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Document 62005CJ0411

Arrêt de la Cour (grande chambre) du 16 octobre 2007.
Félix Palacios de la Villa contre Cortefiel Servicios SA.
Demande de décision préjudicielle: Juzgado de lo Social nº 33 de Madrid - Espagne.
Directive 2000/78/CE - Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail - Portée - Convention collective stipulant la rupture de plein droit de la relation d’emploi lorsque le travailleur atteint l’âge de 65 ans et bénéficie d’une pension de retraite - Discrimination liée à l’âge - Justification.
Affaire C-411/05.

Recueil de jurisprudence 2007 I-08531

Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2007:604

Affaire C-411/05

Félix Palacios de la Villa

contre

Cortefiel Servicios SA

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le Juzgado de lo Social n° 33 de Madrid)

«Directive 2000/78/CE — Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail — Portée — Convention collective stipulant la rupture de plein droit de la relation d’emploi lorsque le travailleur atteint l’âge de 65 ans et bénéficie d’une pension de retraite — Discrimination liée à l’âge — Justification»

Sommaire de l'arrêt

1.        Politique sociale — Égalité de traitement en matière d'emploi et de travail — Directive 2000/78

(Directive du Conseil 2000/78, 14e considérant, art. 1er, 2, § 1 et 2, a), et 3, § 1, c))

2.        Politique sociale — Égalité de traitement en matière d'emploi et de travail — Directive 2000/78

(Directive du Conseil 2000/78, art. 2, § 1, et 6)

1.        La directive 2000/78, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, ainsi qu'il résulte tant de son intitulé et de son préambule que de son contenu et de sa finalité, tend à établir un cadre général pour assurer à toute personne l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, en lui offrant une protection efficace contre les discriminations fondées sur l'un des motifs visés à son article 1er, au nombre desquels figure l'âge.

D'après son quatorzième considérant, ladite directive ne porte pas atteinte aux dispositions nationales fixant les âges de la retraite. Cependant, ce considérant se borne à préciser que cette directive n'affecte pas la compétence des États membres pour déterminer les âges d'admission à la retraite et ne s'oppose aucunement à l'application de celle-ci aux mesures nationales régissant les conditions de cessation d'un contrat de travail lorsque l'âge de la retraite, ainsi fixé, est atteint.

Ainsi, une réglementation nationale, selon laquelle le fait pour le travailleur d'atteindre l'âge fixé par cette réglementation pour l'admission à la retraite emporte cessation de plein droit du contrat de travail, affecte la durée du rapport de travail liant les parties ainsi que, plus généralement, l'exercice par le travailleur concerné de son activité professionnelle, en empêchant la participation future de celui-ci à la vie active. En conséquence, une réglementation de cette nature doit être considérée comme établissant des règles relatives à des conditions d'emploi et de travail, y compris de licenciement et de rémunération, au sens de l'article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78 et comme imposant, de manière directe, un traitement moins favorable aux travailleurs ayant atteint cet âge par rapport à l'ensemble des autres personnes en activité. Une telle réglementation instaure dès lors une différence de traitement directement fondée sur l'âge, telle que visée à l'article 2, paragraphes 1 et 2, sous a), de ladite directive.

(cf. points 42, 44-46, 51)

2.        L'interdiction de toute discrimination fondée sur l'âge, telle que mise en oeuvre par la directive 2000/78, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doit être interprétée en ce sens qu'elle ne s'oppose pas à une réglementation nationale, en vertu de laquelle sont considérées comme valables les clauses de mise à la retraite d'office figurant dans des conventions collectives et qui exigent, comme seules conditions, que le travailleur ait atteint la limite d'âge, fixée à 65 ans par la réglementation nationale, pour l'admission à la retraite et remplisse les autres critères en matière de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite de type contributif, dès lors que

- ladite mesure, certes fondée sur l'âge, est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime relatif à la politique de l'emploi et au marché du travail, et que

- les moyens mis en oeuvre pour réaliser cet objectif d'intérêt général n'apparaissent pas inappropriés et non nécessaires à cet effet.

En effet, d'une part, ladite réglementation a été adoptée dans le cadre d'une politique nationale visant à promouvoir l'accès à l'emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations ainsi qu'à réguler le marché du travail, notamment aux fins d'enrayer le chômage.

Or, la légitimité d'un tel objectif d'intérêt général ne saurait être raisonnablement mise en doute, la politique de l'emploi ainsi que la situation sur le marché du travail figurant au nombre des objectifs expressément énoncés à l'article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78 et, conformément aux articles 2, premier alinéa, premier tiret, UE et 2 CE, la promotion d'un niveau d'emploi élevé constituant l'une des finalités poursuivies tant par l'Union européenne que par la Communauté.

À cet égard, la seule circonstance que la disposition nationale en cause ne fait pas formellement référence à un objectif de cette nature n'exclut pas automatiquement qu'elle puisse être justifiée au titre de l'article 6, paragraphe 1, de la même directive, à condition que d'autres éléments, tirés du contexte général de la mesure concernée, permettent l'identification de l'objectif sous-tendant cette dernière aux fins de l'exercice d'un contrôle juridictionnel quant à sa justification objective.

D'autre part, si, en l'état actuel du droit communautaire, les États membres ainsi que, le cas échéant, les partenaires sociaux au niveau national disposent d'une large marge d'appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d'un objectif déterminé parmi d'autres en matière de politique sociale et de l'emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser, il incombe aux autorités nationales compétentes de trouver un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, en veillant à ce que les mesures internes prévues dans ce contexte n'aillent pas au-delà de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre l'objectif légitime poursuivi par l'État membre concerné.

