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Document 62003CJ0131

    Arrêt de la Cour (grande chambre) du 12 septembre 2006.
    R.J. Reynolds Tobacco Holdings, Inc. et autres contre Commission des Communautés européennes.
    Pourvoi - Décision de la Commission d'introduire une action en justice devant une juridiction d'un État tiers - Recours en annulation - Irrecevabilité.
    Affaire C-131/03 P.

    Recueil de jurisprudence 2006 I-07795

    Identifiant ECLI: ECLI:EU:C:2006:541

    Affaire C-131/03 P

    R.J. Reynolds Tobacco Holdings, Inc. e.a.

    contre

    Commission des Communautés européennes

    «Pourvoi — Décision de la Commission d'introduire une action en justice devant une juridiction d'un État tiers — Recours en annulation — Irrecevabilité»

    Conclusions de l'avocat général Mme E. Sharpston, présentées le 6 avril 2006 

    Arrêt de la Cour (grande chambre) du 12 septembre 2006 

    Sommaire de l'arrêt

    1.     Pourvoi — Moyens — Simple répétition des moyens et arguments présentés devant le Tribunal — Irrecevabilité — Contestation de l'interprétation ou de l'application du droit communautaire faite par le Tribunal — Recevabilité

    (Art. 225 CE; statut de la Cour de justice, art. 58, al. 1; règlement de procédure de la Cour, art. 112, § 1, c))

    2.     Recours en annulation — Actes susceptibles de recours — Notion — Actes produisant des effets juridiques obligatoires

    (Art. 230 CE)

    3.     Droit communautaire — Principes — Droit à une protection juridictionnelle effective

    (Art. 235 CE et 288, al. 2, CE)

    1.     Ne répond pas aux exigences de motivation résultant des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure un pourvoi qui se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour.

    Cependant, dès lors qu'un requérant conteste l'interprétation ou l'application du droit communautaire faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être de nouveau discutés dans le cadre d'un pourvoi. En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d'une partie de son sens.

    (cf. points 49-51)

    2.     Ne constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation que les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique. Partant, ce ne sont pas seulement les actes préparatoires qui échappent au contrôle juridictionnel prévu à l'article 230 CE, mais tout acte ne produisant pas d'effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du justiciable, tels que les actes confirmatifs et les actes de pure exécution, les simples recommandations et avis et, en principe, les instructions internes.

    Ainsi, si la saisine d'une juridiction est un acte indispensable pour obtenir une décision juridictionnelle contraignante, en tant que telle, elle ne détermine pas de manière définitive les obligations des parties au litige, de sorte que, a fortiori, la décision d'introduire un recours juridictionnel ne modifie pas par elle-même la situation juridique litigieuse. En outre, l'application, par le juge ainsi saisi, de ses propres règles de procédure fait partie des conséquences qui s'attachent nécessairement à la saisine de toute juridiction et ne saurait donc être considérée comme constituant un effet juridique, au sens dudit article 230 CE, de la décision d'introduire un recours.

    (cf. points 54-55, 58, 61)

    3.     Même si les justiciables ne peuvent pas introduire un recours en annulation contre des mesures ne produisant pas d'effets juridiques obligatoires de nature à affecter leurs intérêts, ils ne sont toutefois pas privés d'un accès au juge, puisque le recours en responsabilité non contractuelle prévu aux articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE reste ouvert si le comportement en cause est de nature à engager la responsabilité de la Communauté. Un tel recours ne relève pas du système de contrôle de la validité des actes communautaires ayant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, mais il est disponible lorsqu'une partie a subi un préjudice du fait d'un comportement illégal d'une institution.

    En outre, la circonstance que les requérantes ne soient éventuellement pas en mesure d'établir l'existence d'un comportement illégal de la part des institutions communautaires, d'un préjudice allégué ou d'un lien de causalité entre un tel comportement et un tel préjudice ne signifie pas qu'elles seraient privées d'une protection juridictionnelle effective.

    (cf. points 79, 82-84)




    ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

    12 septembre 2006 (*)

    «Pourvoi – Décision de la Commission d’introduire une action en justice devant une juridiction d’un État tiers – Recours en annulation – Irrecevabilité»

    Dans l’affaire C-131/03 P,

    ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduit le 24 mars 2003,

    R.J. Reynolds Tobacco Holdings, Inc., établie à Winston‑Salem, Caroline du Nord (États‑Unis),

    RJR Acquisition Corp., établie à Wilmington, New Castle, Delaware (États‑Unis),

    R.J. Reynolds Tobacco Company, établie à Jersey City, New Jersey (États‑Unis),

    R.J. Reynolds Tobacco International, Inc., établie à Dover, Kent, Delaware (États‑Unis),

    Japan Tobacco, Inc., établie à Tokyo (Japon),

    représentées par M. P. Lomas, solicitor, et Me O. W. Brouwer, avocat,

    parties requérantes,

    les autres parties à la procédure étant:

    Philip Morris International Inc., établie à Rye Brook, New York (États-unis),

    partie demanderesse en première instance dans les affaires T‑377/00 et T‑272/01,

    Commission des Communautés européennes, représentée par MM. C. Docksey, X. Lewis et C. Ladenburger, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

    partie défenderesse en première instance,

    soutenue par:

    Conseil de l’Union européenne, représenté par M. M. Bishop et Mme T. Blanchet, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

    partie intervenante au pourvoi,

    Royaume d’Espagne, représenté par Mme N. Díaz Abad, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

    République française, représentée par M. G. de Bergues, en qualité d’agent,

    République italienne, représentée par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de M. M. Fiorilli, avvocato dello Stato, ayant élu domicile à Luxembourg,

    République portugaise, représentée par MM. L. I. Fernandes et A. Seiça Neves, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

    République de Finlande, représentée par Mmes T. Pynnä et A. Guimaraes-Purokoski, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

    Parlement européen, représenté par MM. H. Duintjer Tebbens et A. Baas, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

    parties intervenantes en première instance,

    République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. M. Lumma et W.‑D. Plessing, en qualité d’agents,

    République hellénique,

    parties intervenantes en première instance dans les affaires T‑260/01 et T‑272/01,

    Royaume des Pays-Bas, représenté par Mme J. van Bakel, en qualité d’agent,

    partie intervenante en première instance dans les affaires T‑379/00, T‑260/01 et T‑272/01,

    LA COUR (grande chambre),

    composée de M. V. Skouris, président, MM. K. Schiemann et J. Makarczyk, présidents de chambre, MM. J.‑P. Puissochet, R. Schintgen, Mme N. Colneric, MM. S. von Bahr (rapporteur), P. Kūris, E. Juhász, J. Klučka, U. Lõhmus, E. Levits et A. Ó Caoimh, juges,

    avocat général: Mme E. Sharpston,

    greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

    vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 janvier 2006,

    ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 avril 2006,

    rend le présent

    Arrêt

    1       Par leur pourvoi, les parties requérantes demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 15 janvier 2003, Philip Morris e.a./Commission (T‑377/00, T‑379/00, T‑380/00, T‑260/01 et T‑272/01, Rec. p. II‑1, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté comme irrecevables leurs recours tendant à l’annulation des décisions de la Commission des Communautés européennes du 19 juillet 2000, d’une part, arrêtant «le principe d’une action civile, au nom de la Commission, dirigée contre certains fabricants américains de cigarettes», en exécution de laquelle une action civile a été engagée contre plusieurs sociétés appartenant au groupe Philip Morris (ci-après «Philip Morris») et au groupe Reynolds (ci-après «Reynolds») ainsi que contre Japan Tobacco, Inc. (ci‑après «Japan Tobacco»), devant l’United States District Court, Eastern District of New York, une juridiction fédérale des États‑Unis d’Amérique (ci‑après la «District Court»), et du 25 juillet 2001, d’autre part, arrêtant «le principe d’une nouvelle action civile, devant les tribunaux américains, conjointement par la Communauté et un État membre au moins, dirigée contre les groupes de fabricants de cigarettes qui étaient défendeurs à l’action antérieure», en exécution de laquelle deux autres actions ont été intentées devant la District Court (ci‑après les «décisions litigieuses»).

