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Document 62006CJ0373

    Arrêt de la Cour (première chambre) du 17 avril 2008.
    Thomas Flaherty (C-373/06 P), Larry Murphy (C-379/06 P) et Ocean Trawlers Ltd (C-382/06 P) contre Commission des Communautés européennes.
    Pourvoi - Mesures de conservation des ressources - Restructuration du secteur de la pêche - Demandes d’augmentation des objectifs du programme d’orientation pluriannuel ‘POP IV’ en matière de tonnage - Rejet de la demande.
    Affaires jointes C-373/06 P, C-379/06 P et C-382/06 P.

    Recueil de jurisprudence 2008 I-02649

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2008:230

    Parties
    Motifs de l'arrêt
    Dispositif

    Parties

    Dans les affaires jointes C‑373/06 P, C‑379/06 P et C‑382/06 P,

    ayant pour objet des pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduits le 5 septembre 2006,

    Thomas Flaherty (C-373/06 P), demeurant à Mainster (Irlande),

    Larry Murphy (C-379/06 P), demeurant à Brandyhill (Irlande),

    Ocean Trawlers Ltd ( C-382/06 P), établie à Killybegs (Irlande),

    représentés parM. D. Barry, solicitor, et M. A. Collins, SC (C‑373/06 P, C‑379/06 P et C‑382/06 P), ainsi que par ces derniers et M. P. Gallagher, SC (C‑379/06 P),

    parties requérantes,

    les autres parties à la procédure étant:

    Irlande ,

    partie intervenante en première instance,

    Commission des Communautés européennes, représentée par M. B. Doherty et M me M. van Heezik, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

    partie défenderesse en première instance,

    LA COUR (première chambre),

    composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. A. Tizzano, A. Borg Barthet (rapporteur), M. Ilešič et E. Levits, juges,

    avocat général: M me E. Sharpston,

    greffier: M me L. Hewlett, administrateur principal,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 septembre 2007,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 décembre 2007,

    rend le présent

    Arrêt

    Motifs de l'arrêt

    1. Par leurs pourvois, MM. Flaherty et Murphy ainsi que la société Ocean Trawlers Ltd demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 13 juin 2006, Boyle e.a./Commission (T-218/03 à T-240/03, Rec. p. II-1699, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci, d’une part, a rejeté comme irrecevables leurs recours tendant à obtenir l’annulation de la décision 2003/245/CE de la Commission, du 4 avril 2003, relative aux demandes reçues par la Commission d’accroître les objectifs du POP IV en vue d’améliorer la sécurité, la navigation en mer, l’hygiène, la qualité des produits et les conditions de travail pour les navires d’une longueur hors tout supérieure à 12 mètres (JO L 90, p. 48, ci-après la «décision litigieuse»), et, d’autre part, les a condamnés à supporter leurs propres dépens.

    2. Par ordonnance du président de la Cour du 5 mars 2007, les affaires C-373/06 P, C-379/06 P et C-382/06 P ont été jointes aux fins de la procédure orale ainsi que de l’arrêt.

    Le cadre juridique

    3. Le 26 juin 1997, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 97/413/CE relative aux objectifs et modalités visant à restructurer, pour la période allant du 1 er janvier 1997 au 31 décembre 2001, le secteur de la pêche communautaire en vue d’atteindre un équilibre durable entre les ressources et leur exploitation (JO L 175, p. 27).

    4. Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, de ladite décision:

    «Dans les programmes d’orientation pluriannuels destinés aux États membres, les augmentations de capacité résultant exclusivement des améliorations en matière de sécurité justifient, cas par cas, une augmentation de même niveau des objectifs des segments de flotte lorsqu’elles n’entraînent pas une augmentation de l’effort de pêche des navires concernés.»