Or, il n'apparaît pas déraisonnable pour les autorités d'un État membre d'estimer que la mise à la retraite d'office, du fait que le travailleur a atteint la limite d'âge prévue, puisse être appropriée et nécessaire pour atteindre l'objectif légitime invoqué dans le cadre de la politique nationale de l'emploi et consistant à promouvoir le plein emploi en favorisant l'accès au marché du travail. En outre, ladite mesure ne saurait être regardée comme portant une atteinte excessive aux prétentions légitimes du travailleur mis à la retraite d'office, dès lors que la réglementation nationale pertinente ne se fonde pas seulement sur un âge déterminé, mais prend également en considération la circonstance que l'intéressé bénéficie au terme de sa carrière professionnelle d'une compensation financière au moyen de l'octroi d'une pension de retraite, dont le niveau ne saurait être considéré comme déraisonnable.

(cf. points 53-57, 62, 64, 68, 71-73, 77 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 octobre 2007 (*)

«Directive 2000/78/CE − Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail − Portée − Convention collective stipulant la rupture de plein droit de la relation d’emploi lorsque le travailleur atteint l’âge de 65 ans et bénéficie d’une pension de retraite − Discrimination liée à l’âge − Justification»

Dans l’affaire C‑411/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Juzgado de lo Social nº 33 de Madrid (Espagne), par décision du 14 novembre 2005, parvenue à la Cour le 22 novembre 2005, dans la procédure

Félix Palacios de la Villa

contre

Cortefiel Servicios SA,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts et A. Tizzano, présidents de chambre, MM. R. Schintgen (rapporteur), J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, M. M. Ilešič, Mme P. Lindh, MM. J.-C. Bonichot et T. von Danwitz, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 novembre 2006,

considérant les observations présentées:

–        pour M. Palacios de la Villa, par Me P. Bernal de Pablo Blanco, abogado,

–        pour Cortefiel Servicios SA, par Me D. López González, abogado,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. M. Muñoz Pérez, en qualité d’agent,

–        pour l’Irlande, par M. D. J. O’Hagan, en qualité d’agent, assisté de MM. N. Travers et F. O’Dubhghaill, BL, ainsi que de Mme M. McLaughlin et de M. N. McCutcheon, solicitors,

–        pour le gouvernement néerlandais, par Mmes H. G. Sevenster et M. de Mol ainsi que par M. P. P. J. van Ginneken, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme R. Caudwell, en qualité d’agent, assistée de M. A. Dashwood, barrister,

–        pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. Enegren et R. Vidal Puig, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 15 février 2007,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 13 CE ainsi que 2, paragraphe 1, et 6 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO L 303, p. 16).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Palacios de la Villa à son employeur, Cortefiel Servicios SA (ci-après «Cortefiel»), au sujet de la rupture de plein droit de son contrat de travail en raison du fait qu’il avait atteint la limite d’âge, fixée à 65 ans par la réglementation nationale, pour la mise à la retraite d’office d’un travailleur.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3        La directive 2000/78 a été adoptée sur le fondement de l’article 13 CE. Ses quatrième, sixième, huitième, neuvième, onzième à quatorzième, vingt-cinquième et trente-sixième considérants énoncent:

«(4)      Le droit de toute personne à l’égalité devant la loi et à la protection contre la discrimination constitue un droit universel reconnu par la Déclaration universelle des droits de l’homme, par la Convention des Nations unies sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, par les pactes des Nations unies relatifs aux droits civils et politiques et aux droits économiques, sociaux et culturels et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signés par tous les États membres. La Convention nº 111 de l’Organisation internationale du travail interdit la discrimination en matière d’emploi et de travail.

[…]

(6)      La charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs reconnaît l’importance de la lutte contre les discriminations sous toutes leurs formes, y compris la nécessité de prendre des mesures appropriées en faveur de l’intégration sociale et économique des personnes âgées et des personnes handicapées.

[…]

(8)      Les lignes directrices pour l’emploi en 2000, approuvées par le Conseil européen de Helsinki les 10 et 11 décembre 1999, soulignent la nécessité de promouvoir un marché du travail favorable à l’insertion sociale en formulant un ensemble cohérent de politiques destinées à lutter contre la discrimination à l’égard de groupes tels que les personnes handicapées. Elles soulignent également la nécessité d’accorder une attention particulière à l’aide aux travailleurs âgés pour qu’ils participent davantage à la vie professionnelle.

(9)      L’emploi et le travail constituent des éléments essentiels pour garantir l’égalité des chances pour tous et contribuent dans une large mesure à la pleine participation des citoyens à la vie économique, culturelle et sociale, ainsi qu’à l’épanouissement personnel.

[…]

(11)      La discrimination fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle peut compromettre la réalisation des objectifs du traité CE, notamment un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale, la solidarité et la libre circulation des personnes.

(12)      À cet effet, toute discrimination directe ou indirecte fondée sur la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle dans les domaines régis par la présente directive doit être interdite dans la Communauté. […]

(13)      La présente directive ne s’applique pas aux régimes de sécurité sociale et de protection sociale dont les avantages ne sont pas assimilés à une rémunération au sens donné à ce terme pour l’application de l’article 141 du traité CE ni aux versements de toute nature effectués par l’État qui ont pour objectif l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi.