     Les faits à l’origine du litige

    2       Les faits à l’origine du litige, tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué, sont décrits comme suit par celui‑ci:

    «1      Dans le cadre de la lutte contre la contrebande de cigarettes à destination de la Communauté européenne, la Commission a approuvé, le 19 juillet 2000, ‘le principe d’une action civile, au nom de la Commission, dirigée contre certains fabricants américains de cigarettes’. Elle a également décidé d’en informer le Comité des représentants permanents (Coreper) par les voies appropriées et a habilité son président ainsi que le membre de la Commission responsable du budget à donner instruction au service juridique de prendre les mesures nécessaires.

    2      Le 3 novembre 2000, une action civile a été introduite par la Communauté européenne, représentée par la Commission et ‘agissant en son propre nom et au nom des États membres qu’elle a la compétence de représenter’, à l’encontre de [Philip Morris, Reynolds et Japan Tobacco] devant [la District Court].

    3      Dans le cadre de cette action (ci-après la ‘première action’), la Communauté alléguait la participation des requérantes, des entreprises productrices de tabac, à un système de contrebande visant à introduire et à distribuer des cigarettes sur le territoire de la Communauté européenne. La Communauté cherchait à obtenir notamment la réparation du préjudice résultant de ce système de contrebande et consistant, principalement, en la perte des droits de douane et de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui auraient été versés en cas d’importation légale, ainsi que des injonctions visant à faire cesser le comportement incriminé.

    4      La Communauté fondait ses demandes sur une loi fédérale des États-Unis, le Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act de 1970 (ci‑après le ‘RICO’) ainsi que sur certaines théories de la common law, à savoir les théories de la common law fraud, de la public nuisance et du unjust enrichment. Le RICO vise à combattre la criminalité organisée, notamment en facilitant la poursuite des comportements criminels des opérateurs économiques. À cette fin, il confère un droit d’action aux parties civiles. Afin d’encourager les actions civiles, le RICO prévoit que le demandeur peut se voir attribuer des dommages-intérêts correspondant au triple du préjudice qu’il a effectivement subi (treble damages).

    5      Par décision du 16 juillet 2001, la District Court a débouté la Communauté européenne de ses demandes.

    6      Le 25 juillet 2001, la Commission a approuvé ‘le principe d’une nouvelle action civile devant les tribunaux américains, conjointement par la Communauté et un État membre au moins, dirigée contre les groupes de fabricants de cigarettes qui étaient défendeurs dans l’action antérieure’. Elle a également habilité son président et le membre de la Commission chargé du budget à donner instruction au service juridique de prendre les mesures nécessaires.

    7      Le 6 août 2001, une nouvelle action a été introduite devant la District Court à l’encontre de Philip Morris et de Reynolds par la Commission, au nom de la Communauté européenne et des États membres qu’elle avait le pouvoir de représenter ainsi que par dix États membres, à savoir le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays‑Bas, la République portugaise et la République de Finlande, en leur propre nom. Dans le cadre de cette action (ci‑après la ‘deuxième action’), la Communauté ne fondait plus ses demandes sur le RICO, mais uniquement sur les principes de common law invoqués dans le cadre de la première action. En revanche, les États membres fondaient leurs demandes tant sur le RICO que sur les principes de common law invoqués par la Communauté. En outre, il était fait état d’un préjudice économique et d’un préjudice non économique que la Communauté n’avait pas allégués dans le cadre de sa première action et il était apporté des éléments supplémentaires au sujet des théories de la public nuisance et du unjust enrichment.

    8      La Communauté n’a pas fait appel de la décision de la District Court du 16 juillet 2001, visée au point 5 ci-dessus. Cependant, le 10 août 2001, elle a demandé au juge américain d’écarter cette dernière décision et de lui permettre de modifier sa demande (motion to vacate the judgment and to amend the complaint). Cette demande a été rejetée par décision de la District Court du 25 octobre 2001.

    9      Le 9 janvier 2002, la Communauté, représentée par la Commission, et les dix États membres mentionnés au point 7 ci‑dessus ont introduit devant la District Court une troisième action dirigée contre [Japan Tobacco] et d’autres entreprises liées à celle-ci (ci-après la ‘troisième action’).

    10      Le 19 février 2002, la District Court a débouté la Communauté et les États membres de la deuxième et de la troisième action, sur la base d’une règle de common law (revenue rule) en vertu de laquelle les juridictions des États-Unis s’abstiennent de mettre à exécution les lois fiscales d’autres États.

    11      Le 20 mars 2002, la Commission a approuvé le principe de former un appel contre la décision de la District Court. Le 25 mars 2002, un acte d’appel a été déposé devant l’United States Court of Appeals for the Second Circuit (cour d’appel du second circuit) au nom de la Communauté et des dix États membres.»

     La procédure devant le Tribunal

    3       Par requêtes déposées au greffe du Tribunal les 19 et 20 décembre 2000, les requérantes ont introduit des recours concluant, notamment, à l’annulation de la décision de la Commission d’intenter la première action (affaires T‑377/00, T‑379/00 et T‑380/00).

    4       Par ordonnance du 2 juillet 2001, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a joint les trois affaires aux fins de la procédure écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

    5       Par requêtes déposées au greffe du Tribunal le 15 octobre 2001, Reynolds et Philip Morris ont introduit des recours contre la décision de la Commission d’introduire la deuxième action (affaires T‑260/01 et T‑272/01).

    6       Par ordonnance du 31 janvier 2002, le président de la deuxième chambre élargie du Tribunal a joint les cinq affaires T‑377/00, T‑379/00, T‑380/00, T‑260/01 et T‑272/01 pour la suite de la procédure écrite et orale ainsi que pour l’arrêt.

    7       Dans chacune de ces affaires, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité, au motif que les décisions litigieuses ne sont pas des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours tel que prévu à l’article 230, quatrième alinéa, CE.

     L’arrêt attaqué

    8       Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a fait droit aux exceptions d’irrecevabilité soulevées par la Commission et a, en conséquence, rejeté les recours.

    9       Aux points 74, 76 et 77 de cet arrêt, le Tribunal a tout d’abord rappelé le contenu de l’article 230, quatrième alinéa, CE ainsi que la jurisprudence constante selon laquelle, d’une part, il y a lieu de s’attacher à la substance de la mesure dont l’annulation est demandée pour déterminer si elle est susceptible de faire l’objet d’un recours, la forme dans laquelle elle a été prise étant en principe indifférente à cet égard, et, d’autre part, seules les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation, le Tribunal se référant, notamment, à l’arrêt de la Cour du 11 novembre 1981, IBM/Commission (60/81, Rec. p. 2639, point 9).