    5. Le point 3.3, premier alinéa, de l’annexe de la décision 98/125/CE de la Commission, du 16 décembre 1997, portant approbation du programme d’orientation pluriannuel de la flotte de pêche de l’Irlande pour la période allant du 1 er janvier 1997 au 31 décembre 2001 (JO 1998, L 39, p. 41, ci-après le «POP IV»), est libellé comme suit:

    «Les États membres peuvent à tout moment soumettre à la Commission un programme d’amélioration de la sécurité. Conformément aux dispositions des articles 3 et 4 de la décision 97/413/CE, la Commission décide si une augmentation de la capacité prévue par un tel programme justifie une augmentation correspondante des objectifs du POP IV.»

    Les antécédents du litige

    6. Les antécédents du litige ayant donné lieu à l’arrêt attaqué, tels qu’ils sont exposés dans celui-ci, peuvent être résumés dans les termes suivants.

    7. Entre l’année 1999 et l’année 2001, une correspondance relative à l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 a été échangée entre le département de la marine et des ressources naturelles irlandais (ci-après le «Département») et la Commission.

    8. Pendant cette période, chacun des 23 requérants de première instance a sollicité du Département l’obtention d’une augmentation de capacité en raison d’améliorations apportées en matière de sécurité, en application de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 et du point 3.3 de l’annexe de la décision 98/125.

    9. Par lettre du 14 décembre 2001, le Département a demandé à la Commission une augmentation de 1 304 tonnes brutes du segment polyvalent et de 5 335 tonnes brutes du segment pélagique de la flotte irlandaise, en application de l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413. Cette lettre complétait une demande antérieure du Département concernant deux navires, envoyée à la Commission en tant qu’«affaire pilote».

    10. Ladite lettre du Département indiquait qu’elle faisait suite aux demandes de 38 propriétaires de navires qui avaient modifié ou remplacé leur navire ou qui avaient l’intention de le faire. Elle était accompagnée d’une documentation détaillée concernant ces 38 navires. Il ressort d’un tableau joint à cette lettre que parmi ces propriétaires figuraient 18 des requérants de première instance.

    11. Le dispositif de la décision litigieuse est libellé comme suit:

    «Article premier

    Éligibilité des demandes

    Les demandes d’augmentation des objectifs du POP IV en matière de tonnage seront considérées éligibles dans les conditions suivantes:

    1) les demandes ont été envoyées au cas par cas par l’État membre avant le 31 décembre 2001;

    2) le navire doit être correctement enregistré sur le fichier de la flotte communautaire;

    3) le navire concerné doit avoir une longueur hors tout au moins égale à 15 mètres;

    4) l’augmentation du tonnage doit être le résultat de travaux de modernisation sur le pont principal effectués ou à effectuer sur un navire de pêche déjà existant, enregistré, âgé de cinq ans au moins au moment du début des travaux. Si un navire a été perdu en mer, l’augmentation du tonnage doit être le résultat d’un plus grand volume sur le pont principal du navire de remplacement par rapport au navire perdu en mer;

    5) l’augmentation du tonnage se justifiera par l’amélioration de la sécurité, de la navigation en mer, de l’hygiène, de la qualité des produits et des conditions de travail;

    6) le volume situé sous le pont principal du navire modifié ou du navire de remplacement ne devra pas être augmenté.

    Les demandes visant à accroître les objectifs du POP IV en matière de puissance ne seront pas éligibles.

    Article 2

    Les demandes acceptées selon les critères établis à l’article 1 er sont répertoriées à l’annexe I.

    Les demandes rejetées selon les critères établis à l’article 1 er sont répertoriées à l’annexe II.

    Article 3

    Le Royaume de Belgique, l’Irlande, le Royaume des Pays-Bas, le Royaume de Suède et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord sont destinataires de la présente décision.»

    12. La liste des «demandes rejetées» figurant à l’annexe II de la décision litigieuse inclut celles des requérants au présent pourvoi concernant les nouveaux navires destinés à remplacer, respectivement, le MFV Westward Isle (Flaherty), le MFV Menhaden (Murphy) et le MFV Golden Rose (Ocean Trawlers Ltd), aucun de ces navires n’ayant été perdu en mer.