(14)      La présente directive ne porte pas atteinte aux dispositions nationales fixant les âges de la retraite.

[…]

(25)      L’interdiction des discriminations liées à l’âge constitue un élément essentiel pour atteindre les objectifs établis par les lignes directrices sur l’emploi et encourager la diversité dans l’emploi. Néanmoins, des différences de traitement liées à l’âge peuvent être justifiées dans certaines circonstances et appellent donc des dispositions spécifiques qui peuvent varier selon la situation des États membres. Il est donc essentiel de distinguer entre les différences de traitement qui sont justifiées, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et les discriminations qui doivent être interdites.

[…]

(36)      Les États membres peuvent confier aux partenaires sociaux, à leur demande conjointe, la mise en œuvre de la présente directive, pour ce qui est des dispositions relevant de conventions collectives, à condition de prendre toute disposition nécessaire leur permettant d’être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par la présente directive.»

4        Aux termes de son article 1er, la directive 2000/78 «a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement».

5        L’article 2 de la directive 2000/78, intitulé «Concept de discrimination», énonce à ses paragraphes 1 et 2, sous a):

«1.      Aux fins de la présente directive, on entend par ‘principe de l’égalité de traitement’ l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.      Aux fins du paragraphe 1:

a)      une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er».

6        L’article 3 de ladite directive, intitulé «Champ d’application», prévoit à son paragraphe 1:

«Dans les limites des compétences conférées à la Communauté, la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne:

[…]

c)      les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération;

[…]»

7        Aux termes de l’article 6 de la même directive, intitulé «Justification des différences de traitement fondées sur l’âge»:

«1.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre:

a)      la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection;

b)      la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi;

c)      la fixation d’un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite.

2.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que ne constitue pas une discrimination fondée sur l’âge la fixation, pour les régimes professionnels de sécurité sociale, d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité, y compris la fixation, pour ces régimes, d’âges différents pour des travailleurs ou des groupes ou catégories de travailleurs et l’utilisation, dans le cadre de ces régimes, de critères d’âge dans les calculs actuariels, à condition que cela ne se traduise pas par des discriminations fondées sur le sexe.»

8        L’article 8 de la directive 2000/78, intitulé «Prescriptions minimales», est libellé comme suit:

«1.      Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l’égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive.

2.      La mise en œuvre de la présente directive ne peut en aucun cas constituer un motif d’abaissement du niveau de protection contre la discrimination déjà accordé par les États membres dans les domaines régis par la présente directive.»

9        L’article 16 de ladite directive, intitulé «Conformité», dispose:

«Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que:

a)      soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement;

b)      soient ou puissent être déclarées nulles et non avenues ou soient modifiées les dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement qui figurent dans les contrats ou les conventions collectives, dans les règlements intérieurs des entreprises, ainsi que dans les statuts des professions indépendantes et des organisations de travailleurs et d’employeurs.»

10      Conformément à l’article 18, premier alinéa, de la directive 2000/78, les États membres devaient adopter les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 2 décembre 2003 ou pouvaient confier aux partenaires sociaux la mise en œuvre de cette directive pour ce qui est des dispositions relevant des accords collectifs. Toutefois, dans ce cas, ils devaient s’assurer que, au plus tard le 2 décembre 2003, les partenaires sociaux avaient mis en place les dispositions nécessaires par voie d’accord, les États membres étant tenus de prendre toute disposition nécessaire leur permettant d’être à tout moment en mesure de garantir les résultats imposés par ladite directive. En outre, ils devaient informer immédiatement la Commission des Communautés européennes desdites dispositions.

 La réglementation nationale

11      De 1980 à 2001, le législateur espagnol a utilisé le mécanisme de la mise à la retraite d’office des travailleurs ayant atteint un certain âge aux fins de résorber le chômage.

12      C’est ainsi que la cinquième disposition additionnelle de la loi 8/1980, portant statut des travailleurs (Ley 8/1980 del Estatuto de los Trabajadores), du 10 mars 1980, disposait:

«La capacité de travailler ainsi que la fin des contrats de travail dépendent de la limite d’âge fixée par le gouvernement en fonction des disponibilités de la sécurité sociale et du marché du travail. En tout état de cause, l’âge limite est fixé à 69 ans, sans préjudice de la possibilité d’accomplir les périodes de carence en vue de la pension de retraite.

Dans le cadre de la négociation collective, des âges de la retraite pourront être convenus librement, sans préjudice des dispositions prévues à cette fin en matière de sécurité sociale.»

13      Le décret royal législatif 1/1995, du 24 mars 1995 (BOE nº 75, du 29 mars 1995, p. 9654), a approuvé le texte refondu de la loi 8/1980, dont la dixième disposition additionnelle (ci-après la «dixième disposition additionnelle») a repris en substance la cinquième disposition additionnelle de ladite loi permettant l’utilisation de la mise à la retraite d’office comme instrument de la politique de l’emploi.

14      Le décret-loi 5/2001, du 2 mars 2001, portant mesures urgentes de réforme du marché du travail en vue d’augmenter l’emploi et d’en améliorer la qualité, validé par la loi 12/2001, du 9 juillet 2001, a abrogé, avec effet au 11 juillet 2001, la dixième disposition additionnelle.