    10     Il a en conséquence examiné si les décisions litigieuses produisent de tels effets.

    11     À cet égard, le Tribunal a relevé, au point 79 de l’arrêt attaqué, que la saisine d’une juridiction est un acte indispensable pour obtenir une décision juridictionnelle contraignante, mais que la détermination définitive des obligations des parties au litige ne saurait résulter que de la décision du juge saisi. Se référant, par analogie, à l’arrêt de la Cour du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne (C‑191/95, Rec. p. I‑5449, point 47), relatif à une décision de la Commission d’introduire un recours au titre de l’article 226, second alinéa, CE, il a conclu que la décision d’introduire un recours juridictionnel ne modifie pas, par elle-même, la situation juridique dans le cadre de laquelle cette décision s’inscrit et qu’elle ne saurait donc, en principe, être considérée comme une décision attaquable.

    12     Le Tribunal a ensuite examiné si les décisions litigieuses, du fait qu’elles ne concernent pas la saisine de la Cour ou d’une juridiction d’un État membre, mais celle d’une juridiction d’un État tiers, ont produit des effets juridiques définitifs autres que ceux nécessairement liés à la saisine de toute juridiction et qui auraient modifié, de façon caractérisée, la situation juridique des requérantes.

    13     Examinant, dans un premier temps, les effets des décisions litigieuses dans l’ordre juridique communautaire, le Tribunal a, au point 91 de l’arrêt attaqué, en premier lieu, rejeté comme non fondée la thèse des requérantes selon laquelle lesdites décisions ont produit des effets juridiques obligatoires au regard des compétences de la Commission et de l’équilibre institutionnel.

    14     À ce sujet, le Tribunal a constaté, au point 86 dudit arrêt, que les décisions litigieuses, à l’instar de tout acte d’une institution, impliquent accessoirement une prise de position de leur auteur quant à sa compétence pour les adopter, mais qu’une prise de position de cette nature ne peut pas être qualifiée d’effet juridique obligatoire au sens de l’article 230 CE, car, à supposer même qu’elle soit erronée, elle n’a aucune portée autonome par rapport à l’acte adopté. Il a ajouté qu’une telle prise de position, à la différence d’un acte ayant pour objet une attribution de compétence, tel que celui à l’origine de l’arrêt de la Cour du 9 octobre 1990, France/Commission (C‑366/88, Rec. p. I‑3571), invoqué par les requérantes, n’a pas vocation à modifier la répartition des compétences prévues par le traité CE.

    15     Au point 87 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a également jugé que l’incompétence alléguée de la Commission et l’atteinte éventuelle à l’équilibre institutionnel qui en découlerait ne permettent pas de déroger aux conditions de recevabilité du recours en annulation posées par le traité. En effet, un tel raisonnement reviendrait à déduire le caractère attaquable de l’acte de son illégalité éventuelle. À cet égard, le Tribunal a fait référence, par analogie, à l’ordonnance de la Cour du 10 mai 2001, FNAB e.a./Conseil (C‑345/00 P, Rec. p. I‑3811, points 39 à 42).

    16     S’agissant de la question de savoir si, en ce qui concerne les actes préparatoires, un recours juridictionnel à un stade précoce peut être considéré comme compatible avec le système des voies de recours prévu par le traité dans des circonstances exceptionnelles, lorsqu’il s’agit de mesures dépourvues même de toute apparence de légalité, évoquée notamment au point 23 de l’arrêt IBM/Commission, précité, le Tribunal a relevé, au point 88 de l’arrêt attaqué, que les juridictions communautaires n’ont jamais confirmé la possibilité de procéder exceptionnellement à un tel contrôle des actes préparatoires ou d’autres actes dépourvus d’effets juridiques. Il a ajouté que les décisions ayant évoqué cette hypothèse sont antérieures à l’ordonnance FNAB e.a./Conseil, précitée, dans laquelle la Cour s’est clairement prononcée contre la possibilité de faire dépendre la recevabilité d’un recours de la gravité des violations du droit communautaire invoquées.

    17     En deuxième lieu, au point 107 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté comme non fondée la thèse selon laquelle les décisions litigieuses ont produit des effets juridiques obligatoires en soumettant les requérantes à un autre ordre juridique ou en modifiant leur situation juridique sur le plan substantiel ou procédural.

    18     À cet égard, il a déclaré, au point 93 de l’arrêt attaqué, que le principe selon lequel la saisine d’une juridiction ne modifie pas, en tant que telle, la situation juridique des parties au litige, au sens de l’article 230 CE, vaut aussi bien pour la saisine du juge communautaire que pour celle des juridictions des États membres et même d’États tiers, comme les États‑Unis. Selon le Tribunal, ce principe n’est pas affecté par le fait que chaque juge est appelé à appliquer les règles procédurales de son propre ordre juridique et les règles de fond déterminées selon les règles de conflit de lois de ce même ordre juridique. En effet, indépendamment des règles applicables, les conséquences juridiques qui en découlent, de plein droit ou du fait des décisions du juge saisi, ne peuvent pas être attribuées à la partie ayant saisi le juge.

    19     Aux points 95 et 96 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a admis que certaines décisions d’ordre procédural peuvent produire des effets juridiques obligatoires et définitifs au sens de l’article 230 CE tel qu’interprété par la jurisprudence. Parmi ces décisions, il a relevé, d’une part, celles qui, tout en constituant des étapes d’une procédure administrative en cours, ne se bornent pas à créer les conditions pour le déroulement ultérieur de celle-ci, mais produisent des effets dépassant le cadre procédural et modifient les droits et obligations des intéressés sur le plan substantiel.

    20     Après avoir évoqué, au point 97 de l’arrêt attaqué, un certain nombre de décisions qui, selon la jurisprudence des juridictions communautaires, sont de cette nature, le Tribunal a constaté, au point 98, que tel n’est pas le cas des décisions litigieuses. Il a notamment observé que l’absence de procédure communautaire en matière de recouvrement des taxes et droits de douane ne saurait être assimilée à l’immunité expressément conférée par l’article 15, paragraphe 5, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204), aux parties à un accord notifié conformément à ce règlement. En outre, s’il est vrai que les décisions litigieuses impliquent une évaluation provisoire, par la Commission, du comportement des requérantes au regard du droit des États‑Unis, elles se distinguent de la décision d’ouvrir la procédure d’examen des aides d’État par le fait que le droit communautaire n’attache pas de conséquences juridiques déterminées à cette évaluation. Selon le Tribunal, la saisine des juridictions des États-Unis n’impose donc pas de nouvelles obligations aux requérantes et ne les oblige pas à modifier leurs pratiques.

    21     Le Tribunal a relevé, d’autre part, aux points 99 et 100 de l’arrêt attaqué, certaines décisions d’ordre procédural qui sont attaquables du fait qu’elles portent atteinte à des droits procéduraux des intéressés. Il a toutefois constaté que, en l’espèce, les requérantes n’auraient pas disposé de droits procéduraux dans le cadre de la procédure en manquement qui, selon elles, aurait dû être engagée par la Commission et en a conclu que la saisine de la District Court n’a pas pu les priver de droits à cet égard. Le Tribunal a ajouté que, en l’absence de compétence communautaire pour le recouvrement des droits et taxes concernés, il n’existe pas non plus de procédure prévue par le droit communautaire en la matière conférant des garanties dont les requérantes auraient été privées.

    22     Au point 101 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a également considéré que les requérantes n’ont pas davantage démontré que les décisions litigieuses ont affecté leur situation juridique au regard des procédures de recouvrement des taxes et droits de douane existant dans les États membres.