    La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

    13. Devant le Tribunal, 23 requérants ont conclu à l’annulation de la décision litigieuse en ce qu’elle rejetait leurs demandes d’augmentation de capacité de leurs navires. Ces demandes se rapportaient toutes à la construction de nouveaux navires destinés à remplacer des navires existants n’ayant pas été perdus en mer. Au soutien de leurs conclusions, ces requérants invoquaient le défaut de compétence de la Commission, le défaut de motivation de cette décision et la violation du principe de l’égalité de traitement.

    14. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné, en premier lieu, l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et visant à faire juger que lesdits requérants n’étaient pas directement et individuellement concernés par la décision litigieuse au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE. Il a écarté cette exception principalement aux motifs que, d’une part, cette décision doit être considérée comme un faisceau de décisions individuelles, chacune de celles-ci affectant la situation juridique des propriétaires des navires énumérés dans les annexes de la même décision, y compris celle des requérants, qui étaient caractérisés par rapport à toute autre personne et individualisés d’une manière analogue à celle dont le serait un destinataire, et, d’autre part, que ladite décision produisait directement des effets sur la situation juridique des requérants, ne laissant aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires quant à leur obligation de l’exécuter.

    15. Le Tribunal a néanmoins rejeté comme irrecevables les recours de quatre des requérants de première instance, trois de ces derniers étant les auteurs des présents pourvois. À cet égard, il a jugé ce qui suit aux points 61 et 62 de l’arrêt attaqué:

    «61 Toutefois, au vu des réponses de l’Irlande aux questions posées dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a soulevé d’office la question de savoir si quatre des requérants avaient un intérêt à agir en l’espèce […]. Il s’agit de Thomas Flaherty (T-224/03), d’Ocean Trawlers Ltd (T-226/03), de Larry Murphy (T-236/03) et d’O’Neill Fishing Co. Ltd (T-239/03).

    62 Il ressort de ces réponses que les demandes introduites par ces quatre requérants se fondaient sur leur intention à l’époque de faire construire des navires et de leur attribuer les noms repris à l’annexe II de la décision [litigieuse]. Il s’est toutefois avéré que ces requérants n’avaient pas procédé à la construction de ces navires de sorte que, à la date de la décision [litigieuse], ils n’étaient, en fait, pas propriétaires des navires en question. Il s’ensuit que lesdits requérants n’ont pas d’intérêt à agir. En tout état de cause, ils ne sont pas individuellement concernés par la décision [litigieuse] dès lors que les navires en question sont fictifs.»

    16. En second lieu, le Tribunal a examiné la portée litigieuse par rapport aux navires des 19 autres requérants de première instance de la façon suivante:

    «105 Force est de constater que l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 (…) n’impose aucune limite en ce qui concerne l’âge du navire susceptible de bénéficier d’une augmentation de capacité en matière de sécurité. Le libellé de cette disposition permet, à première vue, toute augmentation de capacité résultant d’améliorations en matière de sécurité, pour autant que ces augmentations n’entraînent pas une augmentation de l’effort de pêche. Si le Conseil avait voulu exclure les nouveaux navires, il l’aurait vraisemblablement précisé […]

    […]

    108 Contrairement à ce que soutient la Commission, la notion d’améliorations visée à l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 ne doit pas être comprise comme se référant à des améliorations apportées à un navire en particulier, mais comme se référant à la flotte nationale. À cet égard, il y a lieu de relever, notamment, que le point 3.3 de l’annexe de la décision 98/125 se réfère à un ‘programme d’amélioration de la sécurité’ de la flotte nationale en général.

    109 Il convient également de prendre en considération les objectifs de la décision 97/413. Cette décision a en effet pour objectif la conservation des stocks de pêches dans les eaux communautaires. Toutefois, le Conseil a pris en compte ‘la nécessité d’assurer les normes de sécurité les plus élevées possible au sein de la flotte de pêche communautaire’ (douzième considérant). Dès lors, il a inclus l’article 3 (qui concerne les navires de pêche de moins de douze mètres de longueur hors tout autres que les chalutiers) et l’article 4, paragraphe 2, dans ladite décision.