15      La juridiction de renvoi expose à cet égard que, en raison de l’amélioration de la situation économique, le législateur espagnol a cessé de concevoir la mise à la retraite d’office comme un instrument favorisant la politique de l’emploi et considère désormais cette mesure comme une charge pour la sécurité sociale, en sorte qu’il a décidé de remplacer la politique d’incitation à la mise à la retraite d’office par des mesures destinées à encourager la mise en œuvre d’un système de retraite flexible.

16      Les articles 4 et 17 de la loi 8/1980, dans leur version modifiée résultant de la loi 62/2003, du 30 décembre 2003, établissant des mesures fiscales, administratives et d’ordre social (BOE nº 313, du 31 décembre 2003, p. 46874, ci-après le «statut des travailleurs»), qui vise à transposer la directive 2000/78 dans l’ordre juridique espagnol et est entrée en vigueur le 1er janvier 2004, traitent du principe de non-discrimination, notamment en raison de l’âge.

17      Aux termes de l’article 4, paragraphe 2, du statut des travailleurs:

«Les travailleurs ont le droit, dans le cadre du travail:

[…]

c)      de ne pas subir de discriminations directes ou indirectes à l’embauche, ou dans l’emploi, en raison du sexe, de l’état civil, de l’âge dans les limites fixées par la présente loi, de l’origine raciale ou ethnique, de la condition sociale, de la religion ou des convictions, des idées politiques, de l’orientation sexuelle, de l’affiliation ou non à un syndicat, ainsi qu’en raison de la langue, sur le territoire espagnol. Les travailleurs ne subissent aucune discrimination en raison de leur incapacité, pour autant qu’ils sont aptes à l’exercice du travail ou de l’emploi en question.

[…]»

18      L’article 17, paragraphe 1, du statut des travailleurs dispose:

«Sont réputés nuls et de nul effet les dispositions réglementaires, les clauses des conventions collectives, les contrats individuels et les décisions unilatérales de l’employeur qui créent directement ou indirectement des discriminations négatives fondées sur l’âge […]»

19      Selon la juridiction de renvoi, l’abrogation de la dixième disposition additionnelle a donné lieu à de nombreux litiges relatifs à la question de la validité des clauses de conventions collectives autorisant la mise à la retraite d’office des travailleurs.

20      Par la suite, le législateur espagnol a adopté la loi 14/2005 concernant les clauses des conventions collectives relatives à la survenance de l’âge normal de la retraite (Ley 14/2005 sobre las cláusulas de los convenios colectivos referidas al cumplimiento de la edad ordinaria de jubilación), du 1er juillet 2005 (BOE nº 157, du 2 juillet 2005, p. 23634), laquelle est entrée en vigueur le 3 juillet 2005.

21      Cette dernière loi a réintroduit le mécanisme de la mise à la retraite d’office, tout en prévoyant à cet égard des conditions différentes selon qu’il s’agit du régime définitif ou du régime transitoire de cette loi.

22      Ainsi, pour ce qui est des conventions collectives conclues après l’entrée en vigueur de ladite loi, l’article unique de cette dernière rétablit la dixième disposition additionnelle dans les termes suivants:

«Les conventions collectives peuvent prévoir des clauses autorisant l’extinction du contrat de travail en raison de la survenance, pour un travailleur, de l’âge normal de la retraite fixé par la législation en matière de sécurité sociale, pour autant que les conditions suivantes soient réunies:

a)      cette mesure doit être liée à des objectifs formulés dans la convention collective et compatibles avec la politique de l’emploi, tels que la stabilité accrue de l’emploi, la transformation de contrats temporaires en contrats à durée indéterminée, le soutien à l’emploi, l’engagement de nouveaux travailleurs, ou à tout autre objectif tendant à l’amélioration de la qualité de l’emploi;

b)      le travailleur concerné par l’extinction du contrat de travail doit avoir accompli la période minimale de cotisation, ou une période plus longue si la convention collective en dispose ainsi, et remplir les autres conditions requises par la législation en matière de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite de type contributif.»

23      S’agissant, en revanche, des conventions collectives conclues avant l’entrée en vigueur de la loi 14/2005, la disposition transitoire unique de celle-ci (ci-après la «disposition transitoire unique») n’impose que la seconde des deux conditions énoncées à la disposition citée au point précédent, à l’exclusion de toute référence à la poursuite d’un objectif relatif à la politique de l’emploi.

24      La disposition transitoire unique est en effet libellée comme suit:

«Les clauses des conventions collectives conclues avant l’entrée en vigueur de la présente loi, prévoyant l’extinction du contrat de travail pour les travailleurs ayant atteint l’âge normal de la retraite, sont considérées comme valables pour autant que le travailleur concerné a accompli la période minimale de cotisation et remplit les autres conditions requises par la législation en matière de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite de type contributif.

L’alinéa précédent ne s’applique pas aux situations juridiques devenues définitives avant l’entrée en vigueur de la loi.»

25      Les relations entre les parties au principal sont régies par la convention collective relative au secteur du commerce des textiles de la Communauté autonome de Madrid (ci-après la «convention collective»).

26      La convention collective a été conclue le 10 mars 2005 et publiée le 26 mai suivant. Conformément à son article 3, sa période de validité s’étendait jusqu’au 31 décembre 2005. Puisque cette convention est antérieure à l’entrée en vigueur de la loi 14/2005, la disposition transitoire unique lui est applicable.