    23     À l’argument des requérantes selon lequel la procédure devant la District Court se distingue des procédures qui pourraient être engagées devant les juridictions des États membres par l’absence du régime de renvoi préjudiciel au titre de l’article 234 CE, le Tribunal a répondu, au point 105 de l’arrêt attaqué, qu’il est normal, dans des litiges comportant des éléments internationaux, que le juge doive appliquer des règles de droit étrangères et qu’il le fasse dans le cadre de ses propres règles de procédure. Selon le Tribunal, l’application par le juge de ses propres règles de procédure fait partie des conséquences qui s’attachent nécessairement à la saisine de toute juridiction et ne saurait donc être qualifiée d’effet juridique au sens de l’article 230 CE. Il a ajouté que, si l’article 234 CE donne aux juridictions des États membres la faculté de poser des questions préjudicielles et impose à certaines de ces juridictions une obligation de renvoi, en revanche, il ne confère aux parties à un litige pendant devant lesdites juridictions aucun droit de saisir la Cour.

    24     Le Tribunal a conclu, au point 108 de l’arrêt attaqué, que les décisions litigieuses ne produisent pas, dans l’ordre juridique communautaire, d’effets juridiques obligatoires au sens de l’article 230 CE tel qu’interprété par la jurisprudence.

    25     Examinant, dans un second temps, les effets attachés par le droit des États‑Unis à l’introduction des actions civiles en cause, le Tribunal a constaté, au point 110 de l’arrêt attaqué, que les conséquences de la saisine de la District Court sur le plan procédural invoquées par les requérantes ne diffèrent pas, pour la plupart, de celles s’attachant nécessairement à la saisine de toute juridiction et sont, pour certaines d’entre elles, purement factuelles.

    26     En outre, aux points 111 et 112 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que, si les juridictions fédérales des États-Unis peuvent, en vertu de leur droit procédural, adopter des décisions ayant des effets contraignants à l’égard des parties au litige, obligeant notamment celles‑ci à divulguer des éléments de fait et des documents, ces effets découlent de l’exercice autonome des pouvoirs dont ces juridictions sont investies selon le droit des États‑Unis et ne sont donc pas imputables à la Commission.

    27     S’agissant des effets de la saisine de la District Court sur le plan du droit substantiel, le Tribunal a constaté, au point 114 de l’arrêt attaqué, que la décision de saisir la District Court se borne à engager une procédure visant à faire constater la responsabilité des requérantes, dont l’existence, en ce qui concerne le fond du droit, n’est pas déterminée par l’introduction de l’action. Partant, si les décisions litigieuses ont pu avoir pour effet de révéler aux requérantes qu’elles courent un risque réel de se voir infliger des sanctions par le juge américain, ceci constitue une simple conséquence de fait et non un effet juridique que les décisions litigieuses sont destinées à produire, le Tribunal renvoyant, par analogie, au point 19 de l’arrêt IBM/Commission, précité.

    28     Aux points 115 à 117 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que certains faits soulevés par les requérantes, à savoir qu’elles sont accusées de comportements criminels dans le cadre des actions en cause, que l’immunité des parties à un litige protège celles-ci d’une action en diffamation visant les affirmations calomnieuses émises dans le cadre de la procédure et que les plaintes de la Commission ont été publiées sur Internet par la District Court, ainsi que les conséquences négatives qui peuvent découler de l’introduction des actions en cause sur la notoriété de sociétés cotées en Bourse soit sont de nature factuelle, soit résultent exclusivement de dispositions du droit des États-Unis et ne constituent donc pas des effets des décisions litigieuses qui seraient imputables à la Commission.

    29     Le Tribunal a conclu, au point 118 de l’arrêt attaqué, que les effets attachés par le droit des États‑Unis à l’introduction des actions civiles en cause que les requérantes invoquent ne peuvent pas être considérés comme des effets juridiques obligatoires au sens de l’article 230 CE tel qu’interprété par la jurisprudence.

    30     Enfin, s’agissant de la nécessité d’une protection juridictionnelle effective et de l’argument des requérantes selon lequel l’irrecevabilité de leurs recours aurait pour effet de les priver de toute voie de droit pour contester les décisions litigieuses parce que, la juridiction saisie relevant d’un État tiers, ni les juridictions communautaires ni les juridictions des États membres ne pourraient être amenées à statuer sur la légalité du comportement de la Commission, le Tribunal a jugé:

    «121      À cet égard, il doit être rappelé que la Cour a affirmé que l’accès au juge est un des éléments constitutifs d’une communauté de droit et qu’il est garanti dans l’ordre juridique fondé sur le traité CE du fait que celui-ci a établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à confier à la Cour de justice le contrôle de la légalité des actes des institutions (arrêt de la Cour du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, 294/83, Rec. p. 1339, point 23). La Cour fonde sur les traditions constitutionnelles communes aux États membres et sur les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales le droit à un recours effectif devant une juridiction compétente (arrêt de la Cour du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 18).

    122      Le droit à un recours effectif pour toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a, en outre, été réaffirmé par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne proclamée le 7 décembre 2000 à Nice (JO 2000, C 364, p. 1), qui, bien que n’étant pas dotée de force juridique contraignante, démontre l’importance, dans l’ordre juridique communautaire, des droits qu’elle énonce.

    123      À cet égard, il convient de relever que les justiciables ne sont pas privés d’un accès au juge du fait qu’un comportement dépourvu de caractère décisionnel ne peut pas faire l’objet d’un recours en annulation, le recours en responsabilité non contractuelle prévu aux articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE restant ouvert si un tel comportement est de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

    124      S’il peut paraître souhaitable, en outre, que les particuliers disposent, à côté du recours en indemnité, d’une voie de recours permettant de prévenir – ou de mettre fin à – des comportements non décisionnels des institutions susceptibles de porter atteinte à leurs intérêts, force est toutefois de constater qu’une telle voie de recours, qui impliquerait nécessairement que le juge communautaire adresse des injonctions aux institutions, n’est pas prévue par le traité. Or, il n’appartient pas au juge communautaire de se substituer au pouvoir constituant communautaire en vue de procéder à une modification du système des voies de recours et des procédures établi par le traité (arrêt du Tribunal du 27 juin 2000, Salamander e.a./Parlement et Conseil, T‑172/98, T‑175/98 à T‑177/98, Rec. p. II‑2487, point 75).»

     Les conclusions des parties

    31     Les parties requérantes demandent à la Cour:

    –       d’annuler l’arrêt attaqué;

    –       de déclarer recevables leurs recours en annulation au motif que les décisions litigieuses sont manifestement illégales et de statuer définitivement sur le litige;

    –       subsidiairement, de déclarer recevables leurs recours en annulation et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur le fond;

    –       plus subsidiairement, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il examine la question de la recevabilité conjointement avec le fond et qu’il statue en conséquence;

    –       de condamner la Commission à supporter les dépens en application de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour.

    32     La Commission demande à la Cour:

    –       de déclarer le pourvoi partiellement irrecevable, dans la mesure où il est demandé à la Cour d’examiner des points nouveaux qui n’avaient pas été soulevés en première instance ou de réexaminer les arguments déjà soulevés en première instance;

    –       de rejeter le pourvoi pour le surplus;

    –       de condamner les requérantes aux dépens.

    33     Les gouvernements allemand, espagnol, italien, néerlandais et portugais ainsi que le Parlement et le Conseil demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les parties requérantes aux dépens.

    34     Le gouvernement finlandais demande à la Cour:

    –       de déclarer le pourvoi irrecevable dans la mesure où il invite la Cour à examiner des éléments nouveaux qui n’ont pas été évoqués lors de la procédure devant le Tribunal et dans la mesure où il l’invite à examiner de nouveau des éléments soulevés devant le Tribunal sans démontrer que celui‑ci a commis des erreurs de droit;

    –       de rejeter le pourvoi pour le surplus;

    –       de condamner les parties requérantes aux dépens.