    110 Contrairement à ce que laisse entendre la Commission, il n’est pas nécessaire, pour assurer l’objectif susvisé de la décision 97/413, que les nouveaux navires soient exclus du régime établi par l’article 4, paragraphe 2, de cette décision. Le Tribunal souligne, à cet égard, que cette dernière disposition est conforme à cet objectif en ce qu’elle interdit toute augmentation de l’effort de pêche. La Commission, qui invoque des augmentations très considérables en taille non motivées par des raisons de sécurité, aurait pu examiner les navires, cas par cas, pour établir s’il y avait ou non une augmentation de l’effort de pêche. En effet, elle indique elle-même que l’interdiction d’une telle augmentation vise à remplir l’objectif général de la décision 97/413 qui est de réduire la quantité de poissons pêchés dans la Communauté […]

    […]

    134 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de juger que la Commission, en adoptant dans la décision [litigieuse] des critères non prévus par la réglementation applicable en l’espèce, a outrepassé ses compétences. Dès lors, le premier moyen doit être accueilli et la décision [litigieuse] doit être annulée, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens.»

    Les pourvois

    17. Dans leurs pourvois, les requérants soutiennent que l’appréciation du Tribunal relative à la recevabilité de leurs recours est entachée d’une erreur de droit. Ils demandent à la Cour d'annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il a rejeté leurs recours et les a condamnés à leurs propres dépens de la procédure de première instance. Ils concluent également à l’annulation de la décision litigieuse ainsi qu’à la condamnation de la Commission à supporter lesdits dépens ainsi que ceux de la présente instance.

    18. La Commission conclut au rejet des pourvois comme non fondés et à la condamnation des requérants aux dépens.

    Argumentation des parties

    19. Devant la Cour, les requérants soutiennent que le Tribunal est parvenu à la conclusion erronée selon laquelle ils ne justifiaient pas d’un intérêt à agir et n’étaient pas individuellement concernés par la décision litigieuse en raison du fait que les navires pour lesquels des demandes d’augmentation de capacité avaient été présentées étaient fictifs.

    20. En premier lieu, les auteurs des pourvois font valoir que la recevabilité de leurs recours doit être appréciée au regard de leur intérêt à agir à la date du dépôt de la demande d’augmentation de capacité et non en fonction d’un événement futur et hypothétique. Dès lors, en appréciant l’intérêt à agir à la date de l’adoption de la décision litigieuse, le Tribunal aurait appliqué un critère juridique erroné.

    21. En deuxième lieu, ils prétendent qu’il ressort clairement des documents soumis au Tribunal que, tant à la date du dépôt de leurs recours devant celui-ci qu’à celle de l’adoption de la décision litigieuse, à supposer que cette dernière date puisse être retenue comme la date pertinente, ils étaient effectivement propriétaires des navires pour lesquels la Commission avait reçu et refusé les demandes d’augmentation de capacité. Il en découlerait que le Tribunal a commis une erreur substantielle dans l’appréciation des documents déposés en première instance, laquelle devrait, selon une jurisprudence constante, entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.

    22. En troisième lieu, les auteurs des pourvois font valoir que le Tribunal a constaté, dans l’arrêt attaqué, que toutes les demandes d’augmentation de capacité concernaient de nouveaux navires, un grand nombre de celles-ci ayant été introduites à propos de navires dont la construction était en projet. Cela ressortirait clairement des demandes soumises en leurs noms à la Commission. Par ailleurs, le Tribunal n’aurait pas vérifié si chaque navire à propos duquel une demande avait été déposée était construit à la date de l’adoption de la décision litigieuse ou à celle à laquelle les recours en annulation ont été introduits, étant donné que cet élément ne serait pas pertinent. En outre, ils soutiennent que, dans la mesure où le Tribunal a jugé que la Commission était tenue d’examiner les demandes de construction des nouveaux navires, le Tribunal aurait dû statuer sur ces demandes en vertu du droit applicable. Par conséquent, la conclusion selon laquelle les requérants ne sont pas individuellement concernés, en raison du fait que les navires en question sont fictifs, ne serait pas fondée en droit et serait en contradiction avec la motivation même de l’arrêt attaqué.