27      Aussi l’article 19, troisième alinéa, de la convention collective dispose-t-il:

«Dans le but d’encourager l’emploi, il est convenu que l’âge de la retraite est fixé à 65 ans, sauf si le travailleur concerné n’a pas accompli la période de carence requise pour bénéficier d’une pension de retraite; en pareil cas, il peut continuer à travailler jusqu’à ce qu’il ait accompli cette période.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

28      Il ressort du dossier transmis à la Cour par la juridiction de renvoi que M. Palacios de la Villa, né le 3 février 1940, a travaillé pour le compte de Cortefiel depuis le 17 août 1981 en qualité de directeur d’organisation.

29      Par lettre du 18 juillet 2005, Cortefiel lui a notifié la rupture de plein droit de la relation d’emploi, au motif que l’intéressé avait atteint l’âge de la mise à la retraite d’office prévu à l’article 19, troisième alinéa, de la convention collective et que, le 2 juillet 2005, avait été publiée la loi 14/2005 qui, dans sa disposition transitoire unique, autorise une telle mesure.

30      Il est constant que, à la date à laquelle la rupture de son contrat de travail avec Cortefiel lui a été notifiée par cette dernière, M. Palacios de la Villa avait accompli les périodes d’activité nécessaires pour bénéficier d’une pension de retraite versée par la sécurité sociale et correspondant à 100 % de sa base de cotisation fixée à 2 347,78 euros, sans préjudice des plafonds prévus par la réglementation nationale.

31      Le 9 août 2005, M. Palacios de la Villa, estimant que ladite notification équivalait à un licenciement, a introduit un recours à l’encontre de celui-ci devant le Juzgado de lo Social nº 33 de Madrid. Dans ce recours, il demande que la mesure dont il a fait l’objet soit déclarée nulle et non avenue, au motif qu’elle viole ses droits fondamentaux et, plus particulièrement, son droit à la non-discrimination en raison de l’âge, ladite mesure reposant sur la seule circonstance qu’il avait atteint l’âge de 65 ans.

32      Cortefiel soutient, en revanche, que la rupture du contrat de travail de M. Palacios de la Villa est conforme à l’article 19, troisième alinéa, de la convention collective ainsi qu’à la disposition transitoire unique et que, par ailleurs, elle n’est pas incompatible avec les exigences du droit communautaire.

33      La juridiction de renvoi déclare éprouver de sérieux doutes au sujet de la conformité avec le droit communautaire du premier alinéa de la disposition transitoire unique, en ce que cet alinéa autorise le maintien des clauses de conventions collectives, existant à la date d’entrée en vigueur de la loi 14/2005, qui stipulent la mise à la retraite d’office des travailleurs, pour autant que ces derniers ont atteint l’âge prévu pour la retraite et satisfont aux autres conditions requises par la législation nationale en matière de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite de type contributif. En effet, cette disposition n’exigerait pas que la rupture de la relation d’emploi en raison de la survenance de l’âge de la retraite soit motivée par la politique en matière d’emploi menée par l’État membre concerné, alors que les conventions négociées après l’entrée en vigueur de ladite loi ne pourraient contenir des clauses de mise à la retraite d’office que si, en plus de la condition relative au bénéfice d’une pension accordée aux travailleurs concernés, cette mesure poursuit des objectifs, formulés dans la convention collective, en relation avec la politique nationale de l’emploi, tels que la stabilité accrue de l’emploi, la transformation de contrats temporaires en contrats à durée indéterminée, le soutien à l’emploi, l’engagement de nouveaux travailleurs ou l’amélioration de la qualité de l’emploi.

34      Dans ces conditions, en application d’une même loi et dans les mêmes circonstances économiques, les travailleurs ayant atteint l’âge de 65 ans recevraient un traitement différent en raison de la seule circonstance que la convention collective dont ils relèvent est devenue applicable avant ou après la date de publication de la loi 14/2005, à savoir le 2 juillet 2005, étant entendu que, si cette convention était en vigueur avant cette date, il ne serait tenu aucun compte des exigences de la politique de l’emploi, alors même que celles-ci sont imposées par la directive 2000/78 dont le délai de transposition est venu à expiration le 2 décembre 2003.

35      Certes, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 autoriserait une exception au principe de non-discrimination en fonction de l’âge aux fins de la poursuite de certains objectifs légitimes, pour autant que les moyens pour les réaliser sont appropriés et nécessaires, et, selon la juridiction de renvoi, le régime définitif prévu à la dixième disposition additionnelle est indubitablement de nature à relever dudit article 6, paragraphe 1, étant donné qu’il exige l’existence d’un lien concret entre la mise à la retraite des travailleurs et des objectifs légitimes en matière de politique de l’emploi.

36      En revanche, le premier alinéa de la disposition transitoire unique n’exigerait pas l’existence d’un tel lien et, de ce fait, il n’apparaîtrait pas conforme aux conditions énoncées à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78. D’ailleurs, à partir de l’année 2001, l’évolution du marché du travail aurait été nettement favorable et la décision du législateur espagnol d’introduire ladite disposition transitoire, influencée par les partenaires sociaux, n’aurait poursuivi d’autre but que celui de modifier la jurisprudence du Tribunal Supremo. Le Tribunal Constitucional n’aurait, au demeurant, jamais admis que la négociation collective puisse constituer en soi une justification objective et raisonnable de la mise à la retraite d’office d’un travailleur ayant atteint un âge déterminé.

37      La juridiction de renvoi ajoute que les articles 13 CE et 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78 constituent des règles précises et inconditionnelles obligeant le juge national, conformément au principe de primauté du droit communautaire, à écarter l’application du droit interne qui lui est contraire, ainsi que ce serait le cas de la disposition transitoire unique.