     Sur le pourvoi

    35     À l’appui de leur pourvoi, les parties requérantes soulèvent cinq moyens tirés respectivement:

    –       de l’interprétation erronée de l’article 230 CE en ce qui concerne les effets des décisions litigieuses dans l’ordre juridique communautaire;

    –       de l’interprétation erronée de l’article 230 CE en ce qui concerne les effets attachés par le droit des États-Unis à l’introduction des actions civiles en cause;

    –       de la violation du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective;

    –       de l’application et de l’interprétation erronées de la jurisprudence de la Cour relative à la possibilité de contester des mesures manifestement illégales;

    –       de la violation de l’article 292 CE.

     Sur le premier moyen, tiré de l’interprétation erronée de l’article 230 CE en ce qui concerne les effets des décisions litigieuses dans l’ordre juridique communautaire

     Argumentation des parties

    36     Dans le cadre de ce moyen, divisé en cinq branches, les requérantes font valoir, en premier lieu, que le Tribunal a commis une erreur de droit dans la mesure où il a considéré, au point 79 de l’arrêt attaqué, que, en principe, la décision d’une institution communautaire d’introduire un recours ne saurait être considérée comme une décision attaquable.

    37     Or, il résulterait de la jurisprudence que les seules mesures adoptées par les institutions qui ne sont pas susceptibles d’un contrôle juridictionnel sont celles qui s’intègrent dans une procédure communautaire en cours aboutissant à une décision ultérieure elle-même susceptible de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel à l’occasion duquel tous les griefs relatifs à une illégalité antérieure ou à l’incompétence de l’institution concernée et leurs effets peuvent être dûment examinés par une juridiction compétente et tenue d’appliquer le droit communautaire. Les requérantes invoquent, à cet égard, les arrêts précités IBM/Commission (point 20) et Commission/Allemagne (point 44).

    38     En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que, en examinant si les décisions litigieuses produisent des effets juridiques, le Tribunal n’a pas correctement interprété la jurisprudence ni appliqué celle-ci aux circonstances entièrement nouvelles de la présente affaire. En effet, la jurisprudence actuelle porterait sur des recours introduits contre des mesures prises par la Commission dans l’exercice de compétences qui lui sont conférées par le traité et ces recours conduisaient inexorablement à une décision intervenant dans l’ordre juridique communautaire, laquelle était soit prise par une juridiction communautaire, soit soumise au contrôle d’une telle juridiction. En revanche, il y aurait lieu de relever en l’espèce que, si les décisions litigieuses ne sont pas soumises au contrôle des juridictions communautaires, aucun autre acte ni aucune autre conséquence ne feront l’objet d’un tel contrôle et les institutions communautaires pourront engager des procès en dehors de l’ordre juridique communautaire sur toute nouvelle question et dans n’importe quelle circonstance.

    39     En troisième lieu, le Tribunal aurait mal interprété la jurisprudence communautaire en concluant qu’aucun effet juridique ne résulte du fait de ne plus pouvoir obtenir de la Cour une décision à titre préjudiciel sur la compétence de la Commission pour introduire des procédures dans un État tiers afin de tenter de recouvrer des droits de douane et la TVA prétendument impayés.

    40     À cet égard, les requérantes soutiennent que, si la Commission avait saisi une juridiction d’un État membre, elles auraient eu le droit de soulever la question essentielle de la compétence de la Commission, question que la juridiction nationale du plus haut degré aurait été obligée de déférer à la Cour en application de l’article 234, troisième alinéa, CE, compte tenu de la règle consacrée dans l’arrêt du 22 octobre 1987, Foto-Frost (314/85, Rec. p. 4199), et de l’inapplicabilité manifeste de la jurisprudence Cilfit e.a. (arrêt du 6 octobre 1982, Cilfit e.a., 283/81, Rec. p. 3415). La privation de cette possibilité emporterait des conséquences juridiques manifestes pour les parties au litige.

    41     En quatrième lieu, en concluant que l’introduction d’un recours juridictionnel dans un État tiers plutôt que dans un État membre ne produit pas d’effets juridiques, le Tribunal aurait également mal interprété la jurisprudence selon laquelle, lorsque le choix d’engager une procédure plutôt qu’une autre a été arrêté, la décision concrétisant ce choix produit des effets juridiques au sens de l’article 230 CE.

    42     En effet, ce serait à tort que le Tribunal, au point 98 de l’arrêt attaqué, n’aurait pas reconnu que le facteur décisif dans l’arrêt du 30 juin 1992, Espagne/Commission (C‑312/90, Rec. p. I‑4117), était le fait, pour la Commission, d’avoir préféré une procédure à une autre, excluant ainsi cette dernière. Les requérantes invoquent également, à cet égard, l’arrêt du 15 mars 1967, CBR e.a./Commission (8/66 à 11/66, Rec. p. 93). Or, en engageant les procédures concernées aux États-Unis, la Commission aurait arrêté un choix de procédure, ce qui aurait eu pour conséquence d’exclure non seulement les renvois préjudiciels à la Cour, mais également les garanties procédurales importantes attachées aux procédures pertinentes de droit communautaire applicables à la perception des taxes et droits en cause.

    43     En cinquième lieu, les requérantes relèvent que le Tribunal n’a pas admis que, par les décisions litigieuses, la Commission avait adopté une position définitive quant à sa compétence en droit communautaire, ce qui crée des effets juridiques, conformément à une jurisprudence constante.

    44     En effet, la Commission n’aurait pu agir que si un acte de droit dérivé avait été adopté pour lui permettre d’engager des procédures juridictionnelles dans un État tiers aux fins de recouvrer des droits de douane et la TVA prétendument impayés. Les décisions litigieuses produiraient ainsi les mêmes effets juridiques qu’un tel acte de droit dérivé.

    45     En outre, lesdites décisions auraient eu pour conséquence d’autoriser les dépenses exposées par la Commission pour engager et poursuivre des actions devant les juridictions des États-Unis. De telles décisions seraient susceptibles de faire l’objet d’un recours en application de l’article 230 CE, ainsi qu’il ressortirait notamment de l’ordonnance du 24 septembre 1996, Royaume-Uni/Commission (C‑239/96 R et C‑240/96 R, Rec. p. I‑4475).

    46     En étant substituées à des actes de droit communautaire primaire ou dérivé modifiant la répartition des compétences prévue par le traité, les décisions litigieuses viseraient également à modifier cette répartition, ce qui constituerait une modification de compétences identique à celle concernée dans l’arrêt France/Commission, précité.

    47     La Commission fait valoir que toutes les branches de ce moyen sont irrecevables dès lors que les requérantes ne font que répéter des arguments qu’elles ont exposés en première instance.

    48     Elle fait également valoir, en ce qui concerne la cinquième branche et l’argument selon lequel la Commission ne peut agir pour recouvrer des taxes dans des États tiers qu’en vertu d’une autorisation législative spécifique, en premier lieu, que les requérantes ont décrit de manière inexacte l’approche du Tribunal. En effet, celui‑ci aurait relevé, au point 104 de l’arrêt attaqué, que les requérantes n’ont pas établi que la Commission avait écarté ou contourné les procédures existantes applicables en matière de recouvrement des taxes et droits de douanes ou de lutte antifraude. En deuxième lieu, il n’aurait jamais été question que la Commission forme elle-même un recours pour récupérer des taxes non payées. En troisième lieu, le Tribunal aurait souligné, au point 102 de l’arrêt attaqué, que l’argument selon lequel la Commission a cherché à récupérer des taxes au moyen d’une action en dommages‑intérêts n’est pas de nature à établir une atteinte aux droits procéduraux des requérantes, outre qu’il s’agit d’un argument qui relève du fond du litige.

