Voir également, Cour eur. D. H., arrêts Bock et Palade c. Roumanie, du 15 février 2007, requête n° 21740/02, §§ 61 à 64; July et Libération c. France, du 14 février 2008, requête n° 20893/03, § 55; et Brunet-Lecomte et autres c. France, du 5 février 2009, requête n° 42117/04, § 42.
103 – Sur la prise en compte, par la Cour européenne des droits de l’homme, du droit de l’Union dans l’examen de la qualité de la loi, voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêt Cantoni, précité, § 30 et décision Marchiani c. France, du 27 mai 2008, requête n° 30392/03.
104 – Point 56.
105 – Ainsi qu’elle le souligne, «la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive; or le droit doit savoir s’adapter aux changements de situations»; notamment, arrêt Sunday Times précité, § 49; Cour eur. D. H., arrêt Éditions Plon c. France, du 18 mai 2004, requête n° 58148/00, Rec. 2004-IV, § 26.
106 – Sur le lien parfois établi par la Cour européenne des droit de l’homme entre les principes de prééminence du droit et de «sécurité des situations juridiques», voir, en particulier, Cour eur. D. H., arrêts Sovtransavto Holding c. Ukraine, du 25 juillet 2002, requête n° 48553/99, Rec. 2000-VII, § 77 et Timotiyevich c. Ukraine, du 8 novembre 2005, requête n° 63158/00, § 32. Voir également Grabarczyk K, Les principes généraux dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, thèse précitée, spéc. pp. 209 et ss, n° 583 et s.