38      Dans son arrêt du 15 janvier 1998, Schöning-Kougebetopoulou (C‑15/96, Rec. p. I‑47), la Cour aurait d’ailleurs déjà déclaré contraire au droit communautaire une clause d’une convention collective au motif qu’elle comportait une discrimination, en considérant que le juge national est alors tenu, sans demander ou attendre l’élimination préalable de cette clause par la négociation collective ou tout autre procédé, d’appliquer aux membres du groupe défavorisé par cette discrimination le même régime que celui dont bénéficient les autres travailleurs.

39      Il s’ensuivrait que, si le droit communautaire devait être interprété en ce sens qu’il s’oppose effectivement à l’application au cas d’espèce du premier alinéa de la disposition transitoire unique, l’article 19, troisième alinéa, de la convention collective serait dépourvu de base légale et ne pourrait pas, de ce fait, trouver à s’appliquer dans l’affaire au principal.

40      C’est dans ces conditions que le Juzgado de lo Social nº 33 de Madrid a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Le principe de l’égalité de traitement, qui interdit toute discrimination en raison de l’âge et qui est consacré par l’article 13 CE et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78, fait-il obstacle à une loi nationale (plus particulièrement le premier alinéa de la disposition transitoire unique […]) en vertu de laquelle sont considérées comme valables les clauses de mise à la retraite d’office qui figurent dans les conventions collectives et qui exigent, comme seules conditions, que le travailleur ait atteint l’âge normal de la retraite et remplisse les autres critères édictés par la législation espagnole en matière de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite de type contributif?

En cas de réponse affirmative à la première question:

2)      Le principe de l’égalité de traitement, qui interdit toute discrimination en raison de l’âge et qui est consacré par l’article 13 CE et l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78, oblige-t-il le juge national à écarter, dans la présente affaire, l’application de ladite disposition transitoire unique […]?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

41      En vue de répondre utilement à cette question, il convient de déterminer, en premier lieu, si la directive 2000/78 trouve à s’appliquer à une situation telle que celle faisant l’objet du litige au principal pour examiner, en second lieu et le cas échéant, si et dans quelle mesure cette directive est de nature à faire obstacle à une réglementation telle que celle visée par la juridiction de renvoi.

 Sur l’applicabilité de la directive 2000/78

42      Ainsi qu’il résulte tant de son intitulé et de son préambule que de son contenu et de sa finalité, la directive 2000/78 tend à établir un cadre général pour assurer à toute personne l’égalité de traitement «en matière d’emploi et de travail», en lui offrant une protection efficace contre les discriminations fondées sur l’un des motifs visés à son article 1er, au nombre desquels figure l’âge.

43      Plus particulièrement, il découle de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78 que celle-ci s’applique, dans le cadre des compétences dévolues à la Communauté, «à toutes les personnes […] en ce qui concerne les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération».

44      Certes, d’après son quatorzième considérant, la directive 2000/78 ne porte pas atteinte aux dispositions nationales fixant les âges de la retraite. Cependant, ce considérant se borne à préciser que ladite directive n’affecte pas la compétence des États membres pour déterminer les âges d’admission à la retraite et ne s’oppose aucunement à l’application de cette directive aux mesures nationales régissant les conditions de cessation d’un contrat de travail lorsque l’âge de la retraite, ainsi fixé, est atteint.

45      Or, la réglementation en cause au principal, qui considère comme valable la rupture de plein droit de la relation d’emploi conclue entre un employeur et un travailleur dès lors que ce dernier a atteint l’âge de 65 ans, affecte la durée du rapport de travail liant les parties ainsi que, plus généralement, l’exercice par le travailleur concerné de son activité professionnelle, en empêchant la participation future de celui-ci à la vie active.

46      En conséquence, une réglementation de cette nature doit être considérée comme établissant des règles relatives à des «conditions d’emploi et de travail, y compris […] de licenciement et de rémunération», au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78.

47      Dans ces conditions, ladite directive trouve à s’appliquer à une situation telle que celle ayant donné lieu au litige dont est saisie la juridiction de renvoi.

 Sur l’interprétation des articles 2 et 6 de la directive 2000/78

48      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge en matière de conditions d’emploi et de travail doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle sont considérées comme valables les clauses de mise à la retraite d’office figurant dans des conventions collectives et qui exigent, comme seules conditions, que le travailleur ait atteint la limite d’âge, fixée à 65 ans par la réglementation nationale, pour l’admission à la retraite et remplisse les autres critères en matière de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite de type contributif.

49      À cet égard, il importe de rappeler d’emblée que, conformément à son article 1er, la directive 2000/78 a pour objet de combattre, en matière d’emploi et de travail, certains types de discriminations, au nombre desquelles figure celle fondée sur l’âge, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

50      Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78, aux fins de cette dernière, on entend par «principe de l’égalité de traitement» l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur l’un des motifs énoncés à l’article 1er de cette directive. L’article 2, paragraphe 2, sous a), de celle-ci précise que, pour les besoins de l’application de son paragraphe 1, une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre se trouvant dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er de la même directive.

51      Or, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, selon laquelle le fait pour le travailleur d’atteindre l’âge fixé par cette réglementation pour l’admission à la retraite emporte cessation de plein droit du contrat de travail, doit être considérée comme imposant, de manière directe, un traitement moins favorable aux travailleurs ayant atteint cet âge par rapport à l’ensemble des autres personnes en activité. Une telle réglementation instaure dès lors une différence de traitement directement fondée sur l’âge, telle que visée à l’article 2, paragraphes 1 et 2, sous a), de la directive 2000/78.