     Appréciation de la Cour

    49     À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il résulte des articles 225 CE, 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice et 112, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (voir, notamment, arrêts du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission, C‑352/98 P, Rec. p. I‑5291, point 34; du 8 janvier 2002, France/Monsanto et Commission, C‑248/99 P, Rec. p. I‑1, point 68, et du 6 mars 2003, Interporc/Commission, C‑41/00 P, Rec. p. I‑2125, point 15).

    50     Ainsi, ne répond pas aux exigences de motivation résultant de ces dispositions un pourvoi qui se limite à répéter ou à reproduire textuellement les moyens et les arguments qui ont été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction (voir, notamment, ordonnance du 25 mars 1998, FFSA e.a./Commission, C‑174/97 P, Rec. p. I‑1303, point 24, et arrêt Interporc/Commission, précité, point 16). En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (voir ordonnance du 26 septembre 1994, X/Commission, C‑26/94 P, Rec. p. I‑4379, point 13, et arrêt Bergaderm et Goupil/Commission, précité, point 35).

    51     Cependant, dès lors qu’un requérant conteste l’interprétation ou l’application du droit communautaire faite par le Tribunal, les points de droit examinés en première instance peuvent être de nouveau discutés dans le cadre d’un pourvoi (voir arrêt du 13 juillet 2000, Salzgitter/Commission, C‑210/98 P, Rec. p. I‑5843, point 43). En effet, si un requérant ne pouvait fonder de la sorte son pourvoi sur des moyens et arguments déjà utilisés devant le Tribunal, la procédure de pourvoi serait privée d’une partie de son sens (voir, notamment, ordonnance FNAB e.a./Conseil, précitée, points 30 et 31, ainsi qu’arrêts du 16 mai 2002, ARAP e.a./Commission, C‑321/99 P, Rec. p. I‑4287, point 49, et Interporc/Commission, précité, point 17).

    52     Or, en l’espèce, il convient de constater que, en réalité, par leur premier moyen, les requérantes ne visent pas à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal. En effet, dans chacune des branches de ce moyen, les requérantes indiquent de manière claire les passages de l’arrêt attaqué qu’elles considèrent comme entachés d’erreurs de droit.

    53     Il s’ensuit que le premier moyen est recevable.

    54     En ce qui concerne la première branche de ce moyen, ainsi que l’a rappelé à juste titre le Tribunal au point 77 de l’arrêt attaqué, il résulte d’une jurisprudence constante que ne constituent des actes ou des décisions susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation que les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique (voir, notamment, arrêt IBM/Commission, précité, point 9; ordonnance du 4 octobre 1991, Bosman/Commission, C‑117/91, Rec. p. I‑4837, point 13, et arrêt du 9 décembre 2004, Commission/Greencore, C‑123/03 P, Rec. p. I‑11647, point 44).

    55     Partant, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, ce ne sont pas seulement les actes préparatoires qui échappent au contrôle juridictionnel prévu à l’article 230 CE, mais tout acte ne produisant pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du justiciable, tels que les actes confirmatifs et les actes de pure exécution (voir, notamment, arrêt du 1er décembre 2005, Royaume-Uni/Commission, C‑46/03, Rec. p. I‑10167, point 25), les simples recommandations et avis (arrêt du 23 novembre 1995, Nutral/Commission, C‑476/93 P, Rec. p. I‑4125, point 30) et, en principe, les instructions internes (voir arrêt France/Commission, précité, point 9).

    56     C’est par suite sans erreur de droit que le Tribunal a déduit de la circonstance que les décisions litigieuses ne produisaient pas d’effets juridiques obligatoires au sens de l’article 230 CE qu’elles n’étaient pas susceptibles de faire l’objet d’un recours sans limiter la portée de cette solution aux seuls actes préparatoires.

    57     Dès lors, il convient de rejeter la première branche du premier moyen.

    58     S’agissant de la deuxième branche, dans la mesure où elle ne se confond pas avec les troisième, quatrième et cinquième branches, il y a lieu de constater que le Tribunal a relevé à bon droit, par référence au point 47 de l’arrêt Commission/Allemagne, précité, que, si la saisine d’une juridiction est un acte indispensable pour obtenir une décision juridictionnelle contraignante, en tant que telle, elle ne détermine pas de manière définitive les obligations des parties au litige, de sorte que, a fortiori, la décision d’introduire un recours juridictionnel ne modifie pas par elle-même la situation juridique litigieuse.

    59     La question de savoir si les décisions litigieuses sont soumises au contrôle des juridictions communautaires est sans aucune pertinence à cet égard.

    60     Il s’ensuit que la deuxième branche du premier moyen doit être rejetée.

    61     Quant à la troisième branche, c’est également à bon droit que le Tribunal a constaté, au point 105 de l’arrêt attaqué, que l’application, par le juge, de ses propres règles de procédure fait partie des conséquences qui s’attachent nécessairement à la saisine de toute juridiction et ne saurait donc être considérée comme constituant un effet juridique, au sens de l’article 230 CE, de la décision d’introduire un recours.

    62     Il convient d’ajouter que la question de savoir si les décisions litigieuses de la Commission peuvent être qualifiées d’actes juridiques attaquables au sens de la jurisprudence énoncée au point 54 du présent arrêt ne saurait dépendre du fait que, si la Commission avait saisi une juridiction d’un État membre, un renvoi préjudiciel au titre de l’article 234 CE aurait été possible dans le cadre de la procédure ainsi engagée.

    63     Dès lors, la troisième branche du premier moyen ne saurait être accueillie.

    64     S’agissant de la quatrième branche, le Tribunal a correctement interprété l’arrêt Espagne/Commission, précité (points 12 à 20), en indiquant qu’il résulte de cet arrêt que la décision d’ouvrir l’examen des aides d’État produit des effets juridiques au sens de l’article 230 CE. En effet, des conséquences juridiques déterminées découlent de l’évaluation et de la qualification des aides visées ainsi que du choix de la procédure qui en résulte. En revanche, le simple fait que, par les décisions litigieuses, la Commission a arrêté un choix quant à la procédure à engager contre les requérantes et a ainsi exclu d’autres procédures ne saurait, en soi, constituer un effet juridique au sens dudit article.

    65     Il s’ensuit que la quatrième branche du premier moyen doit être rejetée.

    66     Quant à la cinquième branche, ainsi que le Tribunal l’a constaté à juste titre, si les décisions litigieuses, à l’instar de tout acte d’une institution, impliquent accessoirement une prise de position de leur auteur quant à sa compétence pour les adopter, une telle prise de position ne saurait toutefois être qualifiée, en soi, d’effet juridique obligatoire au sens de l’article 230 CE tel qu’interprété par la jurisprudence.

    67     S’agissant de l’utilisation de ressources budgétaires qu’autorisent implicitement les décisions litigieuses pour engager et maintenir les actions en cause, il suffit de constater que ce fait est sans incidence sur la question de savoir si lesdites décisions produisent des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérantes en modifiant de façon caractérisée leur situation juridique.

    68     Il résulte de ce qui précède qu’il y lieu de rejeter la cinquième branche du premier moyen et, partant, celui-ci dans son ensemble.