    23. La Commission fait valoir que la recevabilité des recours ne saurait être déterminée sur le fondement d’un événement futur et hypothétique. Toutefois, le Tribunal n’aurait pas invoqué un tel événement. Au contraire, il aurait pris en considération le fait incontesté que les auteurs des pourvois n’ont jamais construit les navires répertoriés à l’annexe II de la décision litigieuse. Selon la Commission, aucun élément ne permettait donc de connaître les propriétaires de ces navires.

    Appréciation de la Cour

    24. La question de savoir si le Tribunal a commis une erreur de droit en déclarant irrecevables les recours introduits devant lui par les auteurs des pourvois doit être examinée sur la base de l’appréciation faite par le Tribunal de l’intérêt à agir de ces derniers et de la question de savoir s’ils étaient ou non individuellement concernés.

    Sur l’intérêt à agir

    25. Selon une jurisprudence constante, l’intérêt à agir d’un requérant doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci sous peine d’irrecevabilité. Cet objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 1986, AKZO Chemie et AKZO Chemie UK/Commission, 53/85, Rec. p. 1965, point 21, ainsi que, par analogie, arrêts du 19 octobre 1995, Rendo e.a./Commission, C‑19/93 P, Rec. p. I‑3319, point 13; du 13 juillet 2000, Parlement/Richard, C‑174/99 P, Rec. p. I‑6189, point 33, et du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C-362/05 P, Rec. p. I-4333, point 42).

    26. Il ressort des points 61 et 62 de l’arrêt attaqué, lus en combinaison avec le point 17 dudit arrêt, que le Tribunal a pris en considération la qualité de propriétaires, à la date de la décision litigieuse, des navires visés à l’annexe II de celle-ci comme étant l’élément crucial pour déterminer l’intérêt à agir des requérants.

    27. Le Tribunal est ainsi parti du principe que 19 des requérants, dont il a implicitement constaté qu’ils avaient déjà construit ou qu’ils avaient commencé la construction des navires en question, pouvaient être considérés comme propriétaires desdits navires à la date de la décision litigieuse et, dès lors, avaient un intérêt à obtenir l’annulation de celle-ci, alors que tel n’était pas le cas pour quatre autres requérants. En ce qui concerne ces derniers, le Tribunal a constaté que, à la date de ladite décision, ils n’avaient pas encore procédé à la construction des navires visés à l’annexe II de cette dernière, de sorte qu’ils n’en étaient pas propriétaires. Le Tribunal en a déduit qu’ils n’avaient, dès lors, pas d’intérêt à agir.

    28. À cet égard, il convient de rappeler que, dans les présents litiges, est en cause une procédure d’autorisation. Un certain tonnage est autorisé pour la flotte de pêche de chaque État membre et des augmentations spécifiques de ce tonnage peuvent être accordées par décision de la Commission si certains critères sont remplis. Ces critères impliquent, notamment, que l’augmentation de capacité en termes de tonnage résulte de travaux de modernisation des navires concernés en vue d’une amélioration de la sécurité.

    29. Il convient également de relever qu’il n’a pas non plus été soutenu devant le Tribunal que cette procédure exige que les travaux nécessaires soient effectués, ou à tout le moins entamés, avant la délivrance de l’autorisation en cause. Ainsi qu’il ressort du point 61 de l’arrêt attaqué, lu en combinaison avec le point 17 dudit arrêt, c’est le Tribunal lui-même qui a soulevé cette question d’office.

    30. Or, dans le cadre de son examen de ladite question, le Tribunal ne s’est référé à aucune disposition, dans la réglementation communautaire applicable, dont il résulterait une telle exigence.

    31. Le Tribunal a par ailleurs jugé, aux points 100 à 134 de l’arrêt attaqué, et il n’est pas contesté dans le cadre des présents pourvois, que les améliorations en matière de sécurité justifiant une augmentation de capacité en termes de tonnage peuvent résulter de la construction d’un navire de remplacement.