52      S’agissant précisément des différences de traitement fondées sur l’âge, il ressort toutefois de l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive que de telles inégalités ne constituent pas une discrimination interdite au titre de l’article 2 de la même directive «lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires». Le second alinéa du même paragraphe énumère plusieurs exemples de différences de traitement revêtant des caractéristiques telles que celles mentionnées audit premier alinéa et, partant, compatibles avec les exigences du droit communautaire.

53      En l’espèce, il importe d’observer que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 71 de ses conclusions, la disposition transitoire unique autorisant l’insertion dans les conventions collectives de clauses de mise à la retraite d’office des travailleurs a été adoptée à l’instigation des partenaires sociaux dans le cadre d’une politique nationale visant à promouvoir l’accès à l’emploi par une meilleure distribution de celui-ci entre les générations.

54      Certes, la juridiction de renvoi a souligné que ladite disposition ne fait pas formellement référence à un objectif de cette nature.

55      Cette seule circonstance n’est cependant pas déterminante.

56      Il ne saurait en effet être inféré de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 qu’un manque de précision de la réglementation nationale en cause quant à l’objectif poursuivi aurait pour effet d’exclure automatiquement que celle-ci puisse être justifiée au titre de cette disposition.

57      À défaut d’une telle précision, il importe néanmoins que d’autres éléments, tirés du contexte général de la mesure concernée, permettent l’identification de l’objectif sous-tendant cette dernière aux fins de l’exercice d’un contrôle juridictionnel quant à sa légitimité ainsi qu’au caractère approprié et nécessaire des moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif.

58      En l’occurrence, il ressort des explications de la juridiction de renvoi que, premièrement, la mise à la retraite d’office des travailleurs ayant atteint un certain âge a été introduite dans la réglementation espagnole au cours de l’année 1980, dans un contexte économique caractérisé par un niveau de chômage élevé, aux fins d’offrir, dans le cadre de la politique nationale de l’emploi, des opportunités sur le marché du travail aux personnes à la recherche d’un emploi.

59      Deuxièmement, un tel objectif était expressément énoncé à la dixième disposition additionnelle.

60      Troisièmement, après l’abrogation, au cours de l’année 2001, de cette disposition additionnelle et à la suite de la signature par le gouvernement espagnol ainsi que par les organisations patronales et syndicales de la déclaration pour le dialogue social 2004 portant sur la compétitivité, l’emploi stable et la cohésion sociale, le législateur espagnol a réintroduit le mécanisme de la mise à la retraite d’office par la loi 14/2005. Or, celle-ci a elle-même pour objectif d’offrir des opportunités sur le marché du travail aux personnes à la recherche d’un emploi. Son article unique subordonne ainsi la possibilité de prévoir dans les conventions collectives des clauses autorisant la rupture du contrat de travail en raison de la survenance de l’âge de la retraite à la condition que cette mesure soit «liée à des objectifs formulés dans la convention collective et compatibles avec la politique de l’emploi», tels que «la transformation de contrats temporaires en contrats à durée indéterminée, le soutien à l’emploi [ou] l’engagement de nouveaux travailleurs».

61      Dans ce contexte, et compte tenu des nombreux litiges relatifs au sort à réserver, après l’abrogation de la dixième disposition additionnelle, aux clauses de mise à la retraite d’office figurant dans les conventions collectives conclues sous l’empire de la loi 8/1980, tant dans sa version originale que dans celle telle qu’approuvée par le décret royal législatif 1/1995, ainsi que de l’insécurité juridique en résultant pour les partenaires sociaux, la disposition transitoire unique a confirmé la possibilité de fixer un âge limite de mise à la retraite en application desdites conventions collectives.

62      Ainsi replacée dans son contexte, la disposition transitoire unique vise donc à réguler le marché national de l’emploi, notamment aux fins d’enrayer le chômage.

63      Cette appréciation est encore confortée par la circonstance que, en l’occurrence, l’article 19, troisième alinéa, de la convention collective mentionne expressément le «but d’encourager l’emploi» en tant qu’objectif de la mesure instituée par cette disposition.

64      Or, la légitimité d’un tel objectif d’intérêt général ne saurait être raisonnablement mise en doute, la politique de l’emploi ainsi que la situation sur le marché du travail figurant au nombre des objectifs expressément énoncés à l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78 et, conformément aux articles 2, premier alinéa, premier tiret, UE et 2 CE, la promotion d’un niveau d’emploi élevé constituant l’une des finalités poursuivies tant par l’Union européenne que par la Communauté.

65      En outre, la Cour a déjà jugé que la promotion de l’embauche constitue incontestablement un objectif légitime de politique sociale ou de l’emploi des États membres (voir, notamment, arrêt du 11 janvier 2007, ITC, C‑208/05, Rec. p. I‑181, point 39), et cette appréciation doit à l’évidence s’appliquer à des instruments de la politique du marché du travail national visant à améliorer les chances d’insertion dans la vie active de certaines catégories de travailleurs.

66      Partant, un objectif de la nature de celui visé par la réglementation en cause au principal doit, en principe, être considéré comme justifiant «objectivement et raisonnablement», «dans le cadre du droit national», ainsi que le prévoit l’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2000/78, une différence de traitement fondée sur l’âge édictée par les États membres.