     Sur le deuxième moyen, tiré de l’interprétation erronée de l’article 230 CE en ce qui concerne les effets attachés par le droit des États‑Unis à l’introduction des actions civiles en cause

     Argumentation des parties

    69     Selon les requérantes, c’est à tort que, au point 105 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que la District Court pouvait pallier l’absence de régime de renvoi préjudiciel aux États‑Unis en appliquant elle-même le droit communautaire. À cet égard, elles font valoir que, du fait de la doctrine de l’«Act of State», il est improbable que la District Court statue sur les questions fondamentales de droit communautaire soulevées devant elle. À cet égard, contrairement à ce que prétend la Commission, les requérantes auraient déjà invoqué cette doctrine, en tout cas son contenu, devant le Tribunal.

    70     La Commission affirme que ce moyen est irrecevable parce qu’il constitue un moyen nouveau. En effet, alors qu’elles auraient pu le faire, les requérantes n’auraient pas invoqué la doctrine de l’«Act of State» ni devant le Tribunal ni devant la District Court.

     Appréciation de la Cour

    71     Il y a, tout d’abord, lieu de constater que, comme l’a relevé Mme l’avocat général au point 66 de ses conclusions, il ressort du point 72 de l’arrêt attaqué que la doctrine de l’«Act of State» a été invoquée par les requérantes devant le Tribunal, de sorte que le deuxième moyen est recevable.

    72     Toutefois, et dans la mesure où ce moyen diffère des troisième et quatrième branches du premier moyen, il convient de le rejeter comme non fondé.

    73     En effet, l’application de la doctrine de l’«Act of State» par la juridiction compétente des États-Unis, ou non, est sans aucune pertinence au regard de la notion d’acte attaquable au sens de l’article 230 CE.

     Sur le troisième moyen, tiré de la violation du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective

     Argumentation des parties

    74     Les requérantes font valoir que le Tribunal les a privées d’une protection juridictionnelle effective et a commis une erreur de droit dans la mesure où il a considéré, au point 123 de l’arrêt attaqué, que le critère pertinent en cette matière est l’accès au juge plutôt que l’existence de recours effectifs à laquelle s’attache la jurisprudence. Elles invoquent à cet égard l’arrêt du 25 juillet 2002, Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (C‑50/00 P, Rec. p. I‑6677, point 39).

    75     En outre, le fait que, dans les arrêts Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précité (point 40), et du 2 avril 1998, Greenpeace Council e.a./Commission (C‑321/95 P, Rec. p. I‑1651), la Cour ait fait état de l’existence d’un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions, mais sans y inclure l’article 288 CE, démontrerait l’inexactitude de l’énonciation du Tribunal, au point 123 de l’arrêt attaqué, selon laquelle il n’est pas contraire à la nécessité d’une protection juridictionnelle effective de ne pas admettre la recevabilité du recours en annulation en raison de la possibilité d’introduire un recours en responsabilité non contractuelle sur le fondement dudit article. De plus, la simple incompétence des institutions communautaires n’entraînerait pas la responsabilité non contractuelle de la Communauté, de sorte qu’un recours en indemnité ne serait pas suffisant pour fournir aux requérantes une protection juridictionnelle effective.

    76     La Commission soutient que le principe d’une protection juridictionnelle effective garantit la protection contre les actes d’institutions communautaires qui sont susceptibles de violer les droits et les libertés reconnus par le droit communautaire, c’est-à-dire ceux ayant des effets juridiques sur les intéressés. Or, les décisions litigieuses ne constitueraient pas de tels actes.

    77     S’agissant de l’arrêt Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précité, la Commission rappelle que la Cour a déclaré au point 44 de cet arrêt que, s’il est vrai que la condition d’être individuellement concerné pour pouvoir former un recours contre un règlement doit être interprétée à la lumière du principe d’une protection juridictionnelle effective en tenant compte des diverses circonstances qui sont de nature à individualiser un requérant, une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter la condition en cause.

    78     En ce qui concerne l’article 288 CE, la Commission estime que le problème réel auquel les requérantes sont confrontées réside non dans la question de savoir si cet article leur offre une protection effective, mais plutôt dans la difficulté de démontrer que la Commission a commis un acte illégal en tentant d’obtenir de la District Court une décision selon laquelle elles ont commis les diverses activités illicites et délictuelles alléguées dans les actions civiles et que le préjudice subi est une conséquence directe de l’introduction de ce type d’action.

     Appréciation de la Cour

    79     Tout d’abord, il y a lieu de constater que le Tribunal s’est fondé à bon droit, au point 123 de l’arrêt attaqué, sur la constatation que des mesures ne produisant pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des justiciables ne peuvent pas faire l’objet d’un recours en annulation.

    80     Certes, ainsi qu’il l’a rappelé au point 121 dudit arrêt, par les articles 230 CE et 241 CE, d’une part, et par l’article 234 CE, d’autre part, le traité établit un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes des institutions, en le confiant au juge communautaire (voir arrêts précités Les Verts/Parlement, point 23, et Foto-Frost, point 16, ainsi que du 6 décembre 2005, Gaston Schul Douane-expediteur, C‑461/03, Rec. p. I‑10513, point 22).

    81     Toutefois, il n’en demeure pas moins que, bien que la condition relative aux effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant en modifiant de façon caractérisée sa situation juridique doive être interprétée à la lumière du principe d’une protection juridictionnelle effective, une telle interprétation ne saurait aboutir à écarter cette condition sans excéder les compétences attribuées par le traité aux juridictions communautaires (voir, par analogie, en ce qui concerne la condition selon laquelle la personne physique ou morale requérante doit être individuellement concernée par l’acte attaqué, arrêt Unión de Pequeños Agricultores/Conseil, précité, point 44).

    82     C’est encore à bon droit que le Tribunal a constaté au point 123 de l’arrêt attaqué que, même si les justiciables ne peuvent pas introduire un recours en annulation contre lesdites mesures, ils ne sont toutefois pas privés d’un accès au juge, puisque le recours en responsabilité non contractuelle prévu aux articles 235 CE et 288, deuxième alinéa, CE reste ouvert si le comportement en cause est de nature à engager la responsabilité de la Communauté.

    83     Un tel recours ne relève pas du système de contrôle de la validité des actes communautaires ayant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, mais il est disponible lorsqu’une partie a subi un préjudice du fait d’un comportement illégal d’une institution.

    84     En outre, la circonstance que les requérantes ne soient éventuellement pas en mesure d’établir l’existence d’un comportement illégal de la part des institutions communautaires, d’un préjudice allégué ou d’un lien de causalité entre un tel comportement et un tel préjudice ne signifie pas qu’elles seraient privées d’une protection juridictionnelle effective.

    85     Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de rejeter le troisième moyen comme non fondé.

     Sur le quatrième moyen, tiré de l’application et de l’interprétation erronées de la jurisprudence de la Cour relative à la possibilité de contester des mesures manifestement illégales

     Argumentation des parties

    86     Les requérantes soulignent qu’aucune disposition du traité ni aucun acte de droit dérivé n’habilite la Communauté à engager des procédures juridictionnelles en dehors de l’ordre juridique communautaire ni n’autorise la Commission à prendre des mesures d’exécution dans le domaine de la perception des droits de douane et de la TVA. À cet égard, les requérantes observent que l’article 211 CE n’est pas une disposition générale d’habilitation privant l’article 7 CE de sa pertinence. Dès lors que les décisions litigieuses seraient donc manifestement illégales, le Tribunal aurait dû déclarer les recours en annulation recevables, conformément à l’arrêt IBM/Commission, précité.