    32. Dans ces conditions, le Tribunal a méconnu le fait que toute personne ayant sollicité, dans le respect des règles applicables à cet égard, une augmentation de capacité en raison d’améliorations en matière de sécurité résultant de la construction d’un navire de remplacement a de manière évidente un intérêt à demander l’annulation d’une décision refusant l’autorisation correspondante. S’il est vrai que cet intérêt est plus pressant pour les personnes ayant déjà, à la date de cette décision, engagé des dépenses pour la construction d’un navire, un tel intérêt existe néanmoins pour celles qui n’ont pas encore commencé une telle construction.

    33. L’annulation d’une décision de la Commission refusant d’accorder l’autorisation demandée a, en effet, pour conséquence, pour toutes les personnes dont les demandes ont été rejetées, que la délivrance d’une autorisation redevient possible au terme du nouvel examen de ces demandes auquel la Commission est tenue de procéder. Lorsqu’elle intervient, cette délivrance implique que toutes les démarches restant à accomplir afin de réaliser ou d’utiliser l’augmentation de capacité demandée peuvent être entreprises dans le respect des conditions et des délais éventuellement applicables.

    34. Dès lors, le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 62 de l’arrêt attaqué, que les auteurs des pourvois n’avaient pas d’intérêt à agir au motif que, à la date de la décision litigieuse, ils n’avaient pas procédé à la construction des navires visés à l’annexe II de celle-ci, en sorte que, à cette même date, ils n’en étaient pas propriétaires.

    35. En conséquence, il y a lieu de constater que tous les requérants de première instance avaient un intérêt à agir à l’encontre de la décision litigieuse.

    Sur la question de savoir si les requérants étaient individuellement concernés

    36. Tout d’abord, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne sauraient prétendre être concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’une décision le serait (arrêts du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, 223, du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, Rec. p. 207, point 11, et du 22 novembre 2007, Sniace/Commission, C-260/05 P, non encore publié au Recueil, point 53).

    37. Pour déclarer irrecevables les recours de quatre requérants, au nombre desquels figurent les auteurs des présents pourvois, le Tribunal a également considéré que ces derniers n’étaient pas individuellement concernés au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE. Le Tribunal a certes admis que tous les requérants de première instance étaient directement concernés par la décision litigieuse et que le fait que ces derniers étaient propriétaires des navires mentionnés dans les annexes de celle-ci suffisait à établir qu’ils étaient individuellement concernés, mais il a toutefois opéré une distinction en ce qui concerne les auteurs des pourvois uniquement en raison du fait que leurs navires étaient «fictifs».

    38. Ainsi que l’a relevé M me l’avocat général aux points 31 et 32 de ses conclusions, le terme «fictif» comporte deux significations possibles. Le sens ordinaire de ce terme désigne une chose qui n’est pas réelle ou dont on feint l’existence et qui, par conséquent, n’existe que dans l’imagination. Appliqué aux présentes affaires, il signifierait que les requérants ne souhaitaient pas réellement remplacer les navires qu’ils possédaient initialement par des navires incorporant une capacité de sécurité supplémentaire ou qu’il s’agissait uniquement d’un projet indéfini ou d’une vague idée auxquels aucun effet concret n’était attaché.

    39. Il résulte du point 62 de l’arrêt attaqué que, en ce qui concerne les auteurs des pourvois, le Tribunal a déduit un tel caractère «fictif» de leurs navires du fait que ceux-ci n’avaient pas été construits à la date de la décision litigieuse.

    40. Or, il est vrai que, comme le soutient la Commission, la question de savoir si un navire a été construit ou non est une question de fait qui ne peut faire l’objet d’un pourvoi, sauf s’il s’avère que le Tribunal a dénaturé les faits à cet égard. En revanche, la question de savoir si le fait qu’un navire à l’état de projet n’a pas encore été construit signifie qu’un requérant n’est pas individuellement concerné est une question de droit susceptible de faire l’objet d’un pourvoi.