67      Encore faut-il vérifier, selon les termes mêmes de ladite disposition, si les moyens mis en œuvre pour réaliser un tel objectif légitime sont «appropriés et nécessaires».

68      Il convient de rappeler dans ce contexte que, en l’état actuel du droit communautaire, les États membres ainsi que, le cas échéant, les partenaires sociaux au niveau national disposent d’une large marge d’appréciation dans le choix non seulement de la poursuite d’un objectif déterminé parmi d’autres en matière de politique sociale et de l’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser (voir, en ce sens, arrêt du 22 novembre 2005, Mangold, C‑144/04, Rec. p. I‑9981, point 63).

69      Ainsi qu’il ressort déjà des termes «dispositions spécifiques qui peuvent varier selon la situation des États membres» figurant au vingt-cinquième considérant de la directive 2000/78, tel est notamment le cas en ce qui concerne le choix que peuvent être amenées à effectuer les autorités nationales concernées, en fonction de considérations d’ordre politique, économique, social, démographique et/ou budgétaire et eu égard à la situation telle qu’elle se présente concrètement sur le marché du travail d’un État membre déterminé, d’allonger la durée de la vie active des travailleurs ou, au contraire, de prévoir le départ à la retraite plus précoce de ces derniers.

70      Par ailleurs, les autorités compétentes au niveau national, régional ou sectoriel doivent bénéficier de la possibilité de modifier les moyens mis en œuvre au service d’un objectif légitime d’intérêt général, par exemple en les adaptant à l’évolution de la situation de l’emploi dans l’État membre concerné. Le fait que, en l’occurrence, la procédure de la mise à la retraite d’office a été réintroduite en Espagne après y avoir été abrogée pendant plusieurs années est, dès lors, dépourvu de pertinence.

71      Ainsi, il incombe aux autorités compétentes des États membres de trouver un juste équilibre entre les différents intérêts en présence. Toutefois, il importe de veiller à ce que les mesures nationales prévues dans ce contexte n’aillent pas au-delà de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi par l’État membre concerné.

72      Or, il n’apparaît pas déraisonnable pour les autorités d’un État membre d’estimer qu’une mesure telle que celle en cause au principal puisse être appropriée et nécessaire pour atteindre l’objectif légitime invoqué dans le cadre de la politique nationale de l’emploi et consistant à promouvoir le plein emploi en favorisant l’accès au marché du travail.

73      Au surplus, ladite mesure ne saurait être regardée comme portant une atteinte excessive aux prétentions légitimes des travailleurs mis à la retraite d’office du fait qu’ils ont atteint la limite d’âge prévue, dès lors que la réglementation pertinente ne se fonde pas seulement sur un âge déterminé, mais prend également en considération la circonstance que les intéressés bénéficient au terme de leur carrière professionnelle d’une compensation financière au moyen de l’octroi d’une pension de retraite, telle que celle prévue par le régime national en cause au principal, dont le niveau ne saurait être considéré comme déraisonnable.

74      Au demeurant, la réglementation nationale pertinente ouvre aux partenaires sociaux la faculté de faire usage, par voie de conventions collectives − et dès lors avec une flexibilité non négligeable −, de l’application du mécanisme de la mise à la retraite d’office, en sorte qu’il peut être dûment tenu compte non seulement de la situation globale du marché de travail concerné, mais également des caractéristiques propres aux emplois en cause.

75      Au vu de ces éléments, il ne saurait être valablement soutenu qu’une réglementation nationale telle que celle en cause au principal est incompatible avec les exigences de la directive 2000/78.

76      Compte tenu de l’interprétation qui précède de la directive 2000/78, il n’est plus nécessaire pour la Cour de se prononcer sur l’article 13 CE, également visé dans la première question posée et sur le fondement duquel cette directive a été adoptée.

77      Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question posée que l’interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge, telle que mise en œuvre par la directive 2000/78, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle sont considérées comme valables les clauses de mise à la retraite d’office figurant dans des conventions collectives et qui exigent, comme seules conditions, que le travailleur ait atteint la limite d’âge, fixée à 65 ans par la réglementation nationale, pour l’admission à la retraite et remplisse les autres critères en matière de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite de type contributif, dès lors que

–        ladite mesure, certes fondée sur l’âge, est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime relatif à la politique de l’emploi et au marché du travail, et

–        les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif d’intérêt général n’apparaissent pas inappropriés et non nécessaires à cet effet.

 Sur la seconde question

78      Eu égard à la réponse négative apportée à la première question posée par la juridiction de renvoi, il n’y a pas lieu de statuer sur la seconde question préjudicielle.

 Sur les dépens

79      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

L’interdiction de toute discrimination fondée sur l’âge, telle que mise en œuvre par la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle sont considérées comme valables les clauses de mise à la retraite d’office figurant dans des conventions collectives et qui exigent, comme seules conditions, que le travailleur ait atteint la limite d’âge, fixée à 65 ans par la réglementation nationale, pour l’admission à la retraite et remplisse les autres critères en matière de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite de type contributif, dès lors que

–        ladite mesure, certes fondée sur l’âge, est objectivement et raisonnablement justifiée, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime relatif à la politique de l’emploi et au marché du travail, et

–        les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif d’intérêt général n’apparaissent pas inappropriés et non nécessaires à cet effet.

Signatures


* Langue de procédure: l’espagnol.

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