    87     En ce qui concerne l’ordonnance FNAB e.a./Conseil, précitée, invoquée par le Tribunal aux points 87 et 88 de l’arrêt attaqué, les requérantes affirment que, en se référant, au point 40 de cette ordonnance, aux «critères de recevabilité fixés expressément par le traité», la Cour a visé les conditions relatives à l’intérêt direct et individuel mentionnées à l’article 230, quatrième alinéa, CE, indépendamment de la question de savoir si, dans des circonstances exceptionnelles, des mesures dépourvues même de toute apparence de légalité peuvent faire l’objet de recours en annulation.

    88     En tout état de cause, les requérantes soutiennent que le Tribunal a fait une application erronée de la jurisprudence résultant, notamment, des arrêts du 9 octobre 1990, France/Commission, précité, ainsi que du 16 juin 1993, France/Commission (C‑325/91, Rec. p. I‑3283), et a commis une violation d’une forme substantielle en ne joignant pas la question de la recevabilité au fond.

    89     La Commission estime, en premier lieu, que ce moyen est irrecevable parce que les arguments développés ne sont que la répétition de ceux qui avaient été soulevés en première instance.

    90     En deuxième lieu, elle observe que, devant le Tribunal, les parties disposant d’un droit de recours en vertu de l’article 230, deuxième alinéa, CE, dont les prérogatives institutionnelles sont directement concernées par une prise de position unilatérale de la Commission en ce qui concerne sa compétence, ont très clairement soutenu le droit de cette dernière d’arrêter les décisions litigieuses. De plus, la Commission aurait elle-même rappelé les prérogatives en matière de représentation de la Communauté que lui confère l’article 282 CE, qui serait une application du principe général selon lequel la Commission est seule habilitée à représenter la Communauté devant les tribunaux. Dans la réponse à la demande de rejet présentée devant la District Court, la Commission se serait fondée sur l’article 211 CE, de même que sur d’autres articles du traité. La Commission disposant donc, à tout le moins a priori, de la compétence concernée, il ne pourrait être soutenu qu’il y a incompétence manifeste ni que les décisions litigieuses sont dépourvues de toute apparence de légalité.

    91     En troisième lieu, s’agissant de l’ordonnance FNAB e.a./Conseil, précitée, et de l’argument des requérantes selon lequel le Tribunal aurait dû joindre la question de la recevabilité au fond, la Commission rappelle que, pour pouvoir contester une décision, un justiciable doit d’abord prouver que celle‑ci a produit certains effets juridiques définitifs, ce qui ne serait pas le cas.

     Appréciation de la Cour

    92     À titre liminaire, il convient de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission pour des motifs identiques à ceux exposés aux points 49 à 52 du présent arrêt.

    93     Ensuite, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur la question de savoir s’il résulte de l’arrêt IBM/Commission, précité, que, dans des circonstances exceptionnelles, les recours en annulation dirigés contre des mesures dépourvues même de toute apparence de légalité doivent être déclarés recevables, il convient de constater que, en tout état de cause, une telle situation n’est manifestement pas rencontrée en l’espèce.

    94     En effet, il suffit de relever, à cet égard, que l’article 211 CE prévoit que la Commission veille à l’application des dispositions du traité ainsi que des dispositions prises en vertu de celui-ci, que, conformément à l’article 281 CE, la Communauté a la personnalité juridique et que l’article 282 CE, qui, bien que limité aux États membres selon son libellé, constitue l’expression d’un principe général, précise que la Communauté possède la capacité juridique, étant, à cet effet, représentée par la Commission.

    95     S’agissant du grief selon lequel le Tribunal aurait dû joindre l’appréciation de l’exception d’irrecevabilité au fond, il y a lieu de constater que, contrairement à ce qui était le cas dans les arrêts cités par les requérantes, l’appréciation du bien-fondé de l’exception d’irrecevabilité soulevée devant le Tribunal ne dépendait pas, en l’espèce, de celle qui devait être portée sur les moyens de fond invoqués pas les requérantes.

    96     Dès lors, le quatrième moyen ne saurait être accueilli.

     Sur le cinquième moyen, tiré de la violation de l’article 292 CE

     Argumentation des parties

    97     Les requérantes font valoir que, en concluant que la District Court pouvait apprécier tout différend relatif à la compétence de la Commission pour engager les procédures concernées aux États‑Unis, le Tribunal a retenu une solution contraire à l’article 292 CE et au système des traités.

    98     En effet, l’autonomie de l’ordre juridique communautaire serait compromise par tout système non communautaire qui aurait pour effet de lier la Communauté et ses institutions, dans l’exercice de leurs compétences internes, à une interprétation particulière des règles de droit communautaire (voir, notamment, avis 1/91, du 14 décembre 1991, Rec. p. I‑6079, points 41 à 46, et 1/00, du 18 avril 2002, Rec. p. I‑3493, point 45), ce qui serait le cas si la District Court appréciait la question de la compétence de la Commission pour engager des procédures dans un État tiers aux fins de recouvrer des droits de douane et la TVA prétendument impayés.

    99     La Commission rappelle tout d’abord que l’article 292 CE concerne les États membres et non la Commission.

    100   Ensuite, elle fait valoir que la Communauté ne tente pas de substituer la District Court à la Cour comme arbitre de questions de droit communautaire. Tous les arguments relatifs à l’habilitation et à la compétence de la Commission susceptibles d’être présentés par les requérantes devant la District Court seraient traités par celle-ci de la même manière que toutes les autres questions préalables résultant d’une action civile introduite contre elles par la Communauté. Dès lors qu’il serait nécessaire de tenir compte du droit communautaire aux fins de l’application des règles de son propre ordre juridique, la District Court recueillerait tous les éléments d’information requis à cet effet.

    101   Quant au choix de la juridiction, il s’agirait d’une question de stratégie pour la Commission, laquelle veillerait à engager des actions ou à intervenir dans des procédures dans l’État où les activités incriminées ont eu lieu et où l’exécution se fera. La District Court serait la juridiction dans le ressort de laquelle, d’une part, une ou plusieurs requérantes sont établies ainsi que, d’autre part, les activités illicites auraient eu lieu et, par conséquent, la juridiction la mieux placée pour obtenir l’exécution effective du jugement recherché.

     Appréciation de la Cour

    102   Il convient de constater que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, une décision d’une juridiction des États‑Unis sur la compétence de la Commission pour la saisir d’une action en justice n’est pas susceptible de lier la Communauté et ses institutions, dans l’exercice de leurs compétences internes, à une interprétation particulière des règles de droit communautaire. En effet, ainsi que l’a observé Mme l’avocat général au point 90 de ses conclusions, une telle décision ne serait obligatoire que dans le cadre d’une procédure déterminée.

    103   Il s’ensuit que le cinquième moyen doit être rejeté comme non fondé.

    104   Aucun des moyens invoqués par les requérantes au soutien de leur pourvoi n’étant fondé, il y a lieu, en conséquence, de rejeter celui‑ci.

     Sur les dépens

    105   Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation des requérantes et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens. Conformément à l’article 69, paragraphe 4, de ce même règlement, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu dudit article 118, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

    Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête:

    1)      Le pourvoi est rejeté.

    2)      R.J. Reynolds Tobacco Holdings, Inc., RJR Acquisition Corp., R.J. Reynolds Tobacco Company, R.J. Reynolds Tobacco International, Inc., et Japan Tobacco, Inc., sont condamnées aux dépens.

    3)      La République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française, la République italienne, le Royaume des Pays‑Bas, la République portugaise, la République de Finlande, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne supportent leurs propres dépens.

    Signatures


    * Langue de procédure: l’anglais.

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