    41. Pour les mêmes raisons que celles indiquées aux points 25 à 32 du présent arrêt en ce qui concerne l’intérêt à agir, il y a lieu de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 62 de l’arrêt attaqué, que les auteurs des pourvois n’étaient pas individuellement concernés au motif que, à la date de la décision litigieuse, ils n’avaient pas procédé à la construction des navires visés à l’annexe II de celle-ci, en sorte que, à cette même date, ils n’en étaient pas propriétaires. En effet, dès lors qu’ils avaient présenté des demandes individuelles d’augmentation du tonnage de sécurité relatives à des navires repris à ladite annexe II, il suffit de relever que cela constituait une circonstance susceptible, conformément à la jurisprudence rappelée au point 36 du présent arrêt, de les caractériser par rapport à toute autre personne et de les individualiser d’une manière analogue aux destinataires de ladite décision.

    42. Il résulte de ce qui précède que l’arrêt attaqué doit être annulé en tant qu’il a déclaré irrecevables les recours introduits devant lui par les auteurs des présents pourvois.

    43. Aux termes de l’article 61 du statut de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule l’arrêt du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

    44. Or, en l’espèce, l’affaire étant en état d’être jugée, il y a lieu pour la Cour de statuer définitivement sur les conclusions des auteurs des pourvois tendant à l’annulation de la décision litigieuse.

    45. Il ressort de l’examen des pièces de procédure produites devant le Tribunal que, dès lors que l'on admet la recevabilité des recours introduits devant ce dernier par les auteurs des pourvois, rien ne différencie ces derniers des 19 autres requérants dont les recours ont été déclarés recevables. En effet, tous les recours portaient sur le même objet et tous les requérants, représentés par les mêmes avocats, ont invoqué les mêmes moyens.

    46. S’agissant du moyen tiré par les requérants, devant le Tribunal, d’un défaut de compétence de la Commission, en ce que celle-ci aurait appliqué, à l’article 1 er , paragraphe 2, de la décision litigieuse, un critère non prévu par les dispositions communautaires applicables, il y a lieu de constater, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 100 à 134 de l’arrêt attaqué, en particulier aux points 105 et 108 à 110 de celui-ci, que l’article 4, paragraphe 2, de la décision 97/413 n’impose aucune limite en ce qui concerne l’âge du navire susceptible de bénéficier d’une augmentation de capacité en matière de sécurité et que la notion d’améliorations visée à cette disposition se réfère à des améliorations apportées non pas à un navire en particulier, mais à la flotte nationale. Il n’est donc pas nécessaire, pour assurer l’objectif de conservation des stocks de pêches dans les eaux communautaires poursuivi par la même décision, que les nouveaux navires soient exclus du régime prévu à ladite disposition.

    47. Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la Commission, en adoptant dans la décision litigieuse des critères non prévus par la réglementation applicable en l’espèce, a outrepassé ses compétences. Dès lors, ce moyen doit être accueilli et, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens invoqués par les auteurs des pourvois, la décision litigieuse doit être annulée en tant qu’elle s’applique aux navires de ces derniers.

    Sur les dépens

    48. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les auteurs des pourvois ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens exposés par eux tant en première instance qu’à l’occasion des présents pourvois et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner auxdits dépens.

    Dispositif

    Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

    1) L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 13 juin 2006, Boyle e.a./Commission (T-218/03 à T-240/03), est annulé, d’une part, en tant qu’il a rejeté comme irrecevables les recours de MM. Flaherty et Murphy ainsi que de la société Ocean Trawlers Ltd tendant à l’annulation de la décision 2003/245/CE de la Commission, du 4 avril 2003, relative aux demandes reçues par la Commission d’accroître les objectifs du POP IV en vue d’améliorer la sécurité, la navigation en mer, l’hygiène, la qualité des produits et les conditions de travail pour les navires d’une longueur hors tout supérieure à 12 mètres, et, d’autre part, en tant qu’il a condamné les requérants à supporter leurs propres dépens.

    2) La décision 2003/245 est annulée en tant qu’elle s’applique aux navires de MM. Flaherty et Murphy ainsi que de la société Ocean Trawlers Ltd.

    3) La Commission des Communautés européennes est condamnée aux dépens exposés par MM. Flaherty et Murphy ainsi que par la société Ocean Trawlers Ltd tant en première instance qu’à l’occasion des présents pourvois